Les campagnes de la subdélégation de Belfort au milieu du xviiie siècle
p. 15-26
Texte intégral
1Depuis quelques années déjà, l’histoire des campagnes alsaciennes commence à sortir du néant. Un volume collectif1 a, en 1983, donné une première synthèse et les études de Jean-Michel Boehler2 ont, pour leur part, brossé un tableau de leur situation au XVIIIe siècle. Pourtant, les campagnes de l’Alsace méridionale, tout spécialement autour de Belfort, ont jusqu’ici plutôt été délaissées. En 1979 notre mémoire de maîtrise3, dirigé par Jean Jacquart, avait tenté une première approche. Aucun travail d’ampleur ne leur a été consacré depuis. Pourtant les sources ne manquent pas. Nous en voulons pour preuve cet « Etat et dénombrement de la subdélégation de Belfort » daté du 1er avril 1751 entré aux Archives départementales de Belfort par dépôt en 19804, dont nous donnons ici une première exploitation. Le document a été rédigé sous la direction de François-Bernardin Noblat5. Associé depuis 1747 au travail de son oncle François Noblat, il lui succéda comme subdélégué de 1752 à 1770. Le document s’intégrait vraisemblablement à une enquête menée dans toute la province, puisque des registres similaires, eux aussi datés du printemps 1751, sont connus pour les subdélégations de Landau, Saverne et Wissembourg en Basse-Alsace6.
2Le registre belfortain fournit des observations précieuses pour 269 communautés rurales et urbaines des bailliages d’Altkirch, Belfort, Brunstatt, Delle, Ferrette et Rougemont-Masevaux, ainsi que pour la ville d’Huningue. Sa destination première était la répartition des corvées des travaux publics, puisque pour chaque communauté il indique le nombre de feux, laboureurs, pionniers, bovins et chevaux de plus de 2 ans et demi. Mais il donne aussi des informations précises sur l’étendue des terroirs, l’affectation et la qualité des cultures, bois et pâturages, les activités économiques et les charges fiscales des communautés… Comme le souligne Lucie Roux7, toutes ces remarques avaient vraisemblablement été recueillies dans la perspective de l’introduction de l’impôt du « vingtième » instauré en 1749 : « pour tenter de le répartir avec équité, l’intendant d’Alsace avait ordonné, le 26 octobre 1749, à tous les subdélégués, baillis et magistrats, de se faire remettre sous quinzaine, par tous les propriétaires, des déclarations de leurs biens. Les réponses, quand elles vinrent, furent informes… Aussi, par ordonnance du 26 février 1750, l’intendant réitéra-t-il l’ordre de fournir, sous huitaine, les listes nominatives des habitants et possesseurs de biens dans chaque localité, listes que les subdélégués avaient à vérifier et transmettre au directeur du « vingtième, qui établirait les rôles. La chose fut faite à Belfort (ville), sinon partout ailleurs... ».
3Ce type de recensement étant encore trop sommaire, l’intendant de Lucé ordonna en 1759 l’arpentage des bans des communautés. Furent ainsi réalisés dans les années 1760 des plans, que nous avions utilisés dans notre travail sur Phaffans. Une étude de ce matériau est encore à mener pour l’ensemble de la province. Le registre Noblat se présente donc comme une ébauche de cet arpentage pour la région de Belfort, le Sundgau et la seigneurie de Montjoie-Vaufrey8.
Statistiques fiscales
4Le premier type d’information fourni par le document a trait à la population. Seul le nombre de feux est donné. Avec une moyenne de 4,5 individus par feu, on peut avoir une idée approximative de son importance (Tabl. 1).
5Le document livre également une statistique de la présence juive dans la subdélégation : 20 familles dans le bailliage d’Altkirch, 84 dans celui de Brunstatt, 15 dans celui de Delle et 103 dans celui de Ferrette. Fait curieux, il ne souffle mot des fermiers anabaptistes, pourtant nombreux dans certaines exploitations isolées. En 1780, cette minorité comptait 665 personnes en Haute-Alsace9 , dont 362 dans la subdélégation de Belfort et 95 dans celle de Ferrette, dans leurs limites d’alors.
6A ces notations générales s’ajoutent celles relatives aux impositions et en premier lieu aux corvées (Tabl. 2). Outre le nombre d’animaux trahants de plus de 2 ans et demi, elles donnent pour chaque communauté celui des laboureurs et des manouvriers (pionniers). On notera que les habitants de la seigneurie de Montjoie-Vaufrey sont signalés comme n’effectuant jamais la corvée, sans doute en raison de leur éloignement de l’Alsace et de leur enclavement dans les terres comtoises. Pour ce qui concerne la « Subvention », qui correspond en Alsace à la Taille, les chiffres relevés pour chaque bailliage font ressortir une pression fiscale assez inégale (Tabl. 3).
7Par ailleurs, le document dénonce vigoureusement l’exemption d’imposition dont bénéficiaient les Juifs et les Mulhousiens acquéreurs de terres du bailliage de Brunstatt :
... D’ailleurs ce baillage soufre beaucoup de ce que les particuliers de Mühlhousen10, qui sont tous à leur aise, possèdent bien des terres dans son étendüe, sans en payer aucune imposition royale ce qui facilite les particuliers de cette ville ou République d’achetter des terres étant par sa scituation entourée [un mot illisible, biffé] partie des villages de ce bailliage... Se seroit un grand bien pour les communautés si on obligeait les particuliers étrangers à payer les impositions royales pour les biens qu’ils possèdent sur les terres du Roi. Cette exemption n’est fondée que sur un usage abusif, et sur la complaisans de gens en place qui au lieu d’égaliser les charges suivant l’ordonnance les font supporter aux seuls sujets du Roi, pour se rendre les étrangers favorables...
La mise en valeur des terroirs
8Mais au-delà de ces données fiscales, le document a l’immense avantage de fournir des informations précises sur la situation de chaque communauté. Nous délaisserons ici tout ce qui a trait au régime seigneurial, dans la mesure où, pour le Comté de Belfort tout au moins, la thèse de Philippe Dattier a fait le point11.
9Pour ce qui est de l’organisation des terroirs, l’ensemble des chiffres des communautés donne la répartition suivante pour chaque bailliage. Nous livrons les chiffres bruts, puis convertis en hectares (Tabl. 4). Compte-tenu de la fluctuation des mesures anciennes d’un lieu à l’autre, nous avons retenu comme étalon celles de Belfort, où l’arpent le journal et la fauchée équivalent à environ 32 ares. La superficie des étangs, nombreux dans la région, n’a cependant pu être évaluée, seule leur contenance en « carpes » étant connue. Nous donnons en annexe une représentation graphique de l’occupation de ces terroirs. La part des champs représente de 40 à 60 % des superficies, sauf dans le bailliage de Rougemont-Masevaux, au pied des Vosges. L’assolement triennal constitue la règle avec cependant des exceptions notables.
10L’assolement biennal est attesté dans le bailliage de Rougemont-Masevaux :
11– A Masevaux :
Les terres labourables sont d’un petit revenu par la dépense qu’il convient de faire pour les fumer et sarcler à cause de la quantité d’herbes qu’elles jettent. Elles sont divisées en deux saisons dont une semée de seigle et d’espiautte et l’autre d’avoine, chanvre, pommes de terre et quelqu’autres menües légumes…
12– Dans la haute vallée de la Doller (Dolleren, Kirchberg, Rimbach, Sewen et Wegscheid au pied du Ballon d’Alsace) :
Terres semées indistinctement en seigle et de même grains ou légumes et du même produit que Masevaux.
13– A Rougemont et Romagny :
Les terres labourables ne produisent divisées en deux saisons que seigle et avoine, pommes de terre et autres menues légumes, l’arpent peut produire 3 sacs de grain comme à Masevaux et par les mêmes raisons.
14En revanche, l’assolement triennal retrouve ses droits dans la partie méridionale, d’altitude plus faible, de ce bailliage.
15Dans celui de Belfort, les villages du « Val du Rosemont »12 et du piedmont sous-vosgien (Bourg-sous-Châtelet) dépassant l’altitude de 500 mètres ne connaissent aucun assolement :
Ce village est au pied des montagnes, les terres et champs sont rougeâtres, sablonneuses, légères et de peu de valeur puisque le journal vaut de prix 10 à 20 livres au plus. Il n’y a pas ici de saisons réglées, les laboureurs sèment par canton de dix en dix ans du sègle, beaucoup de sarazin ou bled noir, des pommes de terre, peu d’avoine, et point de légumes... (Anjoutey) ; les champs se cultivent pour les pommes de terre et légumes journaliers des habitants, il n’y a point de saisons réglées, c’est tout à fait dans la montagne (Auxelles-Haut) ; le territoire est rempli de cailloux de sorte que dans les temps de pluye on ne voit que pierre sur les champs, se sont cependant les meilleurs, et un journal peut produire 10 à 12 quartes de seigle ou de sarazin. On ne sème point d’autre bled et on y observe point de pied ou de saison pour les semailles de sorte que il se trouve souvent un champ de seigle à côté d’un de sarazin et de l’autre un champ vuide. les autres champs qui sont en plus grand nombre sont des terres sablonneuses rougeâtres et fort maigres qui ne rapportent pas 5 à 6 quartes par journal (Chaux).
16Partout ailleurs, l’assolement triennal est de règle sur des terres de qualité inégale, parfois amendées par le fumier ou la marne : « Elles demandent beaucoup de fumiers, de sorte que cela dépend du bétail qui est entretenu » (Andelnans) ; « Les terres labourables sont froides et humides qui ne produisent qu’à force de fumiers ou de marne » (Boron) ; « Les terres y sont fortes et bonnes par le fumier qu’on y met » (Chavanatte) ; « Les terres y sont encore meilleures et mieux cultivées à cause de la marne dont les habitants font grand usage » (Larivière). A la veille de la Révolution, Arthur Young signalait d’ailleurs le recours à la « marne bleue » dans la région belfortaine13.
17La céréale d’hiver attestée partout était l’épeautre, parfois mêlée d’un peu de froment ou de seigle. Le climat et la nature des sols étaient préjudiciables au froment, rarement cultivé seul, si ce n’est par exception sur quelques terroirs du Belfortais (Andelnans, Bessoncourt, Châtenois, Trétudans). Il est en tout cas totalement absent des autres bailliages et Noblat note à propos d’Altkirch : « Les terres trop froides pour le froment et ne produisent que de l’espiautte, peu de seigle et autres menus grains ».
18La céréale de printemps était l’avoine, souvent associée à d’autres « menus grains » : orge, fèves, pois, lentilles, vesces, chanvre, pomme de terre...
19On peut raisonnablement estimer la production de grain à une moyenne de 12 à 15 quartes14 par journal (soit 332 à 415 litres) pour l’ensemble de la subdélégation de Belfort, avec bien entendu des variations d’un village à l’autre.
20La pomme de terre était alors devenue dans toute la région une culture courante, dîmant, y compris dans les terroirs les plus ingrats. Ainsi de Fulleren (bailliage d’Altkirch) : « Ils sèment en outre beaucoup de pommes de terre » ; et de localités du Val du Rosemont : « Ce sont des habitants qui se sont formés dans la haute montagne depuis peu au moyen de 193 arpens de terre que le seigneur leur a donné à défricher et en emphytéose, toutes réduites en nature de prés et quelques chenevières où ils plantent des pommes de terre (pour lesquels ils payent 20 sols par arpent) » (Lamadeleine) ; « 180 journaux de champs qui servent de chenevières aux habitants pour des pommes de terre et autres légumes » (Vescemont).
21Parmi les autres légumes signalés figure le chou à choucroute, en particulier dans le bailliage d’Altkirch : « les habitants ont le commerce des choux qu’ils plantent en quantité » (Ballersdorf).
22La vigne était très peu présente dans cette portion de l’Alsace méridionale. Sauf dans le bailliage de Brunstatt, elle n’existait qu’à l’état résiduel, donnant un vin que le document s’accorde toujours à trouver « petit » ou « médiocre », « les habitants n’en trouvent pas facilement le débit ». La production variait selon les cas de 7 à 20 mesures de vin par arpent.
23La superficie des prairies représente de 14 à 27 % des terroirs, sauf dans les bailliages de Brunstatt et Rougemont-Masevaux, où elle est inférieure à 10 %. Mais leur qualité était très inégale d’un lieu à l’autre, sur des terres ou trop arides... ou trop arrosées par les crues des rivières descendant des Vosges : « Les prairies ne sont pas arrosées comme elles pourroient l’estre par l’indolence des habitans » (Angeot, bailliage de Belfort) ; « Les prés y sont marécageux et mousseux, le foin en est mauvais et d’un petit raport » (Evette bailliage de Belfort) ; « Les prairies ne peuvent être arrosées qu’à grands frais par des écluses que les habitants sont obligés de pratiquer » (Aspach, bailliage d’Altkirch) ; « Les prés sont souvent inondés avant la fenaison par la rivière qui se trouve trop serrée et remplie de joncs » (Montreux-Château, bailliage de Delle).
24La production de foin pouvait être de 7 à 8 quintaux par fauchée pour les sols les plus ingrats, de 12 à 15 quintaux en moyenne et de 20 voire 25 quintaux dans les meilleurs prés.
25Tout comme les champs, ceux du bailliage de Belfort souffraient de la traite des mines de fer. Associées au pâturage, les prairies permettaient cependant un élevage assez prospère. D’un village à l’autre, l’étendue et la qualité du pâturage variaient. Dans le pire des cas, il se limitait aux bois et terres en repos, s’étendant aux champs une fois la récolte faite. Dans le Val du Rosemont, mais aussi dans les paroisses comptant plusieurs communautés, le pâturage était commun. Les villages de montagne étaient à cet égard les mieux lotis, disposant de vastes surfaces, voire des « chaumes » sur les ballons vosgiens déboisés. Ainsi de Masevaux et de sa haute vallée :
Outre le paturage, il s’en trouve d’autres sur la cime des montagnes... Les hautes montagnes étoient couvertes de beaux bois de futaye qui ont étés exploités et tous consommés par les forges et les places réduites en pâturage que l’abbaye afferme et desquels elle ne paye rien.
26Nous avons donné les statistiques relatives aux bovins et chevaux adultes, mais le document signale la pratique générale d’élever de « jeunes bestiaux » destinés à une vente rapide. Des communautés montagnardes, comme Auxelles-Haut, se faisaient une spécialité du pâturage estival :
Ils ont ainsy le pâturage dans toutes ces montagnes communs avec vingt autres communautés, ce qui fait leur commerce, parce que l’été ils prennent en louage des jeunes bestes.
27Enfin, certains sols lourds demandaient des attelages de labour de trois voire quatre animaux : trois à Falckwiller, quatre à Bellemagny au bailliage de Delle, quatre à Autrage au bailliage de Belfort... Pour sa part, Arthur Young venant d’Alsace du nord remarquait15 : « Belfort : de bons boeufs, rouges et couleur crème, jusqu’à 25 louis la paire », et « les vaches s’améliorent à mesure que l’on approche de la Franche-Comté ».
28Le document signale par ailleurs la pratique généralisée de nourrir les chevaux avec de la paille, afin d’économiser le foin. Ainsi à propos du bailliage de Brunstatt :
Il est encore à observer que les chevaux entretenus dans ce bailliage sont nourris de paille qui y est en abondance et par là les habitans ménagent leur fourage. Les chevaux sont hauts et forts, propres au service. On y attelent nulle part les vaches. Les terres sont faciles à labourer et communément un homme va seul à la charrüe avec deux boeufs ou deux chevaux.
29Le moins que l’on puisse dire est que le document n’est pas tendre à l’égard des Juifs, nombreux à s’adonner à l’élevage, en particulier dans le bailliage de Brunstatt :
Il y a plusieurs communautés où il y a beaucoup de juifs qui ruinent les habitans, principalement a cause du pâturage par les bestiaux qu’ils ont, et qu’ils font pâturer malgré les habitans, les juifs étant soutenus par les seigneurs, a qui ils payent des droits considérables ; les juifs sont réduits aujourd’hui à payer beaucoup moins, qu’ils ne payaient cy-devant aux communautés, ce qui soulageait celles-ci dans les impositions, a quoi il serait necessaire de remédier, n’etant pas dans le cas de franchise pour les fonds, qu’ils possèdent, comme aussi d’user indéfiniment du pâturage accordé sous une modique retribution au préjudice des propriétaires même des fonds, ce qui est une usurpation de leur part, puisqu’ils ne doivent faire pâturer leurs bestiaux suivant les reglemens que sur le bord des grands chemins et autres chemins ; il conviendrait de rendre une ordonnance a cet egard pour les empocher d’avoir un plus grand nombre de bétail, qu’ils n’y en peuvent nourir, afin de reserver aux seuls habitans les pâturages communaux et autres cantons des biens qui leur sont necessaires pour nourir leurs bestiaux avec lesquels ils font le service du Roi.
30Enfin, les terres sèches de la région de Delle étaient mises à profit pour l’élevage des moutons, signalé à Saint-Dizier, Villars-le-sec et Croix :
Il y a plusieurs terrains en friches et c’est sur des hauteurs où la pâture est bonne pour les moutons, aussy ces habitants en tiennent beaucoup et c’est un de leur commerce.
31Partout les bois sont signalés comme « dégradés » par le pâturage et une exploitation anarchique pour les forges, chênes hêtres et sapins suffisant tout au plus au chauffage des habitants et à la fourniture de planches de sapin pour la construction. Quant aux chênes de la région de Belfort, les habitants en revendaient les écorces aux tanneries de la ville ou les voituraient vers Bâle.
Activités de complément
32Mais l’agriculture ne constituait pas l’unique occupation de ces ruraux, souvent obligés de pratiquer une seconde activité pour vivre. A cet égard, les villages installés le long des grandes routes menant à Besançon, Porrentruy ou Bâle alignaient les cabarets et il n’en est guère où les laboureurs ne se fissent également voituriers de minerai de fer, d’écorces, de sel pour le Porrentruy, de planches de sapin... Au bailliage de Belfort, certains habitants de Rougegoutte conduisaient du poisson, sans doute les carpes des étangs, vers Bâle, tandis que le document note à propos de Chaux : « Le commerce de 7 ou 8 habitants est de conduire des poissons à Colmar distant de 15 lieues ».
33Pour leur part, les manouvriers s’employaient aux carrières d’Offemont et de Vétrigne, qui alimentaient la construction belfortaine :
Le commerce de ces habitants outre le produit des terres est la vente des foins pour la garnison de Belfort, ensuite les carrières qui sont belles et grandes soit pour les manoeuvres, soit pour les voituriers (Offemont) ; les habitants n’ont d’autre commerce que de travailler dans les carrières qui fournissent les bâtiments à Belfort (Vétrigne).
34Mais l’activité secondaire essentielle des manouvriers du bailliage de Belfort demeurait le tirage de la mine. Au pied des Vosges, Auxelles-Haut, Lepuix et Giromagny produisaient du minerai argentifère : « Une autre aisance pour eux est l’exploitation des mines d’argent, cuivre et plomb qui y sont, auxquelles il y a beaucoup de monde d’employé ». En revanche, les villages proches de Belfort donnaient du minerai de fer qui alimentait la sidérurgie locale16. Cette extraction est attestée à Andelnans, Bessoncourt, Bethonvilliers, Châtenois, Chèvremont, Danjoutin, Eguenigue, Pérouse, Roppe et Vézelois. Le document est éloquent sur les dommages qu’elle causait aux terroirs :
Les seigneurs ayant le droit d’ouvrir l’ourdon dans les héritages en toute saison en payant le dommage (Bessoncourt) ; les terres sont aussy boulversées par le tirage des mines de fer, les lavoirs et les eaux qui en découlent sur les prairies, et beaucoup plus qu’à Bessoncourt (Chèvremont) ; les terres labourables sont fortes et en partie gâtées par la traite des mines de fer, les prairies en souffrent égallement par les établissements des lavoirs qui remplissent les pretz de boüe, la plupart des habitants travaillent à ces mines (Pérouse) ; le tiers de ces terres est ruiné par la traite des mines et les lavoirs, ce qui rend le produit de ces terres qui sont d’ailleurs très fortes très médiocre (Roppe).
35Entre les fugaces notations du parisien de L’Hermine17 sous Louis XIV et celles de Young à l’été 1789, le document Noblat permet une reconstitution beaucoup plus concrète de ce que pouvaient être ces campagnes belfortaines et sundgoviennes, bien différentes du Kochersberg, de la plaine ou du vignoble. S’en dégage l’impression d’une aisance toute relative, tempérée par la dureté d’un sol souvent ingrat. Nous espérons en avoir ici administré la preuve, encore que nous n’ayons utilisé que partiellement une information riche à plus d’un égard. L’étape ultérieure devrait consister à la croiser avec les plans de finages réalisés dans les années 1760.
Bailliages | Nombre de communautés | Nombre de feux | Moyenne de feux par communauté | Estimation de la population (habitants) |
Altkirch | 41 | 2 205 | 53,8 | 9 923 |
Belfort | 65 | 3 313 | 51 | 14 909 |
Brunstatt | 13 | 1 102 | 84,8 | 4 959 |
Delle | 81 | 2 452 | 30,3 | 11 034 |
Ferrette | 45 | 2 121 | 47,1 | 9 545 |
Rougemont-Masevaux | 23 | 936 | 40,7 | 4212 |
Huningue (ville) | 1 | 132 | 594 | |
TOTAL | 269 | 12261 | 55 176 |
Tableau 3 Pression fiscale
Bailliages | Subvention | Moyenne par feu |
Altkirch | 14 957 livres | 6 livres 16 sols |
Belfort | 8 246 livres | 2 livres 10 sols |
Brunstatt | 6 219 livres | 5 livres 12 sols |
Delle | 12 387 livres | 5 livres |
Ferrette | 17 281 livres | 8 livres 2 sols |
Rougemont-Masevaux | 2 293 livres | 2 livres 10 sols |
Notes de bas de page
1 – J.-M. Boehler, D. Lerch, J. Vogt (dir.). Histoire de l’Alsace rurale, Strasbourg, 1983.
2 – J.-M. Boehler, Démographie et vie rurale en Basse-Alsace : l’exemple du Kochersberg (1648-1836), th. 3e cycle, un. Strasbourg II, 1973 ; Idem, Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), th. État, un. Strasbourg II, 1993.
3 – D. Varry, « Une seigneurie du pays belfortain, la "Paroisse de Phaffans" au XVIIIe siècle », Bulletin de la société belfortaine d’émulation, t. 76,1984, p. 3-166.
4 – Arch. dép. Territoire de Belfort, 21 J 1, registre in-folio de IV-173 f. Les feuillets 115 à 17, vraisemblablement blancs, manquent.
5 – V. Chappuis, François-Bernardin Noblat (1714-1792) "lepetit intendant", mém. maîtrise, un. Strasbourg II, 1988 ; Id. « François-Bernardin Noblat (1714-1792) “commissaire aux limites” de la province d’Alsace », Revue d’Alsace, t. 118, 1992, p. 45-69.
6 – Arch. dép. Bas-Rhin, C 453.
7 – L. Roux, Inventaire de la sous-série 21 J (dépôt). Archives de la famille Noblat, Belfort, 1980-1986.
8 – Cette seigneurie alsacienne jouxtant la Franche-Comté et le Porrentruy, mais coupée de l’Alsace, dépendait du bailliage de Delle. Ses villages appartiennent aujourd’hui au département du Doubs (canton de Saint-Hippolyte). Le document signale que les champs y dîmaient à la sixième gerbe.
9 – J. Séguy, Les Assemblées anabaptistes-mennonites de France, Paris-La Haye, 1977, p. 150.
10 – La République de Mulhouse, liée aux cantons suisses, devint française en 1798.
11 – P. Dattler, Le Comté de Belfort, 1659-1791. Etude d’une seigneurie : son fonctionnement, ses hommes, ses revenus, th. 3e cycle, un, Besançon, 1984.
12 – Anjoutey, Auxelles-Haut, Auxelles-Bas, Chaux, Eloie, Etueffont-Haut, Etueffont-Bas, Evette, Giromagny, Grosmagny, Lachapelle-sous-Chaux, Lamadeleine, Lepuix-Gy, Petitmagny, Sermamagny, Vescemont.
13 – A. Young, Voyages en France, 1787-1788-1789, Paris, 1976, t. 3, p. 1238.
14 – La quarte de blé vaut 27,7 litres ; celle d’avoine 41,55 1. (mesures de Belfort).
15 – A. Young, op. cit., p. 1121.
16 – D. Varry, « Les activités extra-agricoles dans les campagnes belfortaines du XVIIIe siècle : l’exemple de la paroisse de Phaffans et de ses minières », Revue d’Alsace, t. 107, 1981, p. 77-86.
17 – de L’Hermine, Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace, 1674-76 & 1681…, Mulhouse, 1886.
18 Ces pourcentages n’ont qu’une valeur estimative, la superficie des étangs, fort nombreux dans le Sundgau, étant inconnue.
Auteur
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