Préfaces
p. XIV-XVIII
Texte intégral
1 Le volume de Mélanges offert au professeur Jean Jacquart, pour rendre hommage aux vingt années qu’il a passées à se dévouer à développer et à mettre en valeur l’action des Sociétés Historiques et Archéologiques de l’Ile-de-France, arrive au moment où la région capitale approche aussi de son vingtième anniversaire.
2 Cette coïncidence n’est pas fortuite.
3 En effet, si l’Ile-de-France, comme les autres régions françaises est née d’une démarche par nature très administrative — créer un nouvel échelon territorial adapté aux impératifs de la gestion du pays découlant du formidable développement des « trente glorieuses » –, très vite, en revanche, l’homme a repris sa place avec ses passions, ses besoins, sa nature. Cette réappropriation, sans laquelle l’histoire ne serait qu’une accumulation d’événements subis par l’homme, prend de multiples aspects. La redécouverte des racines et la mise en valeur du patrimoine, qu’il soit monumental ou vernaculaire, exceptionnel ou usuel, en est une.
4 L’Ile-de-France, plus qu’aucune autre région, eut à subir un phénomène de déracinement, conséquence de la forte immigration interne qu’elle a connue après-guerre. Depuis, la situation s’est heureusement stabilisée et les habitants de l’Ile-de-France se sentent de plus en plus franciliens.
5 Il leur faut redécouvrir ou découvrir le terroir sur lequel ils vivent, ou sur lequel ils ont choisi de venir s’installer. Le rôle des sociétés locales d’histoire est alors essentiel, puisque c’est souvent par elles que ce réenracinement trouve les moyens et les raisons de se concrétiser.
6 Si le présent n’appartient qu’à chacun d’entre nous, l’histoire, elle, est patrimoine commun. Nous y avons tous notre part et c’est par son intercession qu’un peuple devient une nation.
7 Jean Jacquart a été l’un des pionniers de cette recherche qu’il a contribué à développer et à rendre vivante sur l’ensemble de notre territoire régional, puisque de ses premiers travaux sur le Hurepoix, il est vite passé à des études couvrant toute l’Ile-de-France dans ses multiples aspects mêlant l’histoire sociale et économique à l’histoire événementielle.
8 Depuis vingt ans, la vie des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie a beaucoup évolué. Elles se sont, à mesure que la demande était plus soutenue, élargies. Elles ont amélioré leur méthode de travail. Leurs publications apportent régulièrement des éclairages nouveaux sur la vie locale des siècles passés.
9 Leur regroupement, au sein de la Fédération qu’anime avant tant de dévouement Jean Jacquart, permet de renforcer l’émulation, source d’approfondissements. Sous sa présidence éclairée, vingt années de travail s’achèvent au plus grand profit de tous. Nous attendons maintenant les travaux futurs, confiants dans l’ardeur que continuera à y mettre Jean Jacquart.
10 La Fédération est l’écho de l’action que mènent sur le terrain les différentes collectivités territoriales pour défendre et animer le patrimoine régional. Depuis vingt ans, le Conseil régional en a toujours fait un élément de sa politique d’aménagement. Il sera renforcé, sans doute, dans les années à venir, qui verront nos coeurs de villes et villages revalorisés et réanimés par une politique de la ville au sein de laquelle une place de choix est conférée à la culture.
11 Ma rencontre avec Jean Jacquart n’était pas inévitable. Si nous voguions tous deux dans les eaux rares et peu oxygénées du « seiziémisme » français (on devine qu’il s’agit d’un temps révolu), il vivait au nord de la Loire et moi au sud, avait pour cible l’hexagone tandis que je m’occupais de l’Espagne et il consacrait ses meilleurs soins à des campagnes en état de crise alors que je me vouais à l’aventure d’une ville en expansion. Si l’on songe qu’au temps lointain de nos existences estudiantines deux de nos maîtres les plus illustres purent s’ignorer au point d’enquêter des années durant sur « Les Institutions de la France au XVIe siècle » sans que l’un soit informé de l’entreprise de l’autre, telle est du moins l’interprétation habituelle, et publier simultanément leur oeuvre à leur étonnement réciproque, on admettra aisément que nous aurions pu traverser la carrière et la vie sans que nos relations dépassent le stade de l’occasionnel : colloques, jurys de thèse, réunions de nos sociétés, le tout-venant d’une vie d’universitaire.
12 Pierre Goubert veillait. Chargé de la direction des manuels d’Histoire moderne de la collection U pour le compte des éditions Armand Colin, il devait compléter le cycle par un XVIe siècle. Pour concevoir et rédiger ce livre il eut l’idée d’associer à un spécialiste de la France un historien voué à d’autres espaces. J’avais « soutenu » ma thèse trois ans auparavant et Jean Jacquart venait de terminer la sienne : nous nous trouvions l’un et l’autre dans cet état (hélas éphémère) de disponibilité délicieuse où, après le voyage au long cours et une escale de quelques mois dédiée au repos, aux lectures, aux spectacles et aux éphémérides familiales, on se croit prêt à des exercices d’un nouveau genre dont on imagine naïvement qu’ils vont nous livrer le coeur du public.
13 Après s’être informé auprès de Jean et de moi-même des possibilités d’une collaboration éventuelle à l’entreprise, Pierre Goubert nous convia à un déjeûner en commun. Il eut soin de nous inviter chez lui et non dans un quelconque restaurant. Un déjeûner chez M. et Mme Goubert, après un quart de siècle, demeure dans le souvenir comme un moment privilégié. Je soupçonne d’ailleurs Pierre Goubert d’avoir usé de cette méthode chaque fois qu’il envisageait d’entraîner un jeune historien dans une aventure éditoriale, quoiqu’il n’eût pas besoin de cet argument. Mais l’euphorie créée par l’excellence des mets et des vins, la cordialité de l’accueil effaça les quelques réserves mentales que j’entretenais encore et qui procédaient de la crainte d’être inférieur à la tâche. Au cours de ce repas je découvris aussi un Jean Jacquart que je ne connaissais pas vraiment car nous ne nous étions rencontrés que deux ou trois fois, et brièvement. J’appréciai ce jour là son ouverture d’esprit, sa simplicité, son absence de pédantisme. Il était évident qu’il ne limitait pas ses curiosités aux horizons de notre discipline et je ne l’imaginais pas usant à mon égard d’une condescendance toute parisienne envers l’humble provincial.
14 Notre collaboration dans la réalisation de ce manuel reste un excellent souvenir et fut à la source de notre amitié. Jean n’eut jamais le moindre mouvement d’humeur, ne témoigna d’aucune impatience, feignit de prendre pour des lapsus quelques erreurs dûes en vérité à mon ignorance. Les suggestions qu’il me fit furent toujours formulées avec une exquise délicatesse, comme variantes possibles et non obligatoires. Nos rencontres, nos réunions nous permirent d’évoquer tout naturellement l’Europe de nos voyages et de nos espoirs, nos émotions au rendez-vous des oeuvres d’art, les énigmes de nos destins, le mystère de la mort. La vaste culture de Jean est assez peu livresque, à y bien réfléchir, et quelle qu’ait été l’ampleur de ses lectures, elle s’est formée sur le pavé des villes d’Europe, dans les musées et les galeries, au théâtre et au ballet, mais aussi dans l’observation de la forme des champs, de l’organisation des villages, de l’architecture domestique. Il sait d’ailleurs fort bien vous expliquer l’agencement compliqué de son appartement du Marais et faire valoir les mérites de la rampe de son escalier. Et, pourquoi ne pas l’écrire, cette culture doit aussi aux cuisines de charme et aux restaurants heureux, à la Bourgogne et aux fermes normandes.
15 J’avais été impressionné d’emblée par la rigueur intellectuelle véritablement exemplaire de Jean. Il a toujours refusé la facilité illusoire des textes gonflés de vaines apparences, le recours aux clichés et aux stéréotypes, même les mieux consacrés par l’usage, je l’ai vérifié à l’occasion de quelques conversations lorsqu’il préparait son François 1er, puis à la lecture de son Bayard, « signe d’un monde qui se meurt », en son temps déjà « personnage anachronique », peut-être parce qu’il voua toute sa vie au « bon service », sans beaucoup penser à lui-même. Or, si Jean Jacquart n’a pas écrit davantage, encore que sa Crise rurale en Ile-de-France, ses contributions majeures à l’Histoire économique et sociale du monde et à l’Histoire de la France rurale, constituent, avec les deux livres déjà cités et une foule d’articles, une oeuvre importante, c’est avant tout à cause de son sens du service. Ceux qui furent ses étudiants, à l’occasion de la préparation des concours, ceux dont il dirigea la maîtrise, le D.E.A. ou la thèse, ne sauraient me contredire. Mais il faut encore faire le compte du temps offert aux sociétés savantes de Paris et d’lle-de-France, à nos associations corporatives, sans parler d’une contribution plus classique aux instances universitaires, à Amiens et à Paris surtout, aux longues séances du C.C.U., C.S.U. ou C.N.U., de quelque sigle qu’on veuille bien désigner l’assemblée qui gouverne les destins des membres de l’enseignement supérieur. Il m’a souvent confié par lettre ou par ondes sa lassitude face à la marée déferlante de ces tâches obscures qui ne procurent certes ni gloire ni argent, ni même la reconnaissance des bénéficiaires (à l’exception, convenons – en, de bon nombre d’étudiants), dont on se demande souvent si elles ont un sens, mais qui consomment inexorablement le peu de temps dont nous disposons. Mais il n’a jamais su « refuser un service », dire non, dès qu’il avait l’impression de pouvoir être utile. Que dire alors, mais notre rôle l’exige, des milliers d’heures accordées à. la lecture des thèses en gésine ou venues à terme !
16 Je ne peux m’empêcher de regretter que Jean, dévoré par la multiplicité de ces besognes, ait renoncé jusqu’à ce jour à nous donner un livre – je ne sais pas exactement lequel – – où se déploierait en liberté l’extraordinaire connaissance qui est la sienne des registres notariaux de la région parisienne aux XVIe et XVIIe siècles : la thèse de doctorat n’est pas obligatoirement le genre le plus propice à l’usage de cette liberté. On peut rêver : les grandes et petites manoeuvres des dynasties paysannes, les avatars des lignages, les tableaux de mœurs, les bonheurs de fortune et les déchéances amères… J’espérais qu’il userait de la retraite pour ce bon motif mais il ne sait toujours pas résister aux « chers collègues » qui le convient, un jury de thèse après l’autre, à d’austères journées de lecture, instructives certes, fertiles en découvertes de tout ordre, mais qui nous privent, nous, du bonheur de le lire plus souvent. J’avoue sans barguigner que j’éprouve une vive satisfaction à l’idée d’avoir été, depuis plus de 20 ans, pour des générations de jeunes étudiants en histoire qui partaient à la découverte du XVIe siècle avec le « B.B.– J.J. » dans leur musette, l’associé inséparable, l’alter ego de Jean Jacquart. Ce compagnonnage prolongé a créé entre nous une complicité que la distance n’effrite pas, même si, paradoxalement, notre résolution quasi-simultanée de « faire valoir nos droits à la retraite » quelques années avant le terme obligé, a réduit le nombre de nos rencontres, provisoirement sans doute. Mais il est vrai que nos « retraites » ne sont pas tout à fait ce qu’un vain peuple pense.
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