Gouverner par la gloire
Réceptions et représentations du De gloria de Cicéron de l’Antiquité au premier humanisme
p. 317-336
Texte intégral
1Elle est un peu grotesque, avec sa palme séchée, son miroir de poche et cet épithète qui ne lui ressemble pas : la gloire, la « vaine gloire » de l’Allégorie du mauvais gouvernement peinte à fresque par Ambrogio Lorenzetti, vers 1339, dans la Sala della Pace du Palazzo Pubblico de Sienne1. Sans vouloir rouvrir le débat sur les intentions de Lorenzetti, artiste « philosophe politique » pour reprendre l’expression de Quentin Skinner2, on pourrait presque se demander si elle est à sa place, au milieu des « vices », l’Avarice et la Superbe, entourés, à droite, par la Cruauté, la Trahison et la Fraude ; et à gauche, par la Fureur, la Division et la Guerre. Est-elle si différente de la gloire dont se pare le pouvoir, celle du trône dont parle Jean de Viterbe pour décrire le « trône de gloire » sur lequel doivent siéger « ceux qui président aux affaires des républiques » tenant le sceptre « d’une main forte et le bras tendu3 » ? La polysémie de la notion de gloire supposerait de retracer son histoire et son évolution dans la pensée politique depuis l’Antiquité. L’objet de cette contribution, qui pourrait être le point de départ de cette vaste enquête, est beaucoup plus modeste. Il a pour seule ambition d'examiner les rapports entre le pouvoir et la gloire, en étudiant l’origine et la réception, parfois fantasmée, du premier traité antique consacré à la gloire, le De gloria de Cicéron4.
2Ce traité, perdu comme de nombreuses autres œuvres antiques5, fut écrit par l’Arpinate à la fin de sa vie, trois mois après l’assassinat de César, dans un contexte de profonde agitation politique où se jouait le sort de la République. Transmis et apprécié pendant plus de quatre siècles, il disparut à l’époque patristique avant d’être retrouvé puis d’être à nouveau perdu au xive siècle, du moins si l’on en croit Pétrarque. Celui-ci raconte en effet, en 1374, dans l’une de ses dernières lettres adressée au jurisconsulte Luca da Penne, grand défenseur du droit romain, qu’il avait retrouvé le De gloria de Cicéron avant de le prêter à son maître Convenevole da Prato, un proche ami de son père, qui l’aurait à nouveau égaré. Ce récit illustre l’intérêt des humanistes pour les ouvrages cicéroniens qui, à la faveur du renouveau des lettres anciennes et des redécouvertes textuelles au xive siècle6, nourrissaient les débats sur la noblesse, comme l’a bien montré Bernard Guenée7. Dans une société marquée par des formes de mobilités sociales, comme l’affirmation de la bourgeoise communale, qui remettaient en cause la domination des anciennes élites8, Cicéron apparaissait en effet comme une figure exemplaire de l’homo novus et une source majeure pour les premiers humanistes qui considéraient que « la seule noblesse authentique est celle de l’intelligence […] mise au service de l’action9 ». Cette représentation idéalisée de Cicéron10, dont témoignent par exemple la réplique de Vergerio à Pétrarque en 139411 et le Cicero nouus de Leonardo Bruni en 141512, remplissait une fonction sociale et politique qui dépassait la réception strictement scolaire de son œuvre rhétorique qui s’était imposée depuis l’époque carolingienne. L’importance de la redécouverte d’un tel traité de Cicéron pourrait donc expliquer l’amertume durable de Pétrarque jusqu’à la fin de sa vie. Mais le De gloria existait-il vraiment au xive siècle ? Faute de pouvoir reconstituer le traité perdu, notre contribution s’intéressera d’abord au contexte de rédaction et à la transmission du De gloria dans l’Antiquité. L’étude de la réception du De gloria nous permettra ensuite de nous interroger, d’une part, sur la force de suggestion des textes antiques au xive siècle, naturellement accrue lorsque les écrits en question ont disparu, et, d’autre part, sur les fonctions du récit de Pétrarque, cette mise en scène de la recherche et de l’oubli qui constitue, plus encore que la redécouverte même des textes anciens, un marqueur essentiel de l’humanisme. Nous pourrons alors réfléchir plus largement sur les fonctions de la gloire dans la pensée politique du xive siècle pour tenter de répondre à quelques questions fondamentales, qui sont au cœur de l’œuvre de Cicéron et de la pensée politique de la fin du Moyen Âge et de la première modernité : « pourquoi le pouvoir a-t-il besoin du caractère cérémoniel et futile de la gloire ? Qu’a-t-elle de si essentiel pour que le pouvoir cherche à tout prix à l’inscrire au centre de son dispositif gouvernemental13 » ?
La « gloire des hommes » et la « gloire de Dieu » dans la pensée antique
La gloire, « vecteur » de souveraineté
3L’étude sémantique de J.-F. Thomas sur les termes Gloria et Laus14 souligne la polysémie de la notion de gloria dans les sources antiques. Elle distingue cinq acceptions différentes, le plus souvent complémentaires : 1. une action qui justifie une notoriété prestigieuse, « titre de gloire – mérites » ; 2. « désir ou sentiment de gloire » ; 3. « personne qui fait la gloire de » ; 4. « parure » ; 5. « orgueil, vanité, vantardise15 ». Une vue d’ensemble de la littérature antique montre que le terme gloria en latin exprime plusieurs termes grecs et hébreux antiques qui permettent de mieux comprendre la polysémie de cette notion. Dans l’Ancient Testament, la gloire désigne le poids, la valeur d’une personne, d’une cité ou de Dieu lui-même. La gloire est, par exemple, associée 53 fois dans les Psaumes au nom de Dieu et à sa splendeur : « C’est parce que Dieu crée par la Parole (Gn I, 1-2, 4a) que les cieux parlent en racontant sa gloire (Ps. 19, 1)16 ». Alors que la sainteté ou la souveraineté définissent Dieu ou tel ou tel monarque, la gloire est leur rayonnement (Es. 6, 3) : « Elle est Dieu (ou le monarque) se communiquant dans ce qu’il est par ce qu’il fait17 ». Le champ sémantique de la gloire nous empêche donc de distinguer trop schématiquement la gloire humaine, d’un coté, la gloire divine, de l’autre. Ce qui importe, c’est sa dynamique et son rôle dans la représentation et l’acceptation du pouvoir, qu’il soit exercé par Dieu ou par un homme. Elle est au sens propre un « vecteur » dont la médiation contribue à légitimer l’autorité. Un rapide survol des représentations vétérotestamentaires de la gloire montre donc que la gloire déborde ses manifestations et que ce débordement participe au processus de légitimation du pouvoir qu’elle fait rayonner. Dès lors, le point de départ de notre réflexion ne peut être l’opposition artificielle entre la gloire de Dieu et la gloire des hommes mais entre la vraie gloire, qui rend manifeste le pouvoir, et la vaine gloire qui est usurpation et qui procède d’une autorité destructrice. Cette distinction est centrale dans la réflexion politique et philosophique de Cicéron.
La République et la gloire dans l’œuvre de Cicéron
4Les travaux de J.-F. Thomas ont montré que Cicéron employait généralement gloria dans le sens de « renommée » et, plus marginalement, dans le sens de « titre de gloire – mérites » ou de « désir ou sentiment de gloire ». Cette dernière acception ne semble pas attestée avant lui. En revanche, il n’utilise jamais gloria pour désigner la « fierté », la « parure » ou « l’orgueil ». Ces emplois n’apparaissent pas avant Virgile et Ovide18. Le terme gloria est donc toujours positif lorsqu’il est employé de manière absolue, sans épithète dépréciatif, du moins dans l’œuvre de Cicéron. L’influence de l’Arpinate sur la perception de la « gloire » dans les derniers siècles du Moyen Âge ne doit pas se limiter aux définitions du De inventione, texte scolaire écrit par Cicéron alors qu’il avait une vingtaine d’années. Il faut aussi prendre en considération quelques-uns de ses textes majeurs écrits au terme de sa longue expérience. Il peut sembler étonnant que Cicéron accorde autant d’importance à la gloire dans les dernières années de sa vie au point de lui consacrer un traité entier à l’été 44, trois mois après l’assassinat de César. Le contexte historique est de la plus haute importance. Les écrits philosophiques de Cicéron, marqués par le stoïcisme, ne sont jamais de simples méditations sur l’agitation des temps destinés à fuir l’angoisse du présent19, mais ils témoignent, au contraire, d’un souci constant du sort de la République. Pour s’en tenir à l’année 44, Cicéron termina d’abord les traités sur la divination (De divinatione) et le destin (De fato) dans lesquels la question du destin dépend de la capacité à prévoir un événement, autrement dit de la divination. Là non plus, le sort de Rome n’est jamais oublié puisque cette réflexion pose le problème de la fatalité de l’histoire et des événements récents, de la tyrannie de César à son assassinat. Ces textes, dont le statut est encore discuté, précèdent de peu la rédaction, à la demande d’Atticus, d’un livre sur l’amitié qui avait uni les grandes figures de l’histoire républicaine et qui était inhérente à la culture politique de la société romaine (Laelius). La correspondance à Atticus nous révèle que Cicéron, qui se trouvait alors dans sa villa de Pouzzoles, composa aussi un petit ouvrage consacré à la gloire qu’il avait déjà évoquée dans le De republica et dans les Tusculanes,et sur laquelle il reviendra dans les Philippiques et le traité Sur les devoirs.
5Une lettre datée du 3 juillet annonce l’envoi prochain d’un « livre sur la gloire20 » et deux autres lettres du 11 juillet et du 17 juillet confirment que l’ouvrage a bien été envoyé. Mais Cicéron veut rester prudent. Il demande à Atticus de ne pas lire le texte devant n’importe qui, sans doute en raison du contexte politique et de sa conception de la gloire qui était aux antipodes du prestige inquiétant dont bénéficiait Antoine au début de l’été 44 :
Si j’arrive sain et sauf à Brindes, je me mettrai sur-le-champ à mon œuvre héraclidienne. Je t’envoie mon traité Sur la gloire : garde-le en lieu sûr, s’il te plait, comme d’habitude ; qu’on marque seulement les deux extraits que Salvius se propose de lire à des auditoires de qualité rencontrés dans un dîner21 ; […] je ne t’envoie que l’ouvrage que tu possèdes déjà fortement retouché ; en fait, c’est le texte original même, avec quantité d’additions et de remaniements. Quand tu l’auras fait transcrire sur grand format, donnes-en lecture confidentiellement à tes convives […]22.
6D’autres épîtres délivrent des renseignements plus précis sur le contenu du traité. Visiblement, Atticus a été surpris par le prologue du De gloria qui reprenait mot pour mot celui du livre III des Académiques. Cicéron explique cette méprise en indiquant qu’il disposait d’un recueil de prologues (liber proemiorum) dans lequel il puisait selon ses besoins, sélectionnant le texte le mieux adapté à son traité. Or, il avait oublié que le prologue du De gloria avait déjà été retenu pour les Académiques, écrit en 45 :
Maintenant découvre ma négligence : je t’ai envoyé mon livre Sur la gloire avec le même préambule que dans le troisième livre des Académiques ! Cela s’est produit parce que j’ai un volume de préambules, où j’ai l’habitude de faire mon choix quand j’ai mis un ouvrage en chantier. Ainsi, quand j’étais encore dans ma maison de Tusculum, ne me souvenant pas que je m’étais déjà servi de ce maudit préambule, je l’ai inséré dans le livre que je t’ai envoyé. Mais, à bord, en lisant les Académiques, j’ai découvert mon erreur. J’ai donc immédiatement griffonné un nouveau préambule, que je t’envoie. Tu n’auras qu’à couper l’autre et à coller celui-ci23.
7Le De officiis, composé quelques mois plus tard, nous apprend que le De gloria était composé de « deux livres », témoignage confirmé par saint Jérôme qui évoque, dans son Commentaire de l’Épitre de Paul aux Galates, « les innombrables définitions et significations de la gloire [étudiées] par les philosophes et les deux volumes Sur la Gloire que Cicéron a écrits24 ». Les œuvres connues de Cicéron nous permettent de nous faire une idée assez précise de sa conception de la gloire qui constitue, pour Cicéron, la motivation essentielle de l’action humaine :
Tous, nous sommes entraînés par l’amour de la gloire, et cet attrait est d’autant plus puissant que l’âme a plus de noblesse. Les philosophes mêmes mettent leur nom aux livres qu’ils composent sur le mépris de la gloire : tout en prouvant qu’il faut mépriser la louange et la célébrité, ils s’efforcent de se faire louer et connaître. […] O juges, je vais vous ouvrir mon cœur, et vous avouer ma passion pour la gloire, trop vive sans doute, mais après tout bien légitime. […] car la vertu ne désire d’autre récompense de ses travaux et de ses dangers que des éloges et de la gloire. Sans la gloire, juges, quel motif aurions-nous de nous exposer, dans le cours d’une vie si courte et si rapide, à tant de fatigues ? […] Pour moi, dans tout ce que j’ai entrepris pour le bien de l’État, je pensais, en le faisant, confier une semence immortelle de gloire au souvenir éternel de l’univers25.
8Ce vibrant plaidoyer pour la gloire trouve des échos dans d’autres ouvrages qui répètent inlassablement que la recherche de la gloire est la source de toutes les actions humaines, notamment des actions collectives et des beaux-arts : « C’est la gloire qui nourrit les arts ; le goût du travail sans elle ne nous vient point ; et tout métier auquel on attachera du mépris, sera toujours négligé26 ». À l’époque du De gloria, Cicéron admet qu’il a passé son existence à rechercher la gloire et que l’éloquence est une source privilégiée pour y parvenir27. Mais il sait aussi combien les louanges de la foule sont vaines et artificielles, même si l’on parle de Démosthène, le plus grand des orateurs28. Mais qu’est-ce, au fond, que la gloire29 ?
9Cicéron distingue méthodiquement la simple « renommée », qui peut être bonne ou mauvaise, de « la très haute et parfaite gloire » qu’il définit dans le De officiis :
Parlons maintenant de la gloire […] puisque dans la conduite des entreprises importantes, la gloire aide énormément. Le sommet donc et la perfection de la gloire résultent de ces trois conditions : que la foule nous aime, qu’elle ait confiance en nous et qu’étant donné une certaine admiration, elle nous estime dignes d’honneur30.
10Dans ce passage, Cicéron inscrit délibérément la gloire dans le champ sémantique de la notoriété, conformément à l’habitude des auteurs antiques comme nous l’avons vu plus haut. Il établit un lien entre la gloire, l’admiration du plus grand nombre et son adhésion, lien qui met en évidence la dynamique de la gloire et qui montre comment la gloire favorise l’acceptation du pouvoir. C’est pourquoi, tout en reconnaissant sa « passion pour la gloire dans tout ce qu’il a entrepris pour le bien de l’État », Cicéron juge cette passion « légitime31 ».
11Les fragments conservés du De gloria32 sont malheureusement trop brefs pour avoir une idée précise de son contenu. Il s’agit de quelques citations ou allusions rapportées par des lecteurs de l’Antiquité, d’Atticus à saint Jérôme. Le principal fragment est transmis dans les Nuits Attiques d’Aulu-Gelle. Cet ouvrage éclectique, composé de 20 livres et probablement rédigé vers 177, transmet les souvenirs du séjour d’Aulu-Gelle en Attique : il contient de nombreuses citations d’œuvres aujourd’hui inconnues. Évoquant ses lectures de jeunesse, l’auteur constate que Tullius a commis, « dans son second livre Sur la Gloire », « une erreur grossière que pourraient reconnaître non pas seulement les savants mais aussi n’importe quel lecteur de l’Iliade d’Homère ». Il s’étonne que cette erreur (confusion entre Hector et Ajax) n’ait été corrigée ni par l’auteur ni « par Tiron, son affranchi, l’homme le plus scrupuleux et le meilleur connaisseur des livres de son patron ». Aulu-Gelle cite l’extrait incriminé qui constitue aujourd’hui la plus longue citation du De gloria :
Apud eundem poetam Aiax cum Hectore congrediens depugnandi causa agit, ut sepeliatur, si sit forte uictus, declaratque se uelle, ut suum tumulum multis etiam post saeculis praetereuntes sic loquantur :
hic situs est uitae iampridem lumina linquens
qui quondam Hectoreo perculsus concidit ense.
Fabitur haec aliquis, mea semper gloria uiuet33.
12Ce passage est très intéressant car il contient une traduction latine de trois vers d’Homère attribuée à Cicéron. Cette attribution est loin d’être évidente puisqu’il est surprenant que Cicéron ait pu commettre une erreur si grossière dans un texte qu’il connaissait presque par cœur. L’auteur des Nuits attiques signale cette erreur en rappelant que,
dans le texte d’Homère, ce n’est pas Ajax qui dit les vers que Cicéron traduit en latin, ce n’est pas Ajax qui s’occupe de sa sépulture : c’est Hector qui parle en général, avant même de savoir si Ajax sera celui qui combattra contre lui :
« C’est là le tombeau d’un guerrier mort depuis longtemps ;
il fut illustre et tomba sous les coups de l’illustre Hector.
On le dira, car ma gloire ne mourra jamais34. »
13Il ne servirait à rien de gloser à l’infini sur « l’erreur » de Cicéron dans un texte dont on ne possède que des fragments. Notons simplement que la substitution d’Hector, le héros troyen, par Ajax, pourrait être interprétée différemment dans le contexte politique tendu de l’été 44. En effet, Cicéron aurait pu intervenir et traduire librement ces vers célèbres, en substituant le nom du héros troyen par celui d’Ajax, le héros grec qui célèbrerait ainsi sa gloire éternelle (mea semper gloria uiuet). Ajax trouvera certes la mort mais son camp sera victorieux. Les Grecs l’emporteront sur les Troyens et le courage héroïque d’Ajax, qui fondera sa gloire éternelle, y aura contribué. Dans le contexte de rédaction du De gloria, où se joue le sort de la République, la gloire est précisément, pour Cicéron, celle des Républicains dont le sacrifice, à commencer par son propre sacrifice, permettra, du moins le croit-il, de sauver la République. Mais cette interprétation, qui confère une fonction politique à la traduction latine d’Homère, n’est que pure hypothèse.
14Ce qui est sûr en revanche, c’est que la citation transmise par Aulu-Gelle, au iie siècle, et l’allusion de saint Jérôme aux deux livres du De gloria, au ive siècle, sont les derniers témoignages sur la réception du traité dans l’Antiquité tardive avant sa prétendue redécouverte par Pétrarque au xive siècle.
Les redécouvertes du De gloria aux xive et xve siècles : de la gloire à l’opprobre
La lettre de Pétrarque à Luca da Penne (1376)
15Du point de vue de l’histoire des textes, on ne peut que rappeler l’importance de Pétrarque dans la redécouverte de Cicéron qu’il fit « entrer dans la culture générale de l’esprit moderne35 » et dont il retrouva une partie importante de la correspondance36. L’enthousiasme des humanistes italiens pour la pensée et le style cicéroniens est bien connu37. L’intérêt de Pétrarque pour Cicéron nourrit son idéalisation de la Rome antique qu’il voulait voir se relever de ses ruines en accueillant à nouveau la cour pontificale installée en Avignon. Mais Pétrarque met en garde les lecteurs, dans une lettre au canoniste Jean d’André, contre un usage purement ornemental et décontextualisé des auteurs anciens. Influencé par Cicéron dans tous les registres de sa création, Pétrarque organisa un mouvement de redécouverte de ses manuscrits, enrichit la bibliothèque des papes d’œuvres rares38 et contribua à faire sortir le célèbre orateur des lectures strictement scolaires dans lesquelles l’enseignement rhétorique l’avait confiné depuis l’Antiquité tardive. La vénération de Pétrarque pour Cicéron est manifeste jusqu’à la fin de sa vie. L’« affaire » de la redécouverte du De gloria en est en quelque sorte l’aboutissement.
16Elle est racontée dans l’une de ses dernières lettres adressée en 1374 à Luca da Penne, secrétaire du pape Urbain V à Avignon, qui l’interrogeait sur la perte de certains livres39. Après avoir dressé un bilan de ses acquisitions, Pétrarque revient en détail sur la redécouverte, quarante ans plus tôt, des deux livres du De gloria qui se trouvaient, précise-t-il, dans un manuscrit que lui avait remis le jurisconsulte Raymond Soranzo :
J’ai eu de lui quelques ouvrages de Varron et de Cicéron. Il y avait un volume de Cicéron composé d’ouvrages communs mais parmi lesquels se trouvaient les livres Sur l’Orateur et Sur les Lois, incomplets comme on les rencontre toujours, et en outre les deux livres uniques Sur la Gloire ; en les voyant, je me suis estimé le plus riche de la terre. […] Vous voulez que je vous dise comment j’ai perdu mes livres, je vous dis comment je les ai acquis afin qu’en sachant toute la peine que j’ai eue à les acquérir, vous compreniez toute la douleur que j’ai eue à les perdre40.
17La suite de la lettre raconte que le jeune Pétrarque avait accepté de prêter le codex à son premier maître, Convenevole de Prato41 auquel il était lié « depuis l’enfance ». Son père avait l’habitude de venir en aide au « pauvre homme » qui était acculé par une pauvreté et des dettes chroniques. Aussi, Pétrarque avait manifesté la même générosité en donnant divers présents à son maître :
J’ai eu presque dès l’enfance un maître qui m’enseigna les premiers éléments ; j’appris ensuite sous lui la grammaire et la rhétorique, car il professait l’une et l’autre. […] Mon père, tant qu’il vécut, vint libéralement en aide à ce pauvre homme d’un si grand mérite, car la pauvreté et la vieillesse, compagnes incommodes et peu traitables, avaient fondu sur lui. Après la mort de mon père, il avait mis en moi tout son espoir. Pour moi, quoiqu’impuissant, sentant que je lui étais lié par l’attachement et la reconnaissance, je l’aidais de tous les moyens possibles, et quand je n’avais point d’argent, ce qui arrivait souvent, je soulageais son indigence auprès de mes amis, tantôt par caution, tantôt par mes prières, et auprès des usuriers par des nantissements. Mille fois, il emporta pour cet usage des livres et d’autres objets qu’il rapporta jusqu’à ce que la pauvreté eut banni la bonne foi. Tourmenté par un pressant besoin d’argent il emporta ces deux volumes de Cicéron, dont l’un me venait de mon père et l’autre d’un ami, avec quelques livres que je lui avais remis42.
18Si l’on en croit Pétrarque, Convenevole fut contraint de mettre en gage le manuscrit contenant le De gloria et se trouva ensuite dans l’incapacité de le récupérer. Devant l’insistance du jeune Pétrarque, il promit de lui rendre le livre qui fut ensuite introuvable. La conclusion de l’épître résume, quarante ans plus tard, l’amertume de Pétrarque qui, après l’affaire, aurait même refusé de composer l’épigramme que lui avaient demandé les habitants de Prato pour honorer la mémoire de son vieux maître :
Le retard commençant à me paraître suspect […], je m’informai avec soin de ce qu’ils étaient devenus, et quand je sus qu’ils avaient été mis en gage, je le priai de m’indiquer entre les mains de qui il étaient afin de pouvoir le dégager. Celui-ci, plein de confusion et de larmes, répondit qu’il ne me l’indiquerait point parce qu’il serait trop honteux pour lui qu’un autre fit ce qu’il devait faire lui-même […]. Pendant ce temps, chassé par la pauvreté, il partit en Toscane, d’où il était originaire. […] Depuis, malgré toutes les recherches, je n’ai pu trouver le moindre indice du Cicéron que j’avais perdu car je ne me suis pas mis en peine des autres livres. C’est ainsi que je perdis à la fois mes livres et mon maître. Voilà l’histoire que vous m’avez demandée43.
19Le récit de la redécouverte – réelle ou imaginaire – du De gloria au xive siècle est moins anecdotique qu’il n’y paraît. Dès 1345, Pétrarque avait dressé la liste des œuvres perdues de l’Arpinate dans une lettre d’art adressée à Cicéron lui-même. Il y mentionnait le De gloria et l’on peut s’étonner qu’il n’ait pas profité de l’occasion pour dire qu’il l’avait possédé. Selon Pierre de Nolhac, « la nature imaginative de Pétrarque » et son silence pendant quarante ans sur la redécouverte de ce « traité qu’il eût aimé plus que tout autre » expliqueraient le contenu de la lettre de 137444. Pourtant, nous ne voyons pas en quoi la lettre de Pétrarque à Cicéron « ruine45 » le témoignage de l’épître à Luca da Penne. La liste des deperdita se clôt en effet par la mention du De gloria suivie d’une indication importante : de gloria, quamuis de hoc ultimo spes mihi magis dubia quam desperatio sit. Cette précision exprime bien « un doute mêlé d’espérance » qui s’explique peut-être par le fait que Pétrarque l’avait possédé dans sa jeunesse.
20L’amertume de Pétrarque est d’autant plus vive que l’œuvre philosophique de Cicéron, fondée sur le lien entre rhétorique, morale et action, constituait une des sources de « l’humanisme chrétien » qui définissait l’écriture comme un exercice spirituel à part entière. Mais les textes cicéroniens sur la « gloire » suscitaient également un intérêt particulier dans la société italienne du xive siècle. L’affirmation de la bourgeoisie communale, qui constituait une forme de mobilité sociale et menaçait la prédominance de l’aristocratie, s’accompagnait en effet d’une réflexion sur la « noblesse46 », sur la valeur de la renommée et de l’honneur qui procurent la gloire47. Les réflexions contemporaines puisaient à la fois dans la tradition chrétienne et dans l’œuvre de Cicéron qui devint une source majeure de la pensée humaniste, comme en témoignent sa transmission manuscrite et la rédaction de nouvelles biographies48.
Le De gloria dans les polémiques vénitiennes aux xve et xvie siècles
21La transmission du De gloria connut d’autres rebondissements durant la Renaissance italienne. L’historien français Varillas raconte dans sa biographie de Louis XI que l’humaniste Francesco Filelfo (1398-1481), qui avait consacré son activité à la redécouverte de la culture antique et au commentaire de la poésie de Pétrarque, fut soupçonné d’avoir recopié frauduleusement des pans entiers du De gloria pour composer une lettre apologétique au roi Charles VII avant de le jeter au feu pour effacer toute trace du larcin49. Varillas prétend s’appuyer sur l’histoire littéraire de Paul Jove qui voyait en Filelfo un historien rival mais qui, en réalité, n’accuse jamais Filelfo dans les Elogia uirorum litteris illustrium. Admettant qu’« il n’est pas certain qu’il ait été coupable de ce crime, qui passe pour un des plus grands qui se commettent en matière de littérature », Varillas raconte la même histoire dans Les anecdotes de Florence. Mais cette fois, ce n’est pas Filelfo qu’il accuse mais un certain Algionus dans lequel on peut reconnaître le grand humaniste vénitien Pietro Alcionio (1447-1527). Médecin, traducteur d’Aristote et proche du pape Clément VII, Alcionio fut à son tour accusé d’avoir pillé puis détruit le De gloria pour composer un traité sur l’exil :
Ce n’est pas sans quelque confusion que je parle ici de ce célèbre Algionus, quoiqu’il fut le plus grand docte vénitien de son siècle, et qu’il nous reste de lui des lettres écrites dans la dernière politesse à Laurent de Médicis. Néanmoins ceux qui le connaissaient n’ont pu l’excuser de deux grands défauts ; l’un, de s’être enivré toutes les fois qu’il en trouva l’occasion ; l’autre, d’avoir privé la postérité du plus excellent des ouvrages de Cicéron, dont il avait recouvré le manuscrit. Ce misérable plagiaire fut obligé de consoler le provéditeur Cornaro dans l’exil où il avait été condamné, pour avoir été battu faisant la guerre aux Turcs, quoiqu’il n’y eut point de sa faute. Algionus lui envoya le livre intitulé De fortiter toleranda exilii fortuna. Et comme ce traité n’était composé que de sentences fort mal ajoutées du livre De la gloire de Cicéron, il ne laissa pas d’être beaucoup estimé, quoique les plus judicieux remarquassent bien qu’il n’y avait aucune liaison. Algionus ravi du succès de son ouvrage, changea le dessein qu’il avait eu de faire imprimer la pièce de Cicéron. Et comme il savait bien que personne n’en avait de copie, il le jeta dans le feu, de peur qu’on ne trouvât un jour parmi ses papiers de quoi le convaincre de larcin. Il s’en repentit néanmoins sur la fin de sa vie, et fit une espèce d’amende honorable à la tête de deux harangues qu’il avait composées à Venise sur la désolation de Rome par les luthériens50.
22L’accusation de plagiat et de destruction du De gloria constitue un coup redoutable contre la réputation et la mémoire d’Alcionio, l’une des principales figures poétiques de la cour des Médicis. Le fait que Varillas ait tenu des propos semblables à l’encontre de Filelfo tendrait à relativiser cette accusation et à démontrer que le plagiat du De gloria était devenu un argument récurrent de la polémique littéraire. Toutefois, Varillas se fonde, sans les citer, sur d’autres auteurs du xvie siècle qui colportaient le même récit à commencer par Paul Manutius et Paul Jove. Si l’on en croit Manutius, Pietro Alcionio aurait trouvé le De gloria chez des religieuses, dont il était le médecin, dans un manuscrit que leur avait donné le bibliophile Bernardo Giustiniani51. L’inventaire des manuscrits de Giustiniani signale en effet un manuscrit cicéronien contenant un De gloria mais rien ne prouve qu’il s’agisse du traité perdu car il est peu probable que Bernardo Giustiniani ait possédé à son insu un texte aussi important. Ce titre désignait peut-être un simple recueil de citations sur la gloire. Quoi qu’il en soit, la multiplication des récits accusant Alcionio persuada Girolamo Tiraboschi, au xviiie siècle, dans sa Storia della letteratura italiana, de déconstruire méthodiquement ces calomnies52.
23Ces « anecdotes » sont riches d’enseignements. Elles révèlent d’abord que la réception du De gloria – réelle ou fantasmée – demeurait une préoccupation réelle des historiens de la littérature entre le xive et le xviiie siècle. L’évocation du De gloria apparaissait comme un moyen de se glorifier, de discréditer un adversaire ou d’amuser la cour, comme celle des Médicis, qui se délectaient des discussions savantes. Dès lors, il importe finalement assez peu de savoir si quelques savants humanistes du xive au xvie siècle eurent le privilège de lire le De gloria. Ce texte n’existait peut-être que sous la forme de citations éparses. Il fut peut-être confondu avec un florilège d’extraits cicéroniens sur la gloire. À moins qu’il ne se dissimule encore dans quelques bibliothèques qui attendent d’être étudiées. Ou qu’un bibliothécaire distrait l’ait catalogué sous le titre du troisième livre des Académiques dont il reprenait le prologue. Laissons le dernier mot aux historiens des textes qui ont entrepris le catalogage systématique des bibliothèques européennes, notamment en Europe centrale et dans l’ancien bloc soviétique, et qui sortent parfois de l’oubli des chefs d’œuvres inconnus ou totalement oubliés. La lettre de Pétrarque et les querelles vénitiennes constituent néanmoins la preuve que ce traité n’était pas oublié à la fin du Moyen Âge. Ils montrent aussi que les textes antiques sont tout aussi présents par leur force de suggestion ou d’imagination que par leurs copies53. Ils nous rappellent que ce n’est pas tant la redécouverte des textes anciens qui définit l’humanisme que la recherche, la mise en scène de cette recherche dont la lettre de Pétrarque sur le De gloria est sans doute un des plus beaux exemples. Ces réminiscences nous plongent dans les « bibliothèques intérieures54 » des lecteurs qui considéraient la transmission des textes anciens comme une condition de la vie intellectuelle et de la sociabilité savante.
24Pétrarque a peut-être inventé la redécouverte du De gloria pour le plaisir et pour la gloire. L’épître à Luca da Penne (et à la postérité) traduirait ainsi la recherche incessante d’un « inventeur » de textes qui, comme les artistes de la Renaissance italienne, chercherait constamment à se hisser au-dessus de la réalité sociale et à se projeter dans une gloire imaginaire qui constitue une marque de distinction supérieure à tout autre. L’« affaire » du De gloria nous plongerait donc dans la fabrique de la gloire qui joue, au xive siècle, un rôle politique et social déterminant.
« Se faire un nom » au xive siècle : la gloire du poète, la gloire de la cité
25Retraçant le parcours de deux illustres figures du xive siècle, le chef des armées royales, Bernard du Guesclin, et l’historien Jean Froissart, qui comptent parmi les premiers à « vouloir se faire un nom alors qu’ils sortaient de presque rien55 », Bernard Guenée a consacré une étude très intéressante aux rapports entre la renommée et la gloire, en se fondant sur l’analyse des œuvres historiques d’Ordéric Vital et Guillaume de Tyr, au xiie siècle, et de Michel Pintoin au xve siècle. L’examen exhaustif du champ lexical de la renommée (fama) et de la gloire (gloria, gloriosus), et de leurs usages (gloire de Dieu, gloire des grands et gloire des armes) lui permit de mettre en évidence un paradoxe : d’un coté, « la définition cicéronienne de la gloire, qui établit entre gloria et fama une simple différence de degré (gloire = renommée répandue), a été répétée, depuis saint Augustin jusqu’à l’article Gloria du dictionnaire de Papias, par tous les théoriciens tout au long du Moyen Âge », notamment Vincent de Beauvais et Brunetto Latini qui citent à l’envi la définition cicéronienne du De inventione selon laquelle « la gloire est une réputation élogieuse largement répandue, concernant une personne56 » ; de l’autre, « dans l’usage, gloria et fama étaient deux notions bien distinctes, par leur nature même. Car c’est la conception chrétienne qui est toujours restée fondamentale. Au Ciel la gloire, la renommée sur cette terre57 ». Contrairement à l’acquisition de la renommée – qui peut troubler la hiérarchie sociale fondée sur la naissance – la gloire est dans presque tous les cas réservée au Ciel ou à quelques personnes au sommet de la société politique ou des chefs militaires qui doivent leur gloire à Dieu ou qui font rayonner la gloire de Dieu, par exemple à travers la croisade « qui n’est qu’une autre manifestation de la gloire de Dieu58 ». Au total, c’est bien la conception chrétienne qui prévaut depuis la tradition patristique, et notamment augustinienne59, qui sera développée et enseignée jusqu’à Thomas d’Aquin : une gloire humaine est possible mais « cette gloire est vaine (inanis, vana), si elle oublie que la seule vraie gloire (vera) est propre à Dieu60 ».
26Les représentations allégoriques, de Lorenzetti à Giotto61, et les efforts des humanistes pour réinvestir le champ de la gloire montrent toutefois le caractère inopérant des distinctions trop marquées (gloire divine/gloire humaine, vaine gloire/vraie gloire, gloire personnelle/gloire collective). L’objectif est de comprendre la dynamique propre de la gloire dans le champ politique. La tradition chrétienne suggérait déjà l’efficacité de la gloire puisque le Christ, dans l’Évangile de Jean, présente la gloire comme un moyen de communication entre Dieu et les hommes, et une possibilité d’unir les hommes :
La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée afin qu’ils soient un comme nous (Jn 17,22).
27La récit de la Pentecôte nous renseigne sur le sens de cette « unité » qui n’est pas la disparition de la diversité humaine mais, bien au contraire, l’acceptation et la compréhension de cette diversité :
Ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. Or, il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui eut lieu, la multitude accourut, et elle fut confondue parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. Ils étaient tous dans l’étonnement et la surprise, et ils se disaient les uns aux autres : voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Et comment les entendons-nous dans notre propre langue à chacun, dans notre langue maternelle ? (Actes 2, 4-8).
28La diversité des langues étaient pourtant présentée dans l’Ancien testament comme une réponse divine à la « vaine gloire » des hommes qui avaient entrepris la construction de la tour de Babel pour s’élever jusqu’à Dieu :
Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom… (Gen. 11, 4).
29L’objectif, en s’élevant jusqu’à Dieu, était bien, pour les hommes, de célébrer leur nom (celebremus nomen nostrum…), de faire rayonner leur gloire. Et c’est cette conception restrictive de la gloire comme « renommée », la vana gloria delle umane posse chantée par Dante62, qui entraîne la chute et la ruine. Mais peut-on en déduire que cette gloire est destructrice et contraire à la « vraie gloire » ? La réponse de Dante, particulièrement originale, nous éclaire sur le sens de la recherche et des représentations de la gloire au xive siècle : le thème de Babel est récurrent dans la Divine Comédie mais plus encore dans son petit traité le De vulgari eloquentia63, écrit vers 1304 dans ses premières années d’exil, qu’Irène Rosier-Catach a traduit et commenté récemment64. Dans la Divine Comédie, Dante représente Nemrod persuadant presque tout le genre humain d’entreprendre la tâche vaniteuse de construire une tour pour atteindre le ciel et dépasser Dieu. La punition divine qui s’ensuit entraîne la confusion et la variabilité des langues. Loin de se réduire à un « châtiment65 », la confusion des parlers suscitée par l’orgueil des hommes se traduit par la confusion des différents métiers, idée qui est aussi développée dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais et dont plusieurs commentateurs ont fait une « métaphore de la Commune divisée en corporations66 ». Cette perception de Babel montre que la « vaine gloire » des hommes convaincus par Nemrod est loin de se réduire à une catastrophe. La confusion des parlers conduit en effet à l’invention des langues, à la recherche d’un vulgaire illustre poétique et à l’organisation structurée des métiers qui sont des conditions de tout projet politique et social, et, à ce titre, des inventions remarquables de l’humanité, pourvu que les hommes en fassent un bon usage. Le mythe de Babel, suscité par l’appétit de gloire, pauvre renommée et vaine gloire des hommes, génère donc une inventivité éminemment politique puisque ces inventions produisent règles et mesures, et régissent le multiple. Comme l’écrit Dante, l’invention du « vulgaire illustre », qui permet de se comprendre, rend possible la communauté politique et le bien commun. Il est sublimé par le pouvoir et sublime par la gloire ceux qui le possèdent :
Per hoc quidem quod illustre dicimus, intelligimus quid illuminans et illuminatum perfulgens. Et hoc modo uiros appellamus illustres, uel quia, potestate illuminati, alios et iustitia et caritate illuminant ; uel quia, excellenter magistrati, excellenter magistrent, ut Seneca et Numa Pompilius. Et uulgare de quo loquimur, et sublimatum est magistratu et potestate, et suos honore sublimat et gloria67.
30Dans cet extrait, le champ lexical du pouvoir (potestate, magistrati, magistrent, sublimatum, magistratu, potestate, honore sublimat) se mêle à celui du rayonnement (illustre, illuminans, illuminatum perfulgens, illustres, illuminati, illuminant) et de l’excellence (excellenter, excellenter), nous donnant à voir la fonction légitimante du « vulgaire illustre », la langue des poètes. La vana gloria des hommes de Babel défiant Dieu est à l’origine d’une gloire nouvelle qui transcende les oppositions stériles, la gloire du poète et de la cité des hommes.
31Le pouvoir de la gloire nous conduit, en conclusion, à reconsidérer l’opposition initiale « vraie gloire/vaine gloire » qui est peut-être aussi inopérante, du moins dans la réflexion sur le pouvoir symbolique, que la distinction « gloire des hommes/gloire de Dieu ». Une vue d’ensemble des emplois de cette notion montre en effet que le pouvoir se nourrit de l’inventivité de la gloire, qu’elle soit véritable ou vaine, humaine ou divine. À côté du paradigme économique de la répartition des tâches et de l’action gouvernementale, le pouvoir aurait tout autant besoin de la gloire, de son caractère inopérant, cérémoniel, insaisissable et pourtant central à toute souveraineté et à toute légitimité politique68– caractère insaisissable de la gloire dont la mise en scène pétrarquienne de la redécouverte du De gloria serait en quelque sorte une mise en abyme. Les diverses représentations de la gloire, depuis l’Antiquité, définissent la gloire comme le souverain (Dieu ou le roi) se communiquant par ce qu’il est. La gloire est donc bien au sens propre un « vecteur » qui contribue à imposer le pouvoir sans le dire, à faire accepter sa légitimité implicite.
32Les Théophanies de l’alliance avaient donné tout leur relief à l’imparable efficacité de la gloire. Ce n’est qu’après avoir été rendu sensible à la gloire de Dieu que Moïse avait perçu l’idolâtrie du veau d’or, compris le contraste entre la gloire et l’idole, et aspiré encore à contempler la gloire (Ex 33, 20). Les représentations vétérotestamentaires montrent donc déjà que la gloire déborde ses manifestations et que ce débordement contribue à faire accepter l’autorité qu’elle fait rayonner. Ce paradoxe69 fondamental de la gloire, à la fois inopérante, potentiellement destructrice mais aussi indispensable, explique peut-être, à la réflexion, le caractère insaisissable et l’ambiguïté de la vana gloria dans le mauvais gouvernement de Lorenzetti. Nous terminerons donc sur l’image paradoxale de cette « vaine gloire », rangée certes parmi les vices et les forces destructrices de la cité – dans la lignée des manuels de bons gouvernements du xiiie siècle comme l’Oculus pastoralis70 et de tant d’autres représentations – mais une « vaine gloire » nécessaire et constitutive de toute légitimité.
33L’histoire de la réception du De gloria, qui a guidé notre enquête, nous incite enfin à repolitiser la quête des manuscrits et la lecture des textes antiques dans les derniers siècles du Moyen Âge… y compris sous leur forme la plus fantasmée. Ce n’est pas tant d’emprunt ou de remploi qu’il s’agit, puisque tout est inventé. Il s’agit bien plutôt d’un « dédoublement de lecture […] par quelques indices discrets, ou par la localisation même de l’image qui alerte sa lecture71 » : Cicéron, Rome, la gloire… la magie de quelques paroles qui font entrer les classiques, par le biais du récit poétique, dans la pensée politique du xive siècle et nous éclairent sur les origines de l’humanisme italien. Comme les fresques allégoriques des palais toscans du Trecento, le récit de la redécouverte du De gloria célèbre la gloire de l’artiste, en l’occurrence le poète en quête de manuscrits, qui redonne vie, le temps d’une épître savante, à l’un des chefs-d’œuvre oubliés de l’Antiquité, rédigé au cœur d’une crise qui avait précipité la naissance de l’Empire. La lettre de Pétrarque au juriste et romaniste Luca da Penne nous conduit donc in fine à repolitiser la gloire et l’écriture même du De gloria. La méditation stoïcienne sur l’obscurité du présent, que Cicéron adresse à l’ami de toujours, Atticus, en juillet 44, contenait une ambition politique, une énième tentative de sauver la légitimité républicaine dont le sort oscillait entre la terreur populiste d’Antoine et l’ambition froide du jeune Octave dans lequel le vieil orateur voyait – mais y croyait-il vraiment ? – l’ultime espoir d’un régime agonisant, l’ultime gloire de la République72.
Notes de bas de page
1 A. Riklin, La summa politica di Ambrogio Lorenzetti, Sienne, Betti, 2000 [1996] ; Q. Skinner, Virtù rinascimentali, Bologne, Il Mulino, 2006, en particulier « Ambrogio Lorenzetti e la raffigurazione del governo virtuoso », p. 53-121 et « Ambrogio Lorenzetti sul potere e sulla gloria delle repubbliche », p. 123-153 ; N. Rubinstein, « Political ideas in sienese art : the frescoes by Ambrogio Lorenzetti and Taddeo Bartolo in the Palazzo Pubblico », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 21, 1958, p. 189-207. P. Boucheron, « “Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici”. La fresque dite du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti », Annales. Histoire, sciences sociales, 6, 2005, p. 1137-1199 ; id., Conjurer la peur. Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images, Paris, Seuil, 2013 ; R. M. Dessì, « Da Tofo Pichi ad Aristotele : visioni risorgimentali del “Buon Governo” di Ambrogio Lorenzetti », Rivista storica italiana, 122, 2010, p. 1147-1170.
2 Q. Skinner, « Ambrogio Lorenzetti : the Artist as Political Philosopher », Proceedings of the British Academy, 72, 1986, p. 1-56.
3 Johannis Viterbiensis, Liber de regimine ciuitatum, G. Salvemini (éd.), Bologne (Bibliotheca iuridica medii aevi, III), 1901, p. 217-280 ; p. 238 (cité dans Q. Skinner, « Ambrogio Lorenzetti : the Artist… », art. cité, p. 28).
4 Cicéron, De gloria, O. Plasberg (éd.), Leipzig, B. G. Teubner (M. Tulli Ciceronis scripta quae manserunt omnia, 47), 1917, p. 87-90 (« Fragmenta », proemium : quantas habeat definitiones et significantias gloria). Nous nous permettons de renvoyer à notre étude « Propos sur la “gloire” : lectures polémiques du De gloria de Cicéron de l’Antiquité à la Renaissance, dans M. Coumert, M.-C. Isaïa, Kl. Krönert, S. Shimahara (éd.), Rerum gestarum scriptor. Histoire et historiographie au Moyen Âge. Mélanges Michel Sot, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2012.)
5 H. Bardon, La littérature latine inconnue, t. 1, L’époque républicaine, t. 2, L’époque impériale, Paris, Klincksieck, 1952-1956.
6 Voir par exemple J. F. Ruys, J. O. Ward, M. Heyworth (dir.), The Classics in the Medieval and Renaissance Classroom. The Role of Ancient Texts in the Arts Curriculum as Revealed by Surviving Manuscripts and Early Printed Books, Turnhout, Brepols, 2013.
7 B. Guenée, Du Guesclin et Froissart. La fabrication de la renommée, Paris, Tallandier, 2008. Voir aussi G. Castelnuovo, « Revisiter un classique : noblesse, hérédité et vertu d’Aristote à Dante et à Bartole (Italie communale, début xiiie-milieu xive siècle) », dans M. Van der Luigt et C. de Miramon (dir.), L’hérédité entre Moyen Âge et Époque moderne. Perspectives historiques, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzo, 2008, p. 105-155.
8 Sur l’apparition de cette nouvelle élite à Rome « comme dans toutes les autres villes de l’Italie communale » (p. 241), voir par exemple J.-C. Maire Vigueur, L’autre Rome. Une histoire des Romains à l’époque des communes (xiie-xive siècle), Paris, Talladier, 2010, chap. « La noblesse citadine : métamorphoses et recomposition d’une classe sociale ».
9 J.-Y. Tilliette, « Une biographie inédite de Cicéron, composée au début du xive siècle », CRAI, 147, 2003, p. 1063 ; E. Gilson, « Beredsamkeit und Weisheit bei Cicero », dans K. Buchner (dir.), Das Neue Cicerobild, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1971, p. 179-207 ; voir aussi Leonardo Bruni, Vita Ciceronis seu Cicero nouus, dans L. Bernard-Pradelle, Histoire, éloquence et poésie à Florence au début du Quattrocento, Paris, Classiques Garnier/Champion, 2009.
10 Sur cette question, voir C. Revest, « La naissance de l’humanisme comme mouvement au tournant du xve siècle », Annales, 68, 2013, en particulier p. 688-696.
11 Pier Paolo Vergerio, Epistolario di Pier Paolo Vergerio, L. Smith (éd.), Rome, Tipogr. del Senato, 1934, app. I, no II, p. 436-445.
12 Clémence Revest évoque « ce monument à la gloire d’un “homme vraiment né pour être utile aux hommes aussi bien dans le domaine politique que dans celui de la pensée théorique” qu’est le Cicero nouus de Bruni » (C. Revest, « La naissance de l’humanisme », art. cité, p. 689, cite Leonardo Bruni, Vita Ciceronis seu Cicero nouus, op. cit., p. 500).
13 G. Agamben, Il Regno e la gloria, Per una genealogia teologica dell·economia e del governo. Homo sacer, II, 2, Turin, Bollati Boringhieri, 2009, p. 10.
14 J.-F. Thomas, Gloria et laus : étude sémantique, Louvain/Paris, Dudley/Peeters (Bibliothèque d’études classiques, 31), 2002.
15 Ibid., p. 167-232.
16 Y. Simoens, s. v. « Gloire de Dieu », dans J.-Y. Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 495.
17 Ibid.
18 J.-F. Thomas, Gloria et laus, op. cit., p. 223.
19 C. Lévy, Cicero Academicus. Recherches sur les Académiques et sur la philosophie cicéronienne, Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 162), 1992, p. 634 : « cette lecture politique de textes en apparence sans relation avec l’actualité immédiate est l’un des aspects les plus passionnants de l’œuvre cicéronienne ».
20 Cicéron, Att. 15, 27, 2, éd. et trad. (revue) J. Beaujeu, CUF, p. 232.
21 Cicéron, Att. 16, 2, 6, p. 251.
22 Id., Att. 16, 3, 1. p. 254.
23 Id., Att. 16, 6, 4, p. 260.
24 Jérôme, Commentaire sur l’Épître de Paul aux Galates, P. Schanz (éd.), vol. 2, 1920, col. 409 ; le texte de Jérôme est confirmé par l’un des fragments conservés du De gloria (voir Cicéron, De gloria, op. cit.).
25 Cicéron, Pro Archia, 11, F. Gaffiot (éd. et trad.), CUF, p. 48.
26 Id., Tusc., 1, 2, 4, G. Fohlen (éd.) et J. Humbert (trad.), CUF, p. 6.
27 Id., Off., 2, 14, 48, M. Testard (éd. et trad.), CUF, p. 39.
28 Id., Tusc., 5, 36, 103, p. 155.
29 Sur les différentes significations de la « gloire » dans les sources latines, voir J.-F. Thomas, Gloria et laus, op. cit.
30 Cicéron, Off., 2, 31, p. 29.
31 Cicéron, Pro Archia, 11, p. 48 : « Ô juges, je vais vous ouvrir mon cœur, et vous avouer ma passion pour la gloire, […] après tout bien légitime ».
32 Id., De Gloria, p. 87-90, « Fragmenta ».
33 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, 15, 6, R. Marache (éd. et trad.), CUF, p. 48.
34 Ibid.
35 P. de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, t. 1, Paris, Champion, 1907, p. 176.
36 L. Hermand-Schebat, Pétrarque épistolier et Cicéron. Étude d’une filiation, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2011.
37 P. de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, op. cit. (« Pétrarque et Cicéron », en part. p. 260-268) ; R. G. Witt, In the Footsteps of the Ancients : The Origins of Humanism from Lovato to Bruni, Leyde, Brill, 2000, chap. 6, « Petrarch, Father of Humanism ? », p. 230 sq. ; J. Seigel, Rhetoric and Philosophy in Renaissance Humanism : The Union of Eloquence and Wisdom (Petrarch to Valla), Princeton, Princeton University Press, 1968, p. 3-30.
38 Voir les inventaires d’Urbain V et de Grégoire IX (F. Ehrle, Historia bibliothecae Romanorum Pontificum, t. 1, Rome, Typis Vaticanis, 1980, p. 139 et p. 286). P. de Nolhac (Pétrarque et l’humanisme, op. cit., p. 180, n. 1) cite en particulier le no 29 de l’inventaire de 1369 d’Urbain V. À propos des lectures cicéroniennes de Clément VI, voir E. Anheim, « La bibliothèque personnelle de Pierre Roger/Clément VI », dans J. Hamesse (dir.), La vie culturelle, intellectuelle et scientifique à la cour d’Avignon, Turnhout, Brepols, 2006, p. 1-48.
39 Pétrarque, Lettres de la vieillesse (Seniles), Paris, Les Belles Lettres. Depuis 2002, quatre volumes ont été publiés (lib. I-III, IV-VII, VIII-XI, XII-XV). Le dernier volume est encore à paraître (lib. XVI-XVIII).
40 Id., Seniles, XVI, 1, Epist. prima ad Lucam de Penna, V. Develay (trad. revue), Bulletin du Bibliophile, 1879, p. 18.
41 E. Pasquini, s. v. « Convenevole da Prato », Dizionario Biografico degli Italiani, t. 28, Rome, Istituto della Enciclopedia italiana, 1983, p. 563-568.
42 Pétrarque, Seniles, XVI, 1, Epist. Prima ad Lucam de Penna, S. Gioanni (trad.), p. 18-19.
43 Ibid., p. 20-21.
44 P. de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, op. cit., p. 223.
45 Ibid., p. 221. L’auteur s’écarte de la leçon des éditeurs qui écrivent unanimement de hoc ultimo pour suivre un témoin unique, le codex BNF, latin 8568 qui présente la leçon de his ultimis.
46 Voir n. 7.
47 B. Guenée, Du Guesclin et Froissart, op. cit., p. 19-30.
48 Voir n. 9.
49 A. Varillas, Histoire de Louis XI, lib. I, p. 39 : « on luy reprochoit […] d’avoir supprimé l’incomparable ouvrage de Cicéron intitulé De la gloire, dont il avoit la seule copie restée dans le monde, afin de l’insérer dans les Livres qu’il composeroit ».
50 Id., Les Anecdotes de Florence ou l’Histoire secrète de la maison de Médicis, M. Bouvier (éd.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 186.
51 P. Hochschild Labalme, Bernardo Giustiniani : a Venetian of the Quattrocento, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1969.
52 G. Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, 3, 3, p. 241-246.
53 R. G. Witt, The Two Latin Cultures and the Foundation of Renaissance Humanism in Medieval Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 491.
54 B. Stock, Bibliothèques intérieures, Grenoble, J. Millon, 2005, p. 225. L’auteur étudie notamment « la tentative de Pétrarque pour atteindre des valeurs contemplatives d’outre-monde par la voie mondaine de l’écriture profane ».
55 B. Guenée, Du Guesclin et Froissart, op. cit., quatrième de couverture.
56 Ibid., p. 29
57 Ibid.
58 B. Guenée, Du Guesclin et Froissart, op. cit., p. 24.
59 Sur cette question, la bibliographie est immense. Citons notamment P.-M. Hombert, Gloria Gratiae. Se glorifier en Dieu, principe et fin de la théologie augustinienne de la grâce, Paris, Institut d’études augustiniennes (Collection des études augustiniennes, série antiquité, 148), 1996.
60 Ibid., p. 22.
61 G. Vasari indique dans Le Vite dei più eccellenti pittori, scultori e architettori (1550) que Giotto réalisa l’allégorie d’une « Gloire mondaine » à Padoue (« Partissi di Fiorenza per fare nel Santo di Padova alcune cappelle, dove molto dimorò, perché fece ancora nel luogo dell’arena una Gloria Mondana, la quale gli diede molto onore »).
62 Dante Alighieri, Purgatorio, XI, v. 91-96.
63 Voir I. Rosier-Catach, « La tour de Babel dans la philosophie du langage de Dante », dans P. von Moos (dir.), Zwischen Babel und Pfingsten (Entre Babel et Pentecôte), Zürich, Lit Verlag, 2008, p. 183-204.
64 Dante Alighieri, De l’éloquence en vulgaire, I. Rosier-Catach (éd.), A. Grondeux, R. Imbach et I. Rosier-Catach (trad.), Paris, Fayard, 2011. Nous renvoyons aussi à l’analyse très stimulante d’Irène Rosier-Catach dans le présent volume.
65 Ibid., p. 8, présentation : « La diversité des langues, un châtiment ? »
66 Voir notamment l’analyse de M. Tavoni à propos de ibid., 1, 7, 6 : Dante Alighieri, « De vulgari eloquentia », M. Tavoni (éd.), dans M. Santagata (dir.), Opere, vol. 1, Milan, Mondadori, 2011, p. 1075.
67 Dante Alighieri, De l’éloquence en vulgaire, op. cit., 1, 17, 2, p. 158-160.
68 G. Agamben, Il Regno e la gloria, op. cit., p. 262.
69 Cicéron avait déjà souligné ce paradoxe dans le Pro Archia : « Les philosophes mettent leur nom aux livres qu’ils composent sur le mépris de la gloire : tout en prouvant qu’il faut mépriser la louange et la célébrité, ils s’efforcent de se faire louer et connaître » (11, p. 48).
70 AN, Oculus Pastoralis, D. Franceschi (éd.), Turin, Accademia delle scienze (Memorie dell’Accademia delle Scienze di Torino, 11), 1966, p. 52 : Hostes uite hominis… sunt præcipue superbia, inanis gloria, auaricia… et inuidia. L’Oculus pastoralis, écrit par un auteur italien inconnu du xiiie siècle, est un traité politique contenant des instructions éthiques et juridiques adressées aux orateurs des communes. Sur la question de la « gloire » et de sa signification politique, il s’inscrit parfaitement dans la lignée des traités de bon gouvernement du xiiie siècle (voir D. Quaglioni, « Politica e diritto al tempo di Federico II. L’Oculus pastoralis (1222) e la “sapienza civile” », dans Federico II e le nuove culture. Atti del XXXI Convegno storico internazionale, Todi, 9-12 ottobre 1994, Spolète, Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 1995, p. 3-26).
71 P. Boucheron, « “Tournez les yeux pour admirer…” », art. cité, p. 1149.
72 Nous empruntons cette expression à Q. Skinner dans l’une de ses études sur la fresque du Bon gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti (« Ambrogio Lorenzetti sul potere e sulla gloria delle repubbliche », art. cité).
Auteur
École française de Rome
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (dir.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010