Réflexion sur les diverses divisions doctrinales survenues cette année en particulier sur la division à propos du baptême et son jugement « craignez Dieu et rendez-lui gloire etc ». AP. 14 de qui est-ce ? Là n’est pas la question mais : de quoi s’agit-il ? (1521)
p. 163-187
Texte intégral
11. Ma présente réflexion ne s’adresse pas aux Maures d’Égypte qui trouvent belle leur noirceur, n’aspirent pas à se blanchir et veulent demeurer auprès de leurs pères (Jr 44,[16]), mais à ceux qui marchent vers Jérusalem avec le Maure castré (Ac 8,[27.39]) pour y prier (Philippe). Je songe là à ceux qui entreprennent de modifier le culte extérieur à l’aide de l’Écriture seule, sans attendre qu’un Philippe, c’est-à-dire une force puissante digne d’Élie [1 R 18,30] leur soit envoyée. Peut-être en ai-je amené certains, alors que j’étais moi aussi malade dans cet hospice, à examiner à la lumière du Seigneur, plus sérieusement, leur soumission, leur vocation, leur science et leurs ministères ; et bien que n’ayant absolument aucune part dans ma guérison, j’espère toutefois de tout coeur que la vie triomphera de la mort. A quel moment ? Je m’en remets pour cela à celui qui, le moment venu, peut enlever et rendre la vie par sa grâce. Pour lui, l’une et l’autre choses sont tout aussi aisées.
22. (Raison d’écrire)1 Cependant, ne pouvant voir sans souffrir la suffisante assurance de ceux qui baignent dans cet air empoisonné, je me suis résolu à lancer des mises en garde. Que cela aide quelqu’un, si Dieu le veut ; il m’a fallu moi-même apprendre que cela m’était bien aussi étranger qu’à eux. Tout vient à point à qui sait attendre. Celui qui croit posséder tous les fruits quand les fraises sont mûres ne pourra se réjouir des vendanges. Nous devons sans cesse aspirer aux dons les meilleurs. Ainsi, cela ne nous pèsera pas de renoncer à ceux qui ont une valeur moindre. Car les trésors de Dieu, ses richesses, sont innombrables, infinis et incommensurables.
Réflexion librement menée sur les nombreuses divisions doctrinales de cette terrible époque, pour inciter tous les disciples de Christ à continuer à réfléchir, dans la crainte de Dieu
Première Thèse
Le fait que beaucoup d’hommes s’imaginent avoir ce qui ne leur est pas donné et s’autorisent à donner ce qu’ils n’ont pas, est cause de grands errements
33. Rien d’indispensable à la félicité2 humaine n’est si grand et si délicieux qu’on ne puisse l’espérer du Dieu fidèle, par l’intermédiaire de Christ notre Seigneur (Jn 15,[7]), ni croire que, au moment voulu, il le donnera, par sa grâce, à ceux qui lui plaisent, car il est plein de bonté, de pitié et d’un amour insondable pour toutes ses créatures (Sg 11,[24.26]). A l’inverse, il n’est aucune grâce, si minime soit-elle, pour laquelle nous n’ayons à trembler, comme s’il devait avoir des raisons de nous la refuser et de nous prendre, à nous, hommes ingrats, le peu que nous avons (Le 19,[26]). Et ce, à cause de nos grands péchés, du mal et de toute l’iniquité que l’on voit dans monde (Os 4,[2]), choses qui (comme nous devons bien tous le reconnaître), ne font que se développer de jour en jour, se rengorger en défiant Dieu, comme si le monde était sur le point d’exploser.
44. Nous n’en prions pas moins Dieu continuellement de nous donner sa grâce, chacun à notre façon, sans nous amender, et ne voulons cependant l’accepter que si elle nous plaît (Is 58,[2]). Nous cherchons ainsi à avoir Dieu au-dessus de nous en apparence, mais en-dessous en vérité, et nous refusons d’être traités d’hypocrites, prétendant être un peuple qui exerce en vérité l’équité et la justice, alors que notre fardeau s’avère être bien plus lourd que celui de Sodome et Gomorrhe (Mt 11,[24]). Nous sommes bien nombreux dans la communauté des Chrétiens à reconnaître cette méchanceté qui est la nôtre et à dire que le monde est méchant, mauvais, absolument impie3 [Ep 2,2]. Mais chacun répugne à dénoncer les fautes et personne ne veut reconnaître ses torts ; certains veulent même toujours être meilleurs que les autres. Ah Seigneur ! qui sont donc les mauvais, les méchants, en ce monde ?
55. (Fourberie de Satan) Voyez : c’est justement cela qui pousse beaucoup d’hommes à se retirer de la vilenie des affaires du monde, parfois même au risque d’y perdre leur vie et leurs biens. Se tournant vers Dieu pour obtenir sa grâce, plus résolus que d’autres dans cette quête, ils sont pourtant incapables d’attendre la vraie grâce. Et voilà la source de tant d’erreurs. Car Satan, le fourbe (dont, pour la plupart, ils ignorent encore les ruses), comme un appeau qui attire l’oiseau, fait semblant de les aimer, leur donne un faux avant-goût de la grâce, et les tire ainsi de ce qu’ils croient être un abandon authentique (auquel ils ne parviendront pas avant d’avoir compris qu’ils agissent selon leur propre volonté). Ils pensent alors être au mieux avec Dieu, après s’être soumis comme ils l’entendent et peut-être même s’être liés à lui par des cérémonies extérieures. Mais il est manifeste que Dieu ne les a jamais acceptés (Jr 15,[1]). Non pas que Dieu soit inconstant et méprise ceux qui se donnent ainsi à lui (Jn 6,[37]) (qu’il a toutefois éclairés d’un début de grâce, leur permettant de reconnaître l’abomination de la désolation [Dn 9,27] de la fausse justice humaine), mais il les refuse pour leur bien. Il agit ainsi pour qu’affamés et assoiffés, ils recherchent avec passion et néanmoins en conscience le contraire, c’est-à-dire l’authentique justice divine (Mt 5,[6]), afin qu’il ait ensuite des raisons de consoler les affligés, et que Satan ne lui reproche pas de faire subir à Job, sans raison, ses propres volontés (Jb 1,[9]).
66. (Expérience personnelle) Or, j’ai toutefois appris à mes dépens (loué soit le Seigneur), que rien ne contrarie autant le zèle qui, pour être pieux, n’en est pas moins, pour une large part, humain, et la première ferveur (qui ressemblerait pendant tout ce temps à l’ardeur d’un homme affamé et assoiffé (Jn 7,[37], [Jn. 4,13]), qu’une longue attente. Cette ferveur se prend alors à douter et rejette tout comme choses inutiles, vaines et illusoires, ou bien elle tranche de façon impérieuse, ordonne, décrète et agit selon son interprétation de la lettre, et élève tout ceci jusqu’aux cieux. C’est précisément en cela que ce zèle s’avère n’être qu’humain, puisqu’il est incapable d’attendre l’heure du Seigneur (qui n’est pas toujours la même que la nôtre) (Jn 2,[4]).
77. (Zèle factice) C’est ce que recherche Satan : en suscitant un zèle factice visant à faire le salut d’autres hommes et à chanter la gloire de Dieu, il s’applique à faire quitter l’école à l’apprenti disciple, c’est-à-dire à celui qui a senti dans son coeur la première faille, avant que son coeur ne soit complètement broyé (Ps 51,[19]). Or, ce zèle est un zèle factice pour le salut d’autres hommes, venant d’un homme qui n’a encore aucune certitude quant à son propre salut, qui veut enseigner aux autres avant d’avoir réellement reçu l’enseignement de Dieu et d’avoir été éprouvé par lui. C’est en vain qu’un homme se soucie de la gloire divine si, dans le fond, il est incapable d’oublier sa propre gloire [Jn 7,18], Voici donc deux choses que Satan peut sans peine draper dans des versets correspondants de l’Écriture (comme il le fait lorsqu’il va jusqu’à tenter même Christ, notre maître et seigneur (Mt 4,[6])), pour pousser l’homme à croire qu’il agit avec et en Dieu, plutôt que d’attendre que Dieu agisse réellement avec et en lui. Et pour pousser l’homme, donc, à n’attendre ni le pain venu du ciel [Jn 6,31], ni l’heure de sa justification, mais à se tourner sans délai vers la terre promise ou à retourner en Égypte.
88. Peu d’hommes, malheureusement, sont prêts à surmonter l’épreuve du temps : au contraire, ils se précipitent du début vers le terme, comme si tout était déjà accompli, s’immiscent dans les affaires de Dieu comme s’ils siégeaient depuis longtemps à son conseil (Jr 23,[18]). Nombre d’entre eux s’érigent en détenteurs des mystères divins avec tout aussi peu de crainte que ceux que Dieu a pu élire (1 Th 1 , [4]), éprouver, et doter pour cela intérieurement et extérieurement de la plénitude de sa grâce. Mais le pire, c’est que beaucoup d’entre eux, dénués de toute richesse, de tout don de l’esprit, ne veulent reconnaître ni imperfection, ni insuffisance, mais disent qu’ils sont assez riches, qu’ils en savent assez (Ap 3,[17]), et se contentent de faire semblant de témoigner à nouveau de celui dont ils tiennent leur richesse, leur savoir, et toute leur science, c’est-à-dire d’un maître qui ne pourra leur nouer leur ceinture et les envoyer (Jn 21,[18]) autre part que là où ils avaient l’intention d’aller – ce qu’il démontre avec des mots, il ne peut le prouver par les faits – et ce maître, c’est la lettre nue (il en sera davantage question par la suite).
99. Ainsi, nombreux sont ceux qui s’imaginent posséder beaucoup, alors que rien de ce qu’ils croient posséder ne leur a jamais été donné, et qui se permettent de transmettre à d’autres ce qu’ils n’ont pas. De là vient qu’il y ait à cette époque, tout comme auparavant (car il n’y a rien de nouveau sous le soleil), autant d’erreurs, de discorde et de division dans le monde, et c’est ainsi que plus l’humanité avance en âge, plus les hommes empirent (Le 11 , [26]). En outre, chacun ne cesse de railler et de mépriser son voisin, s’imagine qu’il est meilleur archer que lui, et pourtant, tous ratent leur cible. Or, il se peut bien (comme d’aucuns le disent) que la flèche de l’un s’approche plus de la cible que celle de l’autre, mais cela ne sert à rien : il faut toucher la cible. Ce qui ne touche pas l’unique cible visée est vain et inutile.
1010. Or, pour que la cible soit touchée et pour pouvoir brandir le trophée [1 Co 9,24], il est indispensable que deux éléments se conjuguent : la soumission de l’homme4 en est un, laquelle ne s’accom- mode que rarement de l’amour propre et de la quête personnelle, les âmes voulant seulement trouver, mais jamais perdre (Le 9,[24]). C’est pourquoi tous les hommes tendent à Dieu naturellement, mais ils ne le font que pour eux-mêmes, car ils savent qu’il ne leur adviendra rien de bon sans Dieu (Ps 16,[2]). L’autre est l’acceptation par Dieu5, par pur amour et simple clémence, non pas pour son bien personnel, mais pour le bien et le salut de l’homme.
1111. (L’onction est le témoignage) Ainsi, si la soumission de l’homme était aussi pure (je veux dire, si elle pouvait être aussi dénuée de quête personnelle) que l’est l’acceptation par Dieu, Dieu serait donc, du fait de sa promesse et de sa bonté inébranlable, tenu d’accepter l’homme dès qu’il se soumet à lui [Ez 18,25]. Mais comme ceci est rare, surtout à l’époque actuelle, marquée par l’égoïsme, le Dieu fidèle diffère le témoignage de son acceptation [1 Jn 5,6]. Et ceci non sans raison, mais jusqu’à ce que ceux qui s’étaient ouverts aux ruses du coeur humain leur échappent et se tournent vers Dieu pour qu’il les accepte, ou, à l’inverse, que ceux qui avaient été attirés par Satan deviennent encore pires qu’auparavant et se souillent encore plus (Ap 22,[11]) en suivant leur volonté arbitraire, deviennent bien plus entêtés, plus certains encore d’être dans la vérité, comme s’ils ne pouvaient se tromper. En effet, leur propre soumission plaît tellement à certains qu’ils en deviennent aveugles, ne reconnaissent pas les pièges de Satan, et que, dans la plus grande ignorance, ils prétendent être certains que Dieu les a acceptés. Jusqu’à présent, j’ai entendu louer bien peu d’hommes autrement que pour leur soumission et celle d’autres hommes à Dieu, alors qu’on ne devrait pas entendre de telles louanges avant le jour du Seigneur, et qu’ils devraient attendre que Dieu lui-même les couvre de louanges en les marquant du sceau de son Esprit. Ce n’est qu’ensuite qu’ils pourraient, par des actions de grâce, glorifier son acceptation (2 Co 10,[17]). Ainsi, l’accord ne viendrait pas de l’homme mais de Dieu.
1212. (Question) Mais j’entends quelqu’un dire : pourquoi devrais-je me soumettre à Dieu avant de savoir s’il est prêt à m’accepter ? Réponse : il y a deux sortes de soumission, une authentique et une fausse. Dans la soumission authentique, l’homme abdique complètement, renonce totalement à lui-même et à toute créature (Mt 16,[24]), son être entier se transforme profondément, de l’intérieur, pour être semblable au Christ (Rm 12,[5]) ; et ceci ne peut advenir sans la force de l’acceptation divine, car seule est juste la soumission qui rencontre l’acceptation divine etc.
1313. (Soumission imparfaite) Mais il arrive souvent, en particulier de nos jours, que l’homme, par le témoignage de l’Écriture qu’il entend ou qu’il lit, apprenne comment Dieu, jadis, a agi envers de nombreux hommes et, inversement, comment il a confié des causes divines à des justes. Or, voyant aujourd’hui exactement le contraire dans ce monde, l’homme peut voir naître en lui le désir de suivre ce que lui enseigne la lettre, transmise oralement ou par écrit : il s’y soumet, pour s’unir ainsi à Dieu. C’est précisément de cette soumission que je veux parler.
1414. (Réponse) Voici donc ma réponse : certes, tu dois te soumettre à Dieu du mieux que tu le peux, mais tu dois également savoir combien tu es pauvre et nécessiteux face aux mystères de Dieu, peser avec soin ce que tu as et ce que tu n’as pas, et mesurer jusqu’où s’étend la grâce que tu as reçue, afin de ne pas outrepasser les anciennes limites apostoliques. C’est pourquoi, si Dieu ne t’a pas appelé avec une force particulière, si notre Seigneur Jésus-Christ ne t’a pas véritablement confié de mission que l’Esprit saint t’aurait confirmée clairement, ne t’arroge pas toi-même, de ton propre chef, de ministère divin, et ne souffre pas que quelqu’un en accomplisse par ton intermédiaire. Car, de même que Dieu, dans sa grande miséricorde (Rm, 2,[4], Is 1,[18]), attend que chacun se soumette à lui, de même, chacun doit patienter, dans le dénuement spirituel, attendre que Dieu l’accepte et, dans les plaintes, les soupirs, etc. (Mt 5,4), écouter ce que le Seigneur, par le biais de son Esprit, dit en lui. Il sera davantage question de cela dans ce qui suit.
Deuxième Thèse
Du fait que beaucoup d’hommes veulent être instruits mais que bien peu fréquentent l’école du vrai maître, il résulte que la science divine et la science humaine sont confondues, que la parole de Dieu et celle de l’homme ne sont pas distinguées ; en outre, le fait que certains se chargent de bien plus que ce qui leur a été confié est la cause de nombre d’erreurs.
1515. La source première de toutes les divisions d’aujourd’hui, c’est la parole écrite, le testament historique de Dieu. Non pas en eux-mêmes, car l’Écriture est un don de Dieu destiné à édifier, à réconforter, etc. les justes (Rm 15,[4]), mais parce que les hommes en usent comme un enfant qui s’emparerait d’un rasoir. En effet, lire la sainte Écriture en menant une vie impie engendre plus de mal que de bien.
1616. (Remarque) Or, celui qui vit dans la sainteté se satisfait d’une Écriture simple. Mais tenter de construire un vie sainte à partir de la seule Écriture, c’est comme puiser de l’eau dans une fontaine tarie, ou construire une maison sans pierres ni bois, mais avec des mots. Le royaume de Dieu ne se trouve pas dans les mots (1 Cor 4,[20]), et il est bien moins encore dans la lettre morte de l’Écriture.
1717. (Usage impropre de la connaissance de l’Écriture) La connaissance6 de l’Écriture n’est pas mauvaise en soi, de même que les sciences par lesquelles on y parvient sont bonnes, c’est son usage impropre qui est mauvais. Celui-ci consiste à entreprendre, en se fondant sur la simple connaissance de l’Écriture, sans la véritable connaissance qui vient de Dieu, de se charger de causes ou de ministères divins.
1818. (Connaissance de Dieu) Or, celui qui prétend avoir la connaissance de Dieu et prend part à une division, qu’il veille à ce que sa connaissance n’agisse pas sans être mandatée par Dieu. Il est certes bon d’avoir une connaissance sûre d’un fait pour se soustraire au mal que l’on reconnaît comme tel, mais cela ne suffit pas pour modifier le culte extérieur, sans ordre exprès. Et si aucun ordre exprès de Dieu ne se manifeste pour guider la connaissance, il serait plus sûr qu’elle ne fasse rien.
1919. (Nouveaux docteurs ès Écritures sans aucun savoir etc.) Et ceci, je le dis pour que les nouveaux docteurs ès Écritures ne nous abusent pas (eux qui osent dire que, parce qu’ils ne sont jamais allés à l’école, ce n’est pas l’Écriture mais Dieu qui les a instruits (Jn 6,[45]) : ils se targuent de leur particularité extérieure, alors qu’ils sont aussi peu investis d’un ministère divin que les vrais docteurs en Écritures qu’ils méprisent, et qu’ils n’usent pas moins, mais plus souvent qu’eux, de l’Écriture, sans plus de discernement qu’eux.
2020. Cependant, alors que de nos jours, la raison humaine, sage comme la terre, parcourt l’Écriture sainte comme l’araignée se promène sur les fleurs, voilà que leur interprétation ne peut rester univoque, car autant il y a de têtes, autant il y a de sens. Et autant il y a de sens, autant il y a d’interprétations diverses. Ce qui est « oui » pour l’un est « non » pour l’autre, et inversement, ce qui est mensonge pour ceux-là est considéré par ceux-ci comme vérité divine. Et tout ceci au sujet d’une parole et d’une Écriture uniques. Et chaque parti trouve autant de partisans qu’il en veut.
2121. (Rénover sans amender) Le monde est en effet volage, il est avide de modifications extérieures, qu’elles soient bénéfiques ou non, mais il répugne à s’amender l’intérieur ; cette idée lui est tout à fait étrangère. Pour les choses extérieures en revanche, il fait confiance à ses docteurs ès Écritures, qu’il engage lui-même à cet effet.
2222. C’est ainsi que l’homme corrompu (2 Th 2,[3]) agit selon la chair avec beaucoup de ruse, conservant par-devers lui la connaissance de l’Écriture, pour, après l’imposture de Satan, maintenir son royaume dans une unité de la chair et exclure totalement l’ Esprit, afin qu’en vérité s’accomplisse à nouveau la parole du Seigneur (Gn 6,[3]) : « Mon esprit ne demeurera pas à jamais en l’homme etc. ». Ainsi, nous qui avons tellement perdu les dons de l’Esprit saint, la richesse, la force, la puissance et la gloire des vrais Chrétiens, nous qui sommes si faibles, si désarmés, si impuissants que nous ne contrôlons même plus les cérémonies des créatures terrestres (2 Co 4,[8.9]), comment pourrions-nous donc découvrir l’insondable abîme spirituel de la science et la sagesse divine, qui ne procède pas des créatures ? Nous errons sur le parvis, ah ! Seigneur Dieu, comment donc pénétrer à l’intérieur du sanctuaire ? C’est ainsi que la connaissance controversée de la parole écrite est, aujourd’hui comme par le passé, une des principales causes de toutes les divisions doctrinales (He 4,[2]).
2323. (Définition de la parole) Si je l’appelle « parole écrite », c’est pour la distinguer de la parole vivante qui, elle, est aussi puissante, aussi efficace qu’une épée à double tranchant, pénètre âme et esprit et les sépare etc., et demeure à jamais immuable [He 4,12], C’est elle que tout homme soumis devrait commencer par attendre de Dieu dans la vérité, avec sérénité, avec calme et patience, et il ne devrait rien entreprendre, avec qui que ce soit, avant d’avoir été investi par cette force qui vient des cieux (Ac 1,[8]). Celle-ci apporte une foi aussi immortelle qu’elle et une connaissance non seulement de l’Écriture, mais aussi du mystère divin, dont elle lui ouvrira la profondeur (1 Co 2, [10]). Il sera vigilant, attendant le jour où cette force sera libérée, en des jours de malheurs, lorsque le temps du Seigneur sera accompli, pour voir si son oeuvre s’y accorde (Ep 5,[16.17]), (2 Co 6,[2]). Il sera également attentif à sa cible, soucieux de ne pas la dépasser, il connaît sa mesure et veille à n’être ni arrogant, ni servile, à n’en faire ni trop, ni trop peu (2 Co 10,[12]), il sait maîtriser le dénuement comme l’abondance (Ph 4,[12]), être tout pour tout homme et cependant demeurer indivis, être un avec l’unique et avec tous les enfants de Dieu dans une union suprême [Rm 8,16],
2424. En revanche, la parole écrite, celle de la lettre, est morte, ne pénètre rien, si ce n’est en apparence, ne sépare rien en vérité, n’a pas de force durable, et, dans la détresse, elle se dissipe comme du brouillard privé d’eau (2 P 2,[17]). Tous ceux qui, sans la force de l’Esprit, se fondent sur elle, sont aussi entêtés que les Juifs charnels dans leur connaissance, ne prêtent attention ni à la cause, ni au temps, ni à la cible, ni à la mesure, ni aux circonstances ou aux contradictions, mais crient : « Templum domini ! Templum domini ! (Jr 7,[4]), c’est là qu’est l’Écriture, c’est là qu’est la parole de Dieu ! ». Tout ne peut être pour eux que clair et lumineux. Que leur connaissance soit obscure par ailleurs, cela n’a pas d’importance. C’est pourquoi cette parole morte est incapable d’engendrer une foi vivante, car la chair et le sang ne peuvent donner la foi [Jn 6,63] ; au contraire, ils ne peuvent qu’engendrer un être qui doute, qui porte en lui le « oui » et le « non », « oui » dans le livre biblique et « non » dans son coeur (2 Co 1,[17.19]). Mais si quelqu’un nie le « non » qu’il porte en son coeur, qu’il en témoigne avec vigueur. Sinon je le reprends et dis que c’est « oui » devant les hommes et « non » devant Dieu (Tt 1,[16]). Que l’homme est empressé à apaiser son coeur, à user de la lettre comme de feuilles de figuier (Gn 3,[7]), pour couvrir la nudité de sa foi ! La chose n’en reste pas moins incertaine en soi, et même si l’homme ne le ressent pas ainsi, le temps viendra où il sera la proie du doute.
2525. (Double question) Mais j’entends quelqu’un dire : « Si la parole vivante et la parole écrite sont tellement contradictoires, quelle voix dois- je donc écouter comme la parole vivante ? Si j’entends en effet autre chose que ce que m’apprend l’Écriture, la parole écrite ne peut donc qu’être fausse ; mais si elle n’a pas d’autre sens, puis-je me contenter de la parole écrite ? »
2626. (Réponse à la première question) Réponse : la parole écrite doit témoigner de la parole vivante. Comment peut-elle donc lui être opposée puisqu’elle est sa servante, son esclave ? La parole vivante, en revanche, est libre, ne sert l’Écriture que pour l’amour, l’édification et le réconfort de ceux qui ont la vie en eux. Elle est le Seigneur (Jn 1, (1]). La parole vivante n’est donc pas en soi contraire à la parole écrite, mais elle est contraire à la mauvaise connaissance et à son mauvais usage.
2727. (Le mauvais usage de l’Écriture) Ceci se produit lorsque la parole écrite veut passer de sa fonction de servante à celle de maître, et que la connaissance humaine, se fondant sur elle sans être inspirée par la parole vivante, se charge de causes divines. Ce à quoi Satan lui-même aurait voulu amener le Christ, lorsqu’il lui dit : « Il est écrit à ton sujet etc. (Mt 4,[6]) ». Mais que la parole vivante se soit laissée ébranler par l’Écriture prouve que, de tous temps, l’Écriture est contre l’Écriture, comme pour toutes les autres choses humaines sur terre (Qo 33,[15]). Par conséquent, bien que l’Écriture ait été vraie et qu’elle ait certes parlé de Christ, le temps de la parole vivante n’était pas venu et il n’y avait aucune raison pour que les anges le portent dans leurs mains [Ps 91,11.12],
2828. (Seconde réponse) Dois-tu ou non obéir à une autre voix ? Réponse brève : à une autre et non pas à une autre. C’est-à-dire à une autre selon l’Esprit, car la voix écrite ne peut t’amener à la félicité, sinon les docteurs ès Écritures seraient les premiers à être bienheureux, alors que c’est manifestement le contraire (Mt 23,[3]). Et non à une autre selon la chair, qui n’a de pouvoir que sur ce qui vient de la chair, mais la chair et le sang ne peuvent rien pour la félicité (1 Co 15,[50]).
2929. En somme, devons-nous entreprendre de réformer utilement les offices de Dieu, de restaurer ce qui a été supprimé dans le cérémonial, d’y modifier ce qui n’est pas juste, ou encore de distinguer, par son apparence, un nouveau peuple de Dieu, etc.? Il nous faut pour cela entendre la voix qui a parlé à ceux qui, pour apporter un témoignage à toute la chair des croyants, la fixèrent, par écrit, dans la lettre. Cela ne signifie pas que Christ devrait s’adresser à nouveau à nous de façon charnelle (2 Co 5,[16]), puisque même les apôtres n’ont pas été capables de supporter ce que la chair dit à la chair : il a fallu que, par la suite, l’Esprit s’adresse à l’esprit par des langues de feu, qu’il a fallu traduire (Ac 2,[3]). Et c’est cela même que doivent attendre avec les apôtres tous ceux qui veulent remplir des fonctions apostoliques.
3030. (La parole historique) Ainsi, de tous ces événements, les apôtres ont fait un récit historique, une narration des faits, relatant comment on les avait traités, quand, où, qui leur avait fait quoi, ce que content en effet les Évangélistes.
3131. (Le livre du Nouveau Testament) Ils racontèrent en outre comment le Seigneur les a eux-mêmes acceptés et a accepté qu’ils le servent, en se fondant, non pas sur une force factice, imaginaire, mais sur une force authentique et des fait avérés, comment il a montré au monde entier qu’ils lui étaient agréables, si bien que même les docteurs ès Écritures, ces docteurs charnels, furent contraints de dire qu’ils ne pouvaient pas le nier ; et c’est pourquoi tout le livre semble être l’histoire des apôtres. C’est pourquoi aussi toutes les Épîtres s’attachent à relater comment l’apostolat a été en réalité accompli auprès des croyants, pour qu’eux aussi s’y conforment [1 Th 1,6]. De la même façon, aujourd’hui encore, nous vivons nous-mêmes comme les apôtres de notre époque qui accomplissent leur apostolat auprès de nous etc.
3232. (Remarque) Ainsi, à celui qui ne partage pas la parole vivante avec ceux dont témoigne la parole écrite, la force de l’écrit ne permet pas de changer sans erreur le culte extérieur. Cela n’engendrera que sectes et divisions, si bien qu’en fin de compte, l’un cherchera une issue vers le haut, l’autre vers le bas. Que celui à qui a été révélé le culte de Baal le fuie : restaurer les cérémonies destinées au Seigneur est la mission d’Élie (Ml 3,[23]), mission dont la spécificité demeure étemelle dans l’Esprit et la vérité, même si elle disparaît avec la chair (Mt 28,[20]). Ceci importe peu à Dieu, sinon la première Eglise n’aurait pas dû se disperser si tôt. Dieu s’attache en effet à l’Esprit, ce qu’il est (Jn 4,[24]), il connaît et reconnaît les siens, ceux qui obéissent sans cesse à sa voix (2 Tm 2,[19], Jn 10, [14]). En revanche, la spécificité et les bêtises de la parole écrite demeurent pour des siècles selon la chair, mais disparaissent pour l’Esprit avant qu’on ne le sente, qu’on ne puisse le savoir.
3333. Le témoignage ne s’oppose donc pas à la vérité des apôtres, tout aussi peu que la vérité s’oppose à leur témoignage, sauf si le témoignage est perverti aux dépens de la vérité (Mt 4,[1.11]). Dans ce cas, la vérité n’assistera pas le témoignage, cela irait contre sa nature.
3434. Je ne fais pas d’autre différence entre la parole, le verbe et la voix de l’Esprit que ne le montre ce schéma, mais je n’en refuse pas d’autre qui serait meilleur :
celle du Père est entendue l’esprit | |
La voix de Dieu | du Fils est ressentie dans l’âme de l’homme |
et du Saint-Esprit agit le corps |
3535. C’est pourquoi elle n’accomplit jamais sa course pour rien, édifie, amende, affermit [2 Th 3,1] et arme tous les enfants de lumière [Ep 5,8]. Telle est la voix prodigieuse de Dieu (Is 55,[11]), qui s’est adressée à tous les patriarches, aux prophètes, et qui, pour finir, a été entendue par l’intermédiaire du Fils [He 1,1.2], Par elle, l’Esprit saint a parlé aux apôtres, aux Évangélistes, aux Pasteurs et à tous ceux que Dieu notre Seigneur a envoyés pour enseigner, ceux que Dieu, notre père céleste appelle (Mt 20,[1]), que le Fils justifie, habille et chausse (Is 52,[7]), que l’Esprit saint oint, confirme, guide et inspire dans tous leurs faits et gestes (Rm 10,[15]). Mais la façon dont l’Esprit entend cette voix, la façon dont l’âme la ressent, dont elle agit dans la chair pour séparer l’esprit de l’âme, pénétrer les articulations et la moelle (He 4,[12]), et la façon dont elle a réellement pu démettre la hanche de Jacob (Gn 32,[26]) est inexprimable, car les actions divines sont d’une nature si prodigieuse que leur force se comprend mieux par l’expérience qu’à l’aide de paroles. C’est pourquoi, je recommande aux justes de guetter l’Esprit, de lui prêter une oreille attentive, dans la crainte de Dieu.
3636. Face à elle s’élève encore une autre voix, tout à fait contraire à celle dont je viens de parler, si tant est que quelque chose puisse s’y opposer. C’est celle-ci :
de la lettre ne s’entend pas | |
La Voix de la créature | de l’homme n’est pas ressentie en l’homme |
du Malin n’agit pas |
3737. C’est pourquoi elle n’engendre jamais de fruit pour la vie éternelle. La voix de l’Écriture peut bien être vue (puisqu’elle se trouve matériellement devant nos yeux), mais pas entendue pour elle-même tant qu’elle n’est pas animée par voix de la créature vivante. (Homme) La voix de l’homme peut être entendue, mais pas ressentie, c’est-à-dire (comme on dit) qu’elle entre par une oreille et sort par l’autre. (Satan) La voix du Malin, elle, peut bien être ressentie puisqu’elle pénètre souvent, par de mauvaises paroles, si profondément en l’homme en colère, qu’il en change de couleur. Pendant des années, elle ne faiblit pas, mais elle ne fait rien qui puisse compter comme fruit de la justice et de l’édifice divin, au contraire, elle s’efforce autant qu’elle peut de détruire l’oeuvre de Dieu, ce qui est pire que si elle n’avait aucun effet.
3838. Les oeuvres des ténèbres ne sont rien devant Dieu. Par les diverses voix des créatures se manifestent aujourd’hui tous les faux apôtres (2 Co 11,[13]), les prophètes imaginaires, les Évangélistes de la chair, les pasteurs élus uniquement par des hommes, les maîtres empressés auprès d’eux-mêmes. Dieu, dans sa pitié paternelle, révèle aujourd’hui leurs oeuvres mortes, l’insolence avec laquelle ils s’octroient la science divine, se chargent de ministères divins, et montre leurs fallacieuses louanges de sa parole : il les dévoile aux yeux des hommes bien plus qu’il n’est nécessaire de le dire ici. Mais j’ai voulu les dénoncer brièvement, pour répondre à la question concernant la différence entre les voix, pour contenter mon bon ami et très cher frère Caspar Schüssler qui m’en a le premier fait l’objection. Que le Seigneur nous donne des oreilles prêtes à recevoir l’Esprit.
Troisième Thèse
Le fait que personne ne veuille renoncer à ce qu’en vérité il ne peut avoir, et que personne ne recherche ni ne désire du fond du coeur ce sans quoi il ne peut accéder à la béatitude est cause de nombreuses divisions
3939. Ainsi, sur la base de toutes ces divisions en matière de doctrine (la parole écrite, le testament historique et les voix des créatures) se construit désormais la Tour de Babel (Gn 11,[1.9]) ; et bien que le monde entier travaille à cette entreprise, ceux qui s’y empressent le plus parmi nous qui nous réclamons de Christ, ce sont principalement quatre sectes qui, telles les quatre vents de Daniel, se livrent combat sur la vaste mer de ce monde tumultueux (Dn 7,[2]). L’une construit plus haute que l’autre, c’est vrai, mais comme ses bases ne sont pas saines, sa chute n’en sera que plus grave. Mais c’est ainsi que s’élève cet édifice.
4040. L’Écriture dit comment Dieu a édifié la cité sainte [Ap 21,2] de la communauté chrétienne qui, depuis le début avec Abel le Juste (He 11,[4]) jusqu’à la fin du monde, fut, est et demeure éternellement intacte dans l’Esprit et dans la vérité auprès des compagnons de l’Agneau immolé (Ap 5,[6], 14,[4]) – cité qu’il a, dans les derniers temps, construite extérieurement aussi, avec foi et amour, par l’intermédiaire du Christ, dans l’Esprit saint (Ac 2,[17.18]). Elle dit aussi comment il l’a pourvue de serviteurs, de guetteurs et de veilleurs auxquels (parce que l’édifice devait aussi briller extérieurement à son époque, pour témoigner de son triomphe sur tout ce qui est chair) il a donné, comme modèle, deux pratiques extérieures : à ceux qui débutent dans la foi, le baptême, et à ceux qui progressent dans l’amour, la cène (Ac 2,[38.42]). Et ce afin que, s’étant lavés, ayant été purifiés par la foi en Jésus-Christ, ils soient un avec Dieu dans l’amour de l’Esprit saint, et que, tels des grains de froment moulus pour faire un seul pain, ils soient un avec les hommes, tout comme Christ et le Père sont un (Jn 17,[21]), qu’ils proclament la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne etc. [1 Co 11,26] et qu’ainsi, de même que Christ n’est qu’un avec son père (Ep 4,[12]), ils se fondent les uns dans les autres (1 Co 12,[12])7.
4141. Cependant, parce que, depuis ce temps, ceux-ci et ceux qui ont été instruits par les hommes s’opposent en toute chose autant que l’Esprit et la chair, la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, les apôtres et les serviteurs du Dragon sont apparus (2 Co 1 l, [13]), [Ap 12,9] (et au lieu de verser tant de larmes, de pester et de railler, il y aurait peut-être eu mieux à faire depuis tout ce temps). Et l’enfant, dans sa détresse, a été enlevé vers le trône de Dieu, la femme exilée au désert (Ap 12,[6]) et la ville sainte s’est à nouveau éloignée dans l’Esprit. Mais cela n’a pas empêché les faux prophètes de poursuivre leur construction. Et de même qu’ils ont altéré toute chose, ils ont aussi altéré le baptême et la cène du Seigneur, comme on rafraîchit un mur en le passant à la chaux (Ez 13,[10]).
4242. La restauration de cet édifice est une tâche qui préoccupe aussi beaucoup les trois autres sectes qui, pour édifier les murailles de la ville qu’elles s’imaginent construire, ne veulent renoncer ni au baptême, ni à la cène, choses qu’en vérité elles ne peuvent avoir (comme ceci va apparaître plus clairement par la suite) ; mais elles fuient le baptême de l’Esprit, la nouvelle résurrection, ne veulent pas mourir ni être ensevelies avec Christ etc. (Rm 6,[4]), ce sans quoi personne n’atteint la béatitude (Jn 3,[5]). C’est même pour beaucoup un objet de raillerie, et le mot « Esprit » leur semble une obscénité. Et c’est pourquoi ces sectes préfèrent instituer une autre cène plutôt que d’attendre, en endurant la faim et la soif, la cène du Seigneur.
4343. (Objections, etc.) Or, si quelqu’un prétend avoir à la fois le spirituel et le matériel, sans le prouver avec Dieu et la vérité vivante, qu’il prenne garde à ce que son bien spirituel ne soit pas qu’une certitude insolente, et à ce que son bien matériel ne soit pas que sa propre présomption, dénuée d’inspiration vivante. A mon sens, Dieu ne nous a pas dégoûtés de nos vieilles citernes pour que nous en creusions de nouvelles (Jr 2,[13]), pour qu’à notre idée, selon ce que nous puisons dans l’Écriture, nous supprimions une abomination pour en instituer une autre, mais pour que nous brûlions de boire à la source vive (Is 55,[1]). Pour qu’ainsi, nous étant détournés de l’abomination que nous reconnaissons, nous continuions, dans les soupirs, les plaintes et les supplications, de l’inciter à nous ouvrir les trésors de sa grâce (Le 11,[9]). Mais comme tout se fond dans son contraire, et que l’eau, le pain et le vin de l’amour et de l’unité donnent lieu à toutes les haines, toutes les divisions et tous les déchirements, quel peut être alors le Dieu doux et fidèle ? Il me semble pourtant que c’est ainsi que, sur les fondations, se développent les divisions qui sapent l’édifice.
4444. (Présomption etc.) L’intelligence humaine est, surtout de nos jours, si habile, comparée à la chair, qu’elle ne se contente plus d’abuser les autres, mais qu’elle s’abuse aussi elle-même quant à la parole écrite, se persuadant qu’elle a la connaissance divine, comme si elle avait vu dans le coeur de Dieu. C’est en particulier lorsque le tas de ruines s’aplanit et que l’édifice commence à sortir de terre (Jr [30,18]), qu’elle s’enhardit à faire ce qu’elle veut, comme elle le veut, selon ce qu’elle trouve dans l’Écriture ; or, Dieu ne lui en voudrait peut-être pas pour cela, surtout si cela s’accompagne d’un juste souci pour la loi du Seigneur. Mais elle n’en reste pas là, se prend à mépriser ceux qui ne sont pas de son avis (qui vivent selon une autre connaissance de l’Écriture, par exemple), à déverser sur eux des jugements qui les condamnent.
4545. Le Seigneur de justice ne les laisse pas poursuivre dans cette voie. Par conséquent, celui qui n’éteint pas entièrement la mèche fumante (Mt 12,[20]) exerce sa clémence. De son école, il envoie à la raison humaine un petit problème dans lequel il n’est question que des créatures avec lesquelles nous vivons chaque jour, lui demandant dans quelle mesure celles-ci, avec leurs coutumes, pénètrent les affaires invisibles de l’Esprit (ce que nous-mêmes, avec l’aide de l’Écriture, nous imaginons maîtriser), ce qu’elles valent devant Dieu ; ils met à l’épreuve ceux qui, forts de leur connaissance de l’Écriture, se présentent comme des maîtres et prétendent ainsi être la bouche de Dieu (Jr 15,[19]), il leur demande s’ils savent distinguer ce qui est sans valeur de ce qui est précieux, et montrer l’accord des choses spirituelles avec les hommes de l’Esprit, etc. (1 Co 2,[13]). Et alors, notre raison si fine et si versée dans l’Écriture se débat, erre, s’empare d’un texte après l’autre, met en oeuvre toute sa grande science, mais ne parvient cependant pas à trouver ce qui lui faut.
4646. (Sainte Écriture) Pourtant, chacun prétend être certain de sa connaissance, malgré la grande variété de celle-ci sur terre ; tous se réclament d’un même document dont ils ne peuvent briser le sceau. C’est pourquoi, parmi les sectes, il n’en est pas une seule (je le crains) qui soit dans la vérité, comme devraient l’être ceux qui ont une réelle connaissance spirituelle ; elles peuvent se vanter autant elles le veulent, l’Écriture les dément toutes. Cependant, c’est le vaincu qui a ici l’avantage, car les armes de la chair devront céder à celles de l’Esprit et il aura alors plus de raisons d’appeler Dieu à son secours et d’en espérer une réponse. Bien qu’en fait le « oui » chez l’un signifie « non » chez l’autre et qu’il n’y ait de réelle lumière nulle part, chaque parti trouve cependant de nombreux partisans, car la chouette du monde préfère les ténèbres à la lumière (Jn 3,[19]). C’est ainsi que naît la division, si bien que plus personne ne se comprend et qu’il en résulte une véritable Babel. Dans le mot corpus, l’un comprend « la chair », l’autre le « pain », et le troisième la « chair » et le « pain » etc.
4747. (Cause des autres divisions) Et nous avons bien mérité un tel latin puisque nous en sommes les seuls responsables avec nos discordes, notre zèle obtus, notre curiosité et notre impudente présomption en matière d’affaires divines. Voilà pourquoi, parmi les nouvelles Églises, celles qui ont été transformées ces dernières années, il est rare de trouver dix personnes qui soient d’accord en tous points quant à la vérité (en particulier en ce qui concerne le baptême et la cène) ; sauf lorsque, ce qui est fréquent, l’un s’en remet à l’autre, ou bien, par souci de plaire, croit celui qui est le plus instruit, ce qui contribue grandement à conforter dans leur ancienne erreur ceux qui s’y trouvent. Or, si la connaissance nous manque en ce qui concerne l’eau, le pain et le vin que nous avons devant nous, ah ! Seigneur Dieu, qu’arriverait-il si on nous présentait les trésors et les richesses de la sagesse et de la profondeur de la divinité étemelle (Rm 11,[33]) ?
4848. Il faut donc vraiment (chers amis) bien méditer toutes choses en étant attentif à Dieu, en veillant, en le priant et en le craignant, et ne pas prononcer contre quiconque de jugements hâtifs et intempestifs qui nous conduisent à le condamner (1 Co 4,[5.6]), avant que ne vienne celui qui, seul, peut séparer le mensonge de la vérité. Souhaitons que cela se produise prochainement par la grâce.
Quatrième Thèse
Celui qui avait le pouvoir de remédier aux divisions n’en a distingué aucune, mais a trouvé son unité au milieu de la division
4949. Les divisions procèdent différemment avec les boucs à la nuque raide (Ac 7,51) du monde (Mt 25,[32]), [Ex 32,9] et avec les agneaux que le bon pasteur ramène tous les jours à son petit bercail (Jn 10,[16]). Et inversement, dans les divisions, la nature pervertie ne se comporte pas du tout comme le coeur juste. Tout ceci se révèle de soi-même lorsqu’on réfléchit sérieusement aux raisons pour lesquelles Dieu a voulu que surviennent divisions (comme dit Paul (1 Co 11,[18])) et discordes (comme les annonce Christ Mt 10,[34.36]).
5050. (Le monde) Premièrement, il me semble que si tant d’hommes pieux et droits se perdent dans ces divisions, c’est parce que le Dieu fidèle veut ainsi mettre en garde le monde et lui montrer, fût-ce dans le sang, avec quelle impudence il traite ses mystères spirituels qu’ils a confiés à ses Élus, et non pas au monde.
5151. (Sacrements) Or, ce dernier se les approprie de son propre chef, comme s’il en avait hérité, et en use comme bon lui semble ; c’est pourquoi la sentence que le monde prononce envers les hommes sera aggravée et retournée contre lui.
5252. (Les docteurs ès Écritures) Deuxièmement, après avoir laissé la chose se développer un moment, Dieu a voulu faire passer à notre raison si fine et si versée dans l’Écriture son ardeur pour la parole écrite, en faisant qu’elle soit, un jour, humiliée par elle-même, en la laissant étudier ses projets (dans lesquelles elle s’imaginait en fait restaurer un culte extérieur) sous tous leurs aspects, alors qu’aucun d’eux ne menait à rien ; pour qu’enfin elle se rende de son plein gré et attende son Dieu dans un abandon authentique. Voilà ce que Dieu, de son côté, attend patiemment, dans sa grande clémence et sa grande mansuétude, lui qui, dans son amour authentique, ne recherche pas son propre intérêt, [1 Co 13,5] et, pour cette raison, pour favoriser notre salut et par ce que vaut l’aujour- d’hui (He 3,[13]), accepte toujours de bonne grâce d’être le dernier (Rm 9,[22.24]).
5353. (Les Anabaptistes, etc.) Troisièmement, les divisions servent tout particulièrement ceux qui, s’étant distingués par exemple par des cérémonies extérieures, s’en servent de prétexte pour se justifier. Ainsi, ils professent qu’il ne faut juger personne, si ce n’est soi-même. Ils ne laissent qu’au Seigneur (1 Co 11 , [32]) le droit de distinguer entre les justes et les impies ce qu’il révélera en son temps, etc (Mt 13,[40.43]).
5454. (Les Papistes, etc.) Quatrièmement, bien qu’ils n’aient aucune certitude quant à leur connaissance, ils continuent à leur gré à manier la parole écrite et le testament historique (qui ont été confiés, pourtant, à d’autres qu’eux) avec impudence, comme s’il ne pouvait y avoir aucune imperfection, comme si Satan était déjà mort, les Philistins et tous les ennemis vaincus [2 Th 2,3], Qu’ils prennent garde toutefois aux raisons qui les font agir ainsi. Et ce d’autant qu’ils usent de violence pour imposer leurs divisions. Car tant que la voiture roule régulièrement, on ne cesse d’avancer, mais qu’elle s’arrête, et c’est alors qu’on s’interroge et c’est souvent alors que l’on souffre d’avoir perdu ce dont on n’avait jamais manqué.
5555. (Les Sacramentaires) Cinquièmement, ils deviennent plus prudents, apprennent à mieux reconnaître les ruses de Satan, se retirent de toutes les sectes, pour ne pas chercher Christ partout (Mt 24,[25]) où l’on sonne de la trompette (Mt 24,[31]), pour ne montrer en fin de compte qu’une peinture du royaume des cieux, etc.
5656. (Tous, etc.) Sixièmement, ces derniers temps, en cette époque terrible où le mal gagne du terrain, il est plus probable que tous les partis qui prennent part aux divisions soient injustes plutôt qu’il y en ait un de juste, même si nombre de ceux qui sont riches en Écriture mais pauvres en science ont raison, par la lettre, de leurs frères en folie. Il n’en reste pas moins que, comme jadis parmi les vrais Chrétiens, se manifestaient ceux qui étaient éprouvés, il arrive aujourd’hui encore que parmi les prétendus Chrétiens se manifeste une nature juste. Dans chaque division, en effet, se font jour des erreurs pour lesquelles la nature juste (1 Co 11,[19]) accepte de bon gré de prendre sur elle la honte, lorsqu’elle s’en trouve entachée. Elle se réjouit de porter sur son visage, pour la gloire de Dieu, le rouge de la honte (Dn 9,[8]), reconnaît ses erreurs et ses défauts si cela est nécessaire, s’en remet à la fidélité du Seigneur, qui la fait ainsi passer dans un état meilleur et elle continue ainsi sans cesse à progresser.
5757. (Couverture de la chair) Mais les autres ne veulent pas être humiliés, ils se défendent jusqu’au bout avec emportement, colère et fureur, etc. contre les témoignages qui les accablent. Et même si, dans leur conscience, la honte est près de l’emporter, ils invoquent cependant tous, pour se couvrir, qui une longue coutume, qui l’Écriture, qui les Pères, qui l’exemple des apôtres, etc. Et ce, jusqu’au jour où ils doivent subir la justice divine et répondre aux questions de savoir qui leur a confié leur ministère, qui les a confirmés dans leur démarche et qui leur a donné leur force. Et ils auront beau dire alors : « Seigneur, nous n’avons prophétisé qu’en ton nom et chassé les démons que par ta force, etc. (Mt 7,[22]) », ils L’entendront cependant dire qu’Il ne les connaît pas (comme j’en ai parlé au début), qu’il ne les a pas acceptés, car leur soumission était sans fondement, etc.
5858. (Obstacles) Ainsi les divisions que Satan suscite pour le pire, Dieu les transforme pour le plus grand bien pour ceux qu’Il aime (Le 22,[31.32]). C’est pourquoi, dès lors qu’ils les perçoivent, ils s’empressent de retrouver l’unité en eux-mêmes, en dépit de toutes les divisions de la chair qui existent sur terre.
Cinquième Thèse
De même que le zèle éclairé par la connaissance nourrit l’esprit et ronge la chair, le zèle obtus ronge l’unité et nourrit toutes les divisions, dans lesquelles l’esprit disparaît et les cérémonies deviennent oeuvres de la chair. En somme, qui est donc divisé ?
5959. (Quatre partis) Comme tout ce qui n’est pas véritablement uni au Dieu unique par l’unique Seigneur Jésus-Christ, dans l’unique Saint-Esprit est divisé, que chacun commence par s’interroger, qu’il soit papiste, luthérien, zwinglien ou anabaptiste (puisque c’est ainsi que le monde les appelle), et voie si son coeur est étranger à toute division. Qui d’entre nous, en effet, n’a pas été plus ou moins lié à l’un, l’autre, ou même plusieurs de ces partis ?
6060. [Proverbes)8 Or on dit, et c’est vrai, que l’erreur est humaine, mais que l’entêtement dans l’erreur est diabolique, et la chute est d’autant plus grave que l’on était consentant.
6161. Je pense que le Dieu juste et fidèle ferme encore une fois les yeux, avec encore plus de clémence qu’auparavant, sur cette époque de l’ignorance, de l’erreur involontaire (Ac 17,[30]), et offre à tous les hommes, en eux-mêmes, de s’amender. Je vois s’éveiller un zèle, bénéfique pour tous ceux chez qui il ne devient pas chair et sang, mais esprit et vie. Et quel qu’il soit, puisque le Seigneur l’a fait naître, je m’en remets à sa bonté.
6262. (Zèle authentique, etc.) Or, le zèle authentique, celui qui tend vers Dieu (à ce qu’il me semble) échappe à toutes les créatures, aux éléments et tout ce qui n’est pas précisément le Seigneur bien-aimé lui-même. Un tel zèle est uni, il tend vers l’unité.
6363. (Son épreuve) Il subit avec succès l’épreuve à laquelle il est soumis, où il est examiné de fond en comble et, à la fin, il n’est pas divisé en deux. Cette épreuve, ce sont les vents, les tempêtes et les trombes d’eau qui frappent la maison avec une ruse et une fureur sataniques (Mt 7,[25]). Et comme l’air attise et disperse le feu, les vents des doctrines étrangères se lèvent très bientôt pour disperser le zèle qui tend vers le bien. Le zèle fourvoyé, celui qui tend à la justification par les éléments et qui vise un culte extérieur, c’est la violente tempête qui détourne le zèle spirituel et bien souvent l’emporte avec lui (Ep 4, [14]). C’est ce que je suis devenu pour vous : se trouve des excuses qui veut. Les trombes d’eau, c’est la persécution destinée à étouffer le zèle.
6464. (Les premiers manquent de crainte) Celui qui se laisse ballotter par chaque vent qui agite la doctrine est divisé (cela ne peut manquer) car il n’a pas encore réellement distingué la doctrine unique des multiples doctrines. Il lui manque la crainte de Dieu, qui, même dans la certitude, fait accomplir toute chose en tremblant.
6565. (Les deuxièmes) Celui qui, pour une cérémonie quelconque, dut- elle avoir été prescrite par le Seigneur pour une raison spécifique, déverse son zèle contre le monde sans avoir eu de révélation, lui disant comment, où et avec qui elle doit être célébrée, est divisé. Car bien qu’il sache, par le témoignage de l’Ecriture, que la cérémonie en soi, chez les justes, ne déplaisait pas à Dieu, il ne sait cependant pas, puisqu’on a perdu la coutume authentique, si c’est ainsi ou autrement que cela plaît à Dieu, ni si c’est le bon moment (2 Co 6,[2]), celui que Dieu a choisi pour une telle restauration, car il ne faut arriver ni trop tôt ni trop tard, ni avant ni après Christ. Et il ne sait pas non plus si Dieu voulait cette restauration ou non.
6666. (Sagesse) Ainsi, là où il n’y a pas de certitude en toutes circonstances, manque la sagesse divine. C’est donc qu’il y a incertitude et donc doute et découragement, auxquels succède la division, les uns révélant ainsi l’autre.
6767. (Les troisièmes) Celui qui, dans son zèle, affirme savoir que telle célébration plaît à Dieu, car il s’agit d’une oeuvre extérieure accomplie avec la chair, celui-là doit témoigner extérieurement aussi, d’une façon intelligible pour la chair, de l’assurance de sa démarche (1 Th 1,[5], 2,[9.10]), sinon, qu’on le laisse à sa certitude. Mais s’il tente de convaincre quelqu’un d’autre (d’aucuns appellent cela « témoigner »), il faut alors aussi donner des certitudes à celui-là, sans quoi, il s’attachera à l’incertain et sera divisé dans cela même qu’il croyait être l’unité.
6868. (Deux sortes de zèle) Mais je songe ici à deux sortes de zèle : l’un vise sans médiation le coeur, la partie la meilleure de l’esprit (Le 10,[42]) ; son besoin impérieux s’élève avec tant de fougue, à la manière des justes, qu’on le dirait (pour ainsi dire) contraint d’y tendre assi- dûment, c’est-à-dire qu’il languit, soupire et souffre pour Dieu (Rm 8,[22.23]) ; l’ardeur de l’un peut surpasser celle de l’autre, mais chacun s’approche du feu dévorant (He 12,[29]), et, selon le moment, l’un peut s’en approcher plus que l’autre, mais les contraires se retrouvent et ce zèle-là ne peut jamais être dans l’erreur, etc.
6969. L’autre [zèle] aussi aspire à Dieu, mais par la médiation des créatures, des lois, des cérémonies ou du culte. Celui-ci non plus n’est pas mauvais en soi, s’il ne se laisse pas, tel un oisillon imprudent, attirer hors du nid de son abandon (comme j’en ai parlé tout à l’heure) par l’appeau de Satan, que, grâce à Christ, il reconnaît facilement (Mt 4,[1.11]) ; et s’il ne se contente pas d’écouter le timbre de cette voix, mais qu’il est attentif à toutes les circonstances, aux causes, au temps, aux contradictions, aux missions et à sa situation dans son ensemble, à la façon dont il se tient devant Dieu ; sans cela, il ne s’agira que d’un zèle obtus (que certains, peut-être du fait de la conjonction des forces, appellent instinct) pour lequel l’Écriture n’est qu’une idole, un maître complaisant.
7070. (Singularité de ce zèle, etc.) Je ne peux taire une particularité étonnante de cette sorte de zèle, car lorsqu’on lui résiste en lui opposant la vérité, il devient hostile, s’emporte dans des disputes, des querelles violentes ; mais face à un mensonge proféré ouvertement, il n’a pas la moindre parenté avec la vérité divine, et c’est pourquoi il n’est pas donné à tout un chacun de le distinguer. Car ce n’est souvent que lors de sa dernière heure, lorsqu’il est sous l’emprise des ténèbres et qu’il est probablement presque perdu, que Dieu lui fait grâce, lui prend ce dont il ne voulait pas se passer auparavant, mais qui ne lui sert à rien pour son salut, et il lui donne ce qu’il pensait auparavant posséder, alors qu’il n’en avait pas du tout (Mt 16,[25]).
7171. (Abandon en Dieu) Les Juifs en sont un exemple : la grande constance avec laquelle ils témoignèrent souvent contre les païens et contre les apôtres encore, leur déchaînement, leur fureur, et leurs imprécations étaient l’expression de leur meilleur zèle pour Dieu, eux qui, pour justifier leurs sacrifices et leur circoncision, avaient plus de textes (disant qu’ils seraient étemels) que nous n’en avons sur le baptême et la cène. Mais comme aucun prêtre authentique, aucun prophète, aucune révélation divine ne guidait plus de leur culte et que leur zèle ne faiblissait cependant pas, c’était (comme le dit Paul) un zèle obtus, un zèle que n’éclaire pas la connaissance de Dieu9 (Rm 10,[2]).
7272. (Connaissance) Pardonnez-moi, chers frères, mais où sont nos apôtres, ceux que Dieu a instruits ? Les pasteurs, nommés par Christ ? Les prophètes oints par l’Esprit saint ? Les évangélistes sont innombrables, mais qui les a envoyés pour évangéliser ? Je ne veux rien refuser à personne, mais j’aimerais bien que l’on ne donne pas à quelqu’un ce que Dieu lui a refusé. Nous disons bien tous qu’il y a assez longtemps qu’on nous abuse, et ce n’est hélas que trop vrai ; mais quand donc cesserons- nous de nous abuser nous-mêmes ? Dieu a à peine le temps de nous révéler l’imposture d’un apôtre, que nous en élisons un autre que nous engageons à notre service, bien souvent encore plus faux que le précédent, pour le remplacer, comme si le Seigneur ne pouvait prendre soin de nous sans serviteur et qu’en plus, il devait supporter celui qui nous plaît.
7373. (Le bon zèle) Les justes eux aussi s’inquiètent beaucoup des faux prophètes, ainsi que des altérations apportées au culte extérieur, mais ils n’entreprennent pas d’y changer quoi que ce soit par eux-mêmes. Au contraire, ils s’en plaignent à Dieu, dont ils attendent avec ferveur le moment qu’il aura choisi pour les amender dans sa grâce. Si ce moment ne vient pas, ils ne s’estiment pas dignes non plus du temps présent. Tel est le zèle qui anima Daniel, Ésaïe, Jérémie et tous les hommes de Dieu. Ne pensez-vous pas qu’Élie portait depuis longtemps en lui un zèle, un désir sincère d’exterminer tous les prêtres de Baal, de restaurer le véritable sacrifice de Dieu et qu’il disposait non seulement d’assez de textes décrivant ce qui devait être, mais aussi de sa connaissance de prophète ? Et pourtant, il ne fit rien, conservant tout pour lui-même, et demeura dans sa grotte, jusqu’à ce qu’il reçoive un signe manifeste lui confiant un ministère public (1 R 19,[15]). Que chacun agisse de même avec son zèle. Car le Seigneur sait bien ce qu’il faut aux siens (2 Tm 2,[19]), il n’a pas besoin de ton discours sur la propriété. Mais ceux qui ne sont pas les siens, même si tu possédais toute la science du monde, tu ne pourrais pas les faire s’amender, cela ne dépend pas de la persuasion.
7474. (Les quatrièmes) L’un, à cause des trombes d’eau et des inondations, c’est-à-dire parce qu’une cause est persécutée dans le monde, même si elle est tout à fait juste et qu’elle plaît à Dieu, croit (à la manière des bons qui souffrent toujours avec les vaincus) et réagit ici selon ce principe ; l’autre méprise une cause parce qu’elle est persécutée et la condamne injustement en tous points (à la manière des méchants qui disent toujours : si non esset hic malefactor (Jn 18,[30]), c’est-à-dire, « s’il était aussi juste qu’on le dit, on ne le tuerait point »). L’un et l’autre sont divisés, mais de façon différente, l’un étant en effet plus fourvoyé que l’autre.
7575. Les uns posent leurs fondations personnelles sur une assurance étrangère. Or, personnelle et étrangère sont synonymes de division. C’est pourquoi, quand le besoin s’en fait sentir, elles se séparent l’une de l’autre. (La persécution actuelle) Les autres prennent sur eux le sang versé du fait de toute l’iniquité, puis endurent la persécution des ténèbres du mensonge. Et même si, chez eux, tout n’est pas encore aussi lumineux, le soleil de justice [Ml 3,20] peut bien parfois, leur dernière heure arrivée, balayer le bûcher, disperser les nuages de fumée et effacer ainsi la désolation causée par une sentence intempestive (s’il ne survient pas d’autres raisons de souffrir). Si bien que leur mort est tout de même comme une odeur agréable à Dieu notre Seigneur [Ep 5,2], assurant la vie à ceux qui donnent aux justes un exemple et au monde un témoignage retentissant.
7676. (Les cinquièmes) Celui qui ne se contente pas d’adorer et de glorifier Dieu dans l’Esprit et la vérité (Jn 4,[23.24]), mais lie l’être invisible de Dieu aux éléments visibles, ce qui est céleste à ce qui est terrestre et mêle le charnel au spirituel (Mt 4,[3.4]), celui-là est divisé. En effet, il ne se contente pas de recevoir Dieu sans médiation en Christ, Jésus-Christ dans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit dans la grâce que Dieu lui donne, cette force invisible, indépendante de la chair et cependant perceptible qui vient de notre Père céleste. Tout au contraire, il veut trouver Dieu en Christ par la médiation des éléments, il veut que les éléments soient pour lui Christ lui-même, son corps, son essence. Ce n’est pas dans la parole vivante du Père, mais dans la lettre morte de l’Écriture, dans son timbre charnel, qu’il veut recevoir, s’approprier le Saint-Esprit.
7777. (Voici l’exemple inverse) Oh quelle terrible division, celle que le monde prend pour la meilleure union sur terre (1 Jn 1,[3]) ! Elle est divisée par le Père, qu’elle n’adore pas sans médiation dans le Fils, divisée par le Fils, qu’elle ne glorifie pas sans médiation dans le Père et comme le Père, divisée par le Saint-Esprit, qu’elle ne recherche pas en lui-même, c’est-à-dire en Dieu, mais qu’elle cherche en l’homme ; divisée par tous les Saints, qui ne se prosternent que devant le trône de Dieu (Ap 14,[3]) et rendent gloire à celui qui vit et règne en toute éternité. Alors que ceux qui sont ainsi divisés se prosternent devant les éléments de cette terre (Is 2,[8], Jr 1 , [16]) et disent à l’oeuvre de leurs mains : « Mon Dieu et mon sauveur, c’est toi mon Seigneur ! ». (Crainte, etc.) En vérité, celui qui veut s’arracher à cette puissante division a bien besoin de la force de Dieu dont ceux-là se moquent.
7878. (Les sixièmes) On trouve beaucoup d’hommes, qui disent qu’ils veulent s’en remettre, pour le salut de leur âme, aux prêtres et aux érudits et que, s’ils sont de mauvais guides, ils devront en répondre, etc. Ceux-là ne sont pas moins divisés que les précédents, ce sont des hommes d’une vile vanité (Sg 13,[1]), qui ne se donnent pas grand peine à acquérir la science. Mais l’heure viendra, les prenant par surprise, où personne ne parlera pour les défendre, mais où il leur faudra comparaître eux-mêmes devant le Seigneur (Rm 14,[10], 2 Co 5,[10]). Le fait qu’ils ne virevoltent pas parmi les nouvelles divisions ne les rend pas meilleurs, car cela prouve seulement que leur zèle n’aspire pas précisément à la vérité de la science divine (comme celui des précédents, bien qu’il y tende sans la connaissance), mais aux doctrines mensongères des hommes, parmi lesquelles nous avons tous grandi. Dieu, aie pitié de nous !
7979. (Les septièmes) Il y a cependant une autre division funeste : celle des hommes qui, en quelque sorte, observent, examinent, étudient les divers partis. Et partout leur sont révélés des défauts, des imperfections, des manques, si bien que, libérés de toutes les divisions, unis en eux-mêmes, ils pourraient se préoccuper avec d’autant plus de sérieux de ce qui est un. Mais alors, ils se méprennent et s’installent dans un repos charnel, ne demandant que rarement qui est pauvre, affamé, prisonnier, nu, miséreux, qui pourrait avoir besoin de leur aide [Mt 25,35.39].
8080. (Le vrai culte) Et voilà que sous couvert de la liberté du juste, se retrouvent toute l’impudence, la volonté arbitraire, l’arrogance, l’avarice, etc., comme s’il suffisait d’éviter le faux culte et s’il ne fallait pas plutôt s’attacher au vrai culte. Celui-ci consiste à rendre visite aux veuves et aux orphelins et à se préserver de la souillure de ce monde (Je 1,[27]). Nombreux sont ceux qui ont acquis par l’expérience de grandes connaissances, c’est vrai, mais sont-elles authentiques pour le Seigneur ? Je m’en remets à Lui sur ce point, car cela me concerne aussi. Celui qui n’est pas un dans ce qui est un est divisé, même s’il ne veut plus rien savoir d’aucune division par ailleurs. C’est au fruit que l’on reconnaît l’arbre [Mt 12,33]. Celui qui reçoit beaucoup, à celui-là, on demandera beaucoup [Le 12,48], quelle qu’en soit la source, car, pour le bien, il n’y a pas plus d’une source.
8181. C’est ainsi, hélas, que le monde entier est déchiré, divisé, disloqué ; il gît, démembré, dans le mal (1 Jn 5,[19]), s’y empêtre et s’y enferre, d’autant plus que le temps passe, jusqu’à ce qu’enfin, sous le poids de sa propre faute, il s’effondre dans un grand fracas (2 P 3,[10]). C’est pourquoi la béatitude divine est bien loin de notre monde terrestre, et chacun, à notre manière, nous nous en éloignons tous si bien que, dans le règne terrestre de cette chair mauvaise, aucun de nous ne peut se vanter d’être meilleur que l’autre.
Conclusion
8282. Que le monde soit déchiré en de si nombreuses sectes, cela n’est pas étonnant, car il a tant de dieux et de seigneurs (1 Co 8,[5]), sans parler des armées de l’Antéchrist, que tout ne peut qu’aller de travers, car personne ne peut servir deux maîtres (Mt 6,[24]) qui aspirent à des choses si différentes. Mais, venant de ceux qui, s’étant détachés du culte vil et servile qui est celui du monde, dans la foi et peut-être aussi par des cérémonies extérieures, se sont abandonnés et liés, dans une union supérieure et (comme chacun le pense en lui-même) la meilleure de toutes, à un Dieu et Seigneur unique ; venant de ceux-là, je dis que les divisions sont étonnantes.
8383. Et cela devrait inciter tout homme craignant Dieu à s’interroger, à réfléchir sérieusement et à prier Dieu avec ferveur pour qu’il l’éclaire et lui permette de comprendre les causes, les raisons de telles divisions ; car ce n’est qu’en Lui qu’il trouvera la lumière et non pas dans cet écrit ni dans d’autres, qu’il trouvera dans quel but, enfin, le Seigneur les utilise, à qui elles font du bien ou du tort et comment celui qui veut que ses actes soient justes doit se comporter, parmi ces divisions ou vis-à-vis d’elles.
8484. (A quoi sert cet écrit) Car cet écrit, fondé sur ma propre expérience, personne ne doit le comprendre autrement que comme les cris d’un homme qui, en chemin, s’est aperçu de ses défauts et de ses errements et qui, pour cette raison, alerte celui qui le précède et avertit celui qui marche derrière lui, afin que, ensemble, ils demandent à Celui qui ne peut se tromper [Jn 14,6] quel est le bon chemin. Dieu sait combien m’était étrangère l’idée que la route sur laquelle j’ai risqué mon âme, mon corps et ma vie, ne serait pas absolument droite. Mais telle est la volonté du Seigneur : que moi, qui, longtemps, marchais ignorant parmi les premiers, je marche désormais, raisonnable, parmi les derniers, déployant ainsi sur mon visage le rouge de la honte dont je suis bien digne, et que je sache quitter la cathèdre et redescendre m’asseoir par terre auprès des disciples parmi les derniers des derniers. Puisse le vrai maître prendre pitié de moi, lui dont je souhaite de tout coeur, par mon écrit, avoir exhorté tous mes frères humains à se souvenir. Il est vrai (comme d’aucuns l’affirment) que rien ne fut meilleur pour les Chrétiens que le peu d’écrits : il y avait alors peu de mots mais beaucoup de grandes actions (1 Co 4,[20], 1 Th 1,[5]). Mais parce qu’hélas, les choses en sont arrivées au point où, comme jadis les apôtres trahirent la Parole par ses propres couleurs dans l’Esprit et la vie, la voilà, aujourd’hui, prostituée dans l’air, l’encre et le papier (1 Jn 1,[6]).
8585. (Savoir face au Seigneur) Que chacun s’intègre donc dans son époque mais qu’il soit avant tout attentif à Dieu et ne lise aucun livre d’autrui, avant d’avoir lu avec attention, devant le Seigneur, le petit livre qu’il porte dans son coeur. Et que personne n’attaque quiconque par un de ses écrits, même s’il y est incité par d’autres, mais cherche en lui-même s’il n’y trouve rien de pire que ce qu’il entend dire par d’autres.
8686. En vérité, chers frères, nous vivons une époque terrible, mais celui qui pourrait reconnaître les pièges serait déjà à moitié sauvé. En effet, Dieu révèle comment Satan a perverti toutes choses par ses ruses, ce qui fait que, à chaque fois que nous voulons améliorer quelque chose par nous-mêmes, nous donnons libre cours au mal qui est en nous, et c’est de là que proviennent les divisions que je viens de décrire. Car nombreux sont ceux qui désirent être distingués, mais pour jubiler ici-bas plutôt que pour pleurer du fond de leur coeur.
8787. Bienheureux celui qui se distingue par la manière dont il ne s’attache à aucune division. L’est plus encore celui qui, par l’intermédiaire de Jésus-Christ, est réconcilié dans la véritable unité de Dieu. Mais celui qui atteint le sommet de la béatitude est celui qui, dans le Saint-Esprit et la vraie foi, sait patienter jusqu’à la fin (Ap 13,[10]).
Notes de bas de page
1 En tête de paragraphe, les marginalia.
2 gottsäligkeit.
3 gotlos.
4 menschen ergebung.
5 Gottes annemen.
6 der verstand : la « connaissance » comme faculté intellectuelle et comme acte propre à cette faculté. André Séguenny préfère « interprétation ».
7 Und also nach der gleichförmikait Christi an einander abcontrafaigten.
8 Dans la marge, un jeu de mots intraduisible correspond à ce titre : teufl kumbt von teuff falen. Il s’agit d’un jeu de mots sur les sonorités, signifiant que lle nom du diable (der Teufel) provient de la combinaison de « teuff » (déformation de « tief » : haut, profond) et de « fallen » (chuter). Le diable est donc celui qui provoque les chutes les plus graves, comme son nom l’indique
9 ain eyfer on verstand Gotes. J’adopte la traduction française de la T.O.B.
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