Lettre chrétienne d’une honorable dame de la noblesse, dans laquelle elle exhorte tous les états chrétiens ainsi que les autorités à se satisfaire de la vérité et de la parole de Dieu et à en faire, conformément au devoir chrétien, bon et sérieux usage (1523)
p. 99-106
Texte intégral
Jugez vous-mêmes : est-il juste devant Dieu que nous vous devions obéissance à vous plutôt qu’à Dieu ? (Ac 4,[19])
Au Prince illustre et de haute naissance, Monseigneur Guillaume, comte palatin sur le Rhin, duc de Haute et de Basse Bavière, mon bienveillant Seigneur.
Que la grâce, la paix de Dieu et l’assistance du Saint-Esprit soient avec vous, maintenant et à tout jamais. C’est là ce que, de tout mon coeur, je souhaite à Votre Grâce.
11. Voici, très noble prince et gracieux seigneur, ce qui arriva la veille de la Nativité de Notre Dame1 : après une longue incarcération, un jeune garçon, Arsacius Seehofer, s’est vu contraint par votre université d’Ingolstadt qui le menaçait du bûcher, de renier (et ceci sans tenue d’aucune dispute), le saint Évangile et la parole de Dieu. Cela devrait, à juste titre, aller droit au coeur de chaque chrétien ; d’autant qu’ils se vantent, à ce propos, d’avoir agi sur l’ordre de Votre Grâce. Or, un bourgeois de Nuremberg m’a fait parvenir un récit de ces manigances qu’il a relatées avec force ironie ; ce à quoi j’ai répondu, dans la mesure où je le pouvais, et dans la pensée qu’en fait, Votre Grâce n’avait pas su toute la vérité sur cette affaire.
22. Je savais Votre Grâce trop bonne chrétienne pour s’arroger les pouvoirs de Dieu. Car aucun homme n’a le pouvoir de prohiber la parole de Dieu ou d’en disposer. La parole de Dieu, et elle seule, dispose de toutes choses. Ils la qualifient de parole luthérienne mais ces paroles ne sont pas luthériennes ; ce sont les paroles de Dieu. Nous lisons au chapitre VII de Jean : « Le Seigneur leur montra leur méchanceté ; c’est pourquoi ils le tinrent pour ennemi » [Jn 7,1-52], C’est ce qui arrive aujourd’hui à Luther (l’élève n’est pas au-dessus du maître [Mt 10,24 et Jn 15,18-20]), comme cela arriva aussi à tous les apôtres et à tous ceux qui reconnurent le Christ (Luther, Mélanchthon ou n’importe quel autre). Et s’il était possible que le diable en personne nous prêchât, du fond des enfers, le saint Évangile, ce n’en serait pas moins bel et bien la parole de Dieu. Paul dit aux Galates : « Si un ange venu du ciel vous annonçait autre chose que l’Évangile, qu’il soit anathème ! » [Ga 1,8],
33. Ils n’ont tout simplement rien exclu : Seehofer devait renier tous les écrits de Martin et de Mélanchthon ou monter sur le bûcher. Or, Martin n’a-t-il pas, après tout, rédigé une traduction en allemand de presque toute la Bible, fidèle au texte ? Que Votre Grâce en juge par elle-même : n’est-ce pas renier Dieu et sa parole que de renier des écrits évangéliques, apostoliques et prophétiques ?
44. Je ne crois pas que tel soit l’ordre de Votre Grâce ; je crois plutôt qu’ils l’ont mal informée sur cette affaire. Ils s’en sont pris à un jeune garçon de dix-huit ans sans qu’aucun d’eux ait fait la moindre référence à l’Écriture. J’entends dire qu’il a enduré maintes persécutions alors que par trois fois déjà il avait été emprisonné. Cependant, Dieu soit loué, on l’a, sur l’ordre de Votre Grâce, tiré de leurs mains sanglantes et ainsi arraché à la mort, comme en témoigne sa déposition sous serment. Dieu ne manquera pas de récompenser Votre Grâce car le sang du juste crie vers Dieu [Gn 4,10], Le Seigneur, je l’espère, verra en ce jeune homme un Pierre (Pierre qui par trois fois renia le Seigneur alors que ni la prison, ni le bûcher ne l’y avaient contraint2), car Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais souhaite qu’il se convertisse et vive [Ez 33,11]. Même le juste tombe sept fois par jour [Pr 24,16], On peut encore espérer beaucoup de ce jeune homme.
55. Je prie également Votre Grâce, pour l’amour de Dieu, de ne pas toujours croire leurs paroles mais d’éprouver d’abord les esprits en référence à l’Écriture divine, comme Jean le dit au chapitre IV de sa première Épître [1 Jn 4,1]. Qui confesse le Christ est de Dieu [Mt 10,32-33] ; et il est indispensable, face à une telle tyrannie, de faire preuve de discernement. Il ne peut y avoir de chrétien qui ne fasse sienne cette parole.
66. Nous ne pouvons nous contenter de dire : je crois ce que mes parents ont cru. C’est en Dieu que nous devons croire, non pas en nos parents. Si la vérité d’une religion dépend de son ancienneté, alors la juive est la meilleure. Or, le Christ dit, dans Matthieu X : « Quiconque me confesse devant les hommes, je le confesse moi aussi devant mon père ; mais quiconque ne me confesse pas devant les hommes, je ne le confesse pas moi non plus » [Mt 10,32-33]. Et dans Luc IX : « Si quelqu’un a honte de moi et de ma parole, j’aurai également honte de lui quand je viendrai dans ma gloire » [Lc 9,26],
77. J’aurai toujours ces paroles sous les yeux, car mon Dieu lui-même les a prononcées. Si Dieu m’accorde sa grâce, je ne tremblerai pas, je ne me tairai pas, dussé-je endurer mille morts3. Par moi-même, je ne puis que pécher. Le Seigneur dit, dans Matthieu X : « Ne crains pas celui qui prend ton corps sans pouvoir en faire davantage ; crains bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps et les précipiter en enfer » [Mt 10,28] ; « Qui aime son père, sa mère, sa soeur, son frère ou son enfant plus que moi, n’est pas digne de moi. Et qui aime son âme (c’est-à-dire sa vie) plus que moi, n’est pas non plus digne de moi » [Mt 10,37 et Le 14,26- 27].
88. Votre Grâce n’a pas le droit d’avoir le moindre doute : « Qui fait sienne la parole de Dieu donne à chacun ce qui lui est dû » [Rm 13,7], ainsi que Paul le dit aux Romains (chapitre XIII) : « Respectez qui doit l’être, donnez les taxes, les impôts, les redevances etc. » [Rm 13,7] et « obéissez aux autorités, même mauvaises, car tout pouvoir vient de Dieu etc. » [Rm 13,1], Mais veillez de votre côté à ne pas abuser de votre pouvoir car vous êtes vous aussi soumis, tout comme nous, à la règle évangélique. Or, l’Évangile ne préconise pas de prohiber la parole de Dieu ni de respecter un telle prohibition : au contraire, pour qui est prêt à être chrétien, mieux vaut perdre et son corps et sa vie, comme nous le lisons dans les Actes des Apôtres IV et V : « Obéissez à Dieu plutôt qu’aux hommes » [Ac 4,19 et 5,29],
99. Votre Grâce puisse-t-elle, avec l’aide de Dieu, faire cas de cette parole de Dieu ; alors, le pays et les hommes connaîtront le bonheur et la prospérité. Dans le cas contraire, Dieu ne manquerait pas de nous punir. Nous voyons en effet, dans la divine Écriture biblique, comment Dieu a puni et menace encore de nous punir en nous frappant de telles calamités ; car les paroles qu’il a adressées à Jérusalem et au pays de Judée, il les a adressées à tous les peuples.
1010. En effet, Dieu dit alors qu’Il nous livrerait à nos ennemis, nous placerait sous le joug d’un prince étranger qui nous réduirait en esclavage et ferait de nous des exilés dans notre propre patrie ; Il nous passerait au fil de l’épée, tous jusqu’au dernier, afin que personne ne puisse nous enterrer, et Il livrerait nos corps en pâture aux oiseaux et aux bêtes sauvages. Il réduirait une multitude à presque rien. De male mort et de peste, Il nous frapperait, nous et notre bétail ; Il transformerait nos terres en déserts stériles, nous acculerait à la famine, nous inspirant une telle peur que le père mangerait son fils et le fils son père et que les enfants mourraient dans les bras de leur mère, tout contre son sein. Ceci, nous l’avons lu dans le livre des Chroniques 2 et 36 [2 Ch 7,19-22]), dans Ésaïe 30 et 34 [Es 30,8-14 et 34,2-15]), Baruch 2 [Ba 2,1-5], Ézéchiel 5 et 7 [Ez 5,5-17 ; 6,1 et 7,11.15]), Osée 14 [Os 14,1] et dans bien d’autres passages de la Bible encore. C’est Dieu qui dit cela, non Luther ; et quand la parole de Dieu est « oui », ce n’est pas « non » [Mt 5,37 , 2 Co 1,18 et Je 5,12], Le ciel et la terre, dit-Il, passeront, mais mes paroles, elles, ne passeront pas [Mc 13,31 ; Le 21,33]. Le prophète Jérémie, dans le Livre des Lamentations IV, pleure et s’apitoie sur les femmes : « Les femmes compatissantes ont fait bouillir leurs enfants et les ont donnés à manger » [Lm 4,10-16] ; il rend les prophètes et les prêtres responsables de cette détresse, car ils n’ont pas annoncé la parole du Seigneur.
1111. Votre Grâce puisse-t-elle, avec l’aide de Dieu, prendre cela à coeur. Car le peuple du Seigneur Jésus Christ, si chèrement racheté, a été libéré, non à prix d’or ou d’argent, mais par son inestimable sang couleur de rose [1 P 1,18] ; aussi que Votre Grâce ne consente pas à sa perte étemelle et à la nôtre. Or Dieu dit, dans Ézéchiel XIII : « Pour une poignée d’orge et un morceau de pain, ils font mourir les âmes qui ne meurent pas, ils appellent vivantes les âmes qui ne vivent pas et trompent à dessein mon peuple qui croit au mensonge ; ils prêchent selon leur propre coeur et parlent de paix là où il n’y en a pas etc. » [Ez 13,19],
1212. Il n’est pas d’homme plus estimable qu’un bon prédicateur, un prédicateur instruit dans l’Esprit de Dieu et non dans la lettre [2 Co 3,6], Il faudrait l’aller chercher même au bout du monde car notre salut dépend entièrement de l’écoute de la parole de Dieu [Rm 10,17], Or, que dit Dieu dans Matthieu VII ? : « Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous vêtus en brebis mais qui, au-dedans, sont des loups rapaces » [Mt 7,5]. Dieu, il me semble, les a en partie désignés : ce sont les moines, les nonnes, la prêtraille. Quel prince irait, si l’Empire l’y autorisait, jusqu’à construire des repaires de brigands dans les villes les plus prospères et les quartiers les plus beaux ? Qui, Votre Grâce, quel comte ou quel seigneur aurait sollicité un tel privilège4 auprès de vos ancêtres ou de vous-même ? Ce sont des brigands, le Seigneur l’affirme. Ainsi, dans Ésaïe III : « Ils ont dépouillé mon peuple et ce sont des femmes qui les ont dominés » [Es 3,12], Telles sont les paroles de Dieu. Si je les avais moi-même prononcées, elles auraient été luthériennes. Quoi qu’il en soit, leurs exactions doivent cesser.
1313. Ah, mon Dieu ! que dire de la pureté des sodomites et de la pauvreté des avares ! Ils sont, tout comme nous, tourmentés par le démon de la chair5, même s’ils cachent leur honteux désir sous leur robe. Mais, devant Dieu, la robe n’est d’aucun secours. Si elle l’était, nous la porterions tous. Paul dit, dans sa première Épître aux Corinthiens VII : « Tout homme doit avoir une femme et toute femme doit avoir un mari, car mieux vaut se marier que brûler » [1 Co 2,9]. Faire voeu de chasteté équivaut à vouloir toucher le ciel du doigt ou à voler : cela n’est pas en notre pouvoir. Le Seigneur dit, dans Matthieu XIX : « Comprenne qui peut comprendre » [Mt 19,12] ; cette grâce n’est pas accordée à tous ceux qui portent la robe et la tonsure.
1414. Tout témoigne de leur pauvreté : leurs édifices, leurs coffres pleins et leurs cuisines et leurs caves et aussi leurs joues blafardes. Il ne risque certes pas de leur arriver ce qui arriva à Jésus ; il avait à peine trente-trois ans lorsque les Juifs lui dirent : « Tu n’as même pas cinquante ans et tu prétends avoir vu Abraham ! » [Jn 8,57]. Votre Grâce n’a en aucun cas établi de tels receveurs, qui ne prennent jamais rien mais qui engrangent toujours tout, tels les va-nu-pieds. Si je ne juge pas, le Christ, Lui, le fait, dans Matthieu XXIII : « Malheur à vous Pharisiens, engeance de vipères, vous qui dévorez et engloutissez les maisons des veuves sous couvert de longues prières ! Le feu étemel brûle déjà pour vous » [Mt 23,13-33], Les fondations des chanoines et des prêtres (auxquelles s’ajoute une flopée6 d’autres établissements) ne servent, selon moi, qu’à entretenir un ramassis de voyous et de garces, et on étale cela sans pudeur au grand jour. Le pape, qui a suivi les conseils du diable, leur a interdit d’avoir une épouse légitime mais leur permet, moyennant finances, d’entretenir des garces.
1515. Veillez, O Princes, à ce qu’ils ne courent pas à leur perte ! C’est à vous et non aux clercs qu’appartient le glaive du châtiment. Il est de leur ressort d’annoncer la parole de Dieu. Dieu veuille que vos yeux se dessillent et que vous armiez votre bras du glaive que le Seigneur vous a donné. Matthieu écrit au chapitre XX : « Ce sont les princes de ce monde qui doivent régner sur les peuples, non pas vous. Qui veut être le plus grand parmi vous doit être le plus petit et tout entier au service des autres ; de même le fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir » [Mt 20,25-28],
1616. Nos péchés sont cause de ce renversement. Les princes qui se font appeler religieux et les prélats ont l’argent, les laïcs ont la bourse. Que Votre Grâce s’emploie à éviter que Dieu ne déverse sur elle et sur nous tous sa colère (que plus haut nous avons décrite) ; car on voit à quel point se déchaîne la fureur du Turc et nous avons toutes les raisons de craindre qu’il ne se rende maître de notre patrie. Dieu nous en préserve ! Aux quatre coins du monde, la révolte gronde. Cette situation ne saurait durer. Plaise à Dieu que les susdits religieux ne mènent plus par le bout du nez les.princes et les seigneurs.
1717. Votre Grâce puisse-t-elle instaurer un impôt pour lutter contre les Turcs qu’elle prélèverait sur tous les chapitres, couvents, cures et prieurés ; ainsi les registres seraient-ils relevés ; vos gens, qui leur versent impôts et redevances, viendraient au tribunal dont ils relèvent et apprendraient à combien s’élève véritablement leur fortune. Serait-elle excessive qu’on emploierait l’excédent pour le bien commun afin que le pauvre ne fût pas accablé. Ne tolérez pas les exactions qu’entraîne l’absentéisme, car les prêtres, c’est bien connu, se déchargent de leur cure au moindre coût ; en sorte que ceux qui doivent faire paître le troupeau du Christ se garantissent à peine contre la faim. Les cures sont rarement desservies par des gens compétents ; on n’y place que de parfaits abrutis, inaptes à quoi que ce soit et qui se vendent au plus offrant. Suant sang et eau, le pauvre s’épuise au service de Satan.
1818. Le curé de Voburg résidant à Freiberg détient un bénéfice de plus de huit cents florins et ne fait pas un seul sermon de toute l’année. Quels sont donc les revenus du sire Bernard Arzt à Eichstatt ? Si une paroisse manque de revenus, qu’on lui en donne ; si elle en a trop, qu’on lui en prenne [2 Co 8,13-17] : ainsi agira-t-on pour le bien commun. Le reste (comme célébrer force messes) importe peu à Dieu, l’Écriture en témoigne. Si Votre Grâce pouvait admettre que l’Évangile fût prêché aux pauvres, alors s’ensuivraient toutes sortes de victoires et de succès, ainsi que David le dit au Psaume III : « Seraient-ils des milliers que je ne les craindrais pas » [Ps 3,7]. Et Ésaïe XXX : « Ils fuiront par milliers devant un seul homme » [Es 30,9.12.17]. Celui qui écoute la parole de Dieu remporte nombre de victoires mais qui étouffe la parole de Dieu est frappé de toutes sortes de calamités. Elle ne saurait être interdite à quiconque. Pour qui la recevra, la grâce, pour qui ne la recevra pas, le châtiment divin. Car Dieu alors dira : « Désormais, tu ne seras jamais plus » [Ps 92,8- 10],
1919. Je n’ai pu m’empêcher d’écrire à Votre Grâce comme à mon frère en Jésus Christ. Ainsi guidée par l’Esprit de Dieu, je ne vous veux que du bien ; je me réjouis de la fortune de Votre Grâce et m’afflige de son malheur, Dieu m’en est témoin. Ce souvenir est pour moi inoubliable : après la mort de mes parents, qui me furent ravis l’un et l’autre en cinq jours, je fus placée, en ma qualité de femme, sous l’autorité de Votre Grâce, mon très haut tuteur, et je devins demoiselle de compagnie de Madame Votre Mère. Dans mon malheur, je fus réconfortée par Votre Grâce en ces termes : je ne devais pas pleurer ainsi car il ne serait pas uniquement mon souverain, mais également mon père, comme il l’a montré par la suite à mon noble gentilhomme ; il prendrait soin de nous et de notre enfant et l’élèverait pour son service.
2020. Ceci m’a vivement incitée à vous écrire pour vous exprimer en partie ma gratitude devant tant de bienfaits. Il en va de moi comme de saint Pierre, « je n’ai ni or ni argent » [Ac 3,6], mais j’aime Dieu et Votre Grâce comme mon prochain. Car le Seigneur dit, dans Luc IX : « Que sert-il à l’homme de gagner le monde entier s’il perd son âme ? Comment la rachètera-t-il ? » [Mc 8,36-37]. Mon devoir de chrétienne l’exigeait : aussi n’ai-je pu me contraindre au silence et ai-je écrit à l’ Université une lettre dont je joins une copie à la présente (car il se peut qu’ils m’aient calomniée auprès de vous) afin que Votre Grâce connaisse la vérité. Ce que j’ai écrit, je sais pouvoir, avec la grâce de Dieu, le justifier, car c’est la parole de Dieu, et non la mienne. Votre Grâce puisse-t-elle prendre cela à coeur ; car en vérité, c’est à vous que Dieu réclamera les âmes de vos sujets et de vos mains qu’il les recevra.
2121. Que Votre Grâce n’accorde pas constamment sa confiance aux grippe-sous et qu’elle ne leur délègue pas de pouvoir car, c’est visible, ils combattent Dieu par cupidité et ce malgré leur impuissance. Nous brûlons tous d’entendre la parole de Dieu, mais la prêtraille, les moines, les nonnes, les procureurs, les avocats, les juristes ne le peuvent souffrir. Or, le Seigneur dit : « Ce que tu veux qu’on te fasse, fais-le aussi à ton prochain » [Mt 7,12 et Le 6,31]. Cela donne droit à une décision. N’admettez pas, Votre Grâce, que les arrière-petits-enfants comparaissent encore en justice sans jamais pouvoir obtenir de sentence.
2222. Là où deux personnes sont en désaccord, Votre Grâce dispose certainement de gens compétents et capables de distinguer celui qui a raison de celui qui a tort ; ainsi un juge est-il également capable de savoir si les offices sont ou non pourvus conformément au conseil de Paul. Celui-ci dit : « Prenez pour juge un homme raisonnable et pénétré de l’Esprit de Dieu » [1 Co 6,1-11], et non pas « un homme dépravé, coupable d’adultère, un blasphémateur, un assassin etc. L’Esprit de Dieu est miséricordieux, patient, pudique etc... ». Les conseils des juristes ne seraient alors plus si lucratifs ; ils s’enrichissent tandis que le pays et les gens s’appauvrissent. Je les ai moi-même bien connus : certains, qui n’avaient pas même de quoi se payer un verre de vin achetaient, après avoir porté une toque rouge ne serait-ce que quatre ans, tout ce qui existait et pouvait s’acheter. Ces petits bonnets ont, selon moi, le pouvoir de la bourse de Fortunatus, dont les poètes disent qu’il n’est jamais à court d’argent : auraient-ils en plus son petit chapeau qu’ils iraient là où ils voudraient !
2323. Mon bon Prince et Seigneur ! J’ai énoncé les grands points qui, à la lumière de ma faible intelligence, me semblent être de nature à opprimer le peuple du Christ. Que Votre Grâce prenne davantage en considération le fond de mon écrit que mon piètre style car il traite d’un fait, non pas occasionnel, mais constant. Voici mon humble requête : acceptez ce traité au mieux, comme je l’ai moi-même sincèrement écrit. A Dieu, qui a guidé celui-ci de mes écrits, je recommande mon ouvrage ainsi que Votre Grâce et tous ses proches, ici, maintenant et là-bas, dans l’éternité. Amen.
24Dietfurt, le samedi suivant l’élévation de la sainte Croix 15237.
25Votre très humble, Argula von Grumbach, née von Stauffen.
Notes de bas de page
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