Prosopographie des élites et montée des gradués : l’apport de la documentation universitaire Médiévale
p. 363-372
Texte intégral
1L’idée que les gradués d’université, en particulier – mais pas exclusivement – les juristes, ont joué un rôle croissant au sein des élites politiques, administratives et ecclésiastiques à la fin du Moyen Age et au début de l’époque moderne est aujourd’hui couramment admise. Selon les pays, le phénomène a pu commencer plus ou moins tôt – ici dès le XIIe siècle, là au XIVe ou au XVe seulement – et prendre une ampleur variable, nulle part il ne semble absent. Mais cette affirmation générale ne prend toute sa signification que si elle peut s’appuyer sur un certain nombre d’exemples précis. La prosopographie apparaît ici comme un recours nécessaire. Seule, elle peut permettre de saisir la proportion exacte des gradués par rapport aux non-gradués au sein des élites étudiées et son évolution. Seule, surtout, elle peut permettre de dessiner le profil collectif de ces hommes qu’on ne saurait évidemment se contenter de définir par la seule possession de leur diplôme : étaient-ils des "hommes nouveaux" ou simplement les rejetons plus cultivés de vieilles familles ? Leur mode de vie gardait-il quelque chose de la "cléricature" universitaire traditionnelle ou s’intégraient-ils parfaitement aux élites laïques ? En quoi consistait enfin cette compétence intellectuelle que leurs grades étaient censés garantir et en vertu de laquelle, précisément, on faisait appel à eux ?
2Il n’est pas toujours aisé de répondre à ces questions apparemment simples. Le problème vient, pour une part au moins, de ce qu’il n’est pas facile de se représenter ce qu’étaient effectivement, au Moyen Age, des études et des titres universitaires. La relative inertie du vocabulaire des institutions, des disciplines et des diplômes pousse inconsciemment et tout à fait anachroniquement à attribuer aux gradués médiévaux des pratiques académiques, somme toute, analogues aux nôtres. D’autre part, la tentation est grande, pour définir la nature des études faites et des grades obtenus, de s’appuyer sur les dispositions, d’allure très précise, fixées par les statuts officiels des universités et des facultés.
3Or les choses sont en fait plus complexes et, sous peine de perpétuer des erreurs de perspective auxquelles n’ont pas échappé certains travaux par ailleurs estimables, la prosopographie des élites graduées de la fin du Moyen Age doit combiner une double approche.
4 D’une part, comme l’expose dans ce même volume Hilde De Ridder, cette prosopographie ne saurait se passer de ce que j’appellerai les archives "locales"1. En amont et en aval des études, ces archives permettent d’identifier le gradué, de le situer dans son milieu social et son environnement familial2 ; elles permettent d’autre part de reconstituer sa carrière complète et d’en dégager la signification finale : stagnation ou promotion, enracinement ou mobilité, spécialisation ou diversification ? Mais du contenu même de la formation universitaire, problème important et même essentiel quand on veut précisément s’interroger sur la valorisation sociale d’un certain type de capital culturel, les archives "locales" ne disent pratiquement rien Elles indiquent simplement, et pas toujours avec la précision souhaitée, le titre universitaire le plus élevé possédé par le personnage étudié ; mais elles ne permettent normalement de connaître ni la ou les université(s) fréquentée(s), ni la date des études ou la durée des cursus, ni les matières étudiées ou les livres lus, ni l’identité des professeurs écoutés ou des camarades côtoyés A qui prend au sérieux le contenu spécifique de l’histoire de l’enseignement, ces données semblent pourtant très importantes.
5Il faut donc les chercher dans les archives universitaires proprement dites, dont la localisation est souvent toute différente, vu le caractère international ou du moins interrégional du recrutement de la plupart des universités médiévales3. Ce n’est pas que ces archives soient parfaitement satisfaisantes, surtout du point de vue envisagé ici. Sans entrer dans les détails, je rappelle simplement que, jusqu’à la fin du XIVe siècle, les archives universitaires stricto sensu sont composées pour l’essentiel de recueils de statuts et privilèges et de délibérations des assemblées et conseils universitaires. De tels documents donnent avant tout à connaître les aspects officiels et réglementaires de la vie universitaire. Par ailleurs, ils ne nous livrent qu’un petit nombre de noms de régents ou d’officiers de l’administration universitaire (recteurs, procureurs). Plus utiles sont les listes de promotions aux grades parfois conservées, comme à Paris Cependant la situation documentaire ne s’améliore vraiment qu’à la fin du XIVe siècle, avec l’apparition des premières séries à peu près continues de matricules universitaires. Encore doit-on observer que jusqu’au XVIe siècle ce genre de sources n’est vraiment représenté que pour les universités des pays d’Empire ou pour les "nations germaniques" de certaines autres universités (Bologne, Paris, Orléans)4.
6Naturellement, les historiens ont depuis longtemps cherché à pallier ces lacunes. S’il n’y a qu’en Angleterre que leurs efforts ont permis à ce jour de composer de véritables "dictionnaires biographiques" d’étudiants et de gradués, répertoires d’une richesse inépuisable mis à la disposition de tous les chercheurs5, du moins a-t-on partout à peu près identifié les types de documents les plus susceptibles de se substituer aux matricules absentes. Si on laisse de côté ce que peuvent apporter, pour des groupes restreints, les archives de quelques collèges ou de certains ordres religieux, on retiendra que deux grandes catégories de sources ont été en définitive sollicitées. D’une part, surtout dans les pays de droit écrit, les registres notariaux des villes universitaires : à titre d’acteurs ou de témoins des actes, les étudiants y apparaissent souvent par centaines6. D’autre part, les registres de lettres et de suppliques pontificales déposés aux Archives du Vatican et partiellement publiés par l’Ecole française de Rome et d’autres institutions : spécialement au XIVe siècle, le statut clérical des étudiants les a amenés, là aussi par centaines et par milliers, à solliciter les faveurs pontificales et trace a été conservée d’une bonne partie des suppliques qu’ils ont présentées au pape et des lettres qui leur ont été octroyées en retour par celui-ci7.
7Sans qu’il soit besoin d’y insister, on devine tout de suite les inconvénients majeurs, spécialement du point de vue prosopographique, de ces documents.
8D’abord, s’ils sont abondants, ils ne sont jamais complets. Il est clair que, pour des raisons variées, certains étudiants n’y apparaissent pas. Ces lacunes ne faussent sans doute pas trop une première approche typologique mais elles affectent d’un fâcheux coefficient d’incertitude toute appréciation statistique globale.
9D’autre part, il est également évident qu’actes notariés et suppliques ou lettres pontificales, n’ayant normalement pas de rapport direct avec les études des individus qu’ils mentionnent, ne livrent généralement que des fragments de cursus dont nous ne connaissons ni le début ni, ce qui est plus fâcheux encore, l’aboutissement8.
10On pourra certes faire observer que cette sorte de flou est peut-être le reflet d’un certain flou dans les pratiques mêmes des étudiants médiévaux ("vrais" et "faux étudiants" mêlés, cursus incohérents), il n’en est pas moins très gênant.
11Malgré ses faiblesses, qu’est-ce que la documentation universitaire médiévale peut apporter à la prosopographie des élites ?
12D’abord, tout simplement, des listes de noms Ces listes peuvent-elles permettre des recherches du type, "Les carrières ultérieures des anciens étudiants de l’université de N." ? Sauf peut-être pour Oxford et Cambodge9, de telles enquêtes – dont on sait que même nos universités contemporaines ont la plus grande peine à les mener à bien – semblent assez utopiques pour la période médiévale tant elles risquent de souffrir, même pour des universités au rayonnement avant tout régional, des lacunes et de la dispersion des sources à mettre en üuvre. Tout au plus peut-on envisager ce genre de démarche pour des sous-groupes limités et bien définis : les régents ordinaires de telle université, les membres de telle nation aux effectifs restreints, les anciens élèves de tel collège ? Mais encore faudrait-il être sûr qu’il s’agit là d’unités socialement significatives ou, comme disent certains, "auto-référantes"10. Une échelle trop microscopique est rarement judicieuse en matière prosopographique.
13De manière générale, il semble donc raisonnable de s’en tenir à des recherches plus classiques du genre : "La place des gradués dans tel groupe "local" d’officiers ou de clercs", groupe dont précisément, comme je l’ai dit plus haut, les archives "locales" auront permis de dessiner les contours. Dans la définition et l’étude de ces groupes, les listes nominatives tirées des archives universitaires peuvent avoir une certaine utilité, sans jamais donner cependant, il faut le dire, la moindre garantie d’exhaustivité.
14D’abord, de telles listes devraient normalement indiquer la ou les universités fréquentées au temps des études, ce que les archives locales ne mentionnent guère. Précison importante car on sait bien que, malgré l’égalité théorique de tous les studia generalia de la Chrétienté, il y avait en fait entre eux des différences énormes de niveau et de réputation. On peut, a priori au moins, imaginer que les grades acquis dans les universités les plus prestigieuses ouvraient de bien plus belles espérances de carrière11 D’autre part, ces listes permettraient peut-être d’aborder, sinon de résoudre vraiment, un problème particulièrement irritant, celui du devenir social des étudiants qui quittaient l’université sans avoir obtenu le moindre grade et qui étaient sans doute, dans beaucoup de cas, la majorité. Ces "sans-grades" – c’est le cas de le dire – tiraient-ils malgré tout quelque profit de carrière de l’effort, même modeste, qu’ils avaient consenti pour commencer des études ? Tout effort pour les identifier et voir s’ils n’occupaient pas une sorte de place intermédiaire entre les gradués et ceux qui n’avaient jamais été à l’université, serait bienvenu.
15Pour le reste, il est des éléments de la fiche biographique des gradués auxquels les documents universitaires peuvent apporter, au moins occasionnellement, des indications complémentaires. Ils mentionnent parfois l’origine sociale (surtout pour les nobles), rarement l’âge, presque toujours le diocèse natal. Ce sont là des précisions intéressantes.
16Ils font aussi connaître, généralement, le statut personnel de l’étudiant ou du gradué (clerc, prêtre, religieux), le ou les bénéfices ecclésiastiques dont il pouvait disposer au temps de ses études, les dignités, offices ou fonctions en tout genre, ecclésiastiques ou laòques, qu’il exerçait parfois déjà. Là encore, ces mentions sont intéressantes. Elles nous rappellent qu’il serait anachronique d’imaginer que la destinée des élites politiques et administratives médiévales obéissait toujours au schéma qui nous semble aujourd’hui naturel ("études secondaires – études supérieures – carrière professionnelle"). Outre que la question des études pré-universitaires demeure passablement obscure, il faut aussi se rappeler que beaucoup d’étudiants entamaient leur "carrière", au sens large du mot, pendant leurs études mêmes, voire avant celles-ci. Il était très possible, tout en fréquentant une université, soit de jouir d’une "sinécure", soit de faire occuper sa charge par un substitut, soit de l’exercer soi-même "à mi-temps" si elle se trouvait dans la ville universitaire elle-même12. Et tout aussi courant semble avoir été le cas de ceux qui interrompaient leurs études pour occuper une fonction civile ou ecclésiastique puis revenaient à l’université pour achever lesdites études ou simplement prendre un grade supérieur (qui pouvait être utile pour une "promotion professionnelle") ou encore enseigner pendant quelque temps13.
17Ces longs cursus, menés par étapes successives, sont souvent difficiles à reconstituer ; ils s’expliquent évidemment par la lourdeur des durées d’études statutaires et, corrélativement, le coût de celles-ci. Ils sont en tout cas significatifs des conditions concrètes de fonctionnement des universités et de l’idée que beaucoup de contemporains se faisaient d’un système où l’obtention du grade, assimilé à une dignité sociale, tendait de plus en plus à primer sur la qualification intellectuelle dont il n’aurait dû être que la sanction.
18Malgré cela, il reste évident que les archives universitaires proprement dites ne permettent pas de faire la prosopographie de personnages dont elles n’éclairent, au mieux, que quelques années de l’existence. Même parmi les professseurs, rares étaient ceux qui consacraient toute leur vie à l’université et à l’enseignement14. En revanche, il est plusieurs points sur lesquels ces archives sont seules à pouvoir apporter des indications dont il serait regrettable de faire l’économie.
19Le premier est celui de la nature exacte des cursus. J’ai déjà consacré à ce sujet une étude dont je me bornerai ici à reprendre rapidement les conclusions15. Si l’on admet, ce que confirment tous les actes de la pratique, que malgré la rigidité apparente des dispositions statutaires les étudiants disposaient en fait d’une assez grande marge de manoeuvre pour organiser à leur guise leurs études afin d’en tirer le meilleur bénéfice social possible (sous réserve, naturellement, d’un minimum de capacités intellectuelles et de moyens financiers), deux points méritent particulièrement d’être établis avec précision. D’abord, ce que j’appellerai le parcours universitaire et disciplinaire de chacun : l’individu considéré est-il passé par la faculté "préparatoire" des arts ou a-t-il directement accédé à une faculté "supérieure" ? A-t-il étudié une seule discipline "supérieure" ou a-t-il jugé préférable d’en pratiquer deux (droit civil et droit canon, droit canon et théologie) ? A-t-il, en cours d’études, changé d’université ? A-t-il été membre d’un collège ? A-t-il, au sein d’une même faculté et bien que ce fut officiellement interdit, changé de professeur ? Etc. Second point à envisager, la durée des études. On sait bien que, dans l’ensemble, les statuts des universités médiévales réclamaient des études longues, très longues même, ce qui a dû être la cause de beaucoup d’échecs et d’abandons. Mais on sait aussi que beaucoup d’étudiants, avec l’accord plus ou moins ouvert de leurs maîtres, ont su trouver les moyens d’abréger la durée effective de leurs études. Au XVe siècle, dans certaines universités, quelques-uns semblent même obtenir leurs grades en quelques mois, voire en quelques semaines ; on s’interroge sur ce que pouvait être alors leur formation effective. Cursus normal ou cursus accéléré, les deux solutions, en termes tant de qualification que de carrière, avaient leurs avantages et leurs inconvénients, entre lesquels chacun devrait arbitrer au mieux de ce qu’il pensait être ses intérêts
20 Tous ces paramètres, que ne fait évidemment pas apparaître la seule mention du titre finalement obtenu, sont importants à connaître pour essayer d’évaluer la qualification intellectuelle exacte acquise à l’université et, d’autre part, de voir comment les espérances mises dans les études se réalisaient finalement ? Autrement dit, étaient-ce les plus rapides ou, au contraire, ceux qui avaient opté pour les cursus les plus longs ou réputés les plus difficiles qui accédaient aux positions les plus ballantes ? La montée des gradués à la fin du Moyen Age a-t-elle amorcé la naissance d’une véritable méritocratie ou a-t-elle surtout "reproduit" des hiérarchies sociales pré-existantes ?
21Je signalerai encore deux autres points pour lesquels la documentation universitaire peut enrichir la prosopographie des élites à la fin du Moyen Age.
22Il y a d’abord les problèmes de vocabulaire et de titulature. Or ceux-ci, même en ne considérant ici que les exemples français que je connais, ne sont pas si simples. Il est pourtant nécessaire d’arriver à un maximum de précision si l’on veut saisir exactement les gradués au milieu de l’ensemble des personnels politiques et administratifs envisagés dans les études prosopographiques. L’indispensable uniformisation de la fiche prosopographique ne doit pas faire violence à la langue des documents. Le recours conjoint aux dispositions statutaires et aux actes de la pratique doit permettre de saisir les usages socialement significatif.
23En bref, il semble qu’on observe après le milieu du XIVe siècle une précision croissante dans la terminologie des titres universitaires ou, plutôt, dans leur emploi social (car le système même des grades était fixé depuis le XIIIe) : désormais les titulaires de grades, licence, doctorat ou même baccalauréat, font suivre leur nom, dans presque tous les documents, de la mention exacte de leur titre universitaire. Mais avant cette date et parfois même après, les textes non universitaires utilisent volontiers un vocabulaire assez vague, hénté de l’époque "pré-universitaire" (XIIe siècle) : magister (sans autre spécification), causidicus, jurisperitus, phisicus, tous mots dont on peut se demander s’ils renvoient à un grade universitaire et, si oui, lequel Particulièrement plurivoque semble avoir été le mot magister, qui ménterait à lui seul une analyse détaillée16. J’ajoute à cela que les usages variaient selon les régions et les universités considérées : dans la France du Nord, la plupart des docteurs se disaient magister alors que dans celle du Midi, spécialement parmi les juristes, ils se proclameront dominus, laissant magister aux simples bacheliers.
24Les travaux en cours du CIVICIMA feront certainement progresser nos connaissances sur ces questions de terminologie17. Il est en tout cas indispensable que les spécialistes d’histoire sociale en prennent conscience et, dans le cas des élites graduées, demandent aux documents universitaires eux-mêmes la signification exacte du lexique par lequel ces gradués se désignaient et selon lequel leurs contemporains acceptaient de les qualifier dans l’usage courant.
25Un dernier domaine pour lequel ce qu’on peut appeler la documentation universitaire, peut s’avérer utile, est le domaine des réseaux de relations et des liens de patronage, domaine sur lequel l’histoire politique des derniers siècles du Moyen Age porte aujourd’hui, à juste titre, l’accent et que la prosopographie a précisément pour vocation de mettre en valeur. Ces réseaux multiples, verticaux ou horizontaux, qui structurent véritablement les élites de cette époque, ont des origines diverses : liens de famille et de voisinage, affinités idéologiques et intérêts économiques, esprit de corps et solidarité professionnelle. On peut penser que, pour ceux qui y ont étudié ou enseigné, les universités ont fait partie des lieux où ce genre de relations a pu se créer ou se renforcer. Entre étudiants, elles se nouaient dès le voyage vers la ville universitaire, se confirmaient tout au long du séjour ; chez les boursiers d’un même collège, Sorbonnistes ou Navarristes à Pans, anciens condisciples de San Clemente de Bologne, en attendant les Colegios mayores de l’époque moderne, parmi les gradués ibériques, elles pouvaient même atteindre une intensité exceptionnelle18. Des liens personnels pouvaient aussi se constituer entre professeurs et élèves car normalement ces derniers fréquentaient pendant plusieurs années la même école. Enfin, beaucoup d’étudiants avaient besoin d’un patron capable de les recommander, de leur adresser des subsides ou de leur offrir des livres, de leur faire obtenir une place dans un collège ou un bénéfice ecclésiastique dont les revenus paieraient leurs études19.
26Prenons l’exemple classique des cardinaux avignonnais. du XIVe siècle La plupart avaient ainsi parmi les protégés chez qui ils recrutaient ensuite leurs collaborateurs et leurs familiers, quelques étudiants de Paris, Toulouse ou Montpellier. Et la proportion en était spécialement élevée chez les cardinaux eux-mêmes pourvus de titres universitaires élevés et ayant durablement enseigné (Pierre et Jean Flandrin, Pedro de Luna, Pierre Blau,20 etc.) .
27La mise en évidence des solidarités et des dépendances (aussi bien que des rivalités ou des inimitiés) nées au temps même des études, que les documents universitaires, notamment les suppliques adressées au pape, font parfois apparaître, aiderait certainement à comprendre certains aspects de la sociabilité et du comportement politique des élites ici envisagées.
***
28Les archives universitaires ne peuvent, à elles seules, sauf exceptions, fournir la base de véritables enquêtes prosopographiques. Établir le "dictionnaire biographique" de tous les étudiants (ou même simplement de tous les gradués) médiévaux serait un travail fort utile mais qui, pour beaucoup de pays (France et Italie en particulier), ne semble pas pouvoir se réaliser dans l’immédiat. Demander aux auteurs des nombreuses recherches en cours sur les divers groupes constitutifs des "élites" nouvelles de la fin du Moyen Age, de ne pas oublier ce que peuvent leur apporter les documents universitaires et de tenir compte de ce que les historiens de l’éducation s’efforcent d’établir quant aux institutions, au vocabulaire et au fonctionnement concret des universités médiévales, paraît en revanche un souhait réaliste et dont la réalisation devrait être profitable à tous.
Notes de bas de page
1 "Locales" est d’ailleurs un peu impropre car il peut aussi bien s’agir des archives émanées des services centraux des monarchies ou de l’Eglise.
2 Je souligne en particulier l’intérêt qu’il y a, pour définir la situation sociale des gradués, à pouvoir les replacer dans des généalogies aussi complètes que possible : il est intéressant de savoir qu’un gradué est fils de gradué ou, au contraire, de chevalier ou de marchand, il est encore plus intéressant de savoir s’il a épousé lui-même une fille de gradué ou une fille de marchand et si, à la même génération, ses frères et proches cousins ont pris comme lui le chemin des études ou s’ils sont restés fidèles au métier des armes ou à la marchandise (on trouvera quelques généalogies de ce genre dans N. COULET, "Les juristes dans les villes de la Provence médiévale", dans Les sociétés urbaines en France méridionale et en Péninsule ibérique au Moyen Age, Paris, 1991, pp. 311-327).
3 Mise au point de J. VERGER, "La mobilité étudiante au Moyen Age", Histoire de l’Education, L, 1991, p 65-90.
4 Présentation d’ensemble des matricules universitaires allemandes dans R. SCHWINGES, Deutsche Universitätsbesucher im 14. und 15. Jahrhundert. Studien zur Sozialgeschichte des alten Reiches, Stuttgart, 1986. Pour Bologne, voir G. KNOD, Deutsche Studenten in Bologna (1289-1562). Biographischer Index zu den Acta Nationis Germanicae Universitatis Bononiensis, Berlin, 1889 ; pour Paris, M. TANAKA, La nation anglo-allemande de l’Université de Paris à la fin du Moyen Age, Paris, 1990, pour Orléans, voir C. M. RIDDERIKHOFF et H. DE RIDDER-SYMOENS, éd., Premier livre des procurateurs de la nation germanique de l’ancienne université d’Orléans, 1444-1546, Première partie, Texte des rapports des procurateurs, Leyde, 1971, et C. M. RIDDERIKHOFF, H. DE RIDDER-SYMOENS et D. ILLMER, éds., 2e partie, Biographies des étudiants, 3 vols., Leyde, 1978-1985.
5 A.B EMDEN, A Biographical Register of the University of Oxford to A.D. 1500, 3 vols., Londres, 1957-59 ; A.B EMDEN, A Biographical Register of the University of Cambridge to 1500, Cambridge, 1963 ; D.E. R. WATT, A Biographical Dictionary of the Scottish Graduates to A.D. 1410, Oxford, 1977, est d’une utilité comparable mais de nature différente puisqu’il recense les gradués écossais ayant étudié à l’étranger avant la création de la première université écossaise, celle de St-Andrews.
6 Comme exemple de travail fondé sur l’exploitation des registres notariaux (combinée avec une excellente utilisation des archives "locales"), il faut toujours se référer au travail pionnier de S. STELLING-MICHAUD, L’université de Bologne et la pénétration des droits romain et canonique en Suisse aux XIIIe et XIVe siècles, Genève, 1955.
7 Cf. D.E. R. WATT, "University Clerks and Rolls of Petition for Bénéfices", Speculum, XXXIV, 1959, p. 213-229, et J. VERGER, "Le recrutement géographique des universités françaises au début du XVe siècle d’après les suppliques de 1403", Mélanges d’archéologie et d’histoire publ. par l’Ecole française de Rome, 82, 1970, p. 855-902.
8 Rappelons cependant qu’en Italie l’octroi des grades terminaux, licences et doctorats, faisaient normalement l’objet d’un acte notarié (cf G. MINNUCCI, Le lauree dello Studio senese alla fine del secolo XV, Milan, 1981, et G. MINNUCCI, L. KOSUTA, Lo Studio di Siena nei secoli XIV-XVI. Documenti e notizie biografiche, Milan, 1989).
9 A défaut du Ph. D., malheureusement encore médit, de G. F. LYTLE, Oxford Students and English Society, ca. 1300-ca. 1510, Princeton, 1976, on verra, du même auteur, "The Careers of Oxford Students in the Later Middle Ages", in J. M. KITTELSON et P. J. TRANSITE, éds., Rebirth, Reform and Resilience : Universities in Transition, 1300- 1700, Columbus, Ohio, 1984, p. 213-253 ; voir aussi J. DUNBABIN, "Careers and Vocations", in J. CATTO, éd., The History of the University of Oxford, vol. I, The Early Oxford Schools, Oxford, 1984, p. 565-605
10 Cf. J. VERGER, "Peut-on faire une prosopographie des professeurs des universités françaises à la fin du Moyen Age ?", Mélanges de l’Ecole française de Rome. Moyen Age, Temps modernes, 100, 1988, p. 55-62. Voir ausi les remarques critiques de R. N. SWANSON, "Learning and Livings : University Study and Clerical Careers in Later Médiéval England", History ofUniversities, VI, 1986-87, p. 81-103.
11 Rappelons cependant qu’une pratique qui apparaît au XVe siècle et s’amplifiera à l’époque moderne, faisait que beaucoup d’étudiants, après avoir étudié dans une université prestigieuse, allaient prendre leurs grades dans une autre, moins exigeante et réclamant des droits d’examen moins élevés ; les étudiants de Bologne allaient ainsi à Ferrare, ceux de Montpellier et Avignon à Orange, etc. (H. RASHDALL, The Universities of Europe in the Middle Ages, nlle. éd. de F. M. POWICKE et A. B. EMDEN, Oxford, 1936, II, p. 54 et 185- 186).
12 A Avignon par exemple, au XIVe siècle, certains étudiants étaient en même temps titulaires d’un office à la Curie : "faux" ou "vrais" étudiants, "faux ou "vrais" curialistes, étudiants et curialistes "à mi-temps" ? Il est difficile de trancher (cf. J. Verger, "Etudes et culture universitaires du personnel de la Curie avignonnaise", dans Aux origines de l’Etat moderne. Le fonctionnement administratif.de la papauté d’Avignon, (Coll de l’Ec fr. de Rome, 138) Rome, 1990, p. 61-78
13 H. Denifle et E. Chatelain, éd., Chartularium Universitatis Parisiensis, III, Paris, 1894, n° 1528-31, 1546, permet de reconstituer la carrière à cet égard exemplaire d’Aimé du Breuil (qui finira archevêque de Tours en 1395) : on le voit pendant plusieurs années alterner études et enseignement, service du pape et service du roi.
14 Cf. W. J. COURTENAY, Teaching Careers at the University of Paris in the Thirteenth and Fourteenth Centuries (Texts and Studies in the History of Mediaeval Education, XVIII) Notre Dame, 1988.
15 J. VERGER, "Prosopographie et cursus universitaire", in N. BULST et J.-Ph. GENET éds., Médiéval Lives and the Historian. Studies in Medieval Prosopography, Kalamazoo, 1986, p. 313-332.
16 On peut ainsi regretter que les travaux de Chr. RENARDY, Le monde des maîtres universitaires du diocèse de Liège, 1140-1350. Recherches sur sa composition et ses activités, Paris, 1979, et Les maîtres universitaires dans le diocèse de Liège. Répertoire biographique (1140-1350), Paris, 1981, ne comportent qu’une étude trop rapide du sens même du titre de maître.
17 Je pense en particulier à O. WEIJERS, Terminologie des universités au XIIIe siècle, Rome, 1987, et à O. WEIJERS, éd., Actes du colloque Terminologie de la vie intellectuelle au Moyen Age. Leyde/La Haye 20-21 septembre 1985, (CIVICIMA [Comité international du vocabulaire des institutions et de la communication intellectuelles au Moyen Age]. Etudes sur le vocabulaire intellectuel du Moyen Age, I, ) Turnhout, 1988, où l’on verra notamment R. FEENSTRA, ’"Legum doctor’, ’legum professer’ et ’magister’ comme termes pour désigner des juristes au Moyen Age", p. 72-77.
18 Pour le collège de Navarre, recherches en cours de N. GOROCHOV ; pour les collèges espagnols, surtout, il est vrai, à l’époque moderne, voir B. CUART MONER, "Extraccion social de los colegiales de San Clemente de los Espanoles de Bolonia (1500-1800)", in D. MAFFEI et H. DE RIDDER-SYMOENS, éds., I collegi universitari in Europa tra il XIV e il XVIII secolo, Milano, 1991, p. 53-79, et A. M. CARABIAS TORRES, Colegios Mayores : Centros de Poder, 3 vols., Salamanque, 1986.
19 G. F. LYTLE, "Patronage Patterns and Oxford Colleges, ca. 1300-ca. 1530", in L. STONE, éd., The University in Society, I, Princeton, 1974, p. 111-149, et R. N. SWANSON, "Universities, graduates, and bénéfices in Later Medieval England", Past and Present, 106, 1985, p. 28-61
20 Voir, par ex., A.-L. COURTEL, "Les clientèles des cardinaux limousins en 1378", Mélanges de l’Ecole française de Rome. Moyen Age, Temps modernes, 89, 1977, p. 889-944.
Auteur
Université de Paris XIII/C.N.R.S.U.M.R. 9963
34 rue Gambetta, FONTENAY-aux-Roses, 92260 France.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les Jacobins de l’Ouest
Sociabilité révolutionnaire et formes de politisation dans le Maine et la Basse-Normandie (1789-1799)
Christine Peyrard
1996
Une société provinciale face à son devenir : le Vendômois aux xviiie et xixe siècles
Jean Vassort
1996
Aux marges du royaume
Violence, justice et société en Picardie sous François Ier
Isabelle Paresys
1998
Pays ou circonscriptions
Les collectivités territoriales de la France du Sud-Ouest sous l’Ancien Régime
Anne Zink
2000
La permanence de l’extraordinaire
Fiscalité, pouvoirs et monde social en Allemagne aux xviie- xviiie siècles
Rachel Renault
2017
Un désordre européen
La compétition internationale autour des « affaires de Provence » (1580-1598)
Fabrice Micallef
2014
Entre croisades et révolutions
Princes, noblesses et nations au centre de l’Europe (xvie-xviiie siècles)
Claude Michaud
2010