Comment faire un Cederom à partir du Maitron ?
Historiens, informaticiens, éditeurs : une collaboration
p. 19-32
Texte intégral
1Le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier a été conçu par Jean Maitron comme une œuvre vaste et sans cesse renouvelée1. En raison de l’ampleur de la sélection (plus de 103 000 notices dans le dictionnaire papier) et de la diversité des itinéraires étudiés, le créateur avait le sentiment de tracer « un premier sillon » et appelait de ses vœux des correctifs, des compléments, des prolongements. Chaque nouvelle période abordée était d’ailleurs l’occasion de réviser des notices incomplètes de la période précédente. Cependant, pour la mise à jour comme pour la consultation, on constate les limites d’un dictionnaire traditionnel. Comment imaginer des rééditions régulières d’une œuvre aussi importante ? Comment retrouver dans les milliers de biographies divisées en quatre périodes les originaires d’une ville, les syndicalistes d’une corporation ou ceux qui représentent une forme précise de militantisme ?
2L’idée d’une publication électronique s’imposait. Les projets convergents des auteurs et de l’éditeur conduisaient à donner une seconde vie au Maitron, grâce au support informatique, sans pour autant abandonner, bien au contraire, la perspective des dictionnaires « papier ». Peu après le décès de Jean Maitron, survenu en 1987, et le passage à l’informatique dans la rédaction et la publication du Dictionnaire, le projet prit forme et une rencontre eut lieu avec Martine Combrousse, chargée des Cédéroms au ministère de la Recherche.
3Dès le début des années 90, une réflexion avait été menée avec Gérard Verroust du laboratoire LIVRE de l’Université Paris VIII. L’ampleur des coûts et la faiblesse des financements publics nous avaient fait renoncer. Diverses autres propositions furent ensuite refusées car elles desaisissaient de l’œuvre l’éditeur et l’équipe des auteurs.
4Or, une des clés de la réussite réside dans le renforcement des cohésions éditoriales qui ont permis de mener à terme et de poursuivre un travail hors normes. Il fallait donc que le Cédérom soit publié par les Éditions de l’Atelier-Éditions ouvrières – la maison d’édition qui soutient sans faiblir le Maitron depuis trente-cinq ans – et qu’il s’insère dans un plan éditorial associant étroitement projet papier et dictionnaire électronique.
5Le vrai coup d’envoi a été donné par les Éditions de l’Atelier à l’occasion de la rencontre en 1995 avec Jean Sylvestre, responsable de la société SDC et réalisateur pour le compte des Éditions La Découverte de plusieurs cédéroms : La Guerre d’Algérie, l’État du monde...
6Le programme de travail était impressionnant : frappe en double saisie (méthode qui s’avérait plus fiable que la saisie optique) des volumes, contrôle et relecture, intégration des modifications et des compléments, balisages multiples, réalisation d’exposés audiovisuels d’accompagnement... Nous vous épargnions les considérations sur l’ampleur de la tâche et l’état de l’équipe du Dictionnaire qui ne s’est jamais senti si proche des populations étudiées par André Zysberg, pionnier du rapprochement entre histoire et informatique et, comme vous le savez, historien des galères et des galériens.
7La réussite réside dans une bonne articulation entre les trois composantes du noyau de production : l’éditeur qui porte le projet éditorial, doit trouver financement et public, l’informaticien qui propose une série d’options, l’historien géniteur du produit scientifique et pédagogique, en la circonstance l’équipe animée par Claude Pennetier et dont les piliers furent pour le Cédérom Michel Cordillot2 et Jean Risacher3. En raison de la nouveauté de ce type d’entreprise rien n’est fixé par avance ; chacun doit trouver ses marques. Au final, le Cédérom n’est pas exactement ce qu’imaginaient les uns et les autres. N’a-t-il pas été plus long et plus cher qu’espéré par l’éditeur, trop complexe en terme de liens hypertexte pour l’informaticien, plus puissant qu’espéré par les historiens ?
Les cohésions éditoriales.
8L’éditeur est celui qui a le moins de certitudes. Conscient que l’édition électronique n’est pas un enjeu marginal, il ne dispose pas encore de tous les outils qui permettent de maîtriser les délais, les coûts et la diffusion. Les circuits de commercialisation restent flous et aléatoires même en s’associant avec une société spécialisée de diffusion, OCE. Les subventions publiques ne viennent plus des mêmes organismes : le Centre national des lettres cède le pas au Centre national de la cinématographie puisque les cédéroms sont des produits audiovisuels. Ce glissement qui n’a pas d’implications négatives immédiates pose cependant le problème de la cohérence, à terme, du soutien à l’édition scientifique. En se lançant dans l’édition simultanée de deux cédéroms très différents dans la conception comme par le public visé, l’Encyclopédie des rouages de l’économie4 de Jean-Marie Albertini et le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, les Éditions de l’Atelier prennent un risque pour moderniser leur image, devancer des évolutions prévisibles et valoriser leur fonds.
9Le cas du Maitron est atypique dans la production française des Cédéroms. Par son ampleur, il s’apparente (en parent pauvre il est vrai) à l’Encyclopédia universalis même s’il est plus spécialisé et donc susceptible d’intéresser un public ciblé et pourtant différencié.
10Le DBMOF bénéficie d’un énorme atout, sa notoriété et même d’un attachement affectif pour une œuvre hors norme, exceptionnelle au plan international5. Conçu par Jean Maitron en 1955 et édité à partir de 1964, il a progressé par étape ou plutôt par période : de la Révolution française à la Première Internationale (1789-1864) ; Première Internationale et Commune (1864-1871) ; de la Commune à la Première Guerre mondiale (1871-1914) et enfin de la Première à la Seconde Guerre mondiale (1914-1939). L’aboutissement de chacune d’elle était vécu comme une réussite. À plusieurs reprises le chantier parut menacé, chaque fois l’œuvre sortit de l’ornière, solidifiée par l’épreuve. Le décès de Jean Maitron, au moment où sortait le tome 29, fut un de ces moments difficiles. Mais l’œuvre était sur les rails et la présentation du volume 43, dernier de la quatrième période, à l’Arche de la Défense, en 1993, permit de saluer l’ensemble de l’entreprise.
11Connu de longue date des bibliothécaires universitaires internationaux, des bibliothécaires français, des centres de documentation, le Maitron bénéficie d’une chance de prescription rapide. L’ampleur de la collection (45 volumes6) le problème de la place dans les rayonnages des usuels est parfois utilisé pour retarder l’acte d’achat. Avec quarante-cinq volumes en moins de vingt grammes, l’argument tombe. Ajoutons à ce tableau la fidélité d’un public de particuliers, chercheurs, professeurs, militants qui sont partiellement disposés à prolonger leur acquisition.
12L’objectif principal est la conquête d’un nouveau lectorat, individuel ou collectif, plus jeune sans doute, plus ouvert aux produits multimédias. Cet objectif passe par une reconnaissance de la qualité du Cédérom : puissance, rapidité, ergonomie. L’important était de bénéficier d’un moteur puissant, apte à brasser les fiches 103 000 de départ et les 110 000 notices après le travail de révision. Rien d’équivalent n’existait en France et il fallait donc regarder soit vers les USA, soit vers le Canada. L’idée d’une coédition avec le fournisseur du logiciel de recherche a été écartée au profit d’une rémunération forfaitaire et sous forme de royalties. Sur proposition de SDC, le choix s’est porté sur la société montréalaise CEDROM-SNi7 qui devait sa réputation à la qualité de son produit documentaire sur la presse québécoise et aux fonctionnalités de l’État du monde (Éditions de la Découverte). Or, il y a des points communs dans l’activation d’articles de presse multiples et d’une banque importante de notices biographiques. Depuis CEDROM-SNi a élargi ses interventions en France notamment par une coopération avec le quotidien Le Monde.
13Avec ce logiciel et les développements adaptés à nos besoins, la puissance et la rapidité étaient au rendez-vous. Pour la dimension multimédia, il nous a fallu rester modeste.
14L’essentiel de l’intérêt réside dans les qualités des tris ; les animations multimédias sont, dans ce cas, les cerises sur le gâteau dont bien des produits de ce type se dispensent. Elles sont cependant d’une certaine importance pour l’ouverture à un public non averti. D’où les deux options qui ont été retenues : une animation multimédia présente l’esprit de l’œuvre, laisse parler Jean Maitron et incite l’utilisateur à explorer le Cédérom ; une autre prend l’exemple d’une corporation, les gaziers-électriciens, pour en suivre l’histoire sociale en liaison avec la biographie des acteurs. Cette présentation est le fruit d’une coopération avec la CCAS d’EDF-GDF, coopération qui a donné naissance à un dictionnaire papier de « Gaziers-électriciens », sous la direction de Michel Dreyfus, et a permis une attention particulière aux représentants de cette corporation dans le Cédérom8.
15La forte présence des documents iconographiques et de vidéo se serait heurtée à un problème d’espace disque. La capacité actuelle n’aurait permis d’accueillir que quelques animations multimédias
16Sans doute faut-il attendre le DVD avec ses capacités de huit à seize fois supérieures pour donner toute sa dimension au Cédérom Maitron. La technologie présente sur le marché, malgré ses atouts, reste encore un peu faible. Ainsi avons-nous mis en route, dès à présent, une deuxième version du Cédérom, programmé pour une sortie publique en septembre 2000 et qui saura profiter des avancées techniques qui s’annoncent9.
17Dès aujourd’hui, la réflexion reprend, dans un premier temps entre éditeur et historiens et dans un second temps, une fois le projet défini avec le ou les informaticiens qui ont des idées dans le domaine des banques de données, des banques d’images ou des éventuelles connexions avec Internet10.
Un chantier informatique délicat
18La diffusion des moyens informatiques multimédia ouvre de nouvelles perspectives aux fonds historiques. Les documents, textuels ou non (photographies, émissions de radio, films...) peuvent être traités, analysés, commentés, rapprochés, mis en perspective et enfin édités. Avec le Cédérom Maitron, le lecteur devient utilisateur. Il peut diversifier ses recherches, s’approprier les notices, les organiser dans des dossiers, les annoter. Encore faut-il le guider et veiller à lui offrir toute une palette de possibilités.
19Dans un premier temps des animations multimédias de démonstration avaient été envisagées : ainsi la recherche d’une corporation et d’un événement (par exemple cheminots et grève de mai 1920). Il est apparu qu’un tel choix risquait d’être réducteur en ne proposant que quelques pistes parmi les centaines possibles couvrant les diverses facettes syndicales, politiques, sociologiques et événementiel du mouvement ouvrier. Cette fonction de guide par l’exemple a donc été limitée à un fascicule de vingt pages inséré dans l’emboîtage. Les deux audiovisuels de présentation réalisés avec Bernard Baissat, Michel Dreyfus et Claude Pennetier gardent un caractère de présentation historique sans entrer dans des considérations de stratégie d’utilisation.
20Un problème technique limite d’ailleurs leur usage. Les animations sont créées sous « Director » et pour un bon fonctionnement, il faut cumuler la mémoire vive de « Director » et celle de « Cedrom ». D’où la présence sur le disque de deux versions : une utilisable par les ordinateurs disposant de 16 Mégas de mémoire et une autre pour ceux qui disposent de moins de mémoire avec des animations en « Quicktime » (plus linéaire et donc pas interactif) intégrées dans le logiciel « Cedrom ». Prenons l’exemple de l’animation consacrée aux « Gaziers-électriciens ». Les noms propres, les courants (confédérés, unitaires...), les organisations (CFTC, CGT, Force ouvrière...), les notions (cadres, nationalisation, retraites...) s’affichent et peuvent être activés soit en cours d’exposé (le nouvel écran s’ouvre en fin de phrase), soit en fin d’exposé.
21Mais l’essentiel de l’effort a porté sur le balisage de la base. Les trente-trois premiers volumes ont dû être numérisés en double saisie et les dix autres volumes ont fait l’objet d’un balisage. Il fallait bien sûr individualiser les notices (début, fin), séparer les zones (intitulé, chapeau, article, œuvre, sources, signature), encadrer de balises les pseudonymes et les noms référencés qui seront activés par des liens hypertexte. Ont également été balisés les noms qui appartiennent à des corpus déterminés par les chercheurs.
22Les capacités du logiciel sont importantes et seules quelques notices supérieures à 25 000 signes ont dû être fractionnées en deux. Elles restent liées par des boutons « suite » et « début ».
23Le Cédérom offre à son utilisateur de multiples possibilités d’interrogation. On peut chercher les militants par leur nom, ou les trouver à partir d’indications diverses : appartenance à un corpus prédéterminé (par ex. pour les femmes) ; lieux ; métiers ; courant de pensée, etc. Grâce aux opérateurs booléens ET, OU, SAUF (SANS dans le vocbulaire de notre logiciel québécois) et aux recherches par proximité de mots, il est possible d’établir un dossier des notices correspondant aux objectifs de la recherche. On peut alors annoter ces biographies, les imprimer une à une ou imprimer l’ensemble du dossier.
24En activant le menu déroulant « recherche », les possibilités suivantes apparaissent :
Intitulé ; – Chapeau ; – Intitulé, chapeau et article ; – Oeuvres ; – Sources ; – Corpus ; – Période ; – Texte intégral
25Arrêtons par exemple le curseur sur « corpus » et sélectionnons « Gaziers-électriciens ». Sur la moitié droite de l’écran apparaît la liste de plus de deux mille notices instantanément activées, qui couvrent la période 1830-1968. Ces notices sont données dans l’ordre alphabétique, par période.
26On peut choisir de consulter n’importe laquelle de ces notices en utilisant l’ascenseur qui se trouve à la droite de l’écran et faisant un double clic sur la notice choisie. Cette dernière s’inscrira sur la moitié gauche de l’écran. Si elle occupe plus d’une page écran, on pourra la consulter en la faisant défiler à l’aide de l’ascenseur qui apparaît au milieu de l’écran, à droite de la notice. Pour un meilleur confort de lecture, on pourra élargir la notice à la dimension de l’écran en cliquant en haut sur document ou encore sur le carré situé sous l’ascenseur.
27Il est possible à ce stade de préciser la sélection en passant par le menu « recherche »« texte intégral » (ou dans la zone « article »). On peut par exemple obtenir la liste des notices dans lesquelles apparaissent des occurrences comme CGT, FO, CFTC, CFDT, UNCM, CCOS, CCAS... puis d’affiner encore le tri en ajoutant une sélection régionale ou locale.
28Les autres corpus activables sont les suivants : Femmes ; Conseillers municipaux de la Seine (Paris et proche banlieue), 1919-1940 ; Combattants volontaires en Espagne républicaine 1936-1939 ; Militants morts pendant la Seconde Guerre mondiale, en raison de leur engagement ; ou encore chacune des quatre périodes prise séparément.
29La recherche par texte intégral ou par « intitulé » est facilitée par l’usage de l’index qui permet d’entrer une portion du mot désiré et de connaître le nombre d’entrée pour chaque mot proche.
30Par exemple, on hésite entre Dupont et Dupond, on tape la portion de nom Dupon. Cinq orthographes vous sont proposées : Dupon, Duponchel, Dupond, Dupont, Dupontreué. On clique sur Dupon, Dupont et Dupond ; 108 notices sont activées.
31Le principal atout du moteur « Cdrom » est sa formidable puissance de recherche, qui permet de retrouver instantanément toutes les notices dans lesquelles figure un mot donné ou une série de mots.
32Outre sa grande capacité et sa vitesse de recherche, le principal intérêt du Cédérom est de rendre possible un nombre quasi infini de combinaisons de tris croisés grâce aux opérateurs booléens et à la recherche par proximité.
– Proximités de mot.
33Pour rechercher les notices où apparaît l’ensemble « ouvrier-paysan », en « texte intégral » taper « ouvrier », cliquer sur l’opérateur « ADJ » taper « paysan ». On retrouve ainsi 150 notices dans lesquelles les deux mots ouvrier et paysan sont adjoints (par exemple dans « bloc ouvrier-paysan » ou « parti ouvrier-paysan »)
– Proximité de phrase.
34En tapant dans « texte intégral » « congrès PHR Tours PHR 1920 », on obtient 1 497 documents. On pourrait également procéder en tapant « congrès ET Tours ET 1920 » : on obtiendrait alors 2 054 réponses, soit une recherche moins affinée, la présence des trois mots dans l’ensemble de la notice ne garantissant pas qu’il y soit question du congrès de Tours marqué en 1920 par la séparation entre socialistes et communistes.
– Proximité de paragraphe.
35Exemple d’une recherche portant sur les pacifistes et Munich. En « texte intégral », taper « index : pacifis ». Cliquer sur « pacifisme OU pacifiste OU pacifistes »« PAR »« Munich ». Nombre de réponses obtenues : 82. (La même recherche avec ET aurait donné 115 réponses, qui pour 33 d’entre elles ne présentaient aucun lien direct entre les occurrences).
36Pour une recherche plus sommaire et plus rapide visant à ne faire apparaître que les militants les plus importants d’une profession donnée, cette recherche pourra être restreinte à la seule zone « chapeau » qui évite les risques de « bruit » (de notice ne répondant pas à l’attente) et d’enlisement sous le nombre de propositions.
37L’activation de liens hypertexte a posé de nombreux problèmes en raison de l’ampleur du Dictionnaire et des limites du logiciel. L’idée était d’activer un vaste réseau nominatif qui dans chaque notice renverrait à une autre notice dont le nom est cité. En effet les noms en couleur bleue peuvent être cliqués et le lien hypertexte peut lui-même proposer un autre nom activable et ainsi de suite. En fait, il a fallu réduire nos ambitions en raison des nombreuses homonymies figurant dans le Maitron.
38Le logiciel offre par ailleurs de nombreux services. Ainsi le menu « Lien » propose de mettre un signet dans un texte consulté pour pouvoir retrouver lors d’une autre consultation le passage retenu. Toute biographie peut être commentée grâce à l’ordre « Annoter » figurant dans le menu lien. On peut imprimer une liste, un texte ou toute une sélection (de même pour l’exportation). L’utilisateur choisira son caractère, la taille et le nombre de colonnes. On peut dans les mêmes conditions exporter vers son disque dur.
39Le menu « Requête » permet de visualiser sa requête, de l’enregistrer, de l’imprimer et de l’activer. Il facilite un travail approfondi sur un corpus personnel.
40Enfin, si on souhaite constituer un corpus personnel et conserver la liste des noms retenus, on peut soit enregistrer la requête qui a permis de le constituer et l’appeler lors d’une session de travail ultérieure, soit constituer un dossier qui peut être enregistré et réutilisé.
41Il nous paraissait important de ne perdre aucune des informations figurant dans le Maitron. Les diverses « introductions », « clés du dictionnaire », « listes de collaborateurs » figurant en tête de chaque période ont été saisies et sont proposées dans le menu d’entrée. S’y est ajoutée une importante chronologie dans laquelle les noms sont activés pour renvoyer vers les notices de la banque.
42Cette chronologie est une des entrées proposées par les historiens. D’autres ont été sacrifiées sur l’autel de l’empirisme informatique.
Ambitions historiennes et réalisme informatique
43Le projet premier était certes plus chargé. Pour les animations multimédias, un ensemble de présentation retrouvant la créativité et le rythme de l’exposition « Visages du mouvement ouvrier » était prévu. La condition première était d’obtenir le soutien de comités d’entreprise pour les développements concernant une branche dactivité ou de régions pour des développements concernant des spécificités régionales du mouvement ouvrier. La lourdeur du processus de décision nous fit réduire l’ampleur du programme et privilégier les relations avec la CCAS d’EDF-GDF très ouverte aux coopérations avec les historiens.
44Avec son soutien, nous pûmes affiner l’intervention sur la banque de données en intensifiant le travail de restructuration, de complément et de balisage.
45Restruturation : car un dictionnaire papier a des contraintes auxquelles échappe le Cédérom. Ainsi les biographies à cheval sur plusieurs périodes ont dans le dictionnaire des versions successives. Il faut donc établir la version unique, définitive et fusionner des milliers de notices.
46Complément : l’occasion était trop belle, il fallait tenir compte de l’évolution de l’historiographie et solliciter les chercheurs qui sont attachés au Maitron et veulent le faire bénéficier de leurs connaissances nouvelles. C’est la première période qui a bénéficié du renouvellement le plus fort. La quatrième période à apporté son lot de notices nouvelles grâce à l’ouverture des archives de Moscou.
47Balisage : outre les balises de zone (Intitulé, Chapeau, Article....) et de repérage des pseudonymes, il s’agissait de permettre l’activation de liens hypertexte permettant le passage d’une notice à une autre. Deux options pouvaient être choisies : soit l’activation des seuls noms connus au risque de s’éloigner de l’esprit du Maitron ; soit l’activation de tous les noms qui ont une notice dans le dictionnaire soit plusieurs centaines de milliers de balises puisqu’un nom peut être cité plusieurs fois. Des obstacles de temps s’y opposaient et l’équipe de chercheurs a choisi de faire figurer systématiquement la balise lorsque le nom était suivi dans le dictionnaire papier par « voir ce nom » et de procéder à un balisage soit par des macros, soit à la main pour les noms grands ou moyens.
48Ce choix des chercheurs, dans lesquels ne sont intervenus ni l’éditeur ni l’informaticien, s’est heurté à une rigidité du logiciel. Le Maitron contient naturellement de nombreux homonymes. Dans l’impossibilité de choisir, l’algorithme devrait prévoir la possibilité d’ouvrir une fenêtre proposant plusieurs réponses. Ce ne fut pas le cas et cette évolution n’est attendue que pour la deuxième version. L’ambition de proposer un réseau nominatif s’en ressent puisque des noms restent inactifs pour des raisons techniques.
49L’outil proposé au public et particulièrement au chercheur est cependant remarquable. Il permet de sélectionner des populations, des sous-populations, de multiplier les hypothèses. Le risque du « bruit » a été préféré à celui du « silence ». En effet, sauf dans l’usage des corpus balisés – corpus qui correspondent à quelques centres d’intérêt de l’équipe du Maitron – les recherches portent sur la totalité de la zone avec des risques de sélection trop large. Ainsi comment différencier un boulanger du général Boulanger et de l’entreprise Boulanger. On peut cependant en utilisant les fonctions de proximité améliorer la requête.
50L’ensemble des questions posées par l’apport des Cédéroms a été suivi par un groupe de travail « Multimédia et mouvement ouvrier » réunissant informaticiens et historiens. L’un des initiateurs de cette réflexion, Wilfredo Aliana, en a rendu compte dans un DEA intitulé Informatique, histoire, mouvement ouvrier, démocratie (début de discussion sur l’éventail d’autres liens possibles) du département hypermédias de l’Université Paris VIII. Il n’est pas anecdotique de signaler que ce chercheur est chilien et que revenu dans son pays, il compte sur le multimédia pour développer les liens avec les chercheurs français.
51Le potentiel humain et technique d’un tel groupe pourrait permettre la production de produits intéressants dans un cadre essentiellement universitaire, principalement pour les dictionnaires internationaux. Aliana n’a-t-il pas réalisé lui-même un Cédérom sur le mouvement ouvrier chilien, produit qu’il juge avec sévérité dans son mémoire de DEA.
52Au-delà du travail expérimental, la formule n’est ni viable ni souhaitable. Un Cédérom plus encore qu’un livre puise sa force dans l’expérience de ceux qui le fabriquent et l’efficacité des éditeurs qui assurent son rayonnement.
53La numérisation de l’ensemble des volumes et l’adjonction des données nouvelles nous ont permis de travailler en étroite liaison avec Alain Lelu du département hypermédias de Paris VIII et de tenter une application de son programme « Neuronad ». Grâce à des algorithmes neuronaux, on peut partir d’un corpus textuel par indexation automatique et faire apparaître des ensembles de mots, de thèmes avec des positionnements dans la classe11. Pour la période 1871-1914 qui a été testée en priorité en bénéficiant du travail des stagiaires d’Alain Lelu, des temps forts (congrès de Marseille de 1879 ou d’Amiens en 1906) ou des profils militants (l’anarchiste, l’élu socialiste) sont éclairés par un environnement lexical. Un travail de modification manuelle de l’indexation reste à entreprendre pour adapter l’outil à nos problématiques.
54Toutes ces pistes préparent une réflexion stimulante pour le Maitron 2000.
55Quels seront (ou devraient être) ses nouveaux atouts ?
56Ce sera tout d’abord l’ouverture à la période 1940-1968 et en second lieu la révision des biographies anciennes. La cohabition de plusieurs banques est également envisagée : banque des exilés français en Amérique du Nord ; banque des militants maghrébins ; banques des responsables du Komintem.
57L’iconographie fera son entrée dans les notices.
58Les archives du Maitron disposent d’une collection non négligeable de documents iconographiques fournis au fil des ans par des militants, des familles de biographiés, des historiens. Une partie a d’ailleurs été publiée dans les hors-texte qui sont présents dans chaque volume ; d’autres ont été utilisés pour l’exposition « Visages du mouvement ouvrier » et ont enrichi son catalogue12. Elle ne concerne bien sûr qu’une petite partie des militants et militantes présents dans le dictionnaire. Il nous semble souhaitable, avant toute utilisation informatique, d’organiser d’abord un travail patient de collecte, de scanérisation et de réflexion sur les usages de la photographie personnelle, collective, de localisation. En effet, les militants ne bénéficient pas au même titre d’une présence dans les collections photographiques. Ne risque-t-on de privilégier l’élu, le notable, l’orateur ou détriment de l’obscur et du sans grade ? Il faut donc s’interroger sur l’usage de documents moins accessibles : photographies familiales (mariages, fêtes), dessins, caricatures), photographies de police... Le logiciel « Cedrom » autorise l’activation d’une iconographie à partir de la fiche biographique. Encore faut-il s’assurer que l’esprit du Maitron est bien respecté que le panel activable est diversifié, sinon représentatif. Le travail est déjà entrepris et il s’avère long et gourmand en mémoire morte13.
59Cette remarque est encore plus juste pour l’image mobile. Depuis une quinzaine d’années, le réalisateur Bernard Baissat partage avec l’équipe du Maitron la curiosité des itinéraires militants. Une dizaine de ses portraits de militants ont été projetés en salle ou sur des chaînes télévisées, d’autres ont servi pour les audiovisuels de l’exposition « Visages du mouvement ouvrier ». Plusieurs entretiens de militants de la période 1940-1968 ont été filmés en vidéo avec un triple objectif : écriture de la notice biographique de l’interviewé ; utilisation éventuelle des images dans un montage vidéo ; présence dans le Cédérom. Là encore, l’incorporation d’image mobile est repoussée dans la première version en attente de conditions techniques meilleures et d’une véritable possibilité de choix. La vidéo ne peut pas être un gadget ; elle doit s’intégrer dans une réflexion d’ensemble sur l’image du militant.
60Grâce aux efforts de Jean Lorris14, directeur de l’Encyclopédie socialiste, syndicaliste et coopérative, des traces sonores du militantisme de la fin du XIXe siècle et du début du XXe ont pu être conservées. En 1929, il lança la Voix des Nôtres sous l’égide du Parti socialiste, la Voix du Travail sous le couvert de la CGT et les Chants du Monde du Travail, conservant ainsi les voix des grands orateurs socialistes, syndicalistes, coopérateurs, de Firmin Gémier et d’autres comédiens. Une mort prématurée vint interrompre cette tâche. Côté communiste, les disques Piatiletka, La Voix du Peuple firent de même ; une partie a d’ailleurs été rééditée récemment par un Institut des archives sonores15 à partir des collections privées. Le fonds de la Phonothèque de Paris reste en effet très incomplet et c’est parfois dans les locaux politiques et syndicaux de province qu’il faut chercher les disques16. Faire l’inventaire de l’ensemble de ces documents sonores et les reprendre au moins partiellement dans le Cédérom 2000 serait une tâche louable qui se heurtera peut-être à des problèmes financiers si la part des fonds de la Phonothèque est trop forte, en raison du coût élevé des droits de reproduction.
61Enfin, une coopération étroite avec les informaticiens permettra de redéfinir la fonction des liens hypertexte et de rechercher des solutions techniques par des développements de l’algorithme. Peut-être faut-il envisager d’élargir l’activation aux noms des organisations, aux courants, aux thèmes (grève générale...) ou aux lieux. Vaste programme.
Conclusion
62L’association entre éditeurs et auteurs est intrinsèquement liée à l’entreprise, non sous une forme fusionnelle mais par des complémentarités multiples liées à l’histoire des lieux d’édition et à des positionnements culturels convergents. En raison des enjeux financiers et des risques éditoriaux, dans plusieurs maisons d’édition et particulièrement à l’Atelier et à la Découverte, ce sont les directeurs généraux qui suivent personnellement la réalisation des Cédéroms. Cette formule donne le maximum de chance et de souplesse aux produits nouveaux. La réflexion ne peut en effet que porter sur le moyen et le long terme, sur les rééditions et les usages dérivés. Dans le cas du Maitron c’est tout le problème de l’articulation entre les éditions papier spécialisées (aujourd’hui le Dictionnaire des Gaziers-électriciens, demain peut-être celui des Mineurs ou des Cheminots), la poursuite du Dictionnaire pour la période 1940-1968 et les perspectives de réédition globale.
63En fait, l’écriture des dictionnaires va être sensiblement modifiée par l’expérience du dictionnaire électronique. La conséquence la plus visible sera l’usage plus systématique et plus structurée du chapeau, guide indispensable des grandes biographies et garantie contre le « bruit » pour les utilisations pédagogiques. La rédaction elle-même intégrera l’expérience des recherches « texte intégral » dans le choix du vocabulaire, des appelations professionnelles, syndicales et politiques.
64L’existence du cédérom stimule la mémoire comme la recherche scientifique. Elle provoquera témoignages, compléments, suggestions, découverte d’itinéraires nouveaux et renforcera l’interactivité entre historiens et lecteurs mais aussi entre techniciens et historiens.
65La création d’un groupe de travail « Multimédia et mouvement ouvrier » témoigne de l’aspiration à la coopération entre informaticiens et historiens. L’un des principaux éditeurs de Cédéroms, Pierre Raiman, directeur de Montparnasse multimédia, n’est-il pas un historien qui avait consacré son DEA à une adaptation de l’intelligence artificielle à une lecture du Maitron. A cette exception près, il est peu vraisemblable que l’informaticien ait le temps ou le goût de se consacrer à une découverte approfondie des méthodes de la biographie historique et de la prosopographie. C’est donc à l’historien de suggérer les idées que lui inspirent son expérience d’observateur des itinéraires des acteurs et sa pratique de la valorisation de la recherche. La capacité d’écoute et de proposition de l’informaticien est alors fondamentale. Son expérience des productions en cours, de l’évolution des logiciels et son savoir-faire modifient profondément les perspectives.
66Ce colloque contribue à la renforcer les coopérations entre historiens, informaticiens et éditeurs. Il nous incite à une réflexion en amont et à un bilan en aval. Le Cédérom devient un produit multipublics qui modifie les conditions de la recherche. Toute une partie des analyses savantes utilisant la gestion de fichiers sera contournée par un usage plus empirique des tris dans les Cédéroms. A l’historien de transmettre son expérience pour mettre à la portée de publics diversifiés un puissant outil de recherche, à l’éditeur de modeler le projet pour l’adopter à un public potentiel, à l’informaticien de saisir les progrès techniques et logistiques pour développemer le produit nouveau.
Notes de bas de page
1 Sur l’histoire du Maitron et ses usages voir Michel Dreyfus, Claude Pennetier et Nathalie Viet-Depaule (s.d.), La Part des militants. Biographie et mouvement ouvrier : autour du Maitron, Editions de l’Atelier, 1996.
2 Spécialiste du mouvement ouvrier aux Etats-Unis, Michel Cordillot prépare un Dictionnaire biographique des militants ouvriers et socialistes franco-américains qui a déjà alimenté le Cédérom Maitron et prendra vraisemblablement place dans la seconde version du Cédérom.
3 Citons également Michel Dreyfus, Nathalie Viet-Depaule, Eric Belouet, Laurence Bénichou, Nathalie Raoux, Jean-Philippe Legois qui a des titres divers ont contribué à modeler le Cédérom.
4 Encyclopédie multimédia réalisée à partir de l’ouvrage de Jean-Marie Albertini Les rouages de l’économie nationale. En fait, le Cédérom est beaucoup plus riche que l’ouvrage, qui lui-même a dû être réédité dans une nouvelle version.
5 Voir L’Internationale des dictionnaires, numéro de Matériaux (s.d. Michel Dreyfus, Claude Pennetier, Nathalie Viet-Depaule), janvier-juin 1994, n° 34 (BDIC 6 allée de l’Université 92001 Nanterre).
6 43 volumes plus un volume 44 de compléments correctifs, plus un tome consacré aux Gaziers-électriciens. Nous n’évoquons pas ici les 7 volumes internationaux qui n’entrent pas dans le Cédérom.
7 Chef de projet Jean Amaye
8 Le dictionnaire fait bien sûr partie de la collection du Maitron.
9 Nous l’appelerons désormais le Cédérom 2000.
10 Signalons que le Maitron ouvrira un domaine Internet avant le fin de l’année, sous la responsabilité de Nathalie Raoux et Jean-Philippe Legois. Celui-ci
11 Jean-Pierre Balpe, Alain Lelu, Imad Saleh, Fabrice Papy, Techniques avancées pour l’hypertexte, Paris, Hermès, 1996.
12 Michel Dreyfus, Claude Pennetier, Nathalie Viet-Depaule, Visages du mouvement ouvrier, Editions de l’Atelier, 1995.
13 Ce travail pourrait être réalisé en coopération avec un ou des centres d’archives publiques. Notre projet n’étant pas de constituer une collection, les photographies une fois scanérisées pourraient être conservées dans un fonds d’archives.
14 De son vrai nom Léon Leroy, 1879-1932
15 Les Voix du Parti communiste français. Discours, témoignages et chansons (1920-1994), CD disque, 1995 (4, rue Paul Vaillant-Couturier 92140 Clamart)
16 Ainsi à la Fédération socialiste du Maine-et-Loire, Jacques Bouvet a inventorié une importante collection de disques La Voix des Nôtres.
Auteurs
Chercheur CNRS, directeur du Maitron
Directeur général des Editions de l’Atelier-Editions ouvrières (12 av. Sœur-Rosalie 75013
Directeur de SDC (9 rue Saint-Hilaire 75005)
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