Lumières, franc-maçonnerie et politique dans les États des Habsbourg
Les correspondants du comte Fekete1
p. 73-117
Remerciements
Je remercie Mme Éva H. Balázs, professeur à la Faculté des Lettres de Budapest, de m’avoir indiqué le fonds d’archives utilisé dans cet article. Ma recherche en Hongrie a été possible grâce à une mission d’un mois (novembre 1977) dans le cadre de l’accord d’échanges culturels franco-hongrois.
Texte intégral
1Un des principaux titres de gloire du comte hongrois Fekete fut d’avoir rendu visite à Voltaire, puis correspondu avec lui2. Du moins est-ce cet échange épistolaire qui a retenu l’attention de certains érudits, surpris, sans aucun doute, de trouver, parmi les destinataires des lettres du patriarche de Ferney, un aristocrate d’un pays aussi éloigné et exotique. Il n’en fallut pas plus pour faire de Fekete le « voltairien de Hongrie », comme en témoignent les titres des différents articles consacrés au personnage3. Encore la référence voltairienne n’était-elle pas du meilleur aloi ! Car des deux lettres de Voltaire les plus souvent citées, l’une, celle du 4 avril 17684, est une besogneuse correction, pied à pied, de la versification du comte hongrois ; l’autre, du 23 octobre 17675, met en balance, de façon assez ironique, la poésie de Fekete et le vin de Tokay que le comte avait joint à son envoi littéraire6. De fait, la correspondance échangée entre le jeune Fekete et Voltaire relève plus de l’enthousiasme néophyte suscité chez un officier lettré par le renom incontesté du maître de la république des lettres, que d’une profonde communauté de vue et de pensée. Fekete a survécu d’un quart de siècle à Voltaire, la presque totalité des lettres qu’il a reçues est postérieure à la mort de l’auteur de Candide. C’est à partir de toute cette correspondance que peut être reconstitué le climat intellectuel dans lequel a vécu János Fekete de Galántha7.
2La correspondance reçue par lui, de 1764 à 1803, année de sa mort, est conservée aux Archives nationales de Hongrie. Déduction faite des quelques lettres qui n’ont pas été adressées à lui, mais à des membres proches de sa famille, le corpus se compose de 763 lettres occupant 1234 folios. L’étude statistique de cet ensemble apporte les premiers renseignements sur l’environnement linguistique et l’horizon européen d’un aristocrate d’Europe centrale à la fin du xviiie siècle. On sait l’importance récurrente qu’a prise, à partir du xixe siècle, la question de la langue véhiculaire dans les pays de la maison d’Autriche. L’examen des correspondances privées permet d’établir l’importance des différentes langues les unes par rapport aux autres, de marquer la place de la langue vernaculaire, celle de l’allemand, langue de la dynastie et de l’administration centrale, et celle des langues internationales du temps, le français et le latin. L’aristocratie d’Europe centrale, pendant presque tout le xviiie siècle comme au siècle précédent, se trouve beaucoup plus en situation de cosmopolitisme que bloquée par un choix culturel et politique entre la langue du pays (le tchèque, le croate, le magyar...) et l’allemand, dont des jugements parfois hâtifs ont établi, un peu trop tôt, la prééminence dès le xviie siècle8. On aime d’ailleurs se dire cosmopolite. Une œuvre de Fekete, publiée à Vienne en 1787, est intitulée Esquisse d’un Tableau mouvant de Vienne, tracé par un Cosmopolite.
3Les 763 lettres conservées se partagent entre cinq langues. Avec 264 lettres, soit un bon tiers du total (34,60 %), l’allemand est au premier rang, suivi par le hongrois (174 lettres, 22,80 %). Viennent ensuite le français (152 lettres, 19,92 %), l’italien (100 lettres, 13,11 %) et le latin (73 lettres, 9,57 %)9. Répartition somme toute peu surprenante, même si on note la bonne tenue du hongrois. La place honorable de l’italien, en ce troisième tiers du xviiie siècle, est due essentiellement au séjour de six ans que Fekete fit à Trieste. Quant au latin, son pourcentage tient à son rôle en Hongrie comme langue officielle de la Diète et de l’administration centrale jusqu’au début du xixe siècle10. La statistique portant sur les correspondants connus, qui sont au nombre de 32211, respecte cette répartition, même si elle modifie quelque peu les ordres de grandeur : 96 correspondants n’utilisent que l’allemand, 69 le hongrois, 66 le français, 37 l’italien et 22 le latin. Mais un dixième du total use de deux ou même trois langues12. En pondérant (un correspondant allemand-français est compté pour 0,5 en allemand et 0,5 en français, etc.), on obtient les proportions suivantes : 32,56 % pour l’allemand, 23,08 % pour le hongrois, 22,93 % pour le français, 13,04 % pour l’italien et 8,39 % pour le latin. La seule transformation notable est la promotion du français : plus d’un cinquième des correspondants utilise une langue qui n’est pas, sauf exception, son idiome maternel. On sait le goût de Fekete pour la langue de Voltaire : d’où les efforts, parfois émouvants, de certains à se risquer en français, l’orthographe dût-elle en souffrir13.
4 Le critère d’emploi de la langue n’est pertinent que s’il est rapporté à ce que nous appelons aujourd’hui la nationalité de l’usager, notion simple dans l’Europe des passeports d’après 1914. Mais au xviiie siècle, dans l’Europe centrale et orientale, et principalement dans l’État multinational des Habsbourg, l’élite aristocratique et cultivée des différents pays, si elle se souvient du berceau de sa lignée, s’est souvent fondue au sein de la classe dirigeante. Le cas le plus frappant est celui de la noblesse tchèque et morave, devenue massivement, un siècle et demi après la défaite de la Montagne Blanche, une noblesse de service de la monarchie habsbourgeoise. Les Lobkovic, les Kinsky, les Czernin, les Kaunitz (Kounice)14, sont tout autant Viennois que régnicoles de la couronne de saint Venceslas ; ils partagent leur temps entre leur palais viennois, leur résidence traditionnelle à Prague ou à Brünn (Brno) et leur seigneurie rurale de Bohême ou de Moravie. Inversement, nombre de familles nobles des États patrimoniaux allemands et certaines familles étrangères, au service des Habsbourg, ont reçu, par privilège royal ou par décision de la Diète, l’incolat en Bohême ou l’indigénat en Hongrie15. Dans ces conditions, c’est une gageure d’assigner à tel ou tel aristocrate, une langue dite « maternelle ». Malgré ces difficultés, nous pensons pouvoir placer quelques jalons sûrs. Dans cet ensemble des 322 correspondants de Fekete, l’incertitude existe pour 64 d’entre eux. Pour les 258 restants, l’allure du nom, plus encore l’orthographe du prénom quand il est mentionné (car la forme nationale est généralement observée), la notoriété pour nombre de personnages, enfin les vérifications dans les diverses biographies nationales16, permettent un classement et un croisement avec la langue utilisée.
5 Les patronymes et les prénoms magyars sont le plus facilement repérables. Sur les 258 correspondants retenus, 122 peuvent être dits hongrois : 68 écrivent en hongrois, 18 en latin, 11 en allemand, 7 en français, 18 dans plusieurs langues. D’après notre système de pondération, 60,11 % des Hongrois écrivent en magyar, 18,03 % en latin, 12,57 % en allemand, 8,47 % en français et 0,82 % en italien. À la fin du xviiie siècle, en Hongrie, les membres de l’élite du pays utilisent donc massivement la langue vernaculaire pour correspondre entre eux. Le hongrois n’est nullement réservé aux roturiers : sur les 68 utilisateurs exclusifs, 32 au moins appartiennent à la moyenne ou à la grande noblesse17. En revanche, les utilisateurs exclusifs du français et de l’allemand sont, à une exception près, tous nobles, généralement de grande noblesse : dans le groupe allemand, 3 barons, 6 comtes et une princesse18 ; dans le groupe français, 7 comtes et comtesses19. Les correspondants mixtes utilisant le français ou l’allemand sont, dans leur grande majorité, des aristocrates : sur les 9 correspondants usant partiellement de l’allemand, 7 nobles20 ; sur les 7 écrivant parfois en français, 6 le sont également21. L’allemand et le français sont les langues élégantes utilisées par une fraction de l’aristocratie hongroise pour sa correspondance interne, fraction importante puisque, au total, sur les 61 nobles hongrois identifiés, environ la moitié use d’une autre langue que le hongrois. Dans le cas des correspondants féminins, tous issus de l’aristocratie, on constate un véritable effacement du hongrois : sur les 9 femmes hongroises écrivant à Fekete, 2 seulement le font en magyar, contre 4 en français et 3 en allemand : influence certaine des précepteurs étrangers dans l’éducation des filles de l’aristocratie22, mais aussi usage social dans un monde de politesse et de courtoisie. Le français, plus encore que l’allemand, fait partie, avec la danse, la musique et la tapisserie, de la bonne éducation des demoiselles hongroises. Les lettres de la fille de Fekete et celles de sa femme, née Esterházy, à leur fils, non retenues dans le corpus, sont toutes en français.
6En revanche, le latin n’a aucune connotation aristocratique dans la Hongrie des Lumières : aucun grand nom parmi ses utilisateurs exclusifs, hormis l’évêque d’Arad, Pál Avakumovics, qui en fait, si l’on veut, un usage professionnel, l’écrivain András Haliczky (1753-1830), professeur de littérature allemande à l’École supérieure de Pest, auteur de poésies latines de circonstance et des Ephemerides politico-litterariae et le baron György Lastgallner. Dans le groupe des utilisateurs partiels, soit 8 individus, 5 nobles parmi lesquels 2 professeurs de l’École supérieure de Pest23. La primauté du latin appartient bien au passé ; le latin est encore une langue universitaire et parfois une langue de culture ; quelques Hongrois s’exercent encore à la poésie latine. De plus en plus, son rôle se réduit à être l’instrument commode pour des exposés juridiques ou administratifs.
7Un deuxième groupe important est constitué par tous ceux dont on s’attendrait à ce que, dans leur correspondance avec un comte hongrois, ils emploient l’allemand : c’est le cas des natifs du Saint-Empire romain germanique (y compris les États patrimoniaux des Habsbourg), exception faite de la Bohême-Moravie, ainsi que de toute la noblesse de service de l’empereur-roi, recrutée dans et hors les États héréditaires, Hongrie exceptée. Sur les 258 correspondants retenus, 79 entrent dans cette catégorie, dont les limites, assurément, sont floues, puisqu’en aucune façon elles ne coïncident avec celles d’un véritable État. Sur ces 79 individus, la grande majorité, 54, écrit en allemand ; une forte minorité de 21 individus emploie le français ; un unique correspondant use de l’italien24, un l’allemand et le français, 2 l’allemand et l’italien25. En pondérant, nous obtenons 70,25 % pour l’allemand, 27,22 % pour le français, 1,27 % pour le hongrois et 1,27 % pour l’italien. Sans aucun doute, la langue allemande est le principal moyen de communication dans le vaste espace géographique de l’Europe moyenne. Chiffre d’autant plus remarquable qu’il ne s’agit pas d’une correspondance entre « germanophones », mais entre des « germanophones » et un Hongrois. Parmi ces 54 correspondants, 23 nobles, dont 11 appartiennent à la petite noblesse26 et 12 ont des titres plus relevés27. La proportion nobiliaire est évidemment beaucoup plus forte dans le groupe utilisant le français : 17 correspondants sur 21, parmi lesquels les grands noms de l’Empire et des États des Habsbourg. Citons deux princes de maisons régnantes, Albert-Casimir de Saxe-Teschen, fils du roi de Pologne Auguste III et gendre de Marie-Thérèse, gouverneur en Hongrie puis aux Pays-Bas, et le prince wurtembergeois Ferdinand, fils du duc Frédéric-Eugène, un comte Colloredo, le baron bavarois Karl von Hompesch, futur général anglais, célèbre par ses aventures multiples pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, le chancelier Wenzel von Kaunitz, un Kollonich, le comte et écrivain Maximilian von Lamberg, le comte de La Leyen, chanoine de Trêves, Bamberg et Würzburg, chevalier de Malte, une comtesse née Starhemberg, une comtesse Szluha, née Trauttmansdorff, un Waldeck28. Au total, près de 45 % des aristocrates du groupe utilisent donc le français pour correspondre avec leur homologue social hongrois. Nous retrouvons la même proportion en isolant les correspondants féminins29. Le français n’a pas ici le même prestige mondain qu’auprès des dames de l’aristocratie hongroise. La langue allemande marque des points ; il n’est plus indigne, pour une aristocrate viennoise, d’en faire le véhicule de ses pensées.
8Le dernier ensemble important est le groupe italien. 45 correspondants paraissent natifs de la péninsule, et, pour la plupart, domiciliés dans les régions nord-est, où Vienne exerce une influence prépondérante, la monarchie atteignant même l’Adriatique et la plaine du Pô. Plus de la moitié (28) écrivent de Trieste, Venise, Görz (Gorizia), Fiume, Padoue, Vérone, Belluno et Vicenze. Les 3/4 emploient l’italien pour communiquer avec Fekete, qui a séjourné longuement à Trieste. 4 utilisent le français, un seul use de l’allemand, 7 de deux langues différentes. Les coefficients pondérés donnent 80 % pour l’italien, proportion maximale chez un groupe que nous osons à peine appeler national, dans l’utilisation de sa propre langue, 14,44 % pour le français, 4,44 % pour l’allemand et 1,11 % pour le latin. Comme dans les cas précédents, l’usage d’une langue étrangère a une forte connotation aristocratique. Sur les 12 utilisateurs, la moitié est noble30. La proportion est deux fois plus faible (8 sur 33) pour les usagers de l’italien31. Malgré le tropisme du français, l’italien garde encore, à la fin du siècle, le rôle de langue internationale. Il dispense souvent les habitants de la péninsule d’employer une autre langue, assurés qu’ils sont d’être compris. Et nous savons l’usage qu’en font les régnicoles de l’empereur-roi, dont les territoires patrimoniaux englobent des contrées italiennes, et dont les armées offrent un débouché constant à la noblesse désargentée de la péninsule et plus encore de l’Italie du Nord.
9Les autres groupes32 sont trop restreints pour qu’on puisse tirer des conclusions. Notons cependant qu’un seul des cinq polonais emploie l’allemand33, les autres utilisant le français, langue de communication essentielle entre gens à langues vernaculaires d’extension réduite34. Pour des raisons semblables, le français apparaît comme la langue des affaires : le marchand polonais Jean-Frédéric Preschel en use, tout comme le Londonien Benfield, le banquier Ghequier, quand il envoie à Fekete le bilan budgétaire pour janvier et février 1790, et la firme viennoise Fries & Comp, lorsqu’elle veut se faire payer une lettre de change35. Le salon bien sûr, mais aussi le comptoir : l’éventail social du français, très ouvert, recouvre en fait tous les registres.
10Une autre corrélation peut se révéler tout aussi pertinente : il s’agit de croiser la langue dans laquelle est écrite la lettre, non plus avec l’appartenance probable de l’auteur à une langue vernaculaire, mais avec l’origine géographique de la lettre. La comparaison de ces nouveaux résultats avec les précédents peut permettre de mesurer l’influence linguistique du milieu ambiant, c’est-à-dire l’imprégnation par la langue dominante du lieu habité. Nous nous référons donc maintenant aux seules lettres domiciliées à leur point de départ, au total 643 missives originaires de 147 lieux à travers l’Europe. 268 lettres ont été écrites en Hongrie (y compris la Croatie, la Transylvanie, le Banat et les confins militaires) : 52,24 % sont en magyar, 19,78 % en allemand, 12,69 % en latin, 13,81 % en français et 1,49 % en italien. Ces proportions tendraient à minimiser le critère de résidence par rapport à l’appartenance nationale : les deux langues de la Hongrie, magyar et latin, par rapport à la précédente statistique (60,11 et 18,03 %), régressent au profit du français et surtout de l’allemand ; chiffres non surprenants si on songe au carrefour qu’est alors la Hongrie, à l’importance des « étrangers » qui y séjournent pour des raisons souvent militaires : les armées impériales qui emploient, nous l’avons vu, non seulement des Allemands, mais beaucoup d’Italiens et quelques autres Européens, sont souvent stationnées dans le royaume de saint Étienne, dont les forteresses et les cantonnements sont les bases de départ vers les aires d’expansion du temps, la Pologne du Sud et l’Empire ottoman. Dans cette Hongrie, la première place revient à la double capitale Buda et Pest36 : 64 lettres en émanent, dont la répartition entre langues accentue le recul du magyar (42,19 %), menace l’avancée de l’allemand (17,18 %), le tout au profit du français (20,31 %), qui apparaît donc, dans l’Europe cultivée, comme la langue des capitales. Progresse également par rapport à l’ensemble hongrois, le latin, langue administrative et universitaire, bien propre à être utilisée à Buda et à Pest. La deuxième capitale, Presbourg, a la même proportion de lettres en français (5 sur 24, soit 20,83 %) ; les deux langues « nationales » régressent : 8,33 % pour le latin, 37,50 % pour le magyar. Mais l’allemand obtient un chiffre record, 33,33 %, s’expliquant par la proximité géographique et les communications faciles avec l’Autriche, et peut-être plus encore, par le long passé d’une ville qui fut le centre administratif d’un royaume réduit à sa partie occidentale par l’occupation turque, cette Hongrie royale soumise à l’influence allemande venue de Vienne. En revanche, l’allemand est inexistant parmi les 30 lettres venant d’Arad, chef-lieu de comitat au-delà de la Tisza : 19 lettres en hongrois, 10 en latin, une seule en français37.
11Le critère géographique peut encore être affiné si on réintroduit, dans la relation avec la langue employée, le paramètre de l’appartenance nationale. En retenant, dans les 263 lettres expédiées de Hongrie, celles dont on est sûr qu’elles émanent de Hongrois, on obtient 212 missives : 61,79 % écrites en hongrois, 13,21 % en latin, 12,74 % en allemand, 11,32 % en français et 0,94 % en italien. Mais sur les 65 lettres écrites par des Hongrois séjournant ou voyageant en dehors des frontières du royaume, 24,61 % seulement sont en hongrois contre 44,62 % en allemand, 18,46 % en latin et 12,31 % en français. Voilà qui dégage de façon claire le caractère imprégnateur du milieu géographique : un Hongrois sur quatre à l’étranger recourt à sa langue maternelle pour correspondre avec un compatriote, alors que deux sur trois l’emploient quand ils se trouvent sur le sol national.
12Une méthode semblable s’avère bien plus aléatoire quand on l’applique aux pays allemands d’Europe centrale, en gros le Saint-Empire romain germanique moins les États non allemands des Habsbourg. Il s’agit là d’un ensemble de territoires aux contours plus flous que ceux du royaume de Hongrie. Sur les 154 lettres qui émanent de ces pays, plus de la moitié, 51,95 %, sont en allemand, 20,13 % en français, 9,74 % en latin, 9,09 % en hongrois et autant en italien. Comme pour la Hongrie, le paramètre géographique apparaît secondaire en regard de l’appartenance nationale. Par rapport à la statistique précédente, la langue allemande régresse de presque 20 points, et le français cède aussi du terrain au profit du hongrois et du latin (à cause des Hongrois résidant dans les États autrichiens) et de l’italien (les nombreux Italiens au service de l’empereur et des princes allemands). Les résultats pour les seuls États patrimoniaux allemands de l’empereur indiquent l’augmentation des pourcentages de l’italien, du hongrois (10,48 % dans les deux cas) et du latin (12,10 %) au détriment de l’allemand (47,58 %), le français restant stable (19,35 %). La ville de Vienne est l’exact miroir de cet ensemble de territoires, le phénomène de capitale n’accentuant pas le cosmopolitisme38. Celui-ci est évidemment bien plus marqué si le calcul porte sur la totalité des États de la maison d’Autriche (hormis la Hongrie), tels qu’ils s’étendent, à la fin du siècle, de la Belgique à la Bukovine et de la Bohême au Frioul : 266 lettres, dont seulement 44,36 % en allemand ; en revanche, 25,56 % en français, 18,05 % en italien, 6,02 % en hongrois, autant en latin.
13Comme dans le cas hongrois, nous pouvons retenir, sur les ensembles territoriaux précédemment définis, les seuls correspondants dont la langue vernaculaire, cette fois, doit être l’allemand. Pour le bloc du Saint-Empire, amputé des territoires non allemands gouvernés par les Habsbourg, nous ne retenons que 61 lettres : 82,09 % sont en allemand ; il reste 14,93 % pour le français, 1,49 % pour le hongrois, autant pour l’italien. Les 94 lettres écrites par des natifs linguistiques allemands séjournant en dehors de l’aire précédemment définie, donnent une proportion inférieure pour l’allemand (68,09 %) et plus forte pour le français (29,79 %), bien qu’aucune de ces lettres ne soit partie de France ou de Belgique ; il reste 2,13 % pour l’italien. Régression de l’allemand certes, mais en aucune façon comparable à celle qui affectait l’usage du magyar par les Hongrois, lorsqu’ils franchissaient les frontières de leur royaume (de 64,28 % à 24,61 %). Le hongrois est à usage interne, l’allemand s’affirme comme langue internationale et nationale, et résiste bien aux bains linguistiques étrangers.
14L’italien, vieille langue internationale, maintient encore mieux ses positions. Les Italiens écrivant depuis les terres italiennes, y compris le Frioul et le Trentin autrichiens, expédient à Fekete 75 lettres : 86,66 % sont dans leur langue, 10,66 % en français, 1,33 % en latin, autant en allemand. En dehors de l’Italie ainsi définie, pour 17 lettres, l’italien se maintient à 76,47 %, n’abandonnant qu’une dizaine de points au profit du français (23,53 %).
15Une dernière variable doit être prise en considération : le temps. La correspondance conservée s’échelonne de 1767, année des premières lettres de Voltaire, à 1803, date de la mort du comte : 692 lettres sur 763 sont précisément datées. Ce n’est qu’à partir de 1780 que l’on dispose d’une série continue. La périodisation se dessine avec assez de clarté. De 1767 à 1781, c’est, en quelque sorte, la période française de Fekete, embellie durablement par les relations avec le patriarche de Ferney : sur 25 lettres, 16 sont en français, soit près des deux tiers. De 1782 à 1787 (213 lettres), c’est à l’allemand que revient une proportion à peine inférieure (60,09 %) ; le français est employé dans un quart des missives (24,41 %) ; les années de Trieste poussent l’italien à 14,54 % ; une seule lettre en latin, une seule en hongrois, datée de 1787. Cette timide apparition du magyar ne laisse en rien prévoir l’explosion de 1788 : cette année-là, 31 lettres en hongrois sur les 68 lettres datées. Cette primauté se maintient massivement jusqu’en 1793 : pour ces six années, 115 lettres sur 324 (35,49 %) sont en hongrois. Période faste pour le latin également, couramment employé, on le sait, dans les affaires hongroises : 43 lettres (13,27 %). Avec 72 lettres, l’allemand régresse à 22,22 %. Français et italien (respectivement 46 et 48 lettres) sont à égalité. Cette période hongroise, qui suit la carrière militaire active de Fekete, correspond à l’agitation politique hongroise des dernières années du règne de Joseph II, alors que le souverain s’obstine à refuser la convocation de la Diète, puis au court passage de Léopold II, animé par les débats de cette assemblée, enfin réunie, et par les laborieuses et longues négociations entre l’opposition hongroise et l’empereur-roi. Fekete participe au mouvement national qui secoue sa patrie, et qui, bien évidemment, s’exprime en langue hongroise. À partir de 1794, le volume de la correspondance conservée s’amoindrit, et il est aléatoire de vouloir commenter des nombres si petits. Néanmoins, la prépondérance du hongrois perdure pendant le temps de la vieillesse (49 lettres sur 130, soit 37,69 %), tandis que l’allemand reprend la deuxième place (35 lettres, 26,92 %), suivi par le français (20 lettres, 15,38 %), le latin (17 lettres, 13,08 %) et l’italien (9 lettres, 6,92 %).
16Cette affirmation de magyarisme est encore mieux révélée si, dans le lot des lettres datées, on prélève celles qui ont été écrites par des Hongrois, soit 280. Jusqu’en 1786, aucun Hongrois ne s’exprime en magyar : sur 35 lettres, 28 sont en allemand (80 %) et les autres en français, à une exception latine près. En 1787, le hongrois fait la timide apparition mentionnée. Mais à partir de 1788, son pourcentage ne s’abaisse jamais au-dessous de 50 %, atteignant pour l’ensemble de la période 1788-1803, 64,02 %. Après les décrets linguistiques de Joseph II, dont on sait l’émotion qu’ils ont suscitée en Hongrie, deux Hongrois sur trois, selon notre échantillon, utilisent la langue nationale pour correspondre avec un des leurs39.
17Ne multiplions pas les croisements. La différenciation linguistique dans l’espace et le temps, et selon les appartenances nationales et les niveaux culturels et sociaux, établie d’après notre corpus, permet de tracer les limites entre le cosmopolitisme cher à l’Europe du xviiie siècle, l’hégémonie du français dans les cercles cultivés, la promotion de l’allemand au rang de langue véhiculaire dans toute l’Europe centrale, la survivance du latin et de l’italien comme langues internationales, enfin la promotion rapide d’une langue vernaculaire comme le hongrois. N’oublions pas que toute cette correspondance analysée s’adresse à un Hongrois, dont la patrie, dans l’ensemble des possessions des Habsbourg, a conservé, au milieu des épreuves et en dépit des menaces centralisatrices de Vienne, la presque intégralité de son droit d’État. Les résultats seraient bien différents, sans aucun doute, si on examinait la correspondance d’un aristocrate tchèque ou morave.
18Il ne peut être question d’étudier systématiquement le contenu de toutes les lettres reçues par Fekete. Mais de la consultation de cet ensemble de pièces, plusieurs thèmes se dégagent aisément, qui permettent de définir un milieu, une époque, un style de vie, une Weltanschauung. Qu’on ne s’attende pas à des révélations sur l’Aufklärung autrichienne, le joséphisme ou les courants littéraires du temps ! Modestement, ce sont quelques pièces nouvelles à verser au volumineux dossier de l’histoire sociale et intellectuelle des États des Habsbourg en cette fin du xviiie siècle.
19Une des convictions fondamentales qui réunit nombre de correspondants est la conscience aiguë qu’ils ont du retard des États de la maison d’Autriche sur l’Europe occidentale et l’Allemagne du Nord. Nous ne tirerons guère à conséquence les informations sur la Hongrie, qui rendent le pays aussi exotique que celui de l’empereur de Chine. L’image qui est donnée de la patrie de Fekete ressortit à une vague mythologie, d’où n’émerge guère que la figure d’Attila. Dans une lettre de Venise, du 29 avril 1785 (O.L., E 584, 52, fol. 18), le comte Francesco Apostoli40 rappelle les idées toutes faites sur la Hongrie, fortifiées dès le berceau : « Imaginez-vous quelle idée nous était restée du roi Attila et de ses capitaines, nous les croyions encore des ogres, des loups-garroux, des mangeurs d’enfants. » Quant aux Hongrois, ils ne peuvent apparaître qu’« en hordes farouches, armés de cap en pied, la moustache au nez, le sabre à la main ». Si Apostoli se fait de la Hongrie une idée plus moderne, il n’en croit pas moins, comme Voltaire41, à la filiation directe des Hongrois par rapport aux Huns : il salue en Fekete « un général de cavalerie hunne » qui parle et écrit en français. Pour le comte de La Leyen, chevalier de Malte et chanoine de Trêves, Bamberg et Würzburg, la Hongrie est l’« empire d’Attila » (lettre de Coblence, 9 août 1768, ibid., fol. 610-611). Même connotation « hunnique » chez le comte Sigmund Anton von Hohenwart, lors évêque de Trieste, et futur archevêque de Vienne sous François Ier, qui invoque, dans une lettre du 15 septembre 1793, l’aide d’Attila (et de l’esprit) pour vaincre les Sans-culottes (ibid., fol. 455-456). Il ressort de ce faisceau de notations que la Hongrie est encore un pays barbare, où le génie ne peut éclore. Fekete n’était pas d’une autre opinion quand il faisait redouter à Voltaire les défauts de sa « sale et barbare patrie » et les dangers que pourraient faire courir à la civilisation « les Huns [ses] compatriotes, redevenus entièrement barbares (ces derniers n’ont pas beaucoup de chemin à faire) » (Best. D. 14505), ou bien quand il s’excusait auprès du philosophe de l’obliger à corriger « les infâmes productions d’une muse barbare » (Best. D. 15137). Un peu plus tard, en vers cette fois, Fekete continuait à se désoler sur sa patrie, pays affreux (Best. D. 16008) :
Où l’ennui fixe son séjour
Que l’ignorance et la pédanterie
S’entre-disputent tour à tour...
Dans cette prison séquestrée
De l’humaine société,
Mon âme par l’ennui navrée
Ne connaît plus la gaîté.
20Exagération de (mauvais) poète ? Pas sûr. À la fin du siècle, la même douleur s’exprime dans une lettre du comte József Dessewsffy à l’Aufklärer hongrois Gergely Berzeviczy : « Tout doit languir dans un tel pays, talents, vertus, industries, et on ne saurait trouver dans une telle patrie que des explosions et des élans momentanés et éphémères de quelques génies trop étouffés pour le déployer avec opiniâtreté. Quelques obstacles irritent, mais trop d’obstacles étouffent les plus beaux et les plus féconds germes42. » À en croire Fekete et ses contemporains, la Hongrie est délaissée par les muses. Un certain Burghauer (de Vienne, 4 avril 1789) qui veut vendre à Fekete sa collection de tableaux, s’étonne qu’en Hongrie « l’on ne trouve rien d’existant, pas même la trace d’un monument d’art quelconque, sur tout en fait de peinture... » (E 584, 52, fol. 202 203). Pour le comte Domenico Cajafa, marquis de Massanova, militaire italien au service de l’Autriche, quitter Szeged pour Wiener-Neustadt serait un ritornare della tomba all’aure del giorno (ibid., fol. 205, s. l. n. d.).
21Il faut bien être cantonné sur les bords de la Tisza pour trouver des charmes à la Basse-Au triche ! Les terres autrichiennes, pour beaucoup de correspondants, sont aussi un barbare séjour. C’est encore le comte de La Leyen qui, rapportant le 9 août 1768, une conversation avec La Harpe, fait sienne l’opinion de celui-ci sur « le monde autrichien, où on vivait plusieurs siècles plus reculés que partout ailleurs et où il y avait une disette de cerveaux bien organisés », où « le mérite et le talent sont des titres exclusifs pour réussir tandis que la superstition et l’ignorance envahissent et emportent tout » (ibid., fol. 610-611). C’est, en effet, dans le domaine intellectuel que le retard est souligné sans aménité. Même Vienne, la capitale, n’échappe pas à l’opprobre. Le comte Maximilian von Lamberg (1729- 1792), ancien conseiller secret du duc Charles Eugène de Wurtemberg, membre de plusieurs académies, protecteur de la Société patriotique de Hesse-Hombourg, correspondant de Voltaire, et célèbre par son long séjour en Afrique du Nord, stigmatise dans une lettre de Brünn (Brno) du 1er octobre 1781 « cette sorte d’engourdissement de la machine intellectuelle [qui] deviendra tôt ou tard aussi funeste que les différents rhumes qui assiègent la jeunesse débauchée amollie énervée, qui marche ici dans les ténèbres par mépris ou plutôt par indifférence pour la lumière » (ibid., fol. 566-568). Il y a bien un commerce de livres dans la capitale ; mais « les gens à Vienne paraissent se procurer les ouvrages plus par ton que par goût ». Une semaine plus tard, il revient sur le sujet à propos d’une petite pièce qu’il a publiée dans les cahiers du grand publiciste de l’Aufklärung, August Ludwig von Schlözer, de Göttingen : « J’ai dit la vérité mais qui me lira, la littérature est tellement vilipendée dans nos pays que le blâme attaché aux auteurs est au niveau du dégoût généralement répandu en Autriche de ne lire que ce qui peut éclairer un peu le sentiment et l’esprit » (ibid., fol. 572-573)43. D’où la sottise qui règne à Vienne, les fables qui s’y débitent, l’ignorance élevée à la hauteur d’une institution44. Il ne faut se bercer d’aucun espoir d’être jamais compris dans la capitale45. La Hongrie était barbare, Vienne l’est tout autant, et Lamberg rappelle complaisamment les vers que le maréchal de Richelieu, poète libertin et lui aussi correspondant de Voltaire, écrivait après son passage à Vienne (ibid., fol. 580-581) :
Dans ce triste séjour, dans ces Barbares lieux,
Le grave et morne sérieux
S’étend sur tout ce qui respire :
En maître souverain, l’ennui règne partout.
22L’ennui, tel est le maître mot qui caractérise la vie dans la province, dépeinte sous des couleurs encore plus lugubres que celles de la capitale. Les principaux renseignements concernent Brünn, ville principale de la Moravie. Le capitaine d’artillerie Rooz se plaint, dans une lettre de 1781, que la seule distraction soit le théâtre des enfants, mortellement ennuyeux (E 584, 53, fol. 499-500). Le 19 octobre 1781, le comte Lamberg tient un propos analogue (E 584, 52, fol. 588-589). Quand, par hasard, une occasion de divertissement se présente, elle sombre dans le ridicule, tel le bal donné à Brünn en l’honneur de la visite de Joseph II et du grand-duc héritier de Russie, le futur Paul Ier, et qui évoque chez Lamberg la chasse aux canards pratiquée aux Indes, où les chasseurs dissimulent leur tête dans une citrouille : « Si les canards pouvaient voir l’intérieur de maintes de nos têtes guberniales, il y aurait telle tête qui pourrait nager vers eux même à découvert sans en être reconnue. Mais ici... les citrouilles ne nageaient point, elles dansaient » (ibid., fol. 569-571). Conclusion désabusée du comte Lamberg dans sa lettre du 1er octobre 1781 : « C’est une province d’Autriche, c’est tout dire, ici comme à Vienne il est ridicule de s’adonner aux lettres, et presque inutile de prêcher un peu librement che siamo Bestie ancora Eccelenza » (ibid., fol. 566-568). Comment ne pas douter des progrès de la philosophie et de l’humanité « quand on considère que tous ceux qui ont le malheur d’avoir un peu plus que le sens commun sont assujettis au caprice du despote, au despotisme des grands, et à l’immense fourberie des petits » (ibid., fol. 572-573) !
23Amertume de ne pas voir ses mérites littéraires reconnus pour l’un, platitude de la carrière militaire pour d’autres, tels Fekete lui-même, ou un certain colonel d’Avaux, « honnête homme de l’ancienne roche », qui n’avait de décoration que « moralement » (E 584, 53, fol. 467-468), douleur de s’apercevoir que les fonctions politiques sont dans les mains des médiocres, voilà qui conduit bon nombre de correspondants de Fekete, aristocrates pour la plupart, vers un pessimisme de bon aloi, dont l’expression littéraire, parfois exaltée, n’est pas sans annoncer le futur mal du siècle. « L’amer est devenu ma nourriture ordinaire, ... je ne puis vous dire qui je suis ni qui je serai... toujours poursuivi de la fortune », s’écrie un certain d’Albin pour qui les ans n’« ont offert qu’une lumière sombre qui se répandant sur le tableau de [ses] idées les a beaucoup rembrunies » (E 584, 52, fol. 289-290)46. Quant au comte Apostoli (Venise, 29 avril 1785), il traîne une « vie solitaire et monotone » qu’il tâche d’égayer en s’amusant avec la philosophie et les « châteaux aériens de ses rêves délicieux » (ibid., fol. 18). Beaucoup de déceptions trouvent leur aboutissement dans l’otium épicurien prôné comme idéal de vie. Si celui-ci revêt parfois les fraîches couleurs du rousseauisme, comme chez un certain Johnston (Venise, 25 février 1791) qui s’enchante de la belle nature du Frioul, et des « femmes, belles et fraiches, sans l’intervention de l’art » de la société d’Udine (ibid., fol. 493-496), reconnaissons que l’on se plaît, de façon générale, à confesser des sentiments plus frelatés. Le comte Lambert avoue ingénument que son mode de vie est peut-être plus proche de l’idéal peint par Lucrèce que de l’otium cum dignitate d’Horace47. Et quand il choisit, dans sa vaste culture française, quelque poète bien connu de son correspondant, il tombe sur celui qui fut nommé l’« Anacréon du Temple », l’abbé Chaulieu, plus célèbre par la légèreté de ses mœurs que par les quelques vers, du « sous-Lutrin », retenus par Lamberg (1er octobre 1781, ibid., fol. 566-568) :
Ne songez qu’à vous faire une santé qui dure
Dorlotez vous sur le tendre duvet
Du profond Rabelais écoutant la lecture
Qu’expliquent à votre chevet
Épicure Chapelle et Chapelle Épicure.
24Au cours de ces existences insatisfaites et de ces carrières militaires ballottées entre quartiers éloignés et séjours terriens, les femmes apparaissent le plus souvent comme le repos du guerrier. Si le comte Lamberg évoque avec le plus grand naturel les joies de l’amour conjugal, c’est qu’il est alors quinquagénaire48. L’Oberlieutenant Dagobert Wimpfen, dans le cours de sa vie, a « parfois moissonné sous l’Empire de l’Amour quelque lascif laurier » (E 584, 53, fol. 416-417) et « volé le cœur de quelque belle » ; mais voilà vingt ans qu’il n’est plus propre à ce métier (13 mai 1789, ibid., fol. 418-419). Fekete lui-même envoyait à Voltaire une Ode sur le mariage que la haine lui avait « dictée, sans l’aveu d’Apollon » (Best. D. 14505) et dissertait sur les liaisons sans amour, car « la convenance, l’intérêt, la débauche et le désœuvrement empruntent souvent le masque d’une passion qui seule peut adoucir les maux terribles dont le meilleur des mondes fourmille » (Best. D. 15389). Mais, comble d’infortune, se désennuyer « avec quelque Iris de village » n’est même pas toujours possible car « Une Slavaque à l’effroyable odeur Serait un ragoût bien funeste » (Best. D. 16008).
25Nombre de correspondants ont opté pour (ou se sont trouvés réduits à) une sorte d’exil intérieur auquel, bon gré mal gré, ils sont bien contraints de trouver des charmes. Le comte Apostoli (Venise, 29 avril 1785) n’envie en aucune façon « les lambris dorés où habitent les tristes soucis et les cuisants remords » (E 584, 52, fol. 18). Emmanuele Torres plaint Fekete de devoir supporter à Vienne « les jeux éternels, les soupers de soixante-dix couverts et le faste d’une cour orientale quoique très septentrionale ». N’a-t-il pas l’indigestion du luxe, du bruit, de l’ambition et de tout ce qu’on appelle grand monde (Trieste, 28 juillet 1783, E 584, 53, fol. 365-366) ? Le comte Lamberg, avant de se retirer à Brünn et de séjourner de temps à autre à Olmütz (Olomouc) et à Kremsier (Kromĕříž), où il accepte l’hospitalité des évêques (le comte Anton Hamilton puis le comte Colloredo-Waldsee), a vécu trois ans en Afrique du Nord, principalement à Tunis, d’où il a tiré la substance de son Mémorial d’un Mondain. La tentation exotique traverse une de ses lettres (30 janvier 1783) à l’évocation de la Chine (E 584, 52, fol. 580-581). Mais devenu vieux, il n’échangerait point sa retraite morave « contre les Palais enchantés des grands de la terre » (ibid., fol. 576-577), et il fait sienne la philosophie bucolique de couplets dont il attribue la paternité à Jean-Jacques Rousseau, et qu’il envoie à son ami Fekete :
Fuyons la ville où l’on engage
Les cœurs peu sûrs.
Goûtons dans la paix du village
Des plaisirs purs.
Pour être heureux (c’est le plus sage),
Vivons obscurs (ibid., fol. 578-579)49.
26Retrait du monde et mépris du monde vont souvent de pair, sans qu’il soit toujours facile de distinguer ce qui ressortit au dépit ou ce qui caractérise une vraie philosophie existentielle, par exemple de type jansénisant (le refus intra-mondain du monde) ou piétiste. Écarté des premières places ou frustré dans son ambition, ce petit monde pratique aisément le persiflage à l’égard de ceux qui détiennent le pouvoir. Un prince ne peut être entouré que de pervers (voir Lamberg à Fekete, 9 mai 1782, ibid., fol. 576-577) et « on ne sait trop quoi se promettre...[des] desseins de la Cour qui n’offre des statues qu’à ceux qui... qui... » (7 septembre 1783, ibid., fol. 586-587). Certes, la dichotomie n’est pas totale entre morale et politique. Mais il ne faut pas faire grand cas de l’approbation d’une opinion publique flottante et versatile, « abandonnons cette fausse monnaie à ceux qui sont chargés de négocier avec le peuple et de le conduire » (Wimpfen à Fekete, 13 mai 1789, E 584, 53, fol. 418-419). Les charges publiques rendent peut-être illustre, mais n’assurent point le bonheur, et à propos d’une nomination ministérielle dans le gouvernement de Joseph II, Lamberg souhaitait que l’élu « ne fût point un homme heureux... mais un tel qui par lui-même eût senti le poids de l’infortune »50. Dans le meilleur des cas, ces aristocrates ayant connu les dangers de la vie militaire, peuvent jouer stoïquement avec l’idée de leur mort. Dagobert Wimpfen, alors « au bord du Styx », se plaît à imaginer que l’univers sensible se prolonge au-delà du tombeau et qu’il emportera le souvenir de Fekete ; mais que ce dernier se garde bien de lui consacrer quelque oraison funèbre, car il ne veut plus « reparaître dans cette vallée de sang et de larmes » (ibid., fol. 415). Un des modèles de cette société aristocratique est le prince de Ligne qui fit, lui, carrière politique et militaire. Lamberg vante, dans son courrier du 7 septembre 1783 (E 584, 52, fol. 586-587), ses Nouveaux Mélanges de littérature qui contiennent l’épitaphe que le prince, en toute modestie, composa pour sa propre tombe : généreux, noble, vaillant, sage, ami des beaux esprits,
De son siècle inégal, et le calme et l’orage
Attiraient son mépris,
Et si la mort pouvait épargner la vertu,
Il eût toujours vécu.
27Il est cependant une chose à quoi tient ce petit monde, c’est sa réputation littéraire. Le stoïcisme et l’indifférence (affectée) au siècle ne vont pas jusqu’à le rendre insensible aux attaques que sa production littéraire attire. Lamberg est mécontent du censeur de Vienne, Blumauer, qui a maltraité une de ses œuvres (ibid., fol. 580-581). Pour beaucoup, la littérature est un refuge, qu’il est élégant de traiter comme tout le reste, avec légèreté. Lamberg est « occupé d’études stériles..., [il] entasse des châteaux aériens, enfants d’une imagination sensible » (ibid., fol. 576-577). Le comte Apostoli emploie les mêmes termes quand il envoie (Venise, 29 avril 1785) à Fekete « un fruit stérile de [ses] études arides... triste enfant de [sa] vie solitaire et monotone [qu’il] tâche d’egayer avec la philosophie et ses rêves délicieux, châteaux aériens » que Fekete connaît si bien (ibid., fol. 18). Ce n’est là qu’une façade qui cache la volonté de s’agréger à la république des lettres. D’où la place que tiennent la littérature et les problèmes de l’édition dans la correspondance reçue par Fekete. Ce dernier, ayant vu le patriarche de Ferney et correspondu avec lui, jouit d’un grand prestige. Apostoli (id.), d’Albin (ibid., fol. 289-290), La Leyen51, le major Rieger52, ont un peu l’impression d’approcher le grand homme en écrivant à Fekete, et de réaliser leur intégration dans un univers d’élus. Apostoli voit dans le comte hongrois un « homme de lettres qui mêle à la philosophie profonde de Horace, la libre gaîté de Tibulle »53. Même référence flatteuse à Horace dans une lettre du comte L. de Sorgo, citoyen de Raguse, mention tempérée, il est vrai, par une comparaison, moins prisée mais certainement plus véridique, avec Chaulieu54. Pour ses correspondants, Fekete est un homme des Lumières, dont les talents ont été reconnus par « l’immortel Joseph Second... toujours le plus exact rémunérateur du mérite »55, un militaire éclairé « qui a prouvé qu’il connaît parfaitement son métier »56 et dont le Testament militaire se recommande par « la force hélas trop véridique du raisonnement »57, un amateur des arts enfin, qui pourrait susciter le goût de la peinture dans la noblesse hongroise58. Mais plus encore, János Fekete est un auteur et un grand dévoreur de la production littéraire de l’Aufklärung, à l’affût des nouveautés. D’où la masse d’informations sur l’actualité des belles lettres que lui fournissent ses correspondants et les échanges de livres par la poste. Dans les grandes villes de la monarchie, Fekete a quelques amis qui veillent à la diffusion de sa propre littérature. À Brünn, c’est Tauber (probablement Johann Nepomuk, Freiherr Tauber von Taubenfurt, écrivain et musicologue, traducteur en allemand du Temple de Gnide de Montesquieu) qui l’informe (20 juin 1781) du fait que son commentaire (?) se vend à présent librement « car vérité comme vérité ne peut jamais être trop hardie » (E 584, 53, fol. 493). À Vienne, un agent de Fekete, Geisler, s’est occupé de retirer les Buchstaben (l’Alphabet) de l’imprimerie, en a assuré le service de presse et attend avec impatience les critiques des journalistes59. Dix ans plus tard, Johann Baptist von Alxinger lui-même, un des membres du triumvirat littéraire joséphiste, avec Blumauer et Ignaz von Born, se félicite d’être le canal par lequel les œuvres de Fekete atteignent le grand public60. Quant à Fekete, il expédie beaucoup de livres à ses amis : en témoignent les remerciements qu’il reçoit61 et les dépenses qu’il fait en frais de poste62. Les finances embarrassées du comte ne lui permettent pas toujours d’agir en grand seigneur et quelques envois, faits à titre onéreux, ne laissent pas de provoquer les récriminations du destinataire. Michele Cesta qui a reçu « le Tableau naturel, le Diadème des Sages, le Monde primitif in due tomi » digère mal une note de quelque 80 lires63.
28 Inversement, Fekete reçoit beaucoup d’ouvrages de ses amis et correspondants. Apostoli lui adresse ses dernières œuvres. Alois Blumauer, peut-être le plus grand écrivain de l’Aufklärung viennoise, lui annonce le 20 juillet 1783 qu’il va publier son Virgils Aeneis travestirt, et lui demande de lui envoyer les noms de ses amis de Trieste, susceptibles d’être intéressés (E 584, 52, fol. 155-156). Un peu plus tard, il expédie trente exemplaires de l’ouvrage, à charge pour Fekete d’assurer la diffusion (ibid., fol. 173). Nouvelle mention d’un envoi de deux exemplaires, le 20 octobre 1784 (ibid., fol. 165-166). C’est essentiellement par les réseaux de l’amitié ou de la solidarité que la littérature de l’Aufklärung trouve une large diffusion. On sait l’importance, pour la Hongrie, de l’Énéide travestie de Blumauer, traduite en hongrois dès 1792 par Antal Szalkay (Virgilius Eneassa) et dont le mètre, le style et les effets comiques inspirèrent fortement l’épopée parodique et burlesque de Csokonai, Békaegérharc (1792)64. Un autre fournisseur viennois de Fekete est Johann Baptist Czepelak (ou Széplaki), précepteur pendant deux ans du fils du comte, puis gouverneur des comtes de Viczay. Il lui envoie les Alxinger Geschichten, et il fait tout son possible pour se procurer, « en petite écriture », les Silhouetten von Horja und Gloska65. Dans une lettre datée de Vienne le 26 mai 1787, il fait espérer au comte un nouveau lot de livres, mais malgré ses efforts à Vienne et à Leipzig, il n’a pu mettre encore la main sur le Crata repoa66. Lamberg, lui aussi, fournit le comte hongrois : le 1er octobre 1781, il annonce qu’il lui fera « tenir une brochure nouvelle, de la prose moulée de notre très humble Mostangi mon cher Sultan » (?) (ibid., fol. 566-568). L’année suivante, il lui fait parvenir l’ABC de Rautenstrauch et bientôt son propre ouvrage, les Tablettes fantastiques aux Bibliothèques pour peu de lecteurs67. Le séjour de Fekete à Trieste l’a familiarisé avec la littérature italienne et son agent dans la ville, Pittoni, est chargé de se mettre en rapport avec Melchiorre Cesarotti, le traducteur de Voltaire et d’Ossian en italien, pour fournir au comte les tragédies de Piedemonte (Pedementi) et du déjà célèbre Alfieri68.
29Lorsque les œuvres ne font pas l’objet d’un envoi ou d’un échange, du moins sont-elles signalées. Il en est de même pour la table des matières des grands périodiques du temps. Nous retrouvons les mêmes informateurs. Blumauer s’enquiert auprès de Fekete, alors à Trieste, dans une lettre datée de Vienne le 10 juin 1784, d’un Dictionnaire philosophique – sans doute un de ces multiples ABC – dont on parle à Venise (ibid., fol. 169-170). Un peu plus tard, il lui signale l’apparition à Vienne d’une des plus grandes œuvres de la période joséphiste, les Marokkanische Briefe, attribués à Saufkins, qui vit maintenant à Vienne69. Czepelak, à la même époque, détaille à Fekete le sommaire du dernier Magazin der Litteratur und Wissenschaften, qui, entre autres choses, contient un exposé sur l’Aufklärung, la suite d’Ernst und Falk de Lessing et les Mémoires secrets de Voltaire ( !) (ibid., fol. 257-258). Le comte Lamberg vante à Fekete un autre bestseller de l’Aufklärung joséphiste, la « Monachologia en latin methodo Linneana à l’instar des plantes : chaque moinillon y a sa classe botanique assignée, c’est un livre assez bien écrit »70. Dans la même lettre, est signalé le prochain ouvrage de Behrisch, Der Geloste Wiener71. Le baron József Podmaniczky, alors à Fiume, se réjouit qu’une œuvre de leur ami le comte Pál Szapáry ait été traduite en italien et imprimée à Trieste72. Face à cette masse d’informations littéraires, la chronique scientifique tient une place infime. Seul le comte Lamberg semble s’y intéresser : il réclame à Fekete (7 octobre 1781), alors en Italie, ce qu’il y a dans les journaux de ce pays sur l’histoire naturelle, la physique expérimentale et l’électricité, phénomène à la mode s’il en est, et le prie de lui envoyer le dernier cahier d’un journal de physique que l’on imprimerait à Trieste (ibid., fol. 572-573). Les ballons de Montgolfier qui ont donné à toute l’Europe la fièvre aéronautique, fournirent à Fekete l’occasion de rimer et à Lamberg celle d’exprimer son scepticisme73. C’est tout et c’est peu, en comparaison d’un milieu social semblable en France, aux Pays-Bas ou en Angleterre, où les cabinets de physique, les expériences de chimie, les collections entomologiques et les herbiers sont l’ornement de la vie aristocratique.
30Les goûts littéraires et politiques de ce milieu proche de Fekete sont, sans contestation possible, tournés vers l’Aufklärung, et souvent vers ses productions les plus radicales. D’où l’intérêt marqué pour les problèmes toujours difficiles de l’édition et la préoccupation constante de la censure. Le monde de l’édition, dans le Saint-Empire, a une géographie presque aussi compliquée que la Kleinstaaterei allemande74. Dans les pays des Habsbourg, la situation est plus simple, ne serait-ce que par la situation dominante que s’est acquise l’éditeur Trattner, devenu en 1764, par la grâce de Marie-Thérèse, Johann Thomas Edler von Trattner. Mais ce quasi-monopole, qui a hissé Vienne à la troisième place des villes allemandes d’édition, irrite nos auteurs, qui, par ailleurs, se plaignent de la mauvaise qualité de l’impression viennoise. Le capitaine Rooz (4 juin 1781) remercie Fekete, au nom du comte Lamberg, de la peine qu’il s’est donnée « pour arracher la correspondance de la presse du sr Trattner le noble » ; mais il craint que le comte hongrois ne soit bien fâché de ce que ledit éditeur « a si ignoblement imprimé » un de ses opuscules : « Si j’avais le pouvoir, je le ferais rentrer dans la plus épaisse roture !... » (E 584, 53, fol. 499-500). Même mécontentement chez le comte Lamberg qui, envoyant une publication, recommande à Fekete de commencer sa lecture par l’errata « auquel tout ouvrage de Vienne est plus exposé qu’un autre imprimé ailleurs » (E 584, 52, fol. 566-568). Ces récriminations sont de l’année 1781. Ce fut bien autre chose en 1784 lorsque Trattner publia son Skizzirtes Plan zur allgemeinen Verbreitung der Lektüre in den K.K. Staaten durch wohlfeile Lieferung der Bücher für alle Fächer der Wissenschaften, projet soutenu par les milieux mercantilistes et qui anéantissait toute notion de propriété littéraire. Il suscita les protestations véhémentes de tous les ténors de l’Aufklärung viennoise, Sonnenfels et Ignaz von Born, Michael Denis et Blumauer ; ce dernier plaça, en frontispice du tome 2 de son Énéide travestie, deux chiens furieux menaçant un humain ; sur le collier du chien de droite, les initiales T.v. T. (Thomas von Trattner)75. L’impérialisme de Trattner, la nécessité de louvoyer avec la censure font que beaucoup d’auteurs recourent à des imprimeurs allemands non autrichiens. Pour ses Rapsodies et la première édition de son ABC, Fekete s’adressa à Vienne76. Mais il est aussi en contact, de 1780 à 1785, avec le professeur et imprimeur Clodius de Leipzig (ibid., fol. 216-240). En 1793, il traite par l’intermédiaire de J.G. Arnold à léna et Leipzig (ibid., fol. 24 et 28). Mais la place qui monte, c’est Dessau, depuis que Karl Christoph Reicher, en 1781, a créé sa Buchhandlung der Gelehrten, qui assure à l’auteur, contre une rétribution équivalente à 33 1/3 % du coût de l’impression, une diffusion auprès des libraires, des journaux et des sociétés savantes. C’est à Dessau que Fekete fait imprimer la deuxième édition de son ABC77. C’est la Dessauische Buchhandlung für Gelehrte und Künstler que le comte Lamberg charge d’un de ses manuscrits : on lui avance 100 écus, et il aura 55 % du profit des ventes (ibid., fol. 572-573). Vraisemblablement s’agit-il de ses Tablettes fantastiques, dont il espère, dans une lettre du 10 mars 1782, qu’elles quitteront bientôt les presses de Dessau (ibid., fol. 574-575).
31La seconde préoccupation de nos auteurs est la censure78. La commission thérésienne, organisée par le protomedicus de l’impératrice, Gerard van Swieten, a été dissoute en 1782 et son activité transférée à la commission d’Éducation, à l’intérieur de laquelle un petit nombre de censeurs s’occupent chacun d’un secteur déterminé. Que les belles lettres aient été confiées à Blumauer, Aufklärer éminent et franc-maçon, dit assez l’orientation que l’empereur Joseph II, dans ses Grund-Regeln zur Bestimmung einer ordentlichen künftigen Bücher Censur, voulait donner à une institution désormais banalisée. Au moins jusqu’en 1786, la liberté de la presse fut assez grande ; le comte Max von Lamberg le reconnaît (ibid., fol. 574-575). Cela ne veut pas dire qu’elle fut totale : le nouveau catalogue des livres prohibés, établi en novembre 1783, contient encore 900 titres, dont le Werther de Goethe et les Brigands de Schiller, à côté d’une foule de livres de piété baroque. La littérature érotique et pornographique, ainsi que les brochures anticléricales les plus acérées restent interdites. Est-ce que les Tablettes fantastiques du comte Lamberg appartiennent à l’un ou l’autre genre, puisqu’il lui paraît « essentiel que cette production comme tant d’autres louvoie la censure », et qu’on attende une occasion pour lui expédier les exemplaires de Dessau (ibid., fol. 576-577) ? Pour sûr, il ne porte guère Blumauer dans son cœur, qui se dit pourtant l’ami de Fekete : ce n’est qu’un Viennois, qui ne peut comprendre des « cœurs romains », tel le sien et celui de Fekete (ibid., fol. 580-581). En 1784, Lamberg déplore encore que la censure lui ait fait difficulté de passer les œuvres de Rousselet qu’il faisait venir de Strasbourg pour l’évêque d’Olmütz ; et pour intéresser Fekete au combat contre l’institution, il lui envoie une pièce manuscrite ajoutée à un mémoire présenté à l’empereur, dont l’auteur, « sous le sceau du secret », est Behrisch (ibid., fol. 583-585). Même son de cloche de la part d’Emmanuele Torres à qui « on ne... laisse rien transporter à Gorice sans un passeport du chancelier aulique ». Aussi ne peut-il songer à l’acquisition de la plupart des articles que Fekete lui a commandés (E 584, 53, fol. 364). Cela dit, un modus vivendi semble s’établir : si la censure autorise, tant mieux ; si elle fait des difficultés, tant pis, mais après tout, elle aura assuré une publicité gratuite à l’ouvrage incriminé. À propos du deuxième volume des Buchstaben (sans nom d’auteur), Lamberg conclut philosophiquement : « Il sera bouclé à la censure, tant mieux, il sera bien dès lors, attamen bonus utinam damnatus » (E 584, 52, fol. 586-587). Rares, parmi les correspondants, sont les esprits chagrins qui, tel Tauber de Brünn, ne savent pas s’ils ont « sujet de bénir Joseph Second pour avoir donné la liberté de la presse [car] il paraît depuis ce temps à Vienne des ouvrages indigestes et tels enfin, qui sont l’opprobre du goût et de l’esprit humain » (E 584, 53, fol. 493). En règle générale, la situation autrichienne est jugée bien préférable à celle d’autres pays européens, l’Italie en particulier79.
32La censure inquiète nos correspondants parce que la littérature qu’ils fabriquent ou qu’ils propagent tombe parfois sous le coup des interdictions. Sans contester l’intérêt sincère et profond qu’ils portent, pour la plupart, au mouvement des Lumières, soulignons deux caractéristiques, nullement originales d’ailleurs, de ce milieu réuni autour de Fekete : d’abord, le goût pour la littérature libertine, d’autre part, l’attention aux pamphlets anticléricaux ou même antireligieux. Les références, dans les lettres, à Grécourt, à Chaulieu, au maréchal-duc de Richelieu éclairent déjà sur les choix. Fekete, l’auteur des Rapsodies, est aussi un auteur érotique, sinon pornographique, qui mérite les compliments d’un orfèvre en la matière, le comte Lamberg, par ailleurs correspondant de Casanova, compliments exprimés de la façon la plus crue et la moins ambiguë du monde80. Lamberg passe commande en France et doit faire confiance à son libraire pour qu’on lui envoie ce qui se fait de mieux dans le genre. Il fait des gorges chaudes sur l’inepte censure qui a laissé « passer un petit in-16 appelé Cléon [où il a] trouvé l’Histoire de cet aimable creux où [lui et Fekete] se sont réfugiés tant de fois »81.
33Libertinage et anticléricalisme vont souvent de pair. La fameuse visite de Pie VI à Vienne (1782) est l’occasion d’une floraison d’épigrammes et d’« histoires » plus ou moins convenables. Dans un post-scriptum à sa lettre du 1er octobre 1781, Lamberg conseille à Fekete de se faire donner [eine] kleine Schrift, sie heisst über die Ankunft Pius des VI fragment... von Sonnenfels. C’est ce [qu’il a] lu de mieux dans le genre des quanquans viennois »82. Faisons crédit à Joseph von Sonnenfels d’une certaine tenue. En revanche, l’anecdote parisienne située au Palais-Royal, que Lamberg livre à Fekete dans sa lettre du 10 mars 1782, est tout à fait irrévérencieuse, sinon graveleuse (ibid., fol. 574-575). Dans cette même lettre, Lamberg se dit ferme partisan des mesures de Joseph II contre les couvents (29 novembre 1781) et se moque « de toute cette levée de frocandes et de juppes ». « Il était temps qu’on leur rogne un peu les cotillons et les barbes, il n’en reste que trop encore, que n’y a-t-il une peste pour tous les états ; je nous souhaite celle qui tue les moines. » Quinze jours plus tard, le comte continue à brocarder les réguliers (ibid., fol. 578-579). Ce mépris est porté à son comble quand il est question des jésuites, pourtant dissous depuis bientôt vingt ans. La comtesse Újfalussy écrit à Fekete, à propos d’un certain Splény qui doit de l’argent au comte, et dont les biens ne sont constitués que « des fiefs de Sodome et Gomorrhe » : « Car on dit que la monnaie frappée au coin de ces villes n’a cours que chez les jésuites » (E 584, 53, fol. 368-369). Dans cette même lettre, elle apprécie de vivre dans une époque moins crédule, qui a fait oublier le temps des canonisations, événements dont Lamberg se gaussait dans sa lettre du 29 mars 1782, tout le mérite des saints consistant à « avoir pourri dans un caveau cent ans avant nous » (E 584, 52, fol. 578-579). De l’anticléricalisme à l’antireligion, la marge est parfois faible. Le pas est franchi par Lamberg qui n’hésite pas à exprimer son scepticisme de rationaliste sur l’Eucharistie (id.), et à plaisanter sur la Sainte Trinité, en terminant ainsi sa lettre du 7 octobre 1781 : Addio addio addio del padre dei figlio al spirito Santo Fekete, S. PD. (ibid., fol. 572-573). Au total donc, un milieu lettré et informé, intellectuellement curieux, avide de nouvelles publications, très anticlérical, passablement libertin et antireligieux.
34 Existe-t-il une idéologie de substitution, ou un autre refuge que la littérature ? Sans aucun doute la franc-maçonnerie offre-t-elle à de très nombreux membres de l’aristocratie et de la bourgeoisie un idéal spirituel et une possibilité d’action. Sur les 322 correspondants identifiés, 46 au moins sont francs-maçons, soit 14,29 %. Et parmi les 32 lettres d’auteurs inconnus, 3 au moins émanent de francs-maçons83. C’est avec le wallon H.E.J. Baraux, un ami apprécié du duc Ferdinand de Brunswick, et un des piliers de la loge « Harmonie et Concorde universelle » de Trieste, que s’établit la correspondance maçonnique la plus riche84. C’est peut-être lors de son séjour dans la ville adriatique que Fekete est entré dans la franc-maçonnerie. Les lettres, évidemment, ne renseignent point sur cette période. Selon Abafi85, Baraux aurait dirigé la loge de Trieste en 1784, et Fekete en aurait été l’Orateur (Redner). L’amitié des deux hommes vient peut-être de leur commun attachement à Swedenborg, qui est « le premier patriarche qui a converti Fekete »86 et auquel Baraux exprime sa totale confiance87. En 1785, Fekete a quitté Trieste, et la correspondance commence à un moment particulièrement crucial : cette année-là, l’ordre des Illuminés qui, nous le verrons, avait fortement contaminé la franc-maçonnerie viennoise, est dissous par l’électeur de Bavière Charles Théodore88, et Joseph II publie le célèbre Freimaurerpatent (décembre 1785) qui place la franc-maçonnerie sous la protection de l’État, en ne permettant qu’une loge par capitale de Land.
35À Trieste, Baraux se montre un ferme partisan de la Stricte Observance et du rite écossais89, qui seuls peuvent maintenir ce qui doit rester inébranlablement « la maxime de l’ordre qui établit l’uniformité et la régularité qui devrait exister par tout le monde » (ibid., fol. 69-70). Or cette unité est menacée. « Il paraît que la M. est partout plus ou moins infectée de quelque invention moderne. En Allemagne, ce sont les Illuminés qui gagnent terrain par tous et particulièrement à Vienne, en France le martinisme, en Angleterre le Swedenburgisme et le théosophisme » (id.). Pour éviter l’éclatement, la loge de Trieste a cherché liaison, en 1785, avec la Ligue éclectique (Eklektischer Bund), qui lui a semblé la plus susceptible de maintenir ensemble tous les frères maçons. C’est Fekete lui-même qui a été dépêché à Francfort et qui, selon Baraux, a envoyé à Trieste les renseignements les plus lumineux sur l’état de la franc-maçonnerie et ses différents systèmes. Baraux espérait néanmoins plus de détails sur les promoteurs de la Ligue éclectique et la liste des loges qui s’y étaient affiliées90. En novembre 1786, il n’a pas changé d’avis : l’unité du mouvement doit tout primer, mais il faut se méfier des diverses associations qui naissent un peu partout : celle « du Fr... Könige n’est pas grand-chose et je l’estime moins que l’Union éclectique, puisque cette dernière tend au moins à une union générale dans la Base de l’Ordre qui sont les 3 prs grades » (ibid., fol. 76-77).
36Le principal danger, selon Baraux, vient des émules de Johann Adam Weishaupt, ces Illuminés qui progressent à Vienne. C’est avec douleur qu’il a appris, en mars 1786, que le conseiller aulique Ignaz von Born est maître d’une loge, car il est « illuminatiste » (ibid., fol. 82-83). Born est même maître de la loge la plus importante de Vienne, celle de l’élite de l’Aufklärung, la loge Zur wahren Eintracht, fondée en 1782 par des dissidents de la loge Zur gekrönten Hoffnung, dont les tendances rosicruciennes déplaisaient à certains ; aux côtés de Born, Joseph von Sonnenfels, et deux correspondants de Fekete, les « Dioscures », Blumauer et Alxinger, ce dernier sorti en 1785 de la loge Zum St Josef. Au cours de l’année 1787, Baraux continue à s’inquiéter du virage illuministe des maçons de Vienne : il s’en prend toujours à Born et aussi au baron Franz Karl Kressel von Qualtenberg, vice-chancelier de Bohême, qu’il juge partisan des Illuminés91.
37À son avis, les persécutions en Bavière n’ont fait que renforcer le fanatisme et l’attachement des Illuminés à leurs erreurs. Un autre danger alarme Baraux : le système du baron Eckhoff fait fortune en Allemagne, il aurait conquis le duc de Brunswick, grand maître depuis 1772 de la Stricte Observance, et le prince de Hesse-Cassel92. Le franc-maçon viennois Bohuss est plus mesuré, même si l’on murmure dans la capitale que la persuasion du baron l’emporte dans la croyance de l’empereur93. Bohuss, qui veut juger par lui-même, a reçu des mains mêmes de Eckhoff son traité, et il l’étudie (1er octobre 1785, ibid., fol. 178 et 183). Baraux semble moins obsédé par les adeptes de Louis Claude de Saint-Martin, car ils sont plus éloignés. Il n’en reste pas moins que l’embastillement du martiniste Cagliostro, impliqué dans l’affaire du collier, l’émeut vivement, car la franc-maçonnerie toute entière risque de pâtir des agissements de tels aventuriers94. Sont-ce toutes ces difficultés qui altèrent l’enthousiasme de Baraux ? Dès 1785, il se plaint de la petitesse de l’effectif de la loge : il diminue car « le Fr... Koller est marié et a couvert » (ibid., fol. 69-70). Fekete qui, nous le verrons, a changé de bord, fait de la contre-propagande et sa lettre au frère Weber a déterminé celui-ci à abandonner la loge (ibid., fol. 82-83). En août 1787, Baraux est dépassé : « Je n’entends plus le mot des [loges] de Vienne... Je suis tout à fait hors du courant » (ibid., fol. 74-75). La correspondance avec Fekete s’interrompt alors jusqu’à une lettre du 17 octobre 1796, exempte d’allusions maçonnes, où Baraux fait part au comte de ses préoccupations de minéralogiste (ibid., fol. 67-68). Dans la dernière lettre (Trieste, 11 mars 1801), seule la signature (« Monsieur T... C... F... ») rappelle les anciens attachements (ibid., fol. 80-81). Les lettres précédentes, en revanche, sont riches d’informations sur la loge de Trieste, ses membres et son organisation interne95.
38Sur les autres loges, les renseignements sont ténus. Une lettre de Blumauer (ibid., fol. 169-170) confirme la date de 1784, donnée par Abafi96, pour la fondation de la loge de Görz : le baron Troitzy en est grand maître et la loge aurait été parrainée par Marburg, alors touché par l’illuminisme. D’après Baraux97, ce n’est qu’à la fin de 1785 qu’elle aurait reçu son organisation définitive et désiré former un district indépendant. Un de ses membres éminents est le colonel d’infanterie Kornelius von Ayrenhoff, correspondant du comte Lamberg et de Fekete, et auteur de quelques comédies qui eurent l’heur de plaire à Frédéric 1198. Les rapports entre Trieste et Görz ne paraissent pas avoir été bons, peut-être à cause de la filiation illuministe par Marburg. En juillet 1786, Baraux se plaint de ne pas avoir de nouvelles du frère Loibel de Görz, qui est accusé par un correspondant inconnu, écrivant vraisemblablement de Trieste, de manquer de vigilance99. Des problèmes de hiérarchie et d’obédience auront sans doute surgi entre les deux loges du Frioul.
39La troisième loge des régions adriatiques est celle de Fiume, dont le membre le plus connu est un correspondant et ami de Fekete, József Podmaniczky, nommé conseiller gubernial à Fiume en 1784, personnage très prisé, si l’on en croit Blumauer, par la loge Zur wahren Eintracht100, ce qui laisse subodorer des conflits avec Trieste. Quand il fut rentré en Hongrie, Podmaniczky se rallia à l’obédience Draskovich, dont on sait le succès en Hongrie101.
40Quelques notations sur la loge de Brünn proviennent du comte Lamberg, qui avoue ne pas être un maçon très assidu. Il goûte peu les leçons de ceux à qui il pourrait en donner. Avec 34 membres en 1783, dirigée par le comte Salm, la loge se porte bien102. Mais dès l’année suivante (8 mai 1784), la question du rattachement suscite des oppositions avec Vienne, qui voudrait lier Brünn à Prague (ibid., fol. 583-585). Autonomisme morave ou évidence de la liaison géographique Brünn-Vienne par-delà les frontières historiques ?
41Il n’est pas facile de suivre l’évolution spirituelle de Fekete au sein de la franc-maçonnerie. Il a été lié de très près, en 1784, à la fondation de la loge « Harmonie et Concorde universelle », qui est, chronologiquement, la deuxième loge de Trieste. Une lettre d’un certain Isenhamm, maçon de Vienne, datée du 2 janvier 1784, fait allusion au projet nourri par Fekete et ses collègues de Trieste, et recommande au comte « de ne point chercher de dépendance étrangère, mais de [s’] affilier plutôt à la grande [loge] nationale »103. Dès l’année suivante, nous l’avons dit, Fekete enquête pour le compte de la loge de Trieste, sur la Ligue éclectique. Plus encore, il s’intéresse aux origines de l’ordre et glane, sur cette obscure question, divers renseignements. K.G. Windisch, franc-maçon de Presbourg (probablement l’historien de Hongrie et capitaine de la ville de Presbourg), lui fait part de son Fragment von den Tempelrittem in unserem Vaterlande et de ses recherches pour retrouver die ältesten Spuren der freÿmäurergesellschaft in der Geschichte. Il n’accorde aucune foi aux dires de la loge de Prague Zur Wahrheit und Einigkeit, qui prétend remonter à 1382104. Croit-il plus aux origines templières, très à la mode à l’époque, en France surtout dans le système du comte de Clermont et chez les Rose-Croix ? Du moins attend-il avec impatience les résultats des investigations érudites qu’un savant danois mène à Rome et à Göttingen (id.). Lui-même, loin de toutes billevesées, a travaillé sur l’origine du mot même de franc-maçon : Doch, die älteste Spur des Namens Free Masons finde ich in England im Jahre 1410, und ich zweifle dass diese Name früher vorkome. Fekete a-t-il été persuadé de l’origine britannique ? Le même mois, il recevait à Trieste du maçon Fhymna des informations sur les loges écossaises des pays étrangers (ibid., fol. 357-358). À cette date, le différend avec Baraux avait déjà éclaté ; ce dernier y fait allusion dans une lettre du 27 septembre 1785, où il accuse Fekete de l’avoir desservi à Vienne, par esprit de vengeance. Si Fekete n’a pas été admis (sans doute à un grade supérieur), ce n’est pas à cause de Baraux, mais du fait des supérieurs, très exigeants, qui accumulent des dossiers volumineux sur les impétrants (ibid., fol. 71-72). Rancœur de la part de Fekete, ou conviction que la vérité est ailleurs ? Au printemps de 1786, la rupture est consommée, et Fekete pratique auprès des frères de Trieste un débauchage que Baraux trouve indigne. Ses lettres ont déterminé le frère Weber à quitter la loge. Il n’a pas été facile de ramener Rockert et de garder Gabiati : « Ce que vous lui écrivez au sujet de la M... autrichienne l’a tellement saisi et intimoré qu’il se repent non seulement d’être resté mais encore d’être un... » (ibid., fol. 82-83). Comment interpréter ce revirement ? À en croire Baraux, Fekete est devenu un « ennemi » ; il ne serait même plus maçon105. Réaction exagérée puisque la correspondance entre les deux hommes continue. Il est bien plus probable que Fekete a changé d’observance ou de rite. En avril 1787, Baraux lui fait part de ses soupçons : n’aurait-il pas été initié, et par quelle voie ? Est-ce par Vienne, par la Hongrie, par Ratisbonne, par l’Empire (ibid., fol. 85-86) ? Et à quoi ? Rose-Croix ou Illuminé ? C’est avec des membres de la loge Zur wahren Eintracht que Fekete entretient les relations les plus denses : Blumauer et Alxinger déjà rencontrés, mais aussi le chancelier aulique de Hongrie comte Károly Pálffy (E 584, 53, fol. 144-146) et son fils Miklós (ibid., fol. 147), le comte György Festetics, fondateur de l’Institut agraire de Keszthely au lac Balaton, des bains de Héviz, etc. (E 584, 52, fol. 345-350), le baron Karl von Hompesch, futur général de l’armée anglaise (ibid., fol. 458-459 et E. 584, 53, fol. 553-554), le capitaine Johann Nepomuk O’Donnel (ibid., fol. 82-83), le précepteur J.B. Czepelak (E 584, 52, fol. 246-288), tous correspondants de Fekete, sont membres, selon Abafi, de la loge Zur wahren Eintracht. Il est plus que probable que Fekete a été séduit par la maçonnerie illuminée. Ses relations avec la loge plus bourgeoise, Zur Wohltätigkeit, la loge de Pezzl et de Mozart, se réduisent à une lettre (de Vienne, 31 août 1784) du secrétaire de la loge, L.A. Hoffmann (ibid., fol. 453), le « Judas » de l’Aufklärung, le futur chantre de la réaction sous François II : il annonce l’envoi à la loge de Trieste, de la part du baron Otto von Gemmingen, maître de cette loge, d’un exemplaire du Magasin für Wissenschaften und Litteratur « als Geschenk... seiner brüderlichen Liebe und Achtung ». Quand il fut rentré en Hongrie, Fekete correspondit avec le comte Pál Szápáry, le Geyza, de la loge de Pest (E 584, 53, fol. 299-300 et 551-552), avec le baron József Podmaniczky (ibid., fol. 187-200), avec le comte Ferenc Széchényi, le fondateur du musée national et de la bibliothèque qui porte son nom (ibid., fol. 328-340), tous francs-maçons de l’obédience Draskovich. D’après Abafi106, Podmaniczky était aussi un Illuminé, tout comme un autre correspondant de Fekete, Péter Balogh de Ocza, le grand animateur du soulèvement de 1790. Aucune incompatibilité donc entre Illuminisme et obédience Draskovich, et rien ne s’oppose à la poursuite de bonnes relations avec les frères de Vienne suivant un autre rite.
42On peut d’ailleurs s’interroger sur le caractère contraignant des différentes orthodoxies. Il n’est pas impossible que le souci moral et la recherche d’une éthique personnelle ne l’aient emporté, chez beaucoup de francs-maçons, sur l’allégeance inconditionnelle à un rite précis. Baraux, à Trieste, se montre très pointilleux au sujet de la réputation de la loge. Ses membres doivent être des hommes de bien, qui ne doivent surtout pas manquer au devoir d’entraide entre frères107. La loge s’emploie à tirer d’affaire aussi bien Wagner, en 1786, que Platner l’année suivante, bien que ce dernier ait vu sa conduite vivement censurée par sa loge : son cœur d’or n’excuse pas son indolence, la mauvaise tenue de ses livres de compte et sa vie privée scandaleuse et dispendieuse (E 584, 52, fol. 85-86). S’il y a des éléments douteux, il ne faut pas les retenir. « Peu à peu, notre [loge] se purgera... elle prendra une consistance digne de la pureté et de la sublimité de l’ordre » (ibid., fol. 84). Lorsqu’en décembre 1784, le comte Pál Szapáry propose à Fekete l’initiation à la loge de Trieste de M. Maperi de Ferrare, marchand de grains à Fiume depuis deux ans, il insiste sur les belles qualités qui font qu’« il [a] tout le caractère d’un digne sujet » (E 584, 53, fol. 551-552). Quant au désir de se forger un système personnel, il apparaît dans la correspondance de Bohuss, lorsque celui-ci livre à Fekete le résultat de ses Abstractionen : partir de l’évidence du tout et du rien pour arriver à l’évidence de la matière, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, en prenant conscience de l’existence des facultés humaines, de la nature et des esprits supérieurs en sympathie avec la création ! Mais avant tout, il faut purifier son âme pour la rendre digne de recevoir la vérité (E 584, 52, fol. 181-182). Bohuss lit le livre d’Eckhoff, mais c’est pour s’informer. Le mesmérisme, le martinisme, la croyance en Asmodée, sont des sottises. Omnia probate ist mein Grundsatz, affirme-t-il dans une lettre du 1er octobre 1785, qu’il termine avec lyrisme et enthousiasme par l’exposition de ses idées et la revendication de l’indépendance d’esprit : Dazu brauche ich bloss die Gnade meines Gotts, kein Syn : kein [Loge] kein [Kreuz]... (ibid., fol. 178 et 183). Un autre maçon, Fhymna, use des mêmes termes pour définir sa position au sein des courants multiples qui se partagent la maçonnerie : So bleib ich dennoch fest beim meinem Grundsatz : Omnia probate et meliora tenere (ibid., fol. 356 et 359). Quant à Czepelak, c’est l’idéal de fraternité qu’il retient quand il cite le Ueber der Einsamkeit de Johann Georg von Zimmermann, le médecin et écrivain philosophe : Und glücklich ist die Gesellschaft wo... einer für alle und alle für einen sind108.
43Toute cette correspondance traite évidemment de l’actualité littéraire et politique maçonne. Alois Blumauer déploie des efforts constants pour augmenter la diffusion du Wiener Freimaurerjournal109 dont il est l’éditeur. Il prospecte à Trieste par l’intermédiaire de Fekete, à Fiume par Podmaniczky et jusqu’à Raguse pour obtenir des abonnements110. L’événement qui frappa de stupeur toute la maçonnerie autrichienne fut le fameux Maurerpatent de décembre 1785, qui n’autorisait qu’une loge par capitale de Land et exigeait la liste des membres. La promulgation fut suivie d’une véritable explosion de pamphlets, de poésies, de satires, de lettres parodiques, où tous les maçons connus exprimèrent leur émoi, tandis que leurs adversaires répliquaient de façon parfois violente. Pour les loges, l’alternative était claire : ou se soumettre, ou se dissoudre, quitte à exister ensuite de façon informelle. Fekete était partisan de la seconde solution, ce qu’un frère inconnu, probablement de Trieste, lui reproche, arguant avec justesse que « l’opinion... que toutes les [loges] auraient dû couvrir... aurait été l’enseigne de la rébellion ou l’affiche qu’elles renfermaient des choses répréhensibles », ce qui n’est pas, car tout maçon doit être fidèle sujet. De plus, couvrir toutes les loges aurait abouti à empêcher la propagation de l’ordre, à interdire toute assemblée générale, donc à s’en remettre localement à l’arbitraire ; au bout du compte, l’ordre aurait été anéanti. Rien de pire que cette funeste éventualité : « L’existence de l’ordre sous un chef incapable est mille fois à préférer à sa non existence » (E 584, 53, fol. 549-550). L’application de la Patente ne se fit pas sans provoquer une véritable hémorragie : le même correspondant de Trieste nous apprend que « 6 fr... quittent pour ne pas être sur la liste : ce sont Athémis, les deux Velusco, Haller, Haguenauer et Weber »111. Plus encore, une véritable crise de confiance, annonciatrice des tensions extrêmes et de l’espionnite généralisée de la fin du règne de Joseph II, empoisonne les relations publiques. Un autre correspondant du port adriatique, connu seulement par les initiales N.G., décrit, en février 1786, l’atmosphère malsaine qui règne à Trieste et qui engage à l’extrême prudence, « car les affaires sont actuellement dans une situation fort critique, et de jour en jour on découvre de nouveaux motifs pour être de plus en plus circonspect ». Il semble bien que la loge n’ait pas eu à déplorer que des défections, mais qu’elle ait aussi souffert de dénonciations. « On a été ci devant beaucoup trop prompt à donner des titres et à communiquer des lumières. » Notre correspondant est si timoré qu’il préfère « rester privé du plaisir et de l’avantage » qu’il pourrait tirer de la lecture d’un ouvrage dont Fekete lui propose l’envoi, plutôt « que voir le moindre risque que des choses semblables tombassent dans les mains de certains gens... qui étant ou pervers ou aveugles, c’est en vain, ou même dangereux, de leur offrir la lumière... » (ibid., fol. 503-504).
44En 1787, la crise à Trieste semble surmontée, si on en croit Baraux112. Trieste ne possédait qu’une loge, soit une situation simple au plan institutionnel. Il n’en reste pas moins que le Maurerpatent a ouvert des plaies durables dans le milieu franc-maçon, jusque-là fourrier presque inconditionnel des réformes de Joseph II. Le consensus des élites éclairées commence à faire défaut. Le caractère bureaucratique et policier du régime occulte la générosité du début du règne, dissipe les illusions et laisse face à face les alliés de la veille, l’absolutisme et les Lumières. Sensible dans la correspondance entre frères maçons, ce tournant l’est aussi dans l’ensemble des lettres reçues par Fekete.
45L’actualité est présente dans de nombreuses missives. Les événements du temps, petits et grands, les écrits auxquels ils donnent naissance sont annoncés et commentés par les correspondants, que ce soit le séjour de Pie VI à Vienne, la mort de Métastase, le programme et la distribution de l’opéra de Trieste, la politique autrichienne envers le Wurtemberg, les troubles en France à partir de 1789, les guerres de la Révolution ou l’arrivée du palatin Joseph et de son épouse à Buda... Il se dégage une sorte d’opinion commune pour laquelle la pierre de touche est bien le jugement porté sur l’empereur et sa politique. Les lettres datées de la première moitié du règne de Joseph II expriment l’espoir dans le souverain et un soutien pour son action. Le comte Lamberg, constatant l’engourdissement intellectuel du pays, incite de tous ses vœux l’empereur à opérer des changements (E 584, 52, fol. 566-568). Il se félicite de la relative liberté de la presse qui règne depuis la suppression de la commission de Censure (10 mars 1782, ibid., fol. 574-575). En mai 1785, à propos d’une des mesures qui a suscité le plus de rancœurs dans le peuple hongrois, le transport à Vienne de la Sainte Couronne de Hongrie, il se montre un fervent admirateur de Joseph II, ce roi rationaliste et « mondain au-dessus des vanités ridicules de notre sot monde »113. Fekete, lui aussi, se fait thuriféraire du monarque, dont il loue, dans des vers envoyés au citoyen de Raguse, L. de Sorgo (8 juin 1782), le vaste génie et les grandes vues dans les affaires (E 584, 53, fol. 274-275). Certains correspondants, faisant preuve de perspicacité historique, vont jusqu’à conjoindre la mère et le fils dans le compliment. Tauber essaie de disculper l’impératrice d’avoir voulu brider la presse pour des motifs de religion. « C’était plutôt pour des motifs de politique... que Marie-Thérèse défendait à toute sorte de scribes de vomir leurs impertinences au public » (20 juin 1781, ibid., fol. 493). Nous avons là un milieu ouvert aux innovations et aux Lumières.
46Une preuve supplémentaire en serait fournie par l’intérêt qu’il porte aux questions d’éducation et de pédagogie. C’est évidemment dans la correspondance de Czepelak, précepteur, que la préoccupation éducative est la plus évidente. La lettre du 10 février 1784 est entièrement consacrée à la problématique classique de l’éducation et de la nature. C’est cette dernière qui donne aux hommes les diverses facultés, et le but de la bonne éducation est de les développer sans les contraindre, en respectant l’ordre naturel qui y fut mis (E 584, 52, fol. 253-254). Éducation naturelle donc, mais aussi relation pédagogique où l’amitié et le sentiment ont la plus grande place. Le fils de Fekete avait d’abord été confié à un piariste, puis à un institut viennois pour jeunes cavaliers, dirigé par un certain Stillfrid114. Les résultats n’avaient pas été bons, et Czepelak fut chargé de « récupérer » le jeune homme. Au bout de deux ans, le précepteur ne veut pas se targuer d’avoir extirpé tout le mal, « un couple d’années ne suffit pas pour déraciner ce que des circonstances bizarres avaient mis d’hétérogène dans le caractère d’un jeune homme ». Mais il se flatte « d’avoir obtenu une petite place dans le cœur de celui dont il fallait ménager les faiblesses et ne les combattre qu’avec politique et raison » (20 janvier 1782, ibid., fol. 268-269). Refus de la manière dure, sens de l’opportunité, respect des inclinations, valorisation des liens personnels entre le maître et le disciple, tels sont les principes de Czepelak, dont on peut aisément penser qu’il est un lecteur d’Émile. Le comte Fekete lui-même manifeste un intérêt particulier pour l’éducation. Il se fait informer par Czepelak du projet d’érection d’une Académie à Vienne, pour l’enseignement des adolescents (24 novembre 1783, ibid., fol. 268-269) ; surtout, on apprend par une missive d’un nommé d’Albin qu’il a écrit des lettres sur l’éducation, adressées au comte Lamberg (ibid., fol. 289-290). Ce dernier est loin d’être indifférent à la question, puisqu’il est le destinataire d’un autre écrit sur le sujet, dû à un correspondant de Fekete, Kornelius von Ayrenhoff, où Marie-Thérèse et Gerard van Swieten sont loués pour les mesures qu’ils ont prises en ce domaine115. Lamberg félicite le duc de Wurtemberg pour le pèlerinage pédagogique qu’il a entrepris à travers le Saint-Empire, pour visiter les collèges de Prague, Dresde, Hambourg, etc. « C’est Denis, le roi Denis qui se fait Pédagogue »116. Relevons aussi les intérêts éducatifs de Leininger, placé comme précepteur dans une famille comtale de Trieste, qui fait part au comte hongrois de son expérience117, et du baron József Ürményi, futur gouverneur de la Galicie en 1801, coauteur avec Dániel Tersztyánszky du plan d’éducation pour la Hongrie (E 584, 53, fol. 372-373).
47À partir de 1785, ce milieu éclairé commence à réagir négativement aux menaces autoritaires et policières de Joseph II. Un des premiers accrocs, à l’échelle de l’ensemble des États de la maison d’Autriche, fut la patente sur la maçonnerie. Mais en ce qui concerne le royaume de Hongrie, il avait été précédé, après l’affaire de la Couronne, de deux atteintes graves aux privilèges de la nation : d’abord, l’ordonnance instituant la langue allemande comme langue officielle dans toutes les possessions des Habsbourg, et surtout la suppression du découpage administratif de la Hongrie en comitats, à l’intérieur desquels la fonction publique revenait de droit aux nobles locaux, et son remplacement par des districts plus grands dirigés par des commissaires royaux. Cette dernière mesure mécontenta la noblesse toute entière et divisa le parti joséphiste hongrois. Une fraction importante adopta une attitude de résistance passive avant de passer à l’opposition politique active. Le comte Ferenc Széchényi, locum tenens bani en Croatie, franc-maçon de l’obédience Draskovich, fut vivement critiqué pour avoir accepté un des nouveaux postes de commissaire, celui de Pécs. Il ne le tint d’ailleurs pas longtemps ; dès la fin de l’année 1785, il se démettait de toutes ses fonctions officielles, ce qui était un moyen d’éviter la publicité d’une disgrâce.
48Les événements des Pays-Bas autrichiens, prémices des troubles graves qui devaient affecter la totalité des territoires des Habsbourg durant les derniers mois du règne de Joseph II, suscitèrent en Hongrie un très large écho. Un vaste retentissement leur fut donné par les loges de l’obédience Draskovich, qui avaient vraisemblablement des ramifications jusqu’en Belgique, et dont les membres voyageaient beaucoup en Europe occidentale. L’obédience Draskovich était peut-être la plus politique des tendances franc-maçonnes (n’avait-elle pas comme dénomination Latomia libertatis sub Corona Hungariae ?) ; dès 1787, elle vit dans la lutte des États de Belgique, un combat pour les libertés, qu’elle n’osait pas encore ouvertement entreprendre sur son propre sol118. L’opinion ne fut cependant pas unanime sur les événements de Belgique. Czepelak émet des doutes sur une « liberté peut être trop licencieuse »119. Mais Baraux, à Trieste, se sent plus belge que jamais et vibre à l’unisson de sa nation depuis que les États de Brabant ont pris la tête de l’opposition en refusant, le 19 avril 1787, de voter l’impôt. « La franchise et l’énergie de la nation s’est montrée au clair, elle a su soutenir ses droits... jusqu’aux pieds du trône avec cette noblesse et cette dignité qui doivent lui concilier l’estime de tout homme qui pense » (22 août 1787, E 584, 52, fol. 74-75).
49La révolte de Hongrie, à laquelle Fekete et beaucoup de ses correspondants participèrent120, fut coordonnée par l’activité des loges. Ce fut un correspondant du comte, Péter Balogh de Ocza, qui donna le signal en publiant la fameuse lettre où il dénonçait en Joseph II celui qui avait rompu le contrat entre l’institution royale et la nation hongroise, implicitement contenu dans la Pragmatique Sanction121. La Hongrie avait gardé un prestige certain à cause des combats menés jusqu’au début du xviiie siècle contre l’oppression du souverain étranger, allemand et catholique. Les mêmes qui dénonçaient son retard économique, social et intellectuel furent les premiers à saluer en elle le sanctuaire des libertés et à la transformer en parangon d’antidespotisme. Le comte Lamberg, rentrant des eaux de Trencsén (TrenČín), écrit à Fekete en septembre 1783 sur la « fière patrie » (ibid., fol. 586-587). Le citoyen de Raguse, L. de Sorgo, qui a dû passer une convalescence à Fiume, ne tarit pas d’éloges sur les Hongrois, « cette brave et généreuse Nation, qui à la vigueur de l’esprit et du corps et à la politesse de nos siècles réunit la franchise, la probité et les mœurs de l’ancien temps ». Lui qui reçut l’« éducation d’un franc républicain » est fier que Raguse ait été hongroise autrefois. « De grands restes dans nos coutumes, dans nos mœurs et dans nos lois publiques et civiles nous en rendent l’honorable témoignage122. » Par-delà les appellations politiques s’exprime l’idéal aristocratique, où la nation s’identifie avec la noblesse du pays, représentée dans les assemblées d’État, au sein desquelles, sous couvert de défendre la liberté et le droit d’État contre le despotisme, la classe au pouvoir défend ses libertés, c’est-à-dire ses privilèges, tout en frayant dans l’ambiguïté les voies au libéralisme. Fekete, dans ses Petites réflexions sur des objets plus ou moins petits à l’usage de mes petits, commencées l’année 1784, formule parfaitement le rôle historique qu’il veut prêter à la noblesse : « Le Peuple triomphe quand on abaisse la Noblesse parce qu’il se souvient avec aigreur qu’elle a abusé de son éclat pour le fouler ; mais il devrait réfléchir que c’est la seule barrière du despotisme ; qui partout où elle n’existe pas, il n’en est que plus malheureux123. » La situation originale de la Hongrie dans l’ensemble habsbourgeois s’enrichit de la comparaison avec l’Angleterre, la Diète hongroise, non convoquée par Joseph II, ne dédaignant pas, tout comme les parlements français, mais avec un peu plus de vérité, l’assimilation avec la cour de Westminster. En janvier 1788, le capitaine O’Donnel remercie Fekete d’avoir écrit sur la Diète une lettre toute « remplie de ces grandes idées de liberté, qui caractérisent trois nations illustres de l’Europe, [cela] n’a pu qu’augmenter l’attachement que tout descendant d’Anglais ne peut manquer d’avoir pour ces braves Hongrois », qui mériteraient d’avoir un Hume ou un Robertson « pour immortaliser les efforts qu’ils ont faits pour conserver ce cher don de leur liberté » (E 584, 53, fol. 82-83). L’anglomanie politique, générale en Europe à la fin du siècle, submerge la Hongrie.
50En 1790, la mort de Joseph II et l’incertitude quant à la politique de son successeur, puis les mesures d’apaisement prises par Léopold II sont vivement commentées. Bohuss, qui suit les événements depuis Vienne, encourage les amis de Fekete, ces aechter patrioten dont il analyse le discours politique (E 584, 55, fol. 179-180). Ghequier, homme d’affaire de Fekete, approuve « le paye qui soutient son Droit avec Bien juste raison [et] la Congrégation...[qui] a refusé tout nette, de donné Des recrû, et grain, avant qu’il y eux une Diette... » (ibid., fol. 411 et 419). Pittoni, lui aussi à Vienne, suit avec passion les combats de la nation hongroise, lo sento qui con piacere che li alfari d’Ungheria prendino buone piega, écrit-il à Fekete en 1790 (E 584, 53, fol. 177-178). Deux ans plus tard, en août 1792, il exprime toute l’ambiguïté du combat mené par l’aristocratie puisque, selon lui, elle lutte en même temps pour une part de démocratie et pour la liberté du peuple (ibid., fol. 162). Mais il ajoute à son propos politique une esquisse de programme économique visant à développer la richesse nationale par la promotion d’une industrie et d’un commerce hongrois. Ces préoccupations économiques furent celles des francs-maçons Draskovich, qui accordaient la première importance à l’état retardataire du commerce. La commission de Commerce de 1791, une des 9 deputationes regnicolares nommée par la Diète, reprit une part de ce programme. Elle comprenait, outre Miklós Skerlecz, főispán du comitat de Zagreb et Miklós Forgách, főispán de celui de Nyitra (Nitra) deux correspondants de Fekete, le baron József Podmaniczky, auteur des Principia Vectigalis Tricesimalis... pro Deputatione commerciali elaborata et Pál Almásy, gouverneur de Fiume puis föispán du comitat d’Arad, père de deux mémoires sur le commerce de Hongrie, Opinio... intuitu commercii Hungarici, resté à l’état manuscrit et Vom Handel des Königreichs Ungam, publié dans les Staats-Anzeigen de Schlözer en 1793. Fekete lui aussi fut l’auteur d’un Projectum de qualiter instituendo et conflando publico Regni fundo..., proposant un investissement de 4 millions en Croatie, plan qui suscita les réponses de la Diète du pays.
51Un autre événement d’importance susceptible de modifier les fronts fut la Révolution française. Très rapidement, la circonspection fait place à la franche hostilité. Quinze jours après la prise de la Bastille, un certain Zerschwitz interroge Fekete sur la « révolution et [le] changement mémorable qui se fait dans la forme du gouvernement de France » (ibid., fol. 446). Johann Wilhelm von Archenholz, rédacteur pendant la période révolutionnaire et impériale du journal de Hambourg, Minerva, für Politik, Geschichte und Litteratur, conclut une lettre de décembre 1792 par un aveu d’impuissance : So sagte ich... im August, das ist unmögl... mit Armeen bis Paris zu kmen... dagegen aber ist das Grabfranzö : Monarchie (E 584, 52, fol. 22-23). Lorsque Louis XVI fut proche de cette tombe, les masques tombèrent, dans la monarchie des Habsbourg comme partout ailleurs en Europe. Johann Hainz, de Vienne, annonce à Fekete la sentenza de morte contro l’Infelice Re di Francia et le vote régicide du duc d’Orléans124.
52Nous savons pourtant qu’« une partie des anciens joséphistes (des intellectuels surtout) ne lâcha pas pied. Sous l’influence des circonstances internes et de la Révolution française, ils glissèrent vers la gauche, leurs aspirations se radicalisèrent, ils quittèrent le réformisme pour devenir révolutionnaires »125. Est-ce le cas de István Keresztury qui, dans l’été 1792, fonde des espoirs sur l’invasion de la Belgique par les Français (hic rumorem spargi capitte 30 gallorum in Belgium nostrum irruptionem fecit) pour provoquer des troubles intérieurs et faire proclamer une constitution avec l’aide des Français amis (E 584, 52, fol. 526-527) ? Combien, parmi les correspondants de Fekete, adhérèrent au (ou sympathisèrent avec) les mouvements jacobins de Vienne, de Pest et de Buda ? Pour Ernst Wangermann, le lien entre joséphisme et jacobinisme est établi en la personne de Blumauer, qui animait un groupe d’opposants où l’on trouvait l’abbé Strattmann, le propriétaire foncier Johann Hackl et surtout le chef des jacobins hongrois, Martinovics126. Paul R Bernard s’inscrit en faux contre cette assertion, aucune preuve formelle n’ayant été apportée jusqu’à maintenant127. La correspondance de Fekete contient une lettre de septembre 1778 d’un certain Soltyk de Cracovie (E 584, 53, fol. 267) : vu sa date et son contenu, il est peu probable qu’elle émane de Stanislaw Soltyk, patriote polonais, partisan de Tadeusz Kociuszko, qui servit un temps de relais entre les jacobins de Vienne et ceux de Hongrie128, mais plutôt de l’évêque de Cracovie, Kajetan Soltyk.
53Mais s’il n’y eut pas beaucoup de contacts au moment du complot de Martinovics, il y en avait eu avant, et de fort serrés, entre les futures victimes et le groupe des aristocrates amis de Fekete. Le chef des jacobins hongrois, l’abbé Martinovics, fut pendant longtemps un protégé du comte Lamberg qui se démena beaucoup, en 1788, pour faire obtenir au jeune Hongrois la chaire de physique de l’université de Lemberg (L’vov). Il écrivit une chaleureuse lettre de recommandation à Gottfried van Swieten, vantant en Martinovics « un homme pensant, versé dans les mathématiques sublimes, calculant tout et s’analysant soi-même... physicien renommé, savant à plus d’un titre, possédant les vertus sociales nécessaire au savoir »129. Pour donner plus de poids à la candidature, Martinovics utilisa alors un brevet de membre de la « Société Patriotique de Hesse-Hombourg, affiliée à la Société royale de Suède et à la Société électorale de l’économie rurale et des mœurs de Bavière », que Lamberg lui avait procuré en 1784-1785130. C’est encore Lamberg qui aida Martinovics à publier, sans l’accord de la censure et sous un faux lieu d’édition (Londres, 1788), ses Mémoires philosophiques ou la Nature dévoilée. Martinovics marqua sa gratitude en dédiant au comte, als Unterpfand ewiger Freundschaft ses Praelectiones physicae experimentalis.
54Deux autres correspondants de Fekete entretinrent des relations suivies avec des jacobins : le baron László Orczy, joséphiste et franc-maçon de la loge de Presbourg Zur Verschwiegenheit, főispán du comitat d’Abaúj, eut comme secrétaire le jacobin Szentmarjay. Quant à Ferenc Széchényi, son secrétaire privé fut, de 1778 à 1785, le jacobin József Hajnóczy. Széchényi le fit nommer en 1785 alispán du comitat de Szerém, fonction qui dut être abandonnée en avril 1790, lorsque la révocation des décrets de Joseph II rendit à nouveau impossible l’attribution d’une telle charge à un roturier. Széchényi obtint alors pour Hajnóczy un poste de secrétaire à la chambre royale de Buda.
55Lorsqu’ils entreprirent leur propagande, les jacobins hongrois se souvinrent de leurs anciens protecteurs et des patriotes de 1790. Martinovics, dans son interrogatoire du 13 août 1794, cite tous ceux qu’il aurait voulu gagner aux idées révolutionnaires : douze noms parmi lesquels Fekete lui-même et quatre de ses correspondants : László Orczy, György Festetics, Péter Balogh, József Podmaniczky. Quatre autres noms appartiennent à des familles avec lesquelles Fekete entretient des relations (Illésházy, Végh, Splényi et Benyovszky)131. Quand les jacobins furent emprisonnés, ils en appelèrent à ceux qui avaient pu manifester une certaine ouverture à leurs idées, au risque de les compromettre. Dans sa description de l’institut français pour la propagande révolutionnaire démocratique, Martinovics, interrogé à Vienne en septembre 1794, déclare que tous les chefs francs-maçons et tous les meneurs de la Diète de 1790, Forgách, Orczy, Illésházy, Fekete, etc., ont été contactés par les jacobins français et que le baron László Orczy a un portrait du duc d’Orléans, habillé à la hongroise, dans sa chambre (p. 206). Fekete est plus directement mis en cause au sujet de ses relations avec le jacobin János Batsányi, que Martinovics avait nommé responsable pour toute la Haute-Hongrie, et qui est, d’après une déclaration de Martinovics du 5 septembre 1794 ein besonders vertrauter Freund des Generals Fekete (p. 153). Interrogé à son tour, Batsányi nia avoir eu d’autres relations avec Fekete que littéraires et plaida l’étourderie s’il avait jamais dit que Fekete voulait être le Kociuszko de la Hongrie (p. 183). Lors des contre-interrogatoires passés non plus à Vienne mais à Buda, Martinovics maintint, lorsqu’on lui posa la question : Quid dixit Barcsányi de generale Fekete ?, la même réponse : Quod certa occasione prope Viennam conveniendo cum Fekete, ex habita discursu intitulent, quod aliquando forte Fekete in Hungaria Kotsiuszko futurus sit (p. 286). Batsányi, interrogé un mois plus tard, ne revint pas sur ses précédentes déclarations (p. 330-331).
56Enfin, lorsque la dernière heure approcha, c’est encore vers ce même milieu qu’on se tourna et auquel on recommanda les siens. Hajnóczy écrit le 19 mai 1795 à sa sœur Thérèse et, à propos de sa succession qui risque bien d’être déficitaire, il lui indique que ceux sur qui elle peut compter sont couchés sur une liste déposée chez le pasteur calviniste János Molnar, le pamphlétaire fameux du temps de Léopold II. Sur ce document, 19 noms, dont Fekete, son fils Ferenc et treize correspondants du comte (p. 779-780)132.
57Les chemins avaient divergé entre la poignée de radicaux jacobins et ceux qui avaient été un temps leurs protecteurs. La majorité des correspondants de Fekete se satisfit de la politique conciliatrice de Léopold II, et les Hongrois contestataires, rétablis dans leurs privilèges politiques (la Diète restaurée) et administratifs (la structure en comitats), rentrèrent dans la vie publique. Le comte Ferenc Balassa, joséphiste convaincu, fut nommé en 1791 chancelier aulique pour l’Illyrie. Le comte József Teleki accompagna François II à Francfort pour son couronnement. Le comte Ferenc Széchényi fut nommé f" oispán du comitat de Sümegh et reçut même la Toison d’or en 1808. József Podmaniczky devint f"oispán du comitat de Bács-Bodrog en 1802 et participa, en 1815, aux négociations du second traité de Paris. En 1800, lorsqu’il s’agit de recevoir à Pest la fille du tsar Paul Ier, Alexandrine Pavlovna, épouse du palatin Joseph, le f"oispán du comitat d’Arad demanda à Fekete de faire partie de la délégation et de « fournir une belle petite harangue française, langue favorite de la grande duchesse »133. Une fois encore, l’alliance était scellée entre la noblesse, dans son immense majorité, et la cour de Vienne, redevenue garante du statu quo social et politique.
58Les résultats de l’étude d’une correspondance peuvent être aléatoires, l’amitié ou le sentiment n’étant pas toujours de bons conseillers politiques, et le groupe social des correspondants pouvant paraître protéiforme. Tel n’est pas le cas avec les 322 individus qui écrivent pendant un quart de siècle à Fekete. Nous sommes en présence d’un faisceau de convergences suffisamment riche pour que le milieu social des amis du comte hongrois se dessine avec des contours précis. Incontestablement, il s’agit d’un monde homogène socialement, intellectuellement et même politiquement. Milieu nobiliaire d’abord, et même de haute noblesse, que la carrière militaire a entraîné sur les champs de bataille de l’Europe. Plus encore que la Kavaliersreise, la guerre est la grande école de cosmopolitisme. D’où la variété extrême des appartenances nationales et des langues employées, et la difficile corrélation entre ces deux données. Milieu de l’intelligence ensuite, intégré pour une part à la république des lettres ou, quand il ne l’est pas, assurant au moins la diffusion des idées nouvelles dans les cercles urbains qu’il peut animer. De l’écrivain talentueux au poète médiocre, du Voltaire autrichien, Alois Blumauer à l’essayiste transylvain ou morave dont les œuvres manuscrites sont oubliées, de la capitale, Vienne, aux diverses Landes-hauptstädte des territoires Habsbourg et de là, parfois, aux châteaux du plat pays, c’est tout un filet qui est tissé et à travers lequel livres et brochures circulent, s’échangent, se commentent, suscitent des répliques. Pour une bonne part des correspondants, la franc-maçonnerie offre ses réseaux secrets et, ce qui est tout aussi important, la convivialité de ses loges : dans celles-ci, on se rencontre, on noue des relations avec les réformateurs, on reçoit des journaux, ceux de France, corrosifs, ceux d’Allemagne et d’Italie, souvent plus classiques. À la fois bibliothèques de prêts et cabinets de lecture, les loges peuvent aussi devenir, sous l’influence des Rose-Croix, des laboratoires de chimie et de physique. Politiquement enfin, presque tous les correspondants sont des Aufklärer et même des joséphistes convaincus. Ils soutiennent les mesures prises au début du règne, la réforme de la censure, la suppression de nombreux couvents, l’implantation d’un système éducatif moderne.
59Dans cet ensemble, les correspondants hongrois se présentent avec un profil bien typé. Parfois membres de la très ancienne aristocratie, ils appartiennent bien plus encore à ces homines novi dont la promotion dans la hiérarchie sociale s’est faite sous le règne de Marie-Thérèse134. Ils ont été le rempart du souverain assailli par la Prusse, lors de la guerre de Succession d’Autriche ; plus tard, ils continuèrent à défendre la monarchie sur les champs de bataille de la guerre de Sept Ans. Beaucoup furent récompensés par un titre de comte ou de baron. Les Ráday, les Orczy, les Podmaniczky, les Festetics, tous correspondants de Fekete, appartiennent à ce groupe social en ascension, dont fait aussi partie le destinataire des lettres. Les contacts avec la France, l’Italie du Nord et du Centre, la Pologne, l’Allemagne du Nord protestante, et bien sûr avec Vienne, à l’occasion des campagnes militaires, lors des Kavaliersreisen ou pendant les longues pérégrinations entreprises pour meubler une retraite trop tôt arrivée, ouvrent ces hommes au cosmopolitisme des Lumières, mais en même temps les persuadent du retard de la Hongrie. Convaincus de la nécessité de réformes dans le cadre national, ils donnent au thème toujours vif de la patrie hongroise un contenu parfois nouveau. D’où l’orientation politique et économique que confère l’obédience Draskovich à leurs loges maçonniques, leur sensibilité au problème de la langue hongroise et la transformation de leurs habitudes épistolaires, mais aussi l’inévitable conflit avec un gouvernement qui redevient étranger en voulant ignorer les entités nationales qu’il a charge de gouverner.
60 Le comte Apostoli s’étonnait, en avril 1785, « qu’un général de cavalerie hunne parlât et écrivît si bien le français » (E 584, 52, fol. 18). Les historiens occidentaux, qui considèrent souvent la noblesse hongroise de façon monolithique, peuvent s’étonner qu’à côté du panache et de l’héroïsme « sabre au clair » existe une réflexion plus moderne sur l’État et ses institutions. Tel est bien pourtant le résultat de la récente historiographie hongroise, que confirme cet essai d’analyse de la correspondance reçue par Fekete*.
Notes de bas de page
1 Dans Dix-Huitième siècle, 1980, n° 12, p. 327-390. Version plus complète publiée sous le titre « Felvilágosodás, szabadkőművesség és politika a 18. század végén. Fekete János gróf levelezése », dans Századok, 117. Evf., 1983, 3. Szám, p. 558-599.
2 Dans la lettre à M. Noverre du 2 avril 1765, Voltaire fait allusion à cette visite : « J’ai reçu le comte de Fé***... avec tous les égards dus à sa naissance et à son mérite... Il m’a fait présent d’un spécifique délicieux, cinquante demi-bouteilles de vin de Tokay, tel que j’en buvais jadis chez le grand philosophe du Nord » (Best. D, ap. 262). Pour les lettres de Fekete à Voltaire, voir Best. D. 14220, 14260, 14275, 14462, 14505, 15137, 15268, 15389 et 16008 ; pour les réponses de Voltaire : 14236, 14357, 14498, 14916, 15314, 15460 et 16010. La plupart de ces lettres sont publiées par Fekete dans Mes Rapsodies (Genève, 1781) : manquent Best. D 14260, 14275 et 15268. Aux Archives nationales de Hongrie (Országos Levéltár, ci-après O.L.), le fonds contenant la correspondance envoyée et reçue par Fekete (E szekció. Gr. Fekete Csalad levéltára, coté E 584,52 et E 584,53), contient une copie de Best. 14498 (E 584,53, fol. 536) et 14916 (ibid., fol. 537538) et peut-être l’original de 14357, signé Rateivol, catholique romain, pseudonyme de Voltaire.
3 Voir les articles d’Henri Tronchon dans les Nouvelles Archives des missions scientifiques (XXII, 4,1924), la Revue des études hongroises et finno-ougriennes (avril-sept. 1924, p. 89), la Revue des études hongroises (janvier-juin 1934, p. 69). Voir aussi Ignaz Kont dans la Grande Revue (15 novembre 1905, p. 237) ; et, plus récemment, la communication d’Albert Gyergyai au Ier Congrès sur le Siècle des lumières, dans Studies on Voltaire, vol. XXV, 1963, p. 779.
4 Best. D 14916 et Fekete, Mes Rapsodies, op. cit., p. 251-254. Copie dans O.L.E. 584,53, fol. 537-538.
5 Best. D 14498 et Fekete, Mes Rapsodies, op. cit., p. 248-250. Copie dans O.L.E. 584,53, fol. 536.
6 Voltaire donnait poliment la préférence aux vers, sans vouloir, pense-t-on, faire injure aux vins de Hongrie : « [...] Et votre vin de Hongrie, dont je viens de boire un coup malgré tous mes maux, et qui est, après vos vers et votre prose, ce que j’aime le mieux ». Ne voyons pas, dans l’envoi des vins, une intention particulière d’acheter des compliments, mais un témoignage sincère d’admiration. Fekete gratifiait souvent ses amis de tels cadeaux. Voir les nombreuses lettres de remerciements que lui adressent le comte Breünner de Venise (E 584,52, fol. 194) et la comtesse sa femme (ibid., fol. 192-193), Marco Marioni de Vérone (ibid., fol. 633), le duc Riario de Naples (E 584,53, fol. 221), sa belle-sœur née Esterházy (ibid., fol. 501-502). D’autres correspondants lui passent commande, comme Angelo Antoniany, demandant la livraison par diligence à Prague de bouteilles de Tokay, de « Maschlack », de vieux « Ratischor » et d’eau-de-vie (E 584,52, fol. 15-16). Signalons un deuxième envoi de cent bouteilles de Tokay à Voltaire (Best. D 15268) et les remerciements de celui-ci (Best. D 15314) : « Je crois que vous me prenez pour un abbé allemand, ou pour l’abbé de Saint-Gai en Suisse, à l’énorme quantité de vin que vous m’envoyez. »
7 Sur la biographie du personnage, les ouvrages et articles fondamentaux sont en hongrois. Citons en particulier : Győző Morvay, Galânthai gróf Fekete János, 1741-1803, Budapest, Athenaeum társulat könyvnyomdája, 1903 ; Jólan Krassó, Galántai gr. Fekete János magyar munkai, Budapest, 1919 ; Lívia Rosta, Galánthai gróf Fekete János kiadatlan francia költeményei, Pécs, 1933 ; Lászlo Geréb, Fekete János kiadaltan antiklerikális verseiböl, Budapest, 1950.
8 Une étude de ce type a été faite pour la correspondance adressée à la grande famille tchèque des Czernin : le recensement donne un nombre égal de rédactions en italien, en français et en allemand, contre un nombre infime de lettres en tchèque.
9 Deux lettres bilingues ont été classées selon la langue du début de la missive : de Marie Illésházy à son père, français puis allemand et de Ferenc Százy à Fekete, latin puis hongrois.
10 Sur le rôle du latin, langue « neutre » par excellence dans un royaume multinational qui doit entretenir des relations incessantes avec un gouvernement allemand à Vienne, voir Jean Bérenger, « Latin et langues vernaculaires dans la Hongrie du xviie siècle », Revue historique, t. CCXLII, 491, juillet-septembre 1969, p. 5-28, p. 5.
11 Nous avons dû éliminer trente-deux lettres ou fragments (53 folios) rejetés en vrac à la fin de la liasse 53, et dont les auteurs sont inconnus. Par ailleurs, sur les trois cent vingt-deux correspondants identifiés, sept le sont très imparfaitement : deux par un simple prénom, trois par des initiales, deux par des noms manifestement incomplets.
12 Allemand-français : 8. Allemand-hongrois : 4. Latin-hongrois : 4. Italien-français : 4. Italien-allemand : 3. Latin-allemand : 2. Latin-français : 2. Latin-italien : 2. Hongrois-italien : 1. Hongrois-français : 1. Hongrois-français-allemand : 1.
13 Voir la lettre du major Einsiedel, datée de Kassa (Košice), 23 novembre 1788 (E 584,52, fol. 306-307) : « Je suis pressé par des creanties lais plus indiscrets, vous savez come l’on aime l’aitrangé et surtout un Allemand, jusquasteur mais biens ont été antre les mains du sequester... » Mais que l’on songe à l’orthographe impériale de François de Lorraine, l’époux de Marie-Thérèse !
14 Pour la transcription des noms de lieux, on a adopté les règles suivantes : 1°) Quand un équivalent français courant existe, nous l’employons. Nous n’écrivons pas Wien pour Vienne ou Regensburg pour Ratisbonne. En revanche, nous emploierons Esztergom et non Strigonie, Székesfehérvár et non Albe Royale ; 2°) Pour les villes du royaume de Hongrie à la fin du xviiie siècle, à l’exception de Pozsony, dont l’équivalent français Presbourg a été préféré, nous employons le nom hongrois, qui est le plus fréquent dans le fonds d’archives. Il eut été absurde d’écrire Cluj au lieu de Kolozsvár ou Trnava au lieu de Nagyszombat, ces toponymes actuels n’apparaissant jamais à l’époque. Ils ont néanmoins été mentionnés entre parenthèses la première fois que le lieu est cité ; 3°) Pour le reste des États des Habsbourg, le toponyme allemand a été retenu, car c’est lui qu’on trouve majoritairement dans le fonds. Comme dans le cas précédent, le toponyme actuel est indiqué entre parenthèses. Ex. : Brünn (Brno), Görz (Gorizia)...
15 Parmi les correspondants de Fekete ayant reçu l’indigénat en Hongrie, on relève un comte Beckers (ibid., fol. 99-104) ; un Kollonich (ibid., fol. 556-557) d’une famille croate, dont le membre le plus illustre fut Leopold, cardinal-primat de Hongrie ; le comte et Feldmarschall Carlo Clemente Pellegrini (E 584,53, fol. 154-156), d’une vieille famille italienne au service de l’Autriche ; un comte Schönborn (ibid., fol. 260-261), d’une célèbre famille rhénane ayant obtenu l’indigénat en 1729 et la charge de föispán du comitat de Bereg en 1740 ; une comtesse née Starhemberg (ibid., fol. 289), indigénat en 1723 ; un comte J. Wallis (ibid., fol. 401-402), indigénat en 1688 ; le comte Johann Joseph Wilczek, ministre à Milan en 1782 (ibid., fol. 413), rang comtal en Hongrie en 1709.
16 Surtout Constant von Wurzbach, Biographisches Lexikon des Kaiserthums Österreich..., 60 t., Leipzig, 1875-1891. Voir aussi Allgemeine Deutsche Biographie, 56 t., Leipzig, 1875- 1912 ; Neue Deutsche Biographie, Berlin, 1953. Pour la Hongrie : Domokos Kosáry, Bevezetès a magyar történelem Forrásaiba és irodalmába, Budapest, Közoktatasügyi Kiadovall. (2 : Müvelt Nep. Könyvkiado ; 3 : Bibliotheca Kiadó), 1951-1958.
17 Dans l’ordre des folios : György Aranka ; deux Bethlen, Gergely et László ; János Erdődy ; trois Esterházy, János, Miklós, le constructeur du château d’Esterháza, et Pál, évêque de Pécs ; trois Fekete, Juliánna, Márton et Mihály ; György Festetics ; le baron Ignáz Forray ; Anna Draskovich-Jankovits ; un comte Kállay ; le comte Antal Károlyi ; le baron Antal Lipthay ; le collectionneur et mécène István Marczibányi ; un baron Orczy ; le comte Miklós Pálffy ; Gedeon Ráday ; le comte Lajos Schmidegg ; Mihály Székely ; János Szily, évêque de Szombathely ; József Teleki ; le comte Sebők Thököly ; Ferenc Torma ; le baron József Ürményi, futur gouverneur de Galicie ; les trois frères Vay le baron Dániel, József et le baron Miklós ; le comte numismate Mihály Viczay, et le héros de la Diète transylvaine en 1791, le baron Miklós Wesselényi.
18 Anna Mária Beleznay, le général de cavalerie Vincenz Barco (vieille famille slave installée en Hongrie) et le Feldmarschall-lieutenant Schusteck au niveau baronial ; Ferenc Batthyány, Károly Batthyány, G. Erdődy, György Keglevich, un Nádasdy, Mária Schmidegg, nièce de Fekete au niveau comtal ; enfin la princesse Mária Esterházy, épouse du prince Antal (II) Grassalkovich.
19 Mária Illésházy, fille de Fekete ; Szidónia Illésházy, née Batthyány, dont la fille épouse le fils de Fekete ; le comte et futur prince Károly Pálffy ; un comte Reczky ; un comte Sztáray ; une comtesse Ujfalussy ; une belle-sœur Esterházy de Fekete.
20 Les comtes Ferenc Balassa, ban de Croatie et János Festetics, un comte Gyulay, le baron József Podmaniczky, le professeur d’esthétique et de philosophie à l’École supérieure de Pest et futur académicien Lajos Schedius, un comte Szapáry, et le comte et grand homme d’État Ferenc Széchényi.
21 Pál Almásy, gouverneur de Fiume puis föispán du comitat d’Arad ; le comte Ferenc Esterházy ; un comte Gyulay ; le baron József Podmaniczky ; le baron et főispán József Splényi ; le comte Szapáry.
22 Le précepteur du fils de Fekete, Johann Baptist Czepelak (ou Széplaki) n’écrit au comte qu’en allemand ou en français.
23 Pál Almásy et József Splényi, déjà rencontrés ; Péter Balogh ; le baron Schaffrath, piariste, professeur de physique et auteur latin, doyen de l’École supérieure de Pest en 1785 ; Lajos Schedius, professeur à la même École.
24 Un comte Schönborn qui, sans aucun doute, connaît aussi l’allemand.
25 Dont un comte Antonio (Anton) Attems, appartenant à une famille originaire du Frioul, général-major et commandant à Trieste.
26 Le publiciste de Hambourg, Johann Wilhelm von Archenholz ; le général d’infanterie et écrivain Kornelius von Ayrenhoff ; le Feldmarschall Michael von Fabri ; W. von Gastheimb ; Ernst Edler von Geramb ; l’écrivain et poète styrien Johann Ritter von Kalchberg ; Anton Franz von Khünl et sa femme Luise ; von Kônig ; le Feldmarschall Karl Balthasar Freiherr von Sauer ; l’écrivain et musicologue morave Johan Nepomuk Freiherr Tauber von Taubenfurt.
27 Un marquis, le Feldmarschall Botta-Adorno, originaire de Crémone, et onze comtes : Heinrich von Auersperg, gouverneur de Galicie de 1774 à 1780 ; le Feldmarschall Browne (famille descendant d’un baronet irlandais) ; la comtesse Anna Maria Haslingen (famille silésienne ayant obtenu l’incolat en Bohême) ; Sigmund von Hohenwart (évêque de Trieste, puis de Sankt-Pölten, enfin archevêque de Vienne) ; un Kinsky, un Klebelsberg (noblesse d’Empire titrée en Bohême) ; la comtesse Sidonie Königsegg, tante de Fekete ; la comtesse Lichtenberg ; la comtesse Josefa Starhemberg, épouse du comte Pál Károly Pálffy ; le comte Joseph Wallis, futur gouverneur de Silésie et Moravie et grand burgrave de Bohême, puis ministre des Finances de François Ier (vieille famille d’origine écossaise et irlandaise), et Johann Joseph von Wilczek, ministre à Milan.
28 Les moins illustres sont le comte Beckers, la comtesse Breünner et le comte son mari ; le comte de Bellegarde, issu d’une vieille famille des Pays-Bas installée en Savoie, né à Chambéry, futur gouverneur de Lombardie en 1815 ; la comtesse Louise Lanthieri (famille comtale du comté de Görz/Gorizia), et le capitaine comte Heinrich O’Donnel (famille d’origine irlanlaise, comtes de Tyrconnell). L’utilisateur partiel du français est également noble : c’est le chevalier et futur comte d’Empire (1797) Dagobert von Wimpfen.
29 Pour l’ensemble, 17 sur 38 utilisent le français, soit 44,74 %. Et 4 femmes sur 9, soit 44,44 %.
30 Le comte Apostoli et le marquis de San Sacondo en français ; le comte et Feldmarschall Carlo Clemente Pellegrini et le général de cavalerie Annibale Somariva, tous deux au service de l’Autriche, en italien et en français ; le comte Mercandini, issu d’une famille dauphinoise émigrée au Piémont après la Révocation de l’édit de Nantes, puis passée au service de l’Autriche, lieutenant-colonel autrichien, en allemand et en français ; Pietro de Vordoni, en allemand et en italien.
31 Francesco de Barbieri ; Domenico, comte de Cajafa et marquis de Massanova ; Giacomo Foscarini, de la famille du doge Marcus (1762-1763) ; Girolamo de Lazara ; le marquis Frederigo Manfredini, homme d’État de l’entourage de l’archiduc Pierre-Léopold de Toscane, futur empereur Léopold II, grand savant et lettré ; la baronne Aloysia Morenzi ; le duc Riario ; le marquis Vivaldi.
32 Cinq Français (dont Voltaire), cinq Polonais, un Anglais et un Wallon.
33 Sierakowsky, peut-être Venceslas, prieur à la cathédrale de Cracovie, neveu de l’évêque de Lemberg (L’vov) et grand amateur et diffuseur de musique en Galicie.
34 Ce sont Jean-Frédéric Preschel, qui se dit négociant à Leopol, un des promoteurs de l’industrie du cuir en Galicie et marchand d’envergure européenne, de la Moravie à Amsterdam ; Stadnicki, noble de Galicie ; le comte Lubinski ; Sohyk, sans doute l’évêque de Cracovie.
35 C’est chez le baron de Fries que Fekete demande à Voltaire de lui envoyer ses réponses et ses livres (Best. D 14220).
36 Les lettres distinguent toujours bien les deux origines.
37 Provenant d’un comte de Brÿas, manifestement non hongrois.
38 Sur les cent vingt lettres datées de Vienne, 48,33 % sont en allemand, 19,17 % en français, 12,50 % en latin, 10 % en hongrois, autant en italien.
39 Les décrets sont de 1784. Mais pour 1785, 1786 et 1787, nous ne disposons que de 4,2 et 6 lettres de correspondants hongrois (dont une seule en magyar). C’est trop peu pour nier l’impact des décrets. Et ce n’est pas du jour au lendemain que la réaction linguistique s’est développée.
40 Sans doute l’écrivain et homme politique Francesco Apostoli (1755-1816), futur consul à Ancône de la République cisalpine, déporté aux bouches de Cattaro (Kotor) avec les patriotes lombards, et dont Stendhal lit les Lettere sirmiensi lors de son séjour à Milan (Stendhal, Voyages en Italie, Vittorio Del Litto éd., La Pléiade, Paris, Gallimard, 1973, p. 320-321).
41 Celui-ci accompagnait l’envoi à Fekete de sa tragédie Les Scythes par les vers suivants (Best. D 14498 et Moland, t. X, p. 83) : « Un descendant des Huns veut voir mon drame Scythe ; / Ce Hun, plus qu’Attila, rempli d’un vrai mérite... »
42 Cité par Éva H. Balázs dans Les Lumières en Hongrie, en Europe centrale et en Europe occidentale, Actes du 2e colloque de Mátrafüred, 2-5 octobre 1972, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1975, p. 23.
43 Lamberg reviendra sur le sujet dans ses Lettres critiques, morales et politiques (Amsterdam, 1786) : « On ne lit que l’allemand à Vienne et les brochures dont il n’y a pas une supportable... depuis que Vienne existe, il n’est sorti de ses presses aucun bon livre de morale à citer pour le bonheur des hommes » (t. I, lettre XXXIV, p. 163).
44 Voir E 584, 52, fol. 566-568, 578-579.
45 S’associant avec Fekete, le comte Lamberg, dans une lettre de Brünn (30 janvier 1783), se désespère que leurs « deux cœurs romains [puissent jamais] être compris dans leur langage et ce qui est mieux ou pis est, par un auteur viennois » (ibid., 580-581). Une des causes essentielles du retard intellectuel de l’Autriche fut l’infériorité de ses universités catholiques sur celles de l’Allemagne protestante. Thème développé par Lamberg dans ses Lettres critiques... (t. I, lettre XXX, p. 148).
46 D’Albin termine ses transports en citant la Médée de Voltaire : « Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir / La vie est un opprobre et la mort un devoir. »
47 E 584, 52, fol. 576-577, Brünn, 9 mai 1782 : « L’habitude de vivre m’a fait prendre... goût à cette paresse, à cette nonchalance bienheureuse qui caractérise si bien les philosophes aux bras croisés, haec est nostra Venus. Horace que je regarde comme le repertorium Conscientiae des gens d’esprit... voulait de plus otium cum dignitate. » Même point de vue au début de ses Lettres critiques...
48 Ibid., fol. 578-579. Brünn, 29 mars 1782. « J’aime les gens ouverts, je n’ai de secret pour personne, mes fenêtres sont ouvertes quand j’accomplis en chevrotant le Grand œuvre de la Création sur le nombril de ma femme. » Mais dans ses Lettres critiques..., il raconte complaisamment ses fredaines (t. II, lettre XXVIII, p. 167-183).
49 Nous n’avons pas trace de ces vers dans les poésies de Jean-Jacques Rousseau (« Pléiade »).
50 E 584, 52, fol. 576-577. Brünn, 9 mai 1782. À ce propos, Lamberg cite quelques vers de Jacques Masson, marquis du Pezay (1741-1777), auteur de Zélis au bain, de La Rosière de Salenci et traducteur de Tibulle et de Catulle : « Sois illustre et sois infortuné ! / Gloire amour amitié vous êtes des mensonges / Tous nos tourments sont vrais, vos faveurs sont des songes. » Ces quelques vers constituent aussi la première épigraphe de ses Lettres critiques...
51 Ibid., fol. 610-611. Coblence, 9 août 1768. À La Harpe « qui venait alors de quitter les délices de M. de Voltaire », lequel lui avait parlé « avec enthousiasme de plusieurs pièces en vers et en prose qu’un cavalier hongrois avait envoyées », La Leyen déclina « avec ravissement » le nom de Fekete.
52 E 584, 53, fol. 225-226. Venise, 25 avril 1783. « Je tremble en écrivant ceci – parce que l’idée d’écrire à un Ami du grand Voltaire, se retrace à chaque ligne. »
53 E. 584, 52, fol. 18. Venise, 29 avril 1785. Dans cette même lettre, il loue l’homme polyglotte, qui parle et écrit le français, entend le latin et ses belles tournures, et sait faire une belle démonstration savante sur le grec et l’allemand.
54 E 584, 53, fol. 274-275. Raguse, 8 juin 1782. Ce L. de Sorgo est membre d’une très vieille famille illyrienne, d’origine albanaise, installée à Raguse. Peut-être Luca de Sorgo, auteur de pièces patriotiques et d’épigrammes ?
55 L’abbé Tangarelli à Fekete. Ibid., fol. 348. Rome, 3 mars 1790.
56 Le comte Beckers à Fekete. E 584, 52, fol. 101-102. Sopron, 7 novembre 1800.
57 Le comte Sztàray à Fekete. E 584, 53, fol. 345-346. Pest, 17 mars...
58 Burghauer à Fekete. E 584, 52, fol. 202-203. Vienne, 4 avril 1789.
59 Ibid., fol. 399-400. Vienne, 13 février 1783. Le genre de l’Alphabet, variante autrichienne du Dictionnaire philosophique, était alors fort en vogue. Citons l’ABC-Buch für grosse Kinder de Joseph Richter, Vienne, 1782. Celui de Fekete s’intitule Die Buchstaben, oder Bruchstücke über was sie wollen ; kein ABC wederfür grosse und kleine Kinder, en deux parties, 2e éd., Dessau, 1782-1787.
60 E 584, 53, fol. 485-486. Vienne, 10 août 1792. Cette lettre n’est pas dans l’édition faite par Gustav Wilhelm, Briefe des Dichters Johann Baptist Alxinger, dans Sitzungberichte des kaiserlichen Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse, vol. CXL, 1899.
61 Lamberg remercie Fekete pour « le joli recueil de [sa] verve badine » (E 584, 52, fol. 569- 571. Brünn, 22 novembre 1781), Blumauer pour deux quatrains (ibid., fol. 171-172, s. 1. n. d.), L. de Sorgo pour des vers en l’honneur du séjour d’un comte et de son épouse à Vienne (E 584, 53, fol. 274-275. Raguse, 8 juin 1782), Zerschwitz pour des « Lettres hist. et Pollit. 4 tomes » (ibid., fol. 446. Presbourg, 30 juillet 1789).
62 La correspondance reçue contient un seul compte, pour janvier et février 1790, expédié à Fekete par son homme d’affaires Ghequier (E 584, 52, fol. 411-419. Pest, 2 mars 1790) : en janvier, 1 florin 48, en février 5,30 florins pour des livres à la poste.
63 Ibid., fol. 209 et 213. Venise, 20 novembre 1784. « Non m’imaginai nella commissione, che potessero costar tanto, perché non mi parei determinato ad una spese per me incomoda... » Le premier ouvrage est certainement le Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers, de Louis-Claude de Saint-Martin (Édimbourg, 1782) ; le dernier, deux volumes de Court de Gébelin, Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, 1773-1784.
64 Voir Ferenc Szilagyi, « Les changements du lexique de la langue littéraire et courante hongroise à l’époque des Lumières, en rapport avec les changements de la conscience (collective) linguistique (stylistique) », dans Les Lumières en Hongrie, en Europe centrale et en Europe orientale, Actes du 1er colloque de Mátrafüred 3-5 novembre 1970, Béla Köpeczi dir., Budapest, Akadémiai Kiadó, 1971, p. 85-86.
65 E 584, 52, fol. 265, s. 1. n. d. Horja et Closka sont les deux héros de la révolte paysanne transylvaine sous Joseph IL II est encore question de cette brochure [Die Silhouetten von den 2... (ill.) Hora und Kloska] dans une lettre de Geisler à Fekete (ibid., fol. 395-396. Vienne, s. d.). Nous n’avons rien retrouvé sous ce titre. Ferdinand Wernigg, dans sa Bibliographie österreichischer Drucke während der « erweiterten Pressfreiheit » 1781-1795, Vienne-Munich, 1973, signale au n° 4732 un Horia und Kloska ; eine physiologische Skizze d. Geschichte (Prague, 1785).
66 Ibid., fol. 287-288. Crata repoa, ou initiation aux anciens mystères des prêtres de l’Égypte. L’original allemand, écrit par Ch. Frédéric Koeppen, fut traduit en français en 1821, sous le titre ci-dessus.
67 Ibid., fol. 574-575. Brünn, 10 mars 1782. Le titre exact de cet ouvrage, publié à Dessau en 1782, est Tablettes fantastiques ou bibliothèque très particulière pour quelques pays et pour quelques hommes, par l’auteur du « Mémorial d’un Mondain » (le comte Max. de Lamberg). Il est dédié à Lacépède.
68 E 584, 53, fol. 184-185, Trieste, 24 décembre... et fol. 182-183, Trieste, 15 avril 1786 : Pittoni s’excuse du retard, mais on veut obtenir pour Fekete les deuxièmes éditions corrigées, actuellement sous pressse, celle d’Alfieri à Sienne et celle de Pedimenti à Vérone. Les efforts d’Alfieri pour créer une langue tragique proprement italienne sont commentés par les Aufklärer avec un intérêt critique.
69 E 584, 52, fol. 165-166. Vienne, 20 octobre 1784. L’auteur est Johann Pezzl, arrivé en 1784 à Vienne, déjà célèbre par son Faustin, comparé immédiatement à Candide. Dans les Marokkanische Briefe, Pezzl reprenait le procédé corrosif des Lettres persanes.
70 Ibid., fol. 586-587. Brünn, 7 septembre 1783. L’édition en allemand parut en 1786 sous le titre Neueste Naturgeschichte des Mönchthums, beschrieben im Geiste der Linnäischen Sammlungen... von P Ignaz Lojola Kuttenpeitscher aus der ehemaligen Gesellschaft Jesu. Pour toute cette littérature de l’Aufklärung viennoise, voir Leslie Bodi, Tauwetter in Wien. Zur Prosa der österreichischen Aufklärung, 1781-1795, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 1977.
71 Le Dresdois Heinrich Wolfgang von Behrisch (1738-1809), qui fit partie du cercle de Goethe, est surtout connu par son ouvrage de 1784, Die Wiener Autoren. Ein Beytrag zur gelehrten Deutschland. Ferdinand Wernigg, Bibliographie..., op. cit., ne signale pas ce Geloste Wiener.
72 E 584, 53, fol. 187 et 200. Fiume, 20 août 1784. Grâce à Fekete, Szapáry continue à être traduit et imprimé à Trieste. Voir ibid., fol. 297-298.
73 E 584, 52, fol. 583-585. Brünn, 8 mai 1784. Lamberg a été en correspondance avec Pilâtre de Rozier, mais au sujet du phénomène de la foudre.
74 Voir Herbert G. Gopfert, « Bemerkungen über Buchhändler und Buchhandel zur Zeit der Aufklärung », Wolfenbütteler Studien zur Aufklärung, I, 1974, p. 69-83.
75 Leslie Bodi, Tauwetter..., op. cit., p. 82-87, et Johann Goldfriedrich, Geschichte des Deutschen Buchhandels vom Beginn der klassischen Litteraturperiode bis zum Beginn der Fremdherrschaft (1740-1804), Leipzig, Der Börsenverein, 1909.
76 Voir Gehrisch à Fekete (E 584, 52, fol. 389-390. s. 1., 12 mai 1782) et Geisler à Fekete (ibid., fol. 391-392. Vienne, 30... 1782 et fol. 399-400, Vienne, 13 février 1783).
77 Hermann à Fekete. Ibid., fol. 451452. Dessau, 11 août 1784. Les exemplaires sont partis le 29 juillet pour Leipzig. De là, ils sont repartis le 5 août pour Vienne, à destination de Georg Schnùllen, qui attend les ordres de Fekete. Les voies d’acheminement peuvent varier pour louvoyer avec la censure. Le 5 février 1785, un certain Montag, alors à Ratisbonne, prévient Fekete de l’arrivée de deux paquets, l’un de Dessau, l’autre de Leipzig, qui ont été expédiés sur Salzbourg (ibid., fol. 662).
78 Voir Oskar Sashegyi, Zensur und Geistesfreiheit unter Joseph II, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1958, et Leslie Bodi, Tauwetter..., op. cit., p. 43-57.
79 Voir la lettre du comte Cajafa (Szeged, 2 novembre 1786) au sujet d’une de ses odes censurée par l’Académie de Florence (E 584, 52, fol. 204 et 206).
80 Ibid., fol. 569-571. Brünn, 22 novembre 1781 : « Vos contes font b... r bien différents de ceux d’un poètaillon auquel j’écrivis que les siens faisaient b... r de même. Or, mon cher Mentor, les vôtres dressent le pupitre, et les siens font bâiller devant. B... r pour b... r il me remercie de l’avoir flatté et on ne flatte que ceux que l’on méprise. »
81 Ibid., fol. 583-585. Brünn, 8 mai 1784. Lamberg continue à disserter sur « ce beau et superbe temple entouré du bosquet de Vénus et les grâces se délectent à l’ombre des plaisirs... Pour découvrir le pot aux roses en stile l’église, l’histoire du conclave... » Il s’agit probablement de Cléon, rhéteur cyrénéen ou Apologie d’une partie de l’histoire naturelle. A Amsterdam 1750, dont l’exemplaire conservé à l’Enfer de la BN comporte XXIV + 100 pages suivies de 4 pages manuscrites de clés. Barbier attribue l’ouvrage au trésorier de France à Lyon et membre des académies de Lyon et d’Angers, Charles-Claude-Florent Thorel de Champigneul.
82 Ibid., fol. 566-568, Brünn. C’est le n° 3695 de Ferdinand Wernigg, Bibliographie..., op. cit. : Über die Ankunft Pius VI in Wien. Fragment eines Briefs von *** hrsg. von Josef von Sonnenfels, Vienne, 1782.
83 Voir E 584, 53 : fol. 507-508, 51, 20 juillet 1784 ; fol. 548, s. I. n. d. ; fol. 549-550, s. 1. n. d. (Trieste, très probablement).
84 E 584. 52, fol. 67-86. Onze lettres, du 27 septembre 1785 (fol. 71-73) au 11 mars 1801 (fol. 80-81), toutes parties de Trieste.
85 Ludwig Abafi, Geschichte der Freimaurerei in Österreich-Ungarn, Budapest, L. Aigner, 1890-1899. Pour les loges de Trieste, voir t. II, chap. IX, p. 197-208 (Loge « La Concordia »), et t. IV, chap. XXIII, p. 374-382 (Loge « Harmonie et Concorde universelle »). Ludwig Abafi ignore malheureusement tout de Fekete et doute même de sa qualité de comte.
86 Baraux à Fekete. E 584, 52, fol. 71-73. Trieste, 27 septembre 1785.
87 Ibid., fol. 69-70. Trieste, 22 novembre 1785.
88 Voir René Le Forestier, Les Illuminés de Bavière et la franc-maçonnerie allemande, Paris, Hachette, 1914. Le premier édit d’interdiction est du 22 juin 1784, le second du 22 mars 1785. L’ordre fut dissous en août 1785.
89 Dans sa lettre du 27 septembre 1785 (E 584, 52, fol. 71-73), il demande son avis à Fekete pour un projet de loge : « Je compte d’établir 3 Écossais. 1 – Celui de St André du Chardon pour conduire au grade théorique et de là à tout autre système scientifique. 2 – Celui de Suède pour conduire aux grades suédois si je puis avoir les rituels en entier corne j’en ai quelque espoir. 3 – Le 4e grade de la stricte observance et l’intérieur. » Dans sa lettre du 22 novembre 1785 (ibid., fol. 69-70), Baraux déplore que les T. (les théosophes ?), heureusement en petit nombre, n’aient pas voulu venir au Congrès et se soumettre à la stricte observance.
90 Ibid., fol. 71-73. Ludwig Abafi, Geschichte..., op. cit., t. IV, p. 374-382, mentionne les demandes de renseignements à Francfort, mais il ignore la mission de Fekete.
91 Richard van Dülmen, Der Geheimbund der Illuminaten. Darstellung, Analyse, Dokumentation Stuttgart/Bad Cannstadt, F Frommann-G. Holzboog, 1975 pense que Kressel, tout comme d’autres hauts fonctionnaires de Joseph II, les comtes Brigido (gouverneur de Galicie), Leopold Kolowrat (chancelier de Bohême), Pálffy (chancelier de Hongrie), Bánffy (gouverneur de Transylvanie), Stadion (ambassadeur en Angleterre) et le baron Gottfried van Swieten (président de la commission d’Éducation) appartenaient à l’ordre des Illuminés.
92 F 584, 52, fol. 74-75. Trieste, 28 avril 1785. Il s’agit de Johann Heinrich Freiherr Ecker von Eckhoffen (1750-1790), qui, avec son frère Hans Karl (1754- ?), créa successivement à Vienne un ordre cabalistique, l’Ordre des Chevaliers et des Frères de la Lumière, puis les Frères de l’Asie. Après le Maurerpatent, les frères Eckhoff regagnèrent Hambourg (Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie, 1974, t. I, p. 422).
93 Ibid., fol. 174-175. Vienne, 28 avril 1785. Cette lettre est attribuée à tort, par le classement des Archives, à Blumauer. La signature B. H. SS et le paraphe ne trompent pas.
94 Ibid., fol. 71-73. Trieste, 27 septembre 1785. Autre témoignage de l’émoi provoqué par l’affaire : le maître de poste impérial Jagemann, franc-maçon, à Fekete : ibid., fol. 482- 483, Dingelstadt, 6 septembre 1785. Voir également les Lettres critiques..., t. I, lettre I, p. 4, lettre XXX, p. 211-216 et t. II, lettre XXXVIII, p. 237.
95 La lettre du 27 mars 1786 (ibid., fol. 82-83) donne l’organisation de la loge pour 1786 : « V[énérable] : Fels ; prS [urveillant] : Wagner ; 2d S : Rockert ; Secret. : Lorentz ; Treso. : Platner ; Orat. : Gabiati ; Fr... Ter... : Green ; Mt des Cer : moi [Baraux] ; Elemosinaire : Pellegrini. » Cesare Pellegrini, correspondant de Fekete et Sebastian Fels, marchand de Trieste, étaient membres fondateurs en 1773 de la première loge de Trieste, « La Concordia » (Ludwig Abafi, Geschichte..., op. cit., t. II, p. 197-208). La lettre du 12 avril 1787 (ibid., fol. 85-86) fournit les noms des nouveaux officiers. Parmi eux, Leonardo Vordoni, orateur, est correspondant de Fekete. Autres frères mentionnés par Baraux : Rossetti, Comb, Holfer, Koller, Johann von Weber (fondateur de « La Concordia ») et Conti, officier des cuirassiers.
96 Op. cit., t. IV, p. 374. Abafi dit tout ignorer de cette loge.
97 E 584, 52, fol. 69-70. Trieste, 22 novembre 1785.
98 Sept lettres de Ayrenhoff à Fekete (ibid., fol. 44-57) dont quatre parties de Görz : une sans date et trois de 1785. Cela permet d’avancer d’une année le séjour d’Ayrenhoff à Görz, que Paul-P. Bernard plaçait en 1786-1787 (Jesuits and Jacobins. Enlightenment and Enlightened Despotism in Austria, Urbana-Chicago-Londres, University of Illinois Press, 1971, p. 104-105).
99 Ibid., fol. 79. Trieste, 17 juillet 1786 et E 584, 53, fol. 549-550, s. 1. n. d.
100 E 584, 52, fol. 169-170. Vienne, 10 juin 1784.
101 Voir Éva H. Balázs, « Contribution à l’étude des Lumières et du joséphisme en Hongrie », dans Les Lumières en Hongrie... Actes du 1er colloque, op. cit., p. 39-41.
102 E 584, 52, fol. 580581. Brünn, 30 janvier 1783. La loge de Brünn existe bel et bien, contrairement à ce qu’affirme le Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie, op. cit., t. Il, p. 1278, qui, reprenant Lennhof (Politische Geheimbünde, Leipzig, 1930) dit qu’aucune trace de maçonnerie n’est démontrable en Bohême ailleurs qu’à Prague au xviiie siècle (il est évident que le mot « Bohême » dans ce Dictionnaire désigne l’ensemble Bohême-Moravie). Cette loge de Brünn fut atteinte par les Illuminés dès 1785 (voir Denis Silagi, Jakobiner in der Habsburger-Monarchie. Ein Beitrag zur Geschichte des aufgeklärten Absolutismus in Österreich, Vienne-Munich, Verlag Herold, 1962, p. 41).
103 E 584, 53, fol. 495. L’activité des francs-maçons dans les États de Joseph II était coordonnée par une Provinzialloge, fille de la Grande Loge de Berlin, dirigée par le comte Johann von Dietrichstein-Proskau, ami et conseiller de l’empereur. Lorsqu’il fut interdit aux ordres ecclésiastiques et laïcs d’être dirigés par un étranger, Dietrichstein transforma la Provinzialloge en Landesloge (1784). Il en fut le Grand Maître.
104 Ibid., fol. 420 et 428. Presbourg, 6 octobre 1785. La preuve des Pragois consiste in der Urstande angegebene Fratrea, seu societas gerens, seu faciens cum signo Circuli et malleo in medio pendente, quod vulgariter Obruczdicitur. Autant croire à l’arrivée de l’arche de Noé en Italie au xive siècle !
105 E 584, 52, fol. 82.83. Trieste, 27 mars 1786. « Un ancien M... comme vous doit montrer plus de flegme dans sa correspondance et ne point se déboutonner indifféremment. »
106 Ludwig Abafi, A szabadkőművesség története Magyarországon, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1900, p. 156. Dans une lettre à Fekete (E 584, 52, fol. 17. Vienne, 14 octobre 1790), le comte Apostoli se montre désireux « de visiter les frères de Buda et connaître ce que sont les illuminés ».
107 E 584, 52, fol. 84. Trieste, 30 janvier 1786. Un frère ayant proposé de déposer Wagner de sa charge, à cause de sa déroute financière, Baraux s’insurge : « Vous sentez aisément comment je l’aurai tancé, mais nous le perdrons sous peu, ce sera un esprit médiocre de moins et qui d’ailleurs n’est bon à rien. »
108 Ibid., fol. 285-286. Vienne, 1er décembre 1784. Cet idéal fraternel est ce qui rattache Lambergà la franc-maçonnerie. Dans ses Tablettes fantastiques, op. cit., p. 40-41, il apprécie la maçonnerie allemande qui tend « principalement à fortifier l’amitié, la société, l’assistance mutuelle, à faire observer ce que les hommes se doivent les uns aux autres ».
109 Son vrai titre est Journal fur Freymaurer. Als Manuskript gedrückt für Brüder und Meister des Ordens. Herausgegeben von den Brüdem der [Loge] Zur wahren Eintracht in Orient von Wien.
110 E 584, 52, fol. 173,159 et 157-158 : Blumauer envoie à Fekete le 2e volume de la 1er année, puis la 3e livraison, enfin la 4e livraison du Journal. Cette dernière contient l’analyse du livre de Saint-Martin, Des erreurs et de la vérité.
111 E 584, 53, fol. 549-550. s. 1. n. d. Les deux derniers étaient des maçons de longue date. Si l’on en croit Abafi, op. cit., t. II, p. 197-208, ils étaient parmi les treize fondateurs de la loge « La Concordia » en 1773.
112 E 584, 52, fol. 74-75. Trieste, 22 août 1787 : « Je n’entends plus le mot des [loges] de Vienne. On prétend qu’elles sont suspendues, nous allons cependant notre train à l’ordinaire. »
113 Ibid., fol. 583-585. Brünn, 8 mai 1785. « Les couronnes transportées sont une preuve non équivoque de l’esprit connaisseur du monarque, mais je crains qu’après un demi-siècle d’autres souverains se rediront encore que la gravité d’un roi consiste dans la couronne, dans son manteau royal, etc., comme celle d’un ecclésiastique dans son surplis, dans ses manches de linon et à dire Amen d’une voix agréable. » L’élite hongroise ne pardonna jamais à Joseph II son refus de s’être fait couronner (il fut le kalapos király, le roi en chapeau) et le transfert de la Couronne hors de Hongrie (1784). Celle de Bohême avait été portée à Vienne en 1646.
114 Stillfrid à Fekete. E. 584, 53, fol. 292 et 294. Vienne, 26 avril 1782. L’institut avait 173 élèves et un monde de préfets pour les former. Et ibid., fol. 293. Vienne, 28 août 1783.
115 Cornelius von Ayrenhoff, Sämmtliche Werke, Vienne, Rudolf Gräffer, 1789, t. IV, p. 135. C’est la lettre 13 (Görz, 10 février 1787).
116 E 584, 52, fol. 580-581. Brünn, 30 janvier 1783. Il s’agit de Charles II Eugène, duc de Wurtemberg de 1737 à 1793, fondateur de l’Académie de Stuttgart, la Karlsschule. Dans ses Lettres critiques..., Lamberg se montre ferme partisan d’une éducation rousseauiste. Dans ses Tablettes fantastiques (p. 97), il prône « un bon livre d’éducation, tel qu’Émile ».
117 Ibid., fol. 607-608. Trieste, 14 février 1786. Ce Leininger pourrait bien être Ferdinand Leininger, né en 1751, prêtre du diocèse de Seckau, poursuivi comme janséniste par le comte-évêque Arco. Après avoir cherché asile aux Pays-Bas, dans la Petite Église et enseigné à Amersfoort, il rentra à Trieste. Poursuivi à nouveau par l’évêque du lieu Inzaghi, il dut repartir en Hollande, où on perd sa trace en 1789. Voir Peter Hersche, Der Spätjansenismus in Österreich, Vienne, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1977, p. 288-289. Dans sa lettre du 14 février 1786, Leininger se dit en relation avec le franc-maçon Rockert et avec un couple de Minorites qu’il « estime au point de les prendre même pour des francs-maçons cachés, tant [il] les trouve braves et raisonnables ». S’il n’y a pas erreur sur le personnage, il y aurait là une intéressante direction de recherche sur les rapports entre jansénisme et franc-maçonnerie.
118 Voir intervention de Hans Wagner dans Les Lumières en Hongrie... Actes du 1er colloque, op. cit., p. 47.
119 E 584, 52, fol. 283-284. Hedervár, 23 juillet 1787. C’est à propos de son élève, le jeune Fekete, que son ancien précepteur écrit : « Il souhaitera beaucoup d’être du nombre de ceux qui sont commandés pour réprimer la liberté peut-être trop licencieuse. »
120 Par exemple, les frères Vay, Dániel, József et Miklós, le comte József Teleki, le comte Ferenc Széchényi, le baron József Podmaniczky, le baron Miklós Wesselényi, Pál Almásy, gouverneur de Fiume puis föispán du comitat d’Arad, György Aranka, fonctionnaire et écrivain transylvain, Péter Balogh, un des héros de 1790.
121 Voir Denis Silagi, Ungam und der geheime Mitarbeiterkreis Kaisers Leopolds II, Munich, R. Oldenbourg, 1961, p. 24 (Südosteuropäische Arbeiten, 57). Balogh employait les termes de « filium successionis interruptum ».
122 E 584, 53, fol. 274-275. Raguse, 8 juin 1782. Raguse avait dû reconnaître, en 1358, l’autorité, assez vague d’ailleurs, du roi de Hongrie Louis le Grand.
123 L’ouvrage fait partie des Œuvres posthumes de Fekete. Les « petits » sont son fils Ferenc et sa bru Anna Illésházy. Cité par Henri Tronchon dans Revue des études hongroises, op. cit., p. 95.
124 E 584. 52. fol. 438. Vienne, 30 janvier 1793 : Si crede generalmente che a quest’ora quelle povera Vittima sará in Paradisio, perché si sente, che quasi tutto il popolo di Parigi, ad exempio di Farisei, contro Cristo, non gridava che crucifige !
125 Kálman Benda, « La société hongroise au xviiie siècle », dans Les Lumières en Hongrie... Actes du 1er colloque, op. cit., p. 23.
126 Ernst Wangermann, From Joseph II to the Jacobin Trials. Government, Policy and Public Opinion in the Habsburg Dominions in the period of the French Revolution, Oxford, Oxford University Press, 1959, p. 134-135. Opinion concordante d’Édith Rosenstrauch-KönigsBerg, Freimaurerei in Josephinischen Wien. Aloys Blumauer Weg von Jesuiten zum Jakobiner, Wien-Stuttgart, W. Braumüller, 1975.
127 Paul-P Bernard, Jesuits..., op. cit., p. 164, note 24.
128 Ibid., p. 163 ; Ernst Wangermann, op. cit., p. 140 ; Denis Silagi, Jakobiner..., op. cit., p. 162 et 167.
129 Denis Silagi, Jakobiner..., op. cit., p. 226, note 121.
130 Le comte Lamberg avait beaucoup agi pour la création, en 1765, de la Sittlich-Okonomische Gesellschaft de Burghauen et pour celle, en 1775, de la Landgräfliche patriotische Gesellschaft zu Homburg.
131 Voir Kálmán Benda éd., A magyar jakobinusok iratai, t. II : A magyar jakobinusok elleni felségsértesi és hütlenségi per iratai (1794-1795), Budapest, Akadémiai Kiadó, 1952, p. 55. Les références que nous donnons entre parenthèses dans les lignes qui suivent renvoient à cette édition.
132 Ce sont le comte Becker, Péter Balogh, Imre Bőthy, Ignác Bezerédy, Ferenc Széchényi, Mádach, László Orczy, József Podmaniczky, József Splényi Jakab Szecsanacz, Lajos Schedius, József Vay, Miklós Vay.
133 E 584, 52, fol. 6 et 14. Buda, 24 février 1800. Il s’agit de Clio, la Muse de l’Histoire, A Son Altesse Impériale l’Archiduchesse Alexandrine Paulowna, brochure sortie de l’Imprimerie royale de l’université de Buda en 1800.
134 Sur ces homines novi, voir É. H. Balázs, « Contribution à l’étude... », dans Les Lumières en Hongrie... Actes du 2e colloque, op. cit., p. 25 sq., p. 33 sq. ; et du même auteur, « Les lumières et la paysannerie en Hongrie au cours du dernier tiers du xviiie siècle », dans Paysannerie française/Paysannerie hongroise, xvie-xxe siècles, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1973, p. 151 sq.
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