Introduction
Texte intégral
1Le monde contemporain voit se multiplier à des échelles très différentes des murs et clôtures destinées à matérialiser des frontières qu’elles soient ethniques confessionnelles ou politiques. Après la chute du mur de Berlin, dernier avatar d’une longue série de clôtures et lignes fortifiées censément étanches, on crut un moment que le monde devenait un grand espace ouvert. Il restait alors 16 de ces clôtures. Dessinées à l’échelle de villes comme Baghdad ou de continents entiers, de nouvelles clôtures sont venues rappeler à quel point dans un monde réputé globalisé, les frontières et surtout leur manifestation matérielle restent pour le moins sensibles. Plus de 66 de ces murs, qui s’étendent en tout sur une longueur de 26 000 Km, ont été recensés récemment par Elisabeth Vallet. Leur nombre a crû surtout après le 11 septembre, au gré des catastrophes humanitaires que connaissent l’ancien comme le nouveau monde. Leur efficacité reste pour le moins discutable, si ce n’est pour orienter les flux vers des itinéraires de plus en plus périlleux.
2Les archéologues se sont attachés depuis longtemps à définir ou cerner des frontières : les exemples classiques en sont de longs murs ou des lignes fortifiées, monuments fameux généralement bâtis pour marquer de manière durable la limite entre deux mondes, tout en constituant d’actifs espaces de confrontation mais aussi d’échanges et de circulation des biens et des idées. Plus de 20 de ces constructions ont été recensées pour le monde pré-moderne, le plus ancien remontant en Syrie au milieu du IIIe millénaire avant notre ère. Les exemples de tels monuments se sont d’ailleurs multipliés au cours des dernières années notamment au Proche-Orient, où en quelques années toute une série de tels ensembles ont été identifiés. On peut ainsi mentionner le très long mur, découvert à l’est d’Ebla et Hama en Syrie utilisé durant le dernier tiers du IIIe millénaire, ou le « mur de Cappadoce » édifié par le roi Sargon II face aux Phrygiens en 713 avant notre ère, dont le tracé a été repéré au sud de la cité de Sarissa.
3Ces deux ensembles sont liés à deux conceptions radicalement différentes de l’espace, et de la territorialité : une Cité-Etat comme Ebla a clairement circonscrit un espace à la fois symbolique et politique face à la steppe et à ses tribus. Les rois d’Ebla eurent à cœur de définir un espace stratégique mais aussi symbolique, ponctué de sanctuaires et de lieux de pèlerinage. Sargon II fixe, lui, pour la première fois une limite claire à l’expansionnisme assyrien, un geste que l’on compare souvent à celui de l’empereur Auguste ou à ses successeurs Hadrien et Antonin. De fait, le concept de frontière, même dans ces cas particulièrement spectaculaires, ne saurait se limiter à une dimension politique ou militaire. Les Assyriens eux-mêmes construisirent un espace dont les bornes étaient à la fois symboliques, politico-militaires et économiques, ces différentes limites n’étant d’ailleurs pas nécessairement coextensives. Il s’agit en effet de cerner les contours d’une notion polymorphe, dont les archéologues ont usé voire abusé.
4Elle a assurément considérablement évolué au gré d’une archéologie fondée sur la spatialisation des données. D’emblée, le concept éclate dès qu’il est confronté aux notions de culture, de sociétés ou de territoires. Moins limite d’un pré carré soigneusement borné ou jalonné, la frontière est devenue pour les archéologues un terrain idéal pour y appliquer des modèles sociologiques ou géographiques. Elle est alors liée aux notions de marge, voire de périphéries, et à l’identification de sociétés de frontières, des espaces poreux et particulièrement dynamiques, lieux privilégiés d’interaction, de contacts, ou de conflits.
5La 9e journée des doctorants de l’ED 112 Paris 1 consacrée à ce thème s’est révélée à cet égard particulièrement féconde. Elle a permis de dessiner les contours d’un kaleïdoscope qui s’est développé depuis l’approche politico militaire à la définition des limites d’aires culturelles ou sociales dans un espace qui s’étend du monde amérindien à la Sibérie en passant par le monde européen et méditerranéen. On observera l’extrême prudence des communicants voire une défiance vis à vis de concepts qui présentent des biais méthodologiques évidents. On y perçoit une prudence voire une méfiance très post coloniale à l’égard d’idées et de représentations forgées par des archéologues largement influencés que ce soit dans le monde occidental ou soviétique par des conceptions de la frontière qui leur était propres, voire par les frontières modernes. L’attention portée dans les divers es communications à la déconstruction et à la confrontation des divers modèles testés par les archéologues n’empêche toutefois pas de dessiner de nouveaux horizons de recherche, une des missions primordiales d’une Ecole doctorale d’archéologie et à ce titre le contrat est largement rempli.
Auteur
Professeur d’Archéologie Orientale, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
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