La Quatrième et son maréchal : un essai d’interprétation du comportement politique d’Alphonse Juin
p. 153-179
Texte intégral
1Depuis son arrivée en grande pompe à Casablanca, le 27 mai 1947, le général Juin ne cessa jamais d’être accusé de jouer les proconsuls, même une fois de retour en métropole1. On se souvient de ses démêlés avec François Mauriac, à propos des affaires marocaines, et du célèbre « coup de bâton étoilé » qu’il lui administra lors d’une séance mémorable de l’Académie française... « Maréchal, vous voilà ! » titra Le Canard enchaîné, en juillet 1952, à l’occasion de son élévation au maréchalat, résumant ainsi une bonne partie des espoirs, ou des appréhensions, de la classe politique française.
2Un instant menacée par des déclarations qui, pour la première fois, avaient fait grand bruit, cette consécration acheva la mue entamée à Rabat. Convaincu d’être désormais hors hiérarchie, Alphonse Juin allait définitivement rompre avec l’absolu du devoir de réserve. Avant que la guerre d’Algérie ne voit se développer les interventions publiques d’officiers, il allait mettre à mal le dogme de la Grande Muette, multipliant les prises de position qui le placeraient régulièrement en porte-à-faux vis-à-vis du gouvernement. Elles ne feraient que confirmer ce que laissaient percer les informations venues des coulisses du pouvoir : après les années passées au Maroc, le nouveau maréchal entendait bien peser sur tous les dossiers politico-militaires de l’heure. Les conditions étaient réunies pour qu’à la faveur de la crise d’août 1953 prennent corps des rumeurs de « putsch maréchaliste », et que se dressent les fantômes de Pétain et Boulanger...
3Pourtant, Alphonse Juin resta un « général républicain », même lorsqu’il fut l’objet des sollicitations d’activistes, comme au printemps suivant ou dans les derniers temps du conflit algérien. En dépit de son interventionnisme, il se voulut jusqu’au bout fidèle à ce devoir d’obéissance auquel il devait significativement consacrer un dernier livre en forme de plaidoyer2. Fils de gendarme devenu maréchal, il devait tout à la République et n’alla jamais jusqu’à s’en affranchir. Comment expliquer cette ambivalence ? Comment en rendre compte ?
4Formé avant 1914 dans le culte de l’apolitisme, Juin reste un combattant jusqu’à ce que Lyautey l’appelle à ses côtés, en 1925. A la surprise générale, le jeune officier accepte d’accompagner le résident général dans son exil métropolitain et fait son entrée dans le monde des état-majors. Que ce soit à la tête du cabinet militaire de Lucien Saint, résident général au Maroc entre 1929 et 1933, puis auprès de son successeur, Noguès, en 1937-1939, Juin occupe désormais des fonctions au sommet. A l’instar d’un de Lattre ou d’un de Gaulle, lieutenants en 1914, tout juste généraux en 1940, il est déjà pressenti comme l’un des chefs de demain. Comme eux, il se forme auprès de grands patrons, dont l’enseignement et l’exemple vont nourrir sa pratique des rapports politico-militaires. C’est avec ce bagage que chacun va affronter, à sa manière, les dilemmes des années de guerre.
5Tenu à l’écart tant que dure sa captivité, il est rattrapé par l’histoire au moment de sa libération, en juin 19413. Immédiatement nommé à des postes stratégiques en Afrique du Nord4, il entre à moment-là dans des eaux dangereuses, d’où émergent deux épisodes essentiels. Décembre 1941 : il est convoqué pour prendre la tête de la délégation française qui part à Berlin négocier avec Gœring le renforcement des moyens déployés en Afrique. Novembre 1942 : il est l’un des hommes-clés au moment où les Anglo-Américains débarquent au Maroc et en Algérie, tandis que les Allemands envahissent la Tunisie. Des circonstances où son habileté manœuvrière ne suffira pas à faire taire les critiques5... Nommé à la tête du Détachement d’Armée française qui combat les troupes de l’Axe en Tunisie, il est à nouveau contesté lors de son séjour à Alger durant l’été 1943. A partir de cette date, le commandement du Corps expéditionnaire français en Italie lui offre une véritable consécration sur le plan militaire et le met à l’écart des jeux politiques6. Sa nomination à la tête de l’état-major général de la Défense nationale, un an plus tard, le conforte dans ce nouveau statut.
6Son parcours après 1945 est donc le produit d’une histoire politico-intellectuelle inscrite dans la longue durée d’un homme, qui est aussi celle d’une génération entrée dans la carrière au temps de « l’Arche sainte », arrivée aux responsabilités au moment où le dogme vole en éclats. Mais son comportement ne prend sens qu’une fois établie la chronique de ses rapports mouvementés avec le régime. Car si les grandes étapes de sa carrière après la guerre sont bien connues, elles ont rarement été évoquées dans cette perspective7. Nous relirons donc cette période en cherchant à discerner les différentes étapes de sa prise de parole. Leur évocation permettra de commencer à juger de la nouveauté du comportement de celui qui fut, à lui seul, le maréchal de la Quatrième8.
Le temps de l’émancipation : résident général au Maroc (1947-1951)
7Général contesté depuis l’époque troublée de Vichy9, mais soldat consacré par l’épopée du corps expéditionnaire en Italie, Juin était d’évidence, à la Libération, l’une des figures avec lesquelles devrait compter tout gouvernement. Installé au sommet de la hiérarchie depuis août 1944, il va pourtant choisir de quitter son poste de chef d’état-major général de la Défense nationale au printemps 1947 pour prendre à Rabat les fonctions de résident général. Il est vrai que sa nouvelle mission ne manque pas d’attraits pour ce « vieux Marocain », ancien collaborateur de Lyautey et Noguès10… Mais il n’est pas interdit de voir dans ce départ une première marque de défiance à l’égard de la nouvelle république.
8Juin a manifestement mal vécu le départ du Général, un an plus tôt, auquel l’attachent des liens aussi anciens qu’étroits11. S’il ne s’est guère senti concerné par le débat constitutionnel – « pour la raison que je me suis toujours tenu éloigné de la politique »12 – il est proche des conceptions gaullistes en la matière. Sa présence revendiquée à Bayeux, le 16 juin 1946, en témoigne13. Sans illusion sur « la dictature » exercée pendant la guerre par son ancien condisciple14, il a néanmoins apprécié la ferme direction avec laquelle le Général a dirigé les affaires publiques. Et puis, son constant appui a interdit aux mises en cause, dont sa conduite des années 1941- 1942 était parfois l’objet, de menacer sa carrière15. Aussi sa démission le laisse-t-elle « désemparé »16… Après avoir songé à partir lui aussi, Juin demeure néanmoins à son poste devant les objurgations du Général, qui compte sur lui « pour assumer la continuité des affaires intéressant la Défense nationale »17.
9Il n’empêche, dès le début 1946, le vainqueur du Garigliano souhaite prendre ses distances à l’égard d’un exécutif dont le futur prévisible ne lui inspire pas confiance. Dans les mois qui suivent il fait d’ailleurs partie de ceux qui « ne se résignent pas à la retraite du Général »18. La vanité bientôt révélée de cet espoir n’enlève rien au malaise du chef d’état-major. Que ce soit en ce qui concerne les moyens ou sur le plan institutionnel, les perspectives ne sont guère encourageantes. Depuis janvier 1946, l’heure est en effet à une réduction drastique des crédits et des effectifs, dans un contexte d’incertitude qui interdit tout projet à long terme19. L’organisation centralisée de la Défense établie par le Général est ainsi rapidement démantelée par ses successeurs...
10Dès l’arrivée de Gouin, Juin est immédiatement privé de cet accès direct au chef du gouvernement dont il bénéficiait jusqu’alors. Surtout, les conceptions du nouveau venu en matière d’organisation de la Défense diffèrent sensiblement de celles de son prédécesseur20. Les choses se précipitent à la fin de l’année. La décision que prend Léon Blum, en décembre, de déléguer au ministre de la Défense toutes ses attributions militaires, « détruit toute l’organisation conçue par de Gaulle »21. En particulier, comme le souligne Bernard Chantebout, « elle amoindrit considérablement les prérogatives » du chef d’état-major général de la Défense nationale22. Une évolution aggravée, quelques semaines plus tard, par le décret du 4 février 1947. Ce texte fondateur exclut en effet Juin du comité de la Défense nationale, dont le rôle est désormais essentiel23. Même si son titre peut encore faire illusion, le vainqueur du Garigliano est en voie de marginalisation...
11Au printemps 1947, il attend donc de quitter une charge où seuls les « dérivatifs » que sont les missions à l’étranger l’intéressent encore24. Mais pas n’importe comment. Pressenti au début de l’année pour succéder à d’Argenlieu en Indochine, il refuse sans hésiter25. Première dérobade à l’égard de ce théâtre qu’il inspectera souvent mais où il réussira jusqu’au bout à ne pas s’engager, cet épisode donne le ton de ses relations avec la république naissante. Son arrivée en grand pompe à Rabat, quelques semaines plus tard, n’en prendra que plus de relief. Juin est parti à ses conditions, obtenant dans le même temps l’éloignement qu’il recherchait et la consécration qu’il escomptait26.
12Enfin seul ! Dans la durée, il souhaite désormais inscrire son nom au Maroc après celui de ses illustres devanciers : la veuve de « [son] maître Lyautey »27 n’est-elle pas au premier rang de ceux qui l’accueillent, le jour de son arrivée, à Casablanca28 ? Les conditions s’y prêtent. Successeur de l’ambassadeur Labonne, Juin renoue avec la tradition des généraux résidents interrompue depuis la démission de Noguès, un autre de ses maîtres, en juin 1943. Nommé après l’affront du discours de Tanger, il part redresser le prestige menacé du protectorat, muni d’instructions qui lui donnent pratiquement tout pouvoir, dont celui de déposer le sultan29.
13En cet après-guerre où les certitudes sont rares et les perspectives fuyantes, voilà au moins une mission clairement définie. Comment ne plairait-elle pas à un homme déjà méfiant à l’égard des palinodies du régime ? D’autant que les raisons du cœur ne sont pas absentes. Le Maroc est avec l’Allemagne l’un des rares sanctuaires de l’armée de métier. « Les dernières victoires de la conquête y étaient encore proches et les vainqueurs apparemment respectés », note Planchais30. « L’armée d’Afrique avait donné à la France les meilleurs cadres de sa victoire. Ils retrouvaient les hommes qui avaient combattu sous leurs ordres et qui souvent les aimaient »31. Une analyse qui s’applique parfaitement à Juin... Jamais depuis la Première Guerre mondiale il n’était resté aussi longtemps éloigné de la terre d’Afrique32. Son arrivée à Rabat est un retour aux sources. A l’abri du sanctuaire marocain, il va pouvoir dans la durée apporter sa pierre à l’œuvre du protectorat.
14Un dessein très vite contrarié par la tournure des événements. Son éloignement coïncide en effet avec les débuts de la Guerre froide, et les gouvernements successifs vont n’avoir de cesse de faire revenir en Europe ce général prestigieux. Fin septembre 1948, première alerte : Juin est sollicité pour prendre le commandement des forces terrestres de la nouvelle Union occidentale, proposition qu’il refuse avec obstination33. Il ne manque pas de raisons valables pour cela, et le ministre de la Défense lui en donnera acte34. Juin ne croit pas à l’émergence d’un système de sécurité purement européen et, de toute manière, n’a pas été associé à la préparation de ce projet. Mais, surtout, il souhaite inscrire dans la durée son action au Maroc, et a pris cette offre comme une tentative pour l’en éloigner35.
15L’épisode n’est pas sans influencer sa perception de la Quatrième et des relations qui peuvent exister avec elle. « Cet incident m’avait fait toucher du doigt la fragilité et l’instabilité de ma situation... Il n’y avait décidément rien à entreprendre avec un régime aussi peu soucieux des bienfaits que l’on peut et doit retirer d’une saine continuité de vues et d’action »36. Le jugement est sévère, et ces lignes écrites une douzaine d’années après les faits ne sauraient témoigner sans nuances de sa réaction immédiate. Mais elles indiquent clairement que cet accrochage fut pour lui l’occasion d’une prise de conscience, d’où l’intransigeance de son refus. Il est vrai que sa situation le lui permet : sollicité par des politiques qui ne peuvent se passer de lui, le résident général est en position de force...
16Cette versatilité gouvernementale, Juin la dénoncera bientôt constamment, et il est certain que son expérience marocaine a été décisive de ce point de vue. A partir de l’automne 1948, le résident vit dans la hantise de son rappel37, à tout le moins des manœuvres lancées à son insu... En mai 1949, la visite inopinée d’André Le Troquer, vice-président de l’Assemblée nationale, son ennemi intime depuis Alger, ne peut que le conforter dans ses craintes38. Arrivé sans crier gare, cet important personnage multiplie les rencontres au plus haut niveau, tant avec le Sultan qu’avec plusieurs responsables de l’Istiqlal39, sans aucune concertation avec la Résidence. Comment Juin ne s’en offusquerait-il pas ? A s’en tenir simplement aux textes qui régissent sa fonction, il s’agit d’un camouflet en bonne et dûe forme !
17Le résident général est en permanence sur ses gardes, dans la crainte d’une attaque en traître : quoi de plus terrible pour un soldat ? Sa toute-puissance doit donc être relativisée. S’il joue avec la faiblesse du pouvoir central, il est lui-même assis sur un siège éjectable et en a une conscience aiguë40. C’est ce que l’on pourrait appeler le « paradoxe du proconsul » : il a peur autant qu’il fait peur... La genèse de la crise de février 1951 en offre une illustration saisissante. Juin est visiblement inquiet durant la visite du Sultan en France, à l’automne 1950, d’autant qu’une fois encore court le bruit de son rappel41. Ne laisse-t-on pas entendre qu’il va quitter Rabat pour devenir l’un des adjoints du général Eisenhower au sein de l’O.T.A.N.? De retour au Maroc, le résident écrit d’ailleurs immédiatement à Robert Schuman pour exiger un démenti, menace de démission à l’appui. Et fait savoir personnellement au général Marshall, le secrétaire d’État à la Défense américain, qu’il ne compte pas quitter son poste dans l’immédiat42.
18C’est une première. Le chantage à la démission, voire les contacts directs avec des autorités étrangères, vont devenir parmi les armes favorites du futur maréchal en cas de crise. Dans ce contexte, la menace de son départ l’a certainement encouragé à vouloir apurer la situation. Mais il serait vain de n’y voir que le calcul d’un esprit borné. Juin était fondamentalement dans une impasse43. Appuyé sur l’Istiqlal, le Sultan rejettait les réformes sans l’indépendance, tandis que que Paris se refusait catégoriquement à envisager cette perspective à court terme44. A chacune de ses ouvertures, Sidi Mohamed voyait ainsi ses propositions éconduites par le gouvernement. La résistance passive par la grêve du sceau était sa réponse à l’immobilisme gouvernemental45. La situation était donc bloquée et l’on ne peut nier que Juin n’ait été encouragé à agir par l’inertie parisienne. Faute de proposer une autre politique, le gouvernement laissa le résident définir la sienne...
19Le résident ou son entourage ? Nul n’est encore capable de faire le partage46. On notera cependant que même les moins bien disposés à l’égard de Juin admettent le rôle crucial joué par ses proches. « La politique à la cravache qu’il mena durant son proconsulat marocain obéissait à sa nature autoritaire » note Julien, « mais, davantage encore, à l’influence qu’exerçaient ses collaborateurs immédiats »47. De nombreux épisodes attestent de leur importance à ses yeux. Ainsi, dès 1948, il tente, contre toute évidence, de disculper son directeur des Affaires politiques, le colonel Lecomte, pourtant à l’origine de « l’affaire des tracts »48. Il est vrai que d’aucuns, jusqu’au président de la République, virent la main de Juin derrière cette tentative de déstabilisation par la calomnie du Sultan49… Surtout, il ne cesse de couvrir les agissements de Boniface, le très redouté chef de la région de Casablanca. Même après son départ du Maroc, Juin continuera à le soutenir allant jusqu’à menacer de démissionner de ses responsabilités atlantiques s’il n’obtenait pas satisfaction50 ! Que l’influence de ces mauvais génies se soit particulièrement manifestée au moment de la crise de février 1951 tombe sous le sens...
20On ne peut pour autant faire de Juin une marionnette entre leurs mains. Il a en effet totalement adhéré au scénario de l’épreuve de force, dont il a été l’un des principaux initiateurs51. A cette fin, il a utilisé deux armes : le mécontentement des tribus, qu’il a laissé s’exprimer après l’avoir personnellement encouragé52, et la menace de la déposition53. Si cette dernière lui revient en propre, il semble difficile de réduire la marche des Berbères à un mouvement sans fondement local. Non que les cavaliers qui convergèrent vers les grandes villes se soient spontanément mis en marche54. Mais les intérêts qu’ils servaient n’étaient pas exclusivement ceux du Résident. Quelle qu’ait été sa proximité avec le meneur marocain de la fronde, le célèbre Glaoui, celui-ci défendait d’abord sa propre situation, à terme menacée par les projets du Sultan comme ceux de l’Istliqlal55. Il y eut collusion plutôt que manipulation.
21Au final, le dénouement de la crise reste encore entouré de zones d’ombre. La menace des cavaliers berbères – conjuguée aux pressions de la Résidence – ayant fait céder Sidi Mohamed, l’opération avait-elle atteint son terme naturel ? Ou bien les réticences, voire les résistances gouvernementales, ont-elles conduit Juin à renoncer à la déposition du Sultan56 ? Bien que le Résident, l’ait toujours vigoureusement rejettée57, il semble difficile aujourd’hui d’écarter la seconde interprétation. « Nous nous êtions crus assez forts pour éliminer un souverain dont l’opposition personnelle devenait chaque jour plus gênante », devait avouer en septembre 1951 le général Boyer de Latour, alors secrétaire des Affaires politiques et militaires. « L’affaire semblait bien préparée. Nous n’avons pas su la mener jusqu’au bout58. »
22Ainsi, Juin s’incline quand les consignes de Paris sont fermement répétées. On trouve là l’une des clefs de son comportement. Loin d’exacerber ses prétentions activistes, l’affirmation d’une politique et d’une autorité suffisent à le faire rentrer dans le rang. Ce qui prouve, a contrario, que son autonomisation se nourrit d’abord de la carence des gouvernements. C’est parce que ces derniers ont laissé s’instaurer une situation de blocage que l’on débouche sur son interventionnisme à la fin, et à la fin seulement, de son proconsulat. Au total, cette expérience marocaine a certainement été décisive dans la maturation de ses rapports avec le pouvoir politique59. Elle l’a renforcé dans la méfiance congénitale des officiers de sa génération à l’égard de la politique, lui inspirant une conception personnelle du devoir d’ingérence.
23Or, cette tendance à exercer un véritable magistère politico-militaire est renforcée par l’attitude gouvernementale. Loin de prendre ombrage de ses premières foucades, les responsables politiques multiplient les appels à l’aide. Envoyé en mission d’inspection en Indochine, en octobre 1950, au lendemain du désastre de Cao Bang, Juin refuse une nouvelle fois de prendre la tête du corps expéditionnaire60. Qu’importe, il est pressenti peu de temps après pour devenir le premier patron des forces terrestres de l’O.T.A.N. en Centre-Europe ! A l’heure où les grands commandements atlantiques sont créés, son nom est l’un des rares que puisse avancer Paris61. Pour assurer sa candidature et vaincre ses réticences, le gouvernement déroule le tapis rouge et le fait inspecteur général des Forces armées, président du comité des chefs d’état-major, vice-président du conseil supérieur des Forces armées, conseiller militaire du gouvernement... « Enfin et surtout, aucune nomination et affectation d’officiers généraux ne peut être faite sans son avis »62.
24« Qui commande l’armée française ? » interrogeait en 1950 un parlementaire63. Depuis le démantèlement de l’organisation centralisée voulue par de Gaulle, la direction politico-militaire du pays avait subi un effrayant morcellement. La suppression de la fonction de chef d’état-major général de la Défense nationale en 1949 en avait été l’un des symboles64. Désormais, les choses sont claires, c’est « Juin partout » ! Sans retrouver son titre des années 1944-1947, il semble en effet reccupérer les responsabilités qui étaient les siennes. « Autant que l’on sache, il n’y a pas de précédent en France, en temps de paix, aux pouvoirs qui lui ont été confiés », note l’attaché militaire britannique à Paris65. Pareille accumulation suscite d’ailleurs l’ire des alliés, qui n’auront de cesse que Juin choisisse entre ses responsabilités nationales et atlantiques66.
25Pourtant, « beaucoup de ses attributions [sont] plus honorifiques que réelles » constate Chantebout, pour qui cette promotion à des allures de trompe l’œil. « Ainsi son droit d’inspection ne s’étend ni à l’Indochine, ni à aucun des autres théâtres d’opération qui pourraient s’ouvrir »67. Enfin, contrairement à ce que Juin affirmera68, il n’est pas membre de droit du comité de Défense nationale, le véritable cœur du pouvoir politico-militaire depuis 1947. Bref, il « est bien le chef de l’armée française, mais un chef honoris causa qu’on peut tenir à l’écart des décisions en matière de direction militaire »69.
26Ce décalage entre les apparences et la réalité peut expliquer pourquoi le nouveau promu adopte progressivement une stratégie interventionniste. Face à un gouvernement qui cherche à le cantonner, Juin va chercher à assurer son pouvoir par des prises de position qui sont autant de manœuvres de débordement. Ainsi, menace de démission à la clef, il obtient de différer de six mois son retour en métropole, et le droit de désigner son remplaçant au Maroc70 ! Or, de son aveu même, « c’était bien la première fois qu’on voyait en République, un résident général vouloir imposer lui-même le choix de son successeur »71… Les termes de la lettre comminatoire qu’il adresse à cette occasion au président du conseil en disent long sur son évolution depuis 194772. Ses éclats publics, dans les années qui vont suivre, seront tout sauf une surprise...
Au sommet de son influence (1951-1954) : la prise de parole
27« Vous voulez faire votre Mac Arthur ? Vous savez, vous ne réussirez pas avec moi ! », lui avait lancé Auriol en juillet 195173. Négligeant l’avertissement, Juin franchit un pas supplémentaire dans l’interventionnisme, début mars 1952. A l’occasion de la nouvelle crise ministérielle qui secoue le pays, il critique ouvertement, pour la première fois, le fonctionnement du régime74. Soulignant les freins considérables que l’instabilité ministérielle met au réarmement, il exige que soient prises des mesures exceptionnelles. Une nouvelle menace de démission conclut cette missive au président de la République75. Auriol peut bien l’admonester76 et insister sur la nécessité, pour avoir de l’ordre dans l’État, que chacun reste à sa place, force est de constater que ses demandes ne sont pas infondées. « Sa lettre est à la fois du de Gaulle, du Daladier et du Mendès France », constate le Président devant Bidault77. Dans un contexte d’échéances lourdes – la guerre d’Indochine bat son plein, l’O.T.A.N. se met en place et la C.E. D, bientôt créée, va permettre le réarmement allemand...– les dysfonctionnements du régime poussent insensiblement les responsables militaires à l’interventionnisme. Juin, qui vient d’être promu chef de l’armée française, est le premier concerné.
28Mais il faut attendre l’été pour qu’il commence à intervenir sur la place publique. Il est vrai qu’il lui manquait jusqu’alors une ultime dignité que le gouvernement lui confère lors d’une grandiose cérémonie sur les Champs Élysées, le 14 juillet 1952. Maréchal de France ! Le fils du gendarme de Bône élevé au rang des pères tutélaires de l’Empire et de la Grande Guerre78… Quelle consécration ! Car Leclerc n’est plus, depuis cinq ans déjà, et Kœnig, l’autre figure de la France libre, a rallié la carrière parlementaire au printemps précédent. De Lattre, son vieux rival, le seul qui pouvait encore lui disputer la première place, est mort en janvier79. Décidément, ce bâton arrive à point nommé...
29Le dernier nom de la Seconde Guerre mondiale demeure donc seul en piste, désormais patron incontesté de l’armée, même si son autorité s’applique plus aux « terriens » qu’aux marins ou aux aviateurs80. Mais son maréchalat transforme également son statut face au pouvoir politique. A partir de cette époque, Juin estime n’être plus astreint au traditionnel devoir de réserve, qui s’applique à tout militaire de carrière81. N’est-ce-pas le sens ultime de cette promotion qui le place hors hiérarchie ? A l’instar d’un de Gaulle, mais investi de la légitimité officielle, il doit s’exprimer chaque fois que l’exige l’intérêt supérieur du pays. Son élection à l’Académie française, quelques mois plus tard – alors qu’il n’a pas écrit une seule ligne ! – renforce encore son statut82…
30« Les maréchaux sont un luxe que devraient s’interdire les états faibles », devait noter Mauriac à l’occasion de la dernière crise marocaine83. Indéniablement, le gouvernement Pinay a joué à l’apprenti-sorcier… Soucieux de renforcer l’autorité de Juin et la position de la France dans les états-majors atlantiques84, emporté par la logique de la consécration de De Lattre, il a choisi d’oublier les premiers éclats du vainqueur du Garigliano. Fatale erreur, car Juin se croit désormais investi d’une auctoritas particulière. Comment espérer qu’il reste à sa place, comme le lui demande Auriol et le reste de la classe politique avec lui, quand on vient ainsi de le distinguer ? Peu avant son élévation, Charles Géraud, l’influent journaliste de France-Soir, avait pourtant averti le Président : « Vous savez que le général Juin dénoncera publiquement l’armée européenne... ». « On le foutra en l’air ! », avait rétorqué Auriol. « Il n’est pas possible qu’un maréchal de France fasse cela ou alors qu’il démissionne avant ! »85. Illusion...
31Comme en écho à cette prédiction, quelques jours plus tard, le presque-maréchal fait pour la première fois entendre sa voix86. A trois semaines de la cérémonie au cours de laquelle il doit officiellement recevoir son bâton, il ose réclamer à Verdun le transfert à Douaumont des cendres de Pétain, disparu il y a moins d’un an ! Deux jours plus tard, nouvel éclat. Lors d’un discours prononcé au Cercle de la France d’Outre-Mer, Juin se lance dans une improvisation dévastatrice au cours de laquelle il met violemment en cause les États-Unis pour leur attitude en Afrique du Nord et en Corée, les accusant de collusion objective avec Moscou87. Cette suite de déclarations fait scandale, et il s’en suit un bras de fer avec le gouvernement qui n’est pas sans annoncer celui du printemps 195488…
32Au lendemain de son discours de Verdun, Pleven, alors ministre de la Défense, lui adresse une lettre lui rappelant que tous les discours des officiers généraux doivent obtenir son autorisation préalable. Peine perdue, puisque Juin la lui renvoie en prétendant ne pouvoir l’accepter ! Le ministre aura finalement gain de cause, mais le mal est fait comme l’analyse très bien l’Élysée, où le Président et ses proches s’interrogent longuement sur la conduite à tenir. « A la place du président du conseil », conclut Auriol, « j’aurais ce matin présenté au président de la République un décret annulant le maréchalat et mettant le maréchal à la retraite d’office. Mais çà, je ne l’obtiendrai pas ». Commentaire éloquent de son propre chef d’état-major, le général Grossin : « Oui, mais alors, c’est accepter qu’un monsieur peut, quand il veut, engeuler le gouvernement... ».
33Une analyse qui va trouver sa pleine confirmation à l’occasion de la Grande Querelle. C’est en effet la question de la C.E.D. qui va, à partir du début 1953, donner à Juin l’occasion de se manifester de manière récurrente89. Il est vrai que le dossier constitue un cas d’école dans la perspective de ce magistère politico-militaire dont se sent investi le nouveau maréchal. D’abord acquis à un ralliement de raison à ce projet d’armée européenne qui ne lui parle guère, mais doit permettre de lever les divisions allemandes dont il a tant besoin pour défendre le Centre-Europe, Juin bascule dans une opposition militante fin 1952. Après avoir critiqué publiquement le projet pour la première fois à Strasbourg, en janvier 1953, il réitère sa condamnation en termes plus nets à Constantine, début avril90. Des propos qui font l’effet d’une « bombe », dans la mesure où le maréchal s’attaque ainsi à un traité officiellement signé par le gouvernement, et en attente d’être ratifié par l’Assemblée nationale. Par ailleurs, nous savons aujourd’hui que Juin a mené à la même époque une offensive de grand style auprès du gouvernement pour obtenir que celui-ci obtienne un report sine die de l’application du traité. Ses interventions publiques et ses démarches en coulisse apparaissent donc comme les deux faces d’un même processus... En vain, puisque lors d’un comité de Défense houleux, le 21 avril 1953, ses propositions sont définitivement rejetées91.
34« Il ne faudra pas compter sur moi pour aider à la ratification, aussi longtemps que la précaution que je suggère, et que j’estime indispensable, n’aura pas été prise », avait prévenu Juin. Avant de menacer : « S’il arrivait que je ne fusse suivi ni par le parlement, ni par le gouvernement, celui-ci aurait à pourvoir à mon remplacement dans les charges que j’assume en ce momment92. » Paroles imprudentes, puisque profitant d’un élargissement de ses responsabilités atlantiques à la mi-1953, René Pleven réorganise la direction des Forces armées et le prive de l’essentiel de ses fonctions nationales, désormais confiées au très cédiste Paul Ély93. Un an après avoir été consacré sur les Champs Élysées, et bien avant son limogeage officiel au printemps suivant, Juin paye l’exercice de son magistère au prix fort94…
35Il ne lui reste que la vice-présidence du conseil supérieur des Forces armées et surtout son titre de conseiller permanent du gouvernement, dont il va faire un usage intensif au printemps suivant. C’est en son nom que, fin mars 1954, le maréchal va lancer une série d’anathèmes publics contre le traité. Mieux, il refusera de se rendre à la convocation qui lui est faite de venir s’expliquer devant le président du conseil. On ne convoque pas un maréchal de France « comme s’il se fût agi d’un trompette » dira-t-il, dans une apostrophe inspirée de Lyautey95.
36Tout le problème est là : officier d’active, mais se considérant placé hors-cadre, le maréchal estime qu’il n’est plus astreint à la loi commune, et pense qu’il ne doit de compte qu’à l’intérêt supérieur du pays, surtout quand celui-ci n’est pas pris en charge par le gouvernement96. Certainement inspiré par un de Gaulle qu’il rencontre fréquemment, à l’époque, pour de longs tête-à-tête97, il n’hésite pas à bafouer les règles élémentaires du devoir de réserve pour garantir le « torpillage »98 de cette C.E.D. honnie99. La sanction, cette fois, ne se fait pas attendre. Après avoir tenté par tous les moyens d’échapper à cette extrémité, le gouvernement réuni en urgence, le destitue de toutes ses responsabilités nationales. Ne conservant, et de justesse, que son commandement O.T.A.N., le voilà devenu comme « étranger à l’armée française »100, lui, le seul maréchal de France encore vivant...
37Dans le même temps, pourtant, Juin récuse tout aventurisme politique. Sollicité par des anciens d’Indochine, quelques jours plus tard, il éconduit brutalement ses visiteurs, et se tiendra soigneusement à l’écart de la manifestation houleuse du 4 avril, à l’Arc de Triomphe, où plane l’ombre des gaullistes101. Sentiment de reconnaissance à l’égard d’une République à laquelle il doit tout ? Certes, mais aussi mépris pour la chose politicienne, tel qu’il transparaît dans les déclarations qu’il avait faites le 3 septembre 1953. Soucieux de démentir l’intention que certains lui prêtaient de vouloir succéder à Auriol, Juin n’avait pas mâché ses mots : « Vous me voyez habillé en pingouin ? Je suis maréchal de France, je n’ai pas envie d’aller faire le pantin à l’Elysée... »102.
38Des propos qui font scandale, mais qu’il faut prendre pour ce qu’ils sont. Que ce soit en habit ou en uniforme, le maréchal ne se sent aucun goût pour les responsabilités politiques. Le vainqueur du Garigliano est d’abord l’homme d’une génération élevée dans un culte de l’obéissance, qui met le sacré dans « l’arche sainte » et non dans les palais nationaux. Soldat jusqu’au bout des ongles, le maréchal sait qu’il n’a pas l’étoffe d’un de ces caudillo qu’ont parfois produit les terres marocaines. Sa prudence, son opportunisme, tout concourt à borner étroitement les limites de son activisme politique. Son nom peut bien faire rêver tous les aventuriers de l’extrême-droite103, Juin n’est pas Boulanger.
39Les rumeurs qui, à la faveur de la crise ministérielle du printemps 1953, puis des grandes grêves d’août, avaient agité certains milieux de gauche, n’étaient donc que pures fantasmagories104. Il n’en restait pas moins que « le maréchal de France entendait exercer sur le gouvernement, au nom de l’armée, un contrôle vigilant. Le « putsch maréchaliste », en 1953, n’est que cela », note Georgette Elgey, « mais c’est déjà beaucoup »105.
40Il est vrai que cet été 1953 a été riche en événements propres à nourrir toutes les spéculations106. Le déroulement de la grande crise marocaine qui a, cette fois, abouti à la déposition brutale du Sultan, a vu s’agiter l’ombre de militaires de haut rang, parmi lesquels Juin107. Voilà pourtant deux ans qu’il a quitté Rabat. Nommé à sa demande expresse, on l’a vu, le général Guillaume l’a en effet remplacé à l’automne 1951. Il s’est néanmoins refusé à n’être que sa « créature ». Sa décision, dès son arrivée, de se séparer d’une partie des collaborateurs de son prédécesseur, a d’ailleurs jeté un froid dans leurs relations108.
41Pourtant, bien qu’il s’en soit défendu109, l’ancien résident continue de suivre les affaires marocaines avec vigilance. Guillaume, lui-même, reconnaîtra le poids de cette tutelle110… Il n’est donc pas étonnant de trouver Juin en première ligne des manœuvres qui préparent la déposition du Sultan, à la fin du printemps 1953. Début mai, il effectue une tournée au Maroc. Certains y verront « un voyage de chef d’état-major, au cours duquel ont été mis au point les détails de l’opération »111. Non sans raisons... Clou de ce déplacement, 100 000 Berbères, pour la plupart anciens d’Italie, sont rassemblés le 11 mai sur le plateau d’Ifrane pour une la remise de décorations. Le maréchal préside cette manifestation à grand spectacle, « digne de Cecil B. De Mille »112, qui est loin d’être une pure cérémonie militaire. N’est-elle pas « interprétée par certains, en raison de son retentissement, comme une manœuvre destinée à faire pression sur le Sultan et les éléments nationalistes des villes, en s’appuyant ostensiblement sur l’élément berbère »113 ? D’autant que dix jours plus tard, le Glaoui lance l’offensive en remettant au général Guillaume la pétition de trois cent pachas et caïds, qui réclament la déposition de Sidi Mohamed114…
42Fin juin, la réception du maréchal à l’Académie française est l’occasion d’une nouvelle mise en scène115. Prononcé le 25, son discours est une dénonciation en règle de l’Istliqlal et un panégyrique du Glaoui – qui se lève et salue sous les applaudissements. Non content d’avoir ainsi organisé le sacre de celui qui est désormais en rébellion ouverte contre un souverain encore officiellement protégé par la France, Juin règle ses comptes. Fait unique dans les annales du Quai Conti, le récipiendaire prend ouvertement à parti l’un de ses aînés. En quelques phrases d’une condescendance bien sentie, Mauriac est cloué au pilori de la candeur inconsciente pour s’être fait, depuis le début de l’année, le champion de la cause marocaine116. La victime rétorquera d’ailleurs de manière cinglante à ce « coup de bâton étoilé »117, donnant un peu plus de publicité encore à ce nouvel éclat du maréchal, décidément bien fait pour accompagner la montée vers l’épreuve de force.
43« Lequel des trois, Marcel Boussac, le Glaoui, le maréchal, a-t-il pris la part principale de l’événement ? », interrogera plus tard Edgar Faure, pour l’heure ministre des Finances et des Affaires économiques118. « Selon la plus grande ligne de vraisemblance, la décision est collégiale et la responsabilité indivise », estimera ce témoin privilégié. Pour conclure : « le véritable décideur se place sans doute à l’échelon immédiatement inférieur, et tout désigne Boniface »119. Si Juin n’a donc pas été directement impliqué dans la réalisation de l’opération, il semble néanmoins difficile de souscrire à ses proclamations d’innocence120. Trop de conjurés se réclamèrent de lui... Sans parler de ceux qui, comme Auriol, lui reprochaient depuis longtemps son activisme au Maroc121. Cette conjuration ne se monta qu’avec « le patronage, l’encouragement et l’appui déclaré du maréchal »122.
44Comment aurait-il pu d’ailleurs en être autrement lorsque l’on connaît son influence sur les affaires nord-africaines ? Rien d’important ne se fait sans qu’il soit consulté123. Depuis son retour du Maroc, il bénéficie d’un véritable droit de regard, et souvent de veto, sur toutes les nominations importantes124. Ainsi, fin 1953, il s’oppose à la candidature du vice-amiral Barjot au poste de résident général en Tunisie125. Bien que Voizard, finalement désigné, soit l’un de ses amis, il lui impose le général Boyer de Latour comme commandant supérieur des troupes. Voizard avait pourtant déjà retenu un autre candidat126…
45« La Résidence a décidé, certainement sous l’inspiration de Juin », conclut Auriol le 20 août, au moment où le drame est consommé. « Mais le gouvernement, pendant ce temps, semble avoir couvert cette opération127. » Tout est dit : si l’interventionnisme du maréchal n’est pas niable, l’incurie gouvernementale est tout bonnement effarante. « Pas une voix ne s’éleva pour défendre le Sultan », relève Julien en analysant les débats du conseil des ministres128. Une cécité venue de loin. Cela faisait de longs mois, que « les velléités progressistes de l’Élysée et les cogitations conservatrices du Quai se rejoignaient dans l’impuissance »129. Une fois encore ce qui est en cause au premier chef, c’est l’incapacité du régime à être lui-même, c’est-à-dire à définir une politique claire, et à s’y tenir.
46L’expérience mendésiste en apporte la contre-preuve éclatante. Les relations entre le maréchal et le nouveau président du conseil sont en effet d’emblée placées sous le signe de la coopération, qu’illustre de manière spectaculaire la présence de Juin à Carthage, le 31 juillet 1954130. Quelles qu’aient été les limites de ce « retour de bâton étoilé »131, une chose est sûre, le maréchal a accepté de cautionner cette opération et jamais, dans les mois qui suivirent, il ne la désavoua132. A ceux qui avaient douté de sa réalité, le reste de l’expérience Mendès apporta la preuve que cette association étonnante fonctionnait.
47Celle-ci ne fut pas sans nuages mais, dans l’ensemble, le maréchal put être satisfait des performances du chef de l’exécutif puisque, non content d’avoir tiré la France du bourbier indochinois, il allait enterrer définitivement le projet honni de C.E.D. Comment Juin n’y aurait-il pas été sensible, lui l’apôtre discret du « Lâchons l’Asie, gardons l’Afrique »133, lui qui avait tenu une part décisive dans la campagne menée contre le traité, lui qui en tant que patron Centre Europe des forces de l’Alliance attendait depuis 1951 que l’on donne une solution efficace au lancinant problème du réarmement allemand ? Nul doute qu’il n’ait apprécié au plus haut point les solutions imaginées à l’automne 1954 avec la complicité des Britanniques : les accords de Londres et de Paris correspondaient trop aux projets que son état-major particulier développait depuis longtemps déjà134…
48Voilà qui explique qu’en dépit de leurs divergences croissantes sur l’application des réformes en Tunisie135, le maréchal n’ait pas manqué de faire connaître auprès du président démissionnaire, la haute estime dans laquelle il tenait son action gouvernementale136… Aussi étonnant que cela puisse paraître, les rapports des deux hommes semblent avoir été marqués d’une forme de considération réciproque, qui put donner à Juin l’impression que, sans sortir de son rôle, il pouvait raisonnablement peser sur la détermination de la politique française. Et l’on ne peut qu’être frappé par le soin que le président du conseil mit à répondre aux courriers que, régulièrement, le maréchal lui adressa, spécialement à propos de l’Afrique du Nord137.
49La prudence tactique, le calcul politique doivent bien sûr être pris en compte. Devant l’importance des défis à relever et compte tenu du caractère toujours fragile des majorités parlementaires, Mendès semble avoir délibérément choisi de cultiver le maréchal. Après tout, les éclats du printemps étaient là pour lui rappeler le poids de Juin dans certains milieux. Même contrée, une nouvelle bronca de sa part aurait eu un coût politique que, dans les circonstances présentes, le nouveau chef de l’exécutif ne pouvait guère se permettre. Outre son manque d’intérêt pour les affaires marocaines, moins prioritaires à ses yeux que d’autres138, il faut sans doute y voir l’une des raisons essentielles de la mise en sommeil de ce dossier à l’époque139.
50De son côté, Juin aspirait à rentrer en grâce, si ce n’est dans le rang. Quelle qu’aient été ses apparences d’indifférence, il avait été profondément affecté par la crise du printemps, et se montra sensible aux prévenances dont, dès avant son arrivée au pouvoir, Mendès sut l’entourer140. Trop prudent pour le rétablir dans son titre ambigu de « conseiller militaire du gouvernement », le président du conseil le traita néanmoins comme tel dès le départ141. Les conditions objectives d’une entente existaient donc, qui ne doivent pas être réduites à un simple concours de circonstances. Le leadership incarné par Mendès n’était pas sans rappeler aux yeux de beaucoup celui de De Gaulle. Juin, spontanément, y retrouva une pratique et une autorité. De manière significative, ces sept mois furent une période de silence : plus d’éclats, plus de scandale, la communication entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire semblait rétablie...
Le déclin (1955-1956)
51Cet état de grâce allait s’achever assez vite après février 1955, les relations avec Edgar Faure étant très vite marquées du sceau de la méfiance et de l’incompréhension. Certes, comme devait le souligner plus tard ce dernier, « l’affaire du Maroc ne pouvait être réorientée par une simple déclaration comme celle de Carthage... Songeons seulement quelle eût été la réaction du maréchal Juin si on lui avait suggéré d’aller chercher Mohamed V à Antsirabé ! »142. Il est en effet probable que le nouveau gouvernement n’aurait pas survécu à une offensive éclair en la matière143… Aussi, contrairement à son prédécesseur, Edgar Faure ne chercha pas à forcer immédiatement la décision. Au lieu d’annoncer un calendrier, de prendre des engagements, il choisit d’engager une subtile manœuvre de contournement144. Une politique dictée par la nécessité de laisser mûrir le dossier, mais qui l’obligea à laisser filer les semaines. A nouveau s’ouvrait la marge d’incertitude qui laissait accroire que le temps des tergiversations était revenu...
52Or, s’il est un domaine où l’on ne devait pas donner cette impression à Juin, c’était bien celui-ci ! Né sur cette terre du Maghreb qu’il considère comme un prolongement de la métropole, où il a fait l’essentiel de sa carrière, d’où il a vu partir le gros des troupes qui ont permis à la France de retrouver une place et un rang parmi les vainqueurs de 1945, Juin entretient un rapport existentiel avec l’Afrique du Nord : « j’en suis de ce peuplement, et par toutes mes fibres145 ! » En ce printemps 1955 où la rébellion algérienne ne s’éteint pas, où la question marocaine semble dans l’impasse, alors que les problèmes de l’Indochine et du réarmement allemand, les deux dossiers les plus brûlants de la première moitié des années cinquante, sont en passe d’être refermés, comment le maréchal ne se polariserait-il pas sur les questions d’Afrique du Nord ?
53Informé de manière précise par les responsables locaux146, il s’inquiète du pourrissement de la situation et veut prendre une part militante à la gestion du dossier. Entre le début mars et le début avril, il a ainsi plusieurs entretiens en-tête-à-tête avec le nouveau chef de l’exécutif, ponctués d’échanges de correspondance147. Peine perdue : si Edgar Faure ne refuse jamais de l’écouter, il oppose une fin de non-recevoir à ses suggestions148, et les relations entre les deux hommes se dégradent très vite. Il est vrai que le style louvoyant du chef de l’exécutif n’est pas propre à imposer le respect au maréchal149. D’autant que si le président du conseil ne manque pas de considération pour certains généraux150, Juin ne figure manifestement pas parmi les élus151…
54Membre du Comité de coordination pour l’Afrique du Nord, créé en partie à sa demande fin mai152, Juin se sent rapidement marginalisé dans ce dossier153. Après avoir tenté une nouvelle offensive154, il demande le 1er juillet à être relevé de ses fonctions au Comité, première manifestation publique de désaccord155. A nouveau, le maréchal va faire entendre sa voix pour dénoncer ce qu’il estime être une politique d’abandon et associer manœuvres en coulisses et déclarations publiques pour faire prévaloir ses vues. Après avoir, fin juillet, effectué une nouvelle démarche auprès du président du conseil156, il publie en août un article qui ne cache rien de son hostilité à la politique suivie157. S’il réussit encore à obtenir la nommination de l’un de ses proches au poste de résident général158, il ne peut en cette fin août empêcher la situation d’évoluer progressivement vers la restauration du Sultan. Resté silencieux depuis ses charges contre la C.E.D., il prononce donc à St Mihel, le 11 septembre, une condamnation sans appel de la politque gouvernementale. La présence de parlementaires comme Louis Jacquinot qui, à la même époque, mènent la charge au palais Bourbon, atteste de l’impact que l’on veut donner à cette manifestation159.
55Surtout, il multiplie les interventions en coulisses qui lui vaudront d’être, une fois encore, considéré comme l’un des chefs de file de la conspiration « archaïque et financière »160. Il est vrai que son poids demeure considérable. « Latour, le Maroc, ce n’est pas la Tunisie... », lance-t-il, fin août, au nouveau résident général, venu lui rendre visite au soir de sa nommination. « Vous ferez ma politique et si vous ne marchez pas, je vous fouterai l’émeute française au cul161 ! » Quelques semaines plus tôt, Grandval, son prédécesseur, avait lui aussi fait une démarche similaire. La réponse du maréchal pour être plus courtoise n’en était pas moins significative : « C’est-à-dire, mon cher ambassadeur, que ma confiance, je vous la donnerai en fonction de la politique que vous ferez là-bas162… » D’ailleurs, les résidents qui se succèdent ne sont pas les seuls à subir son emprise. Pour la première fois, Juin exerce en effet une influence non négligeable sur le ministre de la Défense, en la personne du général Kœnig que son origine militaire modeste rend sensible au prestige du maréchal163. La conjugaison de leurs autorités contribue à bloquer la situation et, début septembre, on va jusqu’à dépêcher un émissaire à Colombey pour obtenir de De Gaulle qu’il fasse pression sur Juin164 ! En vain...
56Le bilan de cet été 1955 qui apparait rétropectivement comme la dernière grande bataille de Juin sera tiré, quelques mois plus tard, par l’attaché militaire britannique à Paris. « Il a non seulement critiqué publiquement la politique officielle, mais a mésusé de son influence dans l’Armée pour parvenir à ses fins », résumera le brigadier Jackson165. « Pendant un moment, une curieuse combinaison associant le maréchal, le général Kœnig et le chef de cabinet militaire de ce dernier, une sorte d’inquiétante éminence grise166, le général Lecomte, est parvenue à convaincre les responsables militaires et civils de ne pas appliquer les instructions gouvernementales ».
57Pourtant, et contrairement au brillant portrait que fait de lui François Mitterrand dans L’Express, le 13 août 1955, Juin n’est plus un homme au sommet de sa puissance167. Dès cette époque, le découragement perce chez lui, et il envisage de se « retirer de la scène » en cas de restauration du Sultan168. Le dénouement de cette dernière crise marocaine, quelques semaines plus tard, s’il n’entraîne pas sa démission, l’ancre dans une analyse de plus en plus sombre de la situtation. Le successeur de Latour au poste de résident général, le préfet Dubois, ressort « pantois, interdit, stupéfait » de la visite qu’il lui a rendu et où Juin lui a brossé une vision apocalyptique de la situation qui l’attend169.
58« Il faudrait qu’en notre pays il y eût encore un État170 ! » Ce constat dressé au cœur de la dernière crise marocaine, Juin l’avait formulé une première fois en mars 1954, au lendemain de son discours contre la C.E.D.171. Une sortie qui était l’aboutissement d’une série de critiques formulées à partir du début 1952. A cette époque, on l’a vu, il avait pris l’initative d’écrire à Auriol pour appeler son attention sur les gênes considérables que l’instabilité ministérielle mettait au réarmement. Une démarche qui lui avait fourni l’occasion de souligner les dysfonctionnements du régime et d’exiger des mesures exceptionnelles pour y remédier. Les grèves d’août 1953 le renforcèrent sans aucun doute dans son analyse. Elles lui founirent en effet matière à une nouvelle lettre confidentielle où, inquiet de la déliquescence de la puissance publique, le maréchal recommandait une limitation du droit de grève en temps de paix172.
59En contrepoint, l’expérience Mendès France lui avait semblé pleine de promesses pour le pays. « Vous lui aviez imprimé cependant un très beau mouvement dès les premières semaines de votre gouvernement », devait-il écrire au président du conseil, quelques jours après la chute de son gouvernement. « Mais le mal est dans la peau », ajoutait-il immédiatement, « inextirpable et paralysant tout essor. Il tient à des vices de nature et constitutionnels »173. Voilà qui explique qu’il n’hésite plus à formuler son diagnostique de manière publique. Une prise de position qui provoque quelques remous... A la sortie du comité de Défense nationale, le 5 août, Edgar Faure l’interpelle : « Pourquoi dites-vous qu’il n’y a plus d’État ? Vous êtes pourtant un grand serviteur de l’État… ». Mais Juin de rétorquer : « Oui, c’est justement pour cela. Je voudrais bien être le grand serviteur de quelque chose ! »174. Un sentiment d’impuissance se fait jour chez lui, qui va le conduire à chercher d’autres moyens d’influence à l’heure où les menaces s’accumulent, et rendraient criminelles de nouvelles palinodies.
60C’est le sens qu’il faut donner au courrier qu’il envoie à de Gaulle, le 3 mai 1956, deux ans jour pour jour avant les événements qui le ramèneront au pouvoir175. Leurs rencontres n’ont jamais cessé depuis 1946, plus encore à partir du retour de Juin en métropole176. En 1953-1954, ils ont avec succès uni leurs interventions pour « torpiller » la C.E.D. et préserver une part de la France étemelle. Aujourd’hui, l’Algérie, mérite autant et même plus... « Je me suis efforcé, dans la limite de mes moyens, de faire entendre ma voix », écrit Juin à son camarade. « Mais le moment semble venu de lancer, sous la forme d’un message tel celui que tu prononças le 18 juin et qui redonna à la France l’espérance qu’elle croyait avoir perdue, un appel solennel à la Nation toute entière pour tenter de susciter un sursaut national de salut public en lui faisant prendre l’exacte mesure des terribles dangers qui résulteraient de la perte de l’Algérie177. »
61La fin de non-recevoir que lui oppose de Gaulle ne l’arrête pas. La partie qui se joue outre-Méditerranée est en effet devenue pour lui une véritable hantise. Ne propose-t-il pas à la même époque au gouvernement de créer un commandement unique en Afrique du Nord, s’offrant pour assumer cette fonction178 ? Sans résultat, à nouveau179… Décidément son heure est passée comme le prouve, quelques semaines plus tard, le déroulement de l’affaire de Suez. Pour la première fois depuis de longues années, le maréchal est tenu à l’écart de la gestion d’une crise majeure. Il est vrai qu’il avait annoncé fin juin son intention de quitter son commandement atlantique à l’automne : la crise le trouve donc en instance de départ180… Et ses responsabilités nationales ne sont plus que symboliques181. Marginalisé, il est à la recherche de nouveaux moyens d’influence. Une situation qui justifie l’initiative spectaculaire qu’il prend au lendemain de la crise, de concert avec l’un de ses glorieux aînés.
62Le 30 novembre 1956, le maréchal écrit en effet directement à Eisenhower en compagnie du général Weygand, vaisemblablement à l’insu du gouvernement182. Le message est remis en mains propres au président par l’attaché militaire adjoint à Washington. Il vise, selon Juin, à lui « apporter le témoignage de l’identité de nos vues et de nos sentiments quant aux inquiétudes que nous éprouvons à l’égard de l’efficacité et de l’avenir du Pacte atlantique »183. En fait, au travers des leçons qu’ils tirent de la crise qui vient de s’achever, c’est le procès de l’attitude américaine à l’égard du conflit algérien qu’instruisent les deux hommes. La gravité de la situation justifie à leurs yeux de s’affranchir des traditionnelles règles de subordination au pouvoir politique. Comme l’explique Juin au général Gruenther, son ancien patron O.T.A.N., qui vient d’être nommé à la tête des Forces armées américaines, « il s’agit d’un message adressé à un soldat par deux autres soldats, représentant l’armée française d’aujourd’hui et celle d’hier »184.
63En cette fin 1956, Juin est manifestement persuadé d’avoir épuisé les voies habituelles du dialogue avec le pouvoir politique, et se tourne vers cette autre source de légitimité que donne, à ses yeux, la communauté des armes. « Je ne fais de politique qu’en ce qui concerne la sécurité nationale de la France, ses intérêts supérieurs », déclarait le maréchal dès septembre 1953. « Je reste un soldat »185. Sa démarche à l’égard d’Eisenhower, pour spectaculaire qu’elle soit, s’inscrit dans le cadre de cette définition. Elle trouve son complément, et son contrepoint, dans l’appel qu’il adressait six mois plus tôt à de Gaulle. C’est à lui, et pas au maréchal de France, qu’il appartient d’incarner la dimension proprement politique de la défense des intérêts supérieurs du pays. Juin passe le relais, hommage éloquent rendu à l’homme du 18 juin par celui qui, jusqu’en novembre 1942, suivit un autre chemin186…
64Au terme de cette évocation, le contemporain d’une Cinquième République bien établie reste médusé par la liberté dont bénéficia Alphonse Juin. Imagine-t-on aujourd’hui un officier général en activité dénoncer publiquement la politique du gouvernement ? Les désaccords – et ils existent...– restent strictement cantonnés aux coulisses du pouvoir, seules quelques indiscrétions dans les médias en laissant parfois deviner la teneur. Certes, le maréchal n’a pas eu de successeur, et aucun chef militaire n’a depuis accumulé suffisamment de lauriers pour pouvoir se prévaloir d’une autorité équivalente. Il n’empêche : depuis 1962, les politiques ont obtenu des généraux une obéissance sans failles et les éclats du dernier maréchal appartiennent bien à un autre temps187.
65Publiques ou secrètes, ses interventions ont en tout cas atteint un niveau record qui amène à poser une question simple : au fond, pareille attitude était-elle acceptable ? Non, vraiment non. Y souscrire revenait à concéder à Juin un droit de regard sur une part essentielle des dossiers de politique extérieure. Au nom de quoi ? Un bâton de maréchal n’a jamais remplacé le suffrage universel. Par ailleurs, Cassandre aurait été autrement plus convainquante si ses prophéties n’avaient été entâchées d’un certain nombre d’omissions. La guerre d’Indochine n’a jamais bénéficié des mêmes soins que les questions nord-africaines ou la C.E.D. Depuis 1952 au moins, le maréchal estimait pourtant sans issue le combat qui se livrait en Extrême-Orient188…
66Il n’a pas manqué d’analystes lucides pour dénoncer ses dérapages. Mais, même au plus haut sommet de l’État, on a préféré l’attentisme189. Alors que Juin avait pris au Maroc des habitudes d’indépendance dont il refusait de se défaire de retour en métropole, le pouvoir républicain n’hésita pas à accorder à ce proconsul indiscipliné l’imperium suprême que représentait le maréchalat ! Au lieu de lui tenir les rênes courtes, on le couvrait d’honneurs... Comment ne pas être sidéré par tant d’inconséquence ? Mais on avait trop besoin d’exhiber le vainqueur du Garigliano dans les cénacles interalliés190. Les autres généraux n’avaient ni son prestige, ni sa compétence. Certains comme Billotte ou Kœnig restaient trop marqués politiquement, en une époque où les gaullistes faisaient figure d’adversaires irréductibles...
67Au final, le comportement de Juin peut être interprêté comme l’une des multiples conséquences du traumatisme de 1940. On sait avec quelles difficultés fut finalement adoptée la constitution de la Quatrième. Comment, dans ces conditions, une société politique qui se révélait structurellement incapable de se réformer, aurait-elle pû refonder ses relations avec la haute armée ? Ayant à nouveau engendré un système de déresponsabilisation collective, y compris en matière de défense, la classe dirigeante s’exposait à subir de manière croissante l’interventionnisme des chefs militaires. Une situation de paix eut permis de masquer, partiellement au moins, l’inadéquation du système. Mais la Guerre froide était là, qui projettait son ombre sur tout. De la décolonisation à la défense de l’Europe, les grands dossiers étaient nombreux qui requéraient cette continuité politique que le régime était structurellement incapable de donner.
68Le poids extraordinaire de Juin fut donc d’abord un poids par défaut. Contrairement à d’autres, qui s’y refusèrent, il choisit de peser politiquement au nom de l’expérience des années de guerre et en vertu d’un prestige dont bien peu pouvaient se prévaloir à son niveau. Pouvait-il rester à l’écart ? Dans un système oscillant en permanence au gré des indécisions parlementaires, sa réputation représentait une force que de nombreux acteurs entendaient capitaliser. Volens, nolens, le dernier maréchal de France était entraîné sur le devant de la scène...
69En attendant que de Gaulle ne rétablisse l’organisation politico-militaire qu’il avait dessinée à la fin de la guerre et qui avait été si soigneusement démantelée par ses successeurs, son camarade de promotion a cherché à s’adapter, à sa manière. « Le maréchal Juin, selon moi, a tort de se croire moins tenu d’obéïr qu’un trompette », devait noter Mauriac au lendemain de la manifestation houleuse de l’Étoile, le 6 avril 1954. « Mais ces messieurs du gouvernement ont tort, eux aussi, de s’étonner si leurs actes politiques les suivent »191.
Notes de bas de page
1 Pour aborder cette période, le point de départ demeure les mémoires du maréchal (Alphonse Juin, Mémoires, T. II, Paris, Fayard, 1960, 375 p.), largement inspirées des archives aujourd’hui déposées au Service historique de l’armée de Terre (S.H.A.T., fond 1 K 238), à Vincennes, et des nombreux articles publiés après guerre par leur auteur. En dépit de leurs arrangements avec l’histoire et de leur caractère de plaidoyer pro domo, ils demeurent une source de renseignements importante. On complètera avec les biographies de qualité inégale qui lui ont été consacrées. Publié immédiatement après sa disparition, l’ouvrage de l’un de ses anciens d’Italie (René Chambe (général), Le maréchal Juin, « duc de Garigliano », Paris, 1re éd., Presses de la Cité, 1968, 439 p., 2e éd., Plon, 1983) est plus un témoignage de foi qu’une œuvre d’historien, et ne consacre qu’une part réduite aux années d’après-guerre. Il a fallu attendre plus de vingt ans pour que soit publiée une première biographie utilisant les archives (Bernard Pujo, Juin, Maréchal de France, Paris, Albin Michel, 1988, 407 p.). Aide de camp du maréchal en 1953-1955, puis membre de son cabinet en 1958-1959, son auteur a réalisé un travail solide, servi par sa connaissance de l’homme, mais également marqué par sa proximité. A retenir également, le petit essai fort suggestif d’un historien britannique (Anthony Clayton, Three Marshals of France. Leadership after Trauma, Londres, Brassey’s, 1992, 203 p.) qui, à partir de sources secondaires, mais avec un recul dont bénéficient encore rarement les travaux français, tente une analyse comparée des itinéraires de Leclerc, de Lattre et Juin.
2 Alphonse Juin, Trois siècles d’obéissance militaire, 1690-1963, Paris, Plon, 1964, 210 p.
3 Fait prisonnier à Lille le 29 mai 1940, après une résistance héroïque à la tête de sa division, Juin avait été interné dans la célèbre forteresse de Königstein d’où il fut libéré, le 15 juin 1941, à l’issue des demandes réitérées du gouvernement français et en contrepartie de la signature des protocoles de Paris. Pujo, op. cit., p. 84-89.
4 A son retour d’Allemagne, il reçoit le commandement des forces terrestres du Maroc (Pujo, op. cit., p. 92-94). Surtout, le 20 novembre, il est nommé commandant en chef des forces terrestres et aériennes ainsi que des éléments de défense du littoral en Afrique du Nord, récupérant une partie des vastes pouvoirs détenus jusque-là par Weygand. Ibid., p. 95.
5 Sa mission à Berlin en décembre 1941, comme son rôle exact avant et pendant le débarquement allié en Afrique du Nord, susciteront après coup interrogations et polémiques. Que ce soit chez les Français libres avec le général de Larminat (Pujo, op. cit., p. 158), ou chez certains membres du C.F.L.N avec le commissaire à la Guerre et à l’Air, le socialiste Le Troquer (cf. n. 38), nombreux seront ceux à Alger qui tenteront de le mettre en cause. En vain, à chaque fois... Il est vrai qu’à l’issue du travail de la Commission spéciale d’enquête de Tunisie, instituée le 3 septembre 1943 sous la présidence du doyen de la Faculté de droit d’Alger, le professeur Viard, « les responsabilités de Juin sont établies mais vite étouffées et il n’y sera pas donné suite ». Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939- 1945, Paris, Albin Michel, 1998, p. 327. Cf. également n. 15.
6 Il a contribué de manière décisive à la percée de la ligne Gustav et à la marche sur Rome. Pujo, op. cil., p. 131-149 et p. 159-208.
7 On relèvera néanmoins les analyses pionnières de Jean Planchais (Le malaise de l’armée, Paris, Plon, 1958, p. 56-58, et surtout, Une histoire politique de l’armée, t. II, « 1940- 1967 : De de Gaulle à de Gaulle », Paris, Seuil, 1967, p. 98 et 245-253) ou de Georgette Elgey (Histoire de la IVe République, 2e partie : « La République des Contradictions (1951-1954) », Paris, Fayard, 2e éd., 1993, p. 484-487). Charles-André Julien a livré un portrait fouillé du maréchal, mais non dénué de parti-pris et centré sur les questions marocaines (Le Maroc face aux impérialismes, 1415-1956, Paris, Éditions Jeune Afrique, 1978, spécialement les p. 203- 220 et 230-240).
8 Claude d’Abzac-Épezy, Christine Levisse-Touzé, Jean Delmas, Jacques Frémeaux, Sébastien Laurent, Philippe Masson et Georges-Henri Soutou ont bien voulu relire cette étude. Qu’ils en soient ici vivement remerciés, tant pour leurs critiques que pour les compléments d’information qu’ils lui ont apportés.
9 La presse communiste se montrera spécialement friande en la matière (Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, 1re partie : « La République des Illusions (1945-1951) », Paris, Fayard, 2e éd., 1993, p. 141), mais sera loin d’être la seule. En témoigne la violente mise en cause à laquelle se livre de Lattre devant le président de la République, le 26 février 1947 (Vincent Auriol, Journal du Septennat (1947-1954), Paris, A. Colin, t. I, « 1947 », édité par Pierre Nora, 1970, p. 102). Des critiques qui portent, sans toutefois éclipser ses mérites, comme le prouve l’allusion d’Auriol au moment de sa nomination à Rabat : « Juin a un départ fâcheux, c’est entendu, Condé aussi, Turenne aussi, mais c’est le vainqueur d’Italie... ». Ibid., p. 229.
10 Juin, op. cit., p. 135.
11 Camarades en 1910-1912 à Saint-Cyr, où Juin est le major de leur promotion, les deux hommes ne s’y sont pas spécialement liés. Le reste de leur carrière ne leur a guère fourni d’autres occasions, même si en 1925-1927, l’aide de camp de Lyautey a souvent croisé, aux Invalides, l’officier de plume de Pétain (Pujo, op. cit., p. 59). Juin a en effet effectué l’essentiel de sa carrière en Afrique du Nord quand de Gaulle restait en Europe, à l’exception de deux années au Levant, en 1930-1931. Pourtant, comme le note Pujo, op. cit., p. 23, « l’empreinte indélébile de la camaraderie de Saint-Cyr les marquera tous les deux. Au-delà du tutoiement conservé dans leurs relations, quelles qu’en ait été les péripéties, il demeurera très longtemps entre eux une certaine connivence que seuls des événements tragiques finiront, sur le tard, par briser ».
12 Juin, op. cit., p. 113.
13 Ibid., p. 115, et surtout p. 134. Sa présence à Strasbourg, le 7 avril 1947, le jour où de Gaulle annonce la création du R.P.F., semble probable : cf. Planchais, Une histoire..., op. cit., p. 166-167.
14 Elle lui a conféré, note-t-il, « comme une sorte d’infaillibilité ». Ibid., p. 114.
15 S’il ne faut pas sous-estimer l’appui que Juin apporta très tôt à de Gaulle dans sa rivalité avec Giraud (Pujo, op. cit., p. 154-157), comme son intérêt à pouvoir compter sur un chef de guerre qui savait aussi se montrer diplomate, l’inverse est au moins également vrai. Le soutien du Général s’est en effet révélé décisif à Alger pour endiguer les accusations répétées dont le comportement de Juin dans les années 1941-1942 était l’objet (cf. n. 5). Preuve de l’importance des menaces, Juin rédigea personnellement durant l’été 1943 un long mémorandum pour se justifier, qu’il laissa en mains sûres avant de s’embarquer pour l’Italie (Philippe Vial et Nicolas Vaicbourdt, « De soldat à soldat : Juin, Weygand, Eisenhower et les leçons de Suez (novembre-décembre 1956) », in La France et l’opération de Suez de 1956, sous la direction de Maurice Vaïsse, Paris, A.D.D.I.M., 1997, p. 277). Au total, l’association Juin/de Gaulle des années 1943-1946 apparait autant motivée par de solides intérêts mutuels que par « leurs sentiments de réciproque estime » (Pujo, op. cit., p. 155).
16 « Ce départ devait me laisser désemparé pendant plus de deux mois, habitué que j’étais à traiter directement, et d’homme à homme, avec le général de Gaulle les affaires entrant dans mes attributions ». Juin, op. cit., p. 116. Sur le fonctionnement efficace de ce tandem pendant les années 1944-1945, cf. également Jean Lacouture, De Gaulle, t. II, « Le politique (1944- 1959) », Paris, Seuil, 1985, p. 59.
17 Juin, Ibid. Une insistance à rapprocher bien évidemment de la conviction de De Gaulle, qui veut croire que son départ ne sera que temporaire. En avril, Juin viendra ainsi prendre ses consignes avant de partir pour l’Extrême-Orient. Ibid., p. 118.
18 Lacouture, op. cit., p. 260, mais aussi p. 255.
19 Cf. Institut d’Histoire du Temps présent et Institut Charles De Gaulle, De Gaulle et la nation face aux problèmes de défense, 1945-1946, Paris, Plon, 1983, p. 47-53 et p. 171-214, mais aussi les propos que tient Juin en octobre devant des officiers britanniques (British Military Mission to France), Monthly Report n° 15, November 1st, 1946, Public Record Office (désormais P.R.O.), Foreign Office (désormais F.O.) 371/59 950.
20 Juin, op. cit., p. 116.
21 Bernard Chantebout, L’organisation générale de la Défense nationale en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, 1967, p. 103-104.
22 Ibid.
23 Ibid., p. 148-149.
24 Juin, op. cit., p. 134. Après l’Extrême-Orient en avril 1946, il s’est rendu en novembre au Brésil. Pujo, op. cit., p. 240-243.
25 Lettre au président du conseil, 17 février 1947, S.H.A.T. 1 K 238/6, et Juin, op. cit., p. 135. Sur la suite de ses refus, en 1950 et en 1954, cf. n. 60.
26 Même s’il se défendra de l’avoir recherchée... Un démenti peu crédible : comme le relève son biographe, au printemps 1946, déjà, son nom avait été prononcé, avec ceux de Leclerc et de Labonne, pour remplacer Puaux. Pujo, op. cit., p. 246, et surtout Julien, op. cit., p. 203-206.
27 Juin, op. cit., p. 113.
28 Pujo, op. cit., p. 250. Cf. aussi Jean Planchais, L’empire embrasé (1946-1962), Paris, Denoël, 1990, p. 125.
29 Même si, compte tenu des traditions en la matière, on peut estimer avec Julien, op. cit., p. 201 et 206-207, qu’il les inspira au Quai d’Orsay, on doit souligner que Juin n’est pas à lui seul le deus ex machina de la politique marocaine. Compte tenu de sa carrière, le nouveau résident général fait certes figure d’expert aux yeux de la plupart des dirigeants français. Mais comme en témoigne Auriol, op. cit., t. I, p. 228-229, c’est le conseil des ministres qui décide de la conduite à tenir et retient les options défendues par Ramadier et Bidault.
30 Planchais, Le malaise..., op. cit., p. 25.
31 Ibid., mais aussi Jacques Valette, La France et l’Afrique. L’Afrique française du Nord de 1914 à 1962, Paris, S.E.D.E.S., 1993, p. 129.
32 Vial et Vaicbourdt, op. cit., p. 310-311, n. 31.
33 Contacté personnellement par Ramadier, alors ministre de la Défense, Juin se rend à Paris pour expliquer son refus, qu’il maintient malgré l’insistance conjointe des présidents du conseil et de la République... Cf. Philippe Vial, « Le militaire et le politique : le maréchal Juin et le général Ély face à la C.E.D. (1948-1954) » in L’échec de la C.E.D., leçons pour demain ?, sous la direction de Michel Dumoulin, Berne, Peter Lang, à paraître en 1999. Cette étude a également été publiée dans le Bulletin de l’institut Pierre Renouvin, 1-2 (1996), p. 51-76.
34 Le maréchal a reproduit l’intégralité de cette correspondance dans ses mémoires, op. cit., p. 166-171. Cf. également S.H.A.T., 1 K 238/5.
35 Juin, op. cit., p. 165. Une analyse partagée par Planchais, L’Empire…, op. cit., p. 127.
36 Juin, op. cit., p. 171.
37 Valette, op. cit., p. 110.
38 Commissaire à la Guerre et à l’Air du Comité Français de Libération Nationale de novembre 1943 à avril 1944, Le Troquer « s’était efforcé de faire passer Juin devant un tribunal car il le jugeait responsable de l’entrée des Allemands en Tunisie au lendemain du 8 novembre 1942 ». Claude Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t. I, « Le guêpier, 1945-1954 », Paris, R. Laffont, 1969, p. 373-374.
39 L’Istiqlal, « le parti de l’Indépendance », est le principal mouvement nationaliste marocain.
40 Paillat, op. cit., t. I, p. 354, constate : « Un simple déplacement de voix au parlement – c’est chose aisée – peut provoquer à la fois la chute du gouvernement et le rappel du résident général ». Cf. aussi ibid., p. 496.
41 Georges Spillmann (général), Du protectorat à l’indépendance. Maroc, 1912-1955, Paris, Plon, 1967, p. 147-148 ; Julien, op. cit., p. 230-233.
42 Paillat, op. cit., t. I, p. 475.
43 Valette, op. cit., p. 137-141, qui intitule fort justement ce développement : « Au Maroc, le drame de l’inaction forcée. »
44 Spillmann, op. cit., p. 143-144 et 155.
45 Ibid., p. 149. Planchais, L’Empire…, op. cit., p. 128.
46 Planchais, L’Empire…, op. cit., p. 125 ou 133, et surtout Valette, op. cit., p. 110-112.
47 Julien, op. cit., p. 206, mais aussi Spillmann, op. cit., p. 144.
48 Spillmann, op. cit., p. 142-143 ; Paillat, op. cit., t. I, p. 368 ; Julien, op. cit., p. 220.
49 Julien, ibid., offre tout un florilège de citations extraites du Journal du Septennat.
50 Julien, op. cit., p. 192-195 et 213 ; Paillat, op. cit., t. I, p. 500, reproduit l’essentiel du véritable ultimatum adressé par Juin à Schuman en septembre 1951 ; pour le texte intégral, cf. S.H.A.T., 1 K 238/3.
51 Julien, op. cit., p. 238-239.
52 Paillat, op. cit., t. I, p. 478 et 486 ; Spillmann, op. cit., p. 146, qui cite de larges extraits du courrier adressé le 1er mai 1950 par Juin à Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères.
53 Bien que Juin ait toujours nié l’avoir employée, son existence ne semble guère faire de doute : cf. Julien, op. cit., p. 235-236.
54 L’analyse fouillée de Julien, op. cit., p. 235, n. 179, a récemment été corroborée par le témoignage de Michel Poniatowski, Mémoires, Paris, Plon-Le Rocher, 1997, p. 250, alors jeune inspecteur des Finances en poste au Maroc.
55 Paillat, op. cit., 1.1, p. 368-479 ; Spillmann, op. cit., p. 150-151 ; Planchais, L’Empire…, op. cit., p. 129-130 ; Valette, op. cit., p. 142 et 147.
56 C’est la thèse défendue par Julien, op. cit., p. 238-239, et surtout Elgey, op. cit, 1re partie, p. 621.
57 Juin, Le Maghreb en feu, Paris, Plon, 1957, p. 82 ; Mémoires, op. cit., p. 203.
58 Général Boyer de Latour, « Les problèmes marocains à l’automne 1951 », 30 septembre 1951. L’aveu est d’autant plus intéressant que, comme le souligne Elgey, qui a révélé ce document, op. cit., t. II, p. 463, il s’agit du seul passage que le général Boyer de Latour a modifié lorsqu’il l’a publié dans son livre de souvenirs, Vérités sur l’Afrique du Nord, Paris, Plon, 1956, p. 22.
59 Cf. en particulier ce que Pujo, op. cit., p. 276, dit de son état d’esprit à l’été 1951.
60 Juin, Mémoires, op. cit., p. 194-196. Il s’agit du second refus de Juin en la matière, après celui de 1947 (cf. n. 25), et en attendant celui de juin 1954 (Pujo, op. cit., p. 312-313, mais aussi Edgar Faure, Mémoires, t. I, « Avoir toujours raison... c’est un grand tort », Paris, Plon, 1982, p. 567). Julien, op. cit., p. 213, souligne à juste titre l’importance démesurée du facteur marocain dans cette décision, mais fait trop peu de cas des nécessités du réarmement en Europe comme du scepticisme profond de Juin à l’égard du conflit indochinois.
61 « Il s’agit de brandir dans les organismes alliés, où la surrenchère est de règle, un vainqueur français de la dernière guerre ». Planchais, Une histoire..., op. cit., p. 240.
62 Ibid., p. 239 ; pour le détail de ses attributions, on se reportera à Chantebout, op. cit., p. 79 et 173.
63 Planchais, Une histoire..., op. cit., p. 238.
64 Chantebout, op. cit., p. 157.
65 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1950, mars 1951, P.R.O., F.O. 371/96 073.
66 Cf. par exemple Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1951, mars 1952, PR. O., F.O. 371/101 766.
67 Chantebout, op. cit., p. 79.
68 Juin, op. cit., p. 217.
69 Chantebout, ibid.
70 « Juin reste propriétaire de la charge », relève Elgey, op. cit., 2e partie, p. 454.
71 Juin, op. cit., p. 211.
72 Lettre au président du conseil, 10 juillet 1951, S.H.A.T., 1 K 238/3. Le texte en a été publié pour la première fois par Juin dans Le Maghreb…, op. cit., p. 183-185, puis dans ses mémoires, op. cit., p. 208-211. On le trouve également chez Auriol, op. cit., t. V, « 1951 », édité par Laurent Theis, 1975, p. 312-314.
73 Auriol, ibid., p. 312.
74 Le gouvernement Edgar Faure vient d’être renversé après seulement deux mois d’existence, pour avoir demandé une majoration de 15 % des impôts. Elle était destinée à financer l’effort supplémentaire en matière de réarmement que venait de décider le sommet atlantique de Lisbonne. Elgey, op. cit., 2e partie, p. 313-317.
75 Auriol, op. cit., t. VI, « 1952 », édité par Dominique Boché, 1978, p. 181-183.
76 En reprenant presque mot pour mot les formules employées en juillet 1951 : « Vous voulez faire votre Mac Arthur ? Ça ne réussira pas chez nous ». Ibid., p. 181.
77 Ibid., p. 184.
78 Une consécration dont l’initiateur n’est autre que l’un de ses anciens compagnons du C.E.F., le général Chambe, qui profita de l’élection de l’un de ses gendres comme député, en juin 1951, pour lancer l’affaire. Juin, de Lattre et... Weygand furent pressentis, mais ce dernier, sagement, se récusa. Accueillie dans le scepticisme, cette initiative trouva un nouveau souffle dans les premiers jours de 1952 lorsque l’on apprit que de Lattre était dans un état désespéré. Au lendemain de son décès, le Parlement vota à l’unanimité, le 15 janvier, le projet de loi lui conférant à titre posthume la dignité de maréchal de France. Juin, quant à lui, y fut élevé par un décrêt publié au Journal officiel du 8 mai, qui associait le nom de Leclerc au sien : la France libre n’était pas oubliée... Chambe, op. cit., p. 309-336, qui reproduit de nombreux documents originaux.
79 L’histoire des relations tumultueuses entre les deux maréchaux reste encore largement à écrire... Entré à Saint-Cyr un an après Juin, de Lattre suivit une carrière rigoureusement parallèle à la sienne, ce qui les amena assez vite à entrer en rivalité en dépit d’une camaraderie scellée durant la guerre du Rif. La Seconde Guerre mondiale ne fit qu’exacerber ces tensions et marqua un tournant dans leurs relations, désormais plus marquées par la méfiance que par la compréhension. Cf. n. 9 et Pujo, op. cit., en particulier p. 19, 46-49, 59, 72, 99- 101, 179-180, 205 et 223-225. Les analyses développées à ce sujet par Clayton, op. cit., ne manquent pas d’intérêt.
80 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1952, mai 1953, P.R.O., F.O. 371/107 465. En une époque où chaque armée correspond encore à un département ministériel distinct, l’armée au sens générique est tout sauf un bloc monolithique. Bien qu’inspecteur général des trois armées – ce qui constitue une première – Juin reste donc d’abord le patron de l’armée de Terre. Si la cordialité de ses rapports avec les marins ne fait aucun doute – Juin n’a-t-il pas songé à rejoindre leurs rangs avant d’opter pour Saint-Cyr ? – ses relations avec les aviateurs ont certainement été marquées du souvenir des graves démêlés qu’il avait eu avec eux en 1946, sur les questions de doctrine d’emploi. Cf. Pujo, op. cit., p. 16-17, son témoignage recueilli par l’auteur, 19 février 1995, et Patrick Façon, « Le général Gérardot, un chef d’état-major éphémère », Revue historique des Armées, 3 (1996), p. 40.
81 Planchais, Le malaise..., op. cit., p. 56 ; Pujo, op. cit., p. 300 et 306.
82 Il est élu le 22 novembre 1952 au fauteuil de Jean Tharaud, chantre du Maroc colonial, et dont l’un des prédécesseurs sous la coupole n’était autre que Barrès. Planchais, Une histoire..., op. cit., p. 247.
83 François Mauriac, Bloc-notes, 1.1, « 1952-1957 », 4 juin 1955, édité par Jean Touzot, Paris, Seuil, p. 280.
84 Au lendemain de la guerre, de nombreux officiers généraux américains ou britanniques avaient reçu un grade équivalent à la dignité de maréchal : General of the Army ou Admiral of the Fleet aux U.S.A. ; Field Marshal of England ou Admirai of the Fleet au Royaume-Uni (liste complète in Chambe, op. cit., p. 310-311). Seul le bâton de maréchal pouvait donc conférer à Juin un rang comparable à celui d’Eisenhower, Bradley ou Montgomery... A la veille du remplacement d’Eisenhower par Ridgway qui, lui, n’était pas General of the Army, il pouvait sembler particulièrement opportun de hisser Juin au niveau de ses plus prestigieux homologues anglo-saxons. D’autant que Paris continuait à revendiquer pour lui le commandement interarmées du secteur Centre-Europe (et non plus des seules forces terrestres). Cf. Clayton, op. cit., p. 180 et L’année politique 1952, op. cit., p. 337.
85 Auriol, op. cit., t. VI, 19 juin 1952, p. 398.
86 Planchais, Une histoire..., op. cit., p. 246. Pujo, op. cit., p. 286, cite le discours de Juin à Verdun, mais glisse sur ses déclarations du 25. Quant au maréchal, il ne souffle mot ni de l’un, ni des autres !
87 Texte intégral in L’année politique 1952, Paris, PUF, 1953, p. 556-557.
88 Pour l’ensemble de cet épiosde, cf. Auriol, op. cit., t. VI, p. 412-413.
89 L’ensemble de ce développement est tiré de Vial, « Le militaire et le politique... », op. cit.
90 Planchais, Une histoire..., op. cit., p. 247.
91 Révélé par Elgey, op. cit., 2e partie, p. 326, cet épisode a été étudié en détail par Pierre Guillen, « Les chefs militaires français, le réarmement de l’Allemagne et la C.E.D. (1950- 1954) » in Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et des conflits contemporains, 129 (1983), p. 24-26.
92 Lettre du maréchal Juin au président du conseil, René Mayer, 21 avril 1953, S.H.A.T., 1 K 238/5.
93 Dès avant sa nommination au commandement des seules forces terrestres du secteur Centre-Europe, en septembre 1951, Juin souhaitait vivement contrôler l’ensemble des moyens déployés sur ce théâtre. La satisfaction de cette vieille revendication, au début de l’été 1953, en augmentant encore le poids des charges qui pesaient sur lui, donna une acuité supplémentaire aux critiques formulées depuis deux ans par les alliés et fournit au gouvernement une occasion rêvée pour amoindrir significativement son rôle sur le plan national. En lui retirant l’inspection générale des Forces armées, le décret du 18 août 1953 le priva de la présidence du comité des chefs d’état-major, désormais confiée à Ély, nouveau chef d’état-major général des Forces armées. Une décision qui constituait un véritable camouflet, Juin ayant clairement exprimé son souhait de privilégier ses responsabilités nationales, et de n’accepter sa promotion atlantique que pour un trimestre... Vial, op. cit.
94 Même si l’intéressé s’est bien gardé de le relever dans ses mémoires, préférant insister sur sa promotion atlantique. Un silence qui s’apparente à un mensonge par omission dans la mesure où, en ne soufflant mot de cette décharge, Juin laisse accroire que celle-ci n’est intervenue qu’au printemps suivant, comme une conséquence du discours d’Auxerre ! Juin, op. cit., p. 251.
95 « J’ai toujours pensé qu’au sommet de la hiérarchie la discipline pouvait ne pas être la même pour les maréchaux de France et pour les caporaux », aurait lancé Lyautey à Pétain, venu lui succéder comme commandant en chef des troupes au Maroc en 1925. Pujo, op. cit., p. 53, et p. 304, pour la déclaration du 31 mars 1954.
96 Un principe néanmoins à géométrie variable, comme le prouve à la même époque son silence à propos de la guerre d’Indochine. Cf. n. 188.
97 Témoignage du colonel Pujo recueilli par l’auteur, 19 février 1995.
98 Juin, op. cit., p. 251. L’emploi de la formule à l’époque est attesté par celui qui était alors son chef d’état-major à l’O.T.A.N., le général Henri Navarre, Le Temps des vérités, Paris, Plon, 1979, p. 224.
99 Parmi tant d’autres, on lira avec attention les pages consacrées à cet épisode par le journaliste Jean-André Faucher, L’agonie d’un régime, Paris, Éditions Atlantic, 1959, p. 91-92.
100 La formule est de Jacques Fauvet, La Quatrième République, Paris, Fayard, 1959, p. 336.
101 Pujo, op. cit., p. 307-308, a confirmé de manière détaillée ce que Fauchet, op. cit., p. 94, et Toumoux, Secrets d’État, Paris, Plon, 1960, p. 83, avaient révélé. Sur le rôle de certains gaullistes, cf. également Elgey, op. cit., 2e partie, p. 590, ou Faure, op. cit., t. I, p. 558.
102 Planchais, Le malaise..., op. cit., p. 56, et infra « Du technique au politique : à la rubrique « Défense » du journal Le Monde (1945-1965) ».
103 Faucher, op. cit., p. 72.
104 Elgey, ibid., p. 160 et 484-487 ; Faucher, op. cit., p. 66-67 et 72-73. Des analyses à l’unisson de celle développée à l’époque par l’attaché militaire britannique à Paris : cf. Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1953, printemps 1954, P.R.O., FO. 371/112 806.
105 Elgey, ibid., p. 487.
106 Cf. par exemple l’article publié par Mauriac, « Une faillite spirituelle », in Terre humaine, sept.-oct. 1953.
107 Bon résumé in Valette, op. cit., p. 142-147 ; récit détaillé in Julien, op. cit., p. 245-314.
108 Paillat, op. cit., t. I, p. 546.
109 Avec une candeur qui ne manque pas de sel... Juin, Le Maghreb…, op. cit., p. 83-84.
110 Augustin Guillaume (général), Homme de guerre, Paris, France-Empire, 1977, p. 230.
111 Jean Lacouture, François Mauriac, Paris, Seuil, 1980, p. 468.
112 Julien, op. cit., p. 284.
113 L’année politique 1953, Paris, PUF, 1954, p. 234. Cette analyse, présentée à l’époque comme la thèse des nationalistes (Spillmann, op. cit., p. 163) sera validée, des années plus tard, par le général Guillaume, op. cit., p. 262, qui admettra que le rassemblement fut « une sorte de manœuvre destinée à faire pression sur Sidi Mohamed ».
114 Pujo, op. cit., p. 297.
115 Le meilleur récit est sans doute celui d’Elgey, op. cit., 2e partie, p. 466-467 ; on consultera également Planchais, Une histoire…, op. cit., t. II, p. 247-248, et Lacouture, op. cit., p. 468-469.
116 Elgey, ibid., p. 459-460, et surtout Lacouture, ibid., p. 446-493.
117 C’est le titre que Mauriac donnera à sa réponse du 30 juin dans Le Figaro, et dont Lacouture, op. cit., p. 469-470, a publié de larges extraits.
118 Faure, op. cit., t. I, p. 488-489.
119 Une analyse bien évidemment partagée par Julien, op. cit., p. 292 ou 304-305.
120 Juin, Le Maghreb…, op. cit., p. 88.
121 Auriol, op. cit., t. VII, « 1953-1954 », édité par Jacques Ozouf, 1971, p. 366.
122 Lacouture, Mauriac, op. cit., p. 468.
123 « Le Maghreb, domaine réservé », note Julien, op. cit., p. 214.
124 Ne serait-ce que parce que, depuis le printemps 1951, ce droit lui est officiellement reconnu pour l’ensemble des nominations d’officiers généraux (cf. n. 62). Il contrôle de ce fait tout le système de commandement en Afrique du Nord.
125 Auriol, ibid., p. 721, n. 76.
126 Claude Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t. II, « La Liquidation, 1954- 1962 », Paris, R. Laffont, 1972, p. 28.
127 Auriol, op. cit., t. VII, p. 380.
128 Julien, op. cit., p. 303.
129 Ibid., p. 256 ; Spillmann, op. cit., p. 157 ou 161.
130 Pujo, op. cit., p. 314-318 ; Paillat, op. cit., t. II, p. 75-76 et 82-83 ; Pierre Rouanet, Mendès France au pouvoir, 1954-1955, Paris, R. Laffont, 1965, p. 199-204 ; Pierre Guillen, « Le gouvernement Pierre Mendès France face aux problèmes tunisien et marocain » in Pierre Mendès France et le mendésisme. L’expérience gouvernementale (1954-1955) et sa postérité, sous la direction de François Bédarida et Jean-Pierre Rioux, Paris, Fayard, 1985, p. 317-329.
131 Mauriac, Bloc-notes, op. cit., 2 août 1954, p. 193.
132 Cf. sa lettre du 2 février 1955 à Mendès, citée par Paillat, op. cit., t. II, p. 167.
133 Jean Planchais, L’Empire…, op. cit., p. 29 et 103-104.
134 Guillen, « Les chefs... », op. cit., p. 31-32.
135 Pujo, op. cit., p. 322.
136 Larges extraits in Rouanet, op. cit., p. 559 ; texte intégral in Paillat, op. cit., t. II, p. 170 ou S.H.A.T., 1 K 238/7.
137 De nombreux extraits en ont été publiés, en particulier par Paillat, op. cit., t. II, p. 108- 111, 140, 149, 157-158, et 167-169. Les originaux se trouvent au S.H.A.T., 1 K 238/3 et 7.
138 Valette, op. cit., p. 194.
139 Une situation qui explique que Mendès ait choisi d’offrir des réponses compréhensives aux courriers que lui adressa le maréchal sur cette question (cf. Paillat, op. cit., t. II, p. 108-111). En regrettant que le président du conseil n’ait pas ostensiblement rejeté cette volonté de mise sous tutelle, Julien, op. cit., p. 360-362, méconnaît à la fois le rapport des forces et l’intelligence tactique de Mendès.
140 Paillat, op. cit. t. II, p. 75.
141 Ce qui vaudra à son successeur d’affirmer à tort, dans ses mémoires, que le maréchal avait été rétabli dans cette fonction, preuve que la pratique l’emporta. (Edgar Faure, Mémoires, t. II, « Si tel doit être mon destin ce soir... », Paris, Plon, 1984, p. 199). Mendès avait par ailleurs restauré Juin dans ses autres prérogatives nationales.
142 « Pierre Mendès France », continue l’auteur, « s’en rendait si bien compte qu’il s’était gardé d’ouvrir ce tiroir ». Faure, op. cit., t. I, p. 684. Cf. aussi n. 139.
143 Paillat, op. cit., t. II, p. 200.
144 Valette, op. cit., p. 196-208.
145 Juin, Le Maghreb…, op. cit., p. 126.
146 En particulier par le général Duval, commandant-en-chef des troupes au Maroc : cf. sa fiche du 23 mai citée par Paillat, op. cit., t. II, p. 203-205, et Julien, op. cit., p. 401, ou sa lettre du 17 juin, S.H.A.T., 1 K 238/3.
147 Pujo, op. cit., p. 323. Dès le 13 mars, il a envoyé une lettre à Edgar Faure pour lui donner son sentiment sur les affaires marocaines (reproduite dans Le Maghreb…, op. cit., p. 186-189 ; Paillat, op. cit., t. II, p. 200-202, en a publié de larges extraits). Elle faisait suite à une lettre, expédiée trois jours plus tôt, traitant des problèmes tunisiens (Le Maghreb…, op. cit., p. 174-176).
148 Cf. sa lettre du 24 mars 1955, en réponse aux courriers des 10 et 13 mars envoyés par Juin. S.H.A.T., 1 K 238/7.
149 « Mendès France commandait Boyer de Latour, tandis qu’Edgar Faure n’ose jamais le prendre de front en dépit des renseignements qui montrent que le général freine la politique du gouvernement sans toutefois la trahir », note Paillat, op. cit., t. II, p. 92 : un parallèle qui vaut pour les rapports que les deux présidents entretinrent avec Juin...
150 On pense bien sûr au général Spillmann, qui fut longtemps son conseiller militaire... Cf. Valette, op. cit., p. 187.
151 « Le maréchal Juin, qui ne parlait que par onomatopées et ne raisonnait que par lapalissades, était, semble-t-il, un bon chef de guerre ». Faure, op. cit., t. I, p. 461. Cf. aussi son compte-rendu du comité de Défense nationale du 6 février 1954. Ibid., p. 548-549.
152 Faure, op. cit., t. II, p. 199 et 268-269 ; Pujo, op. cit., p. 332, et surtout Claude Paillat, Deuxième dossier secret de l’Algérie, Paris, Presses de la Cité, 1962, p. 144-145.
153 Juin, Le Maghreb, op. cit., p. 92.
154 Lettre au président du conseil, 21 juin 1955, S.H.A.T., 1 K 238/7. Texte intégral in Le Maghreb, op. cit., p. 190-192.
155 Lettre au président du conseil, 1er juillet 1955, S.H.A.T., 1 K 238/7. Texte intégral in Le Maghreb, op. cit., p. 94-96. Cf. également L’année politique 1955, Paris, PUF, p. 60, et Paillat, Deuxième…, op. cit., p. 146. De manière significative, Edgar Faure ne mentionne même pas l’épisode dans le récit pourtant détaillé qu’il fait de cette période. Julien, op. cit., p. 424, souligne que les journaux du Maroc donnèrent une large place à l’événement.
156 Lettre du maréchal au président du conseil, 25 ou 27 juillet 1955. Edgar Faure, op. cit., t. II, p. 293 et 380, y fait allusion sans en donner le texte.
157 « Tumultes nord-africains » in Revue de Paris, août 1955. Cf. également L’année politique 1955, op. cit., p. 64 et 253.
158 « Il me faut un militaire, Juin l’exige ! » aurait lancé Edgar Faure à son directeur de cabinet. Paillat, op. cit., t. II, p. 251. Cf. aussi Julien, op. cit., p. 438-440.
159 L’année politique 1955, Paris, PUF, p. 271-272, et Georgette Elgey, Histoire de la Quatrième République, 3e partie : « La République des Tourmentes (1954-1959) », vol. 1, Paris, Fayard, 1992, p. 484.
160 La formule, de Bidault, est rapportée par Edgar Faure, op. cit., t. II, p. 243, qui fait allusion à de nombreuses reprises au rôle officieux joué par Juin (id., p. 263, 283, et 379-380). Pujo, op. cit., p. 325-327, qui s’inscrit en faux contre cette affirmation, souligne néanmoins que Juin reçoit la visite régulière de la plupart des protagonistes. Sur son rôle durant la crise, cf aussi Elgey, op. cit., 3e partie, p. 469 et 485. Paillat, op. cit., t. Il, p. 226-227, donne de larges extraits du courrier qu’il envoie le 11 août à un ministre « arafiste ».
161 Paillat, op. cit., t. Il, p. 252. Commandant les forces françaises en Tunisie en 1954, le général Boyer de Latour y avait été nommé résident général par Mendès à la veille de son voyage à Carthage, afin de veiller à la mise en place de l’autonomie interne. Il avait été alors secrétaire des Affaires politiques et militaires au Maroc du temps de Juin.
162 Pujo, op. cit., p. 326.
163 Faure, op. cit., t. II, p. 457, et infra Philippe Vial, « Un ministre paradoxal, le général Kœnig (19 juin/14 août 1954 – 23 février/6 octobre 1955) ». Cf. également l’anecdote rapportée n. 189.
164 Paillat, op. cit., t. II, p. 261-262, a donné un récit savoureux de cette entreprise dont Jean de Lipkowski eut l’idée et qu’il fut chargé de mener à bien. Sans succès, Gaulle se réfugiant dans une attitude à la Ponce Pilate...
165 Brigadier Jackson, Annual Report on The French Army for 1955, mars 1956, P.R.O., FO. 371/124 465.
166 En français dans le texte.
167 « Comment ne sourirait-il pas avec une indulgente pitié en songeant à ses pairs ? De Gaulle, isolé et amer, de Lattre usé jusqu’à la mort par une guerre pourrie, Darlan assassiné pour s’être identifié malgré lui à une cause perdue, Noguès exilé pour avoir tenu quelques heures de trop ? Car à lui, Juin, tout a réussi. Il aime vivre et il vit ; il aime agir et il agit ; il aime parler et il parle ; il aime gagner et il gagne... ». Il est vrai, comme le relève Elgey, op. cit., 2e partie, p. 486, en citant ces lignes, que la popularité du maréchal atteint à l’époque un niveau record : 25 % des Français se déclarent favorables à son arrivée au pouvoir, contre 30 % d’avis opposés.
168 C’est en tout cas ce qu’il déclare le 11 août dans la lettre qu’il adresse à un ministre « arafiste ». Paillat, op. cit., t. II, p. 227.
169 Julien, op. cit., p. 470.
170 « Tumultes… », op. cit.
171 « Rendre raison. Rendre raison à qui ? L’État ? Il faudrait qu’il y ait un État... ». Déclaration du maréchal lors du banquet annuel de l’Association Saumur des officiers de réserve de cavalerie, 31 mars 1954. Elgey, op. cit., 2e partie, p. 590. Cf. aussi L’année politique 1954, Paris, PUF, 1955, p. 19-20.
172 Elgey, op. cit., 2e partie, p. 195.
173 Cf. n. 136 ; analyse in Vial et Vaicbourdt, op. cit., p. 271-272.
174 Pujo, op. cit., p. 324.
175 Lettre personnelle au général de Gaulle, 3 mai 1956, S.H.A.T., 1 K 238/7. Révélé par Claude Michelet, Edmond Michelet, mon père, Paris, R. Laffont, 1981, p. 229, l’épisode a été par la suite évoqué par Lacouture, De Gaulle, op. cit., p. 426, et confirmé par Pujo, op. cit., p. 333-334, qui donne l’essentiel du courrier ainsi que l’intégralité de la brêve réponse que fit de Gaulle le 5 mai.
176 Pujo, op. cit., p. 333 ; Lacouture, De Gaulle, op. cit., p. 421 et 433.
177 « Entre parenthèses », aurait commenté de Gaulle sarcastique, « il ne s’était pas beaucoup pressé de répondre au premier ! ». Michelet, ibid.
178 Lettre du maréchal Juin au ministre de la Défense, Maurice Bourgès-Maunoury, 9 juin 1956, reprenant une propositon formulée au cours d’un entretien entre les deux hommes, le 17 mai ; S.H.A.T., 1 K 238/7.
179 Lettre du ministre de la Défense, Maurice Bourgès-Maunoury, au maréchal Juin, 18 juin 1956, S.H.A.T., 1 K 238/7. Cf. également Vial et Vaicbourdt, op. cit., p. 270-271.
180 Il cessera d’exercer ses fonctions le 1er octobre 1956. De nombreux facteurs se sont additionnés pour provoquer sa démission. En premier lieu, le départ programmé à l’automne du général Gruenther, son vieux complice et supérieur hiérachique depuis la mi-1953 (Vial et Vaicbourdt, op. cit., p. 280). Echaudé par son expérience malheureuse avec Ridgway, en 1952- 1953 (Clayton, op. cit, p. 183), Juin ne tenait pas à prendre la risque d’une nouvelle cohabitation malheureuse. Mais l’usure du poste a également joué. Comme le note Pujo, op. cit., p. 334-335, « le commandement du théâtre d’opérations du Centre-Europe n’est en temps de paix qu’un poste de prévision et de planification. Tous les ans, les exercices de cadres et les manœuvres se renouvellent et mettent en lumière les mêmes déficiences, en commençant par la contribution française qui, du fait de l’Indochine, puis de l’Algérie, est réduite à la portion congrue ». Enfin, on relèvera avec Clayton, op. cit., p. 189, que Juin était de plus en plus irrité par les restrictions liées aux armes atomiques, exclusivement du ressort des autorités américaines, qui réduisaient d’autant ses responsabilités effectives.
181 Maintenu en activité, sans limite d’âge, depuis décembre 1949 (Pujo, op. cit., p. 276), il n’est plus que membre du conseil supérieur des Forces armées, un organisme purement consultatif qui se réunit sous la présidence du ministre de la Défense.
182 L’ensemble de cet épisode, jusqu’alors inédit, a été analysé en détail in Vial et Vaicbourdt, op. cit., p. 267-325.
183 Lettre personnelle du maréchal Juin et du général Weygand au président Eisenhower, 30 novembre 1956, S.H.A.T., 1 K 238/5, mais aussi 1 K 285/2. Son texte a été publié en intégralité in Vial et Vaicbourdt, op. cit., p. 305-306. Elle ne reçut qu’une réponse dilatoire du président américain, adressée au seul Juin.
184 Lettre personnelle du maréchal Juin au général Gruenther, 1er décembre 1956, S.H.A.T., 1 K 238/5, mais aussi 1 K 285/2. Si Eisenhower refusa résolumment de se placer sur ce terrain, la réponse que fit Gruenther aux deux généraux français se situait davantage sur ce plan.
185 Cité par Planchais, Une histoire..., op. cit., p. 249.
186 Une confiance bien mal payée de retour... Sans avoir joué un rôle essentiel dans les événements du printemps 1958 – preuve de son déclin – Juin a néanmoins immédiatement assuré de Gaulle de son soutien. La question algérienne va pourtant séparer les deux hommes. Si le maréchal se refusera toujours à pactiser avec les activistes, son attitude publiquement compréhensive à leur égard lui vaudra d’encourir progressivement les foudres du Général. Sanction ultime, et fait rarissime pour un maréchal de France, le décret du 6 avril 1962 le placera en position de retraite ! Contrairement à Weygand, son « grand ancien », disparu deux ans auparavant presque jour pour jour, Juin aura cependant droit à des obsèques officielles à sa mort, le 27 janvier 1967. Pour le détail de cette rupture, cf. Pujo, op. cit., p. 345-368, et Clayton, op. cit., p. 189-197.
187 Samy Cohen, La défaite des généraux. Le pouvoir politique et l’armée sous la Cinquième République, Paris, Fayard, 1994, 276 p.
188 « A mon avis, pas de solution militaire, tout au moins tant que nous aurons la Chine contre nous », déclare-t-il à Auriol le 15 mai 1952 (Auriol, op. cit., t. VI, p. 333).
189 Cf. par exemple la saynète rapportée par Fauchet, op. cit., p. 103, à la date du 5 octobre 1955 : « Au cours d’un récent conseil des ministres, M. Pierre July demanda au président du conseil que quinze jours d’arrêt de rigueur fussent infligés au maréchal Juin. « C’est le ministre de la Défense nationale que cela regarde répliqua M. Edgar Faure. » Mais le général Kœnig se leva et montra sa manche : « Moi, je ne porte que cinq étoiles. Juin en a sept. Comment voulez-vous que je le mette aux arrêts ? » Tout le monde s’empressa de parler d’autre chose ».
190 Clayton, op. cit., p. 179.
191 Mauriac, op. cit., p. 130.
Auteur
Agrégé de l’Université, dirige la Section Études historiques du Service historique de la Marine, à Vincennes. Maître de conférence à l’Institut d’Études Politiques de Paris, il est également chercheur associé à l’Institut Pierre Renouvin (université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne). Il y achève une thèse en histoire des relations internationales, sous la direction de René Girault, sur Les chefs militaires et la politique extérieure de la France à l’époque de la Guerre froide (1947-1954). Spécialiste des problèmes politico-militaires après 1945, il a déjà publié de nombreux articles que ce soit sur l’ Alliance atlantique, la C.E.D., les aides américaines, la crise de Suez ou la guerre d’Algérie. Il participe depuis 1992 au programme international de recherche « Les identités européennes au xxe siècle », dirigé par René Girault, Gérard Bossuat et Robert Frank.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Métro, dépôts, réseaux
Territoires et personnels des transports parisiens au XXe siècle
Noëlle Gérôme et Michel Margairaz (dir.)
2002
Policiers dans la ville
La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914)
Quentin Deluermoz
2012
Maurice Agulhon
Aux carrefours de l’histoire vagabonde
Christophe Charle et Jacqueline Lalouette (dir.)
2017
Autonomie, autonomies
René Rémond et la politique universitaire en France aux lendemains de Mai 68
Charles Mercier
2015