Espace culturel/espace politique
Territoire et numéraire gaulois : l’exemple biturige
p. 131-143
Résumé
The coinage, attribute of an issuing authority, constitutes for the end of the Iron Age in Gaul, a privileged indication enabling us to better determine a political and administrative reality. The “Cultural space” identified starting from the distribution of a coining, will not merge however obligatorily with that of a territory, biturige in this case; an “alternative” attribution on a smaller or greater scale, has to be considered (region, pagus, sanctuary.). Finally, the result obtained will be confronted with others complementary models (Polygons of Thiessen).
Entrées d’index
Mots-clés : territoire, monnaie, pagus, celtique, Gaule, biturige
Keywords : territory, coinage, Celtic, Gaul, pagus, Biturige
Texte intégral
1Si les limites des cités de la Gaule romaine nous sont connues notamment par la méthode régressive1, retenir un tel cadre pour la fin de la période protohistorique serait non seulement abuser d’un procédé déjà fortement critiqué, mais surtout faire peu de cas des perturbations territoriales liées à la guerre des Gaules, ainsi d’ailleurs qu’aux nombreux « mouvements » de population qui l’ont précédée, telle la migration des Helvètes, prétexte à l’intervention de César en Gaule2.
2Quel meilleur indice alors que l’objet monétaire, attribut d’une autorité émettrice, pour tenter d’appréhender une réalité politique et administrative qui nous échappe largement ?
3Encore, le territoire identifié à partir de la répartition d’un monnayage, ne se confondra-t-il pas obligatoirement avec celui, civique, qui s’appuie sur une entité et des institutions politiques ; et cela contrairement à l’idée répandue selon laquelle, à l’époque gauloise, les monnaies ne sont frappées que par un pouvoir émetteur centralisé. Conception relayée, il est vrai, par l’emploi d’une terminologie « globalisante » qui, de façon simplificatrice, attribue chaque monnaie à un peuple. Une attribution « alternative », permettant une lecture du territoire à plus petite ou grande échelle, se doit alors d’être envisagée ; qu’il s’agisse d’un monnayage limité à un sanctuaire, à une division administrative de la cité (comme le pagus) ou au contraire, étendu à une ou plusieurs régions (Gruel 2002 : 205-212).
4Les limites généralement admises pour le territoire biturige (Dumasy 2001 : 21-23) correspondent à la partie méridionale de la région Centre (c’est-à-dire aux départements du Cher et de l’Indre, ainsi qu’à quelques communes du Loir-et-Cher et du Loiret) et à une frange septentrionale de la région Auvergne (nord du département de l’Allier).
5Même si l’influence supposée de ce peuple3, qui se qualifiait lui-même de « roi du monde », décroît à la fin de l’âge du fer, il conserve jusqu’à la conquête romaine l’un des monnayages les plus riches et les plus variés de Gaule.
6Le propos n’est donc pas ici de déterminer avec précision les frontières supposées d’un territoire qui tient plus volontiers de l’espace ethnique que politique (Leveau 2002 : 9-17), mais plutôt de mettre en évidence une éventuelle dynamique monétaire interne à celui-ci ; autrement dit, de voir comment s’articulent et se répartissent à l’intérieur d’un même territoire des monnayages susceptibles de relever non pas d’une autorité centralisée, mais plutôt du pouvoir émetteur de l’une de ses divisions.
Méthode
7N’ont été retenues pour notre étude que les monnaies d’or et d’argent découvertes sur le territoire précédemment défini (fig. 1 et 2), pour lesquelles une description, et donc la possibilité de les rattacher à une typologie précise, nous est presque toujours connue ; si leur nombre limité, par rapport aux monnaies de bronze, témoigne d’une fonctionnalité autre, qu’il reste à définir (militaire, administrative…), nous disposons néanmoins d’un ensemble statistique suffisant.
Fig.1. Monnayages d’or gaulois découverts sur le territoire biturige

Fonds : IGN (BD Carto). Sources : Ph. Charnotet. Cartographie : Ph. Charnotet.
Fig.2. Monnayages d’argent gaulois découverts sur le territoire biturige

Fonds : IGN (BD Carto). Sources : Ph. Charnotet. Cartographie : Ph. Charnotet.
8Il s’agira non seulement des monnaies « bituriges », dont nous décrirons ci-après les principales séries, mais aussi de celles des peuples voisins (pour lesquelles seule la référence au catalogue des monnaies gauloises du Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale (BN) sera indiquée). L’objectif n’est pas tant alors de démontrer un éventuel lien d’échange entre populations que d’éviter une interprétation hâtive en terme de présence/absence du monnayage (en concluant, par exemple, à la circulation exclusive de tel métal dans une région où n’aurait été finalement pris en compte que le seul numéraire biturige).
9Prenant comme point de départ les travaux de D. Nash (Nash 1978), les données de cette étude ont été complétées par les informations fournies par J.-L. Roche, actualisées à partir de notre enquête personnelle.
Numéraire « biturige »
10Encore faut-il, en l’absence de toute indication épigraphique4 sur l’objet monétaire, pouvoir rattacher celui-ci à un territoire que l’on suppose avoir été occupé par le dit peuple.
N’ont ainsi été retenues que :
les séries monétaires découvertes majoritairement sur des sites clairement identifiés comme bituriges (Avaricum-Bourges, Argentomagus, Levroux), et qui rendent en conséquence probable une « attribution » à ce peuple ;
les séries qui peuvent être rattachées à un « groupe monétaire » au sens d’« ensemble de monnaies d’une même région ayant un même thème iconographique » (Gruel 1989 : 8-9).
11Pour ces séries, seuls les exemplaires découverts sur le territoire biturige et à ses frontières ont été pris en compte (fig. 1 et 2) ; notre problématique monétaire de dynamique interne justifiant le choix d’un échantillonnage à grande échelle.
12C’est pourquoi, même si un certain nombre de ces monnaies ne se retrouvent quasi exclusivement qu’en dépôt et qu’une attribution formelle apparaît alors hasardeuse, en raison du nombre limité de découvertes isolées (meilleur témoin de circulation que les trésors), un faisceau d’indices convergents (typologique, métrologique, etc.), dont le détail ne sera pas discuté dans cette étude, nous permet d’arriver à une telle conclusion, sans avoir à justifier la présence et le nombre d’exemplaires trouvés hors du territoire biturige.
13Enfin, plutôt que de retenir pour ces monnayages une chronologie absolue, qui reste encore incertaine (et cela, même en simplifiant la répartition entre iie et ier siècle avant notre ère), nous avons choisi pour chaque métal d’opérer une classification à partir de l’évolution pondérale de ces monnaies, en nous appuyant sur le principe que le poids va généralement en diminuant quand le système monétaire reste le même. La difficulté principale reste alors d’établir l’éventuelle contemporanéité de frappe de ces numéraires entre eux ; certains indices (trésors mixtes) peuvent toutefois y contribuer.
Description des séries typologiques
Les principaux groupes monétaires retenus pour l’étude correspondent :
Pour les monnaies d’or :
Principalement à des imitations du statère de Philippe II de Macédoine dont un premier classement (Scheers 1994) a été réalisé en distinguant entre première génération d’imitations (reprise fidèle du prototype et poids supérieur à 8 g) :Type de Soy (Ainay-le-Château : Allier),Type au droit informe (Graçay : Cher),Série au buste de face (l’exemplaire de Méry-sur-Cher serait un original – Cher) ; et seconde génération d’imitations (style moins classique, légende dégradée, poids inférieur à 8 g) :Type du Berry : 1. type au foudre et à l’épi (Ivoy-le-Pré : Cher), 2. type BN 10284 (env. Bourges : Cher – 1/4 de stat. ; Issoudun : Indre) ;Type de Sologne et Touraine (Levroux : Indre – 1/4 de stat.).
Il est à noter d’abord que la plupart de ces types, trouvés en général à quelques exemplaires dans toute la Gaule, et dont seuls figurent ci-dessus ceux trouvés en Berry, ne peuvent être attribués à un peuple en particulier ; se pose d’ailleurs à ce sujet la question de l’existence même de territoire à des dates d’émission pouvant remonter à la fin du iiie siècle ou au début du iie siècle avant notre ère.
Ensuite nombre de statères, dont il faudra pourtant tenir compte dans notre corpus, ont été découverts sans qu’une description suffisamment précise en soit donnée pour pouvoir les rattacher à une série particulière, si ce n’est, dans le meilleur des cas, l’indication de leur poids.
Fig.3a. Statère à la légende Abvdos (recto)

CHM_562d_Gtx2 et CHM_562r_Gtx2. Module : 18,5 mm.
Fig.3b. Statère à la légende Abvdos(verso)

CHM_562d_Gtx2 et CHM_562r_Gtx2. Module : 18,5 mm.
14Au groupe des statères à la légende Abvdos (c. 6,8 g) (fig. 3a et 3b) : D/ Tête à g., les cheveux disposés en plusieurs enroulements ou larges boucles, grènetis. R/ Cheval au galop à g., surmonté d’un aigle aux ailes déployées, au-dessous trois annelets centrés placés en triangle, devant et/ou au-dessous légende : ABVCATOS (LT 4173 ; Nash 1978, n° 461-462 ; Scheers, Lyon, 596-597 ; RIG 4), ABVDOS (LT 4147 ; Nash 1978, n° 469 ; Scheers, Lyon, 598-599 ; RIG 5).
Pour les monnaies d’argent :
Drachmes à tête « aquitanique » (West Berry silver group) (c. 3,30 g) : D1-3/ Tête à g., cheveux disposés en grosses mèches, grènetis, D2/ Tête à dr. en quatre rinceaux le long du visage, grènetis. R1/ Drachme au loup assis : cheval au galop à dr. avec sur la croupe un loup assis (LT 6017 ; Nash 1978, n° 122-126 ; Scheers, Lyon, 609) ; R2/ Drachme au cavalier : cavalier chevauchant à dr. avec à la main droite un bouclier (LT 4439 ; Nash 1978, n° 76-103 ; Scheers, Lyon, 610) ; R3/ Drachme aux deux chevaux R/ Deux chevaux libres superposés au galop à g. (LT 6011 ; Nash 1978, n° 104-121 ; Scheers, Lyon, 608).
Fig.4a. Quinaire au cheval libre (recto)

CHM_181d_Gtx2 et CHM_181r_Gtx2. Module : 14 mm.
Fig.4b. Quinaire au cheval libre (verso)

CHM_181d_Gtx2 et CHM_181r_Gtx2. Module : 14 mm.
15Quinaires au cheval libre (Silver sword group) (c. 1,80) (fig. 4a et 4b) : D/ Tête à g., les cheveux disposés en trois mèches, grènetis (sauf Cambotre : tête laurée et diadémée avec collier perlé) R/ cheval à g. avec légende CAMBOTRE (LT 4131 ; Nash 1978, n° 488-489 ; Scheers, Lyon, 611), CAM (LT 4139 ; Nash 1978, n° 492-493 ; Scheers, Lyon, 615 ; RIG 94), IVRCAV et variantes (LT 4117 ; Nash 1978, n° 494-496 ; Scheers, Lyon, 614 ; RIG 1, 87, 104), OYI KI (LT 4114), et sans légende au rameau (non) bouleté (LT 4092 ; Nash 1978, n° 509-514 ; Scheers, Lyon, 616-617), aux glaives et pentagrammes (LT 4097 ; Nash 1978, n° 500-502 ; Scheers, Lyon, 618-621), aux glaives et fleuron (Nash 1978, n° 503-508 ; Scheers, Lyon, 622-624), aux sangliers et à la croix (LT 4108 ; Nash 1978, n° 518-520 ; Scheers, Lyon, 625).
Analyse de la répartition monétaire
16Il a été possible pour les monnaies d’or de distinguer, à partir de la métrologie, différentes phases. La première, composée de statères dont le poids dépasse huit grammes (Ainay-le-Château : 8,46 g ; Méry-sur-Cher : 8,35 g ; Graçay : 8,27 g ; environs de Bourges : 8,35 g et 8,04 g) avec des divisions élevées (Bourges : 2,75 g), se trouve principalement dans la partie nord/nord-est du territoire.
17Les types tardifs, de la seconde génération, plus nombreux, se répartissent de façon homogène sur toute la partie orientale de la cité (Avord : 7,28 g ; Farges-en-Septaine : 1,88 g (1/4 stat.) ; Ivoy-le-Pré : 7,07 g ; Primelles : 1,84 g (1/4 stat.) ; Vierzon : 1,66 g, 1,69 g, 1,69 g (1/4 stat.) pour le Cher ; Ainay-le-Château : 7,17 g ; Hérisson ; Louroux-Bourbonnais : 7,04 g pour l’Allier), avec une concentration significative à Bourges/Avaricum (5 exemplaires dont 1,65 g, 1,69 g, 1,70 g, 1,73 g). À l’exception de Levroux (4 ex. : 1,65 g, 1,70 g, 1,78 g, 1,80 g), ces monnaies n’ont pas circulé dans la partie occidentale, ou alors juste sur les franges proches de la ligne médiane (Feusines : 7,08 g ; Vicq-Exemplet : 7,05 g ; Issoudun : 7,20 g).
18Le même schéma semble se maintenir pour le groupe des statères à la légende Abvdos (dont le poids est inférieur à 7 g) avec une dispersion dans le sud de la partie orientale : Ardenais et Nérondes (6,76 g) pour le Cher ; Hérisson et Montluçon pour l’Allier. La seule découverte dans l’ouest du territoire correspond à un dépôt monétaire (9 exemplaires au moins à Moulins-sur-Céphons), constitué lui-même, pour l’essentiel, de monnaies d’argent (environ 600 quinaires au type du cheval libre). À noter également une concentration de ce même numéraire juste à l’ouest du territoire biturige, chez les Pictons (Poitiers, Vernon, Civeaux, Bonneuil dans la Vienne), où là aussi les trouvailles ont été faites dans des trésors contenant eux-mêmes nombre de monnaies d’argent (fig. 2).
19De plus, deux imitations « indéterminées », c’est-à-dire dont ni le poids ni l’iconographie n’ont permis de les rattacher à un type particulier, ont été retrouvées à Sainte-Solange et Plaimpied-Givaudan dans le Cher.
20Enfin, il n’a pas été possible pour nombre de ces monnaies, dont la plupart furent découvertes avant le xxe siècle, de retenir un contexte archéologique précis, à l’exception de celles trouvées à Levroux lors des fouilles menées par O. Buchsenschutz (fosse/habitat) (Buchsenschutz et al. 1994 : 31 et 232).
21Pour le numéraire d’argent découvert sur le territoire biturige, celui-ci se compose de monnaies dont le poids est d’abord aligné sur celui de la drachme (ampuritaine), puis du quinaire romain.
22Les plus anciennes, les drachmes « à tête aquitanique », ont été retrouvées essentiellement dans des trésors : à Buxeuil, Ingrandes, Issoudun, Obterre, Valençay (Indre) et Vierzon (Cher). Les trouvailles isolées sont rares et plutôt situées elles aussi dans la partie occidentale du territoire : Saint-Marcel (4 exemplaires) et Issoudun (1 ex.) pour l’Indre, Bourges (1 ex.) pour le Cher.
23Si les quinaires au cheval libre, plus récents, ont également été découverts dans des dépôts, ces derniers ont toutefois la particularité d’être le plus souvent mixtes : soit en raison du métal (argent/or : Moulins-sur-Céphons ; argent/bronze : Levroux), soit de leur origine (deniers gaulois/républicains : Migné).
24Ces trouvailles, qui se situent cette fois-ci exclusivement à l’ouest, dans le département de l’Indre (Levroux, Migné, Moulins-sur-Céphons, Tendu, Vatan), débordent cependant sur les franges méridionales (Jalesches – Creuse), septentrionales (Cheverny – Loir-et-Cher ; Fondettes – Indre-et-Loire) et occidentales (Vernon – Vienne) du territoire supposé biturige.
25La répartition des exemplaires isolés s’équilibre, quant à elle, entre les deux parties ; même si dans les deux cas, seul un nombre limité de sites témoigne de cette circulation (Bourges, Dun-sur-Auron, Levet, Saint-Ambroix pour le Cher ; Chabris, Châteauroux, Levroux, Saint-Marcel, pour l’Indre) ; leur dispersion est toutefois différente, puisque pour la partie orientale, les trouvailles se concentrent autour de Bourges, alors que celles-ci sont disséminées sur l’ensemble de la partie occidentale, et le long de ses frontières (Chambon, Toulx – Creuse). Enfin si, après avoir élargi l’enquête aux autres monnayages d’argent, le nombre de sites reste là encore approximativement le même (s’ajoutent Preuilly et Groises pour le Cher, Argenton-sur-Creuse et Issoudun pour l’Indre), celui du nombre total d’exemplaires diffère considérablement, puisqu’avec 80 monnaies d’argent la partie occidentale détient 89 % du numéraire de ce métal (contre 10 monnaies pour le Cher).
Interprétation
26Une partition, basée sur des systèmes monétaires différents (statère-drachme/quinaire), semble s’opérer chez les Bituriges, entre les parties orientale et occidentale du territoire. À partir d’une zone restreinte, située à l’ouest de Bourges, se développe d’abord un monnayage d’or, basé sur le statère, qui s’étendra ensuite dans toute la partie orientale. Si ces imitations de Philippe de Macédoine sont présentes sur l’ensemble du territoire, il convient de préciser que leur nombre est majoritaire dans la partie orientale (62,7 %), et que ce pourcentage s’accroît considérablement (87,1 %) si l’on ne tient pas compte des monnaies découvertes en dépôt (puisque sur les 16 exemplaires trouvés dans l’Indre, 9 l’ont été dans le trésor de Moulins-sur-Céphons et 3 dans celui de Levroux). Pour la partie occidentale, seules 4 monnaies d’or ont donc été découvertes de façon isolée et cela sur 4 sites différents, dont 3 situés à proximité de la ligne médiane du territoire. Si l’on considère que les trésors ont souvent vocation à « voyager », ou du moins, à ne pas être toujours enseveli à l’endroit de leur émission, une seule monnaie d’or (BN 6420) a véritablement été découverte au cœur de la partie occidentale (Levroux) contre 27 exemplaires, sur 16 sites, dans l’est du territoire (fig. 5).
Fig.5. Répartition des monnaies d’or selon la nature et le lieu de découverte
Nb monnaies | Nb monnaies hors dépôt | Nb de sites | |
Partie orientale | 27 | 27 | 16 |
Partie occidentale | 16 | 4 | 5 |
Total | 43 | 31 | 21 |
27Au contraire, dans la partie occidentale, et vraisemblablement à une époque contemporaine à celle des types tardifs en or (comme semble l’indiquer le trésor mixte – or/argent – de Levroux), circule d’abord un monnayage d’argent basé sur la drachme, auquel un autre succédera ensuite, aligné sur le quinaire romain.
28Les réserves précédemment formulées au sujet des monnaies de dépôts restent valables et la quasi-absence de ces dernières dans la partie orientale (un trésor, contre dix dans la partie occidentale) ne saurait en aucun cas constituer un critère de leur non-circulation dans cette région. D’autant que le nombre de sites ayant livré des découvertes s’équilibre finalement entre l’ouest et l’est du territoire. Seul l’aspect quantitatif permet toutefois de voir émerger un axe de circulation privilégié entre Levroux et Saint-Marcel, débordant légèrement vers Issoudun (ellipse noire – fig. 1 ou 2).
29L’interprétation à donner au numéraire d’argent le plus récent et le plus nombreux (fig. 6), est avant tout à rechercher dans l’utilisation qui lui était destinée à l’origine ; au regard de sa dispersion, de ses découvertes essentiellement sous forme de dépôts, et de l’emploi d’un étalon se référant au quinaire romain employé pour le paiement des soldes, la vocation militaire de ce monnayage est à l’évidence à privilégier.
Fig.6. Répartition des monnaies d’argent selon la nature et le lieu de découverte
Drachmes | Deniers | |||||
Nb monnaies (hors dépôt) | Nb dépôts | Nb sites (hors dépôt) | Nb monnaies (hors dépôt) | Nb dépôts | Nb sites (hors dépôt) | |
Partie orientale | 1 | 1 | 1 | 10 (11 %) | 0 | 5 (50 %) |
Partie occidentale | 5 | 5 | 2 | 80 (89 %) | 5 (dont 3 mixtes) (100 %) | 5 (50 %) |
Total | 6 | 6 | 3 | 90 | 5 | 10 |
30L’étude caractéroscopique que nous avons pu mener sur les monnaies des trésors de Moulins-sur-Céphons et Tendu a ainsi révélé que certaines d’entre elles avaient été frappées avec les mêmes coins, et appartenaient donc, au départ, à une émission commune.
31De plus, il semble y avoir une récurrence pour cette zone (ellipse grise – fig. 2) de ce phénomène, puisque les découvertes de trésors composés de drachmes n’étaient déjà présentes que dans cette région.
32Quand bien même aurait eu lieu une dispersion, un « essaimage » de ces trésors, ces types ne constituent pas, d’une part, l’ensemble du monnayage d’argent trouvé à Saint-Marcel et à Levroux ; et surtout, d’autre part, si l’on compare la répartition de ces quinaires d’argent à celles des monnaies d’or censées leur être contemporaines, c’est-à-dire les statères à la légende Abvdos, trouvés dans le trésor mixte de Moulins-sur-Céphons, ces derniers se rencontrent essentiellement dans une partie du territoire oriental, plutôt au sud (ellipse noire – fig. 1 ou 2), dans laquelle les monnaies d’argent sont totalement absentes. Il y aurait donc encore à une période tardive, contemporaine et/ou postérieure à la conquête romaine, une partition entre monnayage d’or et d’argent, même si celle-ci ne se limite finalement qu’à une partie restreinte du territoire.
33Cette différence de métal et d’étalon, en particulier pour les phases précoces (drachmes/statères), témoigne à l’évidence de plusieurs influences géographiques : la partie orientale, voisine des Arvernes, a en effet pu subir l’attraction de ce peuple qui fut l’un des premiers à frapper des monnaies en or ; surtout, la partie occidentale, orientée vers l’Aquitaine et le sud-ouest, s’inspire directement de modèles méditerranéens (les prototypes de ces drach-mes provenant de la colonie grecque d’Ampurias).
34Cette « juxtaposition » de monnayages sur un même territoire, nous incite donc à penser qu’il n’y aurait pas obligatoirement une autorité centrale émettrice d’un numéraire proprement biturige, mais plutôt des pouvoirs politiques pouvant disposer chacun de leur monnaie.
35La coexistence de ces deux systèmes monétaires, qui semblent coïncider avec des subdivisions territoriales, pourrait correspondre à des frappes décidées par les élites locales pour répondre à des besoins militaires ou administratifs.
36À ce titre, l’examen du réseau des grandes agglomérations fortifiées de la fin de l’âge du fer que sont les oppida pourrait venir étayer cette interprétation. En effet, à partir de leur surface et en utilisant certaines techniques statistiques appliquées à l’archéologie (en l’occurrence les polygones de Thiessen), il serait possible de dresser le territoire hypothétique contrôlé par ces oppida, territoire pouvant correspondre à d’éventuelles subdivisions de la cité. Ainsi, aux deux principaux sites de la partie orientale (Bourges et Hérisson), s’opposent à l’ouest plusieurs oppida (Saint-Marcel, Levroux, Rivarennes, Châteaumeillant) dont le territoire limité (moins de 30 ha) semble aller de pair avec une surface réduite (Buchsenschutz, Ralston 2001 : 76-78). Peut-on pour autant conclure à une corrélation entre l’étendue de ces oppida, la richesse qui en découle et l’utilisation d’un métal particulier pour la frappe des monnaies ? Autrement dit, les oppida les plus importants, situés dans la partie orientale, auraient d’abord favorisé l’emploi de l’or, symbole de leur puissance, au détriment de l’argent.
37Si de telles conclusions méritent d’être précisées et surtout confrontées à d’autres données (monnayage de bronze, dépôts des peuples voisins), il n’en reste pas moins qu’une partition du territoire biturige semble s’opérer à partir de son numéraire, et que celle-ci pourrait vraisemblablement correspondre à une subdivision politique de la cité.
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Notes de bas de page
1 Méthode qui, s’appuyant sur les limites des diocèses du haut Moyen Âge, permettrait de remonter à celles des civitates gallo-romaines.
2 César, De Bello Gallico (I, 2 et s.).
3 Tite-Live indique ainsi, dans l’un des passages de son Histoire romaine (V, 34), que les Celtes qui occupent un tiers de la Gaule, se trouvent placés sous l’autorité des Bituriges et reçoivent d’eux leurs rois. De cette époque, dominée par le roi légendaire Ambigat, qu’archéologues et historiens s’accordent à placer au ive siècle av. J.-C., les Bituriges conservent jusqu’à la conquête romaine une influence certaine ; car même si César souligne alors leur « subordination » aux Eduens (erant in fide), celui-ci insiste également sur la taille de leur territoire et le nombre de leurs villes (César, BG, VII, 5).
4 Celle-ci pouvant d’ailleurs se révéler trompeuse, comme dans le cas, par exemple, de la monnaie à la légende CVBIO, longtemps attribuée aux Bituriges, bien qu’exclusivement découverte dans le Lot-et-Garonne (Abaz, Noldin 1987 : 215-219).
Auteur
Doctorant – ATER, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041 : Archéologies et Sciences de l’Antiquité. Sujet : Circulation monétaire dans la cité des Bituriges Cubes (iiie s. av. J.-C. – ve s. apr. J.-C.), sous la direction de Françoise Dumasy.
Soutenance prévue en 2009.
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Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
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2016
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2011
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De la culture matérielle à l’espace culturel
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