Le Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme : Amsterdam-Pleyel (1934-1939)
p. 299-312
Texte intégral
1Notre propos est d’aborder l’évolution d’Amsterdam-Pleyel ou Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme, dans sa composition même et dans ses relations avec le Parti communiste (PC) durant les années 1930. Quelle que soit son appellation : Amsterdam, Amsterdam-Pleyel, Paix et Liberté, ces termes correspondent à trois périodes successives, et recouvrent des structures différentes. Une question fondamentale traverse notre période : quel poids, quel rôle, quelle fonction cette organisation occupe-t-elle dans le champ politique ? Quels sont ses rapports avec le parti politique, dont il se situe dans la mouvance ? Comment, pourquoi, celui que l’on appelle le mouvement de masse en 1932 est-il devenu en 1939 une association de type 1901 ? Quels sont les éléments susceptibles d’expliquer ce changement ?
2L’année 1932 est celle du Congrès mondial contre la guerre impérialiste des 27, 28 et 29 août 1932 qui se tint à Amsterdam. À l’issue de celui-ci naît le mouvement d’Amsterdam ou Mouvement de lutte contre la guerre impérialiste. Avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, en janvier 1933, le mouvement d’Amsterdam s’associe au Congrès ouvrier européen antifasciste, salle Pleyel à Paris, les 4, 5 et 6 juin 1933. Le mouvement antifasciste est né. Le 15 juin 1933, il y a fusion des deux mouvements en France et deux mois plus tard cette décision s’étend au niveau international. Amsterdam-Pleyel, ou Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme est né.
3 La particularité de ce mouvement est d’être, à la fois, une initiative de l’Internationale communiste (IC) et de sa section française. Une telle affirmation ne permet pas d’anticiper sur le primat de l’Internationale ou de sa section française : tel n’est pas notre propos1...
4L’objectif sur lequel s’entendent la majorité des congressistes est le suivant : mobiliser les masses derrière Henri Barbusse et Romain Rolland, deux intellectuels de renom, dans la lutte contre la guerre impérialiste et pour la défense de l’URSS, face aux tentatives expansionnistes du Japon. Toutefois, l’arrivée d’Hitler modifie sa vocation première puisqu’il faut désormais prendre en compte : l’antifascisme, et notamment la lutte contre le fascisme hitlérien.
5Le Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme est né avec ses instances internationale, nationale, régionale, départementale et locale... À ces différents niveaux correspondent de nouveaux organismes dirigeants : comité mondial, national, départemental, local. À la base, les comités d’initiative devenus comités locaux, rassemblent des organisations de différents horizons politiques.
6Après un rapide état des lieux des différentes organisations de masse des années trente, nous étudierons dans un second temps, l’évolution d’Amsterdam-Pleyel, désigné par l’Internationale communiste comme « mouvement de masse. »
7L’année 1934 qui amorce notre période est aussi celle de la crise, une crise économique, sociale, politique et culturelle. Cette crise globale est à l’origine de la multiplication des organisations de masse, comités et ligues relayant, de fait, les partis politiques. Avec la signature du Pacte d’unité d’action du 27 juillet 1934, une première solution se dessine : les partis politiques sont, désormais, en mesure d’assumer la relève et de faire face à la menace fasciste.
8Le 14 juillet 1935 est la deuxième date-clef. Le Mouvement Amsterdam-Pleyel n’est-il pas l’un des animateurs voire même l’organisateur de cette journée ? La mise en place du Front populaire, avec ses structures propres, cartel d’organisations, met en relief le rôle joué par les organisations qu’elles soient politiques ou que ce soient des organisations de masse, structurées dans les comités de Front populaire. Plusieurs dates rythment cette évolution et les rapports entre le mouvement de masse et les partis politiques, entre Paix et Liberté2 et le PC. La nouvelle organisation a abandonné sa dimension internationale au profit d’un cadre plus restreint : la France.
9Dans le même temps, au niveau international, le Rassemblement universel pour la paix (RUP) remplace le Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme et notamment dans la défense de l’Éthiopie.
10 Depuis sa création le mouvement a changé à plusieurs reprises de fonction, s’investissant, dans la politique extérieure, et dans une activité nationale, où les organisations de masse suppléent aux faiblesses, voire aux carences des partis politiques.
11Quels sont les événements capables d’expliquer les changements d’appellation du Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme ? Dès 1932, l’IC utilise le terme de mouvement de masse et non celui d’organisation ; il s’agit, de fait, de rassembler, dans la lutte contre la guerre, les couches nouvelles ; celles sur lesquelles le PC n’a pas jusqu’alors prise, afin d’étendre son audience au-delà de sa sphère électorale habituelle...
12La dernière période, fin 1935-1939, voit le mouvement s’investir dans une fonction sociale, propre au Front populaire et, à la veille de la guerre, Paix et Liberté – après avoir modifié peu à peu ses statuts – devient une association de type loi 1901. Comment expliquer ces changements ? Ils se situent à trois niveaux. Changement de nom puisque Paix et Liberté a remplacé Amsterdam-Pleyel ; changement d’activité puisque le social prime sur le politique ; changement de composition dans la mesure où les adhésions individuelles permettent de le différencier des autres comités.
13La consultation des archives locales, départementales ou bien encore celles d’Ile-de-France nous a conduit à croiser, à confronter différentes informations.
14Celles-ci concernent les objectifs spécifiques des associations : ont-elles des buts politiques, sociaux, culturels ? Ces associations sont-elles plus facilement limitées au cadre national ou international ? Enfin, quel poids, quel rôle ont-elles joué dans le domaine politique ? Quelles sont leurs relations avec les partis politiques, dans la mouvance desquels ils se situent, quel rôle ces associations jouent-elles dans la vie politique ? Telles sont les questions auxquelles nous nous sommes efforcés de répondre afin de mieux cerner ces organisations qui ont fini par accepter un nouveau cadre juridique, celui de la loi du 1er juillet 1901, auquel elles n’étaient pas jusqu’alors préparées.
Quelques associations-types des années 1930
15Nous avons privilégié dans notre sélection quelques associations-types, dont on pouvait saisir les relations avec le monde politique et plus spécifiquement celles qui se situent dans la mouvance des partis politiques. À défaut d’un tableau méthodique de toutes les associations, ordonnées selon leurs affinités politiques, nous nous sommes contentés d’un constat il existe deux grands types d’association : association de fait, et association de droit.
16Ces associations n’ont pas, pour autant, une dénomination spécifique puisqu’on y trouve aussi bien des sociétés, instituts, amicales, clubs, cercles, ligues etc. Le nom adopté n’est pas un critère et il ne préjuge pas, pour autant, de l’appartenance à une association plutôt qu’à une autre.
17Outre le nom utilisé, nous avons classé ces associations selon leurs préférences politiques, leurs objectifs, leurs structures...
18Nous pouvons dégager trois types d’associations selon les partis politiques dont ils se réclament.
19• Les associations proches du PC. Parmi celles-ci, nous pouvons classer les associations selon les groupes sociaux concernés : notamment les anciens combattants avec l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) et la Fédération ouvrière paysanne (FOP) qui ont pour objectif : la lutte contre la guerre, l’organisation des rescapés, des mutilés, le vote de pensions...
20La défense de l’URSS est assumée par les Amis de l’Union soviétique (AUS) dont la fondation remonte au Xe anniversaire de la révolution russe. Cette organisation regroupe non point une seule catégorie sociale, mais ceux ou celles qui ont choisi la défense de la patrie des soviets, multipliant les conférences, les tournées de cinéma... Ces associations, d’abord nationales, ont pour objectif la défense de l’URSS, la lutte contre la guerre.
21L’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), en 1932, se propose de rassembler écrivains et artistes dans la lutte contre la guerre impérialiste ; outre la similitude de date avec l’initiative d’Amsterdam, elle s’adresse à une catégorie spécifique, et reste une association strictement nationale.
22Amsterdam-Pleyel prend, sous la direction d’Henri Barbusse et Romain Rolland, une dimension nationale spécifique, d’autant que le PC n’est pas étranger à cette création, dont l’initiative s’inscrit dans le prolongement des décisions de l’Internationale communiste (IC) : fonder des organisations capables d’approfondir le travail de masse des partis communistes à une époque où l’influence de celui-ci fléchit.
23Ces associations ont-elles adopté un même modèle ? Ont-elles choisi les mêmes statuts, le même cadre juridique ?
24En ce qui concerne notre période, rares sont les associations se réclamant de la loi du 1er juillet 1901. Doit-on y voir une réticence, voire une hostilité du PC vis-à-vis de cette loi ? Ces associations sont-elles prêtes à adopter un nouveau type de statut ? Le PC, voire l’IC, sont-ils en mesure de choisir la forme même de ces associations ? Le cadre de la loi 1901 n’est-il pas trop rigide ?
25L’Association internationale des médecins contre la guerre, filiale d’Amsterdam-Pleyel est une association de type loi 1901. Il en est de même de l’Association universelle des exilés allemands publiée au Journal officiel du 29 juin 1933.
26Contrairement à ce que nous avions cru dans un premier temps, le caractère national ou international d’une association n’est pas déterminant pour qu’elle soit reconnue comme association 1901 ou non ; les exemples locaux que nous évoquerons ultérieurement le confirment.
27Cette sélection ne fait pas référence à la forme de l’association, à ses statuts, mais aux objectifs poursuivis et aux catégories sociales que les dites associations se proposent de rassembler.
28Sans avoir privilégié le statut de l’association, nous avons mis l’accent sur une partie des organisations proches du PC et sur les objectifs de l’association avec une priorité à la lutte contre la guerre et la lutte antifasciste. Le nombre d’organisations retenues est donc très limité.
29• Parmi les associations proches du Parti socialiste (SFIO), il nous faut mentionner la Ligue des droits de l’homme (LDH), de création ancienne certes, mais dont le rôle est loin d’être négligeable dans la mise en place du Front populaire en France, le Comité Mattéoti...
30• Celles qui se situent dans la mouvance du Parti radical et notamment Front commun3, créé en mai 1933 pour faire face à la multiplication d’associations anti-fascistes proches du PC. Cette organisation, attribuée à Gaston Bergery, se définit par rapport à d’autres associations, axant son action sur le terrain national ; Front commun structuré en secteurs de lutte, possède sa propre presse et se propose de rassembler les couches moyennes parce que les plus sensibles au fascisme ; sa composition interne fait apparaître les seules adhésions individuelles aux dépens des adhésions collectives, et des partis politiques... Après un temps d’hésitation, les autres organisations et partis politiques rejettent Front commun dont l’action est limitée au cadre national. L’organisation en refusant l’adhésion de toute organisation se propose de prendre ses distances avec les partis politiques.
31Ces associations ont un point commun : elles jouent un rôle privilégié dans la vie politique française et notamment dans la période du Front populaire. Si les unes se situent dans la mouvance du parti politique, d’autres comme Front commun rejettent le parti politique. Quand Front commun devient un parti politique, des hommes comme Paul Langevin le quitte au profit du tout récent Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA).
32Ces organisations associent, dans le même temps, une fonction sociale et politique. Ni leur composition sociologique, ni leur caractère national ou international ne peuvent expliquer leur appartenance ou non à des associations de type loi 1901.
33À partir de 1932, l’IC puis le PC, s’efforcent de définir, de cerner ce que représente le mouvement issu du Congrès d’Amsterdam. Ce n’est ni une organisation, ni une association mais un mouvement de masse, « (...) dans le but de mobiliser les masses les plus larges » dans la lutte contre la guerre impérialiste et la défense de l’URSS4. Une appellation reprise par Henri Barbusse :
« Il faut dire “mouvement” parce que nous ne sommes ni une association, ni une ligue, ni une organisation ressemblant en quoi que ce soit à un parti, mais bien effectivement un mouvement. »5
34L’idée de mouvement de masse implique celle de rassemblement ; il y a donc regroupement au sein d’une même structure, de plusieurs couches sociales, de differentes tendances politiques. Henri Barbusse, dès sa création, met l’accent sur l’originalité du mouvement, et ses différents moyens d’existence. Il n’existe aucune carte d’adhérent et seul un insigne permet de reconnaître ses membres. Celui-ci, une étoile à trois branches représente, pour l’une d’elles, les ouvriers, pour l’autre, les paysans, pour la troisième, les intellectuels6.
35L’adhésion à l’organisation de masse reste très informelle, beaucoup plus floue que l’engagement politique, mais elle est parfois le passage obligé vers le parti politique. Sa structure est plus souple et n’exclut, a priori, aucun parti politique, ses revenus sont basés sur des listes de souscription, sa presse : Front Mondial 7, la vente de ses brochures.
36Dès sa création, le mouvement français totalise : 15 000 membres regroupant des adhésions individuelles, collectives, ou celles d’organisations. Dans le même temps, 210 comités d’initiative8 sont créés, microcosmes du mouvement national sur le plan local. La Confédération générale du travail unitaire (CGTU) n’est pas étrangère à cette décision. En juin 1933, lors du Congrès ouvrier européen antifasciste de Pleyel, le nombre de ces comités a plus que doublé. Ils sont alors 453. Ils seront 3 000 en juillet 1937.
37Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme, Amsterdam-Pleyel est un mouvement d’opposition. Sa forme est liée à sa composition interne mais aussi à ses objectifs.
38La dénomination de l’organisation (mouvement de masse, organisation de masse) implique une notion de rassemblement et la volonté de conquête des masses au-delà de la sphère habituelle des partis politiques.
39Cette dénomination lui a été donnée par l’IC relayée par sa section française ; ce mouvement de masse se distingue du parti politique par une structure moins rigide.
40Ainsi, lorsqu’en 1932, l’IC décide la création d’un tel type d’association. Sa forme se veut différente des organisations ou associations créées jusqu’alors : l’idée de fonder une association de droit (loi 1901) n’est pas envisagée. Ce mouvement de masse a une structure différente, propre à l’IC, au PC, sans qu’aucune comparaison antérieure ne soit possible. On peut toutefois se demander si celui-ci ne peut être rapproché des associations définies lors du 6e congrès de l’IC de 1926. Nous faisons référence, notamment à la Ligue anti-impérialiste et contre l’oppression coloniale ; le Secours rouge international (SRI), devenu le Secours Populaire, (1937) dont les objectifs d’aide, de solidarité prédisposent à la formation d’une association de droit (1901).
Amsterdam-Pleyel et la crise de février 1934
41Les événements de février 1934 mettent en relief « le risque fasciste » en France ; Amsterdam-Pleyel, le CVIA, la LDH se proposent de défendre la République menacée. La multiplication des comités antifascistes au lendemain de ces journées est l’une des premières ripostes. Loin d’être une réponse politique, elle est d’abord celle d’organisations que ce soit Amsterdam-Pleyel, ou le CVIA. L’élan républicain s’organise, comités Amsterdam-Pleyel, CVIA, comités de vigilance, comités de défense républicaine... Leur nombre (environ 300) et leur activité témoignent de l’ampleur de la crise et, par-delà, de celle de la riposte. À une période où les partis politiques ne peuvent pas l’organiser, celle-ci revient aux organisations de masse9. Aux accords entre partis politiques, le PC oppose l’action de masse privilégiant de fait Amsterdam-Pleyel. Il critique violemment Jacques Doriot qui propose une autre tactique. La dissidence gagne Amsterdam-Pleyel et notamment ses intellectuels. Dès la fin mars 1934, Henri Barbusse répond à l’un de ses partisans :
« Je vous ferai cette petite critique, celle de parler du Parti alors qu’il faut surtout, à mon sens, dans la circonstance et puisqu’est en jeu exclusivement la question du front unique, parler du mouvement d’Amsterdam qui est l’instrument du front unique sur la plate-forme fascisme et guerre. C’est sous l’angle d’Amsterdam qu’il faut amener et traiter le problème. »10
42Même si les relations entre le mouvement de masse et le PC tendent à se détériorer, du fait de la dissidence, elles existent encore et André Gitton membre du Bureau politique précise le rôle du mouvement de masse par rapport au PC :
« Il faut comprendre que nous avons des organisations à côté du Parti qui peuvent prendre des initiatives que nous ne pouvons pas prendre. »11
43Le PC, de fait, confirme sa stratégie de front unique à la base par organisation de masse interposée, le parti politique n’est plus sur le devant de la scène, dépassé par le mouvement de masse. Là où les doriotistes réclament une activité décuplée des partis politiques, et notamment du PC, ses dirigeants mettent en relief l’action d’Amsterdam-Pleyel. Ce mouvement, « organisation-relais » du parti politique, amorce de nouvelles propositions d’action, et notamment d’autres rencontres afin de dégager les prémisses de l’unité d’action. Dans le même temps, la création du CVIA témoigne des difficultés d’Amsterdam-Pleyel sur le terrain de la rue. L’élan républicain perceptible à travers la multiplication des comités antifascistes amorce deux types de réponses : celle des organisations de masse ou du parti politique. Ces deux formes d’action sont-elles antinomiques ? L’une exclut-elle l’autre ? Amsterdam-Pleyel, relais du PC, a-t-il cette seule vocation ? Passage obligé vers le parti politique, n’en est-il pas une extension ? Quelles sont les relations entre organisation de masse et partis politiques ?
44À partir de juillet 1934, les rapports entre le parti politique et le mouvement de masse se modifient. La signature, le 27 juillet 1934, du pacte d’unité d’action entre le PC et le Parti socialiste SFIO auquel se joignent les radicaux met en relief le rôle des partis politiques, aux dépens du mouvement de masse. Alors que la direction du PC tend à occulter celui-ci, Henri Barbusse intervient auprès de l’IC : il faut éviter la liquidation d’Amsterdam-Pleyel. Plusieurs recommandations sont avancées : L’Humanité doit mentionner systématiquement l’activité du mouvement de masse, d’autant que les comités Amsterdam-Pleyel permanents sont les garants du Front populaire. Face à cette désaffection, Henri Barbusse met en relief la fragilité des accords politiques et notamment celle du pacte.
45Les relations entre le mouvement de masse et le parti politique se sont profondément modifiées, en raison du pacte, certes, mais aussi du poids de la dissidence au sein d’Amsterdam-Pleyel. Ces deux raisons expliquent l’indifférence du PC à l’égard du mouvement d’Henri Barbusse. Il n’est plus l’organisation-relais du parti politique. Ses relations au politique sont d’une autre nature. Alors que le pacte remet à l’honneur les partis politiques, les associations, artisans du Front populaire, doivent assumer un nouveau rôle. Leur rapport au pouvoir politique s’est transformé.
Amsterdam-Pleyel et le Front populaire
46De mars à juin 1935, les réunions se succèdent pour créer le Comité d’unité d’action antifasciste (CUAA) de la région parisienne. Il s’agit d’organiser un rassemblement de toutes les forces antifascistes, première étape vers le 14 juillet 1935. Amsterdam-Pleyel, initiateur de cette journée est rejoint par la LDH qui, pour la circonstance, prête ses locaux – d’où la formule lapidaire de Marcel Cachin : « Le Front Populaire, c’est la LDH plus Rabaté [sous entendu : Amsterdam-Pleyel] ». C’est donner aux organisations de masse, un rôle privilégié dans la formation du Front populaire.
47D’autres querelles se dessinent opposant Amsterdam-Pleyel et le Rassemblement populaire. Elles concernent essentiellement sa structure interne. Amsterdam-Pleyel doit assumer un nouveau rôle au sein du Front populaire. Il lui faut structurer dans les comités qu’il appelle à multiplier les inorganisés. À cet effet, il incite à développer les adhésions individuelles, tandis que le Front populaire regroupe : organisations, comités divers, syndicats, partis politiques. Quatre-vingt-dix d’entre elles participent au 14 juillet 1935. Outre le défilé parisien, la capitale accueille les Assises nationales pour le pain, la paix et la liberté. À la fin de la dite année 1935, le Rassemblement populaire peaufine son règlement intérieur :
« Le Rassemblement Populaire n’est ni un parti, ni un superparti ; il est un centre de Liaison entre les organisations et les groupements, qui, tout en conservant leur autonomie, se sont réunis pour une action commune en vue de procéder à la coordination des forces antifascistes de ce pays. »12
48Amsterdam-Pleyel se définit désormais par rapport au Front populaire, au Rassemblement populaire dont il est partie prenante. Une différence fondamentale les oppose : le Rassemblement populaire refuse les adhésions individuelles, il ne distribuera ni carte d’adhérent, ni insigne. Fédération, cartel d’organisations et de groupements, il refuse toute adhésion individuelle13. C’est un simple comité de coordination. Il a appris à se définir, non plus par rapport au parti politique, mais par rapport au pouvoir.
49Paix et Liberté (Amsterdam-Pleyel) ou Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme abandonne son dernier sous-titre et se définit en fonction du Front populaire. Il est devenu Paix et Liberté, adhérent du Front populaire, au service de celui-ci.
50Le mouvement de masse, intégré au Front populaire, n’est plus vu comme un mouvement d’opposition. Selon ses propres termes, il est au service du Front populaire qu’il a contribué à former et dans lequel il est intégré. En abandonnant son dernier sous-titre « mouvement de lutte contre... » le Comité français appelle au développement des adhésions individuelles et à la diffusion des bulletins d’adhésion. Il s’agit de garder une certaine autonomie vis-à-vis du Front populaire, cartel d’organisations, d’autant que ce dernier refuse toute adhésion individuelle. Par opposition, Paix et Liberté insiste sur celles-ci ; il devient l’organisme-clef capable de rassembler autour de son nom les inorganisés, les adhérents individuels.
51En novembre 1935, le mouvement compte 2000 comités, 500000 adhérents collectifs, 350000 adhésions individuelles. Des chiffres néanmoins insuffisants eu égard aux possibilités que sa presse évalue à 30 000 comités, 10 millions d’adhérents.
52Depuis sa formation, le mouvement – avec ses trois formes d’adhésion – s’est profondément modifié. Celui qui, dans un premier temps, refusait une structure proche du parti politique insiste désormais sur les adhésions individuelles. Il s’agit de se distinguer du pouvoir. Il recommande à ses organisations, déjà adhérentes, d’amener ses membres à prendre des cartes individuelles :
« La carte d’adhérent d’Amsterdam-Pleyel est facultative pour les membres des groupements adhérant collectivement. Les dits groupements décideront de la contribution financière qu’ils s’engagent à verser périodiquement à la caisse du Comité. Il serait cependant souhaitable que tous les antifascistes prennent leur carte individuelle d’adhérent. »14
53À cet effet sont éditées, en 1936, des cartes « blanches avec impression bleue » au prix de 1 franc. Les timbres, facultatifs, reproduisent les traits des fondateurs du mouvement : Henri Barbusse, Paul Signac, Francis Jourdain, Romain Rolland, Maxime Gorki.
54Le comité national prône les cartes individuelles, y compris pour les membres des groupements ayant déjà adhéré. Face aux masses importantes d’antifascistes demandant à adhérer au Front populaire, ces antifascistes n’ont qu’une solution : « s’affilier aux partis, mouvements et organisations qui le composent ». Dès lors, des organisations comme Paix et Liberté, successeur d’Amsterdam-Pleyel sur le plan national, appellent à rejoindre son mouvement ; ses dirigeants mettent l’accent sur les adhésions individuelles, et la formation de comités antifascistes ouverts à tous... Outre ceux-ci, le Comité français regroupe les membres des organisations. Précédant le changement d’appellation d’Amsterdam-Pleyel, Front Mondial disparaît, en décembre 1935, au profit d’un nouveau journal Paix et Liberté.
55L’échec d’Amsterdam-Pleyel, en tant que Mouvement mondial face à l’agression italienne contre l’Éthiopie, amène l’Internationale communiste à lancer une nouvelle initiative : le Rassemblement universel pour la paix ou RUP dont le premier congrès se tient à Bruxelles en septembre 1936. Celui-ci s’inscrit-il dans la continuité d’Amsterdam-Pleyel ? Rien n’est moins sûr. Il y a, de fait, deux mouvements parallèles : Paix et Liberté, mouvement national, alors que le Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme, au niveau international, s’éclipse derrière le RUP.
56Près d’un an après sa création, soit en mars 1937, le RUP adopte ses premiers statuts : il est une association de type loi 1901. Il faudra attendre février 1939 pour que Paix et Liberté accepte d’être reconnue et soit enfin une association de droit. De nouveaux statuts sont adoptés.
57Comment adhère-t-on au RUP15 ? Bien que les statuts du 6 mars 1937 soient peu explicites, deux systèmes coexistent : adhésions individuelles et adhésions dites collectives des associations ou partis politiques envoient leur soutien au RUP. Comment interpréter l’adhésion des groupements non communistes ? Si le système du centralisme démocratique rend crédible l’adhésion collective des communistes, les autres mouvements, traversés par des tendances diverses, ne peuvent être analysés de façon identique. Il n’y a pas adhésion de l’ensemble du groupement, mais soutien d’un certain nombre de ses dirigeants. Le RUP en France s’est acquis celui des partis politiques : PC, SFIO, Parti radical, par l’intermédiaire de ses dirigeants. À la différence d’Amsterdam-Pleyel, son implantation locale est faible. Il n’a pas d’organe de presse, et ses comités locaux sont rares. Ils n’ont pas remplacé les comités Amsterdam-Pleyel. Il possède, néanmoins un certain nombre de correspondants.
58Comment mesurer l’influence réelle du RUP quand il comptabilise parmi ses adhérents les membres des associations ? La notion d’adhésion collective s’est profondément modifiée : ce ne sont plus des adhésions recueillies lors de réunions, de meetings, preuve d’un véritable travail de masse, mais les adhésions aux dites associations. Elles ont une valeur toute relative et servent à grossir démesurément l’importance du RUP. Fort de ses dizaines d’associations, le RUP organise de véritables fêtes populaires, typiques de cette période.
59Le RUP, plus qu’une organisation de masse, est un « cartel d’organisations et un rassemblement occasionnel de personnalités souvent notoires ». Ces personnalités apportent leur prestige et un moyen d’action directe sur les gouvernements et la Société des nations.
Quelques tentatives d’explication
60L’étude des registres municipaux16, des archives départementales de la Seine-Saint-Denis, et celles de l’ancienne Seine, par quelques exemples précis, nous ont permis de dégager des éléments susceptibles d’élucider certains changements.
61Plusieurs mairies ayant proposé des subventions se voient désavouées par la préfecture. L’argument invoqué est essentiellement politique. Toutefois, les critères de sélection ne sont pas les mêmes pour tous. Peut-on s’étonner que le CVIA soit déclarée association 1901 au Journal officiel sans qu’il y ait opposition ? Il est vrai que la déclaration d’une association et son subventionnement sur le budget municipal constituent deux questions distinctes.
62Les associations d’anciens combattants [ARAC, FOP, UNC (Le Bourget)] reçoivent régulièrement des subventions. Nous pouvons y ajouter les Amis de l’Union soviétique (AUS), notamment ceux de Bagnolet.
63L’exemple de Sevran17 est d’un tout autre ordre. Le 3 avril 1936, le préfet écrit au sous-préfet :
« Il convient de refuser l’approbation aux délibérations votant des subventions à des groupements présentant un caractère politique ».
64Le sous-préfet répond :
« La caisse communale n’étant pas destinée à alimenter un syndicat de défense professionnelle à tendance politique d’Extrême-gauche. »18
65Si l’année 1936 est celle de la multiplication des associations, il ne semble pas qu’il y ait changement dans l’attitude du préfet après les élections. Est-ce à dire que les personnalités en place n’ont pas changé ? Les raisons invoquées par les préfets, hormis le refus de soutenir des organisations politiques, ne répondent pas à des critères très précis.
66Le 25 juillet 1936, le préfet de Pontoise s’oppose à la demande de subventions faite par la ville de Gagny19 au nom du Comité Thaelmann. On ne peut subvenir à une association qui mette en cause un pays étranger.
67Le 3 octobre 1937, la ville de Sevran mentionne l’opposition de la préfecture à une demande de subvention de 500 francs pour le Comité international d’Aide aux victimes du fascisme italien20. Les mêmes arguments sont invoqués.
68Comment expliquer les modifications d’Amsterdam-Pleyel ? Sont-elles liées à une époque, celle du Front populaire, ou plutôt à des objectifs différents, où le social prend le pas sur le politique, dans un contexte national spécifique ?
69Quelle que soit leur appellation : mouvement de masse comme Amsterdam-Pleyel, puis Paix et Liberté ; association comme l’ARAC et les Amis de l’URSS, ou bien encore l’Association internationale des médecins contre la guerre ; ligue comme la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale, elles ont – pour une partie d’entre elles – une double facette conjuguant le politique à l’aide et au secours.
70Ces associations privilégient le social aux dépens du politique. Première étape vers l’adoption d’un statut juridique spécifique, ni leur composition sociologique, ni leur caractère national ou international ne peuvent justifier qu’elles soient reconnues comme des associations de droit. Si le fait d’être une organisation nationale ou internationale n’est pas un critère, l’importance du social par rapport au politique en est un.
71De surcroît, ces organisations ont des statuts-types combinant trois formes d’adhésions : individuelles et collectives, ou bien encore celles d’associations, ce qui leur permet par ailleurs de grossir démesurément leurs effectifs. Ces adhésions ne sont pas spécifiques d’Amsterdam-Pleyel ou des organisations de masse telles qu’elles furent définies par l’IC.
72Les quelques exemples sur lesquels nous nous sommes appuyés témoignent de l’absence de règles bien précises pour la forme de l’association. Les détails apportés par Henri Barbusse, lors de la création du mouvement de masse, dès août 1932, contrastent avec l’absence d’explication pour la transformation de Paix et Liberté en association type loi 1901. Deux éléments nous paraissent déterminants : le rapport de l’organisation au pouvoir, dont il fut une des composantes ; son indépendance par rapport aux organisations internationales comme le Comité mondial contre la guerre et le fascisme et, par-delà, l’IC.
73Au terme de cette étude, nous avons pu voir, l’évolution du mouvement de masse vers une association type 1901. Hormis le changement de vocabulaire, d’appellation, les formes d’adhésion diffèrent, les objectifs aussi. Nous nous sommes efforcés de saisir les éléments qui ont permis cette mutation. Outre la forme de l’organisation : mouvement de masse, association loi 1901, l’appellation même de celle-ci : Amsterdam, puis Paix et Liberté témoigne d’un changement d’organisation, lié aux années 1930, notamment en France.
74D’Amsterdam-Pleyel, Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme, avec sa triple structure basée sur les adhésions individuelles, collectives et organisations, Paix et Liberté a modifié, sous l’effet du Front populaire, sa structure interne, mettant en relief les adhésions individuelles, rejetées par celui-ci. Ses rapports avec le gouvernement, sa composition, ses fonctions sociales, politiques et culturelles expliquent ces changements.
75Une question reste en suspens : l’adhésion à Amsterdam-Pleyel ou à Pais et liberté constitue-t-elle un premier pas vers le parti politique ?
76En adoptant le cadre juridique spécifique de la loi du 1er juillet 1901, Paix et Liberté n’a-t-il pas désormais pignon sur rue, n’est-il pas devenu une « organisation officielle » ? Pourquoi ce retard à la déclaration dans le cadre de la loi de 1901 ? Est-il imputable à l’organisation même, hostile à cette reconnaissance, à cette officialisation, ou au gouvernement ?
Notes de bas de page
1 Cf. Yves Santamaria, Le PCF et la lutte pour la Paix (1932-1936), Thèse de Doctorat sous la direction d’A. Kriegel, Univ. Paris X, 1991 ; – Jocelyne Carré-Prézeau, Amsterdam-Pleyel (1932-1939). Histoire d’un mouvement de masse, Thèse de Doctorat sous la direction de Claude Willard, Univ. Paris VIII, 1993.
2 Paix et Liberté, n° 38, 25 octobre 1936. Cette nouvelle appellation date d’octobre 1936 et concerne uniquement le mouvement français.
3 Philippe Burrin, La Dérive fasciste, Doriot, Déat, Bergery (1933-1945), Paris, Seuil, 1986.
4 Zentralis Staatsarchiv, Potsdam n° 26162, bl 35-38. Lettre circulaire du Web à tous les partis communistes du 7 septembre 1932. Traduction de Carmen Geise.
5 Institut de recherches marxistes. Archives H. Barbusse Dossier 58 (3) Pièce 236 « La grande voie d’Amsterdam ».
6 Bibliothèque marxiste de Paris, H. Barbusse, « Le Comité de lutte contre la guerre impérialiste aux comités locaux d’Initiative », Bulletin du Comité Mondial de lutte contre la Guerre Impérialiste, n° 1, septembre 1932.
7 Cette revue dont le premier numéro date de janvier 1933 est une publication trilingue qui paraîtra en anglais, en allemand et en français.
8 Institut d’Histoire sociale de la CGT. Archives du séquestre. PA33 Lettre de R. Bailly, secrétaire de la CGT (Orléans) du 22 mai 1932 à H. Barbusse.
9 Institut de recherches marxistes. Archives H. Barbusse Dossier 58 (1) Pièce 1 Lettre d’H. Barbusse à Francis Jourdain du 31 mars 1934.
10 Institut de recherches marxistes. Archives H. Barbusse Dossier 58 (1) Pièce 1 Lettre d’H. Barbusse à Francis Jourdain du 31 mars 1934.
11 Institut de recherches marxistes. Archives de l’Internationale. Fonds français. Microfilms. Série 689 BP du 21 mars 1934. Intervention de Gitton.
12 Institut d’Histoire sociale de la CGT. Archives du séquestre. Région Parisienne. 1PA 33. Règlement Intérieur du Front Populaire.
13 Institut d’Histoire sociale de la CGT. Archives du séquestre. Région Parisienne. 1PA 33. Règlement Intérieur du Front Populaire.
14 « Recrutons adhésions individuelles, Adhésions collectives », Bulletin du Comité National de Lutte contre la Guerre et le fascisme, n° 10, janvier 1936, p. 4.
15 Rachel Mazuy, « Le Rassemblement Universel pour la Paix (1935-1939) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 30, janvier-mars 1993.
16 AD 93 Série 0 93/269 Administration et budget communal. Département de Seine-et-Oise.
17 AD 93 Série 0 93/269 Administration et budget communal. Département de Seine-et-Oise. Arrondissement de Pontoise. Canton d’Aulnay-sous-Bois.
18 AD 93 Série 0 93/269 Administration et budget communal. Département de Seine-et-Oise. Arrondissement de Pontoise. Canton d’Aulnay-sous-Bois.
19 AD 93 Série O 93/188 Ville de Gagny.
20 AD 93 Série 0 93/269 Administration et budget communal. Département de Seine-et-Oise. Arrondissement de Pontoise. Canton d’Aulnay-sous-Bois.
Auteur
Professeur d’histoire au lycée Mozart de Blanc-Mesnil.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Métro, dépôts, réseaux
Territoires et personnels des transports parisiens au XXe siècle
Noëlle Gérôme et Michel Margairaz (dir.)
2002
Policiers dans la ville
La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914)
Quentin Deluermoz
2012
Maurice Agulhon
Aux carrefours de l’histoire vagabonde
Christophe Charle et Jacqueline Lalouette (dir.)
2017
Autonomie, autonomies
René Rémond et la politique universitaire en France aux lendemains de Mai 68
Charles Mercier
2015