Conclusion
Bilan de la première Journée doctorale d’archéologie
p. 201-206
Texte intégral
1Docteur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041.L’école doctorale Archéologie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne regroupe plus de 57 HDR et 400 doctorants. Son volume, sa diversité thématique et chronologique, sans freiner son dynamisme, ne lui ont cependant pas permis jusqu’à présent de se manifester dans toute son ampleur. En effet, si la plupart des équipes et des disciplines organisent de façon indépendante et régulière des rencontres doctorales ou des séminaires de doctorants, aucune manifestation associant l’ensemble des doctorants en archéologie n’avait encore vu le jour. C’est pourquoi il a été décidé, lors de la réunion du conseil de l’École doctorale du 30 mars 2005, d’organiser au printemps 2006, la première Journée doctorale d’archéologie. Elle s’est tenue à l’Institut d’art et d’archéologie le 20 mai 2006.
2Les objectifs de cette réunion, désormais annuelle, étaient multiples. Nous souhaitions encourager la rencontre de doctorants et de jeunes docteurs – mais aussi d’étudiants et d’enseignants – travaillant sur des aires chrono-culturelles variées et qui se trouvent trop souvent confinés à leur propre discipline et leurs axes de recherche. L’objectif principal fut donc de réunir des futurs chercheurs en archéologie, provenant d’une même université mais dont les méthodes, problématiques et approches diffèrent, afin qu’ils puissent comparer leurs méthodes et résultats, discuter et réfléchir ensemble autour d’un thème précis qui touche chacune des disciplines dont ils sont issus. Cette journée devait donc être l’occasion de débats et de réflexions poussées sur un thème a priori fédérateur, un thème par conséquent trans-disciplinaire et diachronique.
3La question choisie fut « de la culture matérielle à l’identification de l’espace culturel ». L’enjeu majeur consistait à comprendre dans quelle mesure il était possible d’identifier des espaces culturels à partir de l’étude de la culture matérielle et de discuter des définitions de chacun des éléments.
4De cette façon, nous tentions d’éviter l’écueil de certaines journées doctorales qui ne sont souvent qu’une succession de présentations de sujets de thèse, sans logique apparente.
5Cette démarche a permis de faire connaître l’avancée des recherches en cours ; celles-ci concernaient à la fois le doctorant et son équipe, ainsi que l’éventuel programme auquel il se rattache. La publication était aussi un objectif, afin que le travail des doctorants puisse être reconnu en tant qu’activité de recherche mais aussi, et surtout, de manière à concrétiser et matérialiser cette journée doctorale.
Développement des propos
6Le thème choisi pour cette journée doctorale impliquait deux notions, dont les degrés d’interrelations semblaient mériter une analyse : la culture matérielle d’une part, et l’espace culturel d’autre part. Les vestiges matériels des sociétés humaines, qui sont souvent les seuls témoins accessibles aux archéologues, reflètent une somme d’ensembles conceptuels.
7D’un point de vue très général, l’objet se situe au cœur de la définition de la culture matérielle, et sa répartition – dont les modalités spatiales et temporelles doivent être appréciées le plus clairement possible – constitue une aire, un espace au sein duquel les sociétés humaines ont créé, fabriqué et utilisé cet objet.
8Cependant, et c’est là toute la richesse de la notion envisagée, la culture matérielle n’inclut pas seulement l’artéfact, mais elle comprend aussi toute sa chaîne opératoire, avec ce qu’elle implique de savoir-faire. Elle reflète aussi le geste, qui découle lui-même d’une tradition et d’innovations. Elle implique enfin une organisation économique précise, un environnement social défini et un système élaboré d’échanges et de relations à l’autre. Il en résulte une grande multiplicité d’« objets » possibles : le mobilier figure certes en bonne place, mais s’y ajoutent des éléments hétérogènes, du moins en apparence, qui sont les caractérisations concrètes d’une culture « immatérielle », renvoyant, en somme, à la culture.
9L’autre aspect évoqué, celui de l’espace culturel, mêle deux probléma-tiques en partie liées et en partie distinctes. La première consiste à tenter de savoir comment il est possible d’associer de façon précise une culture matérielle à un espace donné, avec quel degré de fiabilité, quelles limites et quelles possibilités interprétatives. La deuxième approche vise à comprendre l’espace lui-même en tant que vestige culturel.
10Les communications présentées lors de la journée doctorale attestent de la grande diversité des points de vue. Elles furent divisées en quatre grandes sessions.
11La première des approches est celle de l’image. Stéphane Petrognani s’attache à la différenciation des ensembles aurignaciens, gravettiens et solutréens grâce à l’étude techno-stylistique et thématique, et tente ainsi de déterminer dans quelle mesure l’art contribue à identifier une culture. Toujours à l’époque paléolithique, mais à un niveau différent, Éric Robert examine les signes peints et leur rapport avec les reliefs naturels pariétaux, et y décèle des degrés différentiels selon la région. Ces questions ne se limitent pas à l’art préhistorique : Christina Spanou met en évidence, dans ses recherches sur les icônes chypriotes du xiiie siècle, la diversité des styles et des représentations, qui correspondent à des écoles régionales. Celles-ci reflètent la manière dont chaque artiste ou atelier local traite l’iconographie. Les différences d’échelles chronologiques et géographiques entre ces trois articles aboutissent à des résultats très distincts, les deux premiers sur la très longue durée et le troisième sur moins d’un siècle. Cependant, chaque fois l’image semble rendre possible la définition d’un espace, parfois celui de vastes ensembles culturels, parfois celui d’une école.
12Le deuxième ensemble, encore lié – de façon moins directe – à l’image, comprend plusieurs approches variées de l’analyse des styles et des techniques de la céramique. À partir de l’exemple de la céramique incisée de Barajas, Chloé Pomédio entreprend une analyse approfondie qui met en évidence la coexistence de différentes techniques de décor, témoins semble-t-il d’une pluralité des traditions au sein d’un même espace. Celui-ci pourrait-il être défini par cette pluralité ? Les études technologiques et contextuelles abordées par Sandrine Durgeau montrent en particulier une corrélation entre certains aspects liés au façonnage de la poterie et certains gestes funéraires, ce qui permet de lier, avec toutefois de nombreuses questions, un geste technique et un acte symbolique au sein d’une même culture. Théophane Nicolas étudie les styles céramiques de la culture du Bronze Final dite « Rhin-Suisse-France orientale », et propose des modèles géographiques dans la perspective de la définition des identités régionales et des zones frontières où deux groupes sont en contact.
13À partir des deux seuls types de documents vus jusqu’ici – l’image et la poterie – la diversité des approches possibles est grande, de même que les cheminements analytiques et les résultats proposés.
14D’autres voies peuvent aussi être suivies pour déceler des options culturelles au sein d’un espace. En prenant comme base de travail les épaves marines, Vanessa Loureiro tente de discerner, par l’analyse de l’architecture navale, l’existence d’une certaine diversité des traditions régionales au sein de l’espace ibéro-atlantique. Ici, ce n’est pas seulement l’objet concret qui apporte un témoignage de l’orientation culturelle liée à un savoir-faire précis, mais l’ensemble de la séquence conceptuelle et de la réalisation d’un ouvrage qui combine de nombreuses compétences. À un autre niveau, Isabelle Warin manie les procédés conceptuels et techniques liés à la fabrication des armes au sein du cadre politique de la Grèce antique : l’efficacité de certains types d’armes entraîne une adoption et une imitation fréquente, mais qui ne s’affranchit pas nécessairement du symbolisme culturel d’une part, et des compétences dans le maniement d’autre part, comme le montre l’exemple des archers scythes de la cité athénienne. Une approche originale est entreprise par Philippe Charnotet, qui parvient à mettre en relief, à partir de l’exemple biturige, les difficultés de correspondance entre territoire et monnayage.
15Les pratiques et les représentations religieuses peuvent aussi caractériser des traits culturels clairement définis, y compris dans des régions à fort degré de syncrétisme. Tel est le point de vue proposé par Amélie Le Bihan avec l’exemple de la religion au Proche-Orient aux époques hellénistique et romaine. L’univers immatériel trouve souvent une concrétisation dans les rituels funéraires : Cybèle David observe que l’espace funéraire s’organise matériellement au cœur de l’espace de vie.
16Enfin, la dernière approche proposée considère les phénomènes d’influences culturelles et leurs conséquences sociopolitiques dans l’espace insulaire du Japon protohistorique. Linda Gilaizeau apporte un éclairage sur les dynamiques de transformation à divers niveaux : les nouvelles élites assoient leur pouvoir territorial sur les échanges avec l’extérieur, et par l’adoption des objets et des symboles continentaux.
Bilan critique
Le bilan de cette Journée doctorale peut être évalué en trois points principaux.
17Lors de la conception du programme, nous avions pour idée principale de lier les deux composantes principales des travaux de thèse en cours actuellement dans la section d’archéologie de l’UFR 03. La plupart des étudiants sont en effet impliqués dans l’analyse détaillée de l’un de ces deux aspects et il nous a paru intéressant d’encourager la réflexion autour de la combinaison de ces deux aspects.
18Les archéologues étudient traditionnellement des cultures à travers des vestiges matériels et ils les délimitent souvent dans des espaces bien définis. Notre objectif était de voir comment se situent des jeunes chercheurs issus de disciplines et d’aires chrono-culturelles très différentes par rapport à ces postulats forts qui ont contribué à façonner la discipline archéologique. Selon nous, deux approches du sujet étaient envisageables en fonction des affinités personnelles. Il s’agissait de partir de l’un des deux aspects – culture matérielle ou espace –, d’en définir sa propre conception et de voir dans quelle mesure on pouvait ou non le relier à l’autre. Nous voulions en fait lancer une discussion afin de déterminer si la culture matérielle peut se combiner avec certaines réalités spatiales, à travers différentes approches chrono-culturelles et différents outils d’analyse. Nous pouvions nous attendre à voir des cartes de répartition d’objets et la division éventuelle de celles-ci en différents secteurs démontrant l’unité ou la diversité de la culture matérielle. Ceci permettait également de nous interroger sur la pertinence de nos méthodes, et sur la signification de nos outils, en particulier les cartes de répartition ou les systèmes d’information géographique.
19En ce sens, les communications présentées lors de cette journée doctorale n’ont pas toujours totalement répondu à nos attentes, probablement du fait de la diversité des données et des problématiques, ainsi que de la variété des approches. Il y a eu finalement assez peu de mise en parallèle de cartes de répartition et de types de mobilier, si l’on excepte les travaux sur la céramique de T. Nicolas et C. Pomédio, qui, s’inscrivant dans une longue tradition, visent à mettre en rapport les styles céramiques et les limites culturelles. Les perspectives évaluées par P. Charnotet constituent une démarche originale, bien que les résultats ne soient pas encore déterminants du fait des limites inhérentes au type de documentation. Toutefois, la perspective tracée par l’auteur s’annonce prometteuse. D’une manière plus générale, on pourrait peut-être regretter aussi un certain manque de questionnement épistémologique sur les significations de la culture matérielle et des diverses acceptions de l’espace culturel. Chacun des jeunes chercheurs a présenté sa propre conception de ces deux termes sans toujours ressentir le besoin de les définir et de les expliquer à l’auditoire. Mais ce choix s’est finalement avéré très riche d’enseignements dans la mesure où il a pu ouvrir des perspectives variées et a laissé place à des discussions fructueuses.
20Le principal résultat de cette confrontation, outre la quantité d’informations livrée, a été de mettre en lumière l’existence de différents espaces culturels et de conceptions plurielles de la culture matérielle.
21L’interprétation de l’espace s’est révélée à plusieurs échelles. Elle inclut une échelle large et traditionnelle, au niveau d’une portion de continent, telle l’Europe du Sud pour V. Loureiro, d’un pays, ou d’une région, comme le centre de la France pour P. Charnotet. Mais de manière peut-être moins évidente, la dimension spatiale peut également se comprendre à une échelle beaucoup plus restreinte, celle d’un site habité ou funéraire (C. David) par exemple, voire celle de la grotte (É. Robert).
22La conception de la culture matérielle est tout aussi variée. Outre les composantes traditionnelles comme la céramique (C. Pomédio, T. Nicolas, S. Durgeau) ou la numismatique (P. Charnotet), sont apparus des signes et des représentations dans les grottes rupestres (É. Robert, S. Petrognani), mais également des traditions techniques de manufacture d’armes (I. Warin) ou de construction navale (V. Loureiro), des traditions picturales (C. Spanou) des pratiques religieuses d’ordre conceptuel (A. Le Bihan, C. David), voire architectural (C. David, L. Gilaizeau). Toutes ces contributions ont mis l’accent sur la richesse de l’expression de la culture matérielle des populations à travers le temps et l’espace.
23La confrontation des différentes composantes de la section d’archéologie a donc, en partie du moins, rempli son objectif de départ car elle nous a ouvert les yeux, non seulement à d’autres données, d’autres questions et d’autres méthodes de recherche, mais elle a surtout permis de mettre en évidence l’existence de perceptions très différentes de ces deux concepts fondamentaux. Il s’avère désormais nécessaire de réfléchir sur ces concepts trop souvent utilisés de manière mécanique et banale. La richesse issue de la diversité de ces approches s’est finalement révélée très profitable, en permettant d’accroître le champ de nos réflexions.
24Apportant davantage de questions que de réponses, l’exercice entrepris participe donc pleinement de l’ambition de la recherche.
Auteurs
Docteur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041 – Boursier de la Fondation Fyssen.
Docteur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041 – Pensionnaire à l’IFPO.
Docteur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041 – Pensionnaire à l’IFPO.
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