Pour une histoire de l’« intellectuel collectif » communiste avec et contre les enseignants (1920-2000)
p. 181-212
Texte intégral
La tentation était forte de ne pas tenir la promesse faite à mes parents (et à moi-même) de poursuivre mes études et devenir médecin. Je voulais être un « révolutionnaire professionnel » (tel le héros de Brecht, tels ces camarades rencontrés à l’hôpital et au sana...) ; cette expression me plaisait (en France, je ne pouvais devenir que « permanent du Parti » ; ce terme n’entrait tout simplement pas dans mon champ intellectuel.
Stanislas Tomkiewicz, C’est la lutte finale etc.
Éditions de la Martinière, 2003, p. 63.
Introduction
1Bien que fondé sur des recherches empiriques passées ou en cours, personnelles ou non, cet exposé restera programmatique et par conséquent nécessairement allusif1. Il s’agit de suggérer une mise en perspective de l’histoire du Parti communiste français (PCF) reposant sur l’hypothèse d’une « articulation » indirecte mais essentielle entre l’histoire scolaire française, l’histoire des champs de production intellectuels et l’histoire du PCF comme « intellectuel collectif »2.
2Ainsi que le fait remarquer l’auteur de la notice « intellectuels » du Dictionnaire critique du marxisme3 , il est assez étonnant que les théoriciens marxistes, à l’exception remarquable d’Antonio Gramsci, aient accordé si peu d’importance aux « intellectuels » alors que, dans toute l’histoire du mouvement ouvrier et du communisme, l’enjeu de la participation des intellectuels, et de leur rôle, est récurrent, central, conflictuel. Des inquiétudes de Marx face à certaines propositions ouvrières au sein de l’Association internationale des travailleurs (AIT), qui tendaient à éliminer des instances dirigeantes de l’internationale les Literary men, aux polémiques sur les « intellectuels prolétaires » au tournant du XXe siècle, auxquelles participent Karl Kautsky et Paul Lafargue notamment4, de l’ouvriérisme de la CGT syndicaliste-révolutionnaire d’avant 1914 à sa réactivation délibérée par le PC des années 1920, de l’instrumentalisation des intellectuels membres du PCF durant la guerre froide, au dégel et à l’ aggiornamento qui s’ensuivront, du comité central d’Argenteuil en 1966 à la rencontre entre le Bureau politique (BP) et 400 intellectuels communistes à Vitry-sur-Seine en décembre 1978 (qui sonne le glas d’une période de compromis entre nombre d’intellectuels et la direction du PCF), sans oublier bien d’autres étapes ou facettes de cet enjeu comme le refoulement des utopies culturelles des années 1920 (le Proletkult en URSS) et des utopies pédagogiques5, ou bien encore les tentatives de promotion de journalistes et d’écrivains ouvriers (des rabkors aux écrivains prolétariens), la question des intellectuels est une dimension essentielle de l’histoire du communisme. Or, elle constitue un point aveugle chez les théoriciens marxistes même si, bien entendu, on trouve chez eux de très nombreuses notations ou prises de position. Chez Lénine par exemple, le Lénine de Que faire ? (1902), le Lénine se défiant de la conscience spontanément trade-unioniste des ouvriers, affirmant alors que la théorie révolutionnaire ne pouvait être apportée au monde ouvrier que de l’extérieur, par des intellectuels révolutionnaires. Chez Gramsci, bien sûr, le seul théoricien marxiste qui ait esquissé une théorie et une histoire des intellectuels6. Il reste qu’aucune grande étude n’a été consacrée aux intellectuels de profession, pas plus qu’à ces « intellectuels » que seraient, selon Gramsci, tous les militants d’un parti communiste7.
3A l’opposé de ce silence relatif, la sociologie weberienne8 accordait aux intellectuels autodidactes des couches négativement privilégiées, à l’intelligentsia prolétaroïde, aux « petits intellectuels » en un mot, un rôle tout à fait déterminant dans l’analyse des partis politiques ouvriers. En France, c’est surtout Jeanine Verdès-Leroux qui empruntera ce cadre typologique mais avec une orientation uniment légitimiste : démunis ou peu dotés de culture légitime, dépendants du marché protégé du parti, souvent condamnés au ressentiment à l’égard des « vrais » intellectuels, qualifiés d’« autonomes », les intellectuels de parti9 rêvaient de mettre au pas ces derniers. Bien qu’elle ait ainsi ouvert la voie à une analyse sociologique des intellectuels communistes, surtout dans son premier livre, J. Verdès-Leroux rejoint la plupart des analystes que les « errements » et « aveuglements » de la guerre froide, à l’apogée du stalinisme, mais aussi la résistance tenace à la reconnaissance des phénomènes de violence du monde soviétique, conduisent à faire de ce moment « une page noire de l’histoire des clercs, au même titre que la collaboration »10 . L’usage typologique des idéaux-types wébériens manque ce à quoi servent ces représentations : moins à enfermer la réalité multiple et contradictoire dans ces catégories que d’ouvrir la voie à des analyses empiriques qui se doivent de restituer cette complexité en prenant toute la mesure des écarts à l’idéal-type11 et des métissages dont la réalité concrète est faite.
4On peut retenir de ce relatif silence marxiste et de certains usages de la sociologie de Weber une hypothèse et un enseignement :
5– ce silence n’est vraisemblablement pas dû au hasard. Traiter des « intellectuels » – au sens large, gramscien – c’était sans doute poser un problème crucial qui aurait impliqué de la part des théoriciens « révolutionnaires » une haute conscience auto-réflexive encore insuffisamment fondée en théorie au XIXe siècle puis totalement incompatible avec les logiques propres au stalinisme12.
6– De Weber, on retiendra l’idée qu’il faut se donner pour objet, quand on étudie un parti politique, les différents types d’intellectuels qui le composent, les cultures implicites et explicites qu’ils doivent à leurs formations diversifiées (de l’autodidacte au créateur, du lettré au scientifique, etc.), les concurrences qui les divisent et les complicités qui les associent, les rapports à l’autorité et les contradictions enfin qui les habitent et qui tiennent pour une bonne part à la diversité des champs dans lesquels ils œuvrent. À cette fin, l’analyse des « inconscients d’école »13, variables suivant les trajectoires scolaires suivies, peut s’avérer une voie fructueuse pour appréhender ces cultures intellectuelles.
7Un refoulement d’un côté, une invitation à se défier des dérives typologiques de l’autre, incitent à étudier les configurations14 internes au PCF au sein desquelles s’ordonnent et se hiérarchisent les relations entre les différents types d’intellectuels qui le composent. Ce qui revient au fond à rendre compte d’une notion indigène parfois utilisée pour désigner le parti en tant qu’il est une entreprise intellectuelle ou culturelle, celle d’intellectuel collectif15. Dans l’histoire du PCF, la question de la place et de la fonction des intellectuels se formule généralement comme suit. D’une part, on affirme qu’ils doivent concourir à la vie du Parti ; on les invite alors à s’exprimer au même titre que les autres militants sans sacrifier leur spécificité mais sans jamais oublier, d’autre part, leur position subordonnée dans la hiérarchie des instances de décision. « Intellectuel collectif », ce syntagme oximorique désigne, après 1956, le lieu d’une tension potentielle16 : comme on le sait, l’imaginaire de « l’intellectuel » répugne à tout ce qui rappelle le collectif associé au « servile », au « dépendant », au « trivial » ou au « commun » par opposition au « personnel », à l’« original », au « créatif ». Cette tension, nombre d’intellectuels communistes l’ont vécue17. Bien que ce type de tension varie suivant les moments et les intellectuels, et qu’on le retrouve de ce point de vue tout au long de l’histoire du Parti communiste lorsqu’on règle sa focale sur des individus, on peut néanmoins en esquisser l’histoire sociale dans la mesure où elle renvoie à l’histoire des configurations entre les intellectuels organiques communistes18 et les intellectuels de profession membres du PCF19. Deux grandes configurations, correspondant toutes deux à deux périodes justifiées à la fois par l’histoire politique et par l’histoire du système d’enseignement, ont été retenues. La première période (1920-1956) correspond grosso modo à l’apogée de l’école républicaine comme système d’enseignement divisé en deux réseaux symboliquement et institutionnellement étanches (le primaire élémentaire et le post-élémentaire primaire, d’une part, le secondaire-supérieur d’autre part). Elle correspond aussi à l’histoire de la « stalinisation » progressive du PCF dont le mouvement ascendant s’achève avec la mort de Staline, dès 1953. La seconde période (1960-2000), celle de « l’explosion scolaire », est celle de la généralisation symbolique et partiellement effective du modèle de l’enseignement secondaire-supérie20. Mais elle correspond aussi à la crise d’autorité intellectuelle du communisme qui ne parvient pas à trouver les voies nouvelles de sa légitimation. Ce phénomène, sous des formes différentes, affecte l’ensemble du monde communiste. Il se traduit par la montée en puissance des formes d’autorité symbolique politiquement marginalisées jusqu’alors, celles qui sont précisément incarnées par les intellectuels de profession21. Ces deux configurations qui associent en une structure plus ou moins stabilisée durant une certaine période, histoire du système scolaire, histoire intellectuelle et histoire du PCF, caractérisent l’histoire sociale des relations entre intellectuels communistes. La première correspond à la mise en place et à l’apogée du stalinisme, la seconde reflète la mise en crise de ce modèle et correspond à la recherche d’un nouvel équilibre fondé sur des relations plus complexes et sur une redéfinition de la division du travail théorique. Cet équilibre recherché, que de nouvelles règles du jeu tentent de réguler, affirme son projet de complémentarité entre les différents types d’intellectuels mais peut déboucher néanmoins sur des relations nettement concurrentielles.
La vocation communiste ou la première configuration (1920-1956)
Élimination et marginalisation des intellectuels (1920-1947)
8La période de bolchevisation, puis la période classe contre classe peuvent être analysées, fondamentalement, comme des périodes d’élimination puis de marginalisation des intellectuels de toutes sortes, petits et grands, soupçonnés de contaminer la pureté de l’outil-parti par leur idéologie « petite-bourgeoise ». Ainsi passe-t-on de 18,75 % d’ouvriers au Comité central (CC) de 1920 à 52,17 % en 1936, tandis que les professions intermédiaires diminuent (de 43,72 % à 28,26 %), sachant qu’en leur sein, ce sont les employés aux écritures qui augmentent alors que les instituteurs tendent à décroître. Enfin, les catégories supérieures tombent de 37,49 % à 17,38 %, mais les professions libérales chutent de 12 % à 0 % tandis que les professions littéraires passent de 18,75 % à 4,24 %.
9La période d’invention du cadre thorézien (1931-1936) consacre la prééminence du personnel politique communiste d’origine ouvrière et populaire. C’est aussi une période de régularisation des relations entre les différents types d’intellectuels qui composent le PCF. D’un côté, le Parti et ses postes sont principalement investis par des intellectuels organiques à l’exception de certains postes « techniques » exigeant des compétences détenus par les seuls intellectuels de profession. De l’autre, le contexte antifasciste confère un rôle politique spécifique aux intellectuels de profession, avec le Comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes puis les luttes « culturelles » du Front populaire par exemple. Au sein du PCF néanmoins, certains intellectuels recommencent à jouer un rôle non négligeable dès lors qu’ils respectent strictement les fonctions « techniques », « d’expertise » ou de « représentation » auxquelles ils sont affectés, en particulier pour cette bonne cause entre toutes qu’est l’ antifascisme22. C’est le cas par exemple d’Aragon qui, dans cette période où le « militant » prime sur « l’écrivain », s’adonne à l’élaboration du « réalisme socialiste »23, est rédacteur en chef de Ce Soir, tandis que Georges Politzer s’occupe de la documentation du Parti ou que Jean Bruhat prépare les dossiers historiques grâce auxquels Maurice Thorez bâtit, par exemple, son discours du congrès d’Arles (1937). Tout semble indiquer par ailleurs que cette période voit le retour de nombre d’instituteurs qui, au sein des fédérations, à un moment de grand développement des effectifs, accèdent à nouveau à des responsabilités politiques, en particulier en province, dans les zones rurales. Mais une grande méfiance nourrit ce « retour » comme en témoigne le rapport de Maurice Tréand sur les cadres en 193724, ou l’autocritique de Georges Cogniot qui, dans son autobiographie d’institution de 1937, s’accuse de n’avoir pas été assez vigilant envers les intellectuels communistes.
10Cette configuration nouée au moment du Front populaire se perpétue durant la guerre25 et à la Libération mais cette fois avec une implantation dans les professions intellectuelles sans commune mesure avec celle qui avait caractérisé les années trente. Elle exige le développement d’un travail partisan spécifique en direction des intellectuels. Se met alors en place dans la foulée du Front national un dispositif complexe d’encadrement des intellectuels avec la création d’une organisation spécifique, l’UNI (l’Union nationale des intellectuels)26 qui se propose de fédérer organisations et journaux des professions intellectuelles (Union française universitaire, Mouvement national judiciaire, Union des médecins français, Mouvement national du spectacle, etc.) Des revues, Action, Les Lettres françaises, L’Université libre, L’École laïque, Le Médecin français ou Arts de France, témoignent de cette audience. L’adhésion au PCF de « grands » intellectuels et artistes comme Pablo Picasso, Paul Langevin, Francis Jourdain, Fernand Léger, Frédéric Joliot-Curie ou Paul Éluard symbolise cette implantation réussie dans les milieux intellectuels. L’audience du Parti communiste à l’École normale supérieure est ainsi sans commune mesure avec ce qu’elle fut et ce qu’elle sera. En 1946, 10 % des normaliens seraient, selon certaines estimations, membres du PCF27. Georges Cogniot et Roger Garaudy définissent les perspectives propres à la période à l’occasion du Xe congrès à Paris en juin 194528. La stratégie qui prévaut alors est celle d’un large rassemblement placé sous le signe de l’humanisme et du rationalisme ancrés dans une histoire intellectuelle nationale, stratégie qui tourna court comme en témoigne l’échec, sur le modèle mythique de L’Encyclopédie des Lumières, de L’Encyclopédie de la Renaissance française.
La vocation communiste et le « génie stalinien »
11Cette première configuration se structure en matière théorique autour de la prééminence des directions politiques, en particulier celle de Staline. Celle-ci résulte d’une longue histoire, celle du stalinisme lui-même. Dès 1924, dans Les principes du léninisme, Staline reformule les thèses léninistes à ce sujet en réduisant la théorie à « l’expérience du mouvement ouvrier de tous les pays, prise sous sa forme générale »29, légitimant ainsi le rôle clef qu’il entend réserver à la direction du Parti en matière de théorie et surtout celui qu’il entend jouer lui-même. Ce dont, on le sait, il ne se privera pas : en « sciences sociales » (économie, linguistique, histoire, statistique30, etc.) mais aussi dans les sciences expérimentales comme la biologie (le lyssenkisme). Parallèlement, il sanctifie le « marxisme-léninisme » en canonisant les textes de Marx-Engels-Lénine et en s’érigeant progressivement en principal interprète autorisé. D’où le mode très analogue à celui des débats théologiques caractéristique des évolutions doctrinales au sein du mouvement communiste international. Désormais, une dimension essentielle de la vie intellectuelle communiste prend la forme de conflits qui portent sur « l’orthodoxie » des interprétations des textes canoniques. De ce fait, Staline confère au poste de secrétaire général de parti une dimension tout à fait particulière, même s’il s’attribue, dans la hiérarchie des secrétaires généraux, le rôle éminent. Gardien de l’orthodoxie, arbitre des conflits d’interprétation, le secrétaire général doit être à la hauteur de ce fantasme d’institution stalinien. Dans le cas du PCF, l’ouvriérisation des instances dirigeantes durant les années vingt et trente jusqu’à la victoire du cadre thorézien et du système d’organisation qui lui est lié, conduisent Maurice Thorez à un intense travail de formation personnelle visant à légitimer le rôle qu’il se doit d’occuper aussi sur ce créneau. Pour le faire accéder au statut symbolique d’auteur, un premier produit culturel de compromis est conçu avec la publication d’un livre autobiographique, Fils du peuple, en 193731. Puis, après guerre, un pas de plus sera franchi avec l’habilitation de Maurice Thorez comme dirigeant « marxiste », ce que la publication (inachevée) de ses œuvres (sur le modèle des Grands : Marx, Lénine, Staline, etc.)32 et ses interventions explicitement théoriques, dans le domaine de l’économie politique33 et de la sociologie marxiste34, viendront « attester ».
12Ce « modèle », notons-le, Waldeck Rochet aura à cœur de l’incarner dans son désir de ne pas dilapider l’héritage de « Maurice »35. Ses lectures de Spinoza et son goût pour la philosophie associés à un travail surhumain, une distraction légendaire et un quant à soi préservé, lui confèrent une dimension de philosophe plébéien que vient concrétiser, par exemple, son texte sur la philosophie marxiste.
13Si, d’un côté, la première configuration de l’intellectuel collectif suppose une redéfinition des tâches théoriques, une hiérarchisation de ceux qui ont autorité pour orienter le travail scientifique et statuer sur ces résultats, un canon et ses interprètes autorisés, elle implique d’un autre côté l’existence d’un ensemble d’intellectuels organiques dont la vocation est d’épouser harmonieusement cette structure idéologique.
L’intellectuel organique communiste
14En un certain sens, le communisme n’a pas inventé les mécanismes sociaux de fabrication de son encadrement intellectuel. Il a transposé et orienté à son profit un dispositif existant par ailleurs pour d’autres catégories de « petits » intellectuels. La comparaison avec le prêtre rural et l’instituteur laïque est alors, de ce point de vue, pleine d’enseignements. Le prêtre rural, puis le prêtre ouvrier et l’instituteur laïque partagent en effet avec l’intellectuel organique communiste, à peu près à la même époque historique, certaines propriétés qu’ils doivent à la similitude des conditions de leur « production » sociale. Les uns et les autres doivent fréquemment à leurs origines populaires d’avoir pu bénéficier d’une scolarité post-élémentaire totalement conçue et contrôlée par l’institution qui les a recrutés. Celle-ci, en leur offrant pour seul horizon un service dévoué qui exploitait leur rapport au savoir tout en les promouvant à des positions sociales dotées d’un certain prestige, faisait jouer, en imposant des vocations sacerdotales et enseignantes, des mécanismes sociaux analogues aux mécanismes d’imposition de la vocation de « révolutionnaire professionnel ». Dans chacun des cas, on peut noter que de véritables « disciplines de vie » étaient au cœur des formations dispensées par le Petit Séminaire, les écoles normales ou les écoles centrales du PCF, particulièrement les écoles de longue durée, et l’École léniniste internationale. Le caractère vocationnel du métier de prêtre (rural et a fortiori ouvrier) et du métier d’instituteur, tout comme « le bonheur communiste », atteste de la réussite de ces systèmes concurrents de promotion et de formation. Il est d’ailleurs significatif que les dirigeants communistes ont souvent croisé les carrières de prêtre et surtout d’instituteur qui, à un moment donné de leur histoire personnelle, ont pu être un devenir possible ou probable, explicitement envisagé. Dans tous ces cas, tout se passe comme si les institutions recruteuses (État, Église, Parti) conditionnaient la promotion sociale qu’elles organisaient à un ensemble d’injonctions orientées par la recherche d’une attitude privilégiée que désigne le mot de « vocation ».
15Du point de vue des dispositions dont l’intériorisation réussie constitue l’ambition pédagogique, la caractéristique majeure de cet enseignement post-élémentaire primaire (écoles primaires supérieures, cours complémentaires, écoles pratiques de commerce et d’industrie, etc.), mais aussi du Petit Séminaire, c’est l’apprentissage d’une posture très particulière dont le sens social est lié au désir de configurer le rapport au savoir de ces élites scolaires. À la différence de la disposition scolastique propre au réseau secondaire supérieur36, toujours fondée sur un culte du moi individuel (idéologie de la création et du génie, de l’opinion personnelle, de l’esprit critique, etc.), ces intellectuels de gestion des profanes sont caractérisés par un « sens des limites », par une tension interne – « élève-maître », « primaire-supérieur » –, qui est une disposition « instable », et sans doute humiliante dès lors qu’elle n’est pas vécue avec humilité37. Le « cœur » du PCF est donc durant les années 1930-1960 un ensemble d’intellectuels de parti, issus de l’enseignement primaire, dotés de ressources culturelles suffisantes pour exercer pleinement les tâches intellectuelles liées à leur professionnalisation politique ou à leur militantisme, mais porteurs aussi d’un sens des limites qui les conduit à s’en remettre, en particulier en matière de théorie, aux dirigeants chargés de la « fonction » théorique, même s’ils s’interdisent ce faisant de se reconnaître un droit de regard sur certaines dimensions de leur propre expérience politique. Tout le dispositif pédagogique qui se met en place durant les années vingt et trente s’harmonise aux enjeux potentiellement contradictoires de l’acculturation des militants et cadres du parti, tant dans ses pratiques que dans sa théorie. D’où le rappel à l’ordre qui prend la forme d’une critique des utopies pédagogiques « petites bourgeoises »38 et le recours au modèle de relation de l’enseignement primaire, associé à la sacralisation des textes canoniques39. Cette première configuration enfin ne peut se comprendre indépendamment du travail de célébration des militants communistes, ce à quoi doivent contribuer les récits littéraires du réalisme socialiste40.
Fermeture du jeu et crise larvée (1948-1956)
16La question des intellectuels redevient cruciale avec la guerre froide. Le refermement sectaire, qui se manifeste aussi bien avec l’affaire Lyssenko et la théorie des deux sciences qu’avec l’autocritique des psychanalystes communistes ou la critique sans retenue de Célestin Freinet, pour ne prendre que quelques exemples, aboutira à l’affaire symptomatique de la publication du portrait de Staline par Picasso dans Les Lettres Françaises en 1953. Les résistances et rejets que suscite le jdanovisme ne pouvaient que menacer l’équilibre des tensions caractéristiques de la première configuration. Néanmoins, la formidable autorité historique du PCF (« le parti des fusillés ») et de l’URSS (« la bataille de Stalingrad ») conduisit nombre d’intellectuels à tout faire pour accepter la discipline de parti, au prix d’un travail sur soi spécifique qui pouvait aller jusqu’au dédoublement conscient. Sur ce double « je » on peut se reporter, par exemple, au témoignage très éclairant de Jean-Pierre Vernant. Laurent Casanova, responsable « aux » intellectuels41 , recourt à la séduction et à la menace, au chantage affectif et à la fermeté. Il leur demande – dans un langage partiellement codé – de la patience et de la confiance : « L’effort que nous vous demandons peut être pénible d’abord, mais il est prometteur de talents plus nombreux et mieux assurés [...] Vous devez voir dans l’insistance du Parti à votre égard le signe de la très haute considération dans laquelle il tient votre propre travail »42. Interdisant, au nom de la guerre qui s’annonce « imminente » toute autonomie aux logiques intellectuelles, la direction du PCF leur oppose « l’esprit de parti ».
17Avec la guerre froide et la reprise en main des fidélités partisanes, apparaissent des oppositions et des situations conflictuelles qui n’ont pas droit de cité. La direction du PCF met en place un dispositif complexe pour « gérer » les intellectuels et les conflits idéologiques. Dispositif organisationnel avec la création en juillet 1947 d’une section centrale du travail idéologique sous la responsabilité de Fajon, et de cercles idéologiques. La direction pratique une politique de censure symbolique et tente de contrôler les « lectures » au double sens des textes qu’il est légitime de lire et des appropriations qui doivent en être faites43. À cette fin, elle prend appui sur certaines structures d’organisations intellectuelles issues de la Résistance comme le CNE44 (Comité national des écrivains) et organise, par exemple, les batailles du livre45. Parallèlement, ne pouvant censurer à la source, avant publication, comme dans les pays communistes, elle tente de déconsidérer toute littérature critique en popularisant la thématique du complot idéologique, allant jusqu’aux procès pour dénier aux auteurs et à leurs œuvres, ne serait-ce que symboliquement, toute légitimité46. Dans un tel contexte, elle se prépare aussi à éliminer ceux qui ne parviendraient pas à accepter la discipline de parti et le travail sur soi exigé des intellectuels. C’est le cas par exemple de Marguerite Duras, Dionys Mascolo, Robert Antelme47, puis d’Edgar Morin. À la différence de la période du Front Populaire ou de la Libération, l’accent est mis sur la « qualité » des membres du parti au détriment de la quantité : « Nous entrons dans une période où la qualité sera déterminante. Ce qu’il faut obtenir, c’est que le parti, avec de bons combattants dans les usines, de bons cadres à tous les échelons, soit capable d’orienter, d’organiser, de diriger l’ensemble du mouvement de masses et de réaliser sa tâche avec un grand esprit de décision et de fermeté »48. Elle jette enfin l’opprobre sur les intellectuels « défaillants », déclinant sous différents registres la figure du « traître ». Nizan est censé incarner exemplairement cette figure, aussi bien dans Les Communistes d’Aragon (sous les traits d’Orfilat) que dans les rumeurs qui circulent sur ses liens avec la police. Cette défiance se traduit par la dissolution des amicales d’intellectuels, créées à la Libération, désormais considérées comme susceptibles de susciter des solidarités potentiellement subversives. N’avaient-elles pas tendance à « se transformer en organismes prenant pouvoir de décision en dehors des organismes politiques réguliers du Parti : cellules, sections et fédérations » (Laurent Casanova)49. Les stratégies d’exit, d’évitement, de contrebande50 auxquelles ont recours nombre d’intellectuels communistes sont autant de tactiques d’adaptation à une configuration qui interdit un jeu qui serait explicitement plus tendu et conflictuel mais licite51. Comme le note Maurice Agulhon, « les intellectuels étaient à la fois les cibles et les relais de cet endoctrinement »52. Les tensions qui résultaient des écarts entre les normes du travail intellectuel et les contributions aux « batailles idéologiques » que l’on exigeait des intellectuels communistes se régulaient par un travail sur soi, qui ne pouvait durer éternellement. Il était fait, écrit toujours Maurice Agulhon, de « justifications intimes que les intellectuels devaient bricoler et bricoler eux-mêmes, par eux-mêmes, pour eux-mêmes, pour encaisser les choses choquantes ou ridicules. Nos dirigeants, soit hommes simples, n’ayant jamais accédé aux normes de la vie intellectuelle, soit intellectuels totalement pervertis et cyniques, se contentaient de parler fort et, n’ayant pas conscience de l’énormité de certains de leurs propos, ils ne nous fournissaient pas de lot complet de sophismes d’accompagnement. C’était à nous de produire nos propres sophismes pour digérer ce qui devait l’être »53. La Nouvelle Critique, créée en 1948, est alors la revue de cette politique en direction des intellectuels tandis que La Pensée peut apparaître comme une revue plus académique où certains peuvent se replier.
18Les instituteurs communistes firent eux aussi l’objet d’une attention extrême. Par leur formation, ils pouvaient sans doute plus aisément que les autres types d’intellectuels s’accommoder des logiques de remise de soi exigées. Nombre d’entre eux étaient dans une situation sous tension54 : s’ils devaient fréquemment à leurs origines « populaires » leur proximité aux cadres thoréziens, leur position sociale et leur accès à d’autres espaces de légitimité intellectuels ainsi que leur proximité même en faisaient des concurrents potentiels. Présents dans les romans du réalisme socialiste, à la fois valorisés et suspects, les instituteurs tiennent une place non négligeable dans les instances de direction partisanes aux échelons intermédiaires, en particulier dans le monde rural. Pierre Roche a évalué à près de 13 % les instituteurs au sein du CC et de la CCCF en 1954. Une enquête sur la composition sociale du PCF, effectuée en 1954, dont les résultats seront publiés en 1959, indique qu’il y aurait 2 % d’instituteurs parmi les adhérents, ce qui équivaut à plusieurs milliers. Pierre Roche avance un chiffre de 5 à 6 00055
La seconde configuration : instables compromis et crise (1960-2000)
Intellectuels et intellectuel collectif
19L’exit d’intellectuels de profession après 1947, puis en 1956, en particulier l’exit de producteurs scientifiques ou littéraires, l’autonomisation progressive des champs scientifiques, rendent de plus en plus difficile la politique de censure symbolique, de contrôle des appropriations et d’exclusion mise en place sous la guerre froide. Nous ne pouvons dans cet article que rappeler quelques moments conflictuels liés à cette conjoncture. La direction thorézienne doit faire face dès novembre 1956 à une pétition de « grands » intellectuels communistes (Hélène Parmelin, Georges Besson, Marcel Cornu, le docteur Harel, Francis Jourdain, Picasso, Édouard Pignon, Paul Tillard, Henri Wallon, René Zazzo) publiée par France Observateur le 22 novembre 1956 qui réprouvent l’intervention soviétique à Budapest et demandent la convocation d’un congrès extraordinaire. Si les pétitionnaires sont sévèrement critiqués, ils ne sont pas exclus, ce qui témoigne de leur poids symbolique dans cette conjoncture et des effets, même déniés, du rapport de Nikita Khrouchtchev au XXe congrès du PCUS. Des groupes composés d’intellectuels communistes et d’anciens dirigeants et cadres s’organisent durablement, plus ou moins secrètement et publient des bulletins critiques : Unir dès 1952, L’étincelle (1956), La voix communiste (1958), etc. L’affaire Servin-Casanova en 1961 témoigne des effets au plus haut niveau dirigeant de la crise de direction intellectuelle du PCF56. Dès le début des années soixante, la crise de l’UEC (Union des étudiants communistes), crise que la direction du Parti parviendra à juguler par étapes, de 1963 à 1967, au prix de l’élimination des contestataires successifs, est un autre symptôme de cette perte d’autorité de la direction communiste57. La seconde réception de Nizan dans ces années soixante est un symptôme de ce détournement vers le monde étudiant et les nouveaux intellectuels des héros communistes dissidents58. Cette crise de légitimité par en haut rencontre « en bas » des évolutions dont il est difficile de mesurer les effets immédiats mais qui se caractérisent par des distances culturelles à l’institution communiste. Nathalie Ponsard, pour ne citer qu’une seule étude récente, a bien montré dans sa thèse comment l’histoire de la communauté de lecteurs communistes et cégétistes qu’elle a étudiée attestait la progressive dispersion des lectures qui tendent de plus en plus à s’émanciper des visées idéologiques du Parti59 . La professionnalisation des animateurs des politiques culturelles favorisera aussi ses prises de distance ainsi que le développement de la culture de masse. Crise de légitimité intellectuelle et distances multiformes à l’institution communiste comme entreprise culturelle vont se conjuguer pour imposer la recherche d’une nouvelle configuration des relations au sein du PCF.
20La crise de légitimité intellectuelle ne peut en effet plus être différée comme la direction avait tenté de le faire durant la guerre froide60. Du début des années soixante à la rupture de l’Union de la Gauche en 1977, le premier aggiornamento, « mouvement complexe où la révision théorique, la pratique des alliances électorales, le renouvellement du personnel dirigeant et le nouveau statut concédé aux intellectuels s’appellent les uns les autres »61, va se traduire par la refonte de très nombreux invariants rhétoriques de l’édifice doctrinal de l’époque stalinienne et par la recherche d’une nouvelle configuration des relations « intellectuelles » et ce d’autant plus que les professions intellectuelles sont de plus en plus représentées au sein du PCF.
21Comme le souligne Frédérique Matonti, au fil du temps et au moins jusqu’à la fin des années 1970 où le déclin électoral et militant du PCF s’accélère, les membres des professions intellectuelles qui se rallient au PCF sont de plus en plus nombreux et appartiennent à des groupes dont le statut est de plus en plus élevé. L’élévation constante du niveau social des professions intellectuelles, membres du PCF, après-guerre, et plus particulièrement dans les années 1960, est inséparable de celle du recrutement communiste dans son ensemble, du militant de base aux instances dirigeantes. À partir du congrès de 1964, cette élévation devient en effet visible au sein du Comité central, puisque à cette date le renouvellement générationnel se double d’une modification de la composition sociologique de ses membres, dorénavant beaucoup plus dotés en ressources universitaires. Ainsi, à partir des années 1970, les agrégés représentent environ un quart des membres du Bureau politique, même si la seule profession intellectuelle représentée au secrétariat est celle des instituteurs62. Cette transformation est encore flagrante dans certaines fédérations, comme celle de Paris, ou encore dans les institutions culturelles du PCF, comme dans les revues. Insuffisante pour décrire les intellectuels communistes jusqu’aux années 1950, l’assimilation de ceux-ci à des intellectuels de Parti, ou à des « intellectuels prolétaroïdes », devient dorénavant inexacte63. Cet afflux d’intellectuels de profession, désormais souvent issus du réseau secondaire-supérieur, coïncide avec la crise que traverse le monde communiste. À la différence des intellectuels issus du monde primaire, nombre de cadres et de militants, désormais passés par le secondaire-supérieur, sont par conséquent souvent dépourvus du sens des limites qui caractérisait leurs prédécesseurs. Pour pallier son déficit d’autorité intellectuelle, la direction du PCF tente de tirer profit des formes sociales de légitimité intellectuelle. D’où la promotion symbolique des spécialistes des « fondements » que sont les philosophes, qui va conférer une importance certaine à Roger Garaudy grâce aux alliances qu’il noue avec Maurice Thorez et Louis Aragon, puis bientôt à d’autres prétendants, tous agrégés de philosophie (Louis Althusser, Lucien Sève, Jean Kanapa, Michel Verret, Georges Labica, etc.).
22En définissant le Parti comme intellectuel collectif, la direction du PCF recherche une formule congruente avec la déstalinisation qui met en exergue le caractère collectif de la direction politique64. Ainsi en mai 1963, le Comité central approuve un rapport de Roland Leroy sur les étudiants communistes qui affirme : « C’est vrai qu’au XIXe siècle, des intellectuels, Marx et Engels, et plus tard Lénine, ont fécondé le mouvement ouvrier de la théorie du socialisme scientifique ; mais précisément aujourd’hui, le prolétariat dispose de son idéologie, de sa conscience, de son parti communiste. Le rôle des intellectuels a changé de caractère, il n’en est pas moins éminent et important... »65 Maurice Thorez surenchérit : « On ne doit pas se laisser aller aux analogies inexactes, aux fausses réminiscences, à cette idée erronée que maintenant encore, comme au XIXe siècle, le socialisme doit être apporté à la classe ouvrière par les intellectuels [...] C’est le grand intellectuel collectif qu’est le Parti communiste qui apporte le socialisme à la classe ouvrière et au peuple »66.
23Les intellectuels communistes doivent apprendre à jouer le nouveau rôle qui leur est alloué. Là encore, nul hasard si c’est en 1963, dans La Nouvelle Critique, au moment où ils s’apprêtent à transgresser la fonction qui leur était jusqu’alors dévolue en publiant un dossier consacré à l’analyse du culte de la personnalité de Staline mettant en cause les analyses à chaud qui en ont été faites en juillet 1956, qu’ils réaffirment leur « subordination », non sans malaise :
« Son savoir, à lui, intellectuel, est partiel : partiel son savoir de spécialiste, partiel aussi son savoir proprement politique. Le savoir du dirigeant politique doit être global [...] C’est la direction politique qui fait la synthèse entre l’apport (indispensable) de l’intellectuel spécifique et l’apport de ces autres spécialistes que sont, pour personnaliser, les secrétaires fédéraux. Le résultat de cette situation objective, c’est que la direction seule peut opérer la synthèse et exprimer la politique. C’est là une difficulté de l’intellectuel : par nature, il aspire à la généralisation de son savoir et de son expérience, par nature aussi son savoir ne lui permet pas de le faire valablement lui seul. L’intellectuel peut avoir des “idées” ; elles ne peuvent trouver force et efficacité que par le Parti et être exprimées par sa direction »67.
24Il faut élaborer de nouvelles règles de fonctionnement et doter le Parti d’institutions diverses et de revues spécialisées pour, non plus seulement veiller à l’orthodoxie politique mais aussi susciter le travail de recherche (Cahiers de l’institut Maurice Thorez, la nouvelle Nouvelle Critique, Les Lettres Françaises, Économie et politique et plus tard France Nouvelle). Le Centre d’études et de recherches marxistes, créé en 1960 et confié à Garaudy, alors membre du Bureau politique68, organise dès 1961 les « semaines de la pensée marxiste », qui connaissent un réel succès d’audience, tandis que le contenu des productions intellectuelles et artistiques est infléchi dans le sens du « dégel ». Si Économie et Politique est créée en 1954, la section économique pâtit de la crise liée à l’affaire Servin-Casanova qui se traduit par l’exclusion de ses responsables, Jean Pronteau et Maurice Kriegel-Valrimont. À partir des années soixante, sous la houlette d’Henri Jourdain, le secteur économique du PCF se reconstitue. Ce dernier définit ainsi les positions des intellectuels communistes en ce début des années soixante :
« Parmi les camarades restés fidèles à la SE, je distinguerais grossièrement deux grandes tendances, avec à l’intérieur bien des nuances, tendances que je doterais, non moins grossièrement de deux étiquettes : déterminisme économique et dogmatisme. Pour les premiers, la pratique politique doit être unilatéralement subordonnée aux résultats de l’analyse économique ; la tâche de résoudre les problèmes économiques (plus ou moins abstraits de leur contexte politique et social) est dévolue à un petit groupe d’initiés. Pour les seconds, la ligne politique une fois fixée par la direction (Congrès, Comité central, Bureau politique), l’objet de l’analyse et de l’explication économique est de valider cette ligne en l’illustrant. Les changements de l’infrastructure économique ne sont guère vus que sous leur aspect quantitatif, puisque domine toujours fondamentalement le système capitaliste »69.
25Jean Kanapa adresse d’URSS, le 27 avril 1965, une lettre à la direction du PCF dans laquelle il conseille la création d’une « commission théorique » afin de faire correspondre les avancées stratégiques et l’évolution théorique : « Notre pratique, notre expérience est généralement en avance sur la théorie que nous en donnons, et généralement plus riche que celle-ci [...] Il y a un certain retard dans la mise à jour de cette théorie implicite »70. Il énonce aussi le cadre cognitif à l’intérieur duquel doit s’effectuer ce travail théorique : « Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de souligner qu’il ne s’agit pas “d’inventer” pour le parti une théorie qu’il n’aurait pas – cette théorie existe, c’est le marxisme-léninisme, les Déclarations de 1957 et 1960, les résolutions de nos congrès, l’œuvre de Maurice, etc. »71 Le Comité central d’Argenteuil va symboliser cette recherche de nouvelles règles du jeu à l’intérieur d’un cadre cognitif qui interdit le dépassement dialectique des contradictions... En clair, cet assouplissement des relations de concurrence-connivence ne saurait se faire en remettant en cause explicitement la prééminence des cadres thoréziens. Les figures du conseiller du prince, de l’intellectuel dirigeant (Jean Kanapa), du philosophe-roi (Louis Althusser) apparaissent en pleine lumière, signe de cette transformation des règles du jeu. Enfin, au milieu des années 1960, s’ajoute l’enjeu que constitue le public des intellectuels au sens large du terme avec la croissance universitaire et les progrès que fait le PCF dans le milieu enseignant72
Argenteuil : vers un nouveau type d’intellectuel collectif73
26La réunion du Comité Central de mars 1966 consacrée aux problèmes idéologiques et culturels s’inscrit dans la série des « grands » événements institutionnels que l’historiographie communiste distingue (avec le congrès de Tours, le Comité central du PCF de juillet 1934, les XXe et XXIIe congrès du PCUS, etc.) et, dans cette série, appartient à ceux propres aux périodes d’« ouverture »74. C’est donc un évènement marqueur de la tendance à la déstalinisation dont on convient néanmoins généralement, au sein du PCF, et ex post, qu’elle n’est pas allée aussi loin qu’il aurait fallu...75
27Le rôle personnel de Waldeck Rochet est essentiel dans la décision de convoquer un comité central sur les questions idéologiques. Il entre en effet dans les attributions du successeur de Thorez d’être le premier des intellectuels du parti. L’une des particularités de Waldeck Rochet est son investissement dans la « philosophie marxiste ». Ce goût pour la philosophie n’est pas de circonstance, comme tous les témoignages ainsi que ses archives en attestent. En 1966, il publie ainsi le texte d’une intervention qu’il avait faite en 1962 dans le cadre des semaines de la pensée marxiste (Qu’est-ce que la philosophie marxiste ?, Éditions sociales, 1966) et l’on sait qu’il rencontre à sa demande Louis Althusser quelques mois après Argenteuil afin d’assurer le philosophe de la rue d’Ulm de son intérêt pour ses travaux, même s’il ne partage pas ses vues76. Son intervention dans les querelles philosophiques lui permet à la fois d’affirmer une compétence et d’asseoir son autorité intellectuelle au sein du groupe dirigeant.
28Lors du Comité central, si Lucien Sève et Pierre Juquin évoquent aussi la question scolaire77, l’essentiel des interventions tourne autour des questions philosophiques. L’inclinaison personnelle de Waldeck Rochet pour ces questions y contribue peut-être, même si cette explication reste insuffisante78. Le débat philosophique permet d’aborder l’héritage du passé, et notamment l’examen du stalinisme, dans le langage déplacé et euphémisé de la philosophie, ce qui donne une forme acceptable à l’expression de désaccords et d’affrontements virulents.
29La mise en scène de la « querelle des philosophes » qui s’exprime à Argenteuil est constituée de l’opposition de deux acteurs dont l’un est présent et l’autre absent79. Il y a d’un côté en effet Roger Garaudy, le philosophe de parti membre du Bureau politique, et de l’autre Louis Althusser qui appartient certes au PCF mais qui n’y joue aucun rôle officiel.
30La position de Garaudy au sein de l’appareil communiste est singulière. Sa présence au Bureau politique le situe en haut de la hiérarchie interne, mais il y paraît très isolé. Cet agrégé de philosophie, membre du PCF depuis 1933, devait sa promotion à Maurice Thorez. Accusateur de Marty devant le Comité central en 1952, il a fait toute sa carrière sous l’égide de l’ancien secrétaire général. Auteur de nombreux articles dans La Nouvelle Critique, il a soutenu sa thèse en 1953 et poursuivi une carrière d’enseignant pour laquelle il abandonne en 1962 son siège de sénateur. Ce politique philosophe s’est trouvé aux avant-postes de la ligne d’« ouverture » consécutive au XXe congrès du PCUS de 1956 notamment en direction des différentes confessions religieuses80. De plus en plus contesté, notamment dans les pays socialistes après la chute de Khrouchtchev, il réagit par la fuite en avant en se faisant le critique de l’héritage stalinien. Son intervention à Argenteuil commence par une dénonciation de « trente ans de sclérose » intellectuelle dans le parti. Tout autant que ses prises de positions favorables à une interprétation humaniste du marxisme, ce sont ces attaques qui provoquent la réaction vive des « orthodoxes », comme Étienne Fajon.
31Aux positions humanistes de Garaudy, on oppose le travail d’interprétation d’Althusser et de ses élèves. Eux aussi critiquent l’héritage intellectuel stalinien, mais dans une tout autre perspective. Le philosophe de la rue d’Ulm décrit ainsi son projet dans L’Avenir dure longtemps81 :
« Il n’existait alors objectivement nulle autre forme d’intervention politique possible dans le Parti autre que purement théorique, et encore, en prenant appui sur la théorie existante ou reconnue pour la retourner contre l’usage qu’en faisait le parti. Et comme la théorie reconnue n’avait plus rien à voir avec Marx, mais s’alignait sur les niaiseries très dangereuses du matérialisme dialectique à la soviétique, c’est-à-dire à la Staline, il fallait, et c’était l’unique voie possible, retourner à Marx, à cette pensée politiquement incontestablement admise, car sacrée, et démontrer que le matérialisme dialectique à la Staline, avec toutes ses conséquences théoriques, philosophiques, idéologiques et politiques, était complètement aberrant ».
32Là où Garaudy se pose en prophète intellectuel à l’avant-garde d’un parti encore trop prisonnier de son passé, Althusser endosse le rôle du théologien hérétique qui mène un travail de cénacle intellectuel non à l’intérieur mais à la marge d’un parti où son influence n’est pas négligeable. Au cours du comité central d’Argenteuil, l’un et l’autre sont désavoués par la majorité des intervenants, mais ce désaveu n’a évidemment pas la même portée pour le dirigeant politique et pour le philosophe « pur »82. Il permettra en tout cas aux philosophes communistes proches de La Nouvelle Critique et membres du Comité central de se poser en arbitres, ce qui est aussi une manière de revendiquer un rôle officiel dans le parti, que leur accorde dans une certaine mesure la résolution finale.
33À Argenteuil, le statut dévolu aux différentes productions culturelles varie suivant leur plus ou moins grande imbrication avec la ligne politique. Les arts, la littérature, la poésie et les sciences dures se voient reconnaître une indépendance de principe. Désormais, seules les sciences humaines et économiques continuent à faire l’objet d’un contrôle a posteriori, puisqu’il est prévu que « les thèses controversées seront examinées au sein des organismes compétents »83. Cette distinction entre sciences « dures » et oeuvres artistiques d’une part, et sciences humaines d’autre part, est évidemment cardinale. Elle permet de maintenir la légitimité partisane sur l’ensemble des productions intellectuelles qui intéressent la définition de la ligne du Parti. Cette distinction a également des conséquences pratiques puisqu’elle est au principe de l’attention différentielle que portera la direction du PCF aux producteurs intellectuels communistes : les économistes, les philosophes et les historiens, particulièrement ceux du mouvement ouvrier, a fortiori les communistes, sont directement concernés par l’élaboration de la ligne politique. Pour ceux-là, il s’agit à l’évidence d’un progrès important : ils sont dorénavant chargés de produire les considérants théoriques des inflexions stratégiques, à condition néanmoins que leurs avancées théoriques soient compatibles avec la gestion par la direction du PCF du « patrimoine » théorique du Parti. Ce patrimoine théorique, plus qu’un ensemble cohérent et défini de thèses explicites réunies en un corpus d’œuvres canoniques (le canon en cette période est à redéfinir) associé à des interprétations « autorisées », est aussi un ensemble d’appropriations qui sont autant de réappropriations et de rapports aux textes84. Ce patrimoine, la direction du PCF ne peut (elle est elle-même limitée par ses modes d’appropriation) et ne veut le faire évoluer que prudemment (elle n’a aucune légitimité pour innover théoriquement mais elle dispose d’un éventail de possibles politiques). La primauté doit revenir in fine au groupe dirigeant dans la labellisation de la théorie officiellement mise en avant85, tant est dominante la fonction de rationalisation scientifique qui est dévolue aux « explications scientifiques ». Néanmoins, cette fonction de rationalisation, parce qu’elle n’est que rarement cyniquement mise en œuvre, suppose de la part des acteurs leur intégration à un jeu relativement opaque à leur conscience. Les relations entre les intellectuels et le Parti sont dès lors à la fois plus souples et plus complexes. Alors que dans les années 1950, les intellectuels communistes n’étaient guère placés que face à une seule alternative : se soumettre, tout en conservant parfois leur quant à soi, ou se démettre, la gamme des rapports à l’autorité des intellectuels devient plus étendue. Surtout, la tâche de production théorique qui leur est confiée permet aux intellectuels, pour la première fois en tant que tels, de participer à l’élaboration de la pensée politique du PCF, sans pour autant devoir se transformer en « professionnels de la politique », c’est-à-dire sans renoncer à une carrière universitaire, d’écrivain ou d’artiste, extérieure au champ communiste86. Il faudra un jour, de ce point de vue, étudier le travail réalisé dans les différentes sections et commissions auprès du Comité central dans l’élaboration des référentiels des politiques publiques défendues par le PCF : politique extérieure, section coloniale, section agraire, section militaire, section économique, section féminine, section des intellectuels et de la culture, jusqu’en 1960. Puis par subdivision ou création apparurent des secteurs : enseignement, ITC (ingénieurs, techniciens et cadres), sécurité sociale, cadre de vie et de l’environnement, etc.87 De même tout semble indiquer que des chercheurs et universitaires publient des études sous pseudonyme dans les Cahiers du communisme. Ce « jeu double » repose sur la conjoncture d’aggiornamento mais aussi sur les caractéristiques des intellectuels des années 1960 et 1970. Une partie d’entre eux, plus dotés en ressources universitaires que leurs prédécesseurs, n’ont effectivement pas besoin du réseau parallèle communiste (maisons d’édition, revues, centres de recherche) pour faire carrière. Le PC est désormais obligé de tenir de plus en plus compte des effets retour de la relative autonomie des champs de production intellectuels, en particulier universitaires. Ainsi que l’écrit explicitement Francis Cohen dans une note interne au moment du lancement de la nouvelle formule de La Nouvelle Critique en 1967 qui va être pour partie chargée d’incarner cette nouvelle configuration, « l’autorité réelle parmi les intellectuels communistes n’est pas obligatoirement donnée (sur le plan des idées) par les responsabilités occupées dans le parti, mais bien plus souvent selon une hiérarchie interne aux intellectuels eux-mêmes »88. Le poids relatif qu’acquièrent les intellectuels au sens large au sein du PCF durant ces années soixante se traduit enfin par l’acuité des débats sur les nouvelles classes moyennes et par les actions spécifiques en direction des ingénieurs, techniciens et cadres (la revue ITC est créée en 1969). En 1967, la tendance Unité et Action qui comprend les militants communistes prend la direction du SNES. En 1967, au XVIIIe congrès, 51 % des délégués sont encore d’origine ouvrière mais plus d’un tiers (34,3 %) sont employés, cadres moyens ou supérieurs, ingénieurs, cadres ou techniciens, professeurs ou membres d’une profession libérale89. Argenteuil fixe de nouvelles règles du jeu interne qui ont aussi des effets sur les politiques culturelles du PCF. Le développement des politiques culturelles locales du PCF, qui accompagne et s’oppose aux entreprises de Malraux, supposait que le parti redéfinisse sa ligne en la matière90.
Compromis et concurrences : vers un renversement des rapports de force ? (1968-1977-2000)
34Il est évidemment impossible ici de restituer l’histoire interne du PCF depuis Mai 1968, même sous le seul angle des relations entre les différents types d’intellectuels. En mai 1968, la direction du PCF n’a pas été frontalement contestée sur le champ, à l’exception notable de la « Lettre des 36 » qui conduisit à une rencontre entre les intellectuels communistes signataires et certains membres du Bureau politique les 1 er et 3 juin (dont Guy Besse, Roger Garaudy et Pierre Juquin). Jean-Pierre Vernant reprocha à la direction son inaptitude à saisir le « plus intéressant dans l’histoire [qui] est toujours ce qui ne pouvait être prévu »91. Seule défection qui fit quelque bruit, celle d’André Barjonet92. Après le choc de Mai 196893, où l’audience du PCF auprès de la jeunesse étudiante fut très violemment concurrencée par les différentes formes de mobilisation étudiante, le Parti communiste fut investi par des intellectuels de profession (enseignants, éducateurs, animateurs, documentalistes, etc.) qui, après avoir parfois été sensibles aux différents « gauchismes » de l’époque, se tournent vers le PCF du programme commun de la gauche. Il ne faut pas sous-estimer en effet, pour comprendre ces transferts, la relative importance du référentiel marxiste-léniniste qui fonctionne en mai 1968, associant des acteurs par ailleurs politiquement divises94 .
35La démonétisation du gauchisme dans les années 1969-1973 participe indirectement au renouvellement militant du PCF qui sera net durant ces années. Ces nouveaux venus importent au sein du Parti des rapports au parti qui valorisent le renouveau intellectuel. Cette période, parfois qualifiée d’embellie, est en réalité caractérisée par la montée en puissance des intellectuels aux différents échelons partisans comme dans la presse du Parti et dans l’édition, mais aussi par une érosion progressive de la légitimité intellectuelle de la direction du PCF. Le corps militant se désouvriérise donc durant toutes ces années au profit d’autres groupes sociaux, en particulier des « petits » intellectuels anciens et nouveaux alors que le parti lui-même se renouvelle à 60 % à l’époque du programme commun. L’augmentation des effectifs du parti prend alors un sens sociologique particulier.
36Parallèlement, nombre de recherches collectives critiques arrivent à maturité et bénéficient de la réouverture du champ des possibles théoriques de ces années 1970. Lucien Sève propose en 1969 un ouvrage, Marxisme et théorie de la personnalité, qui tend à fonder l’humanisme communiste sur le marxisme95 et qu’auront à connaître les élèves des écoles centrales du Parti. La même année paraît Sur le mode de production asiatique, un ouvrage collectif que préface Roger Garaudy, où, sur un concept emprunté à Marx et longuement discuté, des anthropologues comme Maurice Godelier participent à la mise en cause d’un des invariants rhétoriques de la vulgate marxiste-léniniste. Roger Garaudy n’hésite pas à écrire qu’à l’occasion de ces débats c’est « la signification même du marxisme qui est en cause »96. C’est en 1971 qu’est publié le Traité d’économie marxiste qui arrête une théorie du capitalisme monopoliste d’État mise en chantier bien longtemps avant, en particulier à la conférence de Choisy-le-Roi en 1966. En 1972 les Éditions sociales publient Dialogues pédagogiques de Michel Verret (écrits datant de 1967), dans lesquels sous une forme aphoristique ce dernier fait état du dialogue intérieur et des contradictions qui le constituent comme intellectuel communiste. En 1977, les Éditions sociales en partenariat avec les Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques publient l’ouvrage de Guy Michelat et Michel Simon, Classe, religion et comportement politique. Les intellectuels communistes disposent donc d’une marge de manœuvre dont témoignent aussi d’autres publications liées aux analyses de l’URSS (que ce soit Le phénomène stalinien de Jean Elleinstein ou L’URSS et nous97 en 1977, par exemple). Bien d’autres secteurs de la connaissance sont alors concernés (psychanalyse, sociolinguistique, histoire du mouvement ouvrier et du PCF, théorie de l’État, sociologie de l’éducation et pédagogie, etc.), en fait toutes les sciences sociales et humaines. Durant toute cette période La Nouvelle Critique joue un rôle stratégique et son audience témoigne de l’importance des intellectuels communistes susceptibles d’adhérer à ce processus de renouvellement théorico-idéologique. Les abonnements et ventes au numéro cumulées passent de 3 500 en 1967 à 5 700 en 1968 et 14 850 en 197198. C’est donc tout l’édifice théorique qui évolue de façon concomitante à l’émergence d’un eurocommunisme99 menaçant de remettre en cause les équilibres du mouvement communiste international (sommet eurocommuniste Berlinguer-Carillo-Marchais des 2-3 mars 1977). Cette seconde configuration, grosse potentiellement d’une transformation plus radicale, érige Gramsci comme figure d’identification et théoricien marxiste ad hoc. Sa vie et son œuvre sont discutées et donnent lieu à de nombreuses publications. Figure de compromis légendaire (c’est un martyr communiste), intellectuel marxiste novateur, représentant implicite ou indirect du PCI, considéré par nombre d’intellectuels communistes français comme moins « stalinien » que le Parti français, Gramsci est un « héros » intellectuel susceptible de s’inscrire dans la mémoire officielle communiste. C’est aussi un modèle de « dirigeant » communiste. Enfin son œuvre peut être interprétée dans le registre de l’orthodoxie (à condition bien sûr de canoniser les textes de Gramsci et de contrôler les lectures qui en seront faites) comme une théorie de l’importance cardinale des enjeux intellectuels, puisque, on le sait, Gramsci affirme la nécessité pour le « Prince » de conquérir l’hégémonie culturelle avant la prise du pouvoir. Gallimard publie Lettres de prison dans la collection « Témoins » en 1971 et les Éditions sociales un ensemble d’extraits de textes choisis en 1975 sous le titre Gramsci dans le texte qui reprend partiellement un volume analogue publié en 1959. Ce volume suit de peu un ouvrage controversé de Maria-Antonietta Macciocchi, Pour Gramsci (Seuil, 1974). Jacques Texier dans La Nouvelle Critique oppose sa lecture à celle de Maria-Antonietta Macciocchi en refusant, et c’est évidemment l’un des enjeux des « lectures » de Gramsci, de détacher l’intellectuel Gramsci de son rôle de dirigeant communiste : « Gramsci est un dirigeant communiste qui ne sépare jamais son élaboration théorique de l’activité et de l’élaboration théorique de cet “intellectuel collectif’ qu’est le parti, quelles que soient les divergences qui peuvent intervenir à tel ou tel moment »100. Boukharine fait aussi l’objet d’une entreprise semblable, beaucoup moins aboutie néanmoins101. Il faut ajouter enfin, sans pouvoir aucunement développer ce point, que les théories gramsciennes pouvaient se voir « validées » dans ces années 1970. De nombreuses pratiques sociales (pédagogiques, psychiatriques, artistiques, etc.) firent l’objet d’activités « réformantes ». Dans l’union des écrivains comme à la revue Pratiques, dans la psychiatrie de secteur (Lucien Bonnafé, Tony Lainé, etc.) comme dans le travail social ou les mouvements pédagogiques (CEMEA, GFEN), dans le monde du théâtre comme dans celui du cinéma102, pour ne citer que quelques secteurs, des intellectuels communistes s’engagèrent intensément.
37Les reproblématisations qui ont cours s’inscrivent dans un univers mental surdéterminé par « le » marxisme comme idéologie scientifique censée unifier les différentes recherches individuelles et collectives. La force d’attraction de ce référentiel ne s’est pas encore épuisée, tout particulièrement le mode d’investissement affectuel dont il fait encore l’objet. Ces tentatives de redéfinition marxiste feront long feu mais elles témoignent de l’un des « possibles » d’une période riche en combats intellectuels aux dimensions politiques internes et externes plus ou moins explicites et imbriquées. Cet ensemble d’évolutions affecte aussi les intellectuels de parti qui, pour certains, se mettent peu à peu à l’école des intellectuels critiques, le devenant à leur tour. C’est le cas de Gérard Belloin par exemple, ou de Jean Brugié, mais aussi de dirigeants comme Henri Fitszbin, et d’autres103.
38Jusqu’en 1977, les conflits internes sont contrôlés et leur expression publique fait l’objet d’une autocensure partielle sur laquelle s’accordent de fait les protagonistes. Les incidents ne manquent pas. Le pilonnage de la brochure du Parti sur le thème des libertés dans laquelle une photographie montrait Pierre Juquin (agrégé d’allemand et membre du Bureau politique) serrer la main du dissident soviétique Leonid Plioutch (7 octobre 1976), un savant, témoigne certes de la volonté de Gaston Plissonnier de ne pas heurter le PCUS mais aussi du refus de la consécration du rôle des intellectuels que symbolisent directement Juquin et Plioutch.
39Après la rupture de l’Union de la Gauche en 1977, les compromis instables et fragiles de la période antérieure cèdent la place à des conflits ouverts, qui se succèdent, mais aussi à de nombreux départs d’intellectuels, plus ou moins discrets. C’est le moment que choisit Louis Althusser pour exprimer cette fois avec une clarté dénuée de toute ambiguïté sa position quant au statut de la « théorie » au sein du Parti. Prenant l’exemple de la théorie du capitalisme monopoliste d’État, il écrit : « Une théorie sur ordre ! Pourquoi pas, après tout ? Combien de grandes oeuvres musicales ont été exécutées sur commande ! Et d’ailleurs, tout n’est pas sans intérêt dans le Traité, qui décrit bien certains phénomènes. Mais dans l’ensemble, ce gigantesque travail était apologétique, c’est-à-dire avait à démontrer une conclusion qui existait déjà, sous sa forme politique, avant sa démonstration “économique”. Il s’agissait en gros d’adosser, comme à sa garantie théorique, la politique anti-monopoliste du programme commun au CME. Je schématise, mais je ne suis pas loin du vrai »104. Les collections critiques105, les textes critiques, les tentatives de regroupement d’oppositions diverses font florès mais ne parviennent pas à menacer réellement la direction communiste de Georges Marchais. La rencontre à Vitry-sur-Seine, des 9 et 10 décembre 1978, entre 400 intellectuels communistes membres des comités de rédaction des revues du Parti, des commissions auprès du Comité central, des mouvements de masse, et le Bureau politique, dissout le flou intéressé qui présidait aux relations intellectuelles. Georges Marchais, dans son discours appelé « information » avait rappelé la position de la direction du PCF :
« Le Parti n’en est plus à l’époque révolue où quelques intellectuels clairvoyants et généreux apportaient, de l’extérieur, au mouvement ouvrier naissant la conscience du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Aujourd’hui, notre Parti est devenu en lui-même un intellectuel collectif développant sa théorie et sa politique. Les intellectuels membres du Parti contribuent à cette élaboration »106.
40Georges Labica, et nous sommes désormais très loin de la déférence des années 1960, ne veut voir dans ce rappel à l’ordre que la réactivation de la première configuration :
« Je prends le temps de forcer les traits de cet intellectuel modèle (donc toutes nuances abolies). Je l’instrumentalise. D’un côté, une direction autosuffisante ; clairvoyante et incontrôlée, sinon par elle-même ; qui est le vrai Intellectuel au sens de la décision, du pouvoir, donc du choix des idées. De l’autre, l’intellectuel associé, employé, et l’ambivalence de son statut, que reflète et reproduit sa culpabilisation quant à son origine ou son appartenance de classe – air connu. Quant à l’exercice de la pensée, il ne lui appartient pas, quoi qu’il paraisse, mais bien à “l’intellectuel collectif’, identifié au parti, identifié au groupe dirigeant »107.
41Différentes fédérations du Parti connaissent des crises plus ou moins profondes, dont la fédération de Paris, dès 1978. Elles opposent fréquemment des intellectuels de profession aux intellectuels organiques même si les camps ne sont évidemment pas aussi tranchés. L’après 1978 va se caractériser par l’abandon progressif du référentiel « marxiste-léniniste » (sauf sur le mode de l’incantation et exception faite de quelques îlots rhétoriques). Peu à peu les intellectuels impliqués par le travail théorique (les universitaires, les chercheurs) se désengagent massivement. L’érosion progressive des positions du Parti communiste dans le monde politique, intellectuel et social, se traduit par une atmosphère de fin de règne dont le roman de François Salvaing, Parti, publié chez Stock en 2000, peut être considéré comme une chronique fictionnelle subjective à travers le destin croisé de deux intellectuels communistes, dont l’un est un conseiller de Georges Marchais. L’humour noir devient, dans ce contexte, l’une des ressources de ces intellectuels dépités. Georges Marchais abandonne le rôle de « secrétaire général » garant de la « théorie » dans le cadre d’une division du travail où les conseillers sont explicitement appelés à fourbir le secrétaire général d’analyses et de références théoriques de plus en plus évanescentes et déconnectées des champs de production scientifiques. Le secrétaire général limite sa production intellectuelle aux rapports et à la publication d’ouvrages destinés à expliquer la politique du Parti communiste. Il rompt avec les formes de légitimation de ses prédécesseurs au profit d’un magistère médiatique que Robert Hue tentera d’exercer lui aussi. C’est avec ce dernier, encore plus explicitement, que les techniques d’élaboration de l’idéologie politique sont empruntées à l’arsenal des « savoir-faire » de la communication politique : sondages, images, slogans publicitaires (la liste « Bouge l’Europe » pour les élections européennes de 1999 par exemple).
42Dès lors, l’ensemble du système d’action communiste est l’objet de forces centripètes qui autonomisent et individualisent ses différents segments. Les revues théoriques disparaissent ou végètent. Les éditions du PCF sont démantelées et cédées. Des quotidiens régionaux disparaissent. L’ Humanité connaît une grave crise financière menaçant jusqu’à son existence. L’appareil de formation entre en crise108. Bien que les intellectuels organiques communistes aient apparemment réussi à contenir les oppositions dont ils étaient l’objet, le Parti communiste ne réussit plus à maintenir son caractère ouvrier. L’enquête de Jean Ranger et François Platone sur les adhérents communistes en 1997 révèle qu’ils sont désormais moins d’un tiers des membres du PCF109. Si le PCF a opposé l’inertie de sa structure idéologique à toute refondation ou mutation, il a aussi perdu sa capacité de promouvoir ses intellectuels organiques ouvriers au profit d’autres groupes sociaux mieux dotés culturellement110 Les grands intellectuels l’ont quitté tandis que des petits intellectuels continuent de l’investir, ce qu’incarne pour une part Marie-George Buffet, première femme à devenir secrétaire nationale du PCF mais aussi première titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur depuis les années 1920.
Notes de bas de page
1 Je serai conduit, et je prie le lecteur de m’en excuser à faire un certain nombre de renvois aux études sur lesquelles se fonde cette esquisse.
2 Il existe beaucoup d’études sur le PCF et les intellectuels mais peu sous l’angle que nous avons choisi. Voir entre autres les travaux de Judt (T.), Caute (D.), Koch (S.), La fin de l’innocence. Les intellectuels d’Occident et la tentation stalinienne. Trente ans de guerre secrète, Paris, Grasset, 1995 ; Bernard (J.-P.A.), Le Parti communiste français et la question littéraire, 1921-1939, PU de Grenoble, 1972. On retiendra pour sa modération Intellectuals and the French Communist Party (disillusion and Decline) de Haza-REESINGH (S.), Clarendon Press Oxford, 1991. Et évidemment, mais nous y reviendrons, l’œuvre de Verdès-LerouX (J.).
3 1er édition, sous la direction de Labica (G.), Paris, PUF, 1982.
4 Prochasson (C.), Les intellectuels et le socialisme, Paris, Plon, 1997, Chapitre VIII.
5 Cf. LIndenberg (D.), L’Internationale communiste et l’école de classe, Paris, Maspero, 1972.
6 Le mot intellectuel est ambivalent : il désigne à la fois un ensemble de professions intellectuelles et renvoie par conséquent à la question que nous ne traiterons pas de la division du travail manuel et du travail intellectuel. C’est au sens de professions intellectuelles principalement que nous l’entendrons ici. Il désigne aussi le statut lié à l’usage politique du capital symbolique propre au monde intellectuel, soit au nom d’une cause (l’Affaire Dreyfus) soit au nom d’une compétence « technique » ou « scientifique » que des intellectuels de profession « traduisent » en recommandations politiques (expertises) ou en initiatives politiques (réformateurs). Sur ces enjeux de définition cf. Charle (ch.), Naissance des intellectuels, 1880-1900, Paris, Éd de Minuit, 1990.
7 « Une masse humaine ne se “distingue” pas et ne devient pas indépendante “d’elle-même”, sans s’organiser (au sens large), et il n’y a pas d’organisation sans intellectuels, c’est-à-dire sans organisateurs et sans dirigeants, sans que l’aspect théorique du groupe théorie-pratique se distingue concrètement dans une couche de personnes “spécialisées” dans l’élaboration intellectuelle et philosophique », dans Gramsci (A.), Choix de textes, Paris, Éd. Seghers, 1966, p. 129.
8 Mais aussi les théories des minorités agissantes et la psychologie des foules.
9 Elle distingue parmi les intellectuels communistes les intellectuels autonomes des intellectuels de parti, eux-mêmes divisés en deux catégories, une intelligentsia autodidacte issue des couches négativement privilégiées (permanents chargés des questions intellectuelles entre autres) et une intelligentsia prolétaroïde, vivant aux « confins du minimum vital » (Weber). Pour Jeanne Verdès-Leroux, en interrompant les carrières scolaires de nombre de jeunes intellectuels, la guerre et la Résistance jouèrent un rôle dans l’accroissement de cette dernière catégorie. Cf. Chapitre II de Au service du Parti, Paris, Fayard/Minuit, 1983. Une vision plus complexe des enjeux intellectuels conduit à étudier le parti politique, ici le Parti communiste, comme une entreprise culturelle, cf. Sawick (F.), « Les partis politiques comme entreprises culturelles », dans CEFAÏ (D.), Les cultures politiques, Paris, PUF, 2000.
10 matonti (F.), « Les intellectuels et le Parti : le cas français », p. 406, dans dreyfus (M.) et alii, Le Siècle des communismes, Paris, Éd. de l’Atelier, 2000. C’est le cas de François Furet dans Le passé d’une illusion largement consacré à ces « aveuglements » intellectuels.
11 De ce point de vue, comment classer Marx lui-même qui se revendiquait comme intellectuel déclassé ? Il fut suffisamment autonome pour devenir l’un des principaux fondateurs des sciences sociales et hétéronome néanmoins puisqu’il lui fallut, en un certain sens, créer le marché de ses idées en participant à la construction du mouvement ouvrier et en bataillant pour y occuper une place éminente.
12 Mais pas seulement, cette cécité n’est-elle pas socialement appelée par le mécanisme même de la délégation ? Sur cette question cruciale cf. Bourdieu (P.), « La délégation et le fétichisme en politique », republié dans Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, Points, 2001.
13 Nous empruntons ce concept à Pierre Bourdieu qui définit l’inconscient d’école comme « l’ensemble des structures cognitives qui [...] est imputable aux expériences proprement scolaires », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 135, décembre 2000.
14 Configuration : au sens d’Elias, dans une configuration, comme dans un jeu, chaque action produit des effets sur tous les individus qu’elle réunit, lesquels contribuent eux-mêmes, par leurs actions, à modifier la situation initiale. S’intéresser à la configuration, ou à la forme que prennent les relations entre plusieurs personnes ou plusieurs groupements d’êtres humains, c’est accorder une importance primordiale aux tensions qui les opposent, aux rapports qu’ils nouent entre eux, à la répartition des forces dans le jeu de leurs relations, aux équilibres et aux ruptures d’équilibres qui se font, se stabilisent ou se défont au cours de leurs échanges. Lagroye (J.), Sociologie politique, Paris, Dalloz-Presses de Science-Po, 2002, p. 120.
15 L’histoire du syntagme reste à faire. À notre connaissance, il est surtout employé dans l’après-stalinisme au moment où est revendiquée une direction collective contre toute forme de « culte de la personnalité ».
16 Mais aussi d’un désir de réconciliation populiste, celui de l’harmonie des intellectuels et du peuple, ce qui explique sa séduction sur certains intellectuels.
17 Comme l’illustre cet extrait d’une lettre écrite peu de temps avant sa mort (14 mai 1963) par Pierre Courtade, alors de plus en plus critique, et destinée à Roger Vailland : « Le moment devait venir où j’aurais à choisir entre la possibilité d’écrire un livre plus brillant (Nadeau a bien vu cela au fond) et une certaine idée que je me fais de la responsabilité politique, comme homme de parti ou, si tu veux comme homme d’Église. Courir le risque de l’excommunication pour cela ? Quitter l’Église ? Le fait est que je ne le puis, ni ne le veux, c’est ainsi ». Notice Pierre Courtade (signée Jean Vigreux), Dictionnaire des intellectuels français, JUlliard (J.), Winock (M.) (dir.), Paris, éd. du Seuil, 1996, p. 318.
18 Par intellectuel organique communiste nous entendons les intellectuels formés par le Parti communiste et qui doivent tout, ou presque, au PC (les oblats). C’est une définition restrictive par rapport au sens « gramscien ».
19 L’opposition intellectuelle organique/intellectuel de profession est idéale-typique. Dans la réalité, un intellectuel organique peut devenir un intellectuel de profession (ex. : Gérard Belloin), la professionnalisation politique étant par exemple une des voies de cette intellectualisation, tandis qu’un intellectuel de profession peut adopter l’attitude de l’intellectuel organique (ex. : Jean Kanapa), enfin, l’attitude de l’intellectuel de profession peut évoluer d’une posture de remise de soi à une posture critique. Néanmoins, la probabilité de l’adoption d’une posture critique est d’autant plus forte qu’on est un intellectuel de profession du pôle de la recherche et que sa carrière est indépendante des marchés et des postes partisans. Le populisme et le sentiment d’imposture « légitime » qui habitent certains intellectuels de profession plus que d’autres constituent certaines des prédispositions au désir de faire corps avec un collectif censé être de surcroît au service du peuple.
20 1960 comme année césure est un compromis entre différentes temporalités.
21 Ce que le livre de Konrad (G.) et Szelenyi (I.) reflétait, La marche au pouvoir des intellectuels, Paris, Seuil, 1969.
22 CF Racine (N.), « Une cause, l’antifascisme des intellectuels dans les années trente », Politix, n° 17, PFNSP, 1992.
23 Cf. Olivera (P.), « Aragon “réaliste socialiste” », Sociétés et Représentations, 2003.
24 Cf. Pennetier (C.), Pudal (B.) (dir.), Autobiographies, autocritiques, aveux dans le monde communiste, Paris, Éd. Belin, 2002.
25 VIRIEUX (D.), « Résistance-Professions, un rapport sans histoire(s) ? », Le Mouvement social, n° 180, juillet-septembre 1997 et Sapiro (G.), La guerre des écrivains, 1940- 1953, Paris, Fayard, 1999.
26 Pour Michel Pinault, l’échec de l’UNI, dont Frédéric Joliot-Curie était le secrétaire général, et de son journal, Les Etoiles (la revue disparaît le 3 décembre 1946), date de la reprise en main des intellectuels par la direction du PCF au tournant de l’année 1946- 1947, Pinault (M.), communication à la journée Marges et Replis, l’apport des itinéraires militants, organisée par Claude Pennetier, CHS, Paris I, 2002, ronéoté.
27 Courtois (S.), lazar (M.), Histoire du Parti communiste français, Paris, PUF, Thémis, 2002, p. 252 ; Sirinelli (J.-F.), « Les normaliens de la rue d’Ulm après 1945 : une génération communiste ? », RHMC, n° 33, 1986.
28 Ces deux interventions font l’objet d’un tiré à part : Les intellectuels et la Renaissance française, Éd. du PCF, 1945.
29 Cf. notre analyse dans Prendre Parti, Paris, Pfnsp, 1989, p. 205-208.
30 Blum (A.), Mespoulet (M.), L’Anarchie bureaucratique, statistique et pouvoir sous Staline, Paris, La Découverte, 2003.
31 Cf. Pudal (B.), « Le peuple dans Fils du peuple de Maurice Thorez », Sociétés et Représentations, n° 8, 1999, p. 265-279.
32 L’édition de ses œuvres est entamée en 1950.
33 Maurice Thorez publie en février 1955 dans les Cahiers du communisme deux études intitulées : « La situation économique de la France (mystifications et réalités) » (mars 1955) et « Nouvelles données sur la paupérisation. Réponse à Mendès France » (juillet-août).
34 Notion de classe et rôle historique de la classe ouvrière, conférence prononcée à la séance inaugurale de la Semaine de la Pensée Marxiste, le 13 mars 1963, s.e, s.d.. Cf. Sirot (S.), Maurice Thorez, Paris, PFNSP, 2000.
35 La formule est de Waldeck Rochet lui-même.
36 Nul hasard si Pierre Bourdieu revient longuement dans ses Méditations Pascaliennes sur cette question.
37 Muel-dreyfus (F.), Le métier d’éducateur, Paris, Éd. de Minuit, 1984.
38 Pudal (B.), « Le PCF et la question scolaire », communication au colloque Classes populaires et pédagogie, Université de Rouen, 1985.
39 Pennetier (C.), Pudal (B.), « La certification scolaire », Politix, n° 35, octobre 1997.
40 Pudal (B.), « Réalisme socialiste et récits biographiques édifiants du communisme français », Sociétés et Représentations, 2003, Aron (J.-P.), Sapiro (G.) (dit.), et ID., « Paul Nizan : l’Homme et ses doubles », Mots, septembre 1992, n° 32.
41 Cf. Casanova (L.), Le Parti communiste, les intellectuels et la nation, Éditions Sociales, 1949 et Les responsabilités de l’intellectuel communiste, rapport aux intellectuels communistes prononcé salle Wagram le 28 février 1949, Éditions de la Nouvelle Critique, 1949.
42 Casanova (L.), « Responsabilités de l’intellectuel communiste », Cahiers du communisme, 1949, n° 4, p. 443-459. Il s’agit du rapport même.
43 Sur cette question, cf. Pudal (B.), « Symbolic censorship and Control of Appropriations : The French Communist Party Facing “heretical” texts during the Cold War », Anghelescu (H.G.B.), Poulain (M.) (éd.), dans Books, Libraries, Reading and Publishing in the Cold War, Washington, The Center of the Book, Library of Congress, 2002.
44 Sapiro (G.), « Formes et structures de l’engagement des écrivains communistes en France de la “drôle de guerre” à la guerre froide », Sociétés et Représentations, février 2003, volume consacré au réalisme socialiste.
45 Lazar (M.), « Les batailles du livre du PCF (1950-1952) », Vingtième Siècle, n° 10, 1986.
46 Deux procès, parmi bien d’autres, symbolisent cette stratégie, le procès intenté par Kravchenko (1949), auteur du best seller J’ai choisi la liberté, contre Les Lettres Françaises et le procès David Rousset.
47 Streiff (G.), Procès stalinien à Saint-Germain-des-Prés, Paris, Syllepse, 1999.
48 Maurice Thorez, cité par Sophie Jeanelle, Discours de clôture du CC de Saint-Denis, L’Humanité du 13 décembre 1949, p. 112, Communisme n° 3.
49 Cité par SAPIRO (G.), art. cit.
50 Matonti (F.), « Courtade et la contrebande », Sociétés et Représentations, 2003.
51 C’est la thèse avancée par Michel Pinault, communication citée, qui montre les transactions implicites entre scientifiques communistes et direction, fondées sur un soutien politique, sur la lutte contre la guerre et pour la paix et sur certaines formes de retrait ou d’évitement lorsqu’il s’agit de questions scientifiques.
52 Agulhon (M.), « Sur la “culture communiste” dans les années cinquante », dans Cefaï (D.) (dir.), Les cultures politiques, Paris, PUF, 2000, p. 289.
53 Ibid., p. 294.
54 Tout semble indiquer qu’on les « invita » à se pencher sur leur destin corporatif et sur les questions de l’école. Cf. Girault (J), Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la société française (fin XIXe-XXe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 179-181. L’École et la Nation, revue mensuelle, est créée en 1951.
55 Roche (P.), Les instituteurs communistes à l’école du Parti (1949-1954), Thèse pour le doctorat de Sciences de l’éducation, Université de Rouen, 1988, 3 vol., p. 213.
56 L’affaire Servin-Casanova reste encore mal élucidée. La destitution de ces dirigeants semble liée aux analyses qui s’esquissent au sein de la revue créée en 1954, Économie et politique (dirigée par Jean Pronteau), et aux éventuelles implications politiques qui en découleraient. Quelques années plus tard, Économie et Politique, plus en phase avec la recherche de théories nouvelles, jouera un rôle déterminant dans l’élaboration de la théorie dite du Capitalisme monopoliste d’État. Elle est à l’initiative d’une conférence internationale en mai 1966 que valide le XVIIIe congrès du PCF en 1967 et qui se concrétise dans la publication de deux forts volumes d’allure scientifique publiés en 1971 et destinés aux cadres du PCF et aux intellectuels.
57 Dreyfus (M.), PCF, crises et dissidences, Complexe, 1990, p. 141-153.
58 Pudal (B.), « La seconde réception de Nizan (1960-1990) » dans Intellectuels engagés d’une guerre à l’autre, Les Cahiers de l’IHTP, n° 26, mars 1994.
59 Cf. Ponsard (N.), « Histoire d’une communauté de lecteurs ouvriers : un autre “voyage en culture ouvrière” », Le Mouvement Social, à paraître.
60 Lazar (M.), « Idéologie et propagande des Partis communistes français et italien durant la guerre froide » dans Delmas (J.), Kessler (J.) (dir.), Renseignement et propagande pendant la guerre froide, 1947-1953, Bruxelles, Complexe, 1999.
61 Cf. Matonti (F.), La Nouvelle Critique, 1967-1978, à paraître, Éd. La Découverte, 2003.
62 Lazar (M.), Maisons rouges. Les Partis communistes français et italien de la Libération à nos jours, Paris, Aubier, coll. « Histoires », 1992.
63 Matonti (F.), Le Siècle des communismes, op. cit.
64 Non sans évolutions douces, le livre de Kanapa (J.), Situation de l’intellectuel, publié dans les essais de La Nouvelle Critique en 1957, témoigne de la prise en compte progressive de la montée en puissance sociale des intellectuels dont on affirme à la fois la « prolétarisation » mais aussi les limites « petites bourgeoises ».
65 « Les étudiants face aux grands problèmes de notre époque », 1963, brochure, p. 22, dans Juquin (P.), n° 2, 2000, Aragon/Triolet, citée par F. Matonti. Les crises de l’UEC durent jusqu’en 1967.
66 « Les étudiants... », brochure citée, p. 122.
67 Simon (M.), Cohen (F.), Arnault (J.), Besse (G.), « Notes complémentaires », p. 72-73, dans La Nouvelle Critique, 1963, n° 151, cité par Matonti (F.), manuscrit, p. 90.
68 Cf. la notice de Wolikow (S.), « IMT-CERM-IRM » dans Julliard (J.) et Winock (M.) (dit.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 617-610. Suppléant depuis 1956, Garaudy devient titulaire au Bureau politique en 1961.
69 Jourdain (H.), Comprendre pour accomplir, dialogue avec Claude Willard, Paris, Éditions sociales, 1982, p. 117.
70 Streiff (G.), Jean Kanapa (1921-1978), Une histoire singulière du PCF, t. 1, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 426-427.
71 Ibid., p. 427-428.
72 En 1967, les communistes prendront ainsi la tête du Syndicat national de l’enseignement secondaire (SNES).
73 Sur Argenteuil, cf. Racine (N.), « Le PCF devant les problèmes idéologiques et culturels » dans Le communisme en France, Paris, Armand Colin, 1969, et Olivera (P.), Pudal (B.), « Aragon au miroir du CC d’Argenteuil », dans Les Annales de la société des amis de Louis Aragon et Eisa Triolet, n° 2, 2000, p. 257-272 ainsi que l’ensemble du numéro.
74 Cf. par exemple l’entretien que donne Roland Leroy aux Cahiers d’histoire de l’institut Maurice Thorez en 1976, n° 15, « Le PCF, les intellectuels et la culture dans les vingt dernières années », p. 126-148, qui précède la publication de la résolution sur les problèmes idéologiques et culturels adoptée par le CC d’Argenteuil le 13 mars 1966. Sur toute cette période, cf. Verdès-Leroux (J.), Le réveil des somnambules. Le Parti communiste, les intellectuels et la culture (1956-1985), Paris, Fayard/éd. de Minuit, 1987.
75 Cf. par exemple, Chambaz (J.), La patience de l’utopie, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1992, p. 156 et suivantes.
76 Cf. Vigreux (J.), Waldeck Rochet, du militant paysan au dirigeant ouvrier, Thèse de doctorat d’histoire, IEP de Paris, 1997, t. 2, p. 513-523.
77 Lucien Sève évoque notamment l’imprécision de la notion d’« aptitude » qu’il critique en même temps que celle de « don » en citant Bourdieu et Passeron.
78 Waldeck Rochet tire les conclusions du débat philosophique dans son intervention intitulée « Le marxisme et les chemins de l’avenir », intervention mesurée où il discute les thèses en présence tout en prenant position contre les « dérives » des positions de Louis Althusser (le dogmatisme) et de Roger Garaudy (l’opportunisme) : « C’est en évitant le double écueil du dogmatisme et de l’opportunisme et en nous battant sur la base d’une juste ligne de principe que nous remporterons de nouveaux succès dans notre travail » (« Débats sur les problèmes idéologiques et culturels. Conclusions », Cahiers du communisme, n° 5-6, mai-juin 1966, p. 322).
79 Cf. GEERLANDT (R.), Garaudy et Althusser. Le débat sur l’humanisme dans le Parti communiste français et son enjeu, Paris, PUF, 1978.
80 Lui-même s’est converti au protestantisme à l’âge de 14 ans. Il fut directeur des Cahiers du communisme puis du CERM.
81 Paris, Stock/IMEC, 1992, p. 182-183.
82 Si l’adjectif a un sens vis-à-vis de Garaudy, il doit cependant être relativisé à propos d’Althusser et de ses élèves. Sur le mode polémique, Pierre Bourdieu a souligné dans « La lecture de Marx », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 5-6, novembre 1975, combien les thèses althussériennes s’inscrivaient dans le cadre d’un rapport sacralisé au marxisme.
83 ROCHET (W.), « Le Marxisme et les chemins de l’avenir », op. cit., p. 321-322.
84 Cf. Pennetier (C.), Pudal (B.), « La certification scolaire », Politix, n° 35, 1996.
85 Un exemple type de ces relations compliquées est le texte collectif mais signé Verret que publie en 1963 La Nouvelle Critique sur le culte de la personnalité.
86 Sur tous ces points, cf. Matonti (F.), thèse citée.
87 La commission « Économie » aurait compté plusieurs centaines de membres (le chiffre de 700 a été avancé). Les commissions n’avaient pas de statut défini. On était « invité » et il arrivait qu’on cesse d’être invité... Pour les années 1970, cf. le témoignage de Hincker (F.), « Le groupe dirigeant du PCF dans les années 70 », Communisme, n° 10, 1986.
88 Cité par Matonti (F.), manuscrit cité, p 147.
89 Courtois (S.), Lazar (M.), op. tit., p. 340.
90 Sur cet aspect, en réalité fort important puisqu’il conditionne les relations avec les auteurs des politiques culturelles, Gérard Belloin, alors permanent à la SIC (Section des intellectuels communistes), publie un article « Politique culturelle, les communistes proposent », Cahiers du communisme, n° 10, octobre 1966, p. 31-50. L’enjeu n’est autre que l’ensemble des marchés culturels contrôlés par le PCF dans le cadre municipal principalement. La « liberté » des créateurs prônée à Argenteuil rencontre ici le processus de professionnalisation des politiques culturelles et le dessaisissement partiel des édiles communistes dans la définition de ces politiques. Sur tous ces points, cf. Dubois (V.), La politique culturelle, Paris, Belin, 1999 et Dubois (V.) (dit.), Politiques locales et enjeux culturels, les clochers d’une querelle, La Documentation française, 1998, en particulier la quatrième partie intitulée, « Affirmations et mises en question d’un communisme culturel » et notre introduction « Le grand absent ».
91 Vernant (J.-P.), intervention « Mai 68 » publiée dans Entre Mythe et politique, Paris, Seuil, 1996, p. 571-576. C’est aussi la critique qu’adresse Louis Althusser à Michel Verret, cf. Verret (M.), « Mai étudiant ou les substitutions », La Pensée, n° 143, février 1969 et Althusser (L.), « À propos de l’article de Michel Verret sur “Mai étudiant”, La Pensée, n° 145, juin 1969. D’autres interventions suivront (Roger Garaudy, etc.).
92 Cf. Tartakowsky (D.), « Le PCF en mai-juin 68 », dans Exploration du Mai français, t. 2, Mouriaux (R.), Percheron (A.), Prost (A.), Tartakowsky (D.) (dir.), Paris, L’Harmattan, 1992.
93 Les intellectuels communistes, même critiques, n’étaient pas nécessairement mieux préparés que certains dirigeants à adopter une attitude positive face à la crise étudiante. Dans l’article très critique qu’il publie dans La Pensée en réponse à l’étude de Michel Verret, alors même qu’il met l’accent sur l’importance historique de la révolte étudiante, Louis Althusser n’en affirme pas moins la prééminence de la lutte « ouvrière ».
94 Sur cette question, cf. Gobille (B.), Crise politique et incertitude : régimes de problématisation et logiques de mobilisation des écrivains en mai 68, thèse pour le doctorat de l’EHESS, 2 vol., 2003.
95 Sève (L.), Marxisme et théorie de la personnalité, Paris, Éditions sociales, 1969.
96 Sur le « mode de production asiatique », Préface de Garaudy (R.), Paris, CERM-Éditions sociales, 1969, p. 8.
97 Adler (A.) et alii (dir.), L’URSS et nous, Paris, Éditions sociales, 1977.
98 Cf. Matonti (F.), manuscrit cité.
99 Recherches Internationales publie en 1976 (n° 88-89) un volume consacré à « L’Eurocommunisme », qu’introduit Jean Kanapa, dans lequel est publiée l’interview de P. Togliatti en 1956 à Nuovi Argomenti et où l’on dresse au fond la carte des partis eurocommunistes (PC Japonais, PC Mexicain, PC de Grande-Bretagne, etc.).
100 Texier (J.), « Gramsci sort-il du purgatoire ou va-t-il en enfer ? », La Nouvelle Critique, n° 76, 1974, p. 38.
101 Blanc (Y.) et Kaisergruber (D.), animateurs de la revue Dialectiques, lancée en 1973, publient L’affaire Boukharine chez Maspero, dans leur collection, en 1979. Il s’agit d’un dossier en réhabilitation.
102 Muel (B.), « Les riches heures du groupe Medvekine (Besançon-Sochaux, 1967- 1974) », Images documentaires, n° 37-38, Paroles ouvrières, 2000, p. 15-35.
103 Pudal (B.), « Désinvestir : de la fusion à l’auto-analyse, le cas de Gérard Belloin », à paraître, 2003 ; Sommier (L), Un officier communiste et républicain dans les guerres coloniales, à paraître, 2003.
104 Althusser (L.), Ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste, Paris, Maspero, 1978, p. 93 (le texte fut d’abord publié dans Le Monde entre les 24 et 27 avril 1978).
105 Cf. Daix (P.), Les hérétiques du PCF, Paris, Laffont, 1980 et pour une récente synthèse des oppositions internes, l’article « Les contestataires communistes », p. 216-221, dans La France Rebelle, Crettiez (X.), Sommier (I.) (dir.), Éditions Michalon, 2002.
106 « L’information, rencontre de Vitry », L’Humanité, 11 décembre 1978, p. 4.
107 Labica (G.), Ouverture d’une discussion ?, collection Débats communistes dirigée par Molina (G.) et Vargas (Y.), Paris, Maspero, 1979, p. 88.
108 Ethuin (N.), La formation communiste dans les processus d’homogénéisation et de (re)construction d’identités partisanes, communication au congrès de la AFSP, Lille, octobre 2002.
109 Platone (F.) et Ranger (J.), Les adhérents du Parti communiste français en 1997, Cahiers du Cevipof, n° 27, 2000 ; Lavabre (M.-C.), PLATONE (F.), Que reste-t-il du PCF ?, Autrement, à paraître, avril 2003.
110 Cf. les analyses sur le PCF de BOY (D.), Platone (F.) et alii, C’était la gauche plurielle, Presses de Sciences Po, 2003.
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