Le Jacobin : à la recherche d’une image
p. 303-314
Texte intégral
1Il y a, je l’avoue, quelque paradoxe, dans cette rencontre consacrée aux figures de Marianne, à partir à la recherche du Jacobin.
2On a sinon tout dit, du moins beaucoup écrit, sur la comparaison des figures nationales : Marianne héroïque représentation féminine de la France, contre John Bull l’antihéros masculin britannique qu’aucune Britannia n’a jamais pu supplanter. Pas plus que Germania n’a jamais pu vraiment affirmer son autorité. Il n’y a pas de parèdre masculin à Marianne. Mais nous savons aussi que dans le panthéon civique de la Révolution française, Hercule ne s’impose que difficilement à la cohorte des valeurs personnifiées féminines1. Restons au niveau de l’imaginaire populaire : le sans-culotte a eu vocation à devenir figure emblématique, ne fût-ce que pour sa silhouette, son accoutrement, le sabre et la pique qui sont déjà tout un programme. Et d’une certaine façon, son image s’est imposée en France, voire ailleurs (en Angleterre) mais inscrite dans l’histoire, reflet d’un moment.
3Le Jacobin, qui ne se confond pas avec le sans-culotte, mais qui reste à sa manière un personnage symbole, propre à susciter admiration ou haine, pourrait prétendre à une vocation « transhistorique » comme représentant d’une certaine image du révolutionnaire (l’énergie, la volonté…), d’autant que son profil n’est pas strictement franco-français. Dès 1792, la Grande Catherine avait détecté la présence d’une « jacobinière » en Pologne. Mais le comte de Puisaye n’a-t-il pas écrit en 1802 : « Je voudrais qu’on s’accordât pour définir ce qu’on entend par Jacobins… On pourrait croire que les Jacobins sont une secte particulière à ce siècle… les Jacobins sont de tous les temps et de tous les lieux. Dans un État où les liens sociaux cesseront d’avoir la force nécessaire pour maintenir l’ordre établi, ils y pulluleront comme des vers sur un cadavre, dans un État fort ils n’oseront pas se montrer2. »
4Ce fantôme du Jacobin, sous des formes diverses et contrastées, du militant fanatique à la canaille, perdure depuis deux siècles… Mais sous quels traits ? Qu’en est-il de son image ?
5Le dossier iconographique des représentations du Jacobin en France n’est pas prolixe avant thermidor3. Une gravure officielle produite en 1790 par Masquelier illustre la « Salle de réunion du club des Jacobins dans l’ancien couvent de la rue Saint-Honoré » (au fauteuil Lameth, à la tribune Mirabeau4), document presque unique de référence, dont nous ne pouvons attendre plus qu’un témoignage. C’est dans la caricature qu’on peut rechercher un profil, tel qu’il se dessine, reflété par un camp ou par l’autre. Jacobin exultant, autoproclamé que celui qui prend la silhouette inattendue d’un violoneux euphorique, non point hâve ni déguenillé mais vêtu d’une redingote râpée (à la Robespierre dirait-on) et soigneusement coiffé, vouant dans une dernière ritournelle « les aristocrates au diable5 ». Et de fait, on voit ceux-ci, un noble empanaché, un prêtre brandissant un poignard dérisoire, entraînés par deux démons dans les feux de l’enfer.
6 À mi-chemin entre le populaire et un certain quant-à-soi : on retrouve ces traits dans deux silhouettes – estampes coloriées de bonne facture – qui se répondent en duo (figure 56)6. « J’y vais aux Jacobins » proclame fièrement un personnage un peu vulgaire, mais en redingote, culottes et bas, tricorne… toutefois porteur d’un tablier, semble-t-il, qui dénoterait un maître – aisé peut-être – d’un art mécanique. Son vis-à-vis est plus visiblement un bourgeois bien mis – habit rouge et culottes jaunes – qui exulte : « Je viens des Jacobins, tout va bien. », présentant pour que nul n’en ignore ses preuves de civisme : un bonnet phrygien orné d’une cocarde de fantaisie. Il y a aussi un troisième larron : « Je viens des Feuillants », qui n’a rien de triomphal mais on l’aura deviné, il y a de l’ironie dans le duo comique.

Figure 56
J’y vais aux Jacobins, eaux-fortes coloriées anonymes, musée Carnavalet, Clichés Edimedia
© Musée Carnavalet
7Elle reste de bon goût, si nous prospectons la série plus fournie de la caricature contre-révolutionnaire entre 1790 et 1792, qui ne fait pas dans la dentelle. Sans entrer dans le détail, j’y évoquerai trois scénarios : reportage dérisoire et transposition allégorique sous deux formes, le théâtre et le cortège funèbre.
8 « Grande séance aux Jacobins en janvier 1792 où l’on voit le grand effet intérieur (sic) que fit l’annonce de la guerre par le ministre Linotte à la suite de son grand tour qu’il venait de faire. » Linotte, c’est le ministre Narbonne, affublé de la tête de… linotte7 dont les royalistes le gratifient. Mais cette bestialisation n’est qu’un détail sans gravité, dans une assemblée grotesque, partagée entre l’exaltation vraie ou feinte des boutefeux. « Il est urgent que nous fissions semblant de n’avoir pas plus… guerre ouverte – bataille »…, et la panique qui se peint sur les faces de plus d’un, ou plutôt sur leurs fesses, car culottes basses, aux quatre coins de la salle, ils chient dans leur froc, assistés dans le cas de l’orateur, par un quarteron de femmes patriotes dévouées, qui le torchent avec le texte de la motion. Par référence, on apprécierait un certain académisme dans les séries (il y en a plusieurs) qui déploient le thème classique du cortège funèbre des Jacobins. Classique, car il a été employé sous l’Ancien Régime, point seulement en France. À la veille de la Révolution, le graveur patriote Sergent avait bravé la censure par son « Cortège des abus ». On rend ici la monnaie de leur pièce à « leurs majestés les Jacobins en leur tirant nos seigneurs et maîtres décédés en leur palais de la rue Saint-Honoré8 ». Cortège burlesque, ouvert par l’asinade de deux furies porteurs d’étendards montés à revers, précédant des pénitents d’un nouveau genre, le scandaleux cortège des prêtres et prélats patriotes et de leurs maîtres, les porteurs de la bière suivis du personnage de la comédie italienne, puis d’autres députés affublés de têtes animales9. Prolifération, soit dit sans parti pris, assez besogneuse de symboles surchargés.
9Nous n’entreprendrons pas de tenter d’évaluer l’impact réel de transpositions allégoriques comme celle-ci, ou encore de cette scène de théâtre qui prétend évoquer « le club des Jacobins, Mirabeau le préside et ce grand scélérat… » en fait est pendu en l’air au-dessus d’un boucher, entouré de potences et de motifs allusifs10.
10Au demeurant, c’est bien à ces extrémités que l’on aboutit dans d’autres gravures qui, plus directement, assignent sans détour aux Jacobins le sort qu’ils méritent : « Pas de deux entre un Jacobin et un Feuillant »… au bout d’une corde. Thème repris dans une gravure d’avertissement aux « propagandiers », ces Jacobins de la frontière ou des armées adverses que l’on nous présente en frocs… de Jacobins ancien style, pendus aux arbres d’un camp militaire11.
11Nous paraîtrons chercher le paradoxe en relevant que l’image du Jacobin semble s’effacer – en France du moins –, alors même que la montée en puissance du club prélude, de l’été 1792 à 1793, au milieu des turbulences, à ce qu’on l’on a désigné comme « l’hégémonie jacobine », mais ceci explique peut-être cela. De sévères rivalités et des conflits internes qui scandent le nouveau cours de la vie de la société, une estampe unique en son genre, mais fort suggestive, illustre la pratique du « scrutin épuratoire » alors mis au point pour assurer la rectitude de la ligne.
12C’est en même temps l’une des biens rares caricatures préthermidoriennes de Robespierre, présenté en cuisinier (un peu louche aussi si l’on en juge par son énorme couteau de cuisine), maniant la passoire pour extirper (pour leur bien ou pour leur mal ?) des Jacobins qui s’agitent dans « la marmite épuratoire des Jacobins12 » (figure 57).

Figure 57
La Marmite épuratoire des Jacobins, anonyme, BnF, Cabinet des estampes 1792
© BnF

Figure 58
Indigestion mortel d’un Jacobin, anonyme, BnF, eau-forte
© BnF
13Mais cet unique écho de la discorde est vite étouffé, au lendemain du fédéralisme, l’an II parle d’une seule voix, et l’image emblématique qui s’impose comme référence civique est celle du sans-culotte, reléguant sinon dans l’ombre, du moins dans la discrétion, celle du Jacobin.
14Thermidor : un réveil, ou un effet différé de rancœurs accumulées. On montre à nouveau le Jacobin, mais en termes d’exécration. À vrai dire l’image se cherche, et la mise au point se fait progressivement : au lendemain de la chute de Robespierre, le graveur Villette garde le ton emphatique en invoquant « les intrigants foudroyés13 » un éclair – dans un rai de lumière – provoque la panique dans l’antre sombre d’où fuient des clubistes. On cherche à être plus expressif : Indigestion mortelle (sic) d’un Jacobin le présente en habit bourgeois vomissant des piques et des flammes (figure 58)14. Mais on ne s’en tient pas là : la montée de la réaction, dans un déchaînement antiterroriste, nous fait assister à un phénomène d’amalgame, où le Jacobin en version « canaille » s’identifie au sans-culotte dépenaillé que deux caricatures nous présentent successivement agressif sous le titre Le Jacobin du 1er prairial (an III), puis humilié et implorant, devenu Le Jacobin du 4e prairial (figure 59)15. Cette vulgarisation par l’image accompagnant des glissements qui s’opèrent dans le discours de « Jacobin » à « terroriste », de « terroriste » à « anarchiste », se retrouve dans la gravure thermidorienne ou royaliste à destination populaire. Ainsi, dans la série des « Plaies de l’Égypte depuis 178916 », une station (celle des grenouilles et des mouches) est-elle dédiée au Jacobin et Jacobine, maratins et toute la séquelle : personnages louches, assez dépenaillés d’activistes, diffusant le Journal de Marat et le Journal de Babeuf, avec pour innovation que des femmes s’en chargent aussi. Notable promotion, relèverons-nous avec un peu d’ironie.

Figure 59
Le Jacobin du 1er Prairial ; Le Jacobin du 4e Prairial, anonyme, BnF, gravure
© BnF
15La pointe ultime de l’amalgame ou de l’intox contre-révolutionnaire nous est offerte par le bagnard vu de dos, dans sa fuite, dont l’épaule porte la flétrissure du galérien et la tête… le bonnet rouge. Son nom ? Le Jacobin royaliste.
16On quittera la France sur une dernière image, qui semble un adieu : Le temps resserrait les nœuds des frères et amis17. Sous le patronage de Voltaire (« Le temps est le maître de tout / il n’est rien dont il ne vienne à bout »), un vieillard temps à la faux (presque un justicier divin) accroche à une branche les cordes associées de deux pendus imminents, des sans-culottes à bonnet rouge que ces derniers Jacobins qui s’embrassent dans une dernière accolade. Voilà une figure dont nous allons retrouver l’écho hors de France, et notamment en Italie, mais n’anticipons pas.
17C’est, en effet, au miroir de leur réfraction dans l’imaginaire des pays voisins que les avatars de l’image du Jacobin prennent leurs traits les plus singuliers, voire les plus fantastiques.
18On attendrait beaucoup de l’Angleterre, tant du fait de l’importance de sa production graphique que de l’acharnement créatif des maîtres de la caricature contre-révolutionnaire : Gilbray, Ruwlandson et d’autres. S’ils ne manquent pas à l’appel, on pourra remarquer (au risque d’appauvrir les données apportées par les analyses de Pascal Dupuy et d’autres chercheurs18) que c’est l’image du sans-culotte qui les fascine, suscitant les évocations fantasmées les plus saisissantes du Petit souper (anthropophagique) à la parisienne, ou du Zenith of french glory où le sans-culotte, cul nu à cheval sur un réverbère d’où pendent deux religieux immolés, préside en jouant du violon à une scène de guillotinade.
19Nous connaissons toutefois des productions anglaises antijacobines qui ont voyagé et dont la diffusion sur le continent démontre le succès de propagande19 : ainsi cette série bien européenne de vingt caricatures anglaises que les grands diffuseurs, Zalta à Venise, Remondini à Bassano, ont adaptée en 1799 pour le public italien (avec légende en français et en italien) sous le titre : La rigenerazione dell’Ollanda specchio a tutti i populi. De l’Angleterre à l’Italie en passant par la Hollande, satire débridée d’un système chimerico, anarchico, distruttore di ogni vincolo sociale.
20Mais, Christian Marc Bosseno, à qui nous empruntons ces notations, signale d’autres gravures italiennes pour les guillemets « de type anglais » ; ainsi une Liberté philosophique montée sur son semblable : l’anarchie aux seins nus fouette et excite un âne qui chevauche un sans-culotte barbu coiffé du bonnet phrygien et porteur de tous ses ustensiles, un tonneau, une guillotine, une bourse volée…
21Il y a donc eu diffusion de modèles, mais sans pour autant qu’il y ait uniformisation, en fonction de la réponse différente des milieux nationaux réceptifs à la double question : quel portrait du Jacobin français, quel portrait du Jacobin local ?
22Un rapide tour d’Europe nous réservera des surprises. Débutant par le Nord, les Pays-Bas offrent sous le titre, De Gewapende Jacobeum20, le portrait d’un âne debout – avec des lunettes – déguisé en soldat d’une milice patriotique, portant fusil avec baïonnette au canon. Sur fond, bien sûr d’un paysage hollandais, flegmatique apparition d’un Jacobin d’exportation.
23L’Allemagne, qui a connu dans ses expériences rhénanes les clubs à la française, en a parfois évoqué le souvenir en témoignage direct, pris sur le vif dirait-on (mais prudence), ainsi sur le dessin de Johann Hoch, au musée de Bonn, d’un humour très mesuré et plutôt sympathique où un jeune orateur appliqué lit son texte devant un auditoire parfois attentif, parfois réticent, où des femmes assez nombreuses ne laissent pas indifférents les soldats français, présence notable. Un groupe de patriotes locaux fait escorte. Un vieux juif écoute, un peu ironique : est-ce celui qu’on nous montre ailleurs assistant à la plantation d’un arbre de la liberté : un bonnet sans tête, sur un arbre sans racines…!
24Mais si l’espace germanique semble avoir focalisé, pour des raisons évidentes, ses rancunes et dénonciations plutôt sur le soldat français, pillard et violeur, que sur le Jacobin, c’est de ce foyer, si nous suivons là encore Christian Marc Bosseno, que serait parvenu en Italie telle série, adaptée là encore par les Remondini de Bassano, qui enrichit le bestiaire antirévolutionnaire d’images singulières du Jacobin, la gatta democratica, chatte assez dévergondée, puis un chien qui fume, prototype du citoyen, et un autre vêtu alla ghigliottina21.
25L’Italie, réceptacle de toutes les influences ? Ne voir que cet aspect serait sous-estimer l’apport créatif d’une production très abondante, explosant en particulier de 1796-1797 à 1799, dans le flot de propagande antirévolutionnaire qui a précédé puis accompagné la reconquête de la péninsule par les armées de la seconde coalition.
26En Italie22, les Jacobins existent en nombre, personnages qu’un dictionnaire publié à Venise en 1799 définit en ces termes : Vocabolo energico, che in se comprende l’alteo, l’assassina, il libertino, il traditore, il crudele, il rebelle, il regicida, l’oppressore, il pazzo fanatico che soprassa tutto cio che finora si comprendara sotto il nome di empio e di sceleratto. Voilà bien un bel envoi, que, Bosseno, qui le cite, résume en soulignant que le Jacobin ainsi défini offre une image synthétique du soldat pillard, du commissaire exacteur du côté français, et du côté italien du ministre cisalpin fauteur d’anarchie, mais aussi de ces militants bons bourgeois avec leurs épouses émancipées, francs-maçons de surcroît.
27C’est du moins sous ces traits que plusieurs séries les présentent, l’Ultimo viaggio della democrazia (figure 60), conduite au temple du vice et de l’erreur, produit dans le Nord, reprit en 1799 à Macerata et en juin 1800 à Bari, annonce les thèmes développés dans Le patriotte in viaggio per la casa del diavolo où la charrette du diable entraîne les femmes de mauvaise vie, vers la bouche d’enfer où s’engouffrent les hommes.

Figure 60
Dernier voyage de la république, gravure italienne en couleurs, musée Carnavalet, Cliché Edimedia
© Musée Carnavalet
28Par son didactisme et sa finesse d’exécution, la série de douze caricatures, produites entre automne et printemps 1799 sous l’enseigne de Roveredo (mais sans doute Bassano), offre un témoignage exceptionnel de la production sans doute des « libérateurs » autrichiens ou autres, mais sans que les auteurs aient eu à forcer leur naturel.
29Sous le double objectif de célébrer les valeurs restaurées et, surtout, de condamner les erreurs jacobines, ces images coloriées, de graphisme simple mais soigné, plus proche de l’allégorie que de la caricature, associent le destin des Jacobins aux châtiments, tortures et mises à mort de la Liberté (ou de la Démocratie, c’est tout comme) à une frêle jeune fille dénudée, que l’on va brûler, ou bouillir dans une marmite, conduire sur une charrette à sa dernière demeure par les Jacobins français ou locaux, leurs collaborateurs, eux-mêmes exposés (avec leurs femmes on l’a vu) à toutes les avanies du voyage aux enfers où les accueille Pluton. Sur le thème de la mise à mort conjointe des hommes et d’une idée, sous le regard triomphant des cours célestes et royales restaurées, à la diligence des contingents de la coalition, l’iconographie de l’Italie padane, diffusée dans la péninsule, offre une vision singulière du jacobinisme tel qu’il est ici perçu. Rencontre conflictuelle des images et couleurs héritées du passé (« l’infernalisation »… le miracle, la foi restaurée), mais aussi de cette déesse nue, importée de France et qui s’appelle Liberté, Démocratie ou République, avec ses zélateurs impies.
30 On prend conscience de l’originalité de ce modèle d’adaptation du personnage du Jacobin lorsque l’on passe au sud de la péninsule, autour de Naples, foyer des affrontements les plus spectaculaires en 179923. Nous pouvons certes regretter que, dit-on, le cardinal Ruffo, bon apôtre, ait fait détruire au nom de la décence, les ex-voto jubilatoires sur lesquels Lazzaroni et ses fédistes avaient détaillé les mutilations et tortures des Jacobins napolitains.
31Il reste toutefois dans les musées et collections napolitaines quelques pièces remarquables parmi d’autres, qui célèbrent la monarchie et la foi restaurées, voire la fustigation par saint Antoine de Padoue, bien-pensant, de saint Janvier qui avait collaboré avec l’ennemi.
32Une gravure sur bois qui semble par son style et sa technique sortir tout droit des enfers du Moyen Âge ou du xvie siècle, retrace le châtiment des Jacobins fustigés par les diables, pendus par les pieds, éventrés, abreuvés de plomb fondu, bouillis dans une grande marmite. On a l’impression, par référence aux séries de l’Italie du Nord, d’avoir franchi une frontière culturelle et de voir resurgir un ancien monde de terreurs et de châtiments. Une dernière image du Jacobin nous transporte dans la montagne, en forêt : des chasseurs embusqués, mitraillés, transpercent un monstre gigantesque, quadrupède velu par l’arrière, hominien par ses bras et sa face. La chasse au Jacobin s’achève en battue à la grosse bête.
33On voudrait passer plus outre encore, en prospectant les plus lointaines frontières du jacobinisme (comme on a jadis parlé de frontières de catholicité). C’est entre Vienne et Budapest que nous en trouverons l’écho, celui de la répression, de la conspiration de Martinowicz et de ses compagnons viennois et hongrois. Une image m’avait frappé, il y a bien des années au musée historique de Budapest, évoquant leur exécution, et développant le thème de l’arbre aux pendus. Une sorte de monument expiatoire si l’on veut, dont des variantes gravées m’ont été communiquées par des collègues (Eva Palacz). Médaillons commémoratifs et/ou sigles d’infamie ? Puis voici que sur une autre image, l’arbre se métamorphose : ses ramifications deviennent celle de l’hydre – une sorte d’Hydre de Lerne, thème qui n’est pas inconnu par ailleurs, employé dans l’un et l’autre camp, pour représenter l’adversaire révolutionnaire… ou aristocrate.
34Il serait commode de conclure ce voyage par une pirouette ou un clin d’œil : à Budapest, nous avons rencontré déjà l’hydre du jacobinisme que Mona Ozouf nous a décrit avec le recul de l’histoire, comme une structure gonflable, type aéronef, susceptible de se boursoufler, puis de se rétracter au gré des moments, mais qu’une pointe d’épingle suffit à crever. Et j’imagine la dépouille du jacobinisme aujourd’hui comme une grande poupée de Niki de Saint Phalle, désarticulée.
35Est-ce indiscutable ? Même sans image porteuse ni personnage emblématique, le Jacobin survit quelque part. Présentant voici trois ans mon ouvrage sur les Jacobins à de jeunes étudiants de São Paulo, une voix innocente m’interpelle : « Est-ce que les paysans sans terres sont des Jacobins ? » J’ai dû avouer que j’en doutais… Ce mot d’enfant dévoile une vérité. Le Jacobin n’a pas laissé d’image durable. Est-ce dû à l’anathème obstiné dont il a été l’objet ? Cela n’empêcherait rien. Est-ce le fait d’une excessive personnalisation aujourd’hui encore lisible, lorsqu’on constate que l’éditeur, pour rendre mon ouvrage plus commercial, l’a rebaptisé Les Jacobins de Robespierre à Chevènement24 ?
36Dommage, j’aurais bien voulu donner à Marianne un parèdre masculin. Mais c’eût été sans doute, un mariage mal assorti. Du moins notre voyage de découverte nous a-t-il fait traverser, je l’espère, des moments et des espaces culturels, mesurant d’un lieu à l’autre, les figures de l’imaginaire, les expressions d’une culture politique diversement exprimée. À défaut d’être encore un acteur, le Jacobin reste un témoin précieux.
Notes de bas de page
1 L. Hunt a développé ce thème de la reprise en main du panthéon civique féminin dans Politics, Culture an Class in the French Révolution, Berkeley, 1984, rééd. 2004.
2 Cité par M. Vovelle, Les Jacobins de Robespierre à Chevènement, Rome, 1998 ; Paris, La Découverte, p. 108.
3 Cette communication, qui ne prétend à aucune ambition érudite mais qui se veut peut-être le reflet de quelque familiarité avec l’image, a été élaborée en relisant une (ou deux) de mes œuvres : La Révolution française, Images et récit, Paris, Messidor, 1986, 5 vol. et 3 000 reproductions. Voir l’ouvrage élaboré avec mes élèves C. Dhoyen et C.M. Bosséno, Immagini della Liberta, L’Italia in rivoluzione, Rome, Editori Reuniti, 1988. Au même titre que la Révolution est terminée, ces deux maisons éditoriales sont défuntes, et ces livres peu accessibles. En les revisitant, je m’excuse du caractère approximatif des localisations, qu’il m’eut été impossible de reprendre. On renverra donc à la BnF, au musée Carnavalet ou Museo Correrquitte à préciser la place de la reproduction dans les ouvrages de référence, soit le chapitre consacré aux Jacobins au tome II de La Révolution, Images et récits, op. cit. ou à leurs frères italiens dans Immagini, op. cit.
4 Ces commentaires renvoient à M. Vovelle, La Révolution, Images et récit, t. II, op. cit., p. 72-85 avec pour chaque image la page de l’ouvrage et la référence de la collection d’origine (BnF, musée Carnavalet).
5 Anonyme, Vovelle, ibid., t. II, p. 79.
6 Anonyme, BnF et musée Carnavalet ; Vovelle, ihid., t. II, p. 76-77.
7 Eau-forte de Vilette, BnF, Estampes ; Vovelle, ibid., t. II, p. 78-79.
8 C’est en effet dès le printemps 1789 que le peintre et graveur François Sergent a célébré le convoi du très haut et puissant seigneur des abus mort sous le règne de Louis XVI, le 27 avril 1789 : précaution qui ne lui épargne pas la censure. La gravure (BnF, Estampes) est reproduite dans M. Vovelle, ibid., t. I, p. 231.
9 Ces deux gravures sont anonymes (BnF, Estampes), Vovelle, ibid., t. II, p. 77.
10 Eau-forte anonyme, musée Carnavalet ; Vovelle, ibid., t. II, p. 76.
11 « Pas de deux », gravure anonyme, BnF, estampes, « Le propagandier », aquatinte de Weber, musée Carnavalet ; Vovelle, ibid., t. H, p. 79.
12 Eau-forte coloriée, Anonyme, BnF estampes ; Vovelle, ibid., t. Il, p. 80-81.
13 Vilette « Les intrigants foudroyés » aquatinte, musée Carnavalet ; Vovelle, ibid., t. II.
14 Eau-forte, anonyme, BnF estampes ; Vovelle, ibid., t. II, op. cit., p. 85.
15 Gravures en couleur anonymes, BnF estampes ; Vovelle, ibid., t. IV, p. 309.
16 « Plaies de l’Égypte », série gravée anonyme, BnF estampes, Vovelle, ibid., t. IV, p. 328-329.
17 Gravure en couleurs anonyme, musée Carnavalet ; Vovelle, ibid., t. IV, p. 333.
18 La thèse de doctorat inédite de Pascal Dupuy a prospecté amplement dans les fonds anglais (comme français) l’iconographie contre révolutionnaire britannique.
19 Ces notations sont empruntées à C.M. Bosseno, C. Doyen, M. Vovelle, Immagini della Liberta, op. cit., p. 284. « La Rigenerazione dell’Ollanda specchio a tutti i popoli rigenerati », série produite par les ateliers vénitiens au printemps 1799, d’origine hollandaise. « La filosofante liberta che monta sopra il suo simile » (Rome, Museo Centrale del Risorgimento), reproduite p. 185 de cet ouvrage est dite « su modello inglese ».
20 « Le Jacobin sous les armes », gravure anonyme hollandaise, musée Carnavalet ; Vovelle, ibid., t. 2, p. 85.
21 Ces gravures allemandes accommodées de l’italienne se trouvent au Museo Correr à Venise (le chien qui fume) et les autres au musée du Risorgimento à Rome. Immagini della Libéria, op. cit., p. 280.
22 Ces gravures allemandes accommodées de l’italienne se trouvent au musée Correr à Venise (le chien qui fume) et les autres au musée du Risorgimento à Rome. Voir ibid., p. 280.
23 La source de ces gravures est la Bibliothèque nationale de Naples. Nous les avons reproduites dans les Immagini, op. cit., p. 332-333.
24 M. Vovelle, Les Jacobins de Robespierre à Chevènement, op. cit.
Auteur
Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
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