Chapitre 6. Symbolique et dramaturgie du banquet
p. 161-181
Texte intégral
1Curieusement, c’est à une altercation en définitive sans conséquence que le souvenir du banquet des Vendanges de Bourgogne doit d’avoir survécu à la génération des convives et témoins de l’événement. Au cours d’une réunion préparatoire, un différend s’éleva entre les membres de la direction d’Aide-toi, le Ciel t’aidera. La minorité républicaine, derrière Godefroy Cavaignac, refusait avec indignation le toast proposé. « Nous, rendre hommage à la royauté ! Non, jamais ! Si nous ne parvenons à empêcher cette infamie, nous sommes résolus à nous lever et à briser nos verres en signe de protestation. » Odilon Barrot, qui présidait la séance, sut combiner arguments politiques rationnels et menaces voilées pour sauver le banquet et l’unité de l’opposition libérale face au ministère. Cavaignac et plusieurs de ses amis boudèrent la réunion, mais ne firent pas d’esclandre. Tout se passa sans incident1. Pourtant l’épisode ne tarda guère à devenir légendaire dans les rangs du parti républicain, dont il put apparaître comme l’acte de naissance symbolique. Et, après Louis Blanc, tous les historiens républicains le reprirent, jusqu’à Georges Weill et Sébastien Charléty, au prix, me semble-t-il, d’une méconnaissance de la signification exacte du banquet offert aux 2212.
2Ne retenir que cette altercation, et insister sur le fait que le toast au roi fut effectivement porté, ce qui constituerait la preuve de la pusillanimité des organisateurs, c’est ne faire aucun cas de l’indignation de la presse monarchiste qui, comme tous les contemporains, était très sensible à des symboles, ou à leur absence. En lui-même, le banquet des Vendanges de Bourgogne, tel qu’il s’est effectivement déroulé, n’était pas moins scandaleux que l’accueil triomphal réservé à Lafayette par les villes du Puy, de Grenoble et de Lyon. Mais il faut pour en prendre conscience reconstituer des réseaux de significations muettes, des systèmes d’opposition symboliques qui peuvent échapper à une lecture inattentive parce que les contemporains, par prudence ou par discrétion, ne s’y étendaient guère, et parce qu’ils sont devenus caducs dans les quelques mois qui ont suivi la révolution de Juillet. Et, si l’on devine bien la gravité du geste consistant à briser son verre au moment du toast au roi, si l’on mesure l’échec que cela aurait représenté pour les organisateurs de cette fête civique, et, dans cette éventualité, le triomphe des suppôts du Trône et de l’Autel, il faut encore imaginer ce qui aurait pu se produire de pire : en bref, prendre la mesure des risques politiques qu’au printemps 1830 comportait le seul fait d’organiser un banquet aux 221.
Symbolique du décor
3Laissons un instant la plume à un journaliste monarchiste anonyme, qui publia peu après le banquet des Vendanges de Bourgogne une relation satirique de l’événement, la représentation dans un théâtre miteux d’une « trilogie gastronomique en un acte et trois services » intitulée :
« Le prix de l’adresse (paroles de MM. Odillon-Barrot, Dumas et Rousseau, musique arrangée par un amateur, disciple de M. Jacotot ; mise en scène de MM. Caquelard, Beauvisage, Boissel et Peaucellier ; décor et accessoires de MM. Charlier et compagnie)3. »
[…] « J’entre, je franchis l’escalier garni de fleurs, et je me trouve enfin dans la bienheureuse enceinte. Des tables y étaient dressées pour sept cents couverts dans les deux salons. L’orchestre était placé dans le fond ; 221 couronnes s’agitaient suspendues aux guirlandes qui couraient d’une colonne à l’autre. Au milieu de la première table un fauteuil paraissait destiné à quelque vénérable. Je cherchais de tous côtés un buste, un portrait dont la salle semblait vide. Au-dessus du fauteuil se montrait un grand cadre. Étaient-ce [sic] le programme, ou le menu de la fête ? Étaient-ce les règlemens du théâtre ou du noble jeu de billard ; je m’en informai d’un de mes voisins, qui m’apprit que c’était la Charte... la Charte au spectacle, la Charte à la guinguette... J’en fus fâché pour elle, et soupirai tout bas. »
4Il manquait donc quelque chose dans la salle, et tous les lecteurs du temps savaient parfaitement quoi. Il n’y avait ni buste, ni portrait du roi. À sa place, derrière le fauteuil du président, la Charte, la Charte seule ; et l’on sent bien, vu l’insolence avec laquelle il la traite, que pour un publiciste ultraroyaliste, elle ne représente pas grand-chose. Désormais, il fallait choisir entre la fidélité dynastique et la Charte ; et, comme leurs adversaires, les libéraux avaient décidément choisi.
5Il était rare pourtant que manquât, dans les comptes rendus détaillés de banquets libéraux sous le règne de Charles X, la mention de l’effigie royale. Elle était le corollaire presque obligé du toast au roi, « qui a juré la Charte ». Voici par exemple les premières lignes de la description du banquet de Paimbœuf, le 13 août 1829 dans L’Ami de la Charte, de Nantes : « Cette salle, décorée avec un goût exquis, était tendue de draperies blanches et cramoisies ; elle offrait d’abord le portrait du roi, l’image de cet auguste monarque vers qui la France inquiète lève aujourd’hui des mains suppliantes4. […] » Au banquet de Niort, celui qui déclencha la fureur du Drapeau blanc, on voyait dans la salle les « bustes de l’immortel auteur de la Charte et de celui qui a juré de la maintenir5 ». Les préfets les moins bien disposés à l’égard des convives en étaient réduits à noter comme une marque certainement délibérée d’insolence le fait que le président et les invités d’honneur auraient tourné le dos au buste ou au portrait du monarque ; mais au vrai, comment auraient-ils pu faire autrement ? On n’allait tout de même pas placer l’effigie du souverain au milieu des musiciens, ou au bas bout de la table ! Au printemps 1830 encore, le toast au roi accompagne la référence à la Charte dans la plupart des banquets provinciaux ; et la présence d’un buste de Charles X est ainsi explicitement mentionnée à Boulogne en avril : « Le buste du roi était posé au haut bout de la table, sur un piédestal élevé6. » Même chose à Saint-Quentin, fin juin, lors du banquet offert à Labbey de Pompières, le grand-père de l’épouse d’Odilon Barrot, réélu député de l’Aisne7. Lorsque par extraordinaire il n’y avait pas de buste du souverain dans le restaurant, les libéraux n’hésitaient pas, quelques années plus tôt, à en faire la demande aux autorités : le secrétaire général de la préfecture de la Vendée expliquait ainsi au ministère que l’on n’avait pas cru devoir refuser le prêt d’un buste de sa Majesté aux commissaires du banquet donné au député libéral Kératry à Bourbon-Vendée8…
6Il est évidemment difficile d’établir absolument qu’il n’y avait pas de buste du roi dans le grand salon des Vendanges de Bourgogne, car les comptes rendus royalistes sont malveillants, et peut-être mal informés, et on ne trouvera pas de feuille libérale, même prononcée, pour revendiquer l’absence du portrait du roi. Ces choses-là se remarquent, elles n’échappaient pas aux convives, mais elles ne se disent pas, car l’implicite a bien des vertus en politique. En revanche, la place d’honneur donnée au texte de la Charte a été signalée par des journaux de tout bord, et les 221 couronnes civiques aussi, même si les premiers comptes rendus parus dans la presse libérale ont été discrets à leur sujet9 : par exemple, l’article paru dans Le Globe du lendemain, vraisemblablement rédigé par Charles de Rémusat, n’en dit mot. C’est d’autant plus curieux que c’est un des très rares détails concernant cette réunion dont il se soit souvenu, une trentaine d’années plus tard, lorsqu’il rédigeait ses Mémoires. Le Journal de Paris du 3 avril 1830 complète ainsi son article de la veille : « Entre autres décorations de la salle, on remarquait au-dessus du président 221 couronnes de laurier, surmontées d’un écusson sur lequel était écrit "Hommage aux 221". Au-dessous figurait l’emblème de la Charte. » On notera simplement qu’alors que les pamphlétaires royalistes ont vu lesdites couronnes se balancer entre les colonnes au gré des courants d’air, l’organe libéral leur assigne une place d’honneur et un support d’une rassurante fermeté.
7Là encore, le symbole a de l’importance. La couronne civique était un élément capital du décor des manifestations et des réunions libérales sous la Restauration, et sa signification politique était pour tous parfaitement claire : la presse royaliste les désignait sous le nom de « couronnes républicaines10 ». On se souvient que dans les banquets donnés à Strasbourg et à Mulhouse au temps du carbonarisme, la place du général Foy et de ses collègues libéraux était marquée par des couronnes civiques. En 1823, Manuel s’en était vu offrir une, après son expulsion de la Chambre des députés, par chacune des villes de Grenoble et de Lyon, et elles figurèrent à ses obsèques11. Vaulabelle mentionne également le geste d’un pharmacien messin nommé Watrin qui, le jour où l’un des complices du lieutenant-colonel Caron subissait la peine de l’exposition publique, escalada hardiment la plate-forme du pilori pour poser une couronne de feuilles de chêne sur la tête du condamné, attaché au poteau d’infamie par un collier de fer12. Au printemps 1829, dans un banquet destiné à fêter, à peine élu, l’avocat Thomas, premier député libéral de Marseille depuis fort longtemps : « Des couronnes de laurier étaient appendues [sic] aux murs de la salle, et au centre de chacune d’elles était inscrit le nom d’un député de l’opposition. Deux cependant n’en présentaient pas : l’une était celle qui aurait dû porter le nom de Lafayette, nom que par pusillanimité le libéralisme marseillais n’avait pas osé inscrire ; l’autre était destinée à Thomas, mais au lieu de son nom, portait cette légende : Elle t’attend », se souvient un témoin, une dizaine d’années plus tard13. Enfin, lors de son entrée triomphale à Grenoble en septembre 1829, Lafayette fut accueilli par « M. Rosser Bresson, vieillard de soixante-quatorze ans qui avait été le premier maire élu de la ville [qui] lui présenta, au milieu d’une grande affluence de spectateurs, une couronne d’argent, entrelacée de feuilles de chêne14 ». Lafayette fut extrêmement sensible à cet honneur, et la couronne offerte trônait en bonne place dans une des salles du château de Lagrange.
8La couronne n’est plus sacrée, elle n’est plus réservée à la royauté, mais décernée à ceux qui viennent, comme le disait Charles X dans sa réponse à l’adresse des 221, de méconnaître les intentions du monarque, et qui contredisent la volonté royale pourtant clairement exprimée15. Le pouvoir royal est mentionné dans le toast aux Vendanges de Bourgogne, mais à égalité avec deux autres pouvoirs constitutionnels : la Chambre des pairs et celle des députés ; la santé du souverain régnant n’a pas été portée, il n’y a pas eu non plus de toast à son auguste famille ni à l’héritier du trône16. Le buste du roi ne trône plus dans la salle. Le message politique est donc parfaitement clair : pour les électeurs parisiens réunis dans la salle du faubourg du Temple, la personne du roi n’est plus sacrée, pour autant qu’elle l’ait jamais été. On pouvait s’en douter depuis les obsèques du général Foy, réponse parisienne au sacre de Reims, comme le comprit très bien Louis Blanc17, qui représentèrent un véritable sacre de la Nation par elle-même : dignes fils de la Révolution, les libéraux renient la sacralité royale en détournant ses emblèmes, ou en les ignorant. Et si une partie des royalistes s’en étranglent d’indignation impuissante, c’est que l’attaque contre la sacralité royale va sans doute plus loin encore. Le banquet des Vendanges de Bourgogne ne touche pas seulement au décor ou aux emblèmes du pouvoir royal, il met en question l’essence même de la monarchie restaurée, du moins telle que la concevaient dans leur exaltation mystique Charles X, Polignac et une bonne partie de la noblesse ultraroyaliste.
Le roi-Christ et le père nourricier
« Le héros de la fête s’est retiré à dix heures ; il s’en est retourné comme il était venu et sans le moindre bruit. On avait dit que le peuple serait admis à circuler autour de la table à neuf heures et demie, mais personne ne s’est présenté. »
9Le « héros de la fête », que dans son rapport au sous-préfet le commissaire de police de Meaux ne désigne que par son initiale, L., est évidemment Lafayette. La veille, samedi 27 septembre 1828, un certain nombre d’électeurs lui avaient offert un banquet dans la grande salle de l’Hôtel du Grand Monarque. Accueilli à quelques kilomètres de la ville par une garde d’honneur à cheval, il avait donc fait en ville une entrée qui devait être spectaculaire, ou du moins, selon le commissaire de police, qui se proposait de l’être, mais à quoi la population n’aurait manifesté qu’indifférence. On sait déjà le sens de cette pratique de la cavalcade et de l’entrée en ville, et l’on devine pourquoi le commissaire de police s’efforce de prouver le désintérêt du public et le ridicule qui rejaillit sur les protagonistes. Reste maintenant à expliquer un détail singulier de ce rapport, tel que nous l’a retranscrit un érudit biographe de Lafayette, à la fin du xixe siècle18. Pourquoi les mots « circuler autour de la table » ont-ils été soulignés ?
10Pour le comprendre, il faut se rappeler que, contrairement à ce que considéraient les libéraux, la restauration de la monarchie en 1814 et en 1815 n’avait pas représenté un simple changement de personne à la tête du pouvoir exécutif, à quoi aurait correspondu la simple substitution des lys aux abeilles impériales dans les emblèmes du pouvoir. Le retour providentiel sur le trône de France de la dynastie légitime, en la personne du frère du dernier roi, impliquait une réaffirmation de la sacralité royale. Le fait avait pu passer inaperçu parce que Louis XVIII n’affectait pas de religiosité particulière et qu’il ne fut jamais sacré. Mais il en avait manifesté l’intention : des préparatifs importants furent engagés en 1819, et seule la très mauvaise santé du souverain fit avorter le sacre prévu à Saint-Denis19. Le sacre était évidemment le plus ancien, le plus important et le plus spectaculaire des rituels de souveraineté, ce qui explique l’importance attachée par Charles X à se faire sacrer à Reims, l’année d’après son accession au trône ; mais il en était d’autres. Le lit de justice d’Ancien Régime était bien entendu absolument incompatible avec les nouvelles institutions ; mais pas l’en trée royale, par exemple. Certes, vu son état de santé, Louis XVIII n’a voyagé que contraint et forcé pendant ses années de règne ; cependant le futur Charles X, alors comte d’Artois, avait parcouru la France. Devenu roi, il visita les départements du Nord de la France dans l’été 1827, et ceux de l’Est l’année suivante ; il en revint ravi, persuadé de l’amour immodéré de ses sujets pour sa personne, et, à la veille de la nomination du ministère Polignac, il était question qu’il se rendît en Normandie. Or ces voyages aux confins du pays ne se concevaient pas, semble-t-il, sans une cérémonie d’une importance symbolique majeure, le banquet public du souverain, qu’on appelait aussi le grand couvert.
Le grand couvert
11Cette cérémonie relativement discrète avait normalement lieu deux fois chaque année, lorsque le souverain résidait dans sa capitale : le jour de l’an et le jour de sa fête (donc le 25 août, à la Saint-Louis, de 1814 à 1823, puis de 1824 à 1829, à la Saint-Charles, le 4 novembre). Les contemporains en connaissaient l’existence ; les journaux du temps, même libéraux, les relations officielles des voyages royaux la mentionnaient en passant ; mais elle a été très rapidement oubliée après 1830, parce que sa suppression s’est effectuée sans tapage, comme une simple et discrète modernisation, et que le sens n’en était plus compris par les élites nouvelles et rationalistes de la France de Juillet. Elle n’en est pas moins fondamentale, surtout si on la met en relation avec une autre plus oubliée encore, qui disparut avec elle et qui se déroulait dans le même lieu, chaque jeudi saint.
12On doit à Anne Martin-Fugier la redécouverte du rituel du « grand couvert », et nous lui empruntons l’essentiel de la description20. Lorsque le roi de France soupait en public aux Tuileries, dans la galerie de Diane, on y plaçait une table en forme de fer à cheval, dont le monarque occupait seul un des côtés, et où il venait prendre place le dernier, attendu dans la salle par tous les autres invités, et même par les princes et princesses de la famille royale. Au centre, donc, le roi, qui s’obligeait à manger très lentement ; à la table située à sa droite, le Dauphin, duc d’Angoulême, et sa belle-sœur, la jeune duchesse de Berry ; à la table de gauche, la Dauphine, duchesse d’Angoulême et fille de Louis XVI. Il n’y avait donc que le roi et « son auguste famille », notamment l’héritier du Trône. La famille d’Orléans n’y figurait pas. Au centre de la galerie de Diane, autour de la table royale, les dames de la Cour, sur des tabourets. De part et d’autre de la salle, prenaient place les invités privilégiés, admis sur présentation d’un billet spécial : les dames d’un côté, sur une tribune ; les hommes de l’autre, debout, devant l’orchestre qui jouait pendant toute la cérémonie. Tous regardaient manger le roi, mais ils n’étaient pas les seuls, car de très nombreuses autres personnes étaient admises à contempler ce spectacle. Il suffisait de s’inscrire, et l’on pouvait emprunter un long passage surélevé, séparé de la galerie par une balustrade, pour apercevoir sa Majesté mangeant. Plusieurs centaines, parfois plusieurs milliers de personnes se pressaient à ce spectacle, et il valait mieux prendre ses précautions pour ne pas figurer parmi les derniers, car lorsque le souverain avait fini de souper, le lent défilé des spectateurs s’interrompait, la cérémonie étant achevée.
13On comprend donc quel était le sens de l’indignation du commissaire de police de Meaux : que le peuple soit admis à circuler dans la salle du banquet offert au général Lafayette est un acte de lèse-majesté, plus encore que la cavalcade qui l’a escorté à son entrée en ville, ou que la couronne que les Grenoblois lui offrirent aux portes de leur cité en août 1829. Car l’importance symbolique majeure de ce rituel pour nous assez surprenant dans la monarchie restaurée peut être prouvée par deux autres faits significatifs : d’abord, il faut rappeler, comme l’a fait observer Anne Martin-Fugier, que ce fut le premier acte public de Louis XVIII, revenant en France après vingt-trois ans d’exil. À peine débarqué du bateau qui le ramenait d’Angleterre, il dîna en public à Calais, le 24 avril 1814 ; connaissant l’attachement à l’étiquette qui caractérisait ce prince et son souci permanent de l’affirmation de la majesté royale, on aura beaucoup de peine à croire que cela ait été de sa part un acte anodin. On le croira d’autant moins lorsqu’on aura remarqué en quelles autres occasions exceptionnelles son frère devenu Charles X dînait en public : il le fit lors de ses deux grands voyages en province, à Lille en 1827, à Metz et à Strasbourg l’année suivante : trois places de guerre, si proches de la frontière, dans des départements qui avaient connu une occupation prolongée en 1815-1818. Relisons les descriptions : le 7 septembre 1827, « de retour au Palais [l’hôtel de la préfecture du département du Nord, où le souverain logea pendant son séjour], le Roi dîna à six heures et demie : près de quatre mille personnes furent admises à circuler dans la salle du banquet, et purent lire sur les traits de Sa Majesté la satisfaction dont elle paraissait jouir. Rien en effet n’était plus propre à satisfaire le cœur du Monarque que cet empressement général, et le bonheur dont sa présence comblait tant de fidèles sujets21 ». Une différence cependant avec le rituel observé aux Tuileries : la présence à la table royale à l’occasion de princes étrangers de moindre volée invités en voisins, savoir le prince héritier des Pays-Bas, Guillaume d’Orange, lors du voyage à la frontière de Flandres, et divers petits souverains allemands pendant son séjour alsacien. Manifestation de la majesté royale, le rituel du grand couvert semble donc avoir eu aussi pour rôle d’affirmer la souveraineté du roi de France aux limites du royaume, autant vis-à-vis de ses sujets que des princes étrangers. Quand on se remémore les convoitises qu’avaient suscitées ces provinces frontières en 1815, l’Alsace en particulier, le sens politique de la cérémonie est tout à fait clair.
14Pourquoi donc manger en public était-il alors un acte essentiel dans la symbolique du pouvoir souverain, au point que l’« usurpateur » semble l’avoir fait également ? On aborde là un aspect majeur, et probablement décisif, du politique dans les sociétés traditionnelles ; mais si les cérémonies qui en sont la mani festation, comme l’idéologie qui les sous-tend, ont fait l’objet de recherches de médiévistes et d’historiens de la période moderne, elles n’ont pas été suffisamment étudiées en détail pour la nôtre, et nous ne pouvons en présenter ici qu’une esquisse. Il faut d’abord rappeler qu’au cœur des conceptions populaires de l’exercice du pouvoir, et de la souveraineté, il y avait toujours eu l’idée d’un pacte social fondamental, concernant les subsistances. Le roi était nourricier ; lui et ses agents devaient à la population des villes et des campagnes sinon l’abondance perpétuelle, du moins un approvisionnement raisonnable et juste en période de crise, qui éviterait aux pauvres de mourir littéralement de faim pendant que des spéculateurs et des sangsues s’enrichiraient scandaleusement. On sait que dans l’histoire des rapports entre l’opinion populaire et la monarchie, la première rupture grave a sans doute été la guerre des farines, présentée comme le résultat d’un pacte de famine, alors que la réforme de Turgot qui en avait été l’occasion ne prétendait que libéraliser et rationaliser le marché des grains. La leçon n’avait pas été perdue, et face à la crise frumentaire de 1811-1812, Napoléon n’avait pas hésité à établir temporairement un maximum. À l’inverse, lors de la disette de 1816-1817, la pire crise qui ait frappé l’Europe occidentale au xixe siècle, et qui faisait suite aux pillages et réquisitions des troupes d’occupation, le gouvernement éclairé et libéral (quant aux conceptions économiques) de Decazes avait refusé d’y recourir, voyant dans ce procédé un « héritage de nos temps d’anarchie » ; en dépit de la pression discrète d’un certain nombre d’administrateurs locaux, préfets, sous-préfets et maires, alors souvent proches de l’ultracisme et attachés à une conception plus traditionnelle et probablement politiquement plus sensée, le gouvernement royal avait fait le choix de l’orthodoxie économique et de la répression22.
15L’accession au trône du comte d’Artois, devenu Charles X, permettait au contraire de rêver. Rêve d’une monarchie nourricière, que l’on trouve sous la plume de prélats : l’archevêque de Sens, Mgr de La Fare, très proche du nouveau souverain, expliquait à ses ouailles que, « semblable à l’astre bienfaisant qui éclaire et vivifie la nature, le roi répand la vie dans l’État, et fait tout fleurir et prospérer autour de lui23 ». Quelques années plus tard, dans un article intitulé « De l’influence des gouvernements sur les peuples », un certain abbé de Belmont cherchait à convaincre ses lecteurs que l’on revenait vers l’âge d’or24 : « Pour tout homme raisonnable, qui ne voudra pas substituer ses caprices ou ses passions à ses intérêts bien entendus, l’obéissance deviendra une affaire de calcul, ou plutôt, soumis tout naturellement à cette bienfaisance influence, il en recueillera les heureux fruits ; tels nos corps se fortifient et prospèrent, comme à leur insu, par l’influence d’un soleil bienfaisant, d’un climat favorable. » Or, ce qui pourrait passer pour élucubrations marginales de théologiens exaltés correspond en fait à des réalités politiques : car, pour les pauvres en tout cas, le roi veut être encore dispensateur de nourriture, père nourricier. Reprenons par exemple le récit officiel de l’entrée de Charles X à Lille.
« Une foule prodigieuse se pressait dans l’intervalle qui la séparait de nos murs et faisait retentir l’air de Vive le Roi ! auquel venaient se mêler des salves de grosse artillerie et le son des cloches de toutes les paroisses de la ville. Au-delà de ce peuple affamé de voir son Roi, se déployaient en longues lignes vertes les sommités des différents ouvrages de fortifications. […] »
16L’expression « affamé de voir son Roi » est, je le précise, soulignée dans l’original. Rappelons en effet que la municipalité avait prévu de fêter l’événement par la distribution aux vingt mille indigents de la ville de 30000 kilogrammes de pain, 6000 litres de vin, 18000 litres de bière, et de 5000 francs en argent25. On comprend aussi pourquoi, alors que les administrateurs du temps de Louis XVIII demeuraient assez indifférents aux distributions de pain faites à l’issue des banquets libéraux, sous le règne de son successeur, les autorités semblent avoir été beaucoup plus vigilantes : lors de la venue de Girod de l’Ain, la police de Chinon n’a autorisé les six commissaires du banquet à distribuer des pains aux pauvres qu’à leurs domiciles respectifs, et non, comme initialement prévu, sur la place publique. À Rodez, en juillet 1830, un banquet libéral devait être l’occasion de distribuer aux pauvres de la viande et du vin, si les autorités n’y avaient mis bon ordre26. Face aux élites libérales et philanthropes, le roi devait réaffirmer son rôle de seul dispensateur des bienfaits publics.
La cérémonie de la Cène
17Il le fallait d’autant plus que son statut d’intermédiaire entre ses sujets et le Tout-Puissant, de « seconde majesté », comme disaient des prélats tout entiers tournés vers les traditions d’Ancien Régime, ne devait faire de doute pour personne. C’était évidemment l’objectif de la cérémonie du sacre de Reims : comme cela a été remis en lumière récemment, il ne s’agissait pas seulement de renouer avec les fastes et la tradition de la monarchie d’Ancien Régime, tout en la modernisant à doses infinitésimales, mais bien de renouer un lien mystique entre la couronne et le ciel27. Cet aspect a été occulté par le fait que Charles X lui-même ne croyait plus vraiment à son pouvoir thaumaturgique personnel, comme le montre, selon Marc Bloch, la modernisation de l’antique formule, « le Roi te touche, Dieu te guérit » en un fort plat « messieurs, je souhaite bien sincèrement que vous guérissiez ». Mais sa piété ardente et son goût des cérémonies lui permettaient sans doute de se montrer plus à son aise dans une autre circonstance, beaucoup moins connue, mais qui avait à peu près les mêmes implications théologiques et politiques, et qui, depuis 1816, avait lieu tous les jeudis saints dans la galerie de Diane, la cérémonie de la Cène28.
18De quoi s’agissait-il ? Voici ce qu’en dit La Gazette de France du 9 avril 1830 : « Le Roi et leurs Altesses Royales ont entendu la messe à la chapelle du château. À dix heures, la cérémonie de la Cène a eu lieu dans la galerie de Diane. Le Roi a lavé les pieds aux treize apôtres. Sa Majesté leur a servi à chacun treize plats avec le cérémonial usité. Le roi a été aidé dans cette pieuse cérémonie par Son Altesse Royale Monseigneur le Dauphin et les grands officiers de la Couronne. » Nous savons aussi, par une feuille libérale, Le Journal de Paris, que la Dauphine et la duchesse de Berry y assistaient ; et on nous précise que les apôtres étaient représentés par treize enfants, à qui le roi remettait après le lavement des pieds « treize pièces de vingt francs dans un sac brodé de fleurs de lys » ; puis il leur servait à chacun treize plats, un pain d’une livre et un cruchon de vin. La description de la duchesse de Maillé, de quelques années antérieure, concorde à peu de détails près29. Dans son archaïsme moyenâgeux, le sens de la cérémonie était parfaitement clair pour tout le monde : d’une part, tout comme la communion sous les deux espèces, elle manifestait le statut sacral du souverain, puisqu’il était le seul laïc du royaume à pouvoir accomplir un tel rite, qui lui conférait un statut comparable à celui du pape et des évêques, serviteurs de Jésus-Christ30. Elle manifestait jusqu’à l’évidence que la source de la puissance royale était la bénédiction divine, puisque le roi dans cette situation s’identifiait au Christ lavant les pieds des apôtres. La monarchie restaurée était bien de droit divin ; et cette cérémonie le prouve avec beaucoup plus de force que le toucher des écrouelles, à laquelle elle était historiquement liée ; Marc Bloch a montré qu’à l’époque moderne, les souverains français et anglais touchaient les écrouelles le vendredi saint, après le lavement des pieds des pauvres. Les deux cérémonies disparurent d’ailleurs à peu d’intervalle en Angleterre, entre l’accession au trône de Guillaume d’Orange et l’avènement du premier Hanovre31.
19En même temps, le fait que le roi nourrisse de sa main les treize pauvres, qu’il leur donne, en sus des treize plats de poisson, un pain et un cruchon de vin, rappel évident de l’Eucharistie, comme la somme considérable qu’il leur octroie (deux cent soixante francs représentent l’équivalent de trois mois de travail d’un ouvrier parisien, et l’on comprend que la duchesse de Maillé précise en conclusion « on les renvoya fort satisfaits32 ») manifeste encore une fois l’autre aspect archaïque de la figure royale, cher aux proches de Charles X ; le roi, représentant de Dieu dans son royaume, est pour tous ses sujets le père nourricier, car il est en définitive le seul à dispenser les richesses du royaume, que le Ciel lui a confié. En définitive, comment pourrions-nous ne pas partager l’opinion de Lafayette à propos de l’entourage de Charles X et du souverain lui-même : « Que voulez-vous, ces gens sont en retard de trois siècles ! » ?
20Que pensaient les libéraux de toutes ces cérémonies ? Officiellement, pas grand-chose. Les journaux de gauche se contentaient de signaler, dans les nouvelles de la Cour, que sa Majesté avait mangé en public et que tant de personnes avaient été admises à la contempler, ou que la cérémonie de la Cène s’était déroulée, comme les années précédentes, dans la galerie de Diane. Il valait certainement mieux s’en tenir là, si l’on tenait à l’existence du journal : Béranger était plus libre de chansonner le Sacre de Charles le simple, parce qu’il ne prenait que des risques personnels, d’ailleurs pas excessifs. Ce que les libéraux, hériters des Lumières, en pensaient quant au fond n’est pas douteux : il ne fallait déjà pas beaucoup d’efforts à qui relisait l’article « Cérémonies » de l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot, pour englober les cérémonies politiques (dont l’existence était rappelée, mais dont on s’abstenait sagement de parler) dans le discrédit porté sur certaines cérémonies religieuses, « assemblage d’extravagances, d’absurdités et de petitesses, sans motif, sans liaison, sans autorité33 ». Dans les premières années de la Restauration, La Minerve française avait honoré d’un grand article la parution en français d’une des œuvres majeures de polémique antimonarchique de la première moitié du xixe siècle, le poème épique en vingt-six chants des Animaux parlons, de l’Italien Jean-Baptiste Casti34. Cet article, signé A. (sans doute Aignan) met en scène une conversation entre l’empereur Joseph II, qui était pour les libéraux le modèle du despote éclairé qui ne s’en laissait pas compter par l’Église, et l’abbé Casti, un temps poète officiel de la cour de Vienne35 : « Non, dit le souverain, la force et la dignité des rois ne consistent point dans ces misérables prestiges dont l’adulation cherche à les environner. Plus ils sont simples, accessibles, populaires, et plus ils sont rois. » À quoi l’abbé répond : « C’est à les tourner en ridicule que sont consacrés mes troisième, quatrième, cinquième et sixième chants, où je décris la cour du roi Lion, celle de la Lionne, sa royale épouse, le couronnement de tous les deux, la cérémonie du lèche-patte, et celle du banquet public. Je voudrais avoir le temps de vous raconter la création d’une noblesse animale, comprenant toutes les espèces rapaces, sanguinaires, carnivores. […] » En fait, Aignan infléchissait légèrement le sens du poème de Casti, qui ne s’en prenait pas tant au rituel du banquet public, ou grand couvert, qu’à un cérémonial de cour ridiculisé par sa transposition dans le monde animal, et dont la dimension religieuse était à peu près absente, pour ces chants-là du moins. Mais cette inflexion me semble significative : les libéraux n’aimaient déjà guère les cours, ni les courtisans, et le rétablissement d’un cérémonial de cour par Napoléon avait suscité de fortes réticences. Quand Louis-Philippe, monarque que l’on voulait croire véritablement constitutionnel, accéda au trône après les journées de Juillet, on insista d’abord sur le caractère accessible et populaire du nouveau roi des Français, mais il fallut faire contre mauvaise fortune bon cœur, lui garantir une liste civile importante, et permettre au chef du pouvoir exécutif de s’entourer d’une cour (de fort mauvais ton et de mauvaises manières, daubaient les légitimistes). En revanche, toutes les cérémonies que les libéraux jugeaient archaïques, et qui s’adossaient sur la croyance en une royauté sacrée, d’origine divine, disparurent : on sait que Louis-Philippe prêta serment sur la Charte, mais il ne fut pas sacré, et il ne fut plus jamais question de cérémonie de la Cène, ni même de repas public du souverain, que ce soit à Paris ou lors des déplacements du monarque en province36.
Iconoclasmes et provocations
« Je n’y assistais pas pour une bonne raison : j’étais à soixante-dix lieues de Paris ; mais j’aurais été présent qu’en vérité je crois que je n’y serais point allé. J’ai toujours vu avec une répugnance extrême ce mode d’agitation. Ceux qui organisent les banquets en savent toujours plus que les convives ; on y dit des choses imprévues ; et ceux qui sont le moins disposés à les approuver, n’en sont pas moins tenus de les entendre, et restent exposés ensuite à ce qu’on leur dise : Vous en étiez pourtant37. »
21Ses contemporains le savaient, ou l’apprirent : M. Dupin aîné était un homme politique fort prudent, qui n’aimait pas, mais pas du tout, prendre de risques38. Mais s’il n’assista pas au banquet des Vendanges de Bourgogne, ce n’est probablement pas à cause des choses imprévues qui pouvaient s’y dire, puisque, nous l’avons vu, toast et discours avaient été minutieusement réglés, mais peut-être aussi à cause de ce qui aurait pu s’y produire. Car une telle manifestation avait forcément un aspect théâtral, et il était toujours possible que quelqu’un improvisât.
Briser les verres
22Pour épuiser la signification des Vendanges de Bourgogne, il faut prendre la mesure du risque encouru par les organisateurs, et revenir sur l’affrontement entre Godefroy Cavaignac et Odilon Barrot à propos du toast à la monarchie. Quel est le sens exact de cette menace, se lever et briser les verres ? Quel est l’enjeu politique de ce geste ? Sachant l’extrême importance de l’harmonie dans une fête civique, on aura bien compris son exceptionnelle gravité. Mais il y a sans doute quelque chose de plus : car Barrot a laissé entendre que, le cas échéant, cela se réglerait sur le pré.
23Je crois que l’épisode peut être éclairé par un passage du Compagnon du Tour de France, roman de George Sand paru une dizaine d’années plus tard, mais dont l’action, il faut le noter, se déroule sous la Restauration. Le contexte est assez proche : il s’agit d’une discussion politique dans un cabaret près de Blois, entre carbonari en puissance, des « patriotes » qui ont en commun la haine du régime, mais que tout le reste divise : face à l’officier nostalgique de l’Empire, aux bourgeois aux mains blanches, avocat, médecins, commis voyageur, partisans qui des Orléans, qui de Lafayette, quatre ouvriers, dont le héros du roman, le menuisier Pierre Huguenin39.
« – Ah ! ah ! la Charte ne vous satisfait pas ! dit l’avocat en riant.
– Il serait possible, répondit Pierre avec un peu de malice. Et si une partie de la nation était dans le même cas que moi, que lui répondriez-vous pour la satisfaire ?
– Parbleu ! cela n’est pas bien embarrassant ? dit le commis voyageur gaiement. On dirait à ceux qui trouvent la Charte mal faite : Faites-la meilleure.
– Et si nous vous disions que nous la trouvons tout à fait mauvaise, et que nous en voulons une toute neuve ? dit le maître serrurier qui avait écouté toute cette discussion avec l’austérité rancunière d’un vieux jacobin.
– Dans ce cas-là on vous dirait, répondit Achille Lefort : Faites-en vite une autre, et en avant la Marseillaise !
– Est-ce votre avis à tous ? s’écria le vieillard d’une voix de tonnerre en se levant et en promenant un regard sombre sur les auditeurs stupéfaits ; en ce cas je suis des vôtres, et j’ouvre ma veine pour signer le pacte avec mon sang ; autrement, je brise le verre où j’ai bu à vos santés. »
24Il ne s’agit pas de savoir si la scène est vraisemblable, si elle est inspirée de faits ou de personnages réels (encore que je ne voie pas pourquoi le personnage de Goguelat, l’ancien soldat mis en scène par Balzac dans le Médecin de campagne, si fameux parmi les historiens de la légende napoléonienne, serait a priori plus authentique que le vieux jacobin de George Sand) ; et il est tout à fait envisageable qu’en rédigeant ce passage, l’écrivain se soit souvenue de l’altercation entre Cavaignac et Barrot. Mais la fiction permet ici de mieux dire le sens : quoiqu’il n’y ait pas de témoins, que le scandale ne soit donc pas public, briser son verre est alors un acte symboliquement tout aussi grave que signer un pacte avec son sang. Mais c’en est l’exact opposé : on ne fonde pas ici la fraternité, on proclame l’inimitié, voire la guerre ouverte, puisque l’on brise ce avec quoi on avait préalablement porté le vœu de santé et de prospérité adressé aux autres convives. C’est un geste de défi, une injure, une offense extrêmement grave. Ainsi s’explique, mieux que par la passion politique, la menace d’Odilon Barrot en réponse à Cavaignac : il ne manquerait pas de gens pour vous en faire repentir, tout ceci se réglerait sur le pré, en duel, parce qu’au dissentiment politique s’ajoutait une volonté d’offense personnelle. Briser les verres et refuser de boire ensemble n’est pas seulement afficher une divergence politique et la rendre symboliquement irréversible (comment réparer un verre brisé ?). C’est une question d’honneur, c’est affirmer que la compagnie ne vous convient pas. Boire à la monarchie, pour Cavaignac, était rappelons-le, une infamie.
Briser les bustes
25Que pouvait-il encore arriver de politiquement scandaleux dans un banquet ? Pour ne pas être accusé de formuler des hypothèses hasardeuses, voire d’invention pure et simple, il nous faut utiliser quelques épisodes beaucoup moins bien documentés, dont deux ne nous sont attestés que par une source unique, puis élargir notre cadre d’études jusqu’au printemps 1831.
26Au début du mois de mai, les journaux libéraux publièrent une lettre indignée que l’un des 221 venait d’adresser à la feuille ultra de la grande ville voisine, Le Mémorial de Toulouse40. Le 1er mai en effet, ce journal avait inséré une lettre d’un de ses abonnés de Montauban, à propos du banquet offert au député quelques jours plus tôt, et, à Paris, La Gazette de France s’était fait un plaisir de reproduire l’essentiel de la relation. Laquelle, selon M. de Preissac, s’achevait ainsi :
« Le plus grand nombre [des convives] a conduit le héros de la fête au salon Pulignieux. C’est là que l’orgie a été complète ; là, toute gêne a été mise de côté. M. de Preissac et plusieurs autres orateurs, en chemise, ont grimpé sur les tables ; il y a eu des professions de foi, des protestations, des harangues, un désordre et des cris épouvantables ; des chaises, des glaces ont été brisées ; et au milieu de cet affreux tumulte un buste est tombé en éclats sur le parquet... ce buste était celui du roi. […] »
27Le député niait absolument les faits. Il est probable en effet qu’une bonne partie de l’article incriminé, semble-t-il nettement plus corsé, ne reposait que sur des racontars : Le Mémorial de Toulouse avait de toute façon une singulière définition de ce qu’était une orgie, comme nous l’avons vu naguère, et de Preissac soulevait de sa part une haine particulière parce qu’il était considéré comme un transfuge de la droite monarchiste, que dans ce banquet il avait été amené à trinquer, horreur, avec d’anciens « fédérés de 1815 » et vraisemblablement encore parce qu’il était protestant. Mais il y avait quand même anguille sous roche, et un buste du roi avait bien été brisé dans l’affaire, quoique sans doute pas en présence du député. À la fin de la semaine, le très libéral Journal du commerce reconnaissait le fait, en l’imputant à quelques jeunes gens éméchés41 :
« M. Delmagrossin fils, l’un des jeunes gens assistant au banquet, publie, dans La France méridionale, qu’après le repas, plusieurs hommes de son âge se rendirent comme lui dans un estaminet où se trouvaient le buste de Louis XVIII et celui de Charles X pour se livrer avec plus de liberté à la gaieté de leur âge. Au milieu des plaisanteries habituelles à des jeunes gens qui ont bien dîné, M. Delmagrossin saisit une chaise qu’il lança au hasard et qui par malheur tomba sur le buste en question. Comme cette maladresse faisait jaser les gens charitables, l’auteur du fait se rendit chez M. le préfet, qui accueillit la déclaration naïve de M. Delmagrossin. »
28Le lecteur pourra penser ce qu’il voudra de la maladresse insigne et de l’ingénuité de ce jeune lanceur de chaise, mais il me semble que le fait mérite d’être rapproché d’un autre incident de ce printemps, parisien cette fois-ci, qui nous a été rapporté par une source à ma connaissance unique, partiale, républicaine et bien tardive, l’Histoire politique des écoles et des étudiants, d’Antonio Watripon42 :
« Ces banquets étaient organisés par départements ; seulement, pour y réunir des masses plus compactes, on les désignait sous le nom des anciennes provinces. Celui du Berry fut un des plus caractéristiques ; il eut lieu aux Vendanges de Bourgogne. À côté du buste de Charles X, on avait placé celui de Lafayette ; le comte Jaubert, depuis Pair de France, prit solennellement le buste du roi et le lança par la fenêtre, où il alla se briser sur le pavé, aux applaudissements de toute la foule. […] »
29Le sens politique m’en semble aussi parfaitement clair et tout aussi démonstratif que le spectacle que rapporta à la duchesse de Maillé un de ses visiteurs, spectateur désolé car profondément monarchiste, des affrontements de juillet 1830 : « Partout dans les rues, continua M. de La Bourdonnaye, il se manifeste une grande irritation contre la personne même du Roi, que l’on avait pendu son buste avec des cadavres dessous43. »
Le toast au roi d’Évariste Galois
30Pouvait-on imaginer pire ? Sous la Restauration, non. Mais telles furent, après la révolution de Juillet, l’évolution des esprits, l’affaiblissement des autorités de police et l’exaltation des jeunes républicains parisiens, que l’on alla beaucoup plus loin encore. Écoutons, au printemps de l’année suivante, le procureur du roi près de la cour d’assises de la Seine où était traduit un mois après le scandale son auteur, un tout jeune mathématicien de génie nommé Évariste Galois.
« Le 9 mai dernier, une réunion de 200 personnes s’assembla au restaurant des Vendanges de Bourgogne, faubourg du Temple, pour célébrer l’acquittement de MM. Trélat, Cavaignac et Guinard. Le repas eut lieu dans une salle du rez-de-chaussée donnant sur le jardin. Divers toasts furent portés où se trouvaient exprimées les opinions les plus hostiles contre le gouvernement actuel ; entre autres, on peut citer ceux-ci : À la révolution de 1793 ! À la Montagne ! À Robespierre ! Des toasts à la Révolution de 1789 et à celle de 1830 furent repoussés. Un individu vêtu en artilleur de la garde nationale de Paris, s’écria : Au soleil de juillet 1831 ! Puisse-t-il être aussi chaud que celui de juillet 1830, et ne pas nous éblouir ! On n’a pu connaître cet individu. Chaque toast était suivi des cris de Vive la République ! Vive la Montagne ! Vive la Convention ! Les cris s’entendaient du jardin où les convives s’étaient d’abord rassemblés. On cria aussi À bas Louis-Philippe !
C’est au milieu de cette réunion qu’Évariste Galois se leva et dit à haute voix, de son propre aveu, À Louis-Philippe ! en tenant un poignard à la main. Il répéta deux fois ce cri. Plusieurs personnes l’imitèrent en levant le bras, et en criant à leur tour : À Louis-Philippe ! Des sifflets se firent entendre, soit que les convives voulussent désavouer cet affreux attentat, soit, comme le déclare Galois, qu’on supposât qu’il portait la santé du roi des Français ; il est cependant bien établi que plusieurs convives blâmèrent hautement ce qui s’était passé. Le couteau-poignard avait été commandé par Galois, le 6 mai, au coutelier Henry. Il avait paru très pressé de l’avoir en alléguant faussement un voyage44. »
31À la stupéfaction générale, le procès n’eut aucune suite fâcheuse pour le jeune républicain. En dépit de l’impertinence de ses réponses et de l’aplomb avec lequel il revendiquait son acte, il fut acquitté par la Cour après dix minutes de délibération : « Galois fut mis en liberté à l’instant même. Il alla droit au bureau sur lequel son couteau était déposé tout ouvert comme pièce de conviction, le prit, le ferma, le mit dans sa poche, salua le tribunal et sortit45. »
32Sur le moment, l’affaire avait fait beaucoup de bruit, et elle semble avoir considérablement embarrassé les républicains, même les plus extrémistes. Que cela ait été une manifestation républicaine tombait sous le sens : les deux cents convives fêtaient les dix-neuf acquittés du procès des artilleurs de la garde nationale, accusés par le gouvernement d’avoir préparé une insurrection en décembre précédent, au moment du procès des ministres de Charles X. L’artillerie de la garde était un corps d’élite, et une partie avait été noyautée par de jeunes républicains : figuraient parmi les inculpés le dirigeant étudiant Sambuc, le jeune médecin Ulysse Trélat, Joseph Guinard et surtout Godefroy Cavaignac, qui s’empara de la tribune que lui offrait le pouvoir pour proclamer très haut ses convictions républicaines et démocratiques. Acquittés, ils avaient été ramenés chez eux en triomphe par la foule. Comme le dit Dumas, qui assista au banquet avec un de ses amis, comédien au Théâtre français, et qui en a fait un récit superbe dans ses Mémoires : « Nous étions deux cents souscripteurs. Il eût été difficile de trouver dans tout Paris deux cents convives plus hostiles au gouvernement. » Une partie des convives étaient en uniforme de la garde nationale. « Marrast était dépositaire des toasts officiels qui devaient être portés et il était bien convenu qu’on n’en porterait point d’autres que ceux qui auraient été approuvés par le président46. » Malheureusement, au dessert, « aux détonations des bouteilles de vin de Champagne, qui commençaient à simuler une fusillade assez bien nourrie, les esprits s’exaltèrent, et au milieu des toasts officiels se glissèrent peu à peu des toasts particuliers ». Le premier est porté à Raspail, le voisin de Dumas, qui vient de refuser la croix de Juillet, parce que donnée par le gouvernement ; puis, après un interminable discours de Fontan, l’assistance demande à cor et à cri un toast à Dumas, qui s’exécute sans trop d’enthousiasme47, ce fut ensuite le tour d’Étienne Arago, celui des deux frères Cavaignac…
« Tout à coup, au milieu d’une conversation particulière avec mon voisin de gauche, le nom de Louis-Philippe, suivi de cinq ou six coups de sifflet, vint frapper mon oreille. Je me retournai. Une scène des plus animée se passait à quinze ou vingt couverts de moi.
Un jeune homme, tenant de la même main son verre levé et un couteau-poignard ouvert, s’efforçait de se faire entendre. C’était Évariste Galois. […]
Ce que j’entrevoyais dans tout cela, c’est qu’il y avait menace ; que le nom de Louis-Philippe avait été prononcé, et ce couteau ouvert disait assez à quelle intention.
Cela dépassait de beaucoup la limite de mes opinions républicaines : je cédai à la pression de mon voisin de gauche, qui, en sa qualité de comédien du roi, ne se souciait pas d’être compromis, et nous sautâmes, de l’appui de la fenêtre, dans le jardin.
Je rentrai chez moi assez inquiet : il était évident que cette affaire aurait des suites. »
33Tous les convives n’avaient pas été aussi prudents ou lucides que Dumas et son ami : au soulagement manifeste du personnel et de la direction, une partie quitta l’établissement pour aller manifester jusqu’à la colonne Vendôme, en passant par les boulevards...
34Que retenir de l’épisode ? À l’évidence, que les efforts des organisateurs pour discipliner la réunion se sont révélés totalement vains. Ils avaient pourtant pris quelques précautions. Évariste Galois, questionné sur la façon dont il avait été admis au banquet, déclara : « Les journaux avaient donné avis de cette réunion, et des commissaires furent chargés d’examiner les convives qui se présentaient pour y être admis. Je demandai à y participer, et je fus accueilli » ; les toasts, on l’a vu, avaient été convenus à l’avance48. Mais les convives étaient plus jeunes et beaucoup plus exaltés que ceux de l’année précédente ; ils n’avaient peut-être bu que modérément mais, quoi qu’il en soit, ils étaient absolument persuadés de l’imminence d’une nouvelle révolution parisienne. Personne ne dénonça Étienne Arago, l’auteur du toast au soleil de juillet 1831, ni lors de l’enquête de police, ni pendant le procès ; une bonne partie de l’assistance aurait même rétorqué en chœur : « Plus tôt ! Plus tôt ! » Dans ce contexte, il était évident qu’aucun toast au roi n’était envisageable, ni n’avait été envisagé par les commissaires. Le génie provocateur de Galois a consisté à attirer l’attention des convives par le toast porté à voix haute et à plusieurs reprises, qui devait immanquablement provoquer des bordées de sifflets de la part de ceux qui, dans la salle, n’avaient qu’entendu ses paroles et pas vu le geste qui l’accompagnait et qu’ils découvraient dans un deuxième temps. Sans doute mélange de beaucoup de préméditation et d’un peu d’improvisation de la part de Galois, ce geste est d’une exceptionnelle gravité.
35C’est un appel public au régicide. Or, à cette époque, il n’y avait pas de pire crime envisageable ; l’horreur qu’inspirait un tel acte justifiait – pensait-on-que le code pénal prévît l’application au criminel de la peine des parricides. C’est à ce titre, au temps de la Terreur blanche, que trois malheureux Parisiens impliqués par la police dans le soi-disant complot des « patriotes de 1816 » avaient été condamnés à mort et guillotinés en place de Grève après que le bourreau leur eut tranché la main droite49. Quelques années plus tard, les censeurs pouvaient parfaitement interdire une pièce de théâtre simplement parce que la possibilité de commettre un tel crime y était envisagée : « Ce qui est néfaste, c’est la seule suggestion qu’il puisse y avoir un attentat contre des personnes royales. » Lorenzaccio de Musset n’y échappa que parce que le héros put être présenté comme un déséquilibré, agissant pour des motifs personnels50 ; et il semble que si la Cour acquitta Galois, c’est qu’elle pensait devoir être indulgente envers un accusé très jeune (il n’avait pas vingt ans), polytechnicien et mathématicien aussi génial que socialement inadapté51. Il n’empêche : les jeunes gens qui incarnaient le parti républicain aux yeux de tous les Parisiens et, au-delà, de tous les Français qui s’intéressaient à la politique venaient d’être publiquement compromis par ce spectaculaire appel au meurtre du souverain. Ils s’efforcèrent d’ailleurs, lors du procès, de diminuer la portée de l’acte de leur ami, et firent valoir la restriction que constituait la deuxième partie du toast (À Louis-Philippe, s’il trahit ses serments !). Mais Galois, provocateur jusqu’au bout, insistait : il répéta devant la Cour que de toute façon, il était bien persuadé que Louis-Philippe trahirait la cause de Juillet, et il affirma que son intention était bien de compromettre l’ensemble des convives, en les amenant à prêter une sorte de serment :
« – Quand vous vous êtes levé, était-ce pour manifester un sentiment qui vous était personnel, ou était-ce une provocation aux personnes qui étaient présentes ? – Assurément, c’était une provocation dans le cas où Louis-Philippe trahirait et où il sortirait de la légalité, pour resserrer nos liens52. »
36Pareil scandale, convenablement exploité par la presse gouvernementale, ne pouvait que nuire au parti républicain, d’autant que, dans les mois qui suivirent, les tentatives d’assassinat sur la personne du souverain se multiplièrent. On comprend dès lors pourquoi, à partir de ce moment, et pour quelques années, les jeunes républicains ne recoururent plus guère à cette forme de manifestation politique. Du fait de son caractère public, elle comportait des risques beaucoup trop grands pour les plus politiques, et il est vraisemblable qu’aux yeux des plus résolus, elle détournait les énergies du véritable travail d’organisation révolutionnaire nécessaire. Le temps des sociétés secrètes, de l’action clandestine, des préparatifs d’insurrection était revenu : les appels à l’action passaient par la presse, plus facilement contrôlable par les dirigeants du parti, moins susceptible d’être manipulée par les têtes brûlées. Et quand, quatre années plus tard, après l’attentat de Fieschi, après les lois de septembre 1835, revint décidément pour eux le temps des banquets, la personne du roi avait été si complètement dépouillée de tout caractère sacré, la symbolique politique avait tellement changé que la théâtralisation d’un banquet politique netait plus possible, au moins sous cette forme paroxystique et romantique.
Notes de bas de page
1 Récit dans les Mémoires posthumes d’O. Barrot, t. I, p. 89-91 ; voir aussi les Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette, t. VI, p. 360.
2 Brève mention chez L. Blanc, Histoire de dix ans, t. I, p. 153-154 ; puis S. Charléty, La Restauration, p. 355 ; G- Weill, Histoire du parti républicain, p. 21. Sur la popularité de l’épisode, et les déformations dont il fut l’objet, voir les mémoires de Martin Nadaud, Léonard, maçon de la Creuse, p. 162.
3 Article emprunté par La Gazette de France à l’un de ses confrères (5.04.1830). Jacotot était l’auteur d’une méthode générale d’apprentissage intitulée « Le maître ignorant » ; les nommés Caquelard, Beauvisage, etc. des commerçants chez qui on avait pu souscrire pour le banquet, et dont la presse royaliste s’était beaucoup moquée.
4 L’Ami de la Charte, 15.08.1829 (une semaine après la nomination du ministère Polignac). Le rédacteur poursuit : « Hélas, cette belle France, qui se rappelle avec la plus respectueuse reconnaissance, et la censure abolie lors de l’avènement de Charles X au premier trône d’Europe, et les serments de Rheims, voudrait déjà être délivrée d’un ministère liberticide. »
5 Le Courrier français, 7.11.1829.
6 Le Globe, 14.04.1830.
7 AN F7 6740, gendarmerie, 24.06.1830. En revanche, au banquet strasbourgeois offert à B. Constant, « au haut bout de la salle un tableau garni de guirlandes de feuilles de chêne portant ces mots, le Roi, la Charte et nos droits », AN F7 6719, gendarmerie du Bas-Rhin, 11.10.1829.
8 AN F7 6720, lettre du secrétaire général de la préfecture, 27.10.1828.
9 Le National du 2 avril ne fait qu’évoquer guirlandes et couronnes, sans préciser leur nombre ni leur signification ; quant au Globe, il ne parle même pas de la Charte.
10 Rappelons le commentaire de La Quotidienne, 9.04.1830. « Les libéraux ont leurs banquets, ont leurs orgies, ont leurs toasts, ont leurs couronnes républicaines, ont leurs folies de tout genre. C’est du délire si vous voulez. […] » Souligné par moi.
11 E. Fureix, Mort et politique..., p. 523-525. L’auteur note également l’interdiction par les autorités de la « lithographie représentant un buste en médaillon [du général Foy] surmonté d’une couronne de laurier en raison de la présence de la couronne ».
12 A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. VI, p. 35 ; H. Contamine, Metz et la Moselle, p. 342.
13 A. Lardier, Histoire populaire de la Révolution en Provence…, p. 344-345. Au moment où il écrivit ces lignes, Lardier était un républicain des plus prononcés.
14 F. Rittiez, Histoire de la Restauration, t. II, p. 323.
15 La Gazette de France, 3.04.1830. « Voilà ce qu’on appelle l’opinion publique de la France, opinion qui se manifeste dans des tavernes, par des discours insensés, qui brave l’autorité royale, celle de la Charte, les arrêts des tribunaux et décerne des couronnes civiques à la malveillance et à la sédition. La France repoussera une telle solidarité. La France veut son Roi et sa charte, elle est lasse d’agitation, de désordre et d’anarchie. […] »
16 La Quotidienne, 3.04.1830. « Dans cette assemblée si nationale, si française, si dévouée, on n’a pas porté la santé du Roi, pas un seul vœu n’a été porté pour sa famille, pour l’héritier du trône, pour l’avenir de la monarchie. Le banquet du 1er avril en dit plus que trente années de révolution »
17 L. Blanc, Histoire de dix ans, t. I, p. 120. « Les funérailles du général Foy furent la contrepartie des pompes du sacre. »
18 E. Charavay, Le général La Fayette, pièce justificative XXXIII, p. 591-592.
19 L. Raillat, Charles X ou le sacre de la dernière chance..., p. 40-47.
20 A. Martin-Fugier, La vie élégante…, p. 27-29.
21 Relation du séjour du roi à Lille… (BN Lb 49702), p. 57. Voyage du Roi dans les départements de l’Est…, p. 60 (Metz) et 98 (Strasbourg).
22 N. Bourguinat, L’État et les violences frumentaires…, notamment le chapitre 8, « Les transformations d’un contrat social », p. 395.
23 Cité par R. Deniel, Une image de la famille et de la société..., p. 136.
24 Le conservateur de la Restauration, VII, p. 163.
25 Relation du séjour du roi à Lille… ; p. 23-24 (entrée), p. 9 (distribution).
26 AN F7 6920, préfet Indre-et-Loire à Intérieur, 4.10.1829. AN F7 6740, Aveyron, cabinet du préfet à Intérieur, 12.07, et gendarmerie, 11.07.1830.
27 C’est la thèse de L. Raillat, cité plus haut. Reste qu’il me semble naïf de déplorer, comme il le fait, p. 292, que « les contemporains [aient] analysé le sacre avec des principes matérialistes au lieu de prendre au sérieux sa logique transcendantale et sacrée ». Quant au « manque de compréhension des symboles de la part des contemporains, [qui] nous a, avouons-le, consterné » (p. 287), je n’y crois pas un instant. Les élites libérales savaient fort bien quel était l’enjeu politique, et elles excellaient à manier les symboles.
28 À ma connaissance, elle n’a pas été étudiée. Fr. Waquet l’a mentionnée en passant sans la décrire, car, répétitive, elle lui paraissait de peu d’intérêt (Les fêtes royales sous la Restauration..., p. 1). Inconnue de la royauté médiévale (J. Le Goff ne la mentionne pas dans son Saint-Louis), elle semble née à la Renaissance.
29 Duchesse de Maillé, Souvenirs des deux Restaurations, p. 152.
30 Dans le Grand Dictionnaire universel…, article « Cène », P. Larousse la définit ainsi : « Cérémonie du jeudi saint, dans laquelle le pape, les prélats, des chefs de communauté, des princes servent des pauvres après leur avoir lavé les pieds, en mémoire de la Cène de Jésus-Christ. »
31 M. Bloch, Les rois thaumaturges…, p. 390-391.
32 Comme L’Ami de la Religion (10.04.1830), elle dit que les treize pièces n’étaient que de cinq francs, mais elle ajoute que le plat en argent dans lequel on les avait servis devenait leur propriété.
33 On ne trouve pas d’entrée à « Banquet » dans l’Encyclopédie ; un article « Festin », de peu d’intérêt à mon sens.
34 Ce poème, traduit en français par un conventionnel exilé à Liège, Pierre Paganel, était l’œuvre tardive d’un abbé italien démocrate, qui mourut très âgé à Paris en 1803, peu après l’avoir achevée et publiée. À dire vrai, il ne se contentait pas de faire la satire de la monarchie, mais retraçait ensuite sous forme allégorique les événements de la Révolution française. On comprend pourquoi Paganel, auteur d’un Essai historique sur la Révolution française, qui fut pilonné sous l’Empire, avait pris à cœur de le traduire, et de le diffuser dans une édition assez bon marché (7 francs les trois volumes). Avant de sombrer dans l’oubli dans la deuxième moitié du siècle, le poème de Casti a fait l’objet de deux autres traductions françaises, toutes deux en vers ; il y eut également au minimum une traduction anglaise (qui fut, dit-on, admirée par Byron) et une espagnole.
35 La Minerve française, IV, p. 208-209 (décembre 1818).
36 Dans son étude sur Metz, H. Contamine l’avait remarqué incidemment : le 11 juin 1831, « Louis-Philippe reçut à sa table ses invités, parmi lesquels on nota l’évêque, le pasteur, et un industriel Israélite. La foule ne circula plus dans la salle comme du temps des monarques de droit divin, mais toutes les autres cérémonies furent identiques, bal, visite des établissements, simulacre de siège » (Metz et la Moselle, t. I., p. 380). Toutefois, il semble, d’après le mémoire de N. Veiga (Les voyages officiels de Louis-Philippe Ier en province) que lors de son tout dernier voyage en province, à Lille en 1833, Louis-Philippe ait à nouveau dîné en public.
37 Mémoires de M. Dupin, t. II, Carrière politique, p. 128. Relativisons ce vertueux et tardif accès d’indignation en rappelant que Dupin aîné avait accepté dans les mois précédents de ses électeurs de la Nièvre un banquet à Clamecy et un autre à Cosne (p. 495 et p. 112) ; sans compter, deux ans auparavant, celui de Mamers (Sarthe).
38 M. Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la République, p. 168 pour son attitude au 2 décembre.
39 G. Sand, Le compagnon du Tour de France, éd. Livre de poche, p. 245.
40 Par exemple, Le Globe, 11.05.1830.
41 Le Journal du commerce, 16.05.1830.
42 A. Watripon, Histoire politique des écoles et des étudiants…, p. 136 v.
43 Duchesse de Maillé, Souvenirs des deux Restaurations..., p. 334.
44 L’arrêt de renvoi est cité d’après La Gazette des tribunaux du 16.06.1831. La version donnée par A. Dumas dans ses Mémoires coïncide pour l’essentiel.
45 A. Dumas, Mes mémoires, t. IV, p. 338.
46 A. Dumas, ibid., p. 331.
47 A. Dumas, ibid. « À l’art ! Puissent la plume et le pinceau concourir aussi efficacement que le fusil et l’épée à cette régénération sociale à laquelle nous avons voué notre vie, et pour laquelle nous sommes prêts à mourir ! » Dumas commente vingt ans après, lucide : « Il y a des moments où l’on applaudit tout : on applaudit mon toast. Pourquoi pas ? On venait bien d’applaudir le discours de Fontan. »
48 La Gazette des tribunaux, 16.06.1831. Huber, qui avait présidé, prétendit que tous les toasts lui avaient été communiqués à l’avance et qu’aucun n’avait été porté à Robespierre ni à la Montagne.
49 S. Charléty, La Restauration, p. 104.
50 0. Krakovitch, Hugo censuré…, p. 104.
51 En revanche, un des convives qui refusait de témoigner sous serment fut condamné à une forte amende séance tenante.
52 C’est moi qui souligne ces derniers mots.
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