Stratégies d’acquisition et d’exploitation des ressources animales
À partir d’un habitat maglemosien (mésolithique ancien d’Europe du nord) en contexte lacustre à Mullerup (Sjælland, Danemark)
p. 47-75
Résumé
The beginning of the Mesolithic in northern Europe, known in Denmark as the Maglemosian (8500-6550 cal BC), is characterized by some very well-preserved faunal assemblages from peat contexts. These Maglemosian sites also contain bone tools in exceptionally large numbers for the Mesolithic period. The exploitation of all the animal resources, whether as food or as raw material for making bone tools, is a key issue in understanding the subsistence economy of these Mesolithic populations in northern Europe.
The Mullerup site (Zealand, Denmark) is presented here in this perspective. The animal resources are exploited in different ways, depending on the species and the requirements for raw materials.
Entrées d’index
Mots-clés : archéozoologie, Mésolithique, Maglemosien, Danemark, stratégies de chasse, traitement des carcasses, industrie osseuse
Keywords : Denmark, hunting strategy, maglemosian, carcass processing, mesolithic, bone industry, zooarchaeology
Remerciements
Mes sincères remerciements à Anne Bridault et Éva David pour leurs relectures, leurs corrections et leurs conseils, qui m’ont été très précieux. Je remercie également Kim Aaris-SØrensen et Peter Vang Petersen pour leur accueil chaleureux, le premier au musée zoologique et le second au musée national, à Copenhague. Merci à Erik Brinch Petersen pour ses conseils et son soutien. Je remercie, bien sûr, Joëlle Burnouf qui dirige ce travail de doctorat. Ce travail est réalisé avec le support du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, du SYNTHESYS Project http://www.synthesys.info/ financé par European Community Research Infrastructure Action under the FP6 « Structuring the European Research Area », ainsi que par une bourse d’aide à la mobilité « Aires culturelles » (2006).
Texte intégral
Introduction et problématique
1Le Mésolithique d’Europe du Nord, et plus particulièrement du Sud de la Scandinavie, est divisé en trois périodes ou cultures successives, individualisées d’après l’industrie lithique : le Maglemosien (8500-6550 cal BC), le Kongemosien (6550-5400 cal BC) et l’Ertebølle (5400-3800 cal BC) (Brinch Petersen, 1993).
2La période ancienne du Mésolithique, c’est-à-dire le Maglemosien, a été identifiée d’après les vestiges découverts sur le site de Mullerup (fig. 1), dont les fouilles furent conduites en 1900 par G. F. L. Sarauw (Sarauw et al., 1903) dans le nord-ouest du Sjælland au Danemark. Cette culture matérielle tient son nom de la tourbière du Magle Mose (« Grand Marais » en danois) où le site de Mullerup est localisé. Les sites découverts par la suite et attribués à cette culture sont particulièrement nombreux en Sjælland dans les deux grandes zones de tourbières, au nord-est, avec notamment les sites de Mullerup et Ulkestrup I et II, puis au sud-est avec les sites de Lundby I et II, Holmegård I, IV et V et Sværdborg I et II (fig. 1). Du point de vue de l’occupation du territoire, seuls les sites d’intérieur des terres sont connus au Maglemosien, le Danemark constituant, au début de l’Holocène, la zone septentrionale d’une vaste plaine continentale où ce qui est aujourd’hui la mer baltique était un lac d’eau douce, l’Ancylus lake (Christensen, 1993).
3L’étude de l’industrie lithique des sites attribués au Maglemosien (Becker, 1953 ; Brinch Petersen, 1973) a permis un séquençage de cette culture en 6 phases chronologiques (de 0 à 5), le site de Mullerup étant attribué à une des phases anciennes, la phase 2.
4Le contexte tourbeux de ces gisements a permis notamment une excellente conservation des restes organiques, tandis qu’en Jutland les sites maglemosiens n’ont pas livré de restes osseux, du fait d’un sédiment trop sableux (Brinch Petersen, 1973).
5Le Maglemosien est surtout caractérisé par une industrie osseuse abondante qui a fait l’objet d’une analyse typo-technologique (David, 1999). Dans cette étude, qui a concerné plus d’une trentaine d’assemblages d’Europe septentrionale, l’auteur a reconnu l’existence d’une industrie osseuse spécifiquement maglemosienne, au Danemark, d’après les sites du Sjælland datés du Boréal récent, avec des assemblages homogènes en termes de production et de supports anatomiques associés à des méthodes de fabrication spécifiques (David, 2003).
6Cette industrie se compose majoritairement de pointes de projectiles (pointes droites et pointes barbelées) en os, mais aussi d’un outillage lourd (haches, herminettes, gaines…) en bois de cervidé, et de quelques témoins de parure (pendeloques sur dents).
7Le matériel archéologique du site de Mullerup a été perçu comme un échantillon homogène, tant lors de l’étude de l’industrie en matières dures d’origine animale (David, 1999 ; 2003 ; 2006) que par l’étude de la production lithique (Brinch Petersen, 1973). L’abondance de l’industrie osseuse et la présence d’une série faunique très bien conservée nous offrent l’opportunité d’une analyse archéozoologique, dans le but de restituer tant les stratégies d’acquisition que les stratégies d’exploitation des ressources animales, dans le domaine aussi bien alimentaire (ressources carnées) que technique (matériaux, matières premières).
8Cette analyse apparaît d’autant plus intéressante que les études sur les séries fauniques du Maglemosien, souvent abordées d’un point de vue environnemental concernant notamment l’histoire de la grande faune postglaciaire (Degerbøl, 1964 ; Aaris-Sorensen, 1992 ; 1999 ; Aaris-Sorensen et al., 2007), ont été peu souvent envisagées en termes de stratégies et d’économie de subsistance. La question de la subsistance a davantage été posée en termes de type de ressources, marines ou terrestres (Noe-Nygaard, 1983 ; 1988 ; Bødker Enghoff, 1995), et de saisonnalité (Rowley-Conwy, 1993 ; Carter, 2001), qu’en termes de stratégies d’acquisition (biotopes exploités, choix des espèces et des individus chassés, populations abattues) ou d’exploitation (transport ou rejet différentiel, modalités de traitement des carcasses…), comme cela l’a été pour le Mésolithique français (Bridault, 1993 ; 1994 ; Leduc, 2005).
9Comment estimer l’articulation entre exploitation des carcasses et besoins en production osseuse ? Quelles sont les priorités alimentaires ou techniques au sein d’une « chaîne opératoire » globale pour chacune des espèces ?
10Dans cette perspective, le but est de comprendre la place de l’animal en général (et de chaque espèce en particulier) et les modalités d’exploitation de toutes les ressources qu’il fournit, que ce soit dans le domaine de la subsistance ou de l’industrie, afin de reconstituer les choix et les comportements des chasseurs-cueilleurs maglemosiens.
11Plus précisément, dans son étude de l’industrie osseuse du site de Mullerup et concernant cette question de la gestion des ressources animales dans ces deux domaines, alimentaire et technique, É. David propose deux hypothèses (David, 1999 ; 2004b). Premièrement, elle suggère un traitement différentiel des carcasses selon le type de cervidé (cerf, élan ou chevreuil) : le cerf serait rapporté quasi complet sur le site ainsi que le chevreuil (dont les bois seraient précisément fracturés pour faciliter le transport de l’animal) tandis que l’élan serait rapporté sous forme de quartiers (David, 2004b : 146, 173, 177). Deuxièmement, elle évoque une industrie osseuse tournée vers une exploitation intensive de tous les os longs de grands ruminants avec un traitement technique différent sur les métapodes et les tibias qui seraient liés exclusivement à l’industrie. Ces parties anatomiques constitueraient donc des supports réservés pour la manufacture aux côtés des autres os longs fracturés « par cassure » pour la récupération de la moelle (David, 2004b : 159).
12Notre analyse se propose de revenir sur certaines de ces interprétations, l’accent étant mis ici sur la question du traitement différentiel de trois proies différentes : le sanglier, le cerf et l’aurochs.
Aspects méthodologiques
13Nous faisons ici le choix de décompter ensemble les restes fauniques (conservés au musée zoologique de Copenhague) et les restes liés à l’industrie osseuse (conservés au musée national de Copenhague) afin d’évaluer l’abondance des vestiges liés à l’industrie osseuse dans l’assemblage et par la suite d’évaluer la part de l’activité technique par rapport à la consommation.
14En effet, si, comme l’a démontré É. David, la grande part des déchets au sein de l’industrie montre une fabrication in situ puis une utilisation in situ, nous verrons que la situation apparaît plus complexe. C’est le cas par exemple d’une partie des métapodes de cerf qui, selon notre hypothèse (cf. infra), ont pu être apportés entiers sur le site, sans relation avec les carcasses de cerf qui y sont exploitées. Il est aussi tout à fait possible qu’une partie de l’outillage ait pu être transportée déjà manufacturée sur le site.
15Ces décomptes seront exprimés en Nombre de Restes (N. R.), c’est-à-dire en nombre de fragments, déterminés ou indéterminés, mais aussi en Nombre Minimum de Parties Squelettiques (N. M. P. S), c’est-à-dire le nombre minimum de parties complètes qui permet de prendre en compte la fragmentation des restes, et enfin en Nombre Minimum d’Individus (N. M. I). Cela nécessite en amont la reconnaissance au sein de l’ensemble osseux des différents types de déchets : déchets résultant d’une activité de boucherie au sens large ou déchets résultant de la fabrication d’objets. Tous les fragments osseux ont été observés à la loupe binoculaire (grossissement x 10) afin de relever les traces anthropiques : stigmates de percussion, stries, traces liées aux gestes techniques… Si ces dernières ont été bien caractérisées (David, 2004a), elles sont, lorsqu’elles sont marginales ou isolées, difficiles à rapporter à une intention évidente pour nous, elle-même rapportée au domaine alimentaire ou technique.
16La restitution des modalités d’exploitation des différentes espèces sur le site nécessite dans un premier temps l’analyse de la représentation des parties squelettiques. Celle-ci nous permettra de savoir si les carcasses des différents animaux sont entières sur le site ou s’il existe des manques qui seraient dus à un transport différentiel ou à une exploitation spécifique. Cette représentation des parties squelettiques sera exprimée en fréquence des parties observées ( % P. O.), c’est-à-dire le nombre minimum des parties squelettiques observées dans l’échantillon par rapport à celui qui est attendu pour le nombre minimum d’individus reconnu pour chaque espèce (Grigson et al., 1987).
17Nous nous intéresserons, dans un second temps, aux stigmates anthropiques observés sur les différentes parties squelettiques, afin de tenter de les rapporter à une ou des intentions de départ.
Présentation du site
18La fouille du gisement de Mullerup a été menée par G. F. L. Sarauw, archéologue au musée national de Copenhague, en 1900, et a fait l’objet d’une publication en 1903 (Sarauw et al., 1903). Bien qu’ancienne, cette fouille est une des premières, au Danemark, réalisées en grande surface et non par tranchées. La zone fouillée s’étend sur 300 m2 (ce qui constitue à peu près l’étendue du gisement), divisée en parcelles de 10 x 10 m, elles-mêmes subdivisées en carrés de 1 m2 (fig. 2a).
19D’après la quantité d’artefacts lithiques et osseux et la présence de nombreux déchets de débitage mais aussi de charbons, G. F. L. Sarauw interprète le gisement comme un site d’habitat. Un modèle d’occupation saisonnier a été proposé par O. Grøn d’après l’analyse spatiale de plusieurs sites maglemosiens, parmi lesquels le site de Mullerup (Grøn, 1995). Cette analyse repose uniquement sur les vestiges lithiques et sur les quelques structures fournies par certains sites. L’auteur suggère un mode d’occupation saisonnier avec, pendant la belle saison, l’installation d’une ou plusieurs familles dans des huttes de 18 à 25 m2 dotées pour seule structure interne, d’un foyer simple, comme observé par exemple à Ulkestrup, site du Sjælland contemporain de Mullerup (Andersen et al., 1982) qui a fourni des niveaux de sols conservés. Pour ce qui est du site de Mullerup, il s’avère impossible d’individualiser des niveaux d’occupation et donc de savoir s’il s’agit d’une seule occupation longue ou bien d’occupations nombreuses, courtes et répétées, ni, dans ce cas, de connaître la durée de temps qui les sépare.
20Les datations C14 sont relativement proches les unes des autres : comprises entre 8660 ± 120 BP et 8330 ± 110 BP (K-1609 à K-1612, Tauber, 1973), ce qui donne après calibration une ou des occupations situées entre 8202 et 7083 cal BC (calibration réalisée avec Calib 5.0, d’après Reimer et al., 2004).
Nous considérerons ici l’ensemble des vestiges archéologiques comme un seul ensemble, même si les modes et les durées d’occupation nous restent inconnus.
21L’analyse de la répartition spatiale des vestiges osseux, réalisable uniquement par m2, est également envisagée et apportera peut-être des informations sur ces derniers aspects. Elle nous permettra peut-être d’observer des variations spatiales dans la répartition des vestiges osseux et s’il est possible d’identifier des zones d’activités ou de rejet, telles qu’elles ont pu être identifiées à Sværdborg II (Brinch Petersen et al., 1972).
22Lors de la fouille, les vestiges osseux ont fait l’objet d’une rapide étude réalisée par H. Winge (Sarauw et al., 1903). Les fragments les plus facilement identifiables ont été déterminés et classés par espèce au Musée Zoologique de Copenhague, tandis que le reste, en particulier les vertèbres, les côtes et les esquilles, est resté indéterminé. H. Winge, dans la publication, fournit donc une liste d’espèces et suggère des occupations pendant l’été, d’après la présence de restes de très jeunes mammifères.
Description de l’ensemble osseux
23Nous avons donc entrepris l’étude de cet ensemble mais, avant de présenter l’analyse du corpus, il nous semble important d’apporter quelques précisions quant à l’état et la qualité de l’échantillon. Il faut noter que l’enfouissement en milieu tourbeux a permis une excellente conservation des restes osseux, dont les surfaces sont très rarement altérées. Ces dernières ont donc conservé les stigmates des différentes actions anthropiques. On peut toutefois regretter l’absence de tamisage des sédiments lors de la fouille. Cependant, d’après nos observations, nous pouvons affirmer que les restes osseux ont fait l’objet d’un ramassage relativement peu sélectif, notamment du fait de la présence de nombreux fragments difficilement déterminables et d’autres de petite taille.
Tableau 1. Composition taxinomique de l’ensemble faunique de Mullerup (industrie osseuse incluse)
Espèce (nom latin – nom commun) | N. R. | % N. R. | % N. R. (*) | N. M. I. |
Sus scrofa scrofa – Sanglier | 938 | 21,7 | 21,7 | 21 |
Alces alces – Élan | 545 | 12,6 | 19 | 7 |
Cervus elaphus – Cerf élaphe | 478 | 11,0 | 16 | 10 |
Bos primigenius – Aurochs | 326 | 7,5 | 13,4 | 5 |
Capreolus capreolus – Chevreuil | 445 | 10,3 | 10,3 | 13 |
Martes martes – Martre | 23 | 0,5 | 0,5 | 6 |
Meles meles – Blaireau | 12 | 0,3 | 0,3 | 4 |
Canis familiaris – Chien | 11 | 0,3 | 0,3 | 2 |
Ursus arctos – Ours brun | 10 | 0,2 | 0,2 | 3 |
Vulpes vulpes – Renard commun | 8 | 0,2 | 0,2 | 2 |
Felis silvestris – Chat sauvage | 4 | 0,1 | 0,1 | 1 |
Castor fiber – Castor | 21 | 0,5 | 0,5 | 2 |
Sciurus vulgaris – Écureuil | 1 | 0,0 | 0,02 | 1 |
Total mammifères déterminés | 2822 | 65,2 | 65,2 | 77 |
Cygnus olor – Cygne tuberculé | 45 | 1,0 | 1,04 | 4 |
Anas platyrynchos – Canard colvert | 22 | 0,5 | 0,5 | 7 |
Anas acuta – Canard pilet | 15 | 0,3 | 0,3 | 4 |
Clangula hyemalis – Harelde boréale | 2 | 0,0 | 0,05 | 2 |
Podiceps cristatus – Grèbe huppée | 14 | 0,3 | 0,3 | 2 |
Haliaeetus alcibilla – Pygargue à queue blanche | 7 | 0,2 | 0,2 | 2 |
Milvus milvus – Milan royal | 2 | 0,0 | 0,0 | 1 |
Phalacrocorax carbo – Cormoran | 9 | 0,2 | 0,2 | 1 |
Botaurus stellaris – Butor étoilé | 3 | 0,07 | 0,07 | 1 |
Ardea cinerea – Héron cendré | 1 | 0,02 | 0,02 | 1 |
Grus grus – Grue cendrée | 2 | 0,05 | 0,05 | 1 |
Gavia arctica – Plongeon arctique | 2 | 0,05 | 0,05 | 1 |
Larus ridibundus – Mouette rieuse | 1 | 0,02 | 0,02 | 1 |
Dryocopus martius – Pic noir | 1 | 0,02 | 0,02 | 1 |
Garrulus glandarius – Geai des chênes | 1 | 0,02 | 0,02 | 1 |
Total oiseaux déterminés | 127 | 2,9 | 2,9 | 30 |
Esox lucius – Brochet | 109 | 2,5 | 2,5 | 13 |
Emys orbicularis – Tortue | 1 | 0,02 | 0,02 | 1 |
Mammifères indéterminés | 1269 | 29,3 | 29,3 | — |
Oiseaux indéterminés | 3 | 0,1 | 0,07 | — |
TOTAL | 4331 | 100,0 | — | 121 |
Bois d’élan | 115 | |||
Bois de cerf | 89 | |||
Bois de grands cervidés | 21 | |||
TOTAL | 225 |
24L’ensemble faunique (éléments travaillés et déchets de fabrication inclus) est constitué de 4 331 restes (tabl. 1). À ceux-ci s’ajoutent 225 fragments de bois de cerf (Cervus elaphus) et d’élan (Alces alces). Ces fragments sont tous issus de bois de chutes (attestés pour les deux espèces). Leur collecte peut avoir eu lieu aux alentours du site au moment de l’occupation ou bien les bois peuvent avoir été ramassés antérieurement et transportés sur le site au moment de l’installation de ces groupes. Quoi qu’il en soit, ces vestiges ne sont pas en relation avec les carcasses des grands cervidés exploités sur le site et ne rentrent pas dans la sphère de la prédation, c’est pourquoi ils ont été décomptés séparément.
Composition taxinomique du corpus osseux
25Le corpus de faune est très largement dominé par les restes de mammifères (94,5 % des restes, fig. 3) et en particulier par les grands herbivores, grands ruminants et suidés en tête. Les oiseaux sont beaucoup moins bien représentés avec 130 restes et 3 % du total, bien qu’attestant de la présence de 15 espèces différentes. Celles-ci sont majoritairement des espèces liées aux milieux aquatiques tels que les lacs ou zones humides (canards, cygne, cormoran, héron…) ou au milieu forestier (pic noir, geai des chênes, milan royal). Les restes de poissons sont, quant à eux, tous attribués à une seule espèce d’eau douce, le brochet (Esox lucius), avec 109 restes (2,5 %) et au moins 13 individus. On notera la présence d’un fragment de carapace de cistude (Emys orbicularis), seule représentante de la classe des reptiles, qui indique par ailleurs des étés plus chauds qu’aujourd’hui en Europe du nord (où elle n’est plus présente actuellement), nécessaires à cette espèce pour sa reproduction (Degerbøl et al., 1951).
26Étant donné la fragmentation de certaines parties squelettiques, les difficultés de détermination et la présence de pièces entièrement façonnées, notamment les pointes de projectiles, une large part des restes de mammifères n’a pas pu être déterminée à l’espèce (29,3 % des restes). Ces derniers ont donc été répartis par catégorie ou famille : grands ruminants, grands artiodactyles…
Une partie importante de cet ensemble est constituée par des restes d’industrie sur os (383 restes, soit 8,84 %).
27Si l’on observe la part relative de chaque espèce et groupe taxinomique dans la totalité de l’ensemble puis dans l’industrie osseuse (fig. 4a et 4b), on relève immédiatement des répartitions inédites bien distinctes. En effet, le sanglier (Sus scrofa scrofa) apparaît comme étant la première espèce chassée sur le site, en termes de Nombre de Restes (21,7 %) et en termes de Nombre Minimum d’Individus (21). Il ne constitue cependant qu’une très faible part des restes relevant de l’industrie osseuse (3,1 %).
28La part des ruminants est également importante dans le spectre de faune, notamment les grands ruminants tels que l’élan (19 %), le cerf (16 %) et l’aurochs (Bos primigenius, 13,4 %). Mais c’est surtout dans l’industrie que les grands ruminants dominent, notamment le cerf (18,5 %). Une large part de ces restes (36,6 %) n’est pas déterminée à l’espèce. Le chevreuil (Capreolus capreolus), qui représente 10,3 % du spectre de faune, est également très bien représenté dans l’industrie (10,7 %).
29La part des oiseaux est, comme nous l’avons vu, relativement faible (3 %), mais ceux-ci sont représentés dans l’industrie (1,8 %), notamment les espèces de grande taille comme le cygne (Cygnus olor). Enfin, les autres espèces de mammifères, c’est-à-dire les rongeurs, avec le castor (Castor fiber) et les carnivores, avec le chien (Canis familiaris), la martre (Martes martes), le renard (Vulpes vulpes), le chat sauvage (Felis sivestris) et l’ours (Ursus arctos), sont représentés par peu de restes, que ce soit dans l’assemblage total (2,1 %) ou dans l’industrie, avec un reste de débitage sur humérus d’ours et deux pendeloques sur canines de chien (0,8 %).
30Si l’on peut mettre en évidence des choix en termes d’espèce ou de classe taxinomique (ici les grands ruminants) pour l’industrie en matières dures d’origine animale, qu’en est-il des choix en termes de matières ou de parties anatomiques ?
31En ce qui concerne la totalité de l’industrie en matières dures d’origine animale (548 restes, bois inclus) et comme l’a déjà montré É. David (David, 1999 ; 2004b), elle a principalement été manufacturée sur os, préférentiellement sur os longs (48,2 %) pour la fabrication de pointes droites, puis sur os plats (19,7 %), essentiellement des côtes utilisées pour les pointes barbelées. Environ 30 % de cette industrie sont réalisés sur les bois de grands cervidés collectés pour la fabrication de l’outillage lourd, comme les haches ou herminettes (fig. 4c). Les os sont donc réservés principalement pour la fabrication des équipements de chasse et de pêche, et les bois pour l’outillage davantage lié aux activités domestiques, notamment sans doute le travail du bois végétal (David, 1999 ; 2004b), tandis que quelques dents (canines de chien et incisives d’élan et d’aurochs) ont été transformées en éléments de parure.
32Cette riche industrie osseuse semble donc constituer un ensemble organisé dédié aux activités cynégétiques, techniques et domestiques ou encore symboliques.
33Quelle relation existe-t-il entre cette industrie osseuse et les animaux chassés puis exploités et consommés ? Peut-on établir un lien entre, d’une part, les besoins en matières premières et, d’autre part, les stratégies de chasse et les modalités d’exploitation des carcasses ?
Les stratégies de chasse et la (les) saison(s) d’occupation
34La présence dans cet ensemble de témoins directs des activités cynégétiques nous permet bien de parler de chasse en ce qui concerne les modes d’acquisition. Il s’agit de fragments d’éléments lithiques fichés dans différents os (Noe-Nygaard, 1975). À Mullerup, nous signalerons la présence de fragments de pièces lithiques insérés dans une vertèbre thoracique d’un très jeune ruminant (probablement un jeune cervidé), dans une vertèbre thoracique de sanglier et dans une côte d’aurochs adulte. Concernant ce dernier, la lésion est cicatrisée autour d’un très petit fragment lithique (moins de 2 mm) et montre que cet individu a été la cible d’au moins deux chasses, la deuxième lui ayant été fatale.
35En ce qui concerne les stratégies de chasse, c’est-à-dire le choix des populations abattues, la part des très jeunes ongulés, ici âgés de moins de 3 mois, est relativement importante puisqu’ils constituent 12,7 % des restes. Ces restes sont majoritairement des restes osseux ; les restes dentaires, indispensables pour obtenir des âges d’abattage précis et pour discuter des stratégies de chasse, sont peu nombreux, excepté pour le sanglier (pour lequel ils indiquent une majorité de jeunes de 0 à 6 mois).
36La présence de ces très jeunes ongulés, suidés et grands ruminants, nous informe sur les populations chassées. Les groupes composés des jeunes et des femelles (bien représentées chez les ongulés) ont pu être des cibles facilement repérables et disponibles pour les chasseurs, pendant l’été par exemple, quelques mois après la naissance des petits. La reconstitution précise des âges d’abattage et du sex ratio nous permettra d’interpréter ces stratégies en termes de chasse sélective et/ou « opportuniste », bien que l’identification de telles stratégies à partir d’assemblages osseux soit à relativiser dans le cadre de sites dont les modes et les durées d’occupation sont mal connus.
37Il est par ailleurs important de noter que les os des très jeunes individus (âgés de quelques mois) n’ont semble-t-il jamais fait l’objet d’une exploitation dans l’industrie osseuse. Aucun déchet de débitage ni objet n’a été observé sur ces restes. Cela s’explique par le fait que les os très jeunes sont non seulement de petite taille mais surtout plus poreux et plus fragiles, donc d’un intérêt moindre pour le débitage et le façonnage d’outils ou d’armatures.
38La présence des ces restes de très jeunes ongulés nous informe également sur la saison d’occupation du site (fig. 5). En effet, chez les ruminants, la naissance des jeunes a lieu au printemps, vers avril/mai et on peut en déduire un abattage estival. Pour le sanglier, il est plus difficile de déterminer une saison de mise bas, cela dépendant d’une part de la femelle (âge, condition physique), d’autre part de facteurs extérieurs (conditions climatiques, environnementales). Les naissances pour cette espèce peuvent donc s’étaler entre janvier et septembre (Leduc, 2005). Cependant, la présence de nombreux bois de massacre de chevreuil, c’est-à-dire de restes crâniens montrant la présence de bois (ici 9 individus) indique également une chasse pendant la belle saison. La chute et la repousse des bois des cervidés étant cyclique et saisonnière, elle indique, dans le cas du chevreuil possédant ses bois, une chasse ayant eu lieu entre mai et septembre. Un dernier indice pourrait confirmer une occupation à la belle saison, voire même au printemps. En effet, la présence de bois de chute de cerf indique cette période, s’il on considère le ramassage des bois de cerf immédiatement après leur chute (fin de l’hiver/début du printemps) ou quelques mois plus tard, les bois de cerf étant complètements refaits à l’automne. Ce fait n’est cependant pas acquis, le bois pouvant être, comme nous l’avons déjà signalé, ramassé puis transporté ou conservé pendant un certain temps.
39La conjugaison de ces différents indices pointe donc vers une occupation du site à la belle saison, dès le printemps, comme c’est le cas des autres sites maglemosiens qui ont fourni des restes fauniques (Andersen et al., 1982 ; Carter, 2001 ; Rowley-Conwy, 1993).
40Les chasseurs-cueilleurs maglemosiens se sont donc installés à cette saison en bordure du lac. La proximité du lac offrait probablement un environnement favorable à la présence de groupes d’animaux, notamment les groupes composés des petits récemment nés, venant se désaltérer. Les mœurs aquatiques de l’élan, par exemple, sont bien connues et ont pu faciliter sa capture par les hommes.
41Une fois les animaux chassés, les carcasses sont-elles apportées entières sur le site et comment sont-elles traitées ? Comment s’articule l’exploitation des carcasses avec les besoins en production osseuse ? Peut-on identifier des priorités alimentaires ou techniques ?
Nous traiterons ici de trois espèces différentes : le sanglier, première espèce chassée, puis le cerf, qui illustrera, on le verra, le cas des cervidés en général, et enfin l’aurochs.
L’exploitation des ressources animales, l’exemple de trois ongulés : le sanglier, le cerf et l’aurochs
Le transport des carcasses
42Avant d’aborder le traitement même des carcasses de sanglier, de cerf et d’aurochs, il s’agit de savoir si ces carcasses ont été apportées entières ou non sur le site. L’observation de la représentation des parties squelettiques (travaillées ou non travaillées) nous indique tout d’abord, et pour ces trois espèces, que les parties les moins bien représentées sont les côtes et les vertèbres (fig. 6, 7 et 8). Cela est dû, premièrement, aux difficultés de détermination spécifique de ces parties, qui sont par ailleurs bien représentées dans les restes indéterminés (notamment dans les classes mammifères et ruminants indéterminés). Rappelons que les côtes ont été utilisées pour la fabrication des pointes barbelées (David, 1999 ; 2004b) dont le degré de façonnage empêche toute détermination précise. Cependant, ce sont souvent les côtes les plus plates qui ont été utilisées, notamment celles des grands ruminants (élan, aurochs et cerf), celles d’élan et surtout d’aurochs fournissant des largeurs plus importantes. Enfin, les côtes et les vertèbres se conservent généralement moins bien que les os long, du fait de la part importante de partie spongieuse dans leur composition, qui se dégrade plus rapidement que l’os compact.
43Les bas de pattes (os du tarse, os du carpe, métapodes et phalanges) sont également sous-représentés, en particulier pour le sanglier et le cerf et dans une moindre mesure pour l’aurochs. Ce sont surtout les phalanges qui sont absentes, ce qui peut suggérer un traitement spécifique comme le prélèvement des peaux par exemple, les bas de pattes restant attachés aux peaux qui sont prélevées, ou bien un rejet différentiel sur le site d’abattage. Certaines traces de découpe observées sur ces parties, quand elles sont présentes, mais aussi au niveau des crânes, notamment chez le sanglier et l’aurochs, constituent un autre indice suggérant le prélèvement des peaux (fig. 6, 7 et 8).
44En ce qui concerne le sanglier, hormis ces manques, les os des membres antérieurs et postérieurs sont bien représentés. Les carcasses semblent donc avoir été apportées quasi entières sur le site.
45Pour ce qui est du cerf, la représentation des parties squelettiques (fig. 7) nous révèle que les parties crâniennes sont relativement moins bien représentées, surtout les mâchoires supérieures. La majeure partie de ces restes crâniens appartient à des jeunes individus, ce qui indique une forte sous-représentation des crânes des adultes, ces individus étant par contre bien représentés par les autres parties anatomiques. L’observation des traces de découpe nous montre par ailleurs une désarticulation particulièrement intense sur les vertèbres cervicales, en particulier chez les cerfs adultes (fig. 7) et surtout entre les premières cervicales (atlas et axis) et la tête. Cette découpe systématique au niveau du cou ou de la tête de l’animal et le manque de restes crâniens peuvent alors s’expliquer par un transport différentiel, les têtes des adultes pouvant être laissées sur le lieu d’abattage ou rejetées hors du site.
46Enfin, pour l’aurochs, on observe une représentation différente des parties squelettiques qui suggère un traitement différent des carcasses d’aurochs (fig. 8). Seuls cinq individus sont représentés dans l’assemblage et on observe une sous-représentation générale des os des membres, en particulier des adultes, à l’exception du coxal qui est très bien représenté. On peut émettre l’hypothèse d’un transport ou apport différentiel de ces parties ou bien un traitement différentiel pour cette espèce. En effet, un éventuel biais taphonomique semble peu probable étant donné la taille des os, facilement identifiables mêmes s’ils sont fragmentés. La viande a par exemple pu être apportée sur le site déjà désossée pour une partie des individus.
47Les carcasses de sanglier sont apportées relativement entières pour être traitées sur le site, tandis que les cerfs, essentiellement les adultes, semblent être apportés sans les têtes. L’aurochs, quant à lui, semble avoir fait l’objet d’un transport différentiel, certains morceaux de viande ont pu être apportés sous forme de quartiers désossés, les pattes arrières étant fortement représentées (notamment par les os du bassin).
Le traitement des carcasses : une exploitation des matières molles…
48Les très nombreuses traces, très bien conservées, déjà évoquées au niveau des cervicales, indiquent un traitement poussé des carcasses (fig. 6, 7 et 8). La désarticulation des membres (traces sur les zones articulaires) est systématique et on observe une découpe en tronçons (traces au niveau de la colonne vertébrale), notamment des carcasses de cerfs. Le prélèvement des peaux et probablement des tendons, visible d’après les traces laissées sur le crâne, la mandibule et les bas de pattes, est bien illustré chez le sanglier et l’aurochs en particulier. Cette activité est moins bien renseignée chez le cerf puisque que ces parties anatomiques sont moins bien représentées. La découpe et le prélèvement de la viande sont particulièrement bien renseignés sur les os de sangliers, notamment les os des membres qui sont les parties les plus charnues. Elles sont également présentes sur ceux du cerf, ainsi que sur les vertèbres, ce qui suggère le prélèvement des filets. Ces traces sont plus rarement observées sur les os d’aurochs qui sont moins bien représentés.
L’exploitation bouchère et le prélèvement des parties molles, comme la peau et les tendons, sont donc bien documentés.
49Nous signalerons de plus que la quasi-totalité des os des cervidés et des suidés surtout, à l’exception des os courts (os du tarse et du carpe), ont été fracturés par percussion pour l’extraction de la moelle. Les os longs l’ont été systématiquement et souvent percutés de la même manière, au niveau de la diaphyse, pour une récupération probablement directe de la moelle. Les fragments de diaphyse caractéristiques de cette activité manquent pour l’aurochs mais on ne peut exclure un prélèvement ou une consommation de la moelle hors du site. Les épiphyses des os longs ne semblent pas avoir été concassées pour l’obtention de bouillons gras. Les premières et deuxièmes phalanges de tous les grands ongulés ont également été fracturées quasi systématiquement, ainsi que les mandibules des grands ruminants, probablement pour en récupérer la graisse (Noe-Nygaard, 1977).
… et des matières dures
50Lors du traitement des carcasses de sanglier, certaines parties anatomiques ont été occasionnellement prélevées pour être transformées et/ou utilisées dans l’industrie osseuse. On relève la présence de déchets sur tibia (n = 3) ou fémur (n = 2), ce dernier ayant pu servir pour la fabrication d’hameçons, et un fragment de scapula témoigne d’un double rainurage pour le prélèvement d’un support en baguette.
51En revanche, les défenses des mâles montrent de façon récurrente des traces de raclage (raclage anthropique bien différent des traces d’usure naturelle) sur la face occlusale de la dent. Une de ces défenses, qui a été sectionnée dans l’axe transversal (probablement par sciage), est interprétée comme une « lame de herminette » par G. F. L. Sarauw et deux autres comme des couteaux (Sarauw et al., 1903 : 233). Ces deux dernières pièces avaient été antérieurement classées en « pièces indéterminées » du fait de leur mauvais état de conservation et la première n’avait pas pu être observée (David, 1999 : 125).
52Mais pour le cerf, et à la différence du sanglier, l’exploitation à des fins d’outillage a été systématique pour certaines parties anatomiques. Les métapodes sont les parties les mieux représentées et sont tous modifiés et/ou utilisés dans l’industrie.
53En effet, tous les restes de métapodes de cerf (N. R. = 79 ; N. M. P. S. = 34 pour un N. M. I. de 10 individus) sont des pièces issues de la chaîne de fabrication des pointes droites et barbelées (fig. 9). Au regard de la représentation relative des métapodes par rapport aux autres parties squelettiques et notamment aux autres os des membres, on peut émettre plusieurs hypothèses.
54Tous les métapodes des cerfs exploités sur le site sont prélevés et exploités sur place. Le caractère systématique de leur exploitation permet de reconnaître facilement les déchets issus des opérations et favorise donc leur identification au sein de l’assemblage. Ces os étant, d’une part, les mieux représentés pour les carcasses de cerf et, d’autre part, systématiquement exploités, il est possible d’imaginer que certains métapodes aient été gardés en tant que réserve de matière première en vue d’une exploitation ultérieure. Certains des fragments représentés à Mullerup pourraient provenir de carcasses exploitées ailleurs, sur un autre site (d’habitat ou d’abattage) ou bien dans une zone d’activité proche du site, sur lequel ils seraient donc introduits.
55Quelle que soit l’hypothèse retenue, la sélection est très forte sur ces parties qui ne sont jamais rejetées sans transformation. D’autres parties anatomiques ont été utilisées dans l’industrie, comme le radius ou le fémur (pour la fabrication d’hameçons, comme chez le sanglier), mais de façon plus occasionnelle, ces parties étant, comme nous l’avons signalé, systématiquement fracturées pour la récupération de la moelle.
56On observe une exploitation relativement identique dans l’utilisation des métapodes des autres cervidés (chevreuil et élan) pour la production des baguettes supports de pointes mais elle apparaît moins systématique.
57Les métapodes d’aurochs (N. R. = 6 ; N. M. P. S. = 6), qui sont comme les os des membres, sous représentés, sont, eux aussi, tous utilisés dans l’industrie osseuse. Cependant, à la différence de ceux des cervidés, ils ont été débités pour la fabrication d’herminettes ou utilisés entiers comme percuteurs (David, 2002), ces deux types d’objets appartenant à la catégorie « outillage lourd ». Seuls trois déchets sur métapodes existent (d’après David, 1999 : 205) ; il nous a cependant été impossible de les observer, l’un pouvant être lié à la fabrication d’une herminette. Aucun autre fragment de métapode d’aurochs n’a par ailleurs été retrouvé dans l’assemblage, c’est-à-dire aucun déchet relevant du domaine alimentaire. L’utilisation de métapodes entiers comme percuteurs explique en partie l’absence relative de déchets mais pose aussi la question de l’origine de certaines de ces pièces, qui peuvent avoir été apportées sur le site en même temps que les autres parties des carcasses ou déconnectées de celles-ci.
58Le débitage de support en baguette, observé sur les métapodes et les os longs des cervidés, est renseigné pour l’aurochs, sur deux fragments de scapulas présentant des traces de rainurage.
59Une cheville osseuse entière appartenant probablement à un mâle adulte montre des traces de percussions qui peuvent être mises en rapport avec le retrait de l’étui corné par exemple. Pour finir, deux incisives d’un individu très âgé ont été transformées en pendeloques, mais le lien entre ces dernières et les carcasses présentes sur le site est impossible à établir.
Conclusion
60On observe donc à Mullerup, d’après l’exemple de ces trois espèces, des modes d’exploitation différents qui sont définis en amont en fonction, d’une part, de l’espèce et des caractéristiques et contraintes qu’elle suppose (contraintes de transport, par exemple, pour les grandes espèces comme l’aurochs) et, d’autre part, en fonction des besoins en matières premières et/ou en viande, quantifiés au préalable. L’exploitation des métapodes des cervidés et de l’aurochs fournit un exemple de cette exploitation différentielle, que l’on peut schématiser ainsi (fig. 10) :
61– Un premier scénario d’après l’exemple des métapodes de cerf : une exploitation in situ des carcasses, avec le prélèvement systématique des métapodes (sans exclure la possibilité d’un apport complémentaire provenant d’autres carcasses exploitées ailleurs). Le débitage et la fabrication de pointes droites ont ensuite lieu sur place, tous les déchets et les objets finis étant retrouvés sur le site.
62– Un second scénario avec l’exemple des métapodes d’aurochs : les carcasses d’aurochs sont incomplètes, sous forme de quartiers de viande isolés. Les métapodes sont présents uniquement sous forme d’objets ou de déchets relevant de l’outillage lourd, parfois réalisés sur métapodes entiers (donc sans laisser de déchet de débitage) et par ailleurs sans aucun déchet lié à la consommation. Ces pièces peuvent, pour certaines, avoir été apportées sur le site déjà façonnées.
63L’exploitation de toutes les ressources fournies par les différentes espèces forme donc un ensemble organisé (fig. 10). Le sanglier, qui est la première espèce chassée, est exploité de façon intensive pour sa viande, quel que soit l’âge des individus. Quelques défenses de mâles adultes ont ensuite été transformées et/ou utilisées dans l’industrie. L’exploitation bouchère est également bien renseignée pour le cerf mais cette espèce et, dans une moindre mesure, les autres cervidés, ont été particulièrement investis dans l’industrie osseuse avec, comme nous l’avons vu, l’exploitation intensive des métapodes. Quant à l’aurochs, il semble avoir fait l’objet d’une exploitation différente, notamment en termes de transport des parties squelettiques, en particulier des métapodes qui ont pu, eux aussi, faire l’objet d’apport ou de transport en tant que matrices ou objets finis. Les côtes des grands ruminants ont également été exploitées de façon intensive pour la fabrication des pointes barbelées notamment (David, 1999 : 212) mais la détermination spécifique est le plus souvent impossible entre le cerf, l’élan et l’aurochs. Les côtes de sanglier n’ont en revanche pas du tout été sélectionnées à cette fin, la surface plane offerte par ces parties étant plus réduite chez cette espèce.
64Cette étude doit être approfondie et menée sur les autres espèces présentes sur le site, notamment l’élan et le chevreuil mais aussi les carnivores, qui ont pu être exploités pour leur fourrure, ou encore les oiseaux, pour certains, comme le cygne, présents dans la sphère de l’exploitation à des fins industrielles.
65La révision d’un assemblage osseux, bien conservé, menée avec l’observation minutieuse, la classification et l’interprétation de tous les stigmates ou témoins d’actions anthropiques, montre ici tout son intérêt dans la reconstitution des chaînes opératoires d’exploitation de l’ensemble des ressources animales.
66Une telle analyse menée sur d’autres sites ayant fournit des collections osseuses bien conservées pourrait nous éclairer, nous l’espérons, sur la portée culturelle d’une telle organisation dans l’exploitation des ressources animales pendant le Maglemosien. En effet, les sites maglemosiens du Danemark sont relativement standardisés quant au type d’occupation, à savoir des sites d’intérieur des terres, toujours liés au milieu aquatique (bordure de lac) et occupés pendant la belle saison. L’exploitation des ressources animales sur ces sites a pu être organisée en fonction des besoins et de l’accès à ces ressources pendant l’été, probablement facilités par l’environnement lacustre. Celle-ci s’intègre très probablement dans un système plus vaste, annuel, d’exploitation du territoire occupé par les sociétés mésolithiques en Europe septentrionale
Bibliographie
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Sujet de thèse : Acquisition et exploitation des ressources animales au Maglemosien (Mésolithique ancien d’Europe du Nord) au Danemark, IXe-VIIIe millénaires av. J.-C. Directeur : J. Burnouf. Date de soutenance prévue : juin 2010.
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