Un essai d’interprétation de scènes animalières sur les mosaïques de Syrie du Nord à l’époque byzantine
Les scènes d’affrontement et de poursuite
p. 237-249
Résumés
De nombreuses mosaïques découvertes en Syrie du Nord, dans des sanctuaires, datées de la deuxième moitié du ve siècle et du vie siècle, présentent des scènes d’animaux en lutte (se poursuivant ou s’affrontant). Ces scènes posent un problème d’interprétation aux chercheurs, dont certains pensent qu’il s’agit d’images allégoriques de la victoire du bien sur le mal, d’autres proposant que ces scènes symbolisent la perfection divine de la création. Dans cette étude, on propose une nouvelle interprétation en renvoyant à l’origine iconographique des motifs animaliers et aux phénomènes religieux que connaissait la Syrie du Nord lors d’apparition de ces figures sur les mosaïques.
Many floor mosaics discovered in sanctuaries in Northern Syria and dating from the second half of the fifth and from the sixth centuries, display scenes of animals in conflict (in pursuit or fighting). These scenes have posed problems to scholars regarding their iconographical interpretation; some scholars believe that they represent the allegorical theme of the victory of Good over Evil. Others suggest that they are the symbol of the divine perfection of Creation. In this study we will suggest a new interpretation relying on the iconographic origin of animal motifs and on the religious phenomena which occurred in the Northern Syria and of which these iconographic themes on the floor mosaics are a consequence.
Entrées d’index
Mots-clés : mosaïque, Syrie du Nord, époque byzantine, animal, chasse, persécution
Keywords : mosaics, Northern Syria, byzantine period, animal, hunt, prosecution
Texte intégral
Introduction
1Un grand nombre de mosaïques ont été découvertes dans les villages de Syrie du Nord, dont l’essentiel des vestiges date de l’époque byzantine (ive -viie siècles apr. J.-C.) Ces villages se situent dans les régions de Ma‘arret an-Noumân et d’Apamée.
2Ces mosaïques sont ornées de motifs très variés (animaliers, géométriques, végétaux et architecturaux). Ce nouveau programme décoratif marque une rupture avec la tradition hellénistique qui a dominé l’art de la mosaïque à l’époque romaine (Balty, 1977 : 6).
3Ce changement fondamental du décor des mosaïques est lié sans doute à l’apparition de nouveaux commanditaires que sont les églises.
4Si les mosaïques datées entre la fin du ive siècle et le premier quart du ve siècle sont envahies par des motifs géométriques de différentes sortes, on remarque toutefois, à partir de la deuxième moitié du ve siècle, l’apparition d’une nouvelle tendance décorative. Il s’agit des représentations des scènes animalières. Ce nouveau goût va dominer l’art de la mosaïque jusqu’à la fin du vie siècle.
Problématique d’interprétation
5Si l’image symbolique est indiscutable pour certains motifs animaliers (évocation du baptême caractérisée par deux agneaux affrontés de part et d’autre d’un arbre, allusion à la vie éternelle signifiée par deux paons affrontés de part et d’autre d’un canthare), les scènes de poursuite ou de combat d’animaux posent encore de délicats problèmes d’interprétation.
6Je vais présenter dans cette étude quelques images d’animaux, s’affrontant ou se poursuivant, figurées sur des mosaïques découvertes dans des sanctuaires en Syrie du Nord. Puis je vais présenter les différentes interprétations proposées par les chercheurs. Enfin, je vais essayer de les réinterpréter en faisant référence à leurs origines iconographiques et aux nouveaux phénomènes religieux que connaissait la Syrie du Nord au moment où ces mosaïques sont apparues.
Les mosaïques ornées de scènes de poursuite et de combat
7La mosaïque in situ du Martyrium de Tayyibat al-Imam (situé à l’est d’Apamée), datée de 442 par une inscription, donne l’exemple le plus ancien de ce type de scènes. On voit sur les pavements des bas-côtés des prédateurs affrontés ou poursuivant leurs proies, par exemple un léopard poursuivant un cerf et une gazelle (fig. 1) (Zaqzuq et Piccirillo, 1999 : fig. 28).
8Sur la mosaïque de la basilique du Michaelion à Houarte (au nord d’Apamée), datée de 487, on observe aussi sur les panneaux des bas-côtés des scènes de poursuite et d’affrontement : citons un ours poursuivant deux chevaux ou mulets effrayés (fig. 2) et un léopard dévorant une autruche (fig. 3). (Canivet, 2003 : 195, fig. 5).
9Sur le pavement de la nef centrale de la mosaïque de Kafer Tab (provenant d’une église) exposée au musée de Ma‘arret an-Noumân, datée de la fin du ve siècle, est figuré un lion poursuivant un cerf (fig. 4).
10Sur le pavement de la nef centrale de l’église de Mezra‘a al-Oulia, datée aussi de la fin du ve siècle, on rencontre des fauves poursuivant leurs proies, comme par exemple : un léopard poursuivant un taureau, une panthère poursuivant deux ânes et un tigre poursuivant une biche (Donceel-Voûte, 1988 : 179, fig. 150).
11Deux panneaux de bas-côté de l’église de Saint Georges à Houad (au sud-est d’Apamée), datés de 568, comportent l’un un lion dévorant un taureau (fig. 5) et l’autre une tigresse poursuivant un cheval (fig. 6) (Donceel-Voûte, 1988 : 41, et 144, fig. 110, et 116).
12Une mosaïque de Syrie du Nord datée de la fin du ve siècle comporte des bêtes s’affrontant ou se poursuivant. Cette mosaïque, exposée au musée de Ma‘arret an-Noumân, est ornée d’un ours affrontant un taureau et d’une lionne poursuivant deux chevaux (fig. 7).
13La mosaïque de Sarâqeb, exposée au musée de Ma‘arret an-Noumân, datée de la deuxième moitié du vie siècle, comprend des couples d’animaux s’affrontant, par exemple un lion affrontant un taureau.
Les interprétations proposées par les chercheurs
14Les scènes de poursuite et d’affrontement entre animaux représentées sur les mosaïques du Proche-Orient ont fait l’objet de plusieurs études. Ces études proposent des interprétations divergentes, les plus récentes étant celles de J. Balty (Balty, 1977), de P. Donceel-Voûte (Donceel-Voute, 1988), de M. Merrony (Merrony, 1998), et de M. T. Olszewski (Olszewski, 1995).
15Tout abord, J. Balty considère que ces motifs sont décoratifs et qu’ils doivent être mis en rapport, que ce soit sur le plan des motifs eux-mêmes ou du style, avec l’influence de l’art sassanide sur l’art syrien du milieu du ve siècle (Balty, 1984, p. 456-457). Mais, en ce qui concerne les scènes animalières figurées sur les pavements de la basilique du Michaelion à Houarte, elle propose une interprétation selon laquelle les scènes de poursuite et d’affrontement suggèrent la lutte du monde que quitteront les catéchumènes après leur baptême (Balty, 1977 : 128). Par ailleurs, elle donne une autre interprétation pour la scène de sloughi poursuivant sa proie représentée sur la mosaïque de la cathédrale d’Apamée, datée de 535 : d’après J. Balty, cette scène évoque vraisemblablement les persécutions récentes subies par les orthodoxes sous le patriarcat monophysite de Sévère d’Antioche (Balty, 1977 :142).
16Pour P. Donceel-Voûte, les scènes de chasse entre animaux s’inscrivent dans le cadre de la représentation de la terre habitée et du monde sensible. Elle remarque que ce genre de motifs est visible notamment sur les mosaïques pavant les nefs d’église. Il est fort probable, d’après elle, que ces figures soient dessinées sur les mosaïques de l’église selon un programme iconographique symbolique représentant le cosmos divisé en sphères, la terre, le ciel, l’eau et le paradis (Donceel-Voute, 1988 : 488). C’est une théorie partagée par plusieurs autres spécialistes de l’art chrétien (Olszewski, 1995 : 10).
17M.W. Merrony propose de voir dans ces scènes des images apotropaïques qui protègent des attaques extérieures et aident à lutter contre les passions. Sur un plan allégorique, ces scènes représenteraient également la victoire du bien sur le mal (Merrony, 1998 : 487).
18Enfin, M. T. Olszewski traite également cette problématique en essayant d’interpréter ces motifs d’après la lecture d’un texte de Cyrille de Jérusalem. Selon lui, les bêtes féroces représentées dans toute leur puissance sont une image de la perfection divine de la Création (Olszewski, 1995 : 26).
19Bien que ces interprétations constituent un réel effort de compréhension de ces scènes, elles n’en restent pas moins des hypothèses. En outre, on ne doit pas exclure totalement une fonction ornementale de ces motifs, même s’il est peu probable que cette fonction soit la seule.
Un essai d’interprétation
20Il est difficile d’aborder la problématique de l’interprétation de ces motifs en faisant abstraction du lien entre l’architecture et le décor dans l’église. En effet, les scènes de chasse entre animaux ne sont visibles que sur des mosaïques qui pavent les nefs, ce qui a poussé certains chercheurs à proposer que ces scènes, surtout celles qui sont dessinées dans un paysage caractérisé par les arbres et les plantes, évoquent la terre, où domine la violence, alors que la mosaïque qui pave l’abside est ornée de scènes paradisiaques (Grabar, 1962 : 149). Pourtant, s’il est vrai que les motifs d’animaux combattant ne se rencontrent pas dans la mosaïque de l’abside, néanmoins les scènes paradisiaques sont parfois représentées dans les nefs. Dans certaines mosaïques des nefs, on peut trouver des animaux se combattant figurés avec des motifs paradisiaques. Cela veut dire que le programme iconographique et symbolique appliqué selon l’architecture de l’église n’a pas été toujours respecté. Aussi ne faut-il pas toujours lier le symbole que peut porter l’image sur mosaïque à son emplacement dans l’église. S’il est fort probable que certaines scènes de chasse entre animaux représentées dans un paysage symbolisent la terre, cela ne nous empêche pas de penser à d’autres interprétations plus approfondies de ces scènes, surtout si nous remarquons que, dans plusieurs mosaïques, les images de combat entre animaux sont figurées isolées sur fond abstrait, sans représentation du paysage.
21Nous pouvons donc tenter de saisir le sens que peuvent porter les scènes de poursuite et d’affrontement représentées sur nos panneaux en nous penchant sur leurs origines iconographiques et sur les phénomènes religieux qui ont animé la Syrie du Nord aux ve et vie siècles.
22En ce qui concerne l’origine des scènes de poursuite et d’affrontement, nous remarquons que ces scènes sont très proches de celles représentées sur les mosaïques d’amphithéâtre d’Afrique du Nord qui datent du iie et du iiie siècles, comme par exemple la mosaïque d’animaux d’amphithéâtre de la maison des Autruches à Sousse (Dunbabin, 1978 : pl. XXV, fig. 60), la mosaïque d’animaux d’amphithéâtre à Carthage (Dunbabin, 1978 : pl. XXIV, fig. 57) et celle de Dionysos et des bêtes d’amphithéâtre de la maison de Bacchus à El Djem en Tunisie (Dunbabin, 1978 : pl. XXVII, fig. 68).
23I. Lavin a déjà montré l’influence africaine sur les scènes de chasse des mosaïques d’Antioche datées du ve siècle (Lavin, 1963 : 266-274). Concernant les scènes animalières sur les mosaïques de Syrie du Nord, Katherine M. D. Dunbabin a fait le même rapprochement (Dunbabin, 1978 : 228).
24Non seulement le thème est le même, mais le style est également le même. La plupart des bêtes (affrontées ou se poursuivant) représentées sur nos panneaux sont empruntées au répertoire des animaux de l’amphithéâtre que l’on trouve en Afrique. Cela est bien visible dans le choix des animaux « paisibles » (cerf, gazelle, autruche et cheval [fig. 1-2-3]) et de leurs « prédateurs » (lion, ours, léopard [fig. 4]). De plus, dans certains cas, les couples d’animaux sont les mêmes, comme l’ours poursuivant une autruche (Zaqzuq et Piccirillo, 1999 : fig. 30) et l’ours affrontant un taureau (fig. 7-8).
25Ce qui renforce l’idée de l’origine africaine des scènes de poursuite et d’affrontement présentes sur certaines mosaïques de Syrie du Nord et datées des ve et du vie siècles est l’exemple fourni par deux panneaux exposés, l’un au musée de Ma‘arret an-Noumân (fig. 7) et l’autre au musée de Hama. Sur ces deux panneaux, les animaux sauvages sont désignés par des noms (fig. 7), ce que l’on trouve aussi sur quelques mosaïques d’Afrique du Nord comme par exemple la mosaïque du catalogue des animaux à Radès en Tunisie, datée du iiie siècle (Dunbabin, 1978 : pl. XXIV, fig. 58). Sur cette mosaïque on a désigné les animaux sauvages par des noms propres. D’après K. Dunbabin, ces animaux portant des noms appartenaient sans doute à la ménagerie de l’amphithéâtre (Dunbabin, 1978 : 72).
26Donc, nous pouvons dire que l’image du combat entre animaux représentée sur nos mosaïques est empruntée aux jeux d’amphithéâtre. Une question se pose : pourquoi a-t-on représenté de telles scènes, assez violentes, à l’époque chrétienne, en Syrie et notamment dans des sanctuaires, alors que les premiers chrétiens s’étaient indignés de tels jeux. Essayons de répondre à cette question en nous référant aux combats qui se déroulaient dans l’amphithéâtre. Dans ce dernier, il y avait des combats entre animaux sauvages et domestiques, mais aussi entre animaux sauvages et hommes. Ces hommes étaient des criminels ou des ennemis de l’empire romain. Parmi ces derniers, on trouvait des chrétiens persécutés qu’on livrait au martyre. Ainsi, la représentation des scènes d’amphithéâtre (bêtes s’affrontant ou se poursuivant) à l’époque paléochrétienne en Syrie du Nord pourrait peut-être rappeler les persécutions infligées aux chrétiens pendant la période romaine. S’agit-il d’une image métaphorique de la passion des martyrs ?
27Le fait que ces scènes apparaissent sur des mosaïques datées de la deuxième moitié du ve siècle et du vie siècle peut s’expliquer par le contexte religieux. À cette époque-là, la Syrie du Nord a vu apparaître de nouveaux phénomènes religieux, consécutifs à la victoire du christianisme sur le paganisme à la fin du ive siècle. Le phénomène le plus remarquable reste la vénération des martyrs, qui est attestée surtout par la découverte de reliquaires un peu partout dans les églises des villages de Syrie du Nord, remontant au ve et vie siècles (Pêna, 1997 : 132-133).
28Dans les mosaïques du Michaelion (Canivet, 2003 : fig. 5) et de Tayyibat al-Imam (Zaqzuq et Piccirillo, 1999 : plan 1), des scènes de transport de reliques (c’est ainsi qu’on comprend les scènes de portage) jouxtent des scènes d’animaux se poursuivant ou se combattant.
29L’historien Théodoret de Cyr (386-458) évoque en ces termes la popularité des martyrs parmi le peuple au ve siècle en Syrie du Nord : « Les philosophes et les orateurs ont été oubliés. Les gens ne connaissaient plus ni les noms des empereurs ni les noms des officiers. Toutefois, tout le monde connaissait les noms des martyrs, beaucoup plus même que ceux de leurs proches cousins » (Théodoret De Cyr, Graecarum affectionum Curatio 1033.A, VIII, 67).
30Étant donné la popularité des martyrs et la propagation de leur culte dans les villages de Syrie à l’époque byzantine, on peut penser que les mosaïques, notamment celles qui pavaient le sol des sanctuaires, pouvaient porter des images évoquant la passion des martyrs. Ce ne serait pas étonnant, surtout si l’on observe que ces mosaïques comprennent d’autres scènes animalières ayant des valeurs symboliques (la résurrection et le baptême). Ainsi les figures de bêtes domestiques poursuivies ou attaquées par des bêtes féroces pourraient représenter les martyrs livrés aux bêtes sauvages dans l’amphithéâtre. Autrement dit, elles offriraient une image allégorique de la passion des martyrs.
31Parmi les textes littéraires connus en Syrie à l’époque byzantine, on peut trouver quelques références à la persécution des martyrs chrétiens dans l’amphithéâtre et à leur combat contre les animaux féroces, notamment des textes d’Ignace d’Antioche et d’Origène.
32Parmi les martyrs les plus vénérés en Syrie à l’époque byzantine on trouve en effet Ignace d’Antioche, évêque syrien qui fut vraisemblablement déporté à Rome sous le règne de l’empereur Trajan et y fut livré aux fauves. Le récit de son martyre était très connu, tant en Occident qu’en Orient. Sa fête fut célébrée en Syrie à partir de la fin du ive siècle. Puis, au ve siècle, elle devint à Antioche une fête publique et y fut célébrée avec une grande magnificence (Srawley, 1910 : 25).
33Dans ses lettres envoyées aux Romains avant sa mort, Ignace d’Antioche parle de son martyre prochain par les bêtes féroces : « Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour devenir le pain immaculé du Christ. Caressez-les plutôt, afin qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien subsister de mon corps. Priez le Christ de daigner faire de moi, par les dents des fauves, une victime pour Dieu. Quand donc serai-je en face des bêtes qui m’attendent. Puissent-elles se jeter aussitôt sur moi. Au besoin je les flatterai, pour qu’elles me dévorent sur le champ ». Pour lui, ce combat et toutes les tortures du diable ne sont qu’un moyen de rejoindre Jésus et d’imiter sa passion : « Feu, croix, corps à corps avec les bêtes féroces, que les plus cruels supplices du diable tombent sur moi, pourvu que je possède enfin Jésus-Christ. Laissez-moi arriver à la pure lumière : c’est alors que je serai vraiment homme. Permettez-moi d’imiter la passion de mon Dieu » (Hamman, 1957 : 97-99).
34La représentation de la passion de martyrs par l’image d’animaux se poursuivant ou s’affrontant correspond à ce qu’on lit dans ce texte. Il n’est pas impossible que ces images symbolisant la passion de martyrs évoquent aussi la lutte de l’être humain contre le diable, qui apparaît comme un lion, d’après Saint Pierre : « Votre parti adverse, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi ». (Première épître de Pierre, 4 ; 11).
35Sur la terre pécheresse, les animaux sauvages battent les pécheurs ; c’est pour cela que les gens dignes comme les martyrs ne craignent pas les fauves, car leurs âmes seront préservées. Origène (iiie siècle), dont la théologie a marqué la tradition chrétienne à partir du ive siècle, aborde cette question dans ses Homélies sur Ezéchiel en parlant d’animaux sauvages envoyés par Dieu à la terre pécheresse, où les chrétiens dignes, les martyrs, ne craignirent pas de les affronter. Il parle précisément de leur combat avec les bêtes féroces : « Ces ours en effet signifiaient les autres bêtes vraiment sauvages et vraiment féroces, qui sont envoyées contre cette terre pécheresse. Or Dieu nous préserve que des bêtes nous soient envoyées pour la vengeance divine. Bien plutôt, disons dans la prière : « Ne livre pas aux bêtes l’âme qui te loue. Pour moi, je sais que les justes, persévérant dans la foi, livrés aux bêtes et déchirés par elles, sont heureux : c’est qu’ils n’avaient pas été livrés aux bêtes spirituelles et invisibles qui déchirent les âmes des pécheurs et enfoncent leurs crocs dans les cœurs des impies. Dès lors je suis disposé à mourir pour la vérité, face à la mort, je la méprise, dès lors, que viennent les bêtes féroces, que viennent les croix, que viennent les tortures, je sais que sitôt expiré, je sors de mon corps, je repose avec le Christ. Pour cela combattons. Pour cela luttons. Gémissons d’être dans le corps » (Origène, Homélies sur Ezéchiel, Le martyre, 4, 8,12, p. 476).
Conclusion
36Cette étude est un essai d’interprétation des scènes animalières dont la signification est aujourd’hui controversée.
37Il serait logique que le culte des martyrs, très présent dans la vie religieuse des villageois syriens, ait été évoqué sur les mosaïques des sanctuaires ou même des bâtiments profanes situés dans leurs villages. Dès lors, quel meilleur moyen de représenter le martyre des chrétiens que d’évoquer leur souffrances dans l’amphithéâtre ? Car si le supplice des bêtes féroces ne fut pas le plus utilisé pour châtier les chrétiens, il est certain que ce supplice a très fortement marqué les esprits.
Bibliographie
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Balty, J. (1984) – Les mosaïques de la Syrie au ve siècle et leurs répertoires, Byzantion, liv, p. 437-468.
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Donceel-Voûte, P. (1988) – Les pavements des églises byzantines de Syrie et du Liban, Louvain.
Dunbabin, M. D. K. (1978) – The Mosaics of Roman North Africa, Oxford.
Grabar, A. (1962) – Recherches sur les sources juives de l’art paléochrétien, Cahiers d’Archéologie, XII, p. 115-152.
Hamman, A. (1957) – L’empire et la croix, Paris.
Lavin, I. (1963) – Antioch hunting mosaics and their sources, Dumbarton Oaks Papers, 7, p. 181-286.
Merrony, M.W. (1998) – The Reconciliation of Paganism and Christianity in the Early Byzantine Mosaic Pavements of Arabia and Palestine, Liber Annuus, 48, p. 441-482.
Olszewski, M.T. (1995) – L’image et sa fonction dans la mosaïque byzantine des premières basiliques en Orient – L’iconographie chrétienne expliquée par Cyrille de Jérusalem (314-387), Cahier d’Archéologie, 43, p. 9-34.
Origène, Homélies sur Ezéchiel, texte latin, introduction, traduction et notes par Marcel Borret, S. J., Source chrétiennes, 352.
Pena, I. (1997) – The Christian Art of Byzantine Syria, Madrid.
Srawley, J.H. (1910) – The Epistles of Saint Ignatius, Bishop of Antioch, I. London.
Théodoret de Cyr, Graecarum affectionum curatio. Patrologia Graeca, 83.
Zaqzuq, A., et Piccirillo, M. (1999) – The mosaic floor of the church of the holy martyrs at Tayyibat Al Imam, Liber Annus, 49, p. 443-464.
Auteur
Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, UMR 7041, équipe Proche-Orient hellénistique et romain. komait1979@hotmail.com. Sujet de thèse : Les mosaïques antiques du Musée de Ma‘arret an-Noumân (Syrie du Nord). Directeur : François Villeneuve. Thèse soutenue en 2009.
Le texte a été vérifié sur plan scientifique par le professeur Jean-Pierre Sodini, à qui j’exprime ma gratitude.
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