Chapitre VI. Guerres justes et camps en présence
p. 209-233
Texte intégral
1La guerre met à mal toute sûreté : guerre d’expansion, guerre des rois, guerre d’occupation. Dès le n° 14, l’incrimination fuse et le persiflage est aussi une contre-argumentation (n° 139) : « L’histoire fait élever le mausolée du ministre Louvois au milieu des ruines du Palatinat incendié avec l’épitaphe “Exécration de la postérité « » pour une guerre « ordonnée par Louis XIV, exécuté par Turenne ». Face à Louvois qui défendit la caste militaire et concéda des faveurs à la noblesse, Colbert peut faire figure de grand administrateur dont la mémoire n’est pas entachée par le Palatinat, la « Vendée des rois », une façon de dédouaner le Comité de salut public d’avoir avalisé ou impulsé la guerre sans fin contre Chouans et Vendéens, des termes qui n’apparaissent jamais dans ce Salon imaginaire. Dans ses Mémoires, Barère reprend (t. 1, p. 344) : « Colbert ne fut-il pas persécuté jusque dans le tombeau ? Et il avait fait la splendeur et la richesse du royaume », pour y adjoindre une tardive perfidie à l’endroit de Necker, qui en avait fait l’éloge, mais, dit Barère (ibid., p. 342) : « Il ambitionne la palme du bel esprit en prenant les formes d’un esprit solide et grave. […] [Il] a loué Colbert, et [il] n’a rien fait d’après les vues de ce grand ministre. Les manufactures tombées en France sous son ministère ne peuvent plus rivaliser avec celles de l’Angleterre », ce qui est pour le moins partisan, et pour la bonne bouche, la vraie raison affleure (ibid., p. 344) :
« Il [Necker] soutient la guerre sans nouveaux impôts mais il écrase la nation par une masse effrayante d’emprunts. Il hypothèque aux prêteurs trois ou quatre générations de Français ; or les gouvernements sont comme les particuliers : si une génération vit d’emprunts, celle qui suit est ruinée à coup sûr. »
2Le traitement fait à la dépouille de Colbert revient avec insistance : « Sous le règne de Louis XIV, le parti de Louvois excita la populace de Paris à aller déterrer le corps de Colbert et à le traîner dans les rues. […] Louvois ne fut pas improuvé et le cadavre de Colbert fut exhumé et outragé par la populace » (Mémoires, t. 4, p. 59). Ces considérations reprennent l’Essai sur l’établissement monarchique de Louis XIV et sur les altérations qu’il éprouva…, de Pierre Édouard Lemontey, paru en 1818 :
« Louvois, soutenu par les passions de son maître survécut trop longtemps à son rival, et versa sur la France tous les fléaux de la fausse gloire. Le génie de l’un fut méconnu par les hommes simples et novices dont il fondait la fortune, et la postérité seule l’a nommé grand […] les arts décorèrent le tombeau du bienfaiteur de la noblesse. Travail superflu ! car le véritable mausolée de Louvois est aux ruines du Palatinat. Enfin pour achever par un trait plus singulier ce contraste du ministre des fabriques et du ministre des batailles, Saint-Simon nous apprend que le courage des Colbert et la poltronnerie des Le Tellier avaient passé en proverbe à la cour1. »
3De cette même page vient la tradition selon laquelle : « La populace voulut disperser les ossements du bienfaiteur du peuple ; les arts décorèrent le tombeau du bienfaiteur de la noblesse [Louvois]. » L’opposition de Louvois à Colbert, dans des termes identiques à ceux des notices 14 et 15, est tirée et reprise de cet auteur royaliste qui succéda à Morellet à l’Académie française. La référence est inattendue mais la circulation du thème peut tenir au fait que madame de Genlis venait de rééditer assez légèrement Dangeau. Lemontey critiqua ses choix comme ses erreurs, tant il était peu capable d’accepter une femme de lettres, serait-elle aussi bien-pensante que lui-même, qui, devenu censeur au bureau de l’esprit public, avait célébré en 1821 le souvenir de la peste de Marseille, soit l’action de Mgr de Belsunce.
4Avant Tocqueville, Lemontey développa la théorie de la continuité de la France centralisée d’Ancien Régime à celle de la Révolution. Outre sa publication des Mémoires de l’abbé Morellet chez Baudouin en 1823, deux noms éloignés des réseaux de Barère, le personnage politique qui avait été un élu de l’Assemblée législative avait produit le 10 avril 1792 des Articles supplémentaires au projet de décret présenté par le Comité de Législation, sur le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront constatés, après avoir fait un Discours sur les mesures à prendre pour assurer la tranquillité publique, le 30 janvier 1792, ce qui intéresse Barère. Lemontey défendit ensuite Lyon contre la Convention et devint royaliste, puis, sous l’Empire, librettiste d’opéra, produisant des pièces telles que Irons-nous à Paris, ou la famille du jura, un « roman plein de vérités » de 1804 qui suscita l’intérêt et la musique de Rossini pour son Voyage à Reims, écrivant pour le sacre de Charles X. Lemontey entra à l’Académie en 1819 et il livra des notices sur Colbert (imprimerie de Busscher, s. d.) et Helvétius (imprimerie de Plassan, s. d.) et dans La Revue encyclopédique de juin 1822 et d’août 1823, concomitantes des débuts du Salon imaginaire. Barère ne partagea que peu avec ce personnage, sauf à critiquer simultanément l’expédition d’Espagne, présentée comme une guerre de la Sainte-Alliance, mais en vertu d’une échelle de valeurs différente. L’académicien est moins soucieux de la récente guerre d’indépendance espagnole que de la détestation de Chateaubriand qui réunissait un arc politique et social fort hétéroclite.
5L’utilité des guerres de religion fut de donner la grammaire de la guerre civile en France et de masquer ensuite toute autre forme d’intolérance. Issu d’une des villes qui fut entièrement dévastée lors des guerres de religion et devint un bastion du combat contre-réformé face au Béarn, Barère resta attentif à la question des protestants. Il rapporta dès la Constituante sur la restitution de leurs biens non aliénés depuis la révocation de l’édit de Nantes. Cette bienveillance ne s’étendait certes pas aux dissidences du type de la Théot ou aux résurgences de scissions du genre de celle de la petite Vendée, mais son regard s’en oriente définitivement vers le paradigme de l’intolérance, l’inquisition, fort classiquement vue comme une institution d’État, plus encore de ces États « féodaux » qui sont regardés comme les fauteurs des malheurs du monde. Les guerres sont donc justes si on combat (n° 82) : « Le despotisme éclairant les peuples à la lueur des bûchers et des autodafés. » L’héritage des Lumières et la geste postrévolutionnaire s’en trouvent promis au meilleur avenir colonial à consonance chauvine, l’expédition d’Égypte n’étant au départ jamais pensée en termes d’agression (n° 53) :
« L’Égypte, sortant du tombeau à la voix d’un guerrier qu’elle prend pour un nouveau Sésostris et qui marche à la tête de héros français ; trente siècles debout et du haut des pyramides applaudissent à cette bataille de géants qui combattent contre les Barbares Ottomans et les féroces Mamelouks aux pieds de ces antiques tombeaux des Ptolémées. »
6La lutte des Grecs transforme alors les Ottomans en Turcs barbares, dont la religion attire les anathèmes. On en escamote le grand moment musulman de la Méditerranée au profit d’une plus haute Antiquité (n° 141) : « L’invasion de l’Égypte par l’armée française que commande Bonaparte ; à la suite de l’armée sont les savants qui écrivent l’histoire de cette antique contrée des Sésostris, des Pharaons, des Ptolémées. » Dès avant Brumaire, le nationalisme et l’impérialisme sont solidaires du patriotisme (n° 53) : « L’Égypte […] prend pour un nouveau Sésostris [celui] qui marche à la tête de héros français. » Le philhellénisme libéral se glissa dans ce moule et renforça la haine et le mépris porté aux Ottomans. Chaque notice en faveur des Grecs incrimine directement ou par ricochet le monde turc et la diplomatie occidentale ; ce sont les notices 117, 125, r45 qui, à l’instar du n° 138, définissent les années Missolonghi du martyrologue grec ;
« Deux ministres, l’un gascon, l’autre allemand, un budget à la main sacrifient l’humanité au nom d’une paix hypocrite, sur l’autel de l’islamisme et font assister, avec une barbare indifférence, les rois de l’Europe chrétienne au spectacle de l’extermination des Grecs par les Turcs et les Gallo-Égyptiens », ce qui reprend (n° 117) ; « La Grèce expirant et dévouée à la mort par l’égoïsme et l’hypocrisie des princes chrétiens, s’avance avec la gloire et la liberté vers le tombeau (la mère des peuples civilisés a été assassinée par ses propres enfants sous les yeux indifférents des rois) » et (n° 125) : « La Grèce expirante dévouée à la mort par l’égoïsme et l’hypocrisie des rois chrétiens s’avance avec la gloire vers le tombeau creusé par des Turcs, des Arabes, des Égyptiens, des Français, des Anglais, des Russes et des Autrichiens », puis (n° 145) : « La Grèce expirante et dévouée à la mort par l’égoïsme et par l’hypocrisie des princes de la chrétienté s’avance avec la gloire vers le tombeau. »
7 Les Français engagés chez les Turcs deviennent de simples traîtres (n° 160) : « Les Grecs vainqueurs en 1826 des hordes d’Ibrahim font fusiller par-derrière comme lâches et apostats trois officiers français qui conduisaient les Arabes et les Égyptiens contre la Grèce », et l’on accepte leur châtiment réservé aux ennemis de l’intérieur, même si l’on sait que c’était un groupe d’officiers, autour de Sève, qui avaient été officieusement recrutés. L’Égypte est vilipendée sous tous ses aspects, dès le n° 61 :
« L’Égypte du 19’ siècle trafiquant de ses Arabes, de ses Nubiens, de ses esclaves pour aller exterminer les héros de la Grèce et vendant ses monuments antiques et ses dégoutantes momies à l’Europe savante. »
8Barère est visiblement phobique de ces momies et des corps putrescibles, cet envers trop physique du beau idéal, l’échec du rêve hédoniste. Il en rejoint les positions de Quatremère de Quincy qui plaide, assez en vain, pour le maintien des œuvres en place, et sa position condamne les Anglais, dont les spoliations ne sont jamais assimilées à la vocation du Muséum de conserver toutes les réalisations du passé.
9Le poids du philhellénisme politique est majeur ; Barère lui consacre son ultime engagement militant, surtitrant souvent, et pendant dix ans, ses feuillets Mémorial des Grecs ou le 19e siècle (F 103)2. Ces feuillets laconiques ont la charge d’un tract contemporain, ils sont portés par la sympathie pour ce petit peuple en lutte. Son héroïsme incite au respect. On rappelle Parga, Souli et bien d’autres hauts faits. Le paroxysme correspond au printemps 1826, dans l’attente de l’annonce de la chute de Missolonghi, alors que les concerts de soutien se multiplient en Europe. La France est définie comme « toute grecque », à l’exclusion de ses fonctionnaires. À Paris, le concert du Vauxhall est signalé ainsi que les quêtes faites par les femmes de la société dans les rues ; à Bruxelles, La cantate pour les Grecs de M. Ph[ilarète] C[hasles], chantée dans une société publique le 28 mars 1826, folio 181, fait l’événement. Fidèle à David qui vient de mourir, Barère commente :
« Ce courage des Missolonghistes attend aussi un autre génie comme celui de David pour animer la toile : il gravera sur les ruines des fortifications de ces nouvelles Thermopyles ces dernières paroles des braves : une terre arrosée de sang ne se vend point. »
10Le sang sacralise et les propos liés au vote de la mort du roi, tels que : « L’arbre de la liberté s’arrose du sang des rois », reviennent en écho mais ce sont toutes les publications d’époque qui sont reprises. Barère a probablement rédigé des papiers au coin du marbre pour le journal francophone de Bruxelles, Le Courrier des Pays-Bas, dont il a découpé un de ses articles, imprimé, mais non signé, si ce n’est par son style fort reconnaissable.
11 L’actualité envahit également les Salons de peinture. En 1827, l’élève de David, Joseph-Denis Odevaere, qui pratique la touche lisse de son maître, accrocha Les derniers défenseurs de Missolonghi, aujourd’hui présents au Rijksmuseum d’Amsterdam. Barère est moins convaincu par Ary Scheffer, même s’il n’a probablement rien pu en connaître par lui-même. Odevaere apparaît dans ses Mémoires comme le seul peintre étranger lui ayant rendu visite3 :
« Le moment où les débris de la garnison se dévouent en mettant le feu à la mine qui doit les faire sauter a occupé à Bruxelles le pinceau de M. Odevaere et à Paris celui de M. Scheffer. Ces deux tableaux méritent d’être comparés. L’exécution de M. Odevaere est plus de l’école du grand maître David. L’exécution de M. Scheffer pèche par les formes et par les détails. Il n’a pas mis assez de soin dans les accessoires. Tout est soigné dans l’ouvrage de M. Oderware [sic], celui-ci ne s’est pas écarté du positif qu’il y a dans la peinture. L’autre a donné dans l’arbitraire et la manière. »
12Tout est dit : l’engagement politique de l’auteur ne l’exempte pas des critiques portées au nouveau style qui enthousiasme la jeunesse romantique. Non seulement les vieux jacobins ne considèrent que les notices officielles du Salon qui rapportent des faits et portent le message politique qui est le leur, mais rien ne leur ôte de l’idée que ces peintures doivent en rester aux codes académiques du grand genre classique4. Le n° 909 du Salon, M. Rossignon, rue Buffault, n° 15, présentait un Siège de Missolonghi ainsi : « La garnison de Missolonghi ayant pris la résolution de s’ensevelir sous les ruines de la ville, la population entière se confessa et reçut, le 20 février 1826, la communion des mains de l’évêque Joseph de Rogous. » Barère ne le cite pas, car ce tableau est trop subordonné à la religion. Scheffer est en revanche connu pour ses fréquentations libérales, le duc d’Orléans et le banquier Lafitte qui a acheté le tableau : « M. Scheffer aîné, n° 943, Jeunes filles grecques implorant la protection de la Vierge pendant un combat (Mgr d. O.) », n° 946. « Les débris de la garnison de Missolonghi au moment de mettre le feu à la mine qui doit les faire périr (ce tableau appartient à M. Laffitte) », dit la notice du même salon. Scheffer avait également produit un Jeune Grec défendant son père5 et, en 1826, il participa à l’exposition « au profit des Grecs » de 198 tableaux, galerie Lebrun. Son irrecevabilité n’est donc pas politique mais picturale. Barère ignore plus encore les innovations de Delacroix. Son audace ne dépasse pas les propositions ambiguës mais toujours très lisses de Girodet qui, de surcroît, a illustré des volumes sur la Grèce parus en 1828, ce qui a permis l’accès du grand nombre à ses compositions6.
13La lutte des Grecs mobilisa le xixe siècle libéral au titre de la légitimité de la subjectivité politique progressiste, mais les chrétiens n’étaient pas en reste, autour du plus petit commun dénominateur : l’admiration donnée à la lutte nationale d’un petit peuple. Des industriels de Liège adossés aux libéraux « belgiques » dans le soutien aux malheureux Grecs croisaient des catholiques qui en firent le moment d’une résurgence de l’esprit de croisade contre l’islam. Barère a beau avoir récusé point par point la note de Chateaubriand produite fin 1825, il cède facilement lui-même à des formules qui restituent à un combat contre l’islam cette lutte nationale au cœur des rivalités des puissances. La subjectivité politique et le militantisme des uns et des autres perturbèrent le « concert européen », dont l’expression militaire et navale mena à l’expédition de Morée et la destruction de la flotte de Méhémet Ali à Navarin. La constitution d’un état imprévu dans l’échiquier politique de 1815 réveilla la marche conquérante d’un Occident qui s’en affirme comme tel. Ce retentissement européen créa l’Europe, sur des bases sensibles, autrement ancrées dans l’opinion que la Sainte-Alliance.
14Pour les libéraux, le Turc est plus que jamais au ban d’un monde qui s’en redéfinit comme chrétien : on en appelle alors à Tolbiac comme à Sobieski (n° 142) : « Les musulmans ayant envahi le nord-est de l’Europe jusqu’à Vienne [sic], le roi de Pologne Sobieski vient au secours des Autrichiens et chasse de Vienne les armées ottomanes et délivre l’Europe du joug de l’islamisme. » Ces souvenirs de gloire polonaise sont propres à faire accepter leurs soulèvements nationaux, malgré l’issue donnée en n° 204 : « Le remords se penche sur le chevet du lit d’un ministre d’un roi des Français et lui crie : « Pologne détruite ! L’ordre règne à Varsovie « … », une formule de septembre 1831 qui correspond à la tardive réponse à la situation donnée par le ministre des Affaires étrangères Sébastiani, réponse d’ailleurs sciemment tronquée pour l’accabler, car une partie de l’opinion, le Mouvement, n’aurait pas refusé d’intervenir au secours de Varsovie insurgée.
15La religion seule ne détermine pas l’engagement philhellène mais réveille le thème de la lutte contre l’islam, et même l’islamophobie, jusqu’à permettre un retour positif, c’est bien le seul, à la première dynastie (n° 136) :
« Un maire de palais, Charles Martel, va combattre les Sarrazins que commandait avec succès Abderame, lui livre une bataille générale à Tolbiac, près de Poitiers, défait l’armée nombreuse des barbares africains et délivre le Midi de l’Europe du joug de l’islamisme. »
16 Ces contingences rejaillissent aussi sur les croisades historiques, malgré les réserves usuelles (n11 137) :
« Deux moines, Pierre l’Hermitte et saint Bernard, un crucifix à la main, et portant une bannière sur laquelle le moine picard a inscrit ces mots : Dieu le veut, insurgent et font armer toute l’Europe pour venger quelques pèlerins mis à mort à Jérusalem par les Sarrazins. L’Europe et l’Asie sont aux mains pour la domination religieuse. »
17Le souvenir et la légende de ce qu’Alphonse Dupront qualifia de « pulsions et puissances de départ » ne parviennent pourtant pas à susciter d’empathie7. Ils disent moins les prémices des émancipations en cours que le protestantisme naissant qui rompit réellement avec les constructions impériales ou papales, soit (n° 190 bis) :
« Luther et Mélanchthon réunis pour méditer sur la réforme religieuse s’excitent en chantant dans la langue nationale le cantique qui commence par les mots “Dieu est notre forteresse”. C’est au peintre à saisir et à exprimer le moment d’inspiration et de courage des deux grands réformateurs. »
18Il est symptomatique en outre de voir que Barère reverse à la Réforme l’inquiétude de l’aventure politique et un capital de sympathie dus à leur passé d’exclus. Il comprend la puissance de l’hymne, religieux ou non, tant cela fait partie du dispositif de fonctionnement des identités nationales naissantes. En outre, la passion de la voix est une des caractéristiques de Barère, habitué de l’opéra8. On retrouve ainsi une des marques du xixe siècle que le sociologue et amateur d’opéra, Michel Poizat, a analysée, précisément en psychanalyste : le pouvoir de séduction de la voix est celui de l’injonction verbale et plus encore chantée, qui devient celle de l’un et peut devenir ravageur selon son analyse anthropologique rénovée de son approche9. Le chant, la quintessence de ce qui en devient inaudible chez la soprano, la diva, mais pas seulement là, devient pure indistinction et pouvoir d’absorption et donc de destruction absolue.
19Là encore, l’invention du fait national grec comme fait européen sollicite le retour aux fondamentaux du monde contemporain et de ses schémas politiques révolutionnaires dans un « jeu de reflets » dont Maria Tsoutsoura a poursuivi les traces dans le champ littéraire10.
Courage, peurs et révolutions
20Le peuple des grandes journées révolutionnaires crée, il n’a point besoin de guide, les situations produisent leurs leaders sans s’encombrer de ces « grands hommes » d’un jour ni de possibles préparations clandestines, celles que constatait ou évoquait Chamfort lors de la prise de la Bastille, « cette affreuse prison ». La notice n° 133 : « Le peuple de Paris prenant la Bastille et enfonçant les portes des cachots pour délivrer les prisonniers11 », en reste aussi succincte que le n° 155 : « Le peuple de Paris renversant les statues et les brisant sur les places publiques. 1792. » On pense alors aux Révolutions de Paris, n° 161,du 4 au 11 août 1792, qui montrent la chute des statues d’Henri IV sur le Pont-Neuf, celle de Louis XIII « à la place ci-devant royale », celle de Louis XV, place Louis XV (devenue place de la Concorde) ou encore celle de Louis XIV, place de l’Hôtel-de-Ville12. L’Assemblée législative avait avalisé le mouvement populaire afin de convertir en canons ces monuments « élevés à l’orgueil, aux préjugés et à la tyrannie » dès le 14 août, mais les faits étaient antérieurs. Thuriot, dès le 11 août 1792, fit débattre de la destruction des emblèmes de la monarchie et des statues des rois, or ce conventionnel fut proche de Danton au point de devoir quitter le Comité de salut public pour incompatibilité avec Robespierre. Il participa ensuite au 9 thermidor et défendit Barère et les « quatre grands coupables », avant d’être lui-même décrété d’accusation après le 1er prairial. Comme Barère, il dut alors prendre la fuite, puis, en tant que régicide rallié aux Cent-Jours, il connut également l’exil belge, mais à Liège où il vécut de son métier de juriste jusqu’à sa mort en 1829. Les éléments donnés par Barère sollicitent le symbole en éludant toute formule qui incriminerait quiconque ici ou ailleurs. La manie de prudence oblige bien plus encore à taire le contexte des massacres de Septembre et de leurs vrais et faux secrets afin de ne pas rajouter la rumeur à l’horreur. Dans un système de souvenirs, la trame mémorielle porte la trace des compagnonnages noués au fil de parcours similaires.
21Barère a participé au Comité qui s’occupa de l’organisation des prisons avec Mirabeau et le marquis de Castellane. Quand il rappelle le 14 Juillet, il accrédite sans vergogne la thèse des ténébreux et horribles cachots. Le mythe n’excita les critiques que très postérieurement, avec Victorien Sardou et l’historiographie réactionnaire de Funck-Brentano13. La logique républicaine est autre : il s’agit d’opposer la solarité des Lumières au roman noir des infamies sans fin. Le 13 juillet 1790, Barère avait demandé que l’emplacement de la Bastille ne soit pas loti et demeure vide, ce que prolonge, peut-on considérer, l’évocation en partie religieuse (n° 51) des « Romains élevant une colonne de 100 pieds de haut au soleil, sur la Voie Sacrée ». Cette hauteur (plus de 30 mètres) est au quart des cinquante toises (environ 120 mètres) qu’avaient prévu Gatteaux et Meunier, place de la Bastille, ce qui devait en faire le point le plus élevé de la capitale et aurait affiché divers symboles, dont une Liberté à son sommet. Les colonnes de lumière érigées pour la fête de la Fédération de juillet 1790 au Champs-Élysées avaient une hauteur moindre14. À Rome, la fête de la Fédération se déroula avec une colonne, évidemment indispensable, quand on édifia un autel de la Patrie place Saint-Pierre15. On sait aussi qu’une colonne devait s’élever à Calais en l’honneur du retour de Louis XVIII sous la Restauration, que la chose fut très controversée et le monument malmené16. La dichotomie ombre/lumière et l’agencement de signes et symboles aux sommets des pyramides, colonnes et obélisques divers offrent une symbolique constante pleine d’enjeux.
22La prudence, qui ne laisse rien en pâture aux possibles descentes de police, n’engendre pas que la litote, elle oblige à la langue de bois, tant sur la mort du roi que sur les grandes journées révolutionnaires dont la liste se clôt en formules péremptoires ou creuses. Comme dans l’aphorisme, la banalité des sentences énoncées ferme la discussion avant de l’entamer et elle oscille entre l’analyse et l’aphorisme, le mot d’esprit et la galéjade :
« Caractère des révolutions françaises
La Révolution du 14 juillet, du 10 août, est une révolution de peuple, de nation
Celle du 20 juin est une révolution de château
Celle du 31 mai est une révolution de cabaret,
Celle des 5 et 6 octobre est une révolution de la rue,
Celle du 12 germinal est une révolution de boudoir,
Celle du 13 vendémiaire est une révolution de caffé,
Celle du 18 fr[uctidor] est une révolution de palais,
Celle du 30 prairial, une révolution de [caci ? (illisible)] ques,
celle du 18 br[umaire]est une révolution de l’armée pour sauver la nation17. »
23Ces formules portées par l’esthétique de la pointe permettent ce que la peinture ne saurait représenter ; le persiflage renégocie les certitudes désabusées. Des faits et journées auxquels Barère avait participé s’en trouvent requalifiés, ce qui réintroduit du débat, même si l’invention verbale réduit le concept à son esquisse.
24La réminiscence d’anecdotes donne néanmoins des directions d’analyses. Les insinuations supposent que la Gironde n’est que cabaret, sans doute par attraction avec son supposé libertinage religieux, mais cela laisse surtout entendre que la tactique du 2 juin relégua au loin les sections de la garde nationale qui lui étaient favorables : ce dispositif la mit en échec et permit son élimination, mais ce n’est aucunement parce qu’elle n’aurait d’autre lieu de regroupement ou d’attente que lesdits cabarets18. Le 12 germinal est associé à la société des merveilleuses et des muscadins, des conspirateurs du café de Foy, des lieux publics également fréquentés par les royalistes, mais socialement plus relevés que les cabarets jacobins ; les muscadins tiennent la rue et ont en effet succédé aux sectionnaires en s’appuyant sur des lieux plus choisis. La relecture de la Révolution se termine quand la tribune nationale se couvre d’un voile en 1795, n° 69, et indirectement, n° 83, quand : « La tyrannie fermant toutes les portes du temple des lois et fait graver sur les marchés du temple “Bien public” . L’image allégorique est habituellement prescriptive, déportée vers l’avenir. Ici, elle signifie un état passé du futur, de là le recours indispensable à l’élément narratif contextualisant que représente la date19. »
25La rue, qui n’est pas le peuple n’existe réellement que pour les 5 et 6 octobre 1789 ; à l’époque Le Point du Jour était resté laconique et Barère, à titre personnel, incapable de comprendre la portée anthropologique de cette émeute, et peut-être de toute émeute, jusque dans les Mémoires (t. 1, p. 239) :
« La soirée fut effrayante. Une foule de gens armés de toutes manières inonda en quelques heures toute cette avenue de Versailles – jusqu’aux grilles du château qui venaient d’être fermées. Des femmes furieuses étaient assises sur des canons et jusque sur des caissons qui les suivaient. Bientôt la garde nationale et des grenadiers nombreux vinrent grossir la foule qui déjà avait forcé la première grille, et attaquait celle de la petite cour de marbre. La consternation et le tumulte, les cris, les provocations, les menaces, les coups de fusils, voilà le tableau abrégé de cette soirée. La nuit fut plus affreuse encore : des portes enfoncées... des meurtres... je m’arrête, c’est à l’histoire à redire ces déplorables scènes de violence et de cruauté. Plusieurs gardes du corps, qui défendaient le poste qui leur était confié, y perdirent courageusement la vie. »
26Offusqué, Barère parle de la « rue » mais jamais de la « lie de la population », comme le fera Cuoco pour les lazzaroni de Naples. Il y a bien intempérance populaire, les 5 et 6 octobre sont sidérants pour qui ne comprend pas la transgression politique de masse, subversive et carnavalesque, mais ils n’engendrent pas la moindre réflexion sur l’immaturité du peuple, lequel reste la force qui étaie le changement. C’est rétrospectivement que le thème de la maîtrise des forces sociales et donc de l’art de gouverner s’est imposé : « On peut tout faire ; la difficulté ne réside que dans la manière. […] Le grand talent du réformateur consiste à mener le peuple de manière à ce qu’il fasse de lui-même ce que lui voudrait en faire », dit Cuoco. L’infléchir dans ses désirs, orienter sa volonté sont tout le savoir que requiert l’homme d’État. Cette capacité d’agir apparente ce dernier à un gestionnaire inspiré plus qu’à un meneur de foule, la chose du monde la plus étrangère à Barère. Il n’en affiche que mieux un ethos d’homme de bureau, mais dans le paradoxe d’une légitimité issue de la représentation fondée sur une élection, le choix d’une communauté en dehors de tout prophétisme. C’est ainsi que se combinent historiquement le « philosophe moral » au représentant du peuple, ce qui ne signifie aucunement une posture de politique par profession, au sens des appareils du xxe siècle, mais réalise néanmoins la formule de Max Weber (als Beruf)20.
27Le peuple pacifié et rassemblé, le peuple « tout entier » ne se saisit que lors de cérémonies collectives et donc religieuses. Il communie dans un culte, tels les Romains de l’an 75 de l’ère chrétienne, hors tout culte précis. En n° 146 : « Un peuple reconnaissant célébrant les funérailles des braves morts pour la patrie de la liberté : la victoire pleure leur perte » peut évoquer La fête à l’honneur des républicains morts le 10 août, une gravure des Révolutions de Paris qui élargit à la fondation républicaine les honneurs rendus aux soldats non qualifiés en tant que militaires, mais pour leur vertu et leur fonction, tous points sur lesquels Eschassériaux rapporta21. Plus abstraitement, ce peuple a sa téléologie sans finalité, celle du temps, la divinité unadored de Young, « un seul peuple reconnaissant et confiant dans l’avenir qui lui élève un autel et lui sacrifie un taureau » (n° 182). Que ce soit célébration de gloire ou de compassion, il n’est de peuple que dans le cadre d’une religiosité sans eschatologie. Tout repose donc sur les sens fluctuants du mot « peuple » que Barère n’utilise pas de façon polémique. Quand il a rencontré la volatilité sémantique et conceptuelle du terme chez Cuoco, dans ce qui est plus qu’une histoire, un essai, il n’a jamais accepté de stigmatiser la populace, car la nouvelle réalité se construisit en son nom et dans la rue les jours d’insurrection22. Ce peuple n’est évidemment pas (re)présentable quand on n’entend point son projet politique, le 5 octobre, mais il n’est pas la « populace » de la Ligue des guerres de religion ni le peuple parisien dévoyé par Le Tellier. Le terme ne stigmatise vraiment que les « agents subalternes » des bureaux. En revanche, le peuple devient l’hypostase de la liberté, pour peu qu’un décor, une chaîne narrative ou une institution l’encadrent et lui redonnent la légitimité qui est la sienne, telle la très polysémique notice finale d’une humanité réconciliée qui s’affiche au pied du « génie de la force vitale ». Le génie au papillon, signe de vie, puis la mort s’enchaînant, des jeunes gens et jeunes filles, ni tristes ni soumis, subsument la liberté retrouvée en dehors de tout horizon ténaréen ou sacrificiel, dans un rêve hölderlinien concomitant, celui de la mort d’Empédocle. Une eschatologie laïque, qui prend alors en charge la foi (dans la liberté), la charité (du nombre) et l’espérance, n’est que l’énigme d’un marbre antique mais correspond à la vision du peuple en aval de l’action politique, alors que, de façon contingente, Cuoco avait envisagé l’échec d’une révolution, en constituant le peuple en une unité organique préexistante là où l’action politique devait le fonder. La méconnaissance des particularités napolitaines en devient secondaire.
28Désormais instituant, le peuple, force empirique, fonde les régimes, successivement la monarchie constitutionnelle, puis son renversement. Il invente l’ordre de la loi qui en retour l’institue. Vient alors la question de la loi juste, qui ouvre la réflexion du Salon imaginaire quand le président de La Vacquerie refuse d’enregistrer une loi injuste qui, verra-t-on, renvoie à la loi des suspects23. À regard rétrospectif, cette référence structure la pensée de Barère sur la Révolution. Elle n’en offre pas la clé, mais le locus, le lieu du débat rétrospectif. La question structure le travail politique du légiste, et c’est là que la modération, une valeur inscrite dans les codes moraux, interfère, car la justice est une affaire institutionnelle qui a subsidiairement partie liée avec l’éthique, valeur transcendante, celle que gère en partie la haute culture policée. La grille d’analyse en devient partiellement autocritique dans un feuillet préparatoire, De la pensée du gouvernement, qui prolonge la réflexion lénifiante sur les peuples (F 93, f° 97) :
« Des crises politiques ou des révolutions
Dans ces époques inévitables et terribles dans la politique, comme les orages et les tremblemens de terre dans la nature, les loix doivent être sévères mais les juges ne doivent jamais l’être.
C’est le vice qui a fait périr les loix révolutionnaires ; en France, elles devaient être de peu de durée, on en a fait une forme durable de gouvernement. Elles devaient être sévères, mais les juges et les tribunaux de la Révolution étaient plus sévères que les loix de la révolution, que dis-je, ils étaient atroces. Ils ont exagéré des loix terribles et tout a été frappé de l’anathème de l’opinion nationale. Ces loix momentanées devaient être claires, précises, elles étaient vagues, arbitraires, tyranniques par la facilité des commentaires et des applications générales. C’étaient des loix apellées Majestatis chez les Romains. C’est Néron et Tibère qui les inventèrent.
Ces loix devaient être relatives au caractère national ; elles le violaient cruellement. Le Français, né violent et extrême, est doux et humain. Il tue, il extermine le 14 juillet 1789. Le lendemain, il pardonne, il oublie tout. Le républicain verse le sang dans les combats. Il l’épargne sur la place publique. La peine de mort fut le code des rois ; ce supplice est effacé du cœur et du génie français. »
29Ce discours n’est qu’un tissu de contre-réfutations pour expliquer les principes d’exceptionnalité du Comité de salut public et le consentement à la Terreur. La loi des suspects du 17 septembre 1793 (sur le rapport de Merlin de Douai) évacue la faute vers les juges, et donc essentiellement le Tribunal révolutionnaire, que contrôlèrent peu à peu Robespierre et ses hommes « atroces ». Ce jugement, qui vaut ce que valent les arguties, garde une logique de juriste, car le plus contestable se fit dans la logique du droit en cours. Il n’y eut aucunement manquement, et la faute politique tient aux lois, qu’on les ait surinterprétées (ce qui serait la faute des hommes) ou pas, et si elles prêtaient à la surinterprétation, elles étaient donc fautives. C’est ainsi que la Terreur, sans jamais avoir été à l’ordre du jour, fut responsable mais non point coupable.
30Quant au « peuple français » si versatile, est-il prévisible, est-il un ? Est-ce le même, a-t-il donc une nature ou agit-il de différentes manières selon les crises qui définissent davantage des moments qu’elles ne mettent à l’épreuve des acteurs ? Pas plus que les faits, les forces n’ont de nom propre : nul n’est désigné, point de classe ni d’identité collective propres à créer des lignes de démarcation. En revanche, subsumer en son nom les forces sociales en présence nie le jeu contradictoire de la démocratie sans en interdire la pratique, même révolutionnaire. À ce titre, Barère, homme de cabinet qui a un langage formé par Rousseau mais avec des réflexes montesquiliens, ne s’intéresse qu’à la défense de l’État et s’en tient intellectuellement à l’abstraction de la généralité. Il passe ainsi de l’action précise à un discours de la régularité morale qui, avec les sciences camérales, tient lieu de science sociale naissante. Une galerie de tableaux entend proposer les facettes sensibles de la réalité et des cas concrets sans en passer par les Idéologues. Les images erratiques des présocratiques en deviennent plus judicieuses que l’histoire académique fondée sur une cohérence narrative et philosophique à la manière de Voltaire ou de Rousseau, qui entendent tout autant écarter les faits qu’établir des sentences ou des discours normatifs. Le paradoxe du témoignage qui est aussi réflexion est qu’il n’inscrit que les buts du futur dans l’ambition du présent.
31Dégager en touche par l’émotion évite de comptabiliser comme de nommer, quitte à fuir en avant dans l’excès et à verser dans le sublime24, sans abandonner une éthique qui est aussi esthétique baroque, dont Barère avait conscience puisqu’il retourna vers la Philosophie morale de Tesauro en l’an V. Cet auteur préconise un style de la convenance qui est éloquence, devise et formule, forme et fond, autant que pratique curiale de la pondération. Cette esthétique se poursuit dans sa Philosophie morale par une éthique du ni trop ni trop peu qui a donné le moule des grands serviteurs de l’État des pays latins, au point d’être encore utilisée dans les collèges d’Amérique latine jusqu’au milieu du xixe siècle. On y maintient les vertus cardinales de justice, de force et de prudence qui permettent l’exercice de la tempérance. Barère, lui, servit un monarque devenu « Patrie », selon la devise qu’il donna à son dernier éloge de Montesquieu présenté au concours de l’Académie de Bordeaux. En 1800, il en maintenait la formule : « Patrie : Vous n’êtes point à vous, le tems, les biens, la vie, rien ne vous appartient, tout est à la patrie », là encore la formule ignorait ses possibles développements, mais le xviiie siècle des Lumières ne permettait pas les expérimentations totalitaires du xxe siècle.
La peur ou la loi
32L’humaine condition s’évoque à la charnière du tragique revalorisé des drames de la Révolution qui devient, pour les romantiques, un monde de passions sans rivage. La romantique vague des Prométhée retraduits d’Eschyle devient un hymne porté à l’humanité, le Prométhée déchaîné de Shelley rompt avec le stoïcisme hérité de l’âge classique. Finis, la servitude volontaire et l’effort « hors de nature », celui du néostoïcisme qu’a étudié Monique Cottret25 ; la morale des Lumières a changé de statut, elle n’est plus perfection de soi, mais rapport à la loi bravée ou reconstruite, assumée ou bafouée (exergue F 46.3) :
« De la morale, de moi, an 7
La morale est privée ou publique. La morale privée est la lumière naturelle qui conduit l’homme par la tête et par le cœur, par la raison et par le sentiment.
La morale publique est la volonté générale réduite à la loi. C’est la législation politique, civile et instructive. C’est la science relative à l’instruction de la société. »
33Roederer posait la question de la société à construire dans son 8e Discours sur l’organisation sociale au lycée en l’an I selon la gestion « rémunératoire » du système pénal26, qui n’est pas le projet tout politico-juridique de Barère, mais tous deux en appellent à une véritable opinion publique moralisée, vœu pieux de tous les régimes et de tous les temps. En homme avisé et en sceptique, le futur comte d’Empire confesse que cette opinion se réduisait à « ce qui était celle de la classe de personnes dont on faisait partie ». Belles prémices pour qui fut chargé des bureaux d’esprit de Napoléon (après qu’ils avaient été façonnés par un homme de Merlin de Douai). Roederer définissait en 1793 les convictions de l’heure et croisait celles de Barère, même si par la suite leurs rôles politiques, sauf aux Cent-Jours, ne sont jamais concomitants :
« L’art de conduire les volontés consiste donc : 1) à prévenir les fausses associations d’idées et à en préparer de justes, c’est-à dire à éclairer le jugement ; 2) à assurer au besoin le rappel exact de toutes les associations justes, c’est à dire à garantir la mémoire de tout oubli important dans les délibérations sérieuses ; 3) à faire dépendre les jouissances des actions conformes à l’intérêt général. En d’autres mots, tout consiste : 1) à éclairer la raison, 2) à moraliser les habitudes, 3) à diriger les passions. On éclaire la raison par deux moyens : l’enseignement de la jeunesse et celui de l’âge mûr. Nous verrons ce que l’établissement public doit faire pour remplir ce double objet. On tourne les habitudes vers l’utilité publique par tous les rites et les usages qui frappent habituellement les sens : 1) par les habits, sujet important dont nous parlerons avec quelque étendue ; 2) par les instructions données aux peuples dans les papiers publics ou dans les affiches ; 3) par les chants populaires ; 4) par les monuments de la peinture, de la sculpture, et de l’architecture ; 5) par les spectacles dramatiques ; 6) par les réjouissances mémoratives des événements heureux ; 7) par des deuils mémoratifs, non des malheurs publics qu’il faut oublier, mais [p. 227] des fautes nationales. Les passions enfin, se dirigent par les peines et les récompenses, et comme nous le verrons, quand on saura tirer parti des récompenses, on aura peu besoin de peines. Mais la création d’un bon système de récompenses ne consistera pas seulement à faire un code rémunératoire dans le genre de notre code pénal, à avoir des tribunaux et des formes solennelles pour décerner quelques prix, comme nous en avons pour infliger des châtiments27. »
34Ce développement centré sur la pédagogie sensible résume les préoccupations du temps par l’importance donnée à l’éducation et à toutes les formes d’acculturation collective. Les fêtes et les spectacles, en premier lieu, les arts dramatiques font comprendre ce à quoi Roederer s’employa lui-même après 1815. Les libéraux regardèrent l’aube de la Renaissance ; les ultras répondaient en suscitant la vogue de Bayard, à qui Grenoble éleva une statue en 1823, mais ce nom, alors partout célébré, fait sens par son absence dans notre corpus, où le combat individuel et la fidélité au roi ne sont pas des valeurs sociales.
35Tout le Salon imaginaire s’enquiert de ce qui détermine la loi sociale, non réductible au sujet juste ni même à la loi juste, puisque La Vacquerie est flanqué de Racine, le poète de la langue et du destin accepté, mais aussi de Socrate, autre image de la convenance de (l’inconvenance, le sage qui se soumet jusque dans l’erreur manifeste d’un jugement fatal. Cette triple matrice porte toujours sur la loi : inventée ou refusée et même subie, elle suppose l’acquiescement, elle fait le « oui » des fatalités tragiques autant qu’elle réévalue le bilan final des confessions politiques. La Vacquerie pose la question de la loi injuste parce que dangereuse, celle que Barère met en évidence dans ses Mémoires dès le rappel, en annexe d’une lettre de Turgot, à l’« ami anglais », Price. La loi injuste brime la liberté, une façon de dire la racine du principe dans le despotisme éclairé. La discussion inclut les partages qui surgirent depuis la question constitutionnelle de la sanction royale jusqu’à la succession des mesures qui constituèrent la Terreur, pour lesquelles on ne peut lire que des désaveux techniques. Toujours sous-jacente est la loi des suspects, dont Barère fait la trame de son conflit final avec Saint-Just, Robespierre et Couthon, éventuellement Lebas. Pas de faits ni de dates donnés qui indiqueraient des étapes privilégiées au sein d’un relatif continuum, mais la plaie reste vive, au point que c’est toujours de biais que Barère y revient. Dans le chapitre « Finances, commerce, taxes, réquisition », une note, toujours dans la défense de l’esprit des lois, explique sa réponse juridique à la formule : « Il faut appauvrir les ennemis du peuple » :
« Le comité, loin d’avoir eu cette pensée, digne de Louis XI, a plusieurs fois repoussé le projet que Saint Just énonçait vaguement et de loin, pour faire attacher aux travaux publics les détenus jugés suspects. Saint-Just nous vit toujours indignés contre cette atroce injustice, « les détenus, lui dit-on, sont des otages et non des criminels ; ils sont arrêtés pour sûreté générale et non condamnés pour crimes”. » Saint Just n’osa plus reproduire une idée proscrite unanimement : mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne rêvait qu’aux prisons des détenus, et Robespierre qu’à son Tribunal révolutionnaire. Ils étaient bien dignes de s’aimer et de s’entendre. Saint-Just a sans cesse fait la guerre aux détenus, aux incarcérés, aux suspects : il a fait tous les rapports sur cette matière ; il a fait un rapport sur les incarcérés, il a fait établir la commission populaire pour les juger et les déporter ; il a fait établir par un décret le bureau de police générale pour les poursuivre, il a fait autoriser le Comité à renvoyer au Tribunal révolutionnaire pour faire des listes de détenus à juger. Il a renvoyé à ce tribunal un grand nombre de détenus, il a même arbitrairement disposé de cet objet sacré ; il a signé seul une liste de 159 détenus qu’il a envoyée au Tribunal révolutionnaire. Cette liste est dans le procès de la commission des 21. Voilà la main qui a frappé, qui a tyrannisé les détenus, comme Louis XI proscrivait les quatre mille nobles qu’il fit périr. Saint-Just s’est montré seul dans les listes ; il s’est montré seul à la tribune. Pourquoi donc frapper ceux qui n’ont pas parlé son langage ? » (Mémoires, t. 2, note, p. 414).
36Ce point étant majeur, la question doublement polémique des listes et de la loi évoquée permet de se démarquer d’un Saint-Just resté l’allié en matière sociale, et pousse à se défausser sur Merlin de Douai : « Malheureusement, le comité de législation fit proposer par Merlin l’épouvantable loi des suspects, qui fit tant de mécontents et tant de victimes, qui fit commettre tant de vexations et tant d’injustices. » La permanence de la position de Barère avocat « philanthropique », au sens de son activité toulousaine de défense de tous, puis sa connaissance des prisons l’invitent à attaquer un Merlin de Douai qu’il considère par ailleurs comme le plus grand juriste du temps : « On fit la guerre aux opinions, on vexa les consciences politiques ; on interrogea toutes les passions ; on blessa une foule d’intérêt », et il argue en contrepartie de sa propre proposition d’adopter la solution que les Américains avaient adoptée contre les partisans de l’Angleterre et les royalistes : laisser émigrer les mécontents, ce que Collot d’Herbois repoussa « comme un furieux », le mettant au rang de défenseur de l’aristocratie, selon le Moniteur (brumaire an II, octobre 1793). Là est la confession impossible d’un « je maintiens » qui se défausse d’abord sur Danton qui l’appela à la justice, pour des fonctions jamais précisées, puis au sein du Comité de salut public que consolida Merlin-Thionville en disant de ne pas se soucier de la Convention, pendant que Merlin de Douai la dotait des outils de la Terreur, tout en chargeant d’autres activistes d’en occuper les institutions et d’en exécuter les mesures.
37Dans ses Mémoires, Barère se borne à jouer le modérateur et le défenseur des personnes qui n’avaient pas lieu d’être inquiétées. Sans s’appesantir, il évoque une femme qui vivait pauvrement à Paris bien que descendante de l’illustre Riquet, le constructeur du canal du Languedoc. Il cite aussi un neveu de Brienne ou l’ancien pianiste de la reine, Hermann, en sus des banquiers Perrégaux et Savalette de Lange, son hôte, 350, rue Saint-Honoré, ce qui est dérisoire. Il semble en revanche qu’il fut bien un reluctant terrorist, comme le qualifie Leo Gershoy, celui qui regimbe, mais pas trop, argue en juriste au fil des débats, freine ou renâcle, mais le porte-parole ne peut exister que dans la parole du masque qui porte la voix collective. Le for intérieur est démonétisé, mais Barère ne s’en donne pas moins pour rôle propre le maintien d’une vision de juriste qui cerne les faits incriminables (Mémoires, t. 2, p. 114) :
« Mes calomniateurs ne m’ont jamais tenu aucun compte des opinions courageuses que j’ai manifestées : 1) pour empêcher l’établissement du Tribunal révolutionnaire ; 2) pour empêcher les arrestations illégales des députés le 31 mai, 3) pour m’opposer à l’exécution de la mauvaise loi des suspects. Telles furent cependant mes constantes opinions ; mais les calomniateurs à gages sont atroces et les aristocrates sont ingrats. »
38Ces médiocres défenses d’un activiste sans emploi en l’an V exaspéraient autant ses contemporains que ses propres relents d’autosatisfaction : « Je n’avais d’appui et de consolation que dans le repos de ma conscience, qui me disait que je faisais bien. » Le style de cette très juvénile condescendance à soi-même ne dépare pas ce qu’il confesse, son retour vers la lecture du Voyage du jeune Anarchasis, même s’il en revint à des auteurs autrement fondamentaux, pour théoriser sa Pensée du gouvernement républicain et livrer un livre sur Montesquieu.
39Chapitre suivant, Barère n’en charge que mieux Robespierre dont il a modifié – consciemment ou non – la date d’entrée au Comité de salut public, qui fut effective au 27 juillet, ce qui lui permet de titrer : « Robespierre entre au Comité de salut public. Les arrestations se multiplient », ainsi reverse-t-il la peur des citoyens et de la Convention à Robespierre, dont il dit que les jacobins ne sont que son club, même si lui, Barère, les a encore présidés à quinze jours du 9 thermidor :
« Ainsi se résume la marche de Robespierre : d’abord, il s’empara du 31 mai, fait par Danton, qui eut peur de cette violation tyrannique, ouvrage de ses mains. Quelques mois après, Robespierre traita Danton comme un usurpateur et usurpa sur lui. Il extermina les représentants dont il redoutait la liberté et l’éloquence ; il ne consulta plus ceux qui restaient, mais son club. Sa puissance augmenta d’une manière effrayante, quand il mit la main sur l’encensoir le 22 prairial. Bientôt il usurpa le pouvoir du peuple en dirigeant la Convention par la crainte, le gouvernement par les dénonciations au club, la cité par la terreur, les lois par la violence, et le Tribunal révolutionnaire par les intelligences secrètes. Il usurpa tous les pouvoirs, il terrifia toutes les volontés ; il absorba quelques instants toute la république en lui seul. Mais la Convention se souvint, le 9 thermidor, pendant quatre heures, qu’elle était investie des pouvoirs nationaux, et Robespierre ne fut plus » (Mémoires, t. 2, p. 207).
40Par opposition, l’intérêt du Salon imaginaire est de ne pas s’embarrasser d’un argumentaire suivi, mais de traiter par facettes dispersées la vulgate établie et les points sensibles, ce qui laisse flotter les ambiguïtés. Barère ne renvoie que peu à Robespierre et il s’en tient à l’accusation de tyrannie28 autant qu’à une analyse des lois et de la structure qui y menèrent. Danton dans le rôle d’arroseur arrosé, d’abord incitateur et, au final, mentor fatal, est sa cible, dans un incessant plaidoyer pro domo contre les calomniateurs et Anitus variés.
La politique, l’opinion et la loi juste
41Pour Barère, la vie politique est tributaire de ce qui sépare l’opinion publique de l’esprit public. L’analyse des choses dues et justes, celle du possible et de l’impossible en découlent. En situation de difficulté et de guerre, l’optimisme s’impose pour construire l’opinion propre à résister à l’esprit public stipendié ou pas, aussi célébra-t-on et célébra-t-il fortement la reprise de Toulon à la veille de Noël 1793 (ancien style) :
« Ainsi donc l’Anglais a échoué à Dunkerque, à Saint-Malo, à Granville, à Cherbourg, à Brest, à Bordeaux, à Marseille et à Toulon. Ainsi donc la Méditerranée est reconquise. Le canal de navigation du commerce français est enfin libre. Le canon victorieux tiré contre l’Espagnol fugitif et l’Anglais destructeur a déjà retenti aux Dardanelles et dans toute l’Italie. La Corse sera délivrée de l’ambition vénale des paolistes et les subsistances assurées rendront enfin à tout le Midi l’énergie qu’elle n’aurait jamais dû perdre. Les subsistances, voilà la grande conquête de Toulon. Ainsi disparaissent à la fois la famine et la calomnie, les intrigants et les diffamateurs. Encore hier, les aristocrates dans leurs salons dorés annonçaient de prétendus revers sur le fort de Lamalgue : des intrigants exhalaient leur hypocrite douleur. On décriait les représentants ; des mouvements désordonnés et contradictoires étaient imprimés à l’opinion publique ; des terreurs étaient répandues. L’esprit public menaçait d’une dégradation sensible29. »
42La géopolitique argumente, la carte qui n’est pas le terrain permet l’« anacréontisme » de l’optimisme nécessaire. En l’an VII, Barère, perplexe et désabusé, persiflait ce que serait un « temple consacré à l’opinion publique », elle-même trop versatile :
« Opinion publique.
Elle prend l’autorité dans les moments de crise : elle inspire le talent et le courage dans les jours de combats.
J’imagine un temple qui serait consacré à l’opinion publique. Sur le faite du monument serait la statue de l’inconstance fixée par un pied sur un globe mobile ; elle tiendrait par ses deux bras tendus un voile que le vent enflerait pour faire tourner la statue à son gré, image de la versatilité de l’opinion publique.
Le proscenium du temple serait rempli d’auteurs, d’artistes, de journalistes, d’intrigants et d’ambitieux30. »
43La boutade est sévère, mais Barère fut aussi dans le comité des Monuments, et la réflexion, quant au fond, figure dès le brouillon où le cahier du Gouvernement républicain présent à la médiathèque de Tarbes donne un état de l’œuvre en cours d’écriture31. Pour autant, la « guerre aux ennemis de la liberté » reste la doctrine de Barère qui revendique la liberté de presse, mais en situation ne condamne aucunement l’« arrêté vraiment patriotique qui a proscrit et caractérisé l’homicide réveil du peuple32 ». On rapporte aussi que c’est devant Robespierre et lui-même que M.J. Chénier (mais on dit ailleurs devant le Comité de sûreté générale) aurait dû brûler le manuscrit de son Timoléon, le 20 germinal an II, car le théâtre crée des suspicions particulières. Barère maintient pourtant que seule la liberté de presse apporte des garanties à la liberté. Il est vrai que son manuscrit ne comporte sur ce plan que des pages blanches (de 159 à 170), malgré la formule péremptoire de la p. 151 : « Laissez dire et laissez imprimer. » Il maintint cette position même au bénéfice de Châteaubriand que, par ailleurs, il ne cessa d’éreinter, et pas seulement dans la notice du 4e volume des Mémoires. En tant que principe, on retrouve tardivement (n° 207) : « L’histoire grave sur ses tablettes ces mots : la parole libre fait l’homme libre », et lui-même a longuement vécu des quelques parts qu’il avait gardées au Journal de Paris.
44Un des Carnets de la révolution résume l’opinion publique et les conjonctures des années révolutionnaires dans le laconisme de l’aphorisme qui permet de prolonger ou de retourner les assertions :
« 1789, un autel à la liberté
1790, vœu d’une bonne constitution
1791, le vent de la cour l’emporte
1792, une batterie de canons contre le trône
1793, un rocher sur lequel sont gravés les droits de l’homme
1794, un drapeau de sang
1795, triomphe du royalisme, impunité de ses poignards
1796, gloire des armées républicaines
1797, traités diplomatiques perfides
1798, mort de la liberté de la Prusse et de la marine
1799, chute des trônes conspirateurs de la liberté
1800, la liberté de l’Europe en tête, prélude à la liberté universelle. »
45Barère au balcon reste ébloui de la liberté de 1789 et du « rocher » de 1793, mais pas moins que des victoires de 1796, déjà sans lendemain en 1798. Ce spectacle du monde peut aussi donner lieu à des traductions picturales plus proches de la gravure de propagande et du trait que de la fresque et des grands genres. Cette chronologie revisitée est proche de ce qu’en retiendra le camp républicain, elle en privilégie la politique extérieure, le peuple s’en estompe, le sang de 1794 reste un marqueur, et les héros sont absents, sauf à croire au rôle salvateur de Bonaparte.
46L’absence de héros n’est pas dans le genre de l’historiographie ancienne qui se focalise sur des noms. Du genre épidictique, on glisse vers les composantes psychologiques du roman académique fin de siècle (le xixe). On en garde l’idée que le leader antérieur à la conception de l’homme politique par profession ne peut qu’être exemplaire. Quand l’héroïsme n’est plus de mise, on n’imagine de bon héros que mort. Le romantisme assimilant la position tragique au malheur enrobé de circonstances d’exception, les belles figures hagiographiées durent marcher au martyre. Or l’exemplarité à la Plutarque ne concerne pas Barère, ni pour lui, qui ne voulut pas jouer les Curtius et il l’a même déclaré à la tribune, ni pour son temps. Un pamphlet de l’an III l’attaquait et persiflait précisément sa plasticité, sous l’intitulé de Rapport à faire par Barère, au nom de l’opinion publique ou Bertrand Barère, représentant du peuple juge de M. Barère de Vieuzac.
« Je suis un vieux meuble, un véritable effet de conspiration qu’on peut indifféremment, sans inconséquence et sans inconvénient, employer à tout et partout. Trop vil pour avoir quelque ambition, je me contente de servir sous celui qui a ou à qui je crois la première place » (p. 6) et « je suis né pour proclamer les idées d’autrui » (p. 10).
47Cette attaque porte sur l’essence de l’homme politique autant que sur le rapporteur avant sa professionnalisation. Le haut fonctionnaire se profile sous ce portrait et il a conquis plus lentement encore son autonomie, même si Barère analysait déjà en l’an II le besoin d’une formation spécifique pour le personnel d’État, une idée qu’il reprend dans De la pensée... mais l’ENA ne date que de 1945.
48Par-delà la morale, Le Tartare à Paris donne après coup la base constitutionnelle de la morale d’État préconisée vers 1825 ; on peut alors véritablement parler de libéralisme égalitaire (F 97, f° 35) :
« Les représentants qui travaillent à part de la nation travaillent contre elle. L egoïsme et l’intérêt personnel du représentant sont aussi fatals à la nation que sa vénalité et corruption quelconque.
La censure et le monopole si chers au gouvernement français sont les deux ennemis de la pensée humaine qu’il faut renverser et tuer. »
49La faction n’y est pas moins grave que la concussion, mais l’autoritarisme de l’exécutif est dénoncé si radicalement qu’on ne peut prévoir que des formes d’illibéralisme.
50On peut dès lors retourner aux trois premières notices du Salon imaginaire, car toute cette fresque devient très politique au fur et à mesure que l’on approfondit le sens de chaque scène, dominée par les besoins de représenter un vivre-ensemble qui marche vers la liberté. Les trois notices inaugurales posent la loi juste sous la gouverne de magistrats courageux qui permettent ainsi le vivre-ensemble. Vient ensuite Racine, l’homme de la langue française et le génie créateur par excellence, le symbole de la haute culture et de la sensibilité tragique qui permet de dire et de sentir le monde commun. C’est lui qui signe la religion des lettres, celle qui se substitue à toute autre. La mort de Socrate donne alors une vision non moins « dramatique » mais pas tragique, car elle est civique et procède du libre choix. Elle est complexe car elle sacralise la cité par-delà toute contingence. Le nombre et l’opinion restent des agents légitimes dans la contingence ; ils sont médiocres, ce qui n’oblige pas le démocrate à glorifier les sycophantes. Reprenons la séquence du point de vue d’une anamnèse rampante. La Vacquerie pose la question de la loi juste avant même celle de la soumission à la loi. On peut y entendre les polémiques liées à l’appareil juridique de la Terreur, l’ensemble des lois concernant les suspects avant tout jugement concret. La véritable Némésis est là car il ne s’agit pas que d’imposer un agir communicationnel correct et possible, mais la Réforme et le refus de la loi injuste ont gouverné le tyrannicide bien avant de régler la question de Robespierre comme tyran. Elle démarque Barère de Saint-Just alors que, sur les lois d’assistance sociale, ils restent proches. En revanche, la structuration du social par la loi achoppe sur Danton, et ce qui fut voulu par Danton se constitua en machine de guerre sans frein ni règle. Danton en fut liquidé sans avoir le droit de parler, mais lui n’avait aucunement l’intention de jouer les Socrate33.
51Incrimination et autocritique reconduisent cette posture jusque dans les Mémoires de 1838. En revenir au symbole de La Vacquerie salue aussi bien l’esprit d’autonomie relative des parlements d’Ancien Régime, dont la fronde inaugura la Révolution, que l’action de toutes les chambres à venir. La loi juste devient alors le rouage des sociétés régies par la séparation des pouvoirs, c’est elle qui permet de faire société ; la représentation nationale en est non moins responsable que l’exécutif, en 1789, le roi, plus tard, le Comité de salut public. Faute de Constitution bien rodée, la philosophie morale doit réguler l’éthique des acteurs, toujours problématique, et s’appuyer sur les mœurs du temps afin d’arbitrer ou même d’imaginer ce qui doit être débattu. Le refus de la loi abusive fonde le pacte parlementaire républicain et autorise son exercice, avec le concours des seconds rôles que sont les juristes érigés en légistes. Leur héroïsme propre s’accommode de l’obscurité posthume du personnage Jean de La Vacquerie (1417- 1497), qui fut Premier président du Parlement de Paris et, selon son hagiographie, aurait su s’opposer à Louis XI sur des questions d’impôts qui auraient accablé le peuple. Il prit son actualité de 1789, d’autant qu’il se serait également opposé à des poursuites injustifiées, dont celle du fils du comte du Perche. Il en fut célébré par le chancelier de L’Hospital et bien d’autres qui soulignaient sa modestie et son style concis et précis. La réalité est assez différente. Cet homme de loi d’Arras se rallia au roi de France lors de l’annexion de cette partie des États de Bourgogne, ce qui explique son succès dans l’Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois de Barante (1782-1866), que Ladvocat publie en 1824-1825 en 24 volumes in 12, soit pour le grand public34. Ainsi redécouvrit-on un nom qui, pour appartenir à une histoire qui se veut nationale, n’eut rien de trop critique.
52Dans le cadre d’un retour aux moments inauguraux de la communauté nationale, Racine n’exprime pas le tragique d’amours perdus, seraient-ils royaux et sublimes. Son nom représente le pouvoir du génie de créer l’humanité par la langue et le récit, les émotions et le sens, ce qui fait civilisation au sens français du xviiie siècle mais qui atteint ici le sens intériorisé que les Allemands confèrent à la culture (moins Kultur que Bildung, un mot forgé sur l’« image »). C’est elle qui permet aux hommes de communiquer, de penser leur subjectivation. Le français en devient moins la langue de Descartes que l’on veut panthéoniser que celle du mythe national35, moins la langue de ce qui s’énonce distinctement que celle de la nation tout entière. Or cette langue véhiculaire à Paris doit devenir celle de la communauté nationale et elle devient religion séculière parce qu’elle est celle de la Loi et des Lumières, celle que chacun se doit de comprendre pour accéder au monde plus large de la common law, de là les entreprises pour la diffuser. Une page du carnet de l’an 5 ou 6, « De l’étude de la langue française », dit qu’elle doit être accessible à tous car elle est devenue « presque nationale » même à l’étranger36 ; elle en devient aussi indispensable que les sciences morales et politiques, et les beaux-arts « qui inspirent et peignent le cœur humain ». Emblématique par le rapport du 8 pluviôse an II sur les « idiomes », qui ne donna point lieu à des décrets, non plus qu’en 1790, il ne s’agit que de signaler empiriquement un problème politique37. Barère, qui est un habitué de la diglossie avec l’occitan, ne pense ni éradiquer ni sacraliser ce qui se doit aux vernaculaires. Il n’entre par ailleurs que fort peu et fort mal dans les curiosités philologiques qui exprimeraient le génie du peuple. Il se borne à regarder les controverses politiques diverses qui, en 1831, restituent à la langue française un statut emblématique :
« Traits de despotisme
Napoléon devenu roi d’Italie se rendit à Milan pour défendre à toutes les universités et collèges italiens d’enseigner la méthode et la philosophie de Condillac.
Louis XVIII rétablit pendant la Restauration son index des livres défendus ; et la censure royale veillait comme l’inquisition de Rome et de Madrid à l’exécution de l’Index librorum prohibit.
Capodistria qui était moins le président de la Grèce (il était de Corfou) que le haut commissaire de l’autocratie russe, porta la démence du pouvoir jusqu’à prohiber dans toute la Grèce et dans toutes ses écoles l’enseignement et la lecture des livres et de la philosophie de Platon.
Ainsi les despotes sont tous de la même famille !
L’autocrate de Russie a défendu en décembre 1831 que la langue française fut enseignée dans ses États. Le héros couronné qui extermine les braves habitants et défenseurs de la Pologne ne peut supporter dans son vaste empire qu’on y parle même la langue des Français. La haine de la liberté est devenue une démence furieuse dans la tête des rois européens ; ce vertige est le signe [signal ?] avant-coureur de leur chute » (F 76, f° 140).
53Plus concrètement, c’est alors que Racine, modèle d’euphonie, devenait le pédagogue des lycéens, l’éducateur des « couches montantes » du xixe siècle, l’instituteur de la jeunesse des confins sociaux et géographiques qui accédaient à la langue nationale. Il connut des sommets de réimpression sous la Restauration qui n’hésitait pas intégrer la correspondance de Port-Royal à ses œuvres complètes. Seuls La Fontaine, Voltaire et Rousseau eurent de meilleurs tirages. Le baccalauréat devenant le brevet de la bourgeoisie, il forma les lycéens au-delà du public destiné aux formations professionnalisantes, encore adossées à la maîtrise du latin (en droit et en médecine, sans parler du clergé). Ils usèrent désormais de cette référence de cour et de cœur. C’est donc bien le statut conféré aux lettres qui révèle l’horizon social de la pensée de Barère : le peuple tout entier n’est pas la rue, il sera notaire ou boutiquier, et il en reste l’héritier des sans-culottes. Stendhal, bon observateur, le situe autour de 4000 à 5 000 francs de rente : il n’est donc pas dans la connivence qui s’établit entre les élites capacitaires à 20000 ou 30 000 francs, lesquelles s’en tiennent à d’autres solidarités. À la veille de 1830, le Globe savait parfaitement dire comment ces deux couches sociales se dissociaient.
54Racine n’a donc rien de fortuit en position inaugurale, même si le genre abstrait de l’allégorie le renvoie à l’immortalité, abstraction suprême alors que rien n’est plus circonstancié : « Melpomène et l’égérie de Racine présentant cet illustre poète à l’immortalité. » Non seulement la réalité sociale soutient ce renvoi, mais Stendhal vient de livrer son Racine et Shakespeare de 1823, et il donnait bien avant les raisons subjectives du retour à Racine (n° 2) :
« Chez nous autres, Français, dans ce moment-ci [messidor an XII] la vanité remplit toute l’âme. Pourquoi est-ce qu’on aime le délicat, pourquoi préfère-t-on Racine et Raphaël à Corneille et Michel Ange (je suppose le Michel-Ange tel que je l’imagine), c’est par vanité. Moi-même à mesure que je deviens plus semblable à ceux qui m’entourent, ceux que j’appelle plus raisonnables, je sens que j’aime mieux le gracieux que le grand, le poids de l’admiration m’importune38. »
55Barère reste proche de Michel-Ange (quatre fois cité) y compris dans le genre sublime de la tête du Christ (n° 215 bis) et pour l’évocation de la « fin des mondes créés » de l’impudent Gilbert (nos 102 et 67, repris en 154) ou encore avec Young.
56La troisième proposition inaugurale porte sur la mort de Socrate et prolonge une réflexion civique aussi engagée que sceptique, inhérente à la quête de la cohésion sociale voulue et non supputée, sans laquelle « il n’est point de démocratie ni d’État social possible ». La sentence est absolue. En situation, la mort du roi, elle-même donnée, fait encore plus sens39.
Notes de bas de page
1 Pierre Édouard Lemontey (1762-1826), Essai sur l’établissement monarchique de Louis XIV et sur les altérations qu’il éprouva pendant la vie de ce prince, morceau servant d’introduction à une Histoire critique de la France, depuis la mort de Louis XIV, précédé de nouveaux mémoires du M[arqu]is de Dangeau parus en 1818, Paris, Déterville, rue Hautefeuille, n° 8, 1818, p. 385.
2 F 103, 212 feuillets, 1820-1829, Notes sur la Grèce et les problèmes de son indépendance, 200 x 125.
3 Mémoires, t. 3, p. 387. Hennequin est cité pour sa Fureur d’Oreste alors qu’il s’agit des Remords d’Oreste ; ce « grand tableau » (356 x 515) réalisé vers 1800 avait été très remarqué.
4 Voici ce qu’en disait la notice du Salon (n° 770, M. Odevaere, de Bruxelles. Les derniers défenseurs de Missolonghi préférant la mort à la servitude) : « À la sortie que les héroïques défenseurs de cette ville, devenue à jamais célèbre, entreprirent au travers des Arabes, l’arrière-garde et les blessés, accablés par le grand nombre de barbares, retournèrent dans la ville et se battirent pendant deux jours de rue en rue, de maison en maison, y mettant le feu à mesure qu’ils étaient forcés de l’abandonner. Enfin, l’évêque de Rogos et six fidèles soutiens de la sainte cause de la Grèce se retirèrent dans le souterrain qui renfermaient les poudres et, à l’approche de l’ennemi, l’évêque, revêtu de ses habits pontificaux, y mit lui-même le feu. Près de lui, un guerrier tient le labarum, où le monogramme du Christ est représenté dans les couleurs de la Hellade régénérée (La Gazette de Corfou, 9 et 19 mai 1826). »
5 Voir le catalogue de l’exposition de l’institut néerlandais, Ary Scheffer, 1795-1858, Paris, 1980 ; ce tableau y est présenté, p. 66, comme le moment où « l’instant historique croise le drame personnel ».
6 Voir en sus les éléments de sa publication posthume en 1829.
7 Alphonse Dupront, Du sacré. Croisades et pèlerinages, images et langages, Gallimard, 1987, p. 307, mais voir aussi dans le manuscrit qui devait être présent à la bibliothèque universitaire de la Sorbonne, t. V, p. 66.
8 Voir Maïté Bouyssy, « Barère ou la passion de la voix », art. cité, p. 86-101.
9 Michel Poizat, L’opéra ou le cri de l’ange, essai sur la jouissance de l’amateur d’opéra, Métailié, 1986, puis Vox populi, vox dei, voix et pouvoir, Métailié, 2001.
10 Maria Tsoutsoura, jeux de reflets entre les voyageurs français et la littérature néo-grecque, Paris-Corfou, Epsilon, 2010, p. 108-128.
11 Voir dessin gouaché attribué à Houel, 24 x 33, « Un des cachots de La Bastille fait sur les lieux lors de la prise de cette affreuse prison », dans La Révolution française et l’Europe, op. cit., IIe partie, p. 397, cat. 508.
12 Les tableaux de la Révolution française, des gravures à l’eau-forte par Jean Joseph Coiny, ont été publiés par Claudette Hould, La Révolution par l’écriture, une entreprise éditoriale d’information (1789-1817), Vizille, RMN, 2005, IIe partie, « Destruction des statues royales et des signes de la féodalité », p. 430, dessin de Jacques Bertaux, cat. 558 et 561, ou Augustin de Saint-Aubin, cat. Un collectionneur pendant la Révolution, op. cit., nos 54, 55 et 56.
13 Frantz Funck-Brentano, Légendes et archives de la Bastille, Hachette, 1898, préf. de Victorien Sardou ; Revue des questions historiques, « La Bastille ses dernières années », 1898, 32 p. Voir la synthèse qui inclut le traitement théâtral de la question, dans Hans-Jürgen Lüsebrink, « Événement dramatique et dramatisation théâtrale : la prise de la Bastille sur les tréteaux français et étrangers », AHRF, n° 278, oct.-déc. 1989, p. 337-355.
14 Voir La Révolution française. Le Premier Empire, dessins du Musée, Carnavalet/RMN, 1982, n° 123, « Fête et illuminations aux Champs Élysées, 18 juillet 1790 », Prieur inv., Berthault sc. pierre noire et estompe, 19,1 x 24,9, n° 40, dans Tableaux de la Révolution française, De Vinck, 3865, pour le dessin de Prieur, Louvre, RF 6206. Dans La Révolution française et l’Europe, op. cit., IIe partie, voir les projets de colonne à élever sur l’emplacement de la Bastille, p. 409 et suivantes, diverses eaux-fortes, n° 529 par Antoine-Joseph Gaitte d’après un projet de Cathala, en 1790, n° 530, et à Paris chez Sellier, d’après Nicolas-Marie Gatteaux et Meunier, pour une colonne prévue à 50 toises de hauteur (BNF, De Vinck, 1715).
15 Voir Félix Gianni, musée de Rome, dans Yann Fauchois, Religion et France révolutionnaire, Herscher, 1989, p. 113.
16 Voir Michel Biard, « Terminer la Contre-Révolution ? La colonne Louis XVIII à Calais, symbolique et enjeux », sous la dir. de Jean-Clément Martin, La Contre-Révolution en Europe, xviiie-xixe siècles. Réalités politiques et sociales, résonances culturelles et idéologiques, Rennes, PUR, 2001, p. 241-254.
17 Cahiers sur la Révolution, F 46-3, p. 56.
18 Roger Dupuy, La Garde nationale, 1789-1872, Folio, coll. « Histoire », 2010, p. 217 et suiv.
19 Sur ces rapports du texte à l’image, voir Bernard Vouilloux, « Textes et images en regard », L’image à la lettre, sous la dir. de Nathalie Preiss et Joëlle Raineau, Paris-Musée/Éditions des Cendres, 2005, p. 21-58.
20 Max Weber, Le métier et la vocation d’homme politique\Politik als Beruf, 1919], Paris, 1959,rééd. 10/18, 1963, p. 111 et 129 130.
21 Voir n° 60, dans cat. Un collectionneur pendant la Révolution, op. cit., et surtout infra, p. 247, la parenté avec le rapport d’Eschassériaux.
22 Voir Pierre Girard, « Révolution et « nouveauté” dans le Saggio storico sulla rivoluzione napoletana de Vincenzo Cuoco », dans Vincenzo Cuoco, Des origines politiques, op. cit., p. 197, et « Peuple et politique dans la pensée de Vincenzo Cuoco », dans Laboratoire italien, n° 1, ENS Éditions, 2001, p. 53-63. Voir aussi M. Bouyssy, préface à Cuoco, Histoire…, op. cit., p. 91 et suiv.
23 La Vacquerie, voir supra, p. 149 et infra, p. 224-230.
24 Dans Mélanges Vovelle, op. cit., Sophie Wahnich, « Déclarer la patrie en danger, de l’émotion souveraine à l’acte de discours souverain », p. 207-218 ; et Maïté Bouyssy, Hypothèses, travaux de l’École doctorale d’histoire, « L’émotion en politique, une historiographie entre ostracisme et renouveau », Publications de la Sorbonne, 2001, p. 301-303.
25 Monique Cottret, Jansénismes et Lumières. Pour un autre xviiie siècle, Albin Michel, 1998.
26 Voir dans Œuvres de P. L. Roederer, t. 8, éd. Firmin-Didot de 1859, un discours d’avril 1793, malgré ce que transcrit son fils qui fut son éditeur de 1859, lequel a inscrit : an II ; à la fin du 8e Discours on lit (p. 228) : « Répandant le plaisir sous tous les pas, ce système dispensera de mettre des supplices devant les yeux ; élevant partout des autels à l’Espérance, il permettra d’abattre les temples élevés à la Peur. »
27 Roederer, Discours sur l’organisation sociale…, op. cit.
28 Voir le maintien de la formule officielle jusque dans la confession du carnet intime : « De moi an 6. Le 9 thermidor, Robespierre voulut s’emparer de la Convention et de la liberté par la force militaire », F 46-2, p. 32, feuillet Du pouvoir militaire, alors conçu comme la pire des choses, à preuve César, Sylla, Marius, Cromwell et le roi « constitutionnel » au 13 juillet 1789 ; voir Maïté Bouyssy, Images de Robespierre, Naples, Vivarium, 1996, « Robespierre dit par Barère, enquête sur un maillon manquant de l’historiographie », p. 55-66 ; dans Trente ans après..., op. cit., p. 306.
29 AP, t. 82, p 266, 4 nivôse an II, 24 décembre 1793.
30 Dans Cahiers de la Révolution et extraits divers, F 46-2, f° 17, en note, Barère renvoie aussi à Thomas – le théoricien de l’éloge académique que Jean-Claude Bonnet a fait sortir de l’ombre – et à Saint-Lambert. Voir aussi supra ce que Barère en dit en F 46-3.
31 Chap. xv, p. 131, De l’esprit public, voir supra, p. 60 et 205.
32 Ibid. La formule est présente dès l’ébauche de De la pensée du gouvernement républicain...
33 Voir supra, p. 220.
34 On pourrait en tirer argument pour dire que le carnet n’aurait été entrepris qu’alors, ce qui est probable, mais les thèmes à la mode, la pratique de la prépublication des bonnes feuilles et la lecture de salon permettaient de répandre des anecdotes dès avant publication.
35 Voir André Gluksmann, Descartes, c’est la France, Flammarion, 1987 ; et François Azouvi, Descartes et la France, histoire d’une passion nationale, Fayard, 2002.
36 « De l’étude de la langue française (en rajout d’une écriture vieillie : mêlée aux scènes morales et politiques] :
Si les générations nouvelles pour qui le perfectionnement de l’art social prépare tout le bonheur ont besoin d’apprendre à en jouir et également à le conserver, à l’augmenter même ; si dans ce but, la science raisonnée de la parole écrite ou privée, ce ne doit plus être l’acquisition du petit nombre ; si l’étude de cette science doit tout à la fois faire cesser l’étrange contraste d’une langue telle que la langue française devenue presque nationale chez des peuples étrangers, demeurée comme étrangère pour une grande partie de notre nation même et enlever aux mots mal entendus cette dangereuse puissance dont s’arme avec succès quiconque veut tromper, diviser et asservir les hommes ; si encore et dans le même but, à l’étude des beaux-arts qui inspirent et peignent le cœur humain, à la culture du bon goût qui tient de si près à l’amour de l’ordre et au sentiment de la morale, il importe de lier l’étude des sciences morales et politiques qui enseignent à discuter l’homme et à le régler ; il est devenu aussi indispensable de joindre à toutes ces études celles des sciences exactes et phisiques ; et telles sont les destinées de la génération nouvelle qu’elles seront témoins des prodiges les plus utiles à la société civile de la connaissance perfectionnée de la nature » (F 46-3, p. 3).
37 Voir Philippe Martel, « Bertrand Barère et la question de la langue », dans Bouyssy et al., Bertrand Barère, op. cit., p. 74 85.
38 Stendhal, journal littéraire, t. 1, p. 402, dans Œuvres complètes, op. cit. Stendhal revient sur ce thème dans son Journal, en date du 21 août 1818, Œuvres intimes, t. 2, op. cit., p. 11.
39 Voir supra, p. 149.
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