Entre des conflits internes et des agents externes : clôture et monastères féminins au Moyen Âge dans le royaume de Castille-et-León
p. 323-340
Résumés
Dans le royaume de Castille-León au cours des siècles centraux du Moyen Âge, la fondation de monastères pour des femmes constituait la clé de voûte des stratégies visant à la préservation du patrimoine et à la reproduction sociale des familles nobles. Dans ce contexte, ont été fondés de nombreux monastères féminins qui jouissaient d’un pouvoir et de richesses significativement plus élevés que ce que l’on connaît pour d’autres régions pour la même époque. On analysera les caractéristiques spécifiques du monachisme féminin en Castille-León au cours des xiie-xiiie siècles, ainsi que les types de conflits qui éclatent à l’intérieur des murs, conflits dans lesquels les prêtres dont dépendent les moniales jouent un rôle très important. L’analyse portera sur certains cas spécifiques, tels que les conflits dans le monastère cistercien de Las Huelgas de Burgos ou dans le couvent dominicain de Las Dueñas de Zamora au cours du xiiie siècle. On considérera en particulier l’impact de ces conflits dans et en dehors des monastères. En raison de la puissance des moniales, les affrontements avec les abbés des monastères auxquels les moniales étaient soumises ou avec les évêques des villes dans lesquelles leurs monastères se trouvaient ont été probablement bien plus courants que ne le laisse deviner la documentation.
During the central centuries of the Middle Ages the establishment and foundation of monasteries for women in the Kingdom of Castile and Leon, was the keystone in the development and implementation of strategies for the family lineage to preserve their heritage and to assure their social reproduction. In that context they were founded many monasteries for women which enjoyed the resources of power and wealth significantly higher than what is known in other regions for the same time. The specific characteristics of female monasticism will be analyzed for the twelfth and thirteenth centuries in Castile-Leon, as well as the types of conflicts that broke out inside them, taking into account the important role played by the involvement of priests of whom the nuns depended. The analysis will focus on some specific cases, such as the conflict in the Cistercian monastery of Las Huelgas of Burgos or in the Dominican convent of Las Dueñas of Zamora, in particular the impact of these conflicts their social environment. Because of their power, conflicts with the abbots of monasteries to which the nuns were subject or with the bishops of the cities where their convents were located, were probably very common, more than allows to guess the preserved documentation.
Texte intégral
1À la fin de la décennie 1990, la presse espagnole se fit l’écho d’un cas fort insolite. Dans l’introduction de son ouvrage Religious Women in Golden Age Spain. The Permeable Cloister, Elizabeth A. Lehfeldt fait référence au conflit qui éclata en septembre 1997 dans le village d’Espinosa de Henares, dans la province de Guadalajara, lorsque cinq clarisses du couvent cloîtré de l’Assomption – une novice de 45 ans et quatre religieuses entre 65 et 95 ans – n’acceptèrent pas de se soumettre à l’ordre de l’évêque de Sigüenza de dissoudre leur communauté et de se transférer dans d’autres monastères1. L’évêque arguait de l’âge avancé des religieuses et de leur nombre réduit, circonstances qui rendaient impossible la vie contemplative de la communauté, et il brandissait un document émis par la papauté qui soutenait la suppression du couvent. Les religieuses, par l’entremise de leur porte-parole, faisaient part des menaces qu’elles avaient reçues, telles que d’être sécularisées, de perdre leur chapelain, de ne plus avoir accès au tabernacle et même d’être dépouillées de leur habit. De plus, les religieuses doutaient de l’authenticité du document papal dont elles n’avaient eu en main, selon leurs dires, qu’une photocopie et qui était rédigé dans une langue par trop familière. Pour les défenseurs des religieuses, ce qui était au cœur du conflit était la propriété du couvent et des biens adjacents, tous au nom des religieuses. L’évêque de Sigüenza voulait les transférer à la Fédération des clarisses de Castille et avait nommé une nouvelle abbesse de la communauté sans tenir compte de l’avis des religieuses d’Espinosa elles-mêmes. Le porte-parole des moniales prédisait un conflit civil, dans la mesure où, au-delà de la propriété du couvent, il existait, sur un compte bancaire au nom de la communauté, l’épargne réalisée, semble-t-il, par cette même communauté durant un siècle, quelque 90 millions de pesetas (plus d’un demi-million d’euros). Les habitants du village soutinrent les religieuses face à l’évêque et à l’élection irrégulière de l’abbesse. Et ils en firent la démonstration lorsque ce dernier arriva à Espinosa, quelques jours après le début du conflit : « Si vous les faites partir par la force, c’est un crime », lui assenèrent-ils. L’évêque, selon ce qui fut rapporté, dut prendre ses jambes à son cou et quitter le village pour éviter le lynchage.
2Le couvent de l’Assomption fut fermé de force par l’évêque de Sigüenza le 25 septembre 1997, bien que les moniales aient été autorisées à y demeurer jusqu’à ce qu’elles aient trouvé un autre point de chute. Le 4 octobre, la presse publiait une information selon laquelle les religieuses d’Espinosa de Henares acceptaient d’abandonner le couvent après avoir vérifié l’authenticité de l’ordre de transfert envoyé par Rome. Il était fait également un résumé des derniers mois du conflit, depuis le rejet par les religieuses de la nouvelle abbesse nommée par l’évêque et la nomination de l’une d’entre elles, sœur Thérèse, comme abbesse en fonction – cette même sœur Thérèse qui avait mis en doute, quelques semaines plus tôt, l’authenticité du document pontifical –, jusqu’aux soupçons des habitants d’Espinosa, pour qui ce conflit cachait d’obscures manœuvres spéculatives de type immobilier2.
3Comme le signale fort bien Elizabeth A. Lehfeldt dans son livre, le conflit entre l’évêque de Sigüenza et les religieuses de l’Assomption, malgré sa stricte contemporanéité, rappelle les tensions bien documentées dans l’histoire de l’Espagne médiévale entre une hiérarchie ecclésiastique masculine et des communautés religieuses féminines qui jouissaient d’une relative autonomie dans la gestion de leurs ressources et de leurs propriétés, ainsi que dans l’organisation de leur vie monastique. Ces tensions se manifestèrent parfois par des épisodes violents. Comme dans le cas des moniales de l’Assomption, le conflit mettait aux prises les religieuses avec le monde extérieur, incarné par l’évêque. Des accusations voilées et des faits controversés, comme la nomination de deux abbesses, par exemple, laissent entrevoir que la clôture était vraiment perméable et que, inévitablement, les conflits externes rejaillissaient sur la vie à l’intérieur du cloître tandis que les affrontements internes pouvaient déborder les murs du monastère. Ces conflits furent, sans aucun doute, très abondants au Moyen Âge, mais nous avons rarement la chance d’avoir accès à des témoignages de première main… et jamais à des caméras de télévision qui aient réussi à les filmer en direct !
4La littérature du bas Moyen Âge a dépeint des personnages inoubliables, des moniales indociles, comme doña Garoza dans le Libro de Buen Amor de l’archiprêtre de Hita, ou madame Eglentyne des Contes de Canterbury de Chaucer. On trouve de nombreuses références, dans les documents, à des comportements taxés d’immoraux. Les papes, les conciles provinciaux, les archevêques et les évêques légiférèrent à leur propos et les châtièrent lorsqu’ils en eurent l’occasion. Dans les monastères féminins, l’éventail des péchés était fort étendu, depuis les plus triviaux jusqu’aux plus graves, comme l’incontinence sexuelle ou les grossesses. L’archevêque de Cantorbéry dut ainsi dissoudre en 1189 le monastère d’Amesbury après avoir constaté que l’abbesse avait accouché par trois fois et que les trente autres religieuses menaient une vie scandaleuse3. Ce n’est pas un cas unique. La documentation des différents royaumes européens tout au long du Moyen Âge est emplie de rapports concernant des scandales publics (infamia), des relations sexuelles entre moniales et laïcs ou, plus fréquemment, entre moniales et ecclésiastiques qui avaient facilement accès aux monastères féminins, relations que les sources qualifient d’incestueuses.
5Cependant, et malgré tout ce que l’on pourrait imaginer, étant donné l’abondance des références, la nature des conflits à l’intérieur des monastères féminins ne se réduisit pas à de scabreux scandales sexuels, qui donnaient lieu à des réactions furieuses et à des châtiments fulgurants. Ceux-ci étaient, bien évidemment, frappants et faisaient l’objet d’une attention spéciale. Mais si l’on essaie d’aller au fond de la plupart d’entre eux, leurs manifestations peuvent cacher des questions beaucoup plus complexes et profondes que celles qui sont brandies pour expliquer l’univers féminin enfermé entre les murs d’un monastère. En réalité, la simple idée de clôture comme forme de vie et de cohabitation réglée par une série de normes et étroitement surveillée, portait en elle-même le germe du conflit permanent et structurel, d’autant que, au Moyen Âge, l’entrée des religieuses dans les institutions monastiques n’était pas synonyme de rupture des relations avec le monde extérieur. Les religieuses continuaient d’entretenir des liens avec les familles laïques dont elles étaient issues et de disposer de leurs richesses et de leur statut social. Cela était beaucoup moins fréquent chez les religieux qui se trouvaient soumis à la discipline d’un ordre monastique. Cet article se donne comme objectif d’explorer comment les conflits à l’intérieur des monastères furent influencés par les relations des religieuses avec l’extérieur, et réciproquement, la puissance et la reconnaissance du statut social des personnes placées de chaque côté des murs du cloître jouant un rôle très important.
6Bien que les règles monastiques médiévales aient pendant longtemps témoigné peu d’intérêt envers la régulation du monachisme féminin – provoquant ainsi des problèmes majeurs au cours des siècles centraux du Moyen Âge –, les espaces monastiques pour les femmes se généralisèrent dans tout l’Occident au haut Moyen Âge. Dans le Nord-Ouest de la péninsule Ibérique, la règle de saint Fructueux, la Regula communis du viie siècle, organisa le monachisme féminin d’une façon très durable à partir du modèle familial : les monastères formaient un village où les moines, leurs épouses et leurs enfants, vêtus de sacs, vivaient séparément. Les épouses avaient, comme leurs maris, embrassé la vie monastique, et les enfants suivaient un enseignement qui les préparait à devenir moines4. En outre, les monastères doubles furent probablement la solution la plus communément adoptée pour cloîtrer les femmes durant le haut Moyen Âge. Ces monastères doubles abritaient, en deux enclos séparés, des moines et des moniales, réunis sous l’autorité d’un même abbé ou – plus rarement – d’une même abbesse, comme ce sera ensuite le cas dans l’abbaye de Fontevraud. À la suite de l’arrivée des nouveaux ordres monastiques dans la péninsule Ibérique, on assiste à la quasi-disparition de ces monastères doubles et à la séparation des espaces monastiques masculins et féminins, même si les communautés féminines restaient généralement soumises à la tutelle des monastères masculins appartenant au même ordre.
7La dépendance des religieuses à l’égard des autorités épiscopales ou des monastères masculins renvoie bien évidemment à l’idée de soumission des femmes aux hommes, constamment répétée dans les discours ecclésiastiques. Mais il ne faut pas oublier que la fondation de monastères pour femmes dans la société chrétienne au Moyen Âge constituait la clé de voûte des stratégies visant à la préservation du patrimoine et à la reproduction sociale des familles nobles5. Dans le cas du royaume de Castille au cours des siècles centraux du Moyen Âge, de nombreux monastères jouissaient d’un pouvoir et de richesses significativement plus élevés que ce que l’on connaît pour d’autres zones géographiques. Ce phénomène s’explique, semble-t-il, par l’existence d’une loi wisigothique permettant aux filles d’hériter de leurs parents dans des conditions similaires à celles des fils, système qui permettait aux femmes de détenir et de gérer des biens immeubles et des ressources économiques6. De plus, les fondations monastiques en Castille furent le fait d’une noblesse régionale qui avait du mal à trouver un espace politique propre, difficulté qui se manifestait à tous les niveaux de la famille (hommes et femmes). L’entrée des femmes dans des monastères, en particulier cisterciens, permit d’éviter le contrôle non seulement des hommes sur les femmes, mais également des autorités ecclésiastiques et de la monarchie sur les familles nobles et leur patrimoine.
8À partir du dernier tiers du xiie siècle, les monastères, notamment ceux liés à l’ordre cistercien, connurent un succès important et attirèrent les femmes de la haute noblesse du royaume de Castille. En dépit de leur entrée dans la vie religieuse, ces femmes maintenaient des liens étroits avec leur lignage et contrôlaient leur patrimoine, dont elles disposaient librement. Par conséquent, on trouve fréquemment parmi les abbesses – domina ou dominatrix – une succession de femmes appartenant à la même famille : ce phénomène a un sens patrimonial. Il convient également de mentionner la condition de veuves de la plupart des fondatrices, condition qui leur permit un plus grand contrôle sur les sources de pouvoir et de richesse, et sur les douaires apportés à la communauté au moment de leur entrée en clôture. Ces femmes, leurs filles, leurs sœurs et leurs parentes étaient les abbesses de leurs propres fondations. Elles réussirent à avoir une indépendance remarquable dans la gestion monastique, bien plus grande de celle que l’on connaît pour la plupart des monastères féminins dans les autres royaumes chrétiens7.
9Ces femmes semblent avoir transformé, aux xiie et xiiie siècles, une réalité qui pouvait être considérée en théorie comme défavorable – l’entrée forcée dans le monastère – en position avantageuse. Assumer les charges de commandement leur permit d’exercer le pouvoir à l’intérieur comme à l’extérieur des murs du monastère. Pour celles qui ne pouvaient accéder à la charge abbatiale, il y avait toujours la possibilité d’occuper d’autres fonctions administratives monastiques ou d’être une dame (dueña, domina) vivant au monastère, ce qui ne manquait pas de prestige social8. Le fait d’être des femmes nobles les préservait des ingérences dans la gestion de leurs domaines. Les abbesses, contrairement à ce qui se passait dans les monastères masculins, pouvaient exercer leur fonction à vie. En raison de la puissance de ces religieuses, on peut supposer que les affrontements avec les abbés des monastères auxquels elles étaient soumises ou avec les évêques des villes dans lesquelles leurs monastères se trouvaient, furent probablement très fréquents, bien plus que la documentation ne le laisse percevoir.
10J’analyserai deux conflits bien documentés par les sources – à vrai dire, les seuls conflits bien documentés que j’aie pu trouver –, qui peuvent apporter un éclairage sur la réalité des monastères féminins au cours des siècles centraux du Moyen Âge en Castille-León. Même s’ils semblent apparemment très différents, tant par le type d’institution ecclésiastique (un monastère cistercien et un couvent urbain), la taille (un premier monastère grand et puissant, le second plus petit et avec moins de ressources), le statut social (des religieuses issues d’une lignée royale dans un cas, de la petite noblesse urbaine dans l’autre) ou le type du récit conservé (l’un masculin, émanant des autorités ecclésiastiques externes, l’autre féminin, écho des dépositions des religieuses impliquées), ils soulèvent un certain nombre de problèmes communs qui révèlent des processus parallèles. Ils montrent surtout l’ingérence constante des puissances externes – évêques, représentants des ordres monastiques, abbés, envoyés du pape – dans la vie quotidienne des religieuses, et les conséquences de cette situation en cas de conflits à l’intérieur des monastères.
11On peut partir d’une observation initiale : la documentation des monastères de femmes est particulièrement explicite quand il s’agit de décrire les manifestations de violence et les crises provoquées par la confrontation des religieuses avec le monde extérieur. Cela s’explique peut-être par le fait que, ces conflits n’étant pas circonscrits à l’intérieur des murs et donc réduits au silence par la communauté elle-même, leur processus de résolution a généré une documentation écrite très détaillée, qui tranche avec la plupart des récits conservés dans les cas de conflits dans les monastères masculins.
Le pouvoir des señoras et le silence des moniales de Santa Maria la Real de Las Huelgas de Burgos
12Le monastère cistercien féminin de Santa Maria la Real de Las Huelgas fut la grande fondation royale du règne d’Alphonse VIII de Castille (1154-1214). Comme en attestent les chroniques et les documents, elle fut faite directement à l’instigation du roi et de sa femme, la reine Aliénor d’Angleterre, fille d’Aliénor d’Aquitaine et de Henri II Plantagenêt9. Situé à la périphérie de la ville de Burgos, la ville castillane la plus dynamique à cette époque, Las Huelgas fut fondé en 1187. À partir d’une dotation initiale de près de cinquante villes et terres, les rois castillans constituèrent un important patrimoine qui prospéra au fil du temps10. La vie monastique naquit avec l’arrivée d’un groupe de moniales du monastère de Santa Maria de Tulebras (Navarre), qui était depuis 1157 le premier monastère cistercien féminin de la péninsule Ibérique. En 1199, l’abbaye de Cîteaux donna à ce monastère le droit d’être élevé au titre d’ecclesiam matrem. Il devint ensuite la maison mère des monastères féminins de Castille-et-León, sur lesquels il exerçait sa juridiction, les abbesses étant nommées par l’abbesse de Las Huelgas11.
13Lorsqu’on considère les monastères féminins castillans, et en particulier cisterciens, on observe deux situations différentes. En premier lieu, tous les monastères fondés par des femmes et gouvernés par elles ou par leurs parentes furent placés sous la tutelle du monastère de Las Huelgas, afin de limiter l’ingérence directe des hommes. Parmi les monastères féminins les plus importants de Castille-et-León qui se rallièrent rapidement à l’ordre cistercien, on trouve celui de Cañas, fondé en 1160 par la comtesse Aldonza Ruiz, mère et aïeule des premières abbesses ; celui de Gradefes, fondé en 1168 par dame Teresa Pérez, du lignage des Froilaz, et première abbesse (à laquelle succédèrent sa fille et sa petite-fille) ; celui de Carrizo, fondé en 1176 par la comtesse Stéphanie, veuve du comte Ponce de Minerve et mère de la première abbesse ; celui de Fuencaliente, fondé, la même année, par Urraca de Avellaneda, première abbesse ; celui de San Andrés del Arroyo, fondé, en 1181, par dame Mencía de Lara, première abbesse et tante de la seconde ; celui de Villeña, fondé en 1222 par Urraca López de Haro, troisième épouse du roi Ferdinand II de León ; celui de Villamayor de Los Montes en 1228, dont les premières abbesses furent les filles des fondateurs ; celui de Otero de Las Dueñas, enfin, fondé en 1240 par la fille de Urraca López de Haro, fondatrice elle-même de celui de Vileña.
14En revanche, dans les monastères cisterciens féminins fondés par des femmes qui n’avaient pas réussi à développer des liens étroits avec leurs fondateurs, c’est le parrainage direct des hommes au travers de la tutelle d’un monastère masculin du même ordre qui se développa. Tel est le cas de San Miguel de Dueñas, fondé par l’infante Sancha, sœur d’Alphonse VII, tombé sous la tutelle du monastère de Carracedo, et de bien d’autres également, comme Santa Coloma de Las Monjas, placé sous la tutelle de Moreruela, ou de Buenafuente de Sistal, sous la tutelle de Santa María de Huerta12. Au Portugal, le premier monastère cistercien féminin, Lorvao, fut remis à l’infante Thérèse de Portugal après que le roi Sanche Ier, son père, eut expulsé la communauté bénédictine masculine, ce qui provoqua un long conflit, résolu par Innocent III en 1211. Comme à Las Huelgas de Burgos, le pouvoir de l’infante sur la communauté cistercienne de Lorvao était extraordinaire : elle nommait les abbesses, avait des vassaux, des procureurs et des ecclésiastiques à son service, et possédait son propre sceau, symbole, entre autres, d’autorité publique13.
15Les abbesses de Las Huelgas, riches et puissantes, profitèrent d’une autonomie et d’un pouvoir inhabituels. En effet, elles échappaient à la tutelle de l’évêque de Burgos et ne dépendaient que du pape. La protection du roi joua un rôle clé dès la fondation du monastère. Las Huelgas était un monastère lié à la monarchie, devenu, sans doute par inspiration de l’abbaye de Fontevraud, panthéon royal pendant quelques décennies (y furent enterrés Alphonse, Aliénor et plusieurs de leurs enfants – y compris le successeur au trône, Henri Ier). Le monastère a également été le cadre de plusieurs cérémonies royales (mariages, entrée dans la chevalerie) et le lieu de retraite des femmes du lignage royal de Castille à la fin de leurs jours14. LA première abbesse était l’une des filles des rois fondateurs et, tout au long du xiiie siècle, beaucoup de femmes de la famille royale entrèrent à Las Huelgas en tant que señoras (dominae, dames), titre que seules les infantas de Castille pouvaient porter. Cette appellation manifestait l’usage qu’elles pouvaient faire de leur influence politique en faveur du monastère et leur rôle d’intermédiaires entre la monarchie et la communauté monastique. Citons, entre autres, Constance, sœur de la reine Bérengère ; Léonor, une autre sœur de Bérengère, arrivée à Las Huelgas après son divorce de Jacques Ier d’Aragon en 1234 ; Constance, fille de Bérengère et sœur du roi Ferdinand III ; Bérengère, sa fille et sœur d’Alphonse X, désignée comme señora du monastère en 1245 ; une autre Constance, fille d’Alphonse X. Toutes furent enterrées dans le panthéon du monastère. Les abbesses, pour leur part, appartenaient habituellement à des familles nobles et à celle des ricos hombres. Les moniales conservaient leur patrimoine à vie, qui pouvait revenir à leur lignage d’origine à leur mort, comme le concédait un privilège d’Alphonse X en 1270. Le pape Alexandre IV leur avait aussi accordé, en 1259, le privilège de porter des vêtements spéciaux15. Le nombre de femmes habitant à Las Huelgas était important : grâce aux documents monastiques, on sait que le monastère logeait habituellement cent moniales et quarante filles, auxquelles il faut ajouter les servantes.
16Le monastère de Las Huelgas de Burgos pourrait être considéré comme l’un des plus puissants du royaume de Castille au début du xiiie siècle. Mais ses moniales, y compris l’abbesse ou domina, en tant que femmes, ne pouvaient exercer les prérogatives réservées aux hommes, comme d’entendre les confessions, dire la messe ou prêcher. La tension existant entre leurs capacités réelles et leur dépendance à l’autorité masculine est au cœur des conflits postérieurs. Dès la fondation du monastère, les abbesses de Las Huelgas, placées à la tête de plusieurs autres monastères en Castille, tout comme les abbesses des autres monastères cisterciens, tentèrent de réduire les compétences des agents externes. En 1188, le pape Clément III accorda sa protection au monastère et interdit à l’évêque de Burgos de s’immiscer dans ses affaires, en particulier dans le choix de l’abbesse16.
17Les documents pontificaux ainsi que ceux issus du chapitre général de Cîteaux et de la chancellerie royale de Castille recueillent des témoignages qui nous permettent de deviner les germes des conflits postérieurs. En 1210, le pape Innocent III ordonne aux évêques de Palencia et Burgos de ne pas consentir à ce que les abbesses de leur diocèse consacrent les religieuses, entendent la confession et prêchent publiquement, ce qui indique clairement que certaines abbesses s’arrogèrent des pouvoirs que leur refusait leur condition de femmes. Selon le pape Innocent III, le modèle à suivre pour les moniales était clair : s’il n’y avait aucun doute que la Vierge Marie était plus digne et excellente que les apôtres, ce furent cependant ces derniers, et non la Vierge, qui furent investis de la mission divine (quia licet beatissima Virgo María dignior et excelentior fuerit apostolis universis, non tamen illi, sed istis, Dominus claves regni celorum commissit)17. Même si le pape ne cite pas explicitement le monastère de Las Huelgas, il semble évident qu’il s’adresse à lui. Ce que nous savons en revanche avec certitude, c’est que la forte capacité de réponse du monastère provoqua des tensions de plus en plus fortes lorsque les religieuses essayèrent, à plusieurs reprises, de se libérer de la tutelle de l’ordre cistercien, en recherchant le soutien de la monarchie et la protection de la papauté.
18Dans la première moitié du xiiie siècle, le monastère de Las Huelgas fut impliqué dans de nombreux conflits. Tous ont un dénominateur commun : la pression exercée par l’abbesse pour agir indépendamment des pouvoirs masculins auxquels le monastère était soumis, à savoir l’évêque de Burgos, le chapitre général de Cîteaux et les monastères cisterciens masculins proches de la ville de Burgos. Dans tous ces conflits, les religieuses obtinrent le soutien des rois de Castille et souvent des concessions de la part du pape. Ce tour de force impliquait probablement, même si l’on manque de documents pour le prouver, une escalade de la violence dans la ville de Burgos et une forte augmentation des conflits. Entre 1238 et 1252, le chapitre général de Cîteaux se fait l’écho de ces tensions : en 1238, il demande à l’abbé de Cîteaux d’admonester, s’il le juge approprié, la communauté de Las Huelgas, tandis qu’en 1260 il ordonne au même abbé de Cîteaux de punir les excès des moniales de Las Huelgas, qui ne voulaient pas obéir aux juges nommés pour régler de vieilles querelles18. La situation ne s’était pas améliorée un an plus tard, lorsque le chapitre général procéda à la destitution de l’abbesse et à l’excommunication de nombreuses religieuses qui avaient refusé d’admettre les visiteurs cisterciens19. L’excommunication était encore en vigueur en 1263.
19Les documents pontificaux jettent plus de lumière sur la situation. Un document d’Innocent IV, daté de 1244, fait référence au scandale qui eut lieu lors de la cérémonie d’entrée au monastère de Bérengère, fille du roi Ferdinand III. Il semble que, pendant la célébration de la messe, l’abbesse Agnès eut l’audace et l’imprudence de consacrer Bérengère, fille du roi Ferdinand, et de lui remettre le voile, en présence du roi, de la reine, de nombreux autres religieux et de laïcs, et ce, contre l’avis de l’évêque. Pour remédier au « grand scandale » que provoqua, semble-t-il, l’attitude de l’abbesse auprès de la cour et des ecclésiastiques castillans, le pape écrivit le jour même à l’évêque de Burgos en l’autorisant à imposer le voile des vierges à l’infanta et à prendre des mesures pour châtier l’abbesse de Las Huelgas20.
20Pendant près d’un siècle de conflits entre les femmes riches qui gouvernaient un monastère d’une très grande puissance et les institutions ecclésiastiques masculines qui essayaient de le contrôler, jamais la voix de la communauté monastique de Las Huelgas ne s’éleva. Le pouvoir et l’autorité de l’abbesse et des señoras de Las Huelgas – de par leur position sociale et familiale, mais également en tant que propriétaires d’un patrimoine dont elles pouvaient hériter et qu’elles pouvaient conserver et transmettre après leur entrée en religion, et en tant que gestionnaires des dons royaux – empêchèrent sans doute toute manifestation extérieure de la communauté monastique féminine en tant que telle. Nous ignorons quelle pouvait être la réaction des moniales à l’intérieur des murs face à des abbesses qui disaient la messe, administraient les sacrements et les entendaient en confession, assumant ainsi des prérogatives qui leur étaient en principe refusées. On peut soupçonner certaines choses, mais elles sont invérifiables. Le type de documentation qui raconte ces épisodes nous transforme en simples spectateurs devant les portes d’un monastère qui se ferment devant nos yeux.
Voix multiples dans les conflits du couvent féminin de Las Dueñas de Zamora
21Mais les portes s’ouvrirent bien devant le spectateur quelques années plus tard au couvent de Las Dueñas de Zamora, une ville d’importance mineure, non loin de Burgos. Ce couvent, fondé en 1264, était soumis à l’ordre des prêcheurs, dans le contexte de l’expansion rapide des dominicains en Castille dans le troisième quart du XIIIe siècle21. Ses fondatrices, deux sœurs, Elvire et Chimène, issues de la noblesse urbaine, jurèrent obéissance et soumission à l’évêque de Zamora, chargé de l’administration et de la discipline du couvent. L’année suivante, Elvire et Chimène reçurent du pape Clément IV des garanties pour conserver le contrôle sur leur patrimoine et sur les biens du monastère. À la fin des années 1260, les conflits avec l’évêque durent être nombreux, du fait de la soumission contrainte des religieuses au pouvoir épiscopal, comme on l’a déjà vu dans le cas de Las Huelgas de Burgos. Mais, contrairement au cas de Las Huelgas, la documentation nous permet d’appréhender de façon détaillée et tout à fait inhabituelle les divisions à l’intérieur du couvent de Las Dueñas de Zamora entre, d’un côté, l’évêque et les religieuses qui lui sont fidèles et, de l’autre, les sœurs partisanes des frères dominicains et cherchant à échapper à la juridiction de l’évêque. Et ce qui pourrait être anecdotique s’est transformé, grâce à une documentation exceptionnelle, en un témoignage de la conduite et des sentiments de toute une communauté.
22En 1279, lorsque la situation était sans doute devenue intenable, l’évêque de Zamora convoqua l’abbesse et les trente-trois sœurs de Las Dueñas de Zamora pour comparaître devant le tribunal épiscopal. Elles devaient répondre du refus de certaines religieuses, dont la fondatrice doña Chimène, d’obéir à l’autorité de la prieure, qui avait été persécutée et harcelée pour être l’une des partisanes de l’évêque. Les dépositions des sœurs font clairement apparaître des réseaux de loyauté ainsi que des conflits liés au rang et aux hiérarchies à l’intérieur du couvent. Ces dernières étaient déterminées par le statut social des religieuses ainsi que par leur position et celle de leurs familles dans le monde urbain, en dehors des murs du couvent.
23Les dépositions des sœurs, recueillies dans un document extraordinaire, conservé dans les archives de la cathédrale de Zamora et publié par l’historien Peter Linehan22, racontent le scandale qui eut lieu dans le couvent. Si certaines religieuses refusèrent de se soumettre à l’interrogatoire, celles qui témoignèrent durent répondre à une série de questions sur la vie et les coutumes de la communauté, sur la célébration de la liturgie et sur la prieure, Maria Martinez. Ces dépositions confirment l’intervention dans le conflit des agents épiscopaux, d’une part, et des frères dominicains de Zamora, de l’autre. Cette affaire eut un retentissement important dans la ville, du fait des rumeurs courant sur les querelles et discordes des religieuses23.
24L’évêque de Zamora recueille le témoignage des trente-quatre sœurs sur les conflits à l’intérieur du couvent, le comportement des frères dominicains de Zamora et leur responsabilité dans le conflit. Il les interroge également pour savoir qui est la plus apte parmi les sœurs de Las Dueñas pour être la prieure du couvent. Toutes les femmes interrogées s’accordent sur l’existence du conflit, la désobéissance aux règles, le non-respect du silence et la division interne à la communauté : une partie des religieuses obéissent à la prieure et d’autres s’y refusent (les dépositions permettent de connaître les noms des unes et des autres) ; l’une des factions soutient l’évêque, tandis que l’autre est favorable aux frères prêcheurs. La plupart des femmes interrogées considèrent que le conflit tire son origine de l’implication des frères dans le monastère. Quant à savoir laquelle des sœurs est la plus apte à être prieure, les opinions divergent. Parmi les religieuses qui témoignent, on trouve la prieure, Maria Martinez, partisane de l’évêque, et doña Chimène, fondatrice du couvent quinze ans auparavant.
25Les dépositions mettent en lumière le rôle de chacune des religieuses, le vol et la profanation des reliques dans l’église, la violence ainsi que le laxisme qui règnent à l’intérieur du couvent. Le premier témoignage est celui de la sous-prieure, que la plupart des sœurs souhaiteraient avoir comme prieure. Ses propos sont ambigus et elle donne peu d’explications. La deuxième religieuse interrogée, domina Chimène (peut-être la fondatrice), mentionne en détail les questions liturgiques et évoque la situation des religieuses excommuniées24.
26Un des témoignages les plus complets est celui de María Martínez – dont on sait qu’elle est la prieure, sans que cela soit jamais dit explicitement –, qui témoigne en quatorzième position. Le détail de sa déposition est frappant. Elle parle tout d’abord de l’observance de la règle puis des comportements illicites. Elle affirme qu’il n’y a aucune observance de la règle, des constitutions ou du silence (regula nec constitutiones non seruantur, silencio non seruantur). Les sœurs reçoivent des cadeaux et des messages des dominicains, et elles transmettent des messages écrits sur leurs doigts (quas cedulas habebant mulieres scriptas in digitis). D’après María Martínez, la discorde entre les sœurs est due aux frères qui entrent dans le couvent et s’adonnent à des activités licencieuses avec les moniales25. La prieure donne quelques exemples de ces activités dissolues : les frères se déshabillent devant les religieuses et, une fois, l’un d’entre eux, qui était nu, a mis la robe de doña Chimène (la fondatrice ?) alors que celle-ci faisait ses besoins ; l’office divin n’est pas célébré ; les sœurs rebelles composent et chantent des chansons sur la prieure ; elles ont pris les nappes d’autel, des reliques et des clés ; elles menacent la prieure de l’enchaîner et de la tuer ; un des frères est allé avec l’une des sœurs, Caterina – qui est sortie illicitement du couvent –, vendre du blé dans les villages ; plusieurs sœurs ont frappé la prieure et l’ont blessée en l’écrasant entre deux portes, ce qui l’a fait saigner ; certaines religieuses ont refusé de manger dans le réfectoire et mangent dans leurs chambres ; enfin, le mauvais œil a été jeté sur la prieure26.
27Les témoignages suivants, ceux de Chimène Perez, Sol Martinez et domina Caterina de Benavente, sont encore plus détaillés. La première affirme que les sœurs ont pris des amants et ont formé des couples avec les frères dominicains. Plusieurs religieuses, craignant sans doute d’être violées, se sont enfermées dans le four où elles se sont presque étouffées. La prieure a été insultée et traitée de fille d’hérétique. L’un des frères, nommé Jean, enseignerait à son amante Agnès les avantages d’être avec un vieil homme comme lui plutôt qu’avec des jeunes. Les sœurs déshabillent puis rhabillent les frères, comme une sorte de jeu. Les religieuses quittent les offices pour aller boire. Les rebelles punies ont été libérées. Tout, dans ces dépositions, donne l’impression que la révolte a triomphé sur l’autorité27.
28La déposition suivante, celle de Sol Martinez, précise que l’un des dominicains, frère Munio, menace les sœurs favorables à l’évêque. Elle mentionne également des échanges de vêtements entre les frères et les sœurs : les premiers donnent à leurs amantes des ceintures de soie tandis que les sœurs leur donnent des suaires. Les frères se déshabillent devant les jeunes filles et courent après elles. Doña Stéphanie porte pendant la nuit les pantalons de frère Gilles comme gage de son amour (Domina Sthepania dicebat quod habebat saraberas fratris Egidii de nocte et tenebat eas pro amore eiusdem fratris). Les sœurs rebelles veulent battre l’évêque. Les sœurs possèdent toutes des propriétés (Fere omnes moniales habent proprium). Enfin, les sœurs excommuniées célèbrent les offices alta uoce28.
29Quant à la déposition de domina Caterina, elle ajoute à la désobéissance à la règle, aux constitutiones et au non-respect du silence le fait que les sœurs lavent les linges de leurs amants et les portent en procession dans le cloître29. Elles se font appeler par les noms des frères. Elles ont jeté le mauvais œil sur la prieure. Elles l’ont insultée en langue vernaculaire et frappée30.
30Les témoignages de toutes les autres sœurs s’accordent sur l’existence d’un conflit qui tire probablement son origine de l’extérieur du couvent de Las Dueñas. Deux factions s’opposent au sein du couvent : certaines religieuses soutiennent l’autorité de la prieure et celle de l’évêque, les autres font alliance avec les dominicains. Les trente-quatre dépositions éclairent la personnalité de chaque religieuse. En fonction du parti auquel elles adhèrent, leurs opinions diffèrent concernant la religieuse la plus à même d’être prieure. On constate que les dépositions des sœurs rebelles sont courtes et très vagues, tandis que celles des autres religieuses insistent sur les détails ; toutes s’accordent toutefois pour dire que la prieure n’est pas apte à gouverner le couvent. Les religieuses les plus puissantes suggèrent leur propre nom pour occuper la charge de prieure. Les différences de statut social au sein du couvent sont clairement exprimées dans les dépositions, celles qui sont nommées dominae ou doña venant probablement des plus importantes familles de la ville de Zamora. Le recours à l’écrit – les frères et les sœurs se transmettent des messages écrits sur leurs doigts ; des lettres sont jetées dans le chœur – ainsi que la présence extraordinaire de la gestualité (jeter le mauvais œil ; insultum contra eam cum digitis ad oculos) et surtout de l’oralité dans les dépositions sont un témoignage évident que la communication était un facteur clé dans le quotidien du couvent. Insulter en langue vernaculaire – merina, bacallar, caraça, asnal – est probablement un indice social important : c’est une Perona Franca, et non une doña ou domina, qui profère ces insultes contre la prieure31.
31Après l’intervention épiscopale confirmant la prieure dans ses fonctions, le conflit se poursuit. En 1279, le pape Nicolas III demande un nouveau rapport. Cette fois, les rebelles, dirigées par doña Chimène, ne comparaissent pas devant les juges. On nous dit que certaines d’entre elles mangeaient seules dans leurs chambres, d’autres sortaient du couvent pour boire et toutes avaient conservé les propriétés qu’elles possédaient avant d’entrer au couvent. Lorsque l’évêque confisqua le sceau du couvent, elles utilisèrent le leur, ce qui donne une idée de la haute position qu’elles occupaient. Lors de l’été 1281, les rebelles (environ quarante) sont installées à proximité, à Benavente, sous la tutelle de l’évêque d’Oviedo.
32Pour faire contrepoids à la version épiscopale, les dominicains de Zamora ont informé le pape en 1285 des vexations infligées par l’évêque Suero, qui avait excommunié les frères prêcheurs, leur avait interdit l’accès aux églises de la ville et du diocèse, leur avait défendu d’écouter en confession les laïcs et également d’entrer dans le couvent de Santa Maria de Las Dueñas, alors que cette communauté appartenait à l’ordre des prêcheurs par concession du pape. Lorsque les sœurs – nous supposons qu’il s’agit des rebelles dirigées par doña Chimène – avaient protesté, l’évêque avait utilisé un « langage grossier publiquement » contre elles et les frères. Il avait envahi le couvent « comme un ennemi », affirment les dominicains de Zamora, avait confisqué le sceau du couvent, emprisonné plusieurs sœurs, en avait excommunié d’autres, et avait mis au jeûne et expulsé le reste du couvent. Ainsi, pendant de nombreuses années, les sœurs avaient vécu une existence misérable, à la grande honte et au grand scandale des prêtres et des laïcs.
33Comment tout cela s’est terminé, nous l’ignorons. Nous ne sommes pas non plus certains que le conflit ait réellement existé. Comme la lettre des dominicains au pape le laisse soupçonner, le scandale faisait peut-être partie d’une stratégie de l’évêque face aux prêcheurs, un ordre religieux urbain et puissant qui menaçait le pouvoir et les ressources ecclésiastiques de la cathédrale de Zamora. En tout cas, peu de temps après cet épisode, le roi de Castille, Sanche IV, prit sous sa protection le couvent de Las Dueñas – la prieure était alors sa cousine, Blanche de Molina – et lui donna un certain nombre de privilèges, confirmant ceux du pape Honorius IV, qui permettaient aux sœurs de conserver leurs propriétés, contre les statuts et la coutume de l’ordre dominicain. En 1297 et en 1315, les rois Ferdinand IV et Alphonse XI confirmèrent également tous les privilèges des sœurs de Zamora. Une fois de plus, la documentation médiévale montre le difficile compromis entre la clôture des femmes de familles nobles et la dépendance et la soumission de ces monastères à des monastères masculins et des prélats dont la puissance était parfois nettement inférieure.
34Désobéissance envers l’autorité, infraction à la liturgie et la règle monastiques, profanation des reliques, violence, rapports sexuels consentis, stupre, il ne semble pas, en tout cas, que l’on ait eu affaire à des situations très exceptionnelles dans le milieu monastique. À la même époque que celle du scandale de Zamora, le roi de Castille Alphonse X, qui était le frère de l’infanta Bérengère, à qui l’abbesse de Las Huelgas avait imposé le voile de novice, écrivait ses très célèbres Cantigas de Santa Maria, où il racontait les miracles de la Vierge en langue vernaculaire galicienne, et dont l’un des manuscrits contient des vignettes qui expliquent le contenu du texte. Dans la Cantiga numéro 7, une abbesse enceinte s’est confiée à la Vierge. Bien sûr, l’épisode se passe bien loin de Zamora, à Cologne32…
Notes de bas de page
1 Elizabeth A. Lehfeldt, Religious Women in Golden Age Spain. The Permeable Cloister, Aldershot, Asghate, 2005, p. 1-2. L’histoire est parue dans les journaux El País, 22, 24 et 25 septembre 1997, et ABC, 23 septembre 1997.
2 La Vanguardia, 4 octobre 1997. Cette référence n’apparaît pas dans le livre d’Elizabeth A. Lehfeldt.
3 Graciela S. Daichman, Wayward Nuns in Medieval Literature, Syracuse, N. Y., Syracuse University Press, 1986, p. 5.
4 Pablo C. Díaz Martínez, « El monacato y la cristianización del Noroeste hispano. Un proceso de aculturación », Antigüedad y Cristianismo, 7, 1990, p. 531-539.
5 Sur les façons dont les richesses ont été canalisées par les familles vers l’Église et sur le rôle des femmes, voir Jack Goody, L’évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, Armand Colin, 1985 (avec préface de Georges Duby).
6 Manuel-Angel Bermejo, Parentesco, matrimonio, propiedad y herencia en la Castilla altomedieval, Madrid, Universidad Carlos III, 1996.
7 Le patrimoine et les richesses accumulés par les monastères féminins, en particulier cisterciens, en Castille, sont très importants, comme leur rôle fondamental dans la préservation de la mémoire des lignages fondateurs. Ibid. ; Ghislain Baury, « Sainteté, mémoire et lignage des abbesses cisterciennes de Castille au xiiie s. La comtesse Urraca de Cañas (av. 1207-1262) », Anuario de Estudios Medievales, 41/1, 2011, p. 151-182.
8 Maria Filomena Coelho, Expresiones del poder feudal : el Císter femenino en León (siglos XII-XIII), Universidad de León, Secretariado de Publicaciones, 2006.
9 Rodrigo Jiménez de Rada, Historia de Rebus Hispaniae, Juan Fernández Valverde (éd.), Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum. Continuatio Medievalis, 72), 1987, p. 255 : Set ut Altissimo complaceret, prope Burgis ad instanciam serenissime uxoris sue Alienor regine monasterium dominarum Cisterciensis ordinis hedificauit et nobilissimis fabricis exaltauit et multis redditibus et possessionibus uariis sic dotauit, ut uirgines sancte deo psallunt, nec inopiam senciant nec deffectum, sed structuris, claustro et ecclesia et ceteris hedificis regaliter consumatis expertes sollicitudinis in contemplatione et laudibus iugiter delectantu (livre VII, chap. xxxiii).
10 Alphonse VIII fait la dotation initiale en juin 1187. Documentación del monasterio de Las Huelgas de Burgos (1116-1230), J. M. Lizoaín Garrido (éd.), Fuentes medievales castellano-leonesas, Burgos, vol. 30, 1985, doc. 11, p. 19-23. L’abbé Guillaume de Cîteaux, cédant aux demandes du roi de Castille, autorise les abbesses cisterciennes de Castille-et-León à se rassembler annuellement dans le monastère de Las Huelgas. Ibid., doc. 16, p. 30-32.
11 1188, ibid., doc. 19, p. 35-36.
12 Ibid., p. 150-151. Cette situation fut courante hors des royaumes de Castille-et-León.
13 Maria Alegria F. Marques, Estudos sobre a ordem de Cister em Portugal, Faculdade de Letras da Universidade de Coimbra, 1998, p. 133 et suiv. ; voir aussi Id., « Les premières nonnes cisterciennes au Portugal. Le rôle des femmes de la famille royale », dans Bernadette Barrière, Marie-Élisabeth Henneau (dir.), Cîteaux et les femmes. Actes des Rencontres de Royaumont, 1998, Paris, Créaphis, 2001, p. 213-226.
14 Jose Manuel Lizoaín Garrido, El monasterio de las Huelgas de Burgos : historia de un señorio cisterciense burgales (siglos XII y XIII), Burgos, 1988 ; Ana Rodríguez, « La preciosa transmisión. Memoria y Curia Regia en Castilla en la primera mitad del siglo XIII », dans Pascual Martínez Sopena, Ana Rodríguez (dir.), La construcción medieval de la memoria regia, Valencia, Universidad de Valencia, 2011, p. 295-324 ; Rose Walker, « Leonor of England, Plantagenet Queen of King Alfonso VIII of Castile, and her Foundation of the Cistercian Abbey of Las Huelgas. An Imitation of Fontevraud ? », Journal of Medieval History, 31/4, 2005, p. 346-368.
15 Documentación del monasterio de Las Huelgas de Burgos (1131-1262), Jose Manuel Lizoaín Garrido (éd.), Fuentes medievales castellano-leonesas, Burgos, vol. 31, 1985, 509, p. 341.
16 Ibid., vol. 30, doc. 22, p. 41-45.
17 Ibid., doc. 104, p. 168-169.
18 Ibid., vol. 31, doc. 513, p. 347.
19 Ibid., doc. 519, p. 355-356 : Pervenit ad audientiam Capituli generalis quod Helvira, abbatissa monasterii Sanctae Mariae Regalis prope Burgos, dominum Cistercii patrem proprio monasterii supradicti ad officium visitationis admittere recusavit et, quod absurdius est, per precurationem missum ad hoc, nomine suo et conventus sui et filiarum suarum, vocem apellationis emisit. Nolens, igitur, Capitulum generale tantae praesumptionis excessum sub dissimulatione transire, dictam Helviram et omnes personas Ordinis, quae eidem in huius praesumptionis crimine participaverunt, in excommunicationis et depositionis sententias […].
20 14 mars 1244, Latran. La documentación pontificia de Inocencio IV (1243-1254), Augusto Quintana Prieto (éd.), Rome, Instituto Español de Historia Eclesiástica, 1987, vol. I, doc. 47, p. 68-69 : Ad aures nostras nuper abusiva presumptio et abusio detestanda pervenit quod […] filiis nostris regis Castellae et Legionis, et matre sua, illustribus, invitatus ad velandam dilectam in Christo filiam Berengariam, sanctimonialem virginem monasterii Sancte Marie Regalis, cisterciensis ordinis, filiam regis ipsiud, ad idem monasterium accessisset, eodem ibi missam solempniter celebrante, [Agnes] abbatissa loci ejusdem, in tantam prorupit temeritatis audaciam quod, eiusdem regi ac regine et multis aliis religiosis et secularibus presentibus […] ipsoque episcopo contradicente, dicte virgini sacrum, immo execrandum consecrationis velum presumpserit imponere contra canonicas sanctiones, de que grave scandalum est exortum.
21 Peter Linehan, The Ladies of Zamora, Manchester, Manchester University Press, 1997.
22 Les dépositions des moniales ont toutes été publiées par Peter Linehan, en annexe de son livre sur le couvent de Las Dueñas de Zamora, ibid., p. 161-173.
23 Ibid., p. 161 : Clamore et fama tam quarumdam dictarum monialium quam populi nobis referentibus multas rixas et discordias habitas inter moniales predictas.
24 Ibid. p. 163, déposition no 2 : Domina Xemena iurata et interrogata dixit quod silencium non seruantur. Item dixit quod omnes confessate fuerunt sed plures non acceperunt corpus Christi. Item dixit quod excommunicate uolebant intrate ecclesiam et uidendum corpus Christi. Priorissa claudebat portam ecclesie. Interrogata de creatione priorisse respondit quod subpriorissam.
25 Ibid. p. 168, déposition no 14 : Dissolutio erat quia fratres predicatores denudabant se coram monialibus et quidam frater nudus induit tunicam. […] Diuina officia non celebrantur nec oris ad hoc deputatis. Et ille frater qui induit tunicam fecit rimas Ines Dominici. Item insurrexerunt contra priorissam Maria Martini dicendo quod non erat priorissa et quicumque eam diceret priorissam pecabat mortaliter quia non erat priorissa nisi trium. Turpia uerba dixerunt ei et cominabantur ei et spoliauerunt priorissam officio priorisse, et specialiter Domina Xemena et subpriora et domina Sthepania, Marina Roderici et omnes alie que erant exparte predicatorum et iuuabant istas moniales in hac spoliatione. Domina Perona et Maria de Xiuilia occuparunt linteamina que erant super altaribus et postmodum restituerunt priorisse. Domina Xemena habuit reliquias et nunquam habeunt eas. Claues quibus priorissa fuerat spoliata nunquam recuperauit priorissa. Item Domina Xemena nunquam fuit obediens priorisse licet priorissa iniungebat ei in uirtute obediencie. Eta lie erant inobedientes ei et licet dabat penitentiam eis non seruebant, et nullam obedientiam seruabant ei.
26 Ibid. p. 168-169, déposition no 14 : […] Petrus Petri clerigus uenit ad monasterium, dixit quod moniales erant incorporate ordini fratrum predicatorum et quod ducerent priorissam captam. Et hoc asserebat ut recederet priorissa, alioquin caperetur priorissa et duceretur per tibias et daretur ei mortem. […] Arnalda et Marina Garsie et eius filia et alia plures fecerunt cantinelas Marie Martini dum esset priorissa. Perona Franca percussit priorissam et inclusit eam contra mandatum suum uenit ad cratem. Miorouida cum haberet contencionem cum quadam moniali post completorium, et diuisisset eas strinxit priorissam inter duo janua taliter quod habuit emittere sanguinem. De litteris proiectis in coro et Te Deum Laduamus respondit ut cetere. Item Domina Sthepania dehonestauit matrem et auiam priorisse et genus suum, uituperando eam, et nolebat comedere cum aliis ad mensam in refectorio sed in quadam camera separata quam abstulit ei Maria Martini dum esset priorissa. Item recepit litteras Domina Sthepania, propter quam litteram priorissa Maria Martini grauiter fuit percussa in dormitorio. Eluira Petri quia priorissa dedit ei in penitenciam fecit insultum contra eam cum digitis ad oculos nec erat ei obediens quando uocabatur ad capitulum.
27 Ibid. p. 169, déposition no 15 : Xemena Petri, iurata et interrogata respondit quod regula et constitutiones et silencium. Discordia est in monasterio occasione fratrum predicatorum quia frater Munio dixit quod auferret habitus Domine Orobone. Maria Reinaldi cum fratre Bernabe, Ines Dominici cum fratre Nicholao, Marina Dominici Tauriensis cum fratre Iohanne Dauiancos, qui se denudauit in monasterio coram monialibus, […] intrauit monasterium et iuit ad coquinam, clausus fuit ibi et exiuit, et moniales cum metu suo inclusereunt se in furno et habuerant suffocari. […] Vituperabant priorissam et uocabant priorissam Marie Martini filiam heretici. […] Item Ines Dominici habebat duos fratres amasios, scilicet fratrem Johannes Dauiancos et fratrem Nicholaum. Et fratrer Johannes Dauiancos sedit cum ista in infirmaria in uno lecto, et dixit frater Johannes Dauiancos : « Mia mengengelina, non diligatis puerum sed diligatis me senem quia magis ualet bonus senex quod malus puer ». […] Domina Sthepania denudauit fratrem Egidium et postmodum uestiuit eum. […] De litteris proiectis in coro et de Te Deum Laudamus respondit ut cetere.
28 Ibid. p. 170, déposition no 16 : Sol Martinez iurata et interrogata. Regula et constitutiones non seruantur. Silencium non seruantur. Discordia uenit occasione fratrum predicatorum quia nolebant auferre iurisdictionem episcopi et dare sibi. […] Fratres predicatores aliqui dabant zonas suas cum serico puellis amasiis suis et moniales dabant sudarios et superzonas fratribus amasiis suis. […] Item contra mandatum episcopi domina Xemena et domina Sthepania, domina Perona et quedam alie aperuerunt portam maiorem fratribus predicatoribus et locute sunt cum eis ad portam. Frater Johannes Johannis dixit in monasterio : « Aqui casamiento de bon lugar pora frei Nicholas. » Dixit sic et incontinenti habuit amorem de Ines Dominici. Et M. Reinaldi et Perona Franca impulerunt priorissam dicendo ei : « Aleuiosa, dedisti litteras falsas » et alia multa dicebant uitupera priorisse que non sunt dicenda. […] Et de litteris proiectis in coro et de Te Deum Laudamus respondit ut cetere. Item Maria de Xiuilia et Mariam de Valladolit voluerunt ponere Mariam Martini dum erat priorissa in cathenis.
29 Ibid. p. 171, déposition no 17 : […] habebant fratres peredicatores amasios, et iste abluebant pannos fratrum, et postmodum remotis uiris incedebant processionaliter per claustrum ponendo sibi adinuicem nomina fratrum cantando cantum ac si mortuum tenerent presentem.
30 Ibid. : […] Hae Eluira Petri et Sancia Garsie insurrexerunt contra priorissam eundo cum digitis ad oculos dicendo priorisse : « Falsa et demoniada quia fecisti fratres predicatores expelli a monasterio propter clerico ». Perona Franca dixit contra priorissam : « Merina, bacallar, caraça, asnal », dicendo quod Gundisaluus Petri erat falsus qui portauerat litteras episcope et littere episcopi erant false. […] Item ille qui erant excommunicate proiciebant contra portam ecclesie lapides et clauserunt portam. « Prodest uobis domina Xemena est uobiscum. Alioquin non exiretis extra et ibi moriemini fame. » Pars que fouet partem predicatorum procurarunt se eximi a iurisdictione domini episcopi et subici fratribus predicatoribus. De litteris proiectis in coro et de Te Deum Laudamus respondit ut cetere.
31 Steven Vanderputten (dir.), Understanding Monastic Practices of Oral Communication (Western Europe, Tenth-Thirteenth Centuries), Turnhout, Brepols, 2011, p. 5 : This leads us to conclude that the tense relationship between the written world, its own testimonies of monastic orality, and orality itself is not just a methodological and heuristic problem. It represents the complex reality of the ways in which monks and nuns communicated both with each other and with the outside world.
32 Esta é como Santa Maria livrou a abadessa prenne, / que adormecera ant’ o seu altar chorando, dans Alfonso X, el Sabio : Cantigas de Santa María, Walter Mettmann (éd.), Madrid, Castalia, vol. I, 1986-1989.
Auteur
CCHS-CSIC, Madrid
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