Violence et obéissance
La place et le rôle des châtiments corporels dans les établissements d’enfermement aux xviiie et xixe siècles
p. 253-291
Résumés
La violence a-t-elle disparu de la prison moderne, devenue, partout en Europe, le mode de punition généralisé à l’aube du xixe siècle ? En partant du modèle, défendu par Michel Foucault, du basculement vers 1800 d’un régime pénal centré sur le supplice à un régime d’enfermement mû par le travail discret des disciplines, l’article s’interroge sur la réalité de la violence comme moyen légal du maintien de l’ordre et de l’imposition des règles dans les lieux d’enfermement allemands aux xviiie et xixe siècles. À cet effet, il étudie d’abord le rôle des châtiments corporels dans la société allemande avant et après 1800. Puis, en s’appuyant sur l’exemple de la Saxe, le texte cherche à répondre aux questions suivantes : Quelle place la violence occupait-elle dans les pratiques concrètes au sein du monde de l’enfermement ? Quels effets produisait-elle auprès de ceux qui avaient à la subir, et quel fut par conséquent son rôle dans la fabrication de l’obéissance ? Comment, enfin, faut-il interpréter cette violence si nous nous plaçons au niveau plus global des stratégies de stabilisation des ordres institutionnels au sein desquels elle a été mise en œuvre ? L’argumentation fait ressortir la persistance, voire l’intensification, des pratiques violentes dans les prisons allemandes après 1800. Les atteintes portées au corps et donc la violence dans sa forme directe, personnalisée et charnelle ont toujours constitué une option possible (même si ce fut en fonction des conjonctures politiques). Cette violence, pourtant, apparaît moins comme un moyen efficace de produire un quotidien réglé que comme une stratégie parmi d’autres pour inscrire dans la durée un dispositif institutionnel ancré dans la précarité et l’instabilité des configurations sociales sur lesquelles il reposait. En d’autres termes, la violence ne produisait pas de l’obéissance, mais son sens social fut de dissimuler le caractère processuel et contradictoire d’une obéissance constituant le point d’interconnexion entre une multitude de rapports de force traversant ce corps social qu’est la prison.
Has violence disappeared from the modern prison when, all over Europe, it had been the most widespread mode of punishment at the turn of the nineteenth century? Starting from the model advocated by Michel Foucault of a shift around 1800 of a criminal system centered around torture to a system of imprisonment though the discrete work of disciplines, this article questions the reality of violence as legal means of policing and enforcing rules in German detention centres in the eighteenth and nineteenth centuries. To this end, the article first examines the role of corporal punishment in German society before and after 1800. Then, through the example of Saxony, the text seeks to answer the following questions: What place does violence occupy in the concrete practices within the world of confinement? What effects does violence produce in those who have been subjected to it, and therefore what is its role in the production of obedience? Finally, how should we interpret this violence if we place ourselves at the global level of stabilization strategies of the institutional orders in which this violence was implemented? This argument highlights the persistence, even the intensification, of violent practices in German prisons after 1800. Violence in its direct, personalized and corporal form, as well as the damage it inflicts upon the body, has always been a possible option (though its use is dependent on political circumstances). This violence, however, appears less as an effective way to produce a regular daily routine as one strategy among many employed over time by an institutional arrangement anchored in the insecurity and instability of the social configurations on which it was based. In other words, violence did not produce obedience but its social role was to conceal the procedural and contradictory nature of an obedience that constituted the point of interconnection between the many power relations in the social body that is the prison.
Texte intégral
1Le 18 juin 1802, dans la Zuchthaus (littéralement : maison de discipline) de Waldheim, en Saxe, le gardien Friedrich Gottlieb Förster fait sa ronde. Arrivé dans la cour des femmes de cet établissement qui héberge des personnes des deux sexes, il remarque la détenue Johanna Rosina Nickaschukin qui, selon toute apparence, essaie de faire hisser par ses camarades, à l’aide d’une corde, un pot de café ou de thé dans l’atelier de filature de la maison. Conformément aux instructions reçues de sa hiérarchie, Förster intervient et lui demande de lâcher prise – car dans le cas contraire il devra non seulement confisquer le pot mais aussi rédiger un rapport à l’attention de l’administrateur de l’établissement. Cette demande a été faite sur un ton « bienséant », dira-t-il plus tard ; néanmoins, la Nickaschukin lui aurait aussitôt crié : « Toi, mille sacrements, je vais te tordre le cou » et, joignant le geste à la parole, se serait jetée sur lui, aurait essayé de l’étrangler et l’aurait bousculé avec une telle violence que son chapeau et sa perruque se seraient envolés et qu’il serait tombé par terre. Puis la détenue, dans sa rage, lui aurait arraché son martinet et aurait commencé à lui en donner des coups1.
2Les sources ne nous disent pas comment Förster a pu finalement se tirer de cette fâcheuse situation. En revanche, elles témoignent des doléances du gardien auprès de l’administrateur de la Zuchthaus : il appelle au secours, en insistant sur son âge (74 ans) et sur le fait que ce n’était pas la première fois qu’il se trouvait menacé. L’administrateur demande à ce qu’on lui amène la détenue récalcitrante et, lorsque celle-ci se trouve dans son bureau, menace de la faire rouer de coups. Toutefois, loin d’être intimidée, la Nickaschukin persiste dans son comportement, en injuriant l’administrateur et en se jetant à sa gorge, si bien que seule l’intervention d’un deuxième gardien, qui s’interpose avec son fouet, parvient à mettre un terme à cette foire d’empoigne.
3Cet événement n’est guère représentatif de la vie quotidienne au sein des établissements saxons autour de 1800. Mais il ne constitue pas non plus un simple fait divers que l’on pourrait aisément inscrire au répertoire des anecdotes. Comme tout conflit (ne serait-ce que par sa capacité à produire des sources), l’affrontement entre le gardien et la détenue furibonde reflète certaines particularités structurelles de l’enfermement : par exemple, des espaces poreux (une prisonnière peut déambuler librement dans la cour de la Zuchthaus), des défaillances criantes du personnel (un gardien très âgé qui, visiblement, se trouve seul face à un agresseur) et des lacunes dans la surveillance (que même le recours au fouet ne comble que partiellement). Mais l’incident n’est pas seulement un indice de structures déficientes, il pose également une question fondamentale pour la compréhension des actions sociales qui s’y opèrent : celle de la place de la violence – et notamment du châtiment corporel – en situation d’enfermement, y compris dans ce processus communicatif et marqué par des fortes asymétries de pouvoir que fut la fabrication de l’obéissance. Dans le contexte particulier d’une institution destinée au gouvernement des déviances et de la marginalité, le conflit nous donne donc un aperçu de ce que Michel Foucault appelait la « microphysique du pouvoir2 », c’est-à-dire de ces positionnements stratégiques complexes au sein d’un réseau de rapports de force multiples, ramifications d’un pouvoir se déployant en des relations qui exercent leurs effets non pas comme une forme extérieure (que l’on pourrait appeler répression) mais comme une sorte de flux qui traverse l’ensemble des groupes sociaux en investissant les corps de ceux qui les composent puisque « rien n’est plus matériel, rien n’est plus physique, plus corporel que l’exercice du pouvoir3 ».
4Comme chacun le sait, Foucault avait pourtant, dans Surveiller et punir, lié la prison à un pouvoir spécifique, les disciplines, en la décrivant comme le point culminant d’une nouvelle manière de façonner les corps humains, de les rendre dociles et utiles, par la surveillance et le contrôle, l’identification et la classification, le quadrillage des gestes et l’organisation méticuleuse du temps et de l’espace. L’observation et l’exercice formaient, selon Foucault, le cœur de ces nouvelles techniques qui sont nées dès les xvie et xviie siècles – dans l’armée, les collèges, les hôpitaux ou les ateliers – mais qui n’ont atteint leur zénith que dans la prison. « La prison est la figure dernière de cet âge des disciplines4. » Efficace et silencieuse, elle se substitue, autour de 1800, à l’« éclat des supplices », c’est-à-dire à la torture et aux grands spectacles des exécutions publiques qui furent, dans la pensée foucaldienne, l’expression d’une autre forme de pouvoir : un pouvoir monarchique qui s’était jeté, tout au long de l’époque moderne, sur les corps des condamnés pour y inscrire les traces de sa terrible force. Liturgie du sang et de la chair, d’un côté, donc, et travail discret des disciplines, de l’autre – cette différence marquait pour le philosophe la modernité du système pénal, une modernité qui ne reflète pourtant pas l’humanisation des peines, mais un changement fondamental des rapports du pouvoir effectif dans toute la société.
5Ce n’est toutefois pas ici le lieu où discuter du bien-fondé des analyses foucaldiennes ; d’autres l’ont fait avant et mieux que nous5. Ce qui nous intéresse est plutôt un détail : la place accordée à la violence dans la démonstration proposée par Surveiller et punir. Dès l’ouverture du livre par cette parataxe fracassante opposant l’exécution du régicide Damiens, en 1757, au projet, rédigé en 1838, d’un règlement intérieur d’une maison pour jeunes détenus à Paris, les rôles de la violence dans le récit que propose le philosophe sont bien définis : d’un côté, se produit une grande fête punitive sur la place publique, une frénésie des douleurs qui se mesure à l’aune des hurlements du condamné torturé et écartelé, un rituel sanglant et horrifiant ordonné par les juges du Parlement, et mis en scène par seize bourreaux sous les yeux d’une foule immense ; de l’autre, il n’y a plus que le silence d’une masse rompue qui, derrière les murs de la prison, se meut au rythme des paragraphes d’un règlement et sous le regard des surveillants. En d’autres termes, si les corps continuent bien à former la cible de la peine, la violence directe, personnalisée, charnelle s’est pourtant effacée, cédant la place à une contrainte généralisée portée non plus par la douleur mais par la force de la norme et l’efficacité d’une surveillance censée désormais se manifester partout.
6Cependant, comme nous l’avons montré au début de ce texte, la violence n’avait pas disparu des prisons à l’aube du xixe siècle (du moins en Allemagne6) – et elle n’en disparaît pas davantage dans les décennies suivantes. Foucault lui-même le reconnaissait, au détour d’une phrase évoquant les « châtiments disciplinaires », pièce maîtresse des nouvelles sanctions normalisatrices dont le but ne serait plus de punir mais de corriger : « À côté des punitions empruntées directement au modèle judiciaire (amendes, fouet, cachot), les systèmes disciplinaires donnent privilège aux punitions qui sont de l’ordre de l’exercice – de l’apprentissage intensifié, multiplié, plusieurs fois répété […]. Châtier, c’est exercer7. » On le voit bien, une certaine violence est toujours là, mais elle n’a plus qu’une place timide, celle du fouet et du cachot, vestiges d’un temps révolu, mis à l’écart par les nouvelles sanctions du dressage et de la correction. Si Foucault exalte la violence du temps des supplices – une violence sanglante, directe, corporelle, exécutée par des hommes qui touchent le condamné pour le blesser, le dépecer et le tuer –, il en minimise donc radicalement l’effet quand il en vient au temps des disciplines. Désormais, la réalité de la violence – son rapport au corps torturé ou anéanti et son caractère fondamental qui est de s’inscrire toujours dans des interactions sociales concrètes, d’être toujours une agression menée par des individus contre d’autres individus8 – s’estompe derrière les tristes mots des règlements et les gestes austères du « bon dressement ».
7C’est cette disparition que nous voudrions interroger ici, non pas pour ajouter une autre pièce au dossier déjà épais d’une herméneutique de l’œuvre foucaldienne (entreprise aujourd’hui quelque peu éloignée des préoccupations des historiens), mais pour lui opposer un constat empirique, à savoir celui des nombreux actes violents qui non seulement marquent les institutions de l’enfermement au xviiie siècle, mais qui y perdurent également au xixe siècle. En nous intéressant à un terrain encore peu connu en France et en appliquant une approche diachronique, nous proposons donc de scruter la réalité de cette violence, d’abord en étudiant, plus généralement, le rôle que jouaient les châtiments corporels dans la société allemande avant et après 1800, puis en cherchant, en nous appuyant plus particulièrement sur l’exemple de la Saxe9, des réponses aux questions suivantes : Quelle place la violence occupait-elle dans les pratiques au sein du monde de l’enfermement ? Quels effets produisait-elle auprès de ceux qui avaient à la subir et quel fut par conséquent son rôle dans la fabrication d’un quotidien réglé et donc, de l’obéissance10 ? Comment, enfin, faut-il interpréter cette violence si nous nous plaçons à un niveau plus global, à savoir celui des stratégies de stabilisation des ordres institutionnels au sein desquels elle a été mise en œuvre ?
8Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons encore que nous avons souvent recours dans ce texte – et dans nos autres travaux – à la notion d’« enfermement » pour signaler que nos études impliquent un champ bien plus vaste que la « prison » au sens foucaldien, à savoir l’ensemble des institutions fermées qui ont existé dans l’espace germanique dès l’époque moderne11. Nous ne nous intéressons pas seulement à une prison devenue le mode de punition généralisé à partir du premier tiers du xixe siècle, mais nous incluons également dans nos analyses d’autres institutions et notamment les Zuchthäuser installées dans de nombreux territoires et villes du Saint-Empire germanique (et dont les équivalents français – hôpitaux généraux, dépôts de mendicité et autres maisons de force de l’Ancien Régime – ne sont pour l’instant que rarement étudiés par l’historiographie12).
Züchtigungen – Les châtiments corporels
9Dans le système des sanctions de la justice pénale et de la police appliquées dans les différents territoires du Saint-Empire germanique, les châtiments corporels (Züchtigungen) occupaient une position intermédiaire entre les Leibstrafen (peines corporelles consistant en une mutilation du corps du condamné, comme l’ablation de la langue ou le marquage au fer rouge) et les Ehr- et Schandstrafen (peines infamantes) – large spectre de sanctions dont l’esprit, en se fondant sur l’« honorabilité » comme catégorie fondamentale des rapports sociaux à l’époque moderne, n’était pas prioritairement d’infliger au condamné une lésion physique mais bien d’atteindre sa réputation et son honneur (même si, pour y parvenir, des actes afflictifs n’étaient pas exclus)13. Cette atteinte s’opérait à travers deux éléments principaux : d’une part, le caractère public de la peine et, d’autre part, une violation de l’intégrité physique ressentie comme humiliante (mais pas forcément comme mutilante), notamment parce qu’elle était exécutée par le bourreau ou l’un de ses assistants. Ces deux principes se trouvaient parfaitement incarnés par le pilori (Pranger) et la bastonnade (Prügelstrafe) ; mais il existait également d’autres pratiques pénales ou correctionnelles qui, pour déployer leurs effets de dissuasion, de disciplinarisation, d’exclusion et de stigmatisation14, mobilisaient les mêmes éléments : tondre les cheveux du ou de la coupable ; exposer le délinquant devant l’église ou l’hôtel de ville, en lui accrochant au cou des cierges, des bouteilles ou des pierres lourdes ou bien en le confinant dans une cage dressée sur la place du marché et parfois plongée dans de l’eau ; on pouvait également lui fixer une chaîne aux pieds, qu’il était contraint de porter à toute heure, y compris lors de ses déplacements en ville ou encore attacher à un chariot le malfaiteur sommé de balayer les rues ou de réparer les remparts, etc.
10Une forme particulièrement sévère du châtiment corporel était la fustigation (Staupenschlag)16. Cette punition, très fréquente, était prévue aussi bien dans la Caroline, la loi pénale impériale promulguée en 1532 par Charles Quint, que dans les nombreuses ordonnances pénales des grands territoires, et appliquée pour sanctionner la quasi-totalité des délits de faible importance (mendicité, vagabondage, escroquerie, adultère, prostitution, insoumission, vols mineurs, etc.) ; souvent, elle était associée à d’autres peines et notamment au bannissement (ill. 1). De même, la fustigation était une sanction prévue dans les ordonnances de police et par conséquent appliquée également en dehors du domaine strictement pénal (même si une telle différence entre justice et police n’a guère de sens pour l’époque moderne). De nombreux agents d’exécution des pouvoirs publics avaient donc le droit d’administrer une « volée de coups » – sans pour autant être dans l’obligation de consulter un tribunal ou d’autres instances compétentes – à tout individu suspect, par exemple lors des patrouilles sur les routes, en appréhendant des vagabonds, même si ces derniers n’étaient soupçonnés d’aucun crime précis.
11Avec l’apparition des Zuchthäuser, dans la première moitié du xviie siècle – d’abord dans les grandes villes marchandes du Nord (Lubeck, 1602, Brême, 1608-1609, Hambourg, 1618) puis, à partir de 1670, dans presque tous les territoires du Saint-Empire –, les châtiments corporels firent également leur entrée dans ces nouvelles institutions, traduisant ainsi dans la réalité une proximité linguistique préexistante : les termes Züchtigung et Zucht partagent en effet les mêmes racines étymologiques (du latin castigatio et de l’allemand moyen zuht) et renvoient, l’un comme l’autre, au même – et large – champ sémantique recouvrant les univers de l’élevage (Aufzucht) et de l’éducation (Kinderzucht, instruction des enfants), mais aussi de la punition (comme dans le domaine que nous traitons ici), de la discipline morale (Sittenzucht, les bonnes mœurs ; Kirchenzucht, le bon ordre ecclésiastique) ou de la civilisation (Hofzucht, le comportement à adopter à la Cour)17. Cette hétérogénéité sémantique correspondait d’ailleurs à une omniprésence de la violence comme moyen légitime d’imposer sa volonté à autrui dans presque toutes les sphères de la société moderne : des parents battaient leurs enfants, des époux leurs épouses, des professeurs leurs élèves, des maîtres d’atelier leurs apprentis, des seigneurs leurs domestiques, des paysans leurs valets, des manufacturiers leurs ouvriers, des officiers leurs soldats, et parfois même des pasteurs leurs ouailles. Bref, la violence était partout, et elle était un droit18.
12En effet, cette violence – dont les châtiments corporels pratiqués dans le domaine de la justice et de la police n’étaient qu’une forme parmi bien d’autres – était ancrée dans une organisation patriarcale de la domination19, qui s’enracinait elle-même dans la division hiérarchique de la société et puisait ses fondements dans la théorie de l’oikos, c’est-à-dire du bon gouvernement du patriarche sur la communauté domestique qui était la sienne20. Elle reposait donc, d’une part, sur les asymétries politiques et sociales fondamentales qui, à l’époque moderne, conféraient à tous ceux qui étaient considérés comme Obrigkeit (autorités) une puissance hiérarchique sur tous ceux qui étaient considérés comme simples Untertanen (sujets), en donnant aux premiers non seulement un pouvoir de décision quasi absolu sur les seconds, mais aussi le droit de s’imposer par la violence (pour les deux, la langue allemande ne connaît d’ailleurs qu’un seul terme : die Gewalt). Et elle résultait, d’autre part, en tant que droit, de l’application à toutes les échelles sociales du même principe de domination : la puissance paternelle (patria potestas ou en allemand Hausvatergewalt), c’est-à-dire ce droit d’éduquer et de punir – y compris physiquement – dont jouissait tout porteur de prééminence sociale, du père de famille dans sa maisonnée jusqu’au prince dans son territoire qui, d’ailleurs, dans le langage politique des xviie et xviiie siècles, était fréquemment désigné comme Landesvater21.
13Cette omniprésence de pratiques violentes impliquait également une certaine acceptation de la violence reposant sur des conceptions plus ou moins précises de la frontière séparant son exercice légitime de son usage illégitime, et dont le tracé était délimité, parmi d’autres critères, par le sang répandu. Ainsi les détenus qui prirent part à une révolte survenue en 1824 dans la Zuchthaus saxonne de Zwickau (fondée en 1775) justifièrent l’émeute, entre autres, par le fait que l’un des gardiens les aurait fouettés jusqu’à ce que « le sang gicle » et qu’un autre aurait roué de coups un prisonnier malade au point que celui-ci aurait rendu l’âme dans d’atroces douleurs. Il est possible de lire dans ces mots non pas une récusation de la force physique en tant que telle, mais une dénonciation d’un excès de violence qui transforme la distribution de douleurs corporelles en une menace réelle de mort. Sans forcément l’exprimer clairement, les prisonniers faisaient donc la différence entre une violence légitime, qu’ils étaient prêts à accepter, et des pratiques cruelles qu’ils considéraient comme inadmissibles. L’administration partageait d’ailleurs cette vision des choses et attribua un blâme aux deux gardiens22.
14Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des Zuchthäuser, les châtiments corporels étaient donc monnaie courante dans les sociétés du Saint-Empire germanique à l’époque moderne23. Cela ne changea guère au XIXe siècle, lorsque, à la suite des guerres napoléoniennes, les anciennes principautés, villes d’Empire et autres entités territoriales devinrent des États souverains unis par des liens assez lâches au sein de la Confédération germanique. Certes, la transition lente de la société d’ordres vers une société de classes – avec la transformation de la plupart des pays allemands en monarchies constitutionnelles dès 1814, les bouleversements révolutionnaires des années 1830 et, à leur suite, la montée des mouvements libéraux – redéfinit de fond en comble les structures politiques et sociales, en substituant au traditionnel rapport monarque-sujets la nouvelle relation État-citoyens. Mais, d’une part, la réaction suivant l’échec de la révolution de 1848-1849 rétablit largement les anciennes élites aristocratiques dans leurs prérogatives et, d’autre part, même dans la nouvelle société bourgeoise, de larges pans de la population restèrent exclus des droits individuels et donc enfermés dans un statut de sujets inférieurs.
15Ce fut notamment le cas des masses laborieuses et encore davantage des laissés-pour-compte vivant aux marges d’une société qui, dans les années 1840, fut frappée par une montée massive de la pauvreté. C’est d’ailleurs sur eux que la pratique des châtiments corporels s’était déjà progressivement concentrée dans les dernières décennies du xviiie siècle. En effet, de nombreuses autorités, redoutant de perdre des sujets « utiles », voyaient de plus en plus d’un mauvais œil les effets déshonorants de la peine et ordonnaient par conséquent son exécution dans un lieu caché du public (par exemple la Zuchthaus locale) ou en limitaient l’application aux marginaux dont l’honneur était déjà perdu. Mais de telles mesures faisaient également suite aux suppliques dans lesquelles des condamnés avaient demandé que la peine soit exécutée de manière non publique, souvent en proposant d’acquitter une amende parfois considérable24. En revanche, envers les exclus et stigmatisés de la société, c’est-à-dire les nombreux mendiants, vagabonds, prostituées, alcooliques ou petits voleurs, les coups se multipliaient et pouvaient désormais, dans une véritable surenchère cumulative de la peine, se compter en centaines25. De même, dans le domaine de l’enquête policière, infliger des coups resta tout à fait admis – parfois jusqu’aux dernières décennies du xixe siècle et malgré l’abolition officielle de la torture – pour obtenir par la force un aveu, un témoignage ou la dénonciation des complices ; on y recourait même souvent sous des formes particulièrement douloureuses, par exemple en fixant le suspect sur le Bock (chevalet)26.
16La persistance du châtiment corporel était également le résultat des transformations que connut le système pénal, en Allemagne, pendant la première moitié du siècle. Dans certains États, les pratiques pénales s’appuyaient toujours sur d’anciens codes comme la Caroline, d’autres avaient, au contraire, adopté de nouvelles législations (la Bavière en 1813, la Saxe en 1838 ou le Hanovre en 1840). Cette hétérogénéité des normes reflétait également les débats qui s’étaient engagés autour de la réforme de la justice et des peines, et qui voyaient s’affronter libéraux et démocrates, d’un côté – qui défendaient un système pénal fondé sur l’idée de l’amendement et de la réintégration, y compris pour les exclus de la société – et, de l’autre, des forces conservatrices qui plaidaient pour une rigueur exemplaire. Ces divisions épousaient les conflits qui opposaient – notamment en Prusse, mais aussi ailleurs – les propriétaires des grands domaines agricoles (Rittergüter), partisans d’une répression sévère, à un État à la fois soucieux de ne pas éveiller l’hostilité des populations paysannes et désireux de s’arroger définitivement les anciennes juridictions privées. Il faut donc attendre mai 1848 pour voir l’abrogation des châtiments corporels en Prusse, puis leur suppression totale, quelques mois plus tard, dans les « droits fondamentaux du peuple allemand » votés par le Parlement réuni dans l’église Saint-Paul de Francfort27.
17Toutefois, la victoire de la réaction sur les révolutionnaires dans les années suivantes ne déboucha pas seulement sur une vague de sévères persécutions envers les libéraux et les démocrates, elle déclencha également une large campagne demandant la réinstauration des punitions physiques. En Prusse, cette offensive échoua, notamment à cause de la résistance des tribunaux ; dans d’autres États allemands en revanche, dont la Saxe (nous y reviendrons), la Bavière, le Hanovre, mais aussi le Wurtemberg où le châtiment corporel fut réintroduit en 1853, le fouet et le bâton triomphèrent à nouveau. Leur disparition comme sanction pénale n’advint qu’avec le Code pénal de l’Empire allemand réunifié, promulgué en 187228. Mais même à cette date, leur suppression ne fut pas définitive partout : en se référant au règlement prussien de la domesticité (Gesindeordnung), de nombreux grands fermiers continuèrent ainsi, au cours du dernier tiers du XIXe siècle, à châtier physiquement leurs subordonnés ; et, dans les établissements pénitentiaires d’un grand nombre d’États allemands (Prusse, Saxe, Mecklembourg, Oldenbourg, Hambourg, Schwarzbourg-Rudolstadt…), les châtiments corporels restèrent encore longtemps à l’ordre du jour, y compris pour des détenues femmes. Dans ces lieux, mais également dans de nombreux asiles ou maisons de pauvres, et mêmes dans les écoles, le fouet et le bâton demeurèrent en usage jusqu’à la Première Guerre mondiale et parfois même au-delà29.
Violence et enfermement
18L’histoire du châtiment corporel dans les Zuchthäuser et prisons allemandes doit donc être replacée dans ce contexte plus général de l’évolution de la Züchtigung. Dans ces établissements, les punitions physiques correspondirent de tout temps ou presque à une pratique quotidienne ; à l’époque moderne, c’est même à travers elles, et non par une mise en image de la privation de liberté par exemple, que s’exprimait, au niveau des représentations symboliques, le caractère punitif de l’enfermement30. Un dessin exposant « la vie et les peines » dans la Zuchthaus de Torgau, autre institution saxonne fondée en 1772, montre ainsi quelques détenus attelés à un chariot transportant du blé, sous la surveillance d’un gardien brandissant de manière menaçante un bâton (ill. 2). Cette mise en scène ostensible de la violence se retrouve également dans d’autres parties de ce dessin.
19Ces images se référaient au topos des bêtes sauvages asservies par la force, l’un des leitmotive des discours mais aussi des représentations de l’enfermement à l’époque moderne. On le retrouve par exemple au fronton de la fameuse Rasphuis d’Amsterdam (fondée en 1595), sur un bas-relief montrant une charrette tirée par des lions farouches et conduite par un cocher agitant un fouet, surmontée de l’inscription Virtvtis est Domare Qvae Cvncti Pavent (« C’est une preuve de vertu que de dompter [les bêtes] que tous les hommes redoutent ») (ill. 3). S’insérant dans le discours plus global sur les pratiques de la domination à l’époque moderne et jouant sur la polysémie du mot Zucht (ou tucht en hollandais), de telles images renvoyaient donc ouvertement le traitement des détenus à l’allégorie du dressage des animaux sauvages – un message qui procédait évidemment d’abord et avant tout d’une propagande visuelle visant un public se situant à l’extérieur des établissements, et qui aspirait à diffuser dans la société la valeur accordée à la mise en place d’une soumission proclamée et effectivement appliquée dans de telles institutions. À l’intérieur des établissements, c’est-à-dire à l’usage des détenus eux-mêmes, cette fonction était davantage exercée par les « images ambulantes » qu’étaient les gardiens et les soldats munis de leurs uniformes et de leurs armes.
20Il serait par conséquent imprudent de conclure à une identité entre les représentations et les pratiques de la violence. Certes, dans les Zuchthäuser allemandes, le fouet ou le bâton était régulièrement mis à contribution. En Saxe, les châtiments corporels prirent ainsi deux formes principales. D’une part, ils constituaient un rite initiatique, que subissaient en particulier les condamnés en justice ou autres détenus reçus comme Züchtlinge (forçats) et qui avait pour objectif d’aggraver leur peine et de marquer dès le départ la différence entre le traitement qui leur était réservé et celui dont jouissaient les autres résidents, et notamment les nombreux malades, accueillis dans l’institution. Dénommée la « bienvenue » (Willkommen), cette pratique – qui avait son équivalent dans le monde militaire avec la « course des verges » (Spießrutenlaufen) des soldats condamnés aux forteresses33 – consistait en quelques coups administrés, dans la cour de l’établissement, sous les yeux de l’ensemble des personnes qui y vivaient (ill. 4). À l’instar des peines déshonorantes appliquées à l’extérieur, le but était moins d’infliger une douleur que d’exposer le fustigé à l’opprobre et d’obtenir, à l’intention de tous, un effet de dissuasion et de mise en garde.
21D’autre part, ces châtiments corporels pouvaient être infligés à chaque violation des règles établies par l’institution, autant de fois qu’il le fallait. Il s’agissait alors d’une sanction disciplinaire et, cette fois, toutes les catégories de résidents étaient susceptibles de la subir35. Pourtant, le châtiment, dans ce cas aussi, n’avait pas pour seule fonction de répondre à une faute concrète ; il jouait également le rôle d’acte rituel, réactivant régulièrement la mise en scène de l’ordre de domination à l’œuvre dans la Zuchthaus et ayant pour but de maintenir la fiction institutionnelle d’une attribution univoque du pouvoir aux autorités (nous y reviendrons).
22Néanmoins, il serait risqué de déduire de telles pratiques que la violence était omniprésente dans le monde de l’enfermement. Son usage était en effet encadré par des règles bureaucratiques. Certes, tous les personnels d’une Zuchthaus saxonne avaient le droit de sanctionner immédiatement tout faux pas par quelques coups ; cependant, les sanctions plus importantes devaient non seulement faire l’objet d’un rapport consigné dans les registres prévus à cet effet, mais aussi être approuvées par l’administration centrale de Dresde36. En outre, dans les procès-verbaux des inspections auxquelles étaient soumis les établissements, on trouve régulièrement des admonestations enjoignant aux gardiens d’agir dans l’exercice de leur puissance disciplinaire « avec délicatesse, conscience et sans affects37 ». Il va de soi que de tels garde-fous ne pouvaient empêcher tout débordement individuel, mais ils font encore une fois apparaître le double visage d’une domination paternaliste qui repose toujours sur le principe d’une alternance entre sévérité et bienveillance et doit par conséquent, être expurgée, du moins en théorie, de tout acte arbitraire et de tout abus de pouvoir exercé par le personnel38.
23À partir du dernier tiers du xviiie siècle, cet encadrement administratif du châtiment corporel en situation d’enfermement fut renforcé par une double mutation : d’abord, une judiciarisation croissante de sa pratique qui, dans un premier temps, alla de pair avec une réduction de son application ; puis son irruption dans l’arène des débats politiques. S’inscrivant dans un large mouvement de réformes lancées après la défaite de la Saxe lors de la guerre de Sept Ans, la sanction fit ainsi l’objet de plusieurs redéfinitions normatives : en novembre 1770, le bannissement et la fustigation furent abolis comme peines criminelles ordinaires et transformés en peines de prison et de Zuchthaus39. Signe caractéristique des transformations pénales entreprises à cette époque, cette évolution ne fut cependant pas irréversible : en 1774, un rescrit réintroduisit la fustigation sous la forme du Willkommen, en établissant ainsi une distinction entre un châtiment corporel plus sévère et dicté par un tribunal pour aggraver la peine d’enfermement, et les quelques coups donnés traditionnellement à tous les nouveaux forçats et dénommés désormais Patschhand (littéralement : la « main qui claque »)40. Les sources permettent cependant de supposer que l’application des châtiments corporels fut de plus en plus restreinte : à partir de 1798, par exemple, ils ne furent plus administrés aux habitants pauvres et malades des Zuchthäuser saxonnes qui s’étaient livrés à un acte sexuel41 ; et même les coups donnés aux forçats furent de plus en plus encadrés par une expertise médicale et donc soumis à l’accord du médecin de l’établissement. Cela n’empêchait pas, comme le montre l’exemple de la détenue Nickaschukin, que, dans le feu de l’action, des gardiens se servent toujours du fouet pour maîtriser une situation dangereuse – cependant, même dans ce cas, la détenue fut présentée après l’incident au médecin et au pasteur de l’établissement42. En 1805 enfin, à la suite d’un avis défavorable du collège sanitaire saxon, l’exécution du Willkommen fut pratiquement suspendue43.
24Autour de 1800, alors qu’avait lieu un premier grand mouvement de réforme des établissements de l’enfermement (Howard en Angleterre, Wagnitz dans les pays germaniques), le châtiment corporel semblait donc être en voie de disparition dans les établissements saxons. Cette inflexion ne passa d’ailleurs pas inaperçue auprès de certains détenus : ainsi, en 1802, à Waldheim, un forçat protesta contre son châtiment corporel en arguant que « le prince électeur n’en voulait pas et qu’une haute commission aurait interdit de donner le moindre coup à un forçat44 ». Cette opinion était bien sûr fausse et elle fut rejetée comme absurde ; elle fait néanmoins apparaître la position vulnérable dans laquelle se trouvaient alors les sanctions physiques dans les institutions de l’enfermement.
25Cette phase ne dura pourtant pas. Plusieurs éléments contribuèrent à la rendre éphémère : tout d’abord, les anciennes Zuchthäuser de l’époque moderne cessèrent, dans les premières décennies du xixe siècle, d’être des institutions combinées accueillant des publics diversifiés et se transformèrent en de purs établissements pénitentiaires ; ensuite, le châtiment corporel, ayant perdu le caractère d’évidence que lui conférait la tradition, fut soumis aux aléas de la conjoncture politique. À première vue, les débats dont il faisait désormais l’objet opposaient des libéraux revendiquant son abolition ou sa restriction à des forces conservatrices demandant son maintien, voire son élargissement. Mais la réalité fut plus complexe : après les événements révolutionnaires de 1830 et la mise en place d’un gouvernement réformateur avec à sa tête le modéré Bernhard August von Lindenau (1779-1854), un nouveau code pénal (le premier depuis 1572) abolit ainsi le châtiment corporel public en Saxe afin de tenir compte des critiques libérales à son égard. Les coups furent cependant maintenus dans deux cas : l’aggravation de la peine de Zuchthaus et la sanction disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Était ainsi prolongée une pratique dont la presse libérale saxonne pourfendait depuis longtemps le caractère « moyenâgeux45 ». En 1831, Lindenau s’était vu lui-même obligé de rédiger un rapport pour justifier cette incohérence, en exprimant sa conviction profonde que la sanction était certes surannée mais qu’elle ne pouvait pas être abolie pour le moment, afin de ne pas diminuer le caractère dissuasif de la peine d’enfermement, devenue, avec le nouveau code pénal, la sanction criminelle ordinaire46.
26De telles contradictions marquèrent la politique pénale saxonne jusqu’à la veille de la révolution de 1848-1849. Le discours de l’amendement qui, provenant d’Amérique du Nord, s’était répandu en Europe se faisait également entendre en Saxe. Lindenau – qui, outre ses responsabilités de ministre-président, fit également office de chef de l’administration centrale des établissements saxons jusqu’en 1843 – plaça la réforme des prisonniers et la lutte contre la récidive au cœur de sa politique, proclamant vouloir « tendre la main » au fautif, « afin qu’il puisse s’améliorer, s’élever et redevenir un membre utile de la société bourgeoise47 ». Mais, derrière ces paroles emplies de philanthropie, se cachait souvent la triste réalité matérielle d’institutions hébergées depuis l’époque moderne dans d’anciens châteaux et ne correspondant guère aux grandes prisons modèles de l’époque, comme Pentonville (1842), Bruchsal (1848) ou Berlin-Moabit (1849). Face à la mauvaise volonté manifeste du gouvernement comme du Parlement pour trouver les ressources nécessaires à la construction de nouvelles prisons, les insuffisances structurelles de ces établissements vieillis (espaces poreux, manque de possibilités pour organiser un enfermement cellulaire, sous-effectif chronique du personnel, etc.) servirent donc d’argument principal pour rétablir une fois de plus le châtiment corporel. « Le philanthrope peut bien soupirer intérieurement lorsqu’il porte son regard sur cette façon de punir – écrivit en 1844, non sans un certain cynisme, le pasteur de l’établissement de Hubertusburg fondé en 1837 – il est pourtant nécessaire pour chacun de se convaincre que […] il est impossible de se passer d’une discipline sévère48. »
27Faute de sources suffisantes, il est cependant difficile pour l’historien de déterminer si les détenus saxons furent davantage battus après 1830 qu’auparavant. Ce qui avait certainement changé, en revanche, c’était l’attention que la violence dans les prisons éveillait dorénavant dans la sphère publique et la mise en question qu’elle suscitait. Une pratique aussi humiliante que les châtiments corporels – dans une nouvelle société bourgeoise régie par la valeur de la bonne réputation, l’égalité devant la loi et les droits et libertés civiques de l’individu – ne pouvait par conséquent plus être justifiée que par un discours d’exclusion49. Que ce soit au gouvernement ou au Parlement, nombreux furent ceux – tous bords politiques confondus – qui défendirent l’idée selon laquelle les Zuchthäuser saxonnes étaient remplies de « natures brutes » pour lesquelles la détention devait être rendue plus « impressionnante » par l’application régulière d’une « douleur perceptible par les sens50 ».
28Cette attitude générale n’évolua qu’après 1850, c’est-à-dire après l’échec de la révolution de 1848-1849. Des centaines de libéraux et de démocrates se retrouvèrent enfermés dans les prisons, où ils purent non seulement constater de leurs propres yeux le sort réservé aux détenus, mais où ils furent également – à leur grande stupéfaction – traités eux-mêmes comme des criminels ordinaires. Cette expérience ne fut pas sans répercussions sur leur vision des choses. Des feuilles volantes anonymes firent ainsi des bastonnades, notamment celles dont les femmes étaient victimes, le symbole d’un déchaînement de violence, sous couvert de revanche politique de la réaction triomphante. On pouvait lire, par exemple, à propos du directeur de la Zuchthaus de Waldheim : « C’est effroyable, effroyable à quel point cet homme a fait battre en particulier aussi des détenues femmes ; dans son journal, on trouve par exemple : [détenue] no 64 […] tant et tant de coups pour “premiers signes de gaieté”. Car ce numéro avait souri une fois pendant son travail51. » Dans les récits que les anciens révolutionnaires publièrent après leur remise en liberté, les établissements saxons furent dépeints comme le théâtre d’une terreur dont la fureur ne trouvait pas d’équivalent dans les autres pays allemands52. Il n’y avait pourtant rien de nouveau dans ces pratiques, le fouet et le bâton s’abattant sur le dos des détenus autant avant 1849 qu’après. Mais les opposants à l’ordre ancien, remis au goût du jour avaient désormais une autre perception de ces coups, puisqu’ils ne frappaient dorénavant plus seulement des criminels considérés comme dépravés mais aussi les héros des barricades de Dresde ou de Leipzig.
29C’est toutefois à l’extérieur des établissements que se fit véritablement sentir la main de fer de la réaction : le nouveau code pénal promulgué en 1855 comptait parmi les plus sévères de l’Allemagne postrévolutionnaire. Il annula non seulement l’abolition du châtiment corporel dans les prisons, intervenue en 1849, mais lui conféra même le statut d’une peine criminelle ordinaire qui, tout comme l’exposition publique au pilori (que presque aucun autre pays allemand n’avait osé réintroduire), pouvait s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Les quelques députés libéraux que comptait encore la chambre s’opposèrent fermement à cette mesure, en arguant du caractère archaïque d’une peine que même la Prusse avait expédiée dans les poubelles de l’histoire ; mais ils échouèrent face à une majorité conservatrice écrasante. Nul espoir donc, dans ce climat rétrograde, de voir les châtiments corporels des prisonniers limités, voire abolis. Le nouveau ministre de l’Intérieur, Friedrich Ferdinand von Beust (1809-1886), figure de proue de la réaction, mit ainsi en mars 1858 le point final à un débat animé, en déclarant que l’on avait battu les détenus dans les prisons saxonnes de tout temps et qu’il n’y avait donc aucune raison valable de mettre un terme à cette pratique53 – un argument « frappant », que l’on dut entendre avec beaucoup de bienveillance dans les établissements eux-mêmes…
30En effet, à Waldheim notamment, les directeurs de la Zuchthaus – Friedrich Wilhelm Christ (1833-1851), ancien officier, et Felix August Heink (1851- 1865), ancien inspecteur de police – mettaient un zèle particulier à faire subir le martinet aux détenus, en l’accompagnant d’un strict régime militaire54. En 1836, Christ avait ainsi signalé au gouvernement de Dresde, sans dissimuler sa fierté, qu’il avait l’habitude d’administrer lui-même à chaque détenu capturé après une tentative d’évasion cent coups de verge sur le dos dénudé (face à cette déclaration, même le ministère de l’Intérieur lui demanda de faire preuve de moins d’ardeur et de limiter le nombre des coups à une dose quotidienne de cinquante à cent). En outre, il racontait sans vergogne qu’il frappait les détenus de façon spontanée au visage – par exemple quand ils se présentaient au rapport dans son bureau, qu’ils quittaient, peu après, avec des « visages ensanglantés et tuméfiés55 » –, des pratiques qui constituaient une forme exacerbée d’humiliation, une dégradation exemplaire rappelant les punitions infligées aux enfants récalcitrants56, et qui n’apparaissaient pas dans les sources des périodes précédentes.
31Heink, quant à lui, rétablit même l’exécution publique des châtiments corporels dans son établissement en remettant en service la « colonne punitive » dans la cour de la Zuchthaus ou en faisant rouer de coups les détenus au réfectoire, en présence de tous57. Dans ces pratiques, l’infantilisation des détenus s’accompagnait d’ailleurs d’un avilissement non dépourvu d’une certaine connotation sexuelle : les bastonnades étaient administrées – y compris pour les femmes – en plaçant les fautifs debout ou en les attachant sur un banc appelé le Schimmel (« cheval blanc »). Selon les règlements en vigueur, dans le cas des hommes, les coups devaient être appliqués avec des verges sur le dos dénudé ou avec des bâtons sur le postérieur, également dénudé ; les femmes devaient garder une chemise ou un pantalon (une règle qui, pourtant, ne semble pas avoir été toujours respectée)58.
32À la suite des rumeurs qui couraient dans la sphère publique sur cette ivresse de violence et de l’agitation qu’elle provoquait, le gouvernement se vit, au milieu des années 1860, contraint de réagir en publiant une justification dans la presse. D’après ce texte, le nombre moyen annuel de coups par détenu avait diminué, à Waldheim, de 8,9 en 1855 à 0,9 en 186259. En effet, on peut supposer qu’après 1855 le fouet et le bâton furent de moins en moins utilisés. Un nouveau règlement intérieur prévoyait désormais un vaste arsenal de punitions disciplinaires qui, au-delà du châtiment corporel, comprenait des peines infamantes, la diminution des rations de nourriture, l’immobilisation par une camisole de force ou la mise aux arrêts. Cette dernière sanction à elle seule était déclinée en six formes, par exemple le Dunkelarrest (le prisonnier est isolé dans l’obscurité), le Kettenarrest (il est attaché à une chaîne) ou le Lattenarrest (il doit se coucher, mains et jambes ligotées, sur un support fait de lattes à angles vifs)60.
33Il fallut toutefois attendre encore dix ans pour que l’application du châtiment corporel dans les prisons saxonnes connaisse, au plan normatif, une nouvelle restriction. À partir de 1864, administrer une bastonnade requit l’accord de l’ensemble des fonctionnaires de l’établissement réunis en assemblée, et le nombre maximal des coups fut réduit à trente pour les hommes et vingt-cinq pour les femmes. En 1870, le châtiment corporel fut finalement aboli pour les détenues femmes et, en 1883, son application limitée, dans le cas des hommes, à des coups sur le postérieur avec des bâtons de noisetier. Cependant, sa disparition définitive pour les prisonniers masculins n’intervint, en Saxe, qu’à l’aube du XXe siècle61.
Obéissance et violence
34Les changements intervenus dans les années 1860 tinrent également à une réalité très concrète : il est impossible d’augmenter sans fin l’intensité de la violence sans être confronté à ses effets destructeurs62. Heink, le directeur de la Zuchthaus de Waldheim, dans une lettre adressée à son collègue, le directeur de l’Arbeitshaus (maison de travaux forcés63) de Zwickau, écrivit ainsi en novembre 1852 qu’il avait « puni depuis un certain temps de manière si sévère qu[’il] ne peu[t] ni ne souhaite introduire une sévérité encore plus grande, du moins en règle générale, au risque que cette dernière ne se change en dureté64 ». En tant qu’instrument du pouvoir, la violence est un moyen ambivalent : marqueur de la puissance, elle se mue, au gré de son application, en un signe d’impuissance65. Depuis longtemps, la sociologie de la domination souligne ainsi le fait que la contrainte et la violence sont des vecteurs sociaux peu productifs : elles fabriquent des ordres sociaux précaires et instables (car constamment menacés par le danger latent de la résistance) et elles provoquent des contre-violences.
35Même si les véritables émeutes étaient rares, en Saxe comme ailleurs66, la violence fut de tout temps une « ressource à la portée de tous67 » – et donc aussi à la portée des détenus. Les uns s’attaquaient à leurs codétenus en les volant, frappant, violant et parfois même en les assassinant ; d’autres s’en prenaient aux membres du personnel. Au xixe siècle, après que les établissements saxons avaient évolué vers des institutions à usage pénal exclusif, les gardiens se trouvaient régulièrement menacés par des couteaux, des ciseaux et parfois même des haches, ou bien on les passait à tabac, comme le fit la détenue Nickaschukin, dans un renversement révélateur des rôles68. Cela dit, la violence et sa mise en œuvre ne peuvent être réduites à une simple rationalité formelle de la domination autoritaire ; elles s’inscrivent au contraire toujours dans les dynamiques sociales d’un champ de forces au sein duquel tous les acteurs s’arrogent le pouvoir, l’imposent, mais le mettent également en doute ou l’attaquent. La violence ne procède donc jamais uniquement de rapports de force allant du haut vers le bas, mais elle s’insère dans des relations multipolaires se déroulant également à l’horizontale69. Par conséquent, elle concernait également les membres du personnel qui, comme les détenus, se montraient régulièrement enclins à résoudre les conflits qui les opposaient l’un à l’autre en se servant de leurs poings70.
36La correspondance entre nos deux directeurs de prison est également le reflet des débats sur la meilleure manière de traiter les détenus. Ce que Foucault avait décrit comme un changement définitif résultant d’une évolution linéaire et homogène fut en fait un processus complexe, jalonné de multiples va-et-vient dépendant non seulement des conjonctures politiques, mais également – nous l’avons vu – de logiques propres liées par exemple aux ressources financières et matérielles disponibles, à un moment donné, pour l’organisation du régime pénitentiaire. Depuis les dernières décennies du xviiie siècle et les premières tentatives de réformer les Zuchthäuser modernes (projets souvent portés par des religieux ou des médecins), les idées de l’amendement, de la moralisation et d’un traitement individualisé du prisonnier étaient présentes, en Saxe, dans les débats publics71 et portèrent même quelques fruits dans les administrations qui, par exemple, arguaient que la discipline dans les établissements devrait s’appuyer sur l’« individualité du sujet72 ». Dans les années suivantes, les réflexions de ce type perdirent néanmoins du terrain face aux difficultés d’un pays lourdement éprouvé (échec contre la Prusse en 1815 et perte de presque trois cinquièmes du territoire au profit du voisin triomphant), aux tendances politiques restauratrices, ainsi que face à la mesquinerie du gouvernement et, à partir de 1831, du Parlement qui, contrairement à ce qui se passait dans d’autres pays allemands et notamment en Prusse et en Bade, rendirent quasiment impossibles toute expérimentation introduisant l’enfermement cellulaire ou d’autres approches issues de la nouvelle « science des prisons » internationale73.
37Le traitement des détenus dans les établissements saxons ne cessait par conséquent d’osciller entre différents objectifs : punition et dissuasion, amendement et éducation, humanité et indulgence, discipline et fermeté exemplaire… Derrière ces concepts se dissimulaient d’ailleurs deux visions totalement opposées (et bien sûr présentes ailleurs qu’en Saxe) de la nature du criminel : si les uns le concevaient comme un être moralement malade, pour les autres il n’était qu’un dépravé issu d’une culture populaire de la décadence74. Sur ces conceptions se fondaient différentes approches du traitement des détenus : les unes défendaient l’amendement intérieur, par la prière ou des méthodes thérapeutiques ; les autres, une soumission par la contrainte et une discipline extérieure rigide. Dans un débat public opposant en 1848- 1849 le médecin du tribunal municipal de Pirna, Emil Bech, au directeur de la Zuchthaus de Waldheim, Christ, le premier se fit ainsi l’avocat d’un « diagnostic moral » faisant confiance aux effets salutaires d’un traitement psychologique, tandis que le second, se moquant d’une telle « philanthropie maladive », plaidait pour la force de la douleur, la « majeure partie de l’humanité » n’ayant « pas de plus grande crainte que celle de la mort et des coups75 ». Religion et psychologie ou fouet et bâton formaient ainsi les deux pôles d’un débat qui, tout au long de la première moitié du xixe siècle, vit s’affronter théoriciens et praticiens du régime pénitentiaire en Saxe, en donnant sans aucun doute un net avantage aux défenseurs de la manière forte76.
38Ce n’est donc que dans les années 1860 – et dans certains établissements seulement – qu’une nouvelle conception du traitement des détenus parvint à se frayer un chemin. À Zwickau, dans l’Arbeitshaus locale, le directeur Eugène d’Alinge, issu d’une famille d’immigrés huguenots, mit en place avec le soutien de l’administration centrale un nouveau système reposant sur un traitement thérapeutique individualisé des détenus, appuyé sur une expertise psychologique77. Sans jamais demander son abolition totale, d’Alinge préconisait en outre l’abandon du fouet. Dans une lettre adressée au célèbre juriste de Heidelberg, Karl Josef Anton Mittermaier, il se targuait ainsi d’avoir « montré depuis des années qu’il n’est pas nécessaire, pour autorisé qu’il soit, d’infliger le châtiment corporel aux détenus pénaux et que le savoir est un pouvoir qui doit régner également dans la prison78 ».
39Ces controverses – qui, encore une fois, ne furent que les ramifications saxonnes d’un vaste débat international sur l’arsenal pénal et sur la meilleure façon de le mettre en œuvre79 – ne touchèrent pas seulement la question des caractéristiques de la peine à un niveau abstrait. Elles concernèrent également la manière dont, au niveau des interactions au sein des établissements, devait s’organiser un quotidien réglé et donc se fabriquer une obéissance des détenus correspondant aux règles établies par l’institution. Loin de toute considération théorique, les débats posaient le problème très concret de la gestion d’un vivre-ensemble déterminé par une multitude de facteurs, allant de la structure économique des établissements à l’organisation d’une surveillance efficace, en passant par les problèmes de personnel ou les difficultés créées par la délimitation entre les différentes catégories de détenus, lorsque les Zuchthäuser saxonnes étaient encore des institutions combinées. Parmi ces facteurs, la violence avait sa place, nous l’avons vu, mais elle n’était pas, et de loin, la seule à intervenir. Dès le début, l’échelle des sanctions disciplinaires avait ainsi été bien plus fine, comme le montre l’instruction de l’administrateur de Waldheim auquel il était demandé, en 1730, de se situer « dans un respect et une autorité adaptés », en recourant au « moment approprié à la sévérité et à la clémence ». Il lui était également recommandé de « ne pas manquer de répéter constamment les règles, de prévenir et d’admonester, d’ordonner dans le cas de petits crimes une sanction proportionnelle, en obligeant à sauter un repas, en infligeant davantage de travail, en interdisant l’accès à la nourriture ou même en donnant des coups80 ».
40Cette échelle de sanctions est un premier indice de l’impossibilité qu’il y avait à faire fonctionner une entreprise telle qu’une Zuchthaus par la seule force physique. Pour s’en convaincre davantage, il suffit de considérer le nombre longtemps très faible des gardiens et soldats en charge de la surveillance des détenus, ainsi que leur situation souvent préoccupante en termes d’âge et de santé81. À Waldheim, autour de 1800, on ne comptait que quatre gardiens pour deux cents prisonniers ; dans les deux autres Zuchthäuser saxonnes, ils étaient encore moins nombreux : quatre gardiens pour trois cents prisonniers à Torgau et deux gardiens et un surveillant pour deux cents prisonniers à Zwickau (ces chiffres ne tiennent compte que des détenus de la catégorie des « forçats », auxquels il faudrait encore ajouter les personnes indigentes et malades accueillies dans les établissements, et dont le nombre pouvait facilement atteindre plusieurs centaines)82. Il va de soi qu’une telle situation rendait très difficile un contrôle digne de ce nom. Ainsi, en 1804, des gardiens de Torgau se plaignirent qu’il leur était quasiment impossible de surveiller du regard les détenus répartis lors des repas sur plusieurs pièces, a fortiori pendant l’hiver, lorsque les salles étaient éclairées à la faible lueur des chandelles83. À Zwickau, en 1807, un gardien, accusé de ne pas s’être opposé à la fuite d’un détenu, fit remarquer non sans amertume que, face à cent vingt prisonniers travaillant dans deux salles différentes, il lui était tout simplement impossible de savoir « ce qui se pass[ait] dans l’une ou dans l’autre pièce84 ».
41Dans ces conditions, le fouet et le bâton devaient effectivement se substituer souvent à une surveillance efficace. Mais ces quelques exemples permettent surtout de comprendre qu’il aurait été impossible de maîtriser, y compris par la force physique, un tel nombre d’individus si ceux-ci n’avaient pas trouvé un quelconque intérêt à « jouer le jeu », c’est-à-dire à se montrer « obéissants » non pas sous l’effet d’une contrainte extérieure, mais aussi (du moins partiellement) en raison de motivations intrinsèques. Car, même dans les Zuchthäuser et prisons, il est difficile de faire abstraction d’une règle sociale fondamentale selon laquelle « [t]out véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir, par conséquent un intérêt, extérieur ou intérieur, à obéir85 ». Certes, il est quasiment impossible de se rendre compte des motivations d’acteurs qui n’ont quasiment laissé aucune trace permettant d’avoir un accès direct à leur for intérieur. Mais certaines règles de l’institution elle-même faisaient un usage inventif de cette propension des détenus à se montrer dociles, en échange de contre-dons matériels, sociaux ou symboliques (même si cette « obéissance » pouvait rester superficielle et dissimuler la simple utilisation d’une occasion saisie pour en tirer profit86).
42Au xviiie siècle notamment, de nombreuses récompenses furent ainsi offertes aux détenus des établissements saxons qui se comportaient à la satisfaction des administrations : une amélioration de l’alimentation, la mutation dans une autre catégorie de prisonniers avec de meilleures conditions de vie, l’utilisation comme coursier ou comme domestique chez l’un des officiers (ce qui conférait de nombreuses libertés, allant jusqu’à la permission de quitter temporairement l’établissement), le travail dans l’un des services d’alimentation (cuisine, boulangerie, brasserie, etc.) ou à l’infirmerie, ce qui permettait non seulement d’être dispensé du travail pénible à la manufacture mais aussi d’avoir accès à d’importantes réserves de vivres, etc.87. Une distinction singulière était en outre décernée à ceux qui, pendant leur séjour, s’étaient montrés particulièrement pieux : ils recevaient au moment de leur remise en liberté un vieux catéchisme ou un livre de cantiques88, une transaction d’ordre symbolique renvoyant aux valeurs d’un monde profondément marqué par les impératifs de la religion, qui, du moins peut-on le supposer, amenèrent plus d’un détenu à accepter son sort comme une punition voulue par Dieu et formant l’ultime possibilité d’accéder au Salut éternel.
43Un autre exemple de ces transactions est indiqué par Johann Friedrich Heinrich Selig (1749-1799), un écrivain converti du judaïsme au protestantisme qui, à la suite d’une accusation de blasphème, se retrouva prisonnier à Waldheim entre 1773 et 178289. Dans le livre autobiographique qu’il publia après sa libération, il réserva une place importante à la violence dont il fit l’expérience au sein de la Zuchthaus et à laquelle il répondit, à en croire son récit, par la bravade et l’entêtement. La guerre personnelle que Selig menait contre l’institution s’enracinait dans son refus de travailler à l’atelier de filature, comme on le lui demandait. Malgré des punitions parfois atroces, le détenu ne cessa de désobéir, puisque l’activité que l’on exigeait de lui était incompatible avec l’image qu’il se faisait de lui-même. Il ne se résigna à endosser le rôle du prisonnier qu’à la suite de longues années de conflit et après avoir menacé l’administrateur de l’établissement de se suicider. Étant parvenu à être affecté à un poste d’aide-soignant, il se plia enfin aux attentes de l’institution. Dans cet emploi, son identité de bourgeois cultivé (qui, avant son séjour dans la Zuchthaus, avait commencé des études de médecine) n’était plus mise à mal : Selig n’a donc été disposé à faire preuve d’obéissance qu’à condition que son désir de reconnaissance sociale soit au moins partiellement comblé.
44Le sort que Selig connut à Waldheim signale d’ailleurs un trait caractéristique de la violence qui, lui aussi, en fait un mauvais instrument de fabrication de l’obéissance : elle étouffe le conflit sans le résoudre, il reste donc latent et peut resurgir à tout moment. En outre, à chaque volée de coups, la violence ne préempte que de manière rituelle la soumission attendue et prétend établir ainsi une obéissance qui, en fait, ne sera véritablement mise à l’épreuve que par la suite ; elle ne crée l’obéissance que sous la forme d’une promesse et donc d’une affirmation dans un premier temps contrefactuelle90. La détenue Nickaschukin – celle qui essayait d’étrangler les gardiens – persévérait ainsi dans son comportement récalcitrant malgré toutes les admonestations qu’elle avait pu recevoir. Les coups qui s’abattirent sur elle n’empêchèrent pas qu’on la découvre, deux semaines plus tard, en train de trafiquer des objets dans la salle à manger des détenus masculins91. Son exemple montre de surcroît que l’expérience de la violence débouche sur des réactions hautement individuelles – et, dans son cas, celles-ci n’allaient pas dans le sens du bon comportement qu’on attendait d’elle. Au contraire, à en croire l’administrateur de l’établissement, elle s’était même totalement soustraite au jeu des normes et de leur respect, en demeurant donc imperméable à toute tentative d’influence extérieure. Les sources la présentent comme une truande paresseuse qui aurait dit à plusieurs reprises ne guère se soucier de savoir « si elle [mourrait] à l’échafaud ou dans son lit92 ».
45D’autres détenus faisaient preuve d’attitudes similaires. Ainsi, en 1892, à Waldheim, le prisonnier Friedrich Hermann Würzner, menacé d’une lourde sanction disciplinaire à cause de son refus réitéré de s’acquitter de son travail, répondit : « Ça m’est égal93. » Une telle indifférence envers son propre sort reste, toutefois, tout à fait exceptionnelle. Les rares traces dans les sources font plutôt ressortir d’autres réactions possibles, allant de la résistance et des tentatives de s’assurer une aide extérieure au désespoir total : en 1812, par exemple, Salomon Oppenheim, depuis peu chargé de préparer les repas kasher des détenus juifs gardés dans la Georgenhaus (la Zuchthaus locale) de Leipzig, écrivit ainsi au Conseil de la ville qu’on lui avait dit de donner un tiers des légumes préparés dans sa cuisine au gardien Gludig s’il voulait que celui-ci le laisse tranquille et ne le roue pas de coups94 ; et, en 1856, à Waldheim, un détenu se plaignit des nombreuses punitions injustifiées que lui infligeaient des gardiens et demanda à être exécuté « parce qu’il ne pouvait plus supporter d’être ici95 ».
46Si l’impact réel de la violence sur le comportement des détenus reste donc, toutes époques confondues, difficile à évaluer pour l’historien – il est tout à fait probable que de nombreux détenus, à la suite ou dans la crainte d’un châtiment, se conformaient aux règles de l’institution –, les quelques exemples que nous venons de donner montrent clairement que la violence ne fut certainement pas le seul vecteur d’un comportement obéissant. À ceci s’ajoute une autre difficulté : les affrontements violents et les châtiments, de par leur caractère exceptionnel et l’encadrement bureaucratique dont ils firent l’objet, ont laissé davantage de traces dans les archives. Il serait donc imprudent de les prendre pour les témoins d’une « normalité » du vivre-ensemble dans l’enfermement. Car, tout en produisant moins de sources, celle-ci fut très probablement davantage marquée par des conflits au cours desquels détenus et administrations essayaient de négocier une domination acceptable pour les deux parties. Le terme « négociation » ne peut évidemment pas signifier qu’il y ait eu forcément accord ni que les interactions se soient produites sans aucun recours à la violence (ni même que des actes de cruauté n’aient pas commis par tel ou tel agent dans l’exercice de son service)96. Mais il renvoie à une observation de Norbert Elias selon lequel la vie en société repose toujours sur des relations d’« entrelacement », c’est-à-dire des rapports d’interdépendance où l’agir de chacun se répercute sur celui des autres et réciproquement97. Dans cette optique, l’obéissance n’est plus le simple effet d’une oppression exercée par les uns sur les autres, mais l’expression et le marqueur de l’entrelacement et du degré d’interdépendance réciproque entre ces différents acteurs. Interroger l’obéissance n’implique donc plus de se limiter à une analyse des modes d’assujettissement des individus en situation de contrainte, mais revient à poser la question de ce qui fait société dans l’enfermement98.
47Raisonner en termes d’interdépendance requiert d’abord de dépasser les Zuchthäuser et prisons comme seuls cadres d’analyse. En comparant les conditions de vie à l’intérieur et à l’extérieur des établissements, des similitudes apparaissent : ainsi, travailler sans relâche constituait le sort du tiers état et des masses laborieuses en dehors comme au-dedans de la prison99, et la menace d’une volée de coups – nous l’avons vu – non seulement planait sur les détenus, mais était également monnaie courante, au xviiie comme au xixe siècle, dans les fabriques, les usines ou aux champs. En revanche, rares étaient les endroits qui proposaient une nourriture sûre, une chambrée chauffée, des vêtements et même des soins médicaux, comme le faisaient les Zuchthäuser (du moins en Saxe). Aux yeux de certains, les établissements pouvaient donc également être des lieux de protection contre les violences de la vie (les privations matérielles et immatérielles, les regards désapprobateurs, les désespoirs d’une vie aux marges de la société, etc.), ce qui ne les transforme pas pour autant en des lieux paradisiaques, mais indique que la volonté de fuir la faim, le froid ou l’opprobre était le corollaire de situations de coercition sociale existant bien au-delà des murs des établissements, et qu’il n’est donc pas exclu que l’échange « obéissance » contre « subsistance » ait pu motiver le comportement d’au moins une partie des détenus.
48De même, les contraintes et les violences à l’intérieur des établissements, nous l’avons évoqué, ne provenaient pas des seules administrations et de leurs représentants. La vie y était également déterminée par des règles sociales informelles, forgées par la cohabitation forcée de plusieurs centaines de personnes qu’il était difficile, voire impossible d’éviter et dont les dissensions ne parvenaient que rarement à la connaissance des administrations, et donc de l’historien. Johann Friedrich Heinrich Selig relate ainsi en détail les brimades et chicaneries dont il fut victime, en tant que converti du judaïsme au protestantisme, de la part de ses codétenus100, tandis qu’un prisonnier de la Zuchthaus de Zwickau, en 1802, fut passé à tabac par trois autres détenus, lui reprochant de les avoir observés par hasard alors qu’ils préparaient leur évasion101. Se conformer aux attentes de l’institution et donc se montrer obéissant pouvaient ainsi être une stratégie qui permettait de se protéger contre les épreuves inhérentes à une culture souvent rude de la concurrence et de la violence, mais ce comportement pouvait aussi relever d’un repositionnement social au détriment de l’autre, par exemple dans le cas d’une dénonciation en échange d’une récompense pouvant aller jusqu’à la remise en liberté.
49Dans l’ensemble, les sources font ainsi naître le sentiment que le destin des détenus relevait surtout d’un art de (sur) vie, c’est-à-dire d’un effort pour vivre au mieux le monde dans lequel ils étaient contraints d’exister, en s’appropriant les règles trouvées sur place et en les transgressant102. Dans cette configuration sociale, l’obéissance n’était pas un fait, mais un moyen, parmi d’autres, de se trouver une place permettant de continuer à vivre. Ceci valait d’ailleurs non seulement pour les détenus mais également pour les membres du personnel. Ces deux groupes étaient liés entre eux par une grande proximité sociale, le personnel de surveillance étant habituellement issu des mêmes couches sociales que ceux qu’il surveillait, ce qui engendrait une similarité dans les manières de percevoir le monde et de lui donner un sens. Il en résultait des pratiques partagées qui allaient d’une bière consommée ensemble dans le débit de boissons de l’établissement ou d’une partie de jeu pour faire passer le temps jusqu’à l’économie informelle du troc, animée aussi bien par les uns que par les autres103. Il convient de répéter ici que l’enfermement, en tant que système social, était tissé des multiples dépendances résultant d’une donnée majeure : un tout petit groupe de gardiens devait surveiller une masse qui pouvait compter plusieurs centaines d’individus. Même en ayant recours à des dispositifs technologiques (l’isolement ou une architecture panoptique, par exemple), ce déséquilibre quantitatif ne pouvait pas être annulé – au mieux, il était possible de le compenser. Sans la participation des détenus, donc, une institution complexe comme une prison ne pouvait fonctionner.
50Car, comme toute organisation sociale, les établissements de l’enfermement produisent un réseau complexe d’interactions réciproques dans lequel s’inscrivent tous les acteurs. De la part des administrations, la réaction à ces entrelacements fut une combinaison constante de menaces et d’offres de services qui engendrait des négociations ouvrant sur des marges possibles de choix individuels. Une fois de plus, la confrontation entre la détenue furibonde Nickaschukin et le pauvre gardien battu en fait la démonstration : nous l’avons vu, Förster avait pris un ton conciliant pour demander à la détenue d’arrêter les activités illicites auxquelles elle était en train de se livrer. En d’autres termes, il lui offrait une transaction avantageuse pour elle comme pour lui. Si elle avait accédé à sa demande, il aurait renoncé à signaler son comportement à l’administrateur. Il s’épargnait donc un rapport fastidieux, et son faux pas à elle restait sans suite. Certes, dans ce cas précis, la transaction « bon comportement contre indulgence » fut un échec. Il n’en reste pas moins que le gardien la proposa comme une évidence et qu’elle ne fut pas davantage mise en cause, plus tard, par l’administrateur de la Zuchthaus. Cela indique que de telles techniques « souples » et « élastiques » du pouvoir, qui s’appuyaient sur la communication et l’entente, l’échange, les transactions et les petites faveurs – c’est-à-dire sur des règles sociales rompant avec le schéma dichotomique de l’oppression –, étaient d’un usage fréquent pour résoudre tensions et conflits dans le monde de l’enfermement. Certes, elles ont laissé beaucoup moins de traces dans les sources (et pour cause : sans l’emportement de la détenue Nickaschukin, nous n’aurions jamais eu connaissance de sa rencontre malheureuse avec le gardien Förster). Mais là où elles l’ont fait, elles attirent le regard vers d’autres schémas interprétatifs de la vie commune en situation d’enfermement que celui de la production de l’obéissance par la contrainte, la spoliation et la violence.
Violence et ordre institutionnel
51Il n’est donc guère possible d’établir une relation immédiate entre l’exercice et l’expérience de la violence, d’une part, et la démonstration d’obéissance, de l’autre. N’oublions pas davantage qu’une stratégie de production de l’obéissance reposant sur la seule force aurait engendré un état d’urgence permanent, une situation à laquelle aucune institution ne saurait survivre durablement sans subir de profondes séquelles. Dans ces conditions, pourquoi notre vision de l’enfermement reste-t-elle néanmoins profondément marquée par l’idée d’une fabrication de l’obéissance par la violence ? On peut y voir l’effet d’un positionnement idéologique fort qui, à partir des années 1960, a voulu faire de ces institutions la première cible d’une critique de fond envers un contrôle social vécu comme omniprésent104. Mais il y a bien d’autres raisons encore : les historiens n’ont été que trop enclins à reprendre à leur compte l’image que les institutions ont donnée d’elles-mêmes. Il ne s’agissait d’ailleurs pas seulement de la perception que les Zuchthäuser et prisons avaient d’elles-mêmes comme lieux d’une obéissance proclamée et effectivement appliquée ; cette conception s’insérait plus fondamentalement dans les mécanismes mêmes par lesquels ces institutions assuraient leur existence. L’obéissance ne doit donc pas être conçue uniquement comme le résultat réel d’interactions sociales concrètes, mais aussi comme un élément central dans le répertoire des stratégies de stabilisation des institutions au sein desquelles elle s’exerce.
52Le pouvoir – ou la domination en tant que sa modalité institutionnalisée – peut être compris comme une forme de communication commandée par des codes dont l’objectif est d’attribuer le pouvoir uniquement à celui qui (apparemment) le « détient105 ». Par la production de sens et les attributions symboliques, les institutions tentent ainsi de faire croire aux acteurs que tout ce qui se passe en leur sein découle de leur activité, et de leur activité seulement. Elles cherchent ainsi à surmonter l’état de précarité qui est le leur et celui des principes qui forment leur socle106. En effet, le pouvoir étant justement une catégorie relationnelle107, il repose toujours sur un équilibre de forces susceptible de changer à tout moment. Pour dissimuler leur caractère processuel, les institutions doivent donc opposer à cette instabilité un travail de mise en ordre notamment symbolique, dont le propre est de « parvenir à suggérer la validité permanente de normes de comportement et de règles de vie108 ». Par conséquent, une fois de plus, l’obéissance n’est plus conçue ici comme un fait, mais comme une performance spécifique de stabilisation, c’est-à-dire comme le résultat « “fictionnel”, mais efficace et en ce sens “réel”109 » de stratégies ayant pour but de donner une structure ordonnée aux relations sociales complexes qui se tissent au sein d’une institution, en produisant l’impression d’une autorité effective qui est perçue, à l’intérieur comme à l’extérieur, comme une réalité.
53L’obéissance fait donc partie d’un ensemble de pratiques destinées à immuniser la norme et l’institution qui la porte contre les faits. Ceci revient à dire que les institutions dépendent, pour inscrire leur existence dans la durée, de la nécessité de rendre intelligible leur utilité en mettant en évidence le fait qu’elles réussissent les missions qui leur ont été confiées. Une telle « accumulation de succès dans la tâche consistant à produire de l’ordre110 » ne doit pas seulement garantir une nécessaire légitimité sociale, mais aussi – très concrètement – le flux des ressources que d’autres acteurs doivent mettre à la disposition de l’institution pour la maintenir en vie. Dès leurs débuts, les Zuchthäuser saxonnes se trouvèrent ainsi dans la nécessité de fournir des résultats positifs afin de désamorcer les interrogations sur leur utilité, émises entre autres par la Diète territoriale saxonne dont l’accord était indispensable pour lever des impôts. Cette obligation de se justifier s’exprimait par exemple dans la publication de rapports annuels imprimés qui exposaient l’activité des établissements dans le moindre détail, à l’usage d’un public régulièrement invité de surcroît à participer par ses dons au financement des institutions.
54Les services centraux eux aussi demandaient aux établissements de leur rendre des comptes afin de pouvoir suivre et contrôler l’activité administrative sur place. Dans les tableaux et synopsis, registres d’écrou et dossiers de détenus qu’elles produisaient, les administrations locales faisaient également la démonstration de l’ordre et de la discipline qu’elles faisaient régner, cherchant ainsi à démontrer auprès des instances hiérarchiques supérieures leur capacité à accomplir les tâches qui leur avaient été confiées. Chaque jour, elles ajoutaient un fragment à la grande mosaïque d’un quotidien ordonné de l’enfermement soumis totalement à leur contrôle. Évidemment, cette image était faussée – il suffit, pour s’en convaincre, de lire les textes des nombreux auteurs promouvant la réforme des prisons qui, tout au long du xixe siècle, en Saxe comme ailleurs, énumérèrent tout ce qui ne marchait pas dans les établissements (cédant toutefois à l’illusion que ces dysfonctionnements disparaîtraient si l’on suivait leurs propositions).
55Les sources dont dispose l’historien sont pourtant en grande partie les documents que les administrations produisaient pour se présenter sous leur meilleur jour. Souvent, ces dossiers administratifs constituent les seuls matériaux permettant de reconstruire les rapports de domination dans l’univers de l’enfermement. Mais ils placent la perception de la vie dans les établissements sous une lumière particulière, en jouant eux-mêmes un rôle important dans la construction de l’obéissance. En fait, dans ces dossiers, chaque faux pas est immédiatement suivi d’une sanction, ce qui ne manque pas de produire l’impression que l’institution aurait toujours fini par l’emporter dans la lutte permanente consistant à imposer les règles qu’elle avait établies. Il s’agissait d’attribuer un sens univoque, au moyen des routines de l’enregistrement administratif, à une réalité complexe et pétrie de contradictions – une entreprise que l’on peut décrire comme un découpage discursif en séquences formalisées de l’agir social au sein des prisons, dans le but ultime de produire et confirmer l’impression que ce qui s’y déroulait d’essentiel était l’obtention de l’obéissance par la menace, la force et la sanction. Ce processus tend cependant à masquer le fait qu’il n’y a pas identité entre l’exécution d’une sanction et l’accomplissement de la norme qu’elle cherche à obtenir, comme nous l’avons vu avec l’exemple des détenus Nickaschukin ou Selig. De même, les sources que nous consultons occultent tous les événements qui se déroulaient dans les établissements sans laisser des traces dans les dossiers administratifs, soit qu’ils soient restés inaperçus, soit qu’on ait choisi de regarder ailleurs, soit que l’on n’ait eu ni l’envie ni le temps de s’en occuper, soit qu’on ait préféré les régler à l’amiable (comme dans le cas de la proposition faite par le malheureux gardien Förster).
56Par conséquent, toute analyse historiographique de la domination – quel que soit le concept théorique auquel elle se voue – se retrouve finalement cantonnée à ce qui est à sa disposition : les sources transmises dans les archives. Dans le doute, il est permis de supposer que, parmi les sources produites par des instances de la domination, le succès et – plus fondamentalement encore – la mise en œuvre de la domination par ces mêmes instances se trouvent surévalués. Il ne s’agit pas pour autant de jeter aux orties le concept de domination ou le rôle joué, de tout temps, par le recours à la violence pour l’imposer concrètement ; c’est une ressource dont les acteurs disposaient et qu’ils utilisaient effectivement. Mais tout indique que de nombreux lieux de la société, y compris ceux où une contrainte plus forte était sans aucun doute exercée, étaient bien moins saturés de domination que ce que les dossiers administratifs dans les archives ou les autodescriptions des administrations donnent à croire : la fabrique de la vie en société ne s’y opérait pas seulement au travers d’une pratique de la violence exercée par les administrations sur ceux qui leur étaient assujettis.
57Foucault avait certainement raison en donnant à l’idée des « corps dociles » une importance fondamentale pour la pénalité moderne111 ; mais il avait tort en supposant que cette docilité ne s’opérait qu’au moyen de gestes répétitifs. Certes, autour de 1840, dans les prisons saxonnes comme ailleurs, le travail du corps fut un élément central du quotidien des détenus. Il fallait se tenir droit à l’église, saluer promptement tout officier en claquant les talons ou perfectionner le mouvement de ses membres pour courir en rang dans la cour de l’établissement en respectant scrupuleusement un rythme de cent pas par minute112. Toutefois, comme nous l’avons vu, les atteintes portées au corps et donc la violence dans sa forme directe, personnalisée et charnelle ont toujours constitué une option possible (même si c’était en fonction des conjonctures politiques). Dans de fortes proportions, les châtiments exercés dans les prisons du xixe siècle continuaient donc à inscrire les signes du pouvoir sur les corps des condamnés. Avec toute la prudence qui s’impose, on peut même supposer que les atteintes physiques atteignirent, au xixe siècle, un niveau qu’elles n’avaient pas connu au siècle précédent.
58En dépit de ce constat, c’est le doute qui l’emporte. Il porte sur l’idée selon laquelle la fabrication de l’obéissance (en ayant recours à la violence ou non) serait la seule focale possible pour saisir de manière adéquate la configuration sociale de l’enfermement. Car celle-ci était marquée par des usages obéissant aux logiques singulières et opiniâtres des acteurs, c’est-à-dire par des appropriations productives et des transformations astucieuses des modèles et des règles qui leur étaient imposés. En dépassant le triptyque règle-transgression-sanction, l’obéissance apparaît donc comme une structure ne prenant vie qu’à travers les actualisations qu’en font les acteurs dans leurs interactions quotidiennes. En d’autres termes, dans un monde marqué, lui aussi, par des dépendances multiples, l’obéissance n’était pas l’aune à laquelle se mesurait le degré de confrontation entre l’institution et ceux qui lui étaient soumis, mais elle constituait le point d’interconnexion entre une multitude de rapports de force traversant l’ensemble de ce corps social.
59Il n’en reste pas moins que l’obéissance joue un rôle fondamental pour stabiliser l’institution de l’enfermement, non seulement comme une valeur importante permettant d’accomplir la tâche complexe d’organiser le quotidien au sein d’une organisation sociale composées de plusieurs centaines de personnes, mais aussi pour construire la fiction d’une maîtrise totale de ce quotidien par l’institution, fiction destinée à inscrire l’existence de cette institution dans la durée. Cela ne signifie pas que la contrainte et la violence exercées dans les Zuchthäuser et prisons aient été fictives, bien au contraire ; mais la main de fer ne fut pas forcément l’expression d’une puissance réelle – elle servait plutôt de camouflage à la précarité et à l’instabilité des configurations sociales sur lesquelles reposait l’enfermement. Ce n’était pas la violence qui produisait l’obéissance ; au contraire, la violence était destinée à dissimuler le caractère processuel et contradictoire d’une obéissance qui était en premier lieu une justification brandie par l’institution.
Notes de bas de page
1 Sächsisches Hauptstaatsarchiv Dresden (désormais : SächsHStAD), 10116 (Kommission zu Besorgung der allgemeinen Straf- und Versorgungsanstalten), loc. 5929, fol. 1.
2 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, notamment p. 30-34.
3 Id., « Pouvoir et corps », dans Dits et écrits, 1954-1988, t. II : 1970-1975, p. 754-760, citation p. 756.
4 Id., « Des supplices aux cellules » (entretien avec Roger-Pol Droit), dans ibid., p. 716-720, citation p. 717.
5 Michelle Perrot (dir.), L’impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe siècle. Débat avec Michel Foucault, Paris, Seuil, 1980 ; Michael Ignatieff, « State, Civil Society, and Total Institutions : A Critique of Recent Social Histories of Punishment », Crime and Justice, 3, 1981, p. 153-192 ; Marco Cicchini, Michel Porret (dir.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, Lausanne, Antipodes, 2007, pour ne citer que quelques travaux parmi beaucoup d’autres.
6 Dans la France postrévolutionnaire, même s’il semble ne jamais avoir eu d’interdiction formelle et générale des châtiments corporels dans les prisons, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en interdisant les peines cruelles, offrait une protection plus efficace contre le mauvais traitement des détenus. Voir Jacques-Guy Petit, Claude Faugeron, Michel Pierre, Histoire des prisons en France, 1789-2000. Le système pénitentiaire français et les bagnes d’outre-mer, Toulouse, Privat, 2002, p. 26. Les peines disciplinaires comprenaient par conséquent la mise aux arrêts ou bien aux fers, mais excluaient en principe des coups. Ceux-ci sont même devenus, aux yeux de certains contemporains, le signe des usages particulièrement inhumains pratiqués en Allemagne ou dans d’autres pays de l’Europe du Nord, voir Louis René Villermé, Des prisons telles qu’elles sont et telles qu’elles devraient être, Paris, Méquignon-Marvis, 1820, p. 77 et suiv. Je tiens à remercier Ludovic Maugué (université de Genève) de m’avoir communiqué ces informations.
7 Michel Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 182.
8 Jan Philipp Reemtsma, Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité, Paris, Gallimard, 2011 (d’abord Hambourg, 2008) ; Randall Collins, Violence. A Microsociological Theory, Princeton N. J., Princeton University Press, 2008.
9 Falk Bretschneider, Gefangene Gesellschaft. Eine Geschichte der Einsperrung in Sachsen vom 18. bis zum 19. Jahrhundert, Constance, UVK, 2008.
10 Nous parlons ici d’« obéissance » pour signaler que nous nous intéressons d’abord aux interactions concrètes des acteurs sociaux et aux rapports d’autorité qui s’installent entre eux en situation d’enfermement. En suivant Max Weber (Économie et société, 1 : Les catégories de la sociologie, Paris, Pocket, 1995 [première édition allemande 1921], p. 95), nous faisons donc une différence entre, d’une part, la domination (la « possibilité de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé ») et, d’autre part, la discipline (la « possibilité de rencontrer chez une multitude déterminable d’individus une obéissance prompte, automatique et schématique, en vertu d’une disposition acquise »). Autrement dit, nous proposons d’étudier une obéissance que nous concevons comme la réponse (a priori individuelle) à un ordre, et non pas une discipline générée par l’assujettissement d’un collectif sous un principe objectif et impersonnel, et s’opérant de manière automatique, c’est-à-dire soustraite à la volonté individuelle, car s’inscrivant dans une disposition intérieure devenue – à la place d’une contrainte extérieure telle que la violence – la motivation même de l’action. Ces dernières années, l’obéissance a fait l’objet d’une nouvelle attention de la part des historiens, notamment dans le domaine de l’histoire de l’armée et de la guerre. Voir André Loez, Nicolas Mariot (dir.), Obéir/ désobéir. Les mutineries de 1917 en perspective, Paris, La Découverte, 2008 ; Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2011 – pour un état des recherches sur la question, voir notamment p. 13-20.
11 Falk Bretschneider, « Enfermements : circulation et croisement des pratiques dans l’espace germanique à l’époque moderne », dans Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Élisabeth Lusset (dir.), Enfermements. Le cloître et la prison (ve-xviiie siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 211-230.
12 Voir le bref aperçu qu’en donne Benoît Garnot, Histoire de la justice. France, xvie-xxie siècles, Paris, Gallimard, 2009, p. 501-503.
13 Gerd Schwerhoff, « Verordnete Schande ? Spätmittelalterliche und frühneuzeitliche Ehrenstrafen zwischen Rechtsakt und sozialer Sanktion », dans Id., Andreas Blauert (dir.), Mit den Waffen der Justiz. Zur Kriminalitätsgeschichte des späten Mittelalters und der Frühen Neuzeit, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 1993, p. 158-188 ; Satu Lidman, Zum Spektakel und Abscheu. Schand- und Ehrenstrafen als Mittel öffentlicher Disziplinierung in München um 1600, Francfort-sur-leMain et al., Peter Lang, 2008.
14 Karl Härter, Policey und Strafjustiz in Kurmainz. Gesetzgebung, Normdurchsetzung und Sozialkontrolle im frühneuzeitlichen Territorialstaat, Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 2005, p. 621-635.
15 Gravure sur bois (extrait), source : Ulrich Tengler, Layen Spiegel Von rechtmässigen ordnungen in Burgerlichen vnd peinlichen regimenten, Augsbourg, 1509.
16 Wilhelm Breithaupt, Die Strafe des Staupenschlags und ihre Abschaffung im Gemeinen Recht, zugleich ein Beitrag zur Geschichte des Zuchthauses, Jena, Neuenhahn, 1938.
17 Entrée « Züchtigung oder Zucht », dans Johann Heinrich Zedler (éd.), Grosses Vollständiges Universal-Lexikon, 63 vol. et 4 vol. suppl., Leipzig, Halle/S., Zedler, 1732-1754, ici vol. 63 (1751), col. 1255 ; entrée « Zucht », dans Jacob et Wilhelm Grimm (éd.), Deutsches Wörterbuch, 32 vol., Leipzig, Hirzel, 1854-1960, ici vol. 32, col. 257-263.
18 Ralf Pröve, « Gewaltformen in frühneuzeitlichen Lebenswelten », dans Winfried Speitkamp (dir.), Gewaltgemeinschaften. Von der Spätantike bis ins 20. Jahrhundert, Göttingen, V & R Unipress, 2013, p. 149-161.
19 Max Weber, La domination, Paris, La Découverte, 2013, p. 121-126 (première édition allemande, 1921) ; Reinhard Koselleck, Preußen zwischen Reform und Revolution. Allgemeines Landrecht, Verwaltung und soziale Bewegung von 1791 bis 1848, Stuttgart, Klett, 1967, notamment « Exkurs I : über die langsame Einschränkung körperlicher Züchtigung », p. 641-693 ; Wolfgang Reinhard, Geschichte der Staatsgewalt. Eine vergleichende Verfassungsgeschichte Europas von den Anfängen bis zur Gegenwart, Munich, Beck, 1999, notamment p. 47-50.
20 Irmintraut Richarz, Oikos, Haus und Haushalt. Ursprung und Geschichte der Haushaltsökonomik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991 ; Richard Van Dülmen, Kultur und Alltag in der Frühen Neuzeit, vol. 1 : Das Haus und seine Menschen, 16.-18. Jahrhundert, Munich, C. H. Beck, 1990, notamment p. 11-78 ; pour une analyse de la dimension domestique des Zuchthäuser à l’époque moderne, voir Pieter Spierenburg, The Prison Experience. Disciplinary Institutions and their Inmates in Early Modern Europe, New Brunswick, Londres, 1991, rééd. Amsterdam, Amsterdam Academic Archive, 2007, p. 105-135 ; Falk Bretschneider, « Das “gemeinsame Haus”. Insassen und Personal in den Zuchthäusern der Frühen Neuzeit », dans Id., Martin Scheutz, Alfred S. Weiß (dir.), Personal und Insassen von “Totalen Institutionen” – zwischen Konfrontation und Verflechtung, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2011, p. 157-196.
21 Claudia Opitz, Das Universum des Jean Bodin. Staatsbildung, Macht und Geschlecht im 16. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, Campus Verlag, 2006 ; Alf Lüdtke, Michael Wildt (dir.), Staats-Gewalt : Ausnahmezustand und Sicherheitsregime. Historische Perspektiven, Göttingen, Wallstein, 2008 ; Heinrich R. Schmidt, « Hausväter vor Gericht. Der Patriarchalismus als zweischneidiges Schwert », dans Martin Dinges (dir.), Hausväter, Priester, Kastraten. Zur Konstruktion von Männlichkeit in Spätmittelalter und Früher Neuzeit, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 213-236 ; Paul Münch, « Die “Obrigkeit im Vaterstand”. Zur Definition und Kritik des “Landesvaters” während der frühen Neuzeit », Daphnis, 11, 1982, p. 15-40.
22 SächsHStAD, 10116, loc. 5945 [en partie sans pagination, citation après fol. 37]. Au sujet du sang, voir Michaela Hohkamp, « Grausamkeit blutet – Gerechtigkeit zwackt : Überlegungen zu Grenzziehungen zwischen legitimer und nicht-legitimer Gewalt », dans Barbara Krug-Richter, Magnus Eriksson (dir.), Streitkultur (en). Studien zu Gewalt, Konflikt und Kommunikation in der ländlichen Gesellschaft (16. bis 19. Jh.), Cologne et al., Böhlau, 2003, p. 59-79.
23 Signalons que, même en dehors du contexte de domination patriarcale, les sociétés modernes connurent des pratiques similaires, par exemple dans le monde académique, où des rites initiatiques, sorte de « bizutage » moderne, pouvaient prendre la forme du châtiment corporel sans pour autant produire le même effet déshonorant. Voir Marian Füssel, « Riten der Gewalt. Zur Geschichte der akademischen Deposition und des Pennalismus in der frühen Neuzeit », Zeitschrift für historische Forschung, 32, 4, 2005, p. 605-648, ici p. 605 et suiv.
24 Karl Härter, Policey und Strafjustiz, op. cit., p. 627, 632.
25 Richard J. Evans, « “The Bailiff’s Magic Rod” », dans Id., Tales from the German Underworld : Crime and Punishment in the Nineteenth Century, Londres, Yale University Press, 1998, p. 93-135.
26 Karl Härter, « Die Folter als Instrument policeylicher Ermittlung im inquisitorischen Untersuchungs- und Strafverfahren des 18. und 19. Jahrhunderts », dans Karsten Altenhain, Nicola Willenberg (dir.), Die Geschichte der Folter seit ihrer Abschaffung, Göttingen, V & R Unipress, 2011, p. 83-114.
27 Richard J. Evans, « “The Bailiff’s Magic Rod”… », art. cité, notamment p. 98-105.
28 Ibid., p. 113 et suiv.
29 Ibid., p. 114-125. Seuls quelques pays (la Bade, le Wurtemberg, le Brunswick, la Saxe-Coburg-Gotha ou la Saxe-Weimar par exemple) abolirent les châtiments corporels dans les établissements pénitentiaires au cours des années 1890 (ibid., p. 122).
30 Dans le système des peines à l’époque moderne, l’enfermement dans une Zuchthaus fut d’abord considéré comme une peine de travaux forcés ; le concept même d’une privation de liberté ne naît qu’autour de 1800. Voir Gerhard Schuck, « Arbeit als Policeystrafe. Policey und Strafjustiz », dans Karl Härter (dir.), Policey und frühneuzeitliche Gesellschaft, Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 2000, p. 611-625 ; Thomas Nutz, Strafanstalt als Besserungsmaschine. Reformdiskurs und Gefängniswissenschaft 1775-1848, Munich, Oldenbourg, 2001, p. 64.
31 « La vie et les peines dans la maison de discipline et de travail forcé […] de Torgau » (extrait), dessin à la plume, original coloré, source : Kunstbibliothek, Staatliche Museen zu Berlin, Lipp-HdZ 2365 ; pour une interprétation plus approfondie, voir Falk Bretschneider, « Das Zuchthausrecht im kurfürstlich-sächsischen Zuchthaus zu Torgau », dans Stadt, Handwerk, Armut. Eine kommentierte Quellensammlung zur Geschichte der Frühen Neuzeit. Festschrift für Helmut Bräuer, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2008, p. 20-33.
32 Source : photographie privée.
33 Stefan Kroll, Soldaten im 18. Jahrhundert zwischen Friedensalltag und Kriegserfahrung. Lebenswelten und Kultur in der kursächsischen Armee 1728-1796, Paderborn et al., Schöningh, 2006, p. 321.
34 Source : Beschreibung des Chur-Sächsischen allgemeinen Zucht= Waysen= und Armen=Hauses, welches Se. Königl. Maj. in Pohlen und Churfl. Durchl. zu Sachsen […] Anno 1716. allergnädigst aufrichten lassen, suivi de : Zweyte bis Neundte Nachricht von dem Waldheimischen Zucht= Waysen= und Armen=Hause und denen dabey […] gemachten Anstalten, nouvelle édition, Dresde, Leipzig (Christoph Hekel) 1726.
35 Beschreibung…, op. cit., 1re livraison (1716), p. 17.
36 Sächsisches Staatsarchiv Leipzig (désormais : SächsStAL), 20036 (Zuchthaus Waldheim), no 160, fol. 2. À cette gradation du droit de châtier correspondait une échelle des différents instruments utilisés pour son application : le Willkommen était ainsi exécuté à l’aide d’un nerf de bœuf (Ochsenziemer), les sanctions disciplinaires en revanche avec des bâtons (faits de bois de bouleau ou de noisetier) ainsi qu’avec la cravache ou le Kantschu, fouet à manche court importé en Saxe de l’Europe de l’Est, probablement pendant l’époque de l’union personnelle avec la Pologne.
37 SächsStAL, 20036, no 420, fol. 14.
38 Stefan Brakensiek, « Peut-on parler d’absolutisme dans l’Allemagne moderne ? Une domination désireuse d’être acceptée (Akzeptanzorientierte Herrschaft) », Bulletin d’information de la Mission historique française en Allemagne, 42, 2006, p. 249-263.
39 Ernst Friedrich Pfotenhauer, Handbuch der von dem Jahre 1770 an bis auf die neueste Zeit in dem Königreiche Sachsen erschienenen Criminalgesetze mit historischen und praktischen Erläuterungen, Wittenberg, Seibt, 1811, p. 15-20.
40 Apparemment, le rescrit se contentait de codifier un changement intervenu plus tôt, car la différence entre Willkommen et Patschhand est attestée par les sources dès 1765. Voir Brandenburgisches Landeshauptarchiv, Rep. 23 C (Niederlausitzer Stände), no 1706, fol. 89-91.
41 Johann Carl Gross, « Ueber die Vollziehung der Freiheitsstrafen, mit besonderer Rücksicht auf das Königreich Sachsen », Zeitschrift für Rechtspflege und Verwaltung, zunächst für das Königreich Sachsen, 10, 1852, p. 489-525, ici p. 498 et suiv.
42 SächsHStAD, 10116, loc. 5929, fol. 3.
43 SächsHStAD, 10026 (Geheimes Kabinett), loc. 2496/02, fol. 65.
44 SächsHStAD, 10116, loc. 5929, fol. 8. La citation fait allusion à la commission chargée, au niveau central, de l’administration des institutions fermées en Saxe.
45 Wilhelm Bergsträßer, Die königlich sächsischen Strafanstalten mit Hinsicht auf die amerikanischen Pönitentiarsysteme […], Leipzig, Voß, 1844, p. 50 ; « Der Willkommen », Sachsenzeitung, 2 (1831), 224 (20.9.), p. 1743 et suiv., ici p. 1743.
46 SächsHStAD, 10079 (Landesregierung), loc. 31672, fol. 1, 3-9.
47 Nachrichten vom Landtage 1833/34 (Außerordentliche Beilage der Leipziger Zeitung) no 346 (17 avril 1834), p. 3473.
48 Bergsträßer, Die königlich sächsischen Strafanstalten, op. cit., p. 185.
49 Richard J. Evans, « “The Bailiff’s Magic Rod”… », art. cité, p. 114 et suiv.
50 Cité d’après Moritz Koppel, Die Vorgeschichte des Zuchthauses in Waldheim, Waldheim, 1934, p. 139.
51 Anonyme, Waldheim, Zurich, s. d. (après 1850).
52 August Röckel, Sachsens Erhebung und das Zuchthaus zu Waldheim, Francfort-sur-leMain, Adelmann, 1865 ; Hermann Theodor Oelckers, Aus dem Gefängnissleben, 2 vol., Leipzig, Wigand, 1860.
53 Mitteilungen vom Landtag, 1858, vol. II, no 39 (26 mars), p. 995.
54 Moritz Koppel, Die Vorgeschichte des Zuchthauses in Waldheim, op. cit., p. 138-153.
55 Ibid., p. 140 ; Emil Bech, « Diorama der k. sächsischen Strafanstalten zu Waldheim und Zwickau, nebst allgemeinen Betrachtungen über das Auburnsche und Pensylvanische Strafsystem und einigen unmaßgeblichen Vorschlägen zu einer mit jenen vorzunehmenden Reform », Zeitschrift für Staatsarzneikunde, NF 4, 1848, p. 6-94, 203-244, ici p. 38.
56 Voir également l’analyse fine des différents gestes violents dans le contexte particulier des camps de concentration, chez Elissa Mailänder, Gewalt im Dienstalltag : Die Aufseherinnen des Konzentrations- und Vernichtungslagers Majdanek, Hambourg, Hamburger Edition, 2009, notamment p. 410-450.
57 SächsStAL, 20036, no 277, fol. 230.
58 SächsStAL, 20036, no 344, fol. 91 ; Röckel, Sachsens Erhebung und das Zuchthaus zu Waldheim, op. cit., p. 260 ; Johann Carl Gross, « Ueber die Vollziehung der Freiheitsstrafen… », art. cité, p. 524.
59 SächsStAL, 20036, no 333, avant fol. 1 [sans pagination], fol. 7 et 50 ; Moritz Koppel, Die Vorgeschichte des Zuchthauses in Waldheim, op. cit., p. 139.
60 SächsStAL, 20036, no 344, fol. 86-93.
61 Moritz Koppel, Die Vorgeschichte des Zuchthauses in Waldheim, op. cit., p. 151.
62 Heinrich Popitz, Phänomene der Macht, Tübingen, Mohr, 1986, p. 52 et suiv.
63 Institution représentant, depuis le Code pénal saxon de 1838, un degré intermédiaire de la peine d’enfermement, entre Gefängnis (prison), c’est-à-dire la forme la plus légère, et Zuchthaus, la forme la plus sévère destinée à sanctionner les crimes les plus graves.
64 Sächsisches Staatsarchiv Chemnitz (désormais : SächsStAC), 30071 (Zuchthaus Zwickau), no 149, fol. 136.
65 Hannah Arendt, On Violence, New York, Harcourt, 1970, trad. française Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 105-208.
66 Pour la France, voir Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France, 1780-1875, Paris, Fayard, 1990, qui constate, p. 282, que « la population des centrales, sauf situation exceptionnelle, reste contenue ». Ce constat vaut également pour les Zuchthäuser de l’époque moderne, voir par exemple Bernhard Stier, Fürsorge und Disziplinierung im Zeitalter des Absolutismus. Das Pforzheimer Zucht- und Waisenhaus und die badische Sozialpolitik im 18. Jahrhundert, Sigmaringen, Thorbecke, 1988, qui fait part de son impression que les habitants de cet établissement auraient agi comme un « troupeau d’agneaux doux » (p. 128). En revanche, quand une révolte survient, quand les détenus font masse et forment une unité contre l’institution, les rapports de force s’inversent facilement. C’est pourquoi les administrations s’efforcent de les éviter absolument, en neutralisant, également en ayant recours à la violence, toute tentative de la part des prisonniers de s’organiser collectivement. Voir Falk Bretschneider, « Négocier par la révolte : la mutinerie des prisonniers à Zwickau (1825) », dans Id. (dir.), Der Kriminelle. Deutsch-französische Perspektiven/Le criminel. Perspectives franco-allemandes, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2007, p. 135-167.
67 Trutz von Trotha, « Einleitung : Zur Soziologie der Gewalt », dans Id. (dir.), Soziologie der Gewalt, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1997, p. 9-56, ici p. 18.
68 Voir les nombreux exemples donnés chez Falk Bretschneider, Gefangene Gesellschaft…, op. cit., p. 377-389.
69 Alf Lüdtke, « Einleitung », dans Id. (dir.), Herrschaft als soziale Praxis. Historische und sozialan-thropologische Studien, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991, p. 9-62.
70 Par ex. SächsHStAD, 10116, loc. 5910, vol. 8, fol. 77-80.
71 Heinrich Balthasar Wagnitz, Ueber die moralische Verbesserung der Zuchthausgefangenen, Halle/S., Hemmerde, 1787 ; Anonyme, Warum werden so wenige Sträflinge im Zuchthause gebessert ? Leipzig, Crusius, 1802.
72 SächsHStAD, 10116, loc. 5936, fol. 41.
73 Thomas Nutz, Strafanstalt als Besserungsmaschine, op. cit.
74 Peter Becker, Verderbnis und Entartung. Eine Geschichte der Kriminologie des 19. Jahrhunderts als Diskurs und Praxis, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002.
75 Emil Bech, « Diorama der k. sächsischen Strafanstalten zu Waldheim und Zwickau, nebst allgemeinen Betrachtungen über das Auburnsche und Pensylvanische Strafsystem und einigen unmaßgeblichen Vorschlägen zu einer mit jenen vorzunehmenden Reform », Zeitschrift für Staatsarzneikunde, NF 4, 6-94, 1848, p. 203-244, citation p. 213 ; Id., Offenes Sendschreiben als Erwidrung […] aufden « Offenen Brief » des Direktors der Strafanstalt zu Waldheim […] Christ […], Zwickau, Pirna, 1849 ; [Franz Friedrich Wilhelm] Christ, Offner Briefan Herrn Stadtgerichts-Arzt Dr. Emil Bech in Pirna, Waldheim, 1849, citation p. 9, 20.
76 Parmi les tenants de ces méthodes se trouvaient certainement quelques caractères « sadiques » (voir Richard J. Evans, « “The Bailiff’s Magic Rod”… », art. cité, p. 121) s’adonnant – le fouet en main et jouissant du pouvoir de dominer les détenus – à une « auto-invention voluptueuse » (voir Thomas Lindenberger, Alf Lüdtke, « Einleitung : Physische Gewalt – eine Kontinuität der Moderne », dans Id. (dir.), Physische Gewalt. Studien zur Geschichte der Neuzeit, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1995, p. 7-38, citation p. 7) ; mais leur emportement pouvait également s’appuyer sur des théories de la dissuasion tout à fait admises et propagées par des juristes de renom comme Paul Anselm von Feuerbach (1775-1833) ou Christoph Carl Stübel (1764-1828), qui défendaient l’idée d’une déviance s’ancrant dans les passions et qu’il fallait donc combattre avec des afflictions capables de vaincre l’envie du crime. Voir Thomas Nutz, Strafanstalt als Besserungsmaschine, op. cit., p. 219-224.
77 Eugène d’Alinge, Bessrung auf dem Wege der Individualisirung. Erfahrungen eines Praktikers über den Strafvollzug in der Gegenwart, Leipzig, Barth, 1865 ; voir également Falk Bretschneider, « Die “Gefängnis-Klinik”. Wissenschaft und Strafvollzug im 19. Jahrhundert – das Beispiel Sachsen », dans Sabine Freitag, Désirée Schauz (dir.), Verbrecher im Visiser der Experten. Kriminalpolitik zwischen Wissenschaft und Praxis im 19. und frühen 20. Jahrhundert, Stuttgart, Steiner, 2007, p. 199-223.
78 Cité d’après Lars Hendrik Riemer, Das Netzwerk der « Gefängnisfreunde » (1830-1872). Karl Josef Anton Mittermaiers Briefwechsel mit europäischen Strafvollzugsexperten, 2 tomes, Francfort-sur-leMain, Klostermann, 2005, p. 1074.
79 Xavier Rousseaux, René Lévy (dir.), Le pénal dans tous ses États : Justice, États et sociétés en Europe, xiie-xxe siècles, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, 1997 ; Thomas Nutz, Strafanstalt als Besserungsmaschine, op. cit.
80 SächsStAL, 20036, no 160, fol. 2.
81 La sécurité extérieure des établissements fut ainsi longtemps à la charge des soldats du corps d’invalides de l’armée saxonne, fondé en 1737 ; comme nous l’avons vu dès le début de ce texte, les gardiens ne se portaient cependant pas toujours beaucoup mieux.
82 SStAL, 20036, no 287, fol. 24 ; Friedrich Gottlob Leonhardi, Erdbeschreibung der Churfürstlich= und Herzoglich=Sächsischen Landen, Leipzig, 3e édition, 1802-1806, ici vol. 2, p. 544, vol. 3, p. 311-313.
83 SHStAD, 10116, loc. 5921, vol. V, fol. 35-37.
84 Ibid., fol. 42.
85 Max Weber, Économie et société, op. cit., p. 285.
86 Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Minuit, 1979 (première édition américaine, N. Y., Garden City, 1961), p. 104-111, et plus particulièrement sur la stratégie de l’« installation », p. 107 et suiv.
87 Ces transactions reposaient en grande partie sur une structure économique et une composition sociale qui débouchaient sur une clôture incomplète et une promiscuité entre les différentes catégories de détenus. Après 1800, avec la transformation des Zuchthäuser en institutions à usage pénal unique, ces porosités disparurent progressivement. Néanmoins, même dans les prisons du XIXe siècle caractérisées par leur clôture plus stricte et des populations internées plus homogènes, le principe des récompenses resta en vigueur (diminution des pensums, amélioration de la nourriture, emploi hors des ateliers, par exemple dans les cuisines ou les nouvelles bibliothèques aménagées à partir de 1862 dans certains établissements, etc.). Voir, par exemple, Karl May, « Ich ». Karl Mays Leben und Werk, Bamberg, Karl May Verlag, 1968 (première édition 1916), p. 129-194.
88 SächsStAL, 20036, no 347, fol. 28.
89 Johann Friedrich Heinrich Selig, J. F.H.S’s, eines Bekehrten aus dem Judenthume, eigne Lebensbeschreibung, Leipzig, Sommer, 1783.
90 André Brodocz, « Behaupten und Bestreiten. Genese, Verstetigung und Verlust von Macht in institutionellen Ordnungen », dans Id., Christoph Oliver Mayer, René Pfeilschifter, Beatrix Weber (dir.), Institutionelle Macht. Genese – Verstetigung – Verlust, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2005, p. 13-36.
91 SächsHStAD, 10116, loc. 5929, fol. 6.
92 Ibid., fol. 2.
93 SächsStAL, 20036, no 306, fol. 176.
94 Stadtarchiv Leipzig, Ratsarchiv, Georgenhaus, no 677, fol. 43-48. En se tournant vers les autorités de la ville, Oppenheim se montrait donc obéissant non envers l’institution, mais envers une instance dont il espérait une protection contre les abus de pouvoir du personnel de la Zuchthaus.
95 SächsStAL, 20036, no 296, fol. 342.
96 Voir également Leonard V. Smith, Between Mutiny and Obedience. The Case of the French fifth Infantry Division during World War I, Princeton, Princeton University Press, 1994 ; Jean-Paul Zúñiga (dir.), Negociar la obediencia. Autoridad y consentimiento en el mundo ibérico en la edad moderna, Churriana de la Vega, Comares Historia, 2013.
97 Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, Aix-en-Provence, Pandora, 1981 (première édition allemande 1970).
98 D’où le titre – dont la traduction littérale est « société enfermée » – que nous avons donné au livre issu de nos recherches sur l’histoire de l’enfermement en Saxe. Voir Falk Bretschneider, Gefangene Gesellschaft…, op. cit. ; le même problème est posé dans les recherches récentes sur les rapports d’autorité au sein de l’armée : « L’autorité est-elle d’abord créatrice de comportements, ou bien, au contraire, est-elle déterminée par le degré d’adhésion des membres organisationnels de l’institution, du corps, en l’occurrence les soldats du rang ? », Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres ?, op. cit., p. 19.
99 Au sujet des conditions de travail et de vie déplorables des ouvriers dans les manufactures saxonnes, voir Rudolf Forberger, Die Manufaktur in Sachsen vom Ende des 16. bis zum Anfang des 19. Jahrhunderts, Berlin, Akademie Verlag, 1958.
100 Johann Friedrich Heinrich Selig, J. F.H.S’s […] eigne Lebensbeschreibung, op. cit., par ex. p. 109, 126.
101 SächsHStAD, 10116, loc. 5929, vol. 2, fol. 212.
102 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, I : Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.
103 Là aussi, ces pratiques n’étaient pas spécifiques aux Zuchthäuser de l’époque moderne : au XIXe siècle aussi, les infractions à l’impératif du silence (tolérées ou non remarquées par le personnel), l’emploi de détenus pour des tâches de surveillance (par exemple dans les cellules d’arrêt), le troc de pain ou de cigares furent observés dans certains établissements saxons depuis les années 1840, de même que la corruption des gardiens (qui, par exemple, transportaient des messages) et les « services rendus » aux détenus restèrent de mise, même si leurs traces sont plus rares dans les archives. Voir Falk Bretschneider, Gefangene Gesellschaft…, op. cit., p. 449-451. Ces problèmes de sources tiennent en partie au développement d’une administration archivistique qui, à partir des années 1830, centralisa les fonds des établissements saxons en procédant par la suite à de nombreuses éliminations (concernant notamment les dossiers personnels des prisonniers).
104 Jacques Revel, « L’institution et le social », dans Bernard Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 63-84.
105 Niklas Luhmann, Macht, Stuttgart, Lucius & Lucius, 2003 (première édition 1975).
106 Mary Douglas, Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte, 1999 (première édition américaine, Syracuse, 1986).
107 Michel Foucault, « Le sujet et le pouvoir », dans Id., Dits et écrits, 1954-1988, t. IV : 1980- 1988, p. 222-243 ; Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, op. cit.
108 Gert Melville, « L’institutionnalité médiévale dans sa pluridimensionnalité », dans Jean-Claude Schmitt, Otto Gerhard Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, citation p. 244.
109 Karl-Siegbert Rehberg, « Die stabilisierende “Fiktionalität” von Präsenz und Dauer. Institutionelle Analyse und historische Forschung », dans Bernhard Jussen, Reinhard Blänkner (dir.), Institutionen und Ereignis. Über historische Praktiken und Vorstellungen gesellschaftlichen Ordnens, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 381-407, citation p. 387.
110 Ibid., p. 398.
111 Michel Foucault, Surveiller et punir…, op. cit., p. 137-171.
112 SächsStAL, 20036, no 27 [sans pagination].
Auteur
Centre Georg-Simmel – Recherches franco-allemandes en sciences sociales
(UMR 8131, EHESS / CNRS)
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Enfermements. Volume II
Règles et dérèglements en milieu clos (ive-xixe siècle)
Heullant-Donat Isabelle, Claustre Julie, Bretschneider Falk et al. (dir.)
2015
Une histoire environnementale de la nation
Regards croisés sur les parcs nationaux du Canada, d’Éthiopie et de France
Blanc Guillaume
2015
Enfermements. Volume III
Le genre enfermé. Hommes et femmes en milieux clos (xiiie-xxe siècle)
Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Élisabeth Lusset et al. (dir.)
2017
Se faire contemporain
Les danseurs africains à l’épreuve de la mondialisation culturelle
Altaïr Despres
2016
La décapitation de Saint Jean en marge des Évangiles
Essai d’anthropologie historique et sociale
Claudine Gauthier
2012
Enfermements. Volume I
Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle)
Julie Claustre, Isabelle Heullant-Donat et Élisabeth Lusset (dir.)
2011
Du papier à l’archive, du privé au public
France et îles Britanniques, deux mémoires
Jean-Philippe Genet et François-Joseph Ruggiu (dir.)
2011