Les règlements de geôle médiévaux Jalons pour l’étude d’un genre
p. 63-87
Résumés
Les premiers règlements de prison conservés dans l’espace français datent des xiiie et xive siècles. Ils concernent aussi bien des prisons royales, municipales, seigneuriales qu’ecclésiastiques. Contemporains des premiers registres d’écrous et des premières pièces comptables issues des prisons, mais plus nombreux qu’eux dans la documentation qui nous est parvenue, ils constituent ensemble des instruments importants de l’organisation des prisons, dont l’usage se diffuse et se diversifie au cours de ces deux siècles. On se propose ici de poser quelques jalons pour étudier l’émergence médiévale de ce genre en s’appuyant sur les textes franciliens, particulièrement nombreux, et sur ceux de l’espace français septentrional (Lille, Cambrai, Orléans). On évoque d’abord l’histoire de la découverte de ce type de textes et son apport à l’historiographie des prisons anciennes ainsi que les conditions de leur transmission. On s’intéresse ensuite à la structure de ces règlements et à leur contenu. Leurs objet et usage premiers semblent tenir à la tarification des revenus du geôlier. Mais ils ne s’y limitent pas et se déploient pour préciser les obligations du geôlier et de ses hommes à l’égard des détenus, ainsi que certaines règles auxquelles ceux-ci doivent se conformer. Ces règlements de geôle, qui oscillent entre la « sollicitude » due aux détenus et la « diligence » attendue des geôliers, constituaient des pièces importantes du droit citadin et de la mise en ordre des sociétés urbaines.
The first prisons rules which are kept in the French space date from the XIIIth and the XIVth century. They concern as well royal, municipal, seigneurial and clerical prisons. They are contemporaries of the first registers of inmates and of the first prison accounts, but they are more numerous in the documentation which reached us. They constitute together important instruments of the organization of the prisons, the use of which spreads and diversifies during these two centuries. I try here to lay the groundwork towards a study of the medieval emergence of this genre, building upon texts coming from Ile-de-France and northern French space (Lille, Cambrai, Orléans). I evoke at first the history of the discovery of this type of texts and its contribution to the historiography of the former prisons as well as the conditions of their transmission. I am then interested in the structure of these rules and in their contents. Their object and first use seems to be the pricing for the income of the gaoler. But it did not limit itself to this and specified the obligations of the gaoler and his people towards the prisoners, as well as certain rules to which these have to conform. These prison rules, which oscillate between the “care” due to the prisoners and the “diligence” expected from the gaolers, were important parts of the city law and made huge contributions to the urban social structuration.
Texte intégral
1Si le xixe siècle a transformé nombre d’abbayes, comme Clairvaux, en prisons, il a également réservé un sort particulier aux prisons anciennes. Des lieux de détention symboliques de l’Ancien Régime ont ainsi été rasés, comme la Bastille en 1790 et le Grand Châtelet de Paris en 1808. Mais le grand mouvement de revival médiéval qui traverse ce siècle1 a également fait de ces prisons anciennes des curiosités : la geôle est un haut lieu du médiévalisme. Dans le Paris de la IIIe République, la prison devient ainsi un élément paradoxal du « Vieux Paris », dont on déplore la perte et que l’on se remémore. Le Comité des inscriptions parisiennes, créé en 1879 par le préfet de la Seine et qui instaure un système de plaques commémoratives des événements, des hommes et des monuments se rattachant à l’histoire de la ville, décide que le premier édifice à bénéficier de cette mesure sera la forteresse du Grand Châtelet, ancien siège du tribunal et des prisons du prévôt royal de Paris. C’est aussi l’époque où un marquage est dessiné sur le sol de la place de la Bastille pour matérialiser l’emplacement de la forteresse disparue2. Les prisons anciennes trouvent également leur place dans les grandes Expositions universelles de Paris. Lors de celle de 1889, on reconstitue la Bastille. Au moment de l’Exposition de 1900, une des attractions qui obtient le plus gros succès est le « Vieux Paris » créé par Albert Robida, installé le long de la Seine, qui comporte notamment ce qui fut appelé une « cour des miracles3 » et la reconstitution complète du Grand Châtelet des xviie et xviiie siècles4. Alors que ces lieux d’enfermement disparus étaient ainsi minutieusement reconstitués, des textes étaient exhumés qui apparaissaient comme les plus à même de restituer la réalité carcérale passée, à savoir les règlements de prison médiévaux.
Éditions des règlements de geôle médiévaux et naissance de l’historiographie de la prison médiévale
2Les règlements de geôle sont devenus au xixe siècle et au début du xxe siècle des documents classiques pour tous ceux qu’intéressaient les mœurs judiciaires médiévales, historiens du Moyen Âge, érudits, historiens du droit5. Ils sont une des pierres angulaires de l’histoire des prisons anciennes6. En effet, ils constituent un des types documentaires spécifiques aux geôles, avec les registres d’écrous7, dont l’apparition aux xiiie-xive siècles signe l’avènement d’une époque nouvelle pour ces lieux. Les règlements du Châtelet sont même les principaux documents sur lesquels les historiens ont bâti depuis le xixe siècle leurs considérations non seulement sur les prisons anciennes de Paris, mais sur celles de la France en général8. Tenus pour des curiosités insolites, ils ont fait l’objet d’éditions, parfois multiples, et de commentaires sur la rudesse des prisons médiévales. D’où vient cette curiosité ? Les notes dont le bibliophile Constant Leber accompagna en 1838 l’édition partielle du règlement de la geôle du Châtelet de Paris de 1372 peuvent en donner une idée :
« Cette pièce n’est ni un compte ni un inventaire proprement dit ; mais on y trouve un tarif fort curieux des prix de geôle, et quelques détails non moins intéressans [sic], nous ne disons pas attrayans [sic], sur le logement des prisonniers. Alors, la simplicité des mœurs et la naiveté du langage permettaient d’appeler les choses par leur nom, et de dire ingénuement [sic] ce qui en était. Aussi personne ne suspectera la vérité de ce tableau d’une prison au moyen-âge : c’est l’original dans toute son horreur9. »
3Ce commentaire exprime d’une part la « curiosité » pour un objet étrange et laid, curiosité qui manifeste le goût ambivalent qui se développe alors pour le « gothique10 ». Il exprime ensuite l’intérêt pour un langage naïf et ingénu, celui des appellations données aux diverses parties de la prison, et la croyance, positiviste, dans l’authenticité d’un tableau pittoresque. On y lit aussi la fascination horrifiée d’un contemporain des grands changements pénaux de la fin du xviiie et du début du xixe siècle, c’est-à-dire de la naissance du système pénitentiaire et des débats qui accompagnent le virage répressif des années 1830-184011. L’auteur de ces commentaires, Constant Leber, n’était pas seulement un bibliophile et collectionneur érudit12 ; il était depuis 1809 ou 1810 fonctionnaire au ministère de l’Intérieur13 et sa carrière de commis de l’État est ponctuée d’essais historiques en rapport avec ses fonctions. En 1819-1829, le contentieux des communes lui inspire l’Histoire critique du pouvoir municipal. Quand la question du sacre du roi se pose, il prépare dès 1819 un essai sur les Cérémonies du sacre des rois, paru en 1825. Serviteur de l’ordre impérial puis royal, Leber considérait assurément la geôle du Châtelet comme un repoussoir, voire comme un faire-valoir pour les prisons du nouveau système pénal.
4Les mêmes motivations poussèrent sans doute un autre serviteur du ministère de l’Intérieur à s’intéresser aux prisons du Châtelet et à leur règlement. Charles Desmaze, magistrat, sénateur, publiciste et juge d’instruction14, puis directeur de la Sûreté au ministère de l’Intérieur, publia en 1854 une monographie sur le Châtelet de Paris, dont un chapitre est consacré aux prisons, et édita une version ancienne du règlement de geôle15. En 1866, il récidiva, transcrivant le règlement de geôle du Châtelet de 1425 dans une synthèse sur l’histoire pénale de la France, par laquelle il voulait « montrer par de textuelles citations […] quelle a été la progression, disons mieux, le progrès de la justice criminelle en France16 ». Le règlement de geôle du Châtelet trouve ainsi sa place dans un récit de l’« affaiblissement volontaire de la sévérité des lois et de la cruauté des supplices » qui a mené à « cette heureuse réforme [celle de 1791] [qui] introduisit dans notre droit criminel un principe nouveau, l’amendement des condamnés, principe qui est devenu en France la base du système pénitentiaire actuellement appliqué par tout l’Empire, sous une habile et humaine direction dont le siège est au ministère de l’intérieur ». Desmaze s’était en fait contenté de reprendre des éditions antérieures des règlements de geôle : celle datée de 1782 des Ordonnances des roys de France, pour le règlement de 142517, et celle proposée en 1860 par Aimé Champollion-Figeac, pour le règlement du début du xive siècle18.
5Le Second Empire voit aussi l’édition en 1868, par le juriste Édouard Laboulaye et le chartiste Rodolphe Dareste, du Grand coutumier de France19, la compilation juridique de Jacques d’Ableiges, qui comporte une autre version du règlement de geôle du Châtelet. À la fin du Second Empire, les historiens français disposent ainsi de pas moins de quatre versions différentes du règlement de geôle du Châtelet médiéval.
6Quelques décennies plus tard, armé des règles nouvelles de la méthode historique, Louis Batiffol, un chartiste, disciple de Fustel de Coulanges, auteur d’une thèse sur Jean Jouvenel et donc bon connaisseur de la fin du xive siècle, met à profit les travaux de ses devanciers : il propose en 1896-1897 une topographie des prisons du Châtelet, en rapprochant ces divers règlements de geôle et en s’aidant de représentations figurées du Châtelet20.
7C’est aussi cette authenticité prêtée aux règlements de geôle qui a séduit les spécialistes d’histoire de Paris, attachés pour leur part moins aux mœurs judiciaires qu’aux lieux anciens de la ville. Les règlements de geôle du Châtelet donnent en effet le tarif de quinze ou seize prisons, dont les désignations ont déchaîné la fantaisie ou suscité l’horreur de plusieurs historiens de Paris : fosse, beauvais, barbarie, gloriette, puis gourdaine, bersueil, oubliette, boucherie, griesche, chaynes, beauvoir, mote, sale, beaumont, entre deux huis21. Ainsi la notice consacrée aux prisons du Châtelet par Jacques-Antoine Dulaure dans son Histoire physique, civile et morale de Paris, qui donnait une édition partielle du règlement de 1425, avait-elle pour seul but d’en suggérer le caractère « horrible » et « affreux22 ».
8Quant à Arsène Perier, s’il réédite partiellement en 1908, dans sa biographie du prévôt de Paris, Hugues Aubriot, le règlement de 1372 déjà édité par Constant Leber et s’il en fait la première de ses onze pièces justificatives, c’est à titre d’illustration de l’œuvre réformatrice de celui qu’il tient pour un grand préfet médiéval de Paris, « sévère, rigide exécuteur de la loi23 ».
9La découverte et la publication des règlements médiévaux du Châtelet sont donc le fait de générations d’érudits actifs entre le début du xixe siècle et la fin du Second Empire. Bien que, en 1868, on dispose de quatre versions de ces règlements, les variations qu’elles présentent ne sont pas commentées, et aucun travail d’édition scientifique de ces textes n’est envisagé. Cela tient au statut alors reconnu à ces documents qui ne sont pas pleinement identifiés comme des règlements : à l’instar de Constant Leber, la plupart des historiens considèrent alors ce type de document d’une part comme un tableau de mœurs d’une étonnante fixité et non comme un texte normatif, d’autre part comme l’envers des prisons nouvelles et non comme le produit d’une institution évoluant dans un contexte social et judiciaire changeant.
10Pour les historiens du droit médiéval de la même période, le statut de ces documents est également ambigu. François Olivier-Martin tient le règlement de geôle orléanais qu’il publie en 1928 comme un morceau « curieux » et instructif pour l’historien des mœurs judiciaires, beaucoup moins pour l’historien du droit. Du point de vue du juriste, le statut de ces documents est secondaire ; éloignés tant de la doctrine que de la loi, ils proposent au mieux une norme mineure. C’est pourquoi François Olivier-Martin ne se sert jamais des règlements de geôle parisiens dans son histoire du droit parisien24, pas plus que ne l’avait fait dans les années 1890 Ernest Glasson, historien de la procédure ancienne du Châtelet25. Or les manuscrits qui ont transmis ces règlements de geôle les associent dans des compilations à des textes coutumiers et juridiques dont le statut normatif n’est pas discuté. Comme règlements, ils expriment des exigences de mise en ordre et en conformité, et ils ne disent qu’en creux quelques vérités sur les conditions de vie enfermée. Les questions de base de la critique documentaire n’ont pas été posées pour ces textes : qui les a écrits, à quelles fins, selon quels modèles éventuels ?
Les règlements de geôle, pièces essentielles du droit citadin
11Les premiers règlements de prison conservés datent des xiiie et xive siècles. Ils concernent aussi bien des prisons royales, municipales, seigneuriales qu’ecclésiastiques. On en connaît dans le Nord du royaume de France, dans le Sud26, en Castille27, en Angleterre28, en Italie sous la forme de statuts communaux29… Contemporains des premiers registres d’écrous – on appelle registre d’écrous une liste des emprisonnements effectués par une juridiction dans une période donnée –, mais plus nombreux qu’eux dans la documentation qui nous est parvenue, ils constituent avec eux des outils d’organisation des prisons. Les textes ici retenus sont les plus anciens et sont soit franciliens, soit issus de l’espace français septentrional (Lille, Cambrai, Orléans)30. Au nombre de dix, ils proviennent de cinq villes différentes.
Tableau 1. Les premiers règlements de geôle de la France septentrionale
Ville | Date | Juridiction(s) de rattachement |
Cambrai31 | milieu du xiiie siècle | évêque et commune |
Orléans32 | milieu du xiiie siècle | prévôt royal33 |
Lille | années 1280-1290 | commune et bailli comtal34 |
Saint-Denis | 1380-1381 | bailliage de l’abbaye35 |
Paris | 6 versions du règlement entre le début du xive siècle et 1485 | prévôt royal (Châtelet) |
12Dans cet ensemble, le règlement attribué au prévôt de Paris Hugues Aubriot en 1372 joue un rôle pivot. Toutefois, il n’est pas sûr que nous ayons sa version initiale puisque deux versions de longueur différente43 – désignées ici par les lettres B et C – sont datées de juin 1372 et attribuées à ce prévôt. Elles-mêmes reprennent, complètent et corrigent un règlement antérieur (A), dont une version est fournie par un manuscrit du Livre des métiers du prévôt royal Étienne Boileau, daté du début du xive siècle44. Ce texte ancien subsiste dans pas moins de trois copies, dont une réalisée au Parlement à partir d’une quatrième copie (perdue) qui se trouvait à la Chambre des comptes45. Compte tenu des dates des textes contenus dans ce registre d’ordonnances du Parlement et des dates de leur enregistrement, il semblerait que le règlement ancien de geôle du Châtelet y ait été recopiée entre 1370 et 1372. Les deux textes qui le suivent ont même été collationnés le 22 juin 137246, soit à quelques jours de la promulgation par Hugues Aubriot de son instruction sur la geôle, ce qui suggère à tout le moins l’idée que la réflexion alors en cours sur la geôle au Châtelet a eu un écho au Parlement et à la Chambre des comptes. La version B, vraisemblablement la plus proche du texte original de 1372, a été amplifiée dans le texte C qui est devenu la matrice du règlement intégré à l’ordonnance royale sur le Châtelet en 1425 (D). Cette dernière version a été préparée, sans doute vers 1420, par le rassemblement des instructions qui s’étaient ajoutées au règlement B et qui avaient abouti au texte C. Une fois classées et réorganisées, et après l’ajout d’un article, elles ont donné le règlement D de 1425, qui n’a été que marginalement augmenté d’un article dans l’ordonnance du 23 octobre 1485 sur le Châtelet (F). Il est probable que ce travail de collecte a eu lieu dans les temps qui ont précédé l’ordonnance de 1425 pour préparer celle-ci, d’où la date ici proposée pour cette version du règlement.
13La quarantaine d’articles sont organisés en une suite logique de thèmes : l’office de geôlier, l’entrée des prisonniers et les formalités d’enregistrement, le personnel, les contacts avec l’extérieur des prisonniers, les changements de prison, le tarif des geôlages d’entrée et d’issue, le tarif des gîtes, lits et places, la livraison des vivres aux prisonniers, les dispositions particulières sur les lits, la discipline interne aux prisonniers, les aumônes aux prisonniers, la retenue des prisonniers après leur délivrance pour les geôlages, le serment des officiers de garder ces ordonnances. Tous ces thèmes s’enchaînaient de manière plus décousue dans la version C dite de 1372. L’ordonnance de 1425, sur le chapitre de la geôle, procède donc essentiellement à une mise en ordre d’un règlement dont le noyau était vieux de près d’un demi-siècle. La geôle, à travers ces textes successifs du Châtelet, se donne donc à voir comme une institution très stable, et le règlement lui-même comme un texte quasiment intangible. La version B se retrouve presque entièrement dans la version E, transmise par Jacques d’Ableiges dans sa compilation de droit parisien. Remarquons toutefois que Jacques d’Ableiges omet d’attribuer la paternité de ce texte à Hugues Aubriot, un prévôt qu’il a pourtant servi en tant qu’examinateur.
14Tous ces textes, issus de villes diverses, transmis dans des manuscrits différents et dispersés, relèvent pourtant d’un genre commun, comme l’atteste la terminologie. En effet, hormis le texte orléanais, le plus court, qui a été transmis sans le moindre titre de rubrique ni la moindre qualification dans le texte même, tous sont munis de rubriques ou d’expressions qualifiantes : « ordonnance pour la prison » et « droiture des justices » à Cambrai ; « établissement » à Lille ; « estatus de la geole », « instruction du fait et de l’estat de la geole », « droiz de la geole du Chastellet de Paris » au Châtelet de Paris ; « instruction sur la garde et gouvernement de la geolle » à l’abbaye de Saint-Denis. Chacun de ces textes se présente donc comme une véritable loi régissant une geôle, comparable à celles qui régissent des métiers et des offices : il s’agit par ces textes de créer des ensembles humains ordonnés et bien gouvernés. Il n’y a donc pas lieu de considérer ces textes comme mineurs par rapport à l’ensemble de la production législative de la même période, même si le fait qu’ils soient tous écrits en français les situe d’emblée sur un autre plan que les lois transmises dans la « langue référentielle », le latin47. D’ailleurs, ils se trouvent dans des manuscrits qui les associent à des chartes tenues pour essentielles, fondatrices pour les communautés politiques concernées. Le texte d’Orléans est transmis avec une compilation de principes de droit, les « Poines », et les franchises d’Orléans conférées à la ville par les rois successifs. Le règlement de Cambrai est connu par le liber caeruleus, ou livre bleu, un manuscrit connu à Cambrai au xviiie siècle sous le nom de livre de la loi, commencé en 1280 et qui comporte la lex godefridi, c’est-à-dire le socle des franchises communales de Cambrai reconnues par l’évêque Godefroi en 1227, ainsi qu’un ensemble de privilèges municipaux. Le texte de Lille est intégré au mille-feuilles de la coutume de Lille recueilli d’abord par Jean Roisin, clerc de la ville, à la fin du xiiie siècle48, puis par Wuillaume de Pontrohart, à la demande de la Ville, dans les années 1349-136849. Ces deux textes cambraisien et lillois sont d’ailleurs imprégnés de l’attachement des citadins aux libertés des bourgeois.
15Le règlement de l’abbaye Saint-Denis et une des cinq versions de celui du Châtelet de Paris sont transmis par la compilation coutumière de Jacques d’Ableiges qui servit de référence aux juristes franciliens jusqu’à la rédaction des coutumes au début du xvie siècle. Quant aux autres versions du règlement du Châtelet de Paris, elles sont contenues dans les recueils législatifs et réglementaires internes au Châtelet : livres des métiers et « livres de couleurs » qui étaient gardés dans la chambre du procureur du roi au Châtelet. L’une (D) a été intégrée à une ordonnance royale. La version la plus ancienne (A) provient d’un manuscrit du livre des métiers d’Étienne Boileau qui compile les « établissements des métiers » parisiens, les règles fiscales en vigueur dans la ville (tonlieux, péages…), les privilèges d’un ensemble de communautés – comme l’université – et de seigneurs de la ville – comme l’évêque et l’abbaye Saint-Germain-des-Prés –, la liste des métiers exemptés du guet et celle des « terres franches et encloistres des eglises50 ». Autrement dit, dans ce manuscrit du début du xive siècle, les « estatus de la geole du Chastellet de Paris » se présentent comme un élément des libertés des habitants et un signe de la protection du prévôt royal pour le commun de la capitale. Bref, rien ne permet de dire que ces règlements de geôle avaient un statut mineur. Au contraire, chacun d’eux apparaît comme une des pierres de l’édifice législatif qui fait advenir et protège la communauté citadine.
16Les auteurs de certains de ces règlements sont connus. À Lille, le texte initial a été adopté par les échevins en conseil et par Thomas Bouvier, bailli comtal de Lille en 1282-1283, puis complété par les échevins avant 129751. Il est donc rapporté à une autorité désignée nommément, incarnée, et non simplement au collège municipal. À l’abbaye de Saint-Denis, c’est le bailli Jacques d’Ableiges qui proclame fièrement être l’auteur du règlement de la prison dans son Coutumier52. Il a été successivement secrétaire du duc de Berry, examinateur au Châtelet, puis à partir de juin 1380 bailli royal à Chartres puis à Évreux, avant de devenir bailli seigneurial de Saint-Denis entre 1380 et 138453. Quand il rédige ce texte, il le fait fort de son expérience de juge et d’examinateur, c’est-à-dire d’enquêteur. Quand il l’intègre à sa compilation juridique de droit francilien, il l’associe, comme cela apparaît dans les copies manuscrites conservées, au règlement du Châtelet dû à Hugues Aubriot54.
17Au Châtelet de Paris, les textes successifs se voient reconnaître plusieurs auteurs. Le règlement du début du xive siècle (A) est l’œuvre conjointe du fils d’un ancien geôlier et d’un ancien clerc de la geôle. Elle leur a été commandée par le prévôt qui les sollicite apparemment pour leur « remembrance », c’est-à-dire leurs souvenirs, sur les statuts de la geôle55. Mais cette association des professionnels de la geôle à l’édiction du règlement ne dure pas. Les deux textes suivants (B et C) sont placés sous l’autorité de Hugues Aubriot, le prévôt royal de Paris de Charles V, qui reste en fonction de 1367 à 1381 et dont l’action militaire et policière est intense : réforme du guet, édification de la Bastille, législation en matière d’ordre public sur les oisifs, les prostituées, les jeux, le port d’armes56… La « Complainte sur Hugues Aubriot » retient au nombre des griefs adressés à cet énergique prévôt son recours systématique à l’incarcération des récalcitrants : « Tu voulais emprisonner / Les gens, or es emprisonnés ; / Riens ne voulois pardonner / Ne scay se riens t’est pardonnés / De rigueur fus abandonnés, / Contra chascun plus qu’à sa coulpe. / Bien dois avoir d’autel pain soupe57. » La version B de l’instruction sur la geôle attribuée à ce prévôt signale qu’elle a été adoptée au Châtelet en un conseil rassemblant des magistrats du Châtelet et le bailli royal de Rouen58, avant d’être rapportée à la Chambre des comptes et au Parlement en 1372. On a vu que ce mode d’élaboration s’est traduit par l’effort fait au Parlement pour retrouver et archiver la version plus ancienne (A) du règlement. La version C de l’instruction de Hugues Aubriot ne précise pas les membres du conseil délibératif ayant adopté le texte et ajoute une règle fixée par le Parlement en 1412 sur l’enregistrement de l’état, de l’habit et de la tonsure des prisonniers. Si la geôle du Châtelet était placée sous l’autorité principale du prévôt, elle était donc également contrôlée par le receveur royal de Paris, la Chambre des comptes et le Parlement. C’est que la geôle était d’une part un droit domanial, affermé à un geôlier pour une durée limitée par le receveur royal de la prévôté de Paris59, qui était lui-même responsable de la gestion des deniers royaux dans ce ressort devant la Chambre des comptes. D’autre part, la geôle du Châtelet était « empruntée » par d’autres juridictions parisiennes que celle du prévôt royal, et notamment par le Parlement. Enfin, la version du règlement de 1425 (D) n’a d’autre auteur que le roi lui-même60. De remaniement en remaniement, le règlement de geôle du Châtelet semble ainsi échapper aux hommes de la geôle eux-mêmes et gagner en légitimité, en solennité et en force.
18Ces règlements de prison se présentent donc comme des règlements intérieurs émis par les juges ayant autorité sur elles (baillis, prévôts) et qui traduisent le souci qu’ils ont d’exercer une bonne justice au profit des habitants de la prévôté de Paris. Le règlement du Châtelet a la particularité d’être l’objet d’attentions multiples et de recevoir au début du xve siècle, à la faveur d’une réforme générale de la juridiction royale de la capitale, l’onction du roi lui-même.
Sollicitude et diligence du geôlier
19Ces règlements de geôle n’ont pas pour fonction d’énoncer des principes. Ces principes, qui expriment ce que doit être l’emprisonnement et la responsabilité qu’il entraîne, sont énoncés dans des traités juridiques, comme les Poines de la duchié d’Orliens au milieu du xiiie siècle61 ou la Somme Rural de Bouteiller à la fin du xive siècle62, et s’adressent aux justiciers et aux geôliers. Ils peuvent l’être aussi dans des textes législatifs : c’est le cas de l’ordonnance de Hugues de Chisirieu, juge de la cour séculière de l’archevêque de Lyon, datée de 130563, ou encore de la décrétale du concile de Vienne Multorum querela en 131264. Ce dernier texte propose de faire prononcer aux geôliers des prisons ecclésiastiques un serment qui énonce quelques exigences fondamentales de comportement : ils ne doivent pas retenir les provisions et commodités fournies de l’extérieur aux détenus, ils doivent être diligents, fidèles et agir à l’égard des prisonniers avec « diligence et sollicitude » (diligentiam et sollicitudinem). Cette sollicitude, à la fois souci de et mouvement vers l’autre qui suscite la volonté et l’action, est une qualité essentielle que l’Église attend de ceux qui assument en son sein des fonctions de commandement65 : d’après la règle bénédictine (chap. 27), la sollicitude est le soin spécifique accordé par l’abbé aux frères qui ont failli66 ; dans la rhétorique de la chancellerie pontificale, elle exprime le souci qu’a le pape de tous ses fidèles67. Elle est en quelque sorte le versant affectif du pouvoir ecclésial. C’est elle qui inspire au bon pasteur la miséricorde plutôt que la rigueur. Exiger des gardes des geôles une telle vertu, c’est aussi leur reconnaître une parcelle du pouvoir ecclésial dans la forme même sous laquelle il s’énonce de manière habituelle.
20Les règlements de geôle peuvent rappeler certains de ces principes généraux, comme l’interdiction de détourner les provisions fournies aux détenus68, mais leur rôle fondamental est d’organiser la manière dont ces principes, ainsi que d’autres, peuvent être effectivement observés dans des geôles. Le contenu premier de ces règlements concerne la tarification des revenus du geôlier. Mais il ne s’y limite pas et traite également de la discipline interne à la geôle. Les différents règlements observent des éléments communs de structuration. Ils se composent de six grands types de prescriptions : les tarifs du séjour dans la geôle, les fournitures alimentaires et mobilières du geôlier aux prisonniers, la répartition spatiale des prisonniers à l’intérieur de la geôle et ses divers critères, les droits des prisonniers (en particulier les droits de visite), les obligations du geôlier et de ses serviteurs en matière d’administration de la geôle, les précisions sur les devoirs de garde du geôlier et de ses serviteurs.
21Seuls les règlements du Châtelet combinent les six catégories de prescriptions, les autres règlements en combinent quatre ou cinq, voire une seule pour le texte orléanais. Au-delà des variations de forme et de longueur, on constate donc une variation de la combinaison réglementaire d’un texte à l’autre.
22Le tarif, indiqué dans neuf textes sur dix, est la composante la plus constante de ces combinaisons – seul le texte de l’abbaye de Saint-Denis ne livre aucun tarif. Ce caractère essentiel du tarif reflète à la fois la conception d’une geôle, attribut d’une justice considérée comme un droit domanial, et le souci du seigneur justicier d’encadrer les droits d’un geôlier qui était souvent fermier de la geôle69 : louant la geôle pour quelques années, ce geôlier tirait sa rémunération de la différence entre, d’un côté, le montant de la ferme et les coûts de fonctionnement – les salaires éventuellement versés à des valets et chambrières, les achats nécessaires à la geôle – et, d’un autre côté, les frais de séjour qu’il facturait aux prisonniers, à l’instar d’un aubergiste. Ce sont ces frais que les tarifs encadraient avec plus ou moins de détail et de vigilance. Un aspect essentiel de ces textes est ainsi de limiter les droits du geôlier, ce pourquoi le règlement du Châtelet a été intégré dans la rubrique « Le clerc de la geôle et le geôlier » de l’ordonnance générale sur le Châtelet de 1425 et non dans une rubrique dédiée à la geôle en tant que telle.
23Deux autres types de prescriptions qui reflètent le souci du sort des détenus et sont destinées à encadrer les droits du geôlier dans la geôle apparaissent presque aussi souvent que le tarif. Il s’agit, d’une part, de l’obligation de fournir aux détenus certaines commodités élémentaires, souvent des aliments – pain et eau au minimum –, parfois le couchage, parfois de quoi se couvrir ou se chauffer70. Il s’agit, d’autre part, des critères à observer dans la répartition spatiale des détenus dans la geôle : ces critères sont la séparation des hommes et des femmes71, le motif de l’incarcération72 – les suspects de crimes devant être détenus séparément –, un éventuel ordre du juge73 et, dans un cas, les vœux du prisonnier74. Le texte de l’abbaye de Saint-Denis va un peu plus loin et semble donner quelque consistance à la « sollicitude » attendue des geôliers des prisons ecclésiastiques depuis le concile de Vienne75. Ainsi, si l’enregistrement des prisonniers est prévu, c’est pour accélérer le traitement de leurs affaires76. Et le même règlement n’ignore pas les périls auxquels la « desesperance » expose certains d’entre eux77.
24Ajoutées au tarif de la geôle, ces consignes adressées aux geôliers font de ces règlements de geôle des textes largement déterminés par le souci d’encadrer et de tempérer le pouvoir des surveillants. Ces règlements, en ce sens, définissent d’abord un cadre d’action limitatif pour les geôliers78.
25Toutefois, certains règlements révèlent d’autres préoccupations, en particulier celle d’assurer la discipline interne de la geôle. Mais, d’un règlement à l’autre, de nettes différences se font jour dans les façons de prévoir cette discipline.
26Il y a d’abord des différences formelles. Le texte de Cambrai adopte ainsi une formulation qui insiste sur les devoirs et les droits limités de la « justice », donc sur les droits des prisonniers, attaché qu’il est à définir les franchises bourgeoises : l’expression « et [se] doit li justice » est employée dans sept articles sur vingt et un pour signifier les obligations du geôlier79. Dans sept autres articles80, il est indiqué que le geôlier ne « doit » pas exiger du prisonnier au-dessus de telle somme pour effectuer telle tâche. Le texte cambraisien énonce donc le règlement de geôle sous la forme d’une liste d’obligations du geôlier à l’égard principalement des « bourgeois » qui seraient emprisonnés et, secondairement, des échevins et prévôt de la ville. Le constat est similaire pour le texte lillois81. Au contraire, les textes du Châtelet de Paris mettent l’accent sur ce que « doit » chaque prisonnier selon le tarif en vigueur et sur ce qu’il lui est interdit de faire82, ainsi que sur la « force » et la « sûreté » de la geôle83. Le règlement de l’abbaye de Saint-Denis apparaît le plus strict, tant dans sa formulation que dans son contenu : ainsi ne dit-il rien de ce que le geôlier doit fournir aux prisonniers, mais il insiste sur la surveillance qu’il incombe au geôlier d’assurer avec diligence84.
27La mention explicite de droits reconnus aux détenus ou à certains d’entre eux apparaît dans plusieurs textes : le droit de visite est fréquemment précisé85, ainsi que le droit de faire venir sa nourriture ou son lit de l’extérieur86, exceptionnellement le droit d’avoir son valet87, comme celui d’aller et venir dans la prison dans la journée88. À Saint-Denis, ce type de droit apparaît en creux : le droit de visite des prisonniers se déduit de l’interdiction formelle du droit de visite des prisonniers pour cas criminels avant leur examen par le bailli89 ; le droit de recevoir de la nourriture de l’extérieur y est énoncé sous la forme d’un ordre au geôlier d’inspecter cette nourriture90. Pour autant, comme il a déjà été indiqué, le souci du détenu n’y est pas oublié : ceintures et armes des prisonniers sont confisquées à leur arrivée, pour éviter qu’ils ne s’en servent contre eux-mêmes ou leurs codétenus autant que contre leurs geôliers91, et quatre visites quotidiennes des prisonniers pour cas criminels sont prévues pour vérifier leur état et leurs besoins92.
Rigueur de la garde et société carcérale
28Mais on reste frappé de la rigueur relative des textes franciliens qui insistent, plus que les autres, sur l’organisation du travail de surveillance dans la prison. Ses aspects administratifs y tiennent d’abord une place significative : le règlement légifère sur le statut du geôlier93 et des personnes requises pour l’aider94, ainsi que sur l’enregistrement des détenus95. À l’abbaye de Saint-Denis, le texte va jusqu’à préciser la responsabilité du geôlier dans les cas où les prisonniers sont envoyés par les juridictions sujettes de l’abbaye96 et à exiger sa présence continuelle et sa disponibilité à l’égard du bailli97. Ensuite, les modalités de la surveillance des prisonniers sont précisées : à Saint-Denis, il est interdit de fournir des bûches qui pourraient servir à casser les portes, le geôlier doit fouiller les hommes et la nourriture venus de l’extérieur, sa présence continuelle doit permettre d’éviter les évasions, la visite régulière des prisonniers doit aussi éviter qu’ils n’abîment les prisons98. La garde ne cache pas ses rigueurs : les prisonniers pour cas criminels sont mis au secret99, l’autorisation de « parloir » ne peut leur être donnée que sur ordre du bailli100. Au Châtelet, il est interdit au prisonnier d’écrire, sauf autorisation expresse du prévôt101. Certains comportements sont également interdits aux détenus, afin de déjouer tout élément d’auto-organisation collective qui pourrait être facilité par l’existence de salles communes : il en est ainsi de la « quarte de vin de bienvenue », que le nouveau venu devait offrir aux prisonniers présents102, ou encore d’un prisonnier appelé « prévôt des prisons103 », deux faits interdits au nom de la protection des ressources des prisonniers et de celles du geôlier.
29Cette rigueur relative des textes franciliens, comparés à leurs équivalents septentrionaux, va de pair avec la tentative de formaliser une organisation des détenus sous la houlette du geôlier. Autrement dit, certains éléments de ces règlements de geôle semblent contribuer à la constitution d’une communauté obéissant au juge et aux surveillants. D’une part, à Saint-Denis, le geôlier acquiert un statut particulier, qui n’est pas prévu par les autres règlements de geôle. Plus qu’un gardien et aubergiste, il apparaît comme un véritable auxiliaire de la justice, des poursuites et de l’enquête : il doit rechercher des indices lors de la « serche » (fouille initiale)104, veiller à séparer les complices et à mettre les prisonniers au secret105. Le geôlier à Saint-Denis a donc un rôle spécifique, puisqu’il est pleinement associé à la démarche pénale, quoique dans une position subordonnée par rapport à celle du bailli. Le texte de Saint-Denis prétend donc faire des prisonniers de l’abbaye un groupe de sujets vivant dans une obéissance assez étroite au geôlier.
30Au Châtelet, ce sont les dispositions relatives à l’alimentation qui semblent orientées par le souci de structurer une communauté. À un premier niveau, l’alimentation est répartie parmi les prisonniers en fonction de considérations liées au degré de perfection des individus et aux catégories de fortune. Le régime alimentaire des détenus est en effet différencié selon les « cas », c’est-à-dire les motifs d’emprisonnement. La dimension pénitentielle que revêt la privation alimentaire dans la société médiévale à travers l’observance du carême et des jours maigres se prolonge ainsi en prison pour ceux qui sont détenus pour des cas criminels, qu’ils aient été déjà jugés ou non : on prévoit que ceux-ci seront au pain et à l’eau106. La formule figée, générique, renvoie en réalité à une fonction idéologique – le pain de douleur et l’eau de tristesse107 – plus qu’à une réalité concrète, mais il n’en demeure pas moins que c’est par l’alimentation autorisée ou non aux détenus que se dessine une hiérarchie interne à la prison et propre à celle-ci, puisque fonction des motifs de l’arrestation. Le règlement organise également une hiérarchie entre détenus selon leur fortune. En effet, d’un côté, les indigents sont au même régime quotidien que les criminels108, partageant avec eux les aumônes des fidèles109. D’un autre côté, les contrastes peuvent être importants dans l’alimentation des divers prisonniers qui ne sont ni indigents ni détenus pour cas criminels : le régime de la « table », soit le fait d’être nourri à ses frais à la table du geôlier, et celui de la « pistole », qui consiste à faire venir sa nourriture de l’extérieur110, tels que prévus par les règlements, font que l’alimentation est directement fonction de la fortune des prisonniers et de celle de leurs proches. Cette hiérarchisation liée à la fortune s’ajoute à celle qui naît de la hiérarchie des statuts sociaux : au Châtelet, fait unique dans cet ensemble de règlements de prison médiévaux, on est emprisonné non seulement selon le motif de l’emprisonnement, mais aussi selon son honorabilité111, l’échelle de celle-ci étant fixée par le tarif des droits d’entrée et de sortie (« geolages d’entree et d’issue112 »). Les dispositions assez précises sur l’alimentation des prisonniers ne tiennent pas seulement à la fixation par le juge de quelques obligations du geôlier à leur égard, qui seraient dictées par d’évidentes considérations d’humanité. Elles sont également conçues pour façonner une communauté ordonnée, fonction que l’alimentation remplit fréquemment dans les sociétés humaines113. La circulation de la nourriture à l’intérieur de la geôle est réglée pour entretenir des rapports hiérarchiques entre les surveillants et les prisonniers, et entre les prisonniers eux-mêmes.
31Est ainsi interdite la revente de nourriture par des prisonniers qui, bénéficiant du régime de la « pistole », pourraient tenir une « table » concurrente de celle du geôlier114. Par ailleurs, la distribution du produit des aumônes est confiée au plus « notable », plus honorable et « plus suffisant » des prisonniers115. Elle dessine ainsi une hiérarchie voulue par la prévôté royale. Le règlement du Châtelet conçoit l’alimentation comme un facteur qui contribue à façonner parmi les prisonniers des petites hiérarchies, des rapports d’influence, et à créer autour du geôlier et de ses serviteurs des affidés.
32Au terme de cet aperçu sur quelques règlements de geôle médiévaux de l’espace français s’impose l’idée qu’ils constituent fondamentalement des statuts encadrant les prérogatives des geôliers, tant par rapport à leurs juridictions tutélaires que par rapport aux prisonniers. Cet aspect semble prépondérant dans les textes émanant des villes, où les prisonniers sont d’abord considérés comme des bourgeois bénéficiaires de franchises. De ce point de vue, ils se rapprochent des règlements de métier, dont ils sont contemporains : encadrant les pouvoirs du geôlier et de ses serviteurs, ils justifient leurs missions et rémunération, et leur confèrent donc un véritable statut social.
33Le texte de l’abbaye de Saint-Denis présente la particularité de se conformer aux préconisations du concile de Vienne sur les geôles ecclésiastiques – quant au serment exigé des subordonnés du geôlier, à la transmission des fournitures venues de l’extérieur aux prisonniers, à la « diligence » attendue du geôlier –, tout en détaillant les multiples tâches de la surveillance assurée par celui-ci. Les règlements franciliens, provenant du ou influencés par le Châtelet de Paris – puisque Jacques d’Ableiges y a été en fonction avant d’exercer l’office de bailli de l’abbaye Saint-Denis –, se distinguent par leur rigueur. Ils attestent à la fois de quelques tentatives d’auto-organisation d’une communauté humaine particulière et instable116, composée de prisonniers, et de la volonté des autorités judiciaires d’ordonner cette communauté humaine dans l’obéissance à ses gardiens.
34Au-delà de ces variations, le genre du règlement de geôle s’inscrit dans une tension entre deux mouvements : souci des détenus d’une part, nécessités de la contention de l’autre ; « sollicitude » d’un côté, « diligence » de l’autre, pour reprendre les termes de la décrétale Multorum querela. C’est ainsi que ce genre institue et encadre d’un même mouvement l’autorité des geôliers. Les conditions de la transmission de ces textes montrent qu’ils étaient considérés comme des actes de droit importants pour les communautés politiques : partout, des recueils juridiques essentiels pour celles-ci en ont conservé des versions. Ils signifient bien que, à compter du xiiie siècle, le gouvernement de la geôle est devenu une facette de la mise en ordre des sociétés urbaines.
Notes de bas de page
1 Voir notamment Christian Amalvi, Le goût du Moyen Âge, Paris, La Boutique de l’histoire, 2e éd., 2002 ; Michael Alexander, Medievalism. The Middle Ages in Modern England, New Haven/ Londres, Yale University Press, 2007.
2 Ruth Fiori, L’invention du vieux Paris. Naissance d’une conscience patrimoniale dans la capitale, Wavre, Mardaga, 2012, p. 86-87 ; voir aussi Alain Dautriat, Sur les murs de Paris. Guide des plaques commémoratives, Paris, L’Inventaire, 1999.
3 Elizabeth Emery, Laura Morowitz, Consuming the Past. The Medieval Revival in Fin-de-siècle France, Aldershot, Ashgate, 2003, p. 174.
4 Ruth Fiori, L’invention du vieux Paris, op. cit., p. 99-106.
5 François Olivier-Martin (1879-1952) n’a pas résisté devant le « petit morceau curieux au point de vue des mœurs judiciaires » qu’est le tarif des geôles d’Orléans et il l’a publié en annexe des Poines de la duché d’Orliens, une compilation juridique orléanaise des années 1235-1255, connue par deux manuscrits dont un seul comporte ce tarif : « Règlement de la geôle d’Orléans vers 1260 », François Olivier-Martin (éd.), « Les Poines de la Duchié d’Orliens », Revue historique de droit français et étranger, 4e série, 7, 1928, p. 440. Les éditeurs des franchises et textes coutumiers de la ville de Cambrai ont, dans leur sélection d’ordonnances et de règlements divers en marge des grands textes coutumiers, inséré une ordonnance du xiiie siècle relative aux prisons municipales, Le droit coutumier de Cambrai, E. M. Meijers, A. S. de Blécourt (éd.), Haarlem, H. D. Tjeenk Willink en zoon, vol. I, 1932, p. 219-221, « Ordonnance pour la prison ».
6 Annik Porteau-Bitker y a trouvé la matière de la troisième partie de son article, voir Annik Porteau-Bitker, « L’emprisonnement dans le droit laïque au Moyen Âge », Revue historique de droit français et étranger, 46, 1968, p. 211-245, 389-428. L’article est ensuite largement exploité par la synthèse de Nicole Castan, « La préhistoire de la prison. Le temps médiéval », dans Id., Claude Faugeron, Jacques-Guy Petit, Michelle Perrot, Histoire des galères, des bagnes et prisons, xiiie-xxe siècles. Introduction à l’histoire pénale de la France, Toulouse, Privat, 1991, rééd. 2002, p. 13-45.
7 Nous nous permettons de renvoyer à Julie Claustre, « Écrits du guichet. L’avènement d’un gouvernement des détenus au xive siècle », dans François Foronda, Christine Barralis, Bénédicte Sère (dir.), Violences souveraines au Moyen Âge. Travaux d’une école historique, Paris, PUF, p. 91-10. Le développement d’une littérature de la prison est un autre aspect de cette évolution, voir Julie Claustre, « Les prisonniers “desconfortés” : les littératures de la prison au bas Moyen Âge », dans Isabelle Heullant-Donat, Id., Élisabeth Lusset (dir.), Enfermements. Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 89-106.
8 Nicole Castan, « La préhistoire de la prison… », art. cité, p. 24.
9 Constant Leber, Jacques-Barthélemy Salgues, Jean Cohen, Collection des meilleures dissertations, notices et traités particuliers relatifs à l’histoire de France : composée en grande partie de pièces rares ou qui n’ont jamais été publiées séparément, pour servir à compléter toutes les collections de mémoires sur cette matière, t. XIX, Paris, J. G. Dentu, 1838, p. 169-173, ici n. 2, p. 169.
10 Christian Amalvi, Le goût du Moyen Âge, op. cit., p. 146.
11 Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France (1780-1875), Paris, Fayard, 1990, p. 224-225, 380, 420 ; Frédéric Chauvaud, « Le “moment 1832”. Le droit de punir et le libéralisme pénal », dans Patrick Harismendy (dir.), La France des années 1830 et l’esprit de réforme, Rennes, PUR, 2006, p. 161-173.
12 Françoise Tétart-Vittu, « Jean-Michel Constant Leber (1780-1859). Un grand commis collectionneur et savant », dans Bénédicte de Donker, Id., De Dürer à Mantegna. Gravures Renaissance de la collection Leber, Lyon, Fage Éditions, 2010, p. 6-11.
13 Alphonse-Honoré Taillandier, Notice sur la vie et les ouvrages de M. Leber, membre honoraire de la Société impériale des antiquaires de France, Paris, 1860.
14 Vincent Zuberbuhler, « Écrire l’histoire de la médecine légale », Revue d’histoire des sciences humaines, 22, 1, 2010, p. 61-77.
15 Charles Desmaze, Le Châtelet de Paris, Paris, 1854, p. 334-348.
16 Id., Les pénalités anciennes. Supplices, prisons et grâce en France d’après des textes inédits, Paris, Plon, 1866, p. 2.
17 Ordonnances des roys de France, t. xiii, 1782, p. 100-103, « Rubrique du clerc de la geolle et geollier ».
18 Aimé Champollion-Figeac, Droits et usages concernant les travaux de construction, publics ou privés, sous la troisième race des rois de France, Paris, 1860, p. 163-165.
19 Le grand coutumier de France, Édouard Laboulaye, Rodolphe Dareste (éd.), Paris, A. Durand, 1868, p. 183-184, livre I, chapitre xiii, « De la geolle du Chastellet de Paris ».
20 Louis Batiffol, « Le Châtelet de Paris vers 1400 », Revue historique, 61, 1896, p. 229-231, et 63, 1897, p. 46-52.
21 Jacques Hillairet ajouta un cachot dénommé « fin d’aise » qu’il disait être « plein d’ordures et fourmillant de reptiles », voir Jacques Hillairet, Gibets, piloris et cachots du vieux Paris, Paris, Éditions de Minuit, 1956, p. 162.
22 Jacques-Antoine Dulaure, Histoire physique, civile et morale de Paris, depuis les premiers temps historiques jusqu’à nos jours, Paris, Guillaume, t. 4, 1829, p. 305-307. La notice a été largement utilisée au milieu du xxe siècle par Jacques Hillairet.
23 Arsène Perier, Un prévôt de Paris sous Charles V, Hugues Aubriot, Dijon, impr. Jacquot et Floret, 1908, p. 110.
24 François Olivier-Martin, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, Paris, E. Leroux, 1922-1930.
25 Ernest-Désiré Glasson, Le Châtelet de Paris et les abus de sa procédure aux xive et xve siècles d’après des documents récemment publiés, Paris, Picard, 1893 (extrait des Comptes rendus de l’Académie des sciences morales et politiques). Les historiens du droit postérieurs procèdent autrement : Annik Porteau-Bitker s’est servie de ces règlements, et Louis de Carbonnières se réfère au règlement de geôle du Châtelet pour éclairer certains aspects de la procédure criminelle, voir Louis de Carbonnières, La procédure devant la chambre criminelle du Parlement de Paris au xive siècle, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 240-244.
26 Pour l’Avignon pontificale, voir Jacques Chiffoleau, Les justices du pape. Délinquance et criminalité dans la région d’Avignon au xive siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1984, p. 227. L’article 46 des statuts de Figeac de 1318 confirmés en 1394 porte sur les prisons des consuls et des juges royaux, Ordonnances des roys de France, t. VII, p. 668. L’article 7 de la charte des libertés de Montolieu, datée de 1312, confirmée en 1371 et 1392, comporte un bref tarif de la prison, ibid., p. 508. Un règlement sur la « châtellenie de la maison communale » de Toulouse, daté de 1381, est conservé dans une copie du xvie siècle, Archives municipales de Toulouse, AA5, fol. 595v-597. Je remercie Gabriel Poisson de m’avoir signalé ce texte.
27 Las Siete partidas, del sabio rey Don Alonso el Nono ; glosadas por el licenciado Gregorio Lopez… ; tomo III que contiene la VIa y VIIa partida, Benito Cano, 1789, p. 484-497.
28 Edward M. Peters, « Prison before the Prison : the Ancient and Medieval Worlds », dans N. Morris, D. J. Rothman (dir.), The Oxford History of the Prison. The Practice of Punishment in Western Society, New York/Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 35 ; Margery Bassett, « Newgate Prison in the Middle Ages », Speculum, 18, 1943, p. 239-240.
29 Guy Geltner, The Medieval Prison : A Social History, Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 20-22, 139-140.
30 Outre les règlements ici étudiés, on possède des textes plus tardifs, comme le règlement de prison de Villefranche, dans la seigneurie de Beaujolais, daté du 10 avril 1467, voir Olivier Mattéoni, Un prince face à Louis XI. Jean II de Bourbon, une politique en procès, Paris, PUF, 2012, p. 125. Le règlement de la fin du xve siècle de la prison royale de Rouen, contenu dans AN, P 277-1, est très proche de celui du Châtelet de Paris, comme l’avait bien vu Charles de Robillard de Beaurepaire, Recherches sur les anciennes prisons de Rouen, Rouen, impr. de H. Boissel, 1861, p. 48-51. Je remercie François Rivière et Isabelle Bretthauer pour m’avoir indiqué l’existence de ce règlement. À Amiens, le premier tarif de la geôle du Beffroi semble dater du dernier tiers du XVIe siècle, voir I. Paresys, Aux marges du royaume. Violence, justice et société en Picardie sous François Ier, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 221. De la Conciergerie du Palais, on n’a pas gardé de règlement antérieur à 1549, voir Antoine Fontanon (éd.), Les edicts et ordonnances des rois de France depuis Loys VI dit le Gros, jusques a present avec les verifications, modifications et declarations sur ceux, Paris, t. I, 1611, p. 592-593.
31 Le droit coutumier de Cambrai, op. cit.
32 BnF, fr. 14580 « Anciennes coutumes d’Orliens », fol. 59-60, « Ce est ce que le jaolier doit avoir de jaollage des prisonniers qui sunt en sa jaolle », voir François Olivier-Martin, « Les Poines de la Duchié… », art. cité, p. 440.
33 La prison ne saurait être communale puisque Orléans n’a pas de commune avant le xive siècle ; une geôle est attestée au Châtelet d’Orléans sous l’autorité du prévôt, voir Jean Thibault, Orléans à la fin du Moyen Âge, vers 1380-vers 1450, thèse de doctorat, université Paris 4, 1997, p. 425, 476.
34 Le livre Roisin. Coutumier lillois de la fin du xiiie siècle, Raymond Monier (éd.), Paris/Lille, 1932, § 65-66, « Comment on doit bourgois tenir en prison ».
35 L’« Instruction faicte à Saint-Denis en France sur la garde et le gouvernement de la geolle », dont l’auteur est Jacques d’Ableiges, figure dans cinq des vingt-huit manuscrits connus du Grand coutumier de France. En particulier : BM Rouen, E28, fol. 124, BnF, fr. 10816, fol. 162v-163v, BnF NAF 3555, fol. 19v-20, BAV, Vat. lat. 4790, fol. 85-86.
36 Aimé Champollion-Figeac, Droits et usages…, op. cit. ; Charles Desmaze, Le Châtelet, op. cit.
37 Signalé par H. Stein, Inventaire analytique des ordonnances enregistrées au Parlement de Paris jusqu’à la mort de Louis XII, Paris, Imprimerie nationale, 1908, no 71.
38 Je remercie Olivier Canteaut de m’avoir signalé l’existence de cette copie, non mentionnée par H. Stein.
39 Extraits édités par Constant Leber et al., Collection des meilleures dissertations…, op. cit. ; Arsène Perier, Un prévôt de Paris…, op. cit. ; Jacques-Thomas de Castelnau, Le Paris de Charles V (1364-1380), Paris, Hachette, 1930, p. 147-158.
40 Éd. partielle dans Le grand coutumier de France…, op. cit.
41 Les Ordonnances des roys de France…, t. XIII, p. 100-103.
42 A. Fontanon (éd.), Les edicts et ordonnances des rois de France…, op. cit., t. I, 1611, p. 226-228.
43 Le nombre d’articles passe de 20 à 46 de l’une à l’autre.
44 Le caractère composite de ce manuscrit rend sa datation difficile. Il a sans doute été copié en plusieurs fois entre le début du xive siècle et les années 1330 (l’année 1338 est mentionnée au fol. 161). Je remercie Olivier Canteaut des précisions qu’il a pu me fournir sur ce manuscrit.
45 D’après la mention d’enregistrement du statut, Arch. nat. X1A, 8602, fol. 68v : Presens ordinacio capta et inventa fuit in camera compotorum et ibidem registratur in quodam parvo libro rubeo in fine eiusdem libri, in camera registrorum et scripturarum camera Francie existente.
46 Arch. nat. X1A, 8602, fol. 69v, 70.
47 Sur cette notion, voir Benoît Grévin, Le parchemin des cieux. Essai sur le Moyen Âge du langage, Paris, Seuil, 2012, p. 45-51.
48 Simon Boisier-Michaud, Étude du livre Roisin. Recueil médiéval et moderne de la loi de Lille, mémoire de l’université de Montréal, 2011, p. 97, 119.
49 Arch. communales de Lille, ms 15910 ; voir ibid., p. 93-94, 100.
50 BnF, fr. 11709.
51 Le livre Roisin, op. cit., p. 47, § 65.
52 BnF, NAF 3555, fol. 19v, col. 2 : « Instruction sur la garde et gouvernement de la geole faicte l’an mil CCC IIIIXX par Jacques d’Ableges lors bailli de Saint Denis en France ».
53 Pierre Petot, Pierre-Clément Timbal, « Jacques d’Ableiges », dans Histoire littéraire de la France, Paris, Imprimerie nationale, t. 40, 1974, p. 283-332.
54 Voir supra n. 35.
55 BnF, fr. 11709, fol. 144.
56 Antoine Le Roux de Lincy, « Hugues Aubriot, prévôt de Paris sous Charles V, 1367-1381 », Bibliothèque de l’École des chartes, 23, 1862, p. 173-213.
57 Arsène Perier (éd.), Un prévôt de Paris…, op. cit., p. 279.
58 Archives de la préfecture de police de Paris, Livre Vert Ancien, fol. 81 : « Presens a ce messires Jehan de Chatou, Guillaume Porel, Vincent Drouart, Raoul de Praelles, Jehan Deley, Martin Doublé, Octave Datainville, bailly de Rouen, Pierre de Gyen, Pierre de Claye advocas, maistres Nicolas Du Chesne, Jehan de Tuilliers, Guillaume Denis, Robert Petit Clerc, Erart Corberant, Thomas Alain, Guillaume de Nevers et Laurens Du Moulinet receveur de Paris. »
59 Maurice Rey, Le domaine du roi et les finances extraordinaires sous Charles VI, 1388-1413, Paris, EPHE, 1965, p. 58.
60 Notons que le fait que ce roi soit anglais n’a pas empêché l’ordonnance d’être copiée et transmise.
61 Deux passages (§ 70 et 75) y traitent de la responsabilité personnelle des gardes et juges dans la contention des détenus, dans un contexte général de développement pénal et de réflexion sur le statut des agents du roi, contemporain du règne de Louis IX, voir François Olivier-Martin, « Les Poines de la Duchié d’Orliens… », art. cité, p. 434-435.
62 Jean Bouteiller, Somme Rural ou le Grand Coustumier de practique civil et canon, Louys Charondas Le Caron (éd.), Paris, 1603, p. 710-711.
63 Cartulaire municipal de la Ville de Lyon : privilèges, franchises, libertés et autres titres de la commune, recueil formé au xive siècle par Étienne de Villeneuve ; publié d’après le manuscrit original avec des documents inédits du xiie au xve siècle, M. C. Guigue (éd.), Lyon, 1876, réimpr. Genève/Paris, Mégariotis/ Honoré Champion, no LXIX, 1978, p. 110-111.
64 Multorum querela, § 3 : Clem., 5, 3, 1, Corpus juris canonici, Lipsiae, 2e éd., E. L. Richter, E. Friedberg (éd.), t. II, 1881, col. 1, § 3.
65 Paolo Napoli, « Administrare et curare. Les origines gestionnaires de la traçabilité », dans Ph. Pédrot (dir.), Traçabilité et responsabilité, Paris, Economica, 2003, p. 56.
66 Sur la notion de sollicitudo dans les communautés monastiques altimédiévales, voir Valentina Toneatto, Les banquiers du seigneur. Évêques et moines face à la richesse (ive-début ixe siècle), Rennes, PUR, 2012, p. 324-333.
67 Olivier Hanne, « La rhétorique liminaire du pouvoir pontifical, d’après les lettres du pape Innocent III », dans Langage politique, éthique et espace public (xve-xviiie siècle), Aix-en-Provence. Texte disponible en ligne sur http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/79/48/48/PDF/Exordes_pontificaux.pdf.
68 Elle est posée par Le livre Roisin de Lille (§ 66), le règlement de Cambrai (art. 13), les règlements B, C, D et E du Châtelet de Paris.
69 L’ordonnance pour le profit du roi et le gouvernement de son hôtel du 18 juillet 1318 ordonne de faire vendre aux enchères plusieurs offices royaux dont les geôles (art. 32) : « Les geoles seront vendues a bonnes gens et convenables par enchiere qui donront bonne caution de bien traitier les prisonniers », Ordonnances des roys de France de la troisième race, Paris, t. I, 1727, p. 660. Un mandement de Charles IV du 10 novembre 1322, qu’il fait enregistrer en sa Chambre des comptes, rappelle l’ordonnance précédente par laquelle toutes les écritures, les sceaux des procès, les geôles des bailliages et des sénéchaussées sont tenus à ferme et par enchère, et vendus dans les fermes et marchés du roi, et il révoque les lettres royales obtenues de manière contraire à cette ordonnance, Ordonnances des roys de France de la troisième race, Paris, t. I, 1727, p. 773-774.
70 Le livre Roisin, op. cit., p. 49, § 66 : « Chius qui bourgois tient em prison [dedens le ville], li doit livrer I pain de denier, le jour, et fontaine boire. […] Et si li doit livrer kiute de plume et linchius, de XV iours à autres, et kiute pointe ou couvretoir, ou tapich par quoy il ait couvreture, qu’il n’ait froit », Le droit coutumier de Cambrai. op. cit., p. 220, art. 8. Le bailli de Saint-Denis recommande le charbon plutôt que les bûches dont les prisonniers pourraient faire des armes, BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 1 : « Item le geolier ne doit point bailler de busche aux prisonniers quelxconques pour eulx chauffer ne pour autre cause pour ce qu’ilz en pourroient rompre des huys, faire des bastons afaitiez et plusieurs autres maulx, mais il leur puet bien bailler du charbon ce qu’ilz en pourront user de jour escharcement et prendre garde qui ne leur en demeure point de nuit pour le peril qui en pourroit venir. »
71 Le droit coutumier de Cambrai, op. cit., p. 220, art. 6.
72 Ibid., p. 220, art. 7.
73 Les règlements B, C, D et E du Châtelet de Paris prévoient : « Item nous avons ordonné et ordonnons que chascun prisonnier soit mis et logié en ladicte geole selon son estat, le cas de son emprisonnement ou le mandement du juge ou seigneur qui l’envoyera prisonnier. »
74 Le droit coutumier de Cambrai, op. cit., p. 219, art. 5 : « Et de chiaus ki ne vueillent estre en le cambriele et ki veullent avoir franke prison, li justice doit avoir por un home seul laissier aval le maison 2 s. de cambr. »
75 Voir supra n. 64.
76 BnF, NAF 3555, fol. 19v, col. 2 : « Quant aucun sera admené en prison par aucun sergent ou autre, les geoliers ou l’un d’eulx seront tenuz de rediger par escript ou papier de la geole, le cas pour lequel icellui prisonnier aura esté admené selon ce que cellui qui l’aura admené le devisera, et avant qu’il soit miz hors de la geole afin que par deffault de registre et de savoir la cause de l’emprisonnement, le bailli tantost qu’il venra ne soit point delaié de donner aux prisonniers tele expedicion qu’ilz devront avoir. »
77 BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 1 : « Item que l’en leur oste leurs ceintures et leurs cousteaux afin que par desesperance ou autrement ilz n’en puissent faire mal a eulx n’a autrui. »
78 C’est donc très logiquement que les règlements C, D, F du Châtelet de Paris imposent aux geôliers et à leurs subordonnés de prêter serment de respecter le règlement énoncé. L’instruction sur la geôle de l’abbaye Saint-Denis prévoit simplement que les valets et chambrières du geôlier « seront jurez ».
79 Le droit coutumier de Cambrai, op. cit., p. 219-221, art. 6, 8, 12, 13, 15, 18, 19.
80 Ibid., art. 2-5, 10-11, 14, 17.
81 Le livre Roisin, op. cit., p. 49, § 66, suite du passage cité supra n. 70 : « Et si le doit tenir em prison en maison sour le tiere le conte, là où il puist aller de iours a feniestres sour rue ou sour cauchie et livrer fu et lumière. Et si le doit livrer taule et nappe pour sus mignier, et touelle pour ses mains essuer. Et si le doit tenir em prison, en uns aniaus et mettre un homme, s’il voet, avoec lui, pour lui warder, ensi que devant est dit en l’estaulissement dou tamps Thumas Bouvier, et si le puet, s’il voet, enfrumer par nuit, en cambre ou en sollier, en tel manière qu’il le doit deffrumer lendemain, pour yssir dehors, de soleil levant, et enfrumer par nuit, à quevre fu de saint Piere. Et s’il a femme ou ami qui voelle à lui parler, laissier li doit parler, mais s’il voet, il doit y estre avoec, et le puet oir. Et si li doit livrer kaiere et cousin pour sus seir. Et si le doit laissier par iour, ou bouge de le maison, et laissier aller la avant cambre, parsi que quant il y va, il poet envoyer pour lui warder, s’il voet. »
82 Par exemple, texte C : « ITEM pour ce que ou temps passé plusieurs inconveniens sont enssuivis en ladite geole pour le fait du jeu de dez, il est deffendu que doresenavant nul prisonnier ne autre personne ne soit sy hardy de jouer audit jeu sur les carreaux ne en autres prisons dudit chastellet. […] ITEM que a nul prisonnier ne soit souffert faire feu en quelque prison que ce soit se ce n’est de charbon seulement. ITEM que ceulz qui se dient prevostz des prisons ne seront souffers ne ne pourront prendre ne avoir sur aucuns prisonniers quelque prouffit que ce soit de bienvenue ne autrement. » Et dans le texte D (1425) : « ITEM que aucun prisonnier n’ait escriptoire encre ne papier et sera tenu le geolier de bien y prendre garde. ITEM que aucun prisonnier ne face ne face faire ne escripre lettres closes ne autres en la geole se ce n’est par congié et qu’elles soient monstrees au prevost ou a son lieutenant. »
83 Les textes A, B et C du Châtelet énoncent : « Premierement, il a pluseurs prisons en ladite geolle plus honestes et plus honorables les unes que les autres et toutefoiz sont elles fors et seures […]. »
84 BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 1 : « Item que l’un desdiz geoliers visitera lesdiz prisonniers criminelz chascun jour par IIII foiz. C’estassavoir une foiz si tost que il sera levé au matin, l’autre foiz a disner, l’autre foiz a soupper, et la IIIIe foiz quant il se ira couchier pour savoir comment ilz se contendront et se il leur faut rien. Item et se il est chargé de prisonniers doubteux, il visitera leur prison chascun jour au moins de deux jours, et par especial les basses prisons a grant clarté de chandelle ou de torche pour savoir que l’en n’ait riens foulé ne entamé es murs. »
85 Le droit coutumier de Cambrai, op. cit., p. 220, art. 12 ; Le livre Roisin, op. cit., p. 49, § 66 : « Et s’il a femme ou ami qui voelle à lui parler, laissier li doit parler, mais s’il voet, il doit y estre avoec, et le puet oir. » Au Châtelet de Paris, les textes C et D laissent cette possibilité aux seuls prisonniers pour cas civils : « ITEM s’il advient que aucunes personnes veulent parler a aucuns prisonniers pour cas civilz ou leur veulent aporter a boire ou a mengier, ilz ne pourront passer l’uis des degrez, mais sera tenuz le geolier et ses gens d’appeler les prisonniers sur les carreaux pour parler a leurs amis et boire avec eulz se il leur plaist. »
86 Le livre Roisin, op. cit., p. 49, § 66 : « Et se li bourgois a deniers ou amis de quoy il voelle mius avoir, ou on li voelle mius envoiier, souffrir le doit chius qui le tien em prison, que on li envoit ou qu’il l’acache et que on li aporche. » Règlements B, C et D du Châtelet : « Item le geolier ne pourra contraindre aucun prisonnier à estre a sa table se il ne lui plaist ; mais sera tenu de lessier ceulx qui ausdits prisonniers apporteront leur vivre, se ils ne sont pour cas criminels ou en prison fermée et par commandement, lesquels vivres il sera tenu delivrer aux prisonniers et de les visiter pour savoir se il y auroit aucune chose preiudiciable. » Règlements C et D du Châtelet : « ITEM se aucun prisonnier veult avoir ung lit de sa maison avoir le pourra […]. » Règlement E du Châtelet : « Item le geolier est tenu de bailler aux prisonniers tout ce que l’en leur apporte, maiz qu’il le visite premierement qu’il n’y ait rien preiudiciable. »
87 Le droit coutumier de Cambrai, op. cit., p. 219, art. 5 : « Et s’il i convient un varlet avuec lui en fers, li iustice en doit avoir cascun jour iii s. de cambr. »
88 Le livre Roisin, op. cit., p. 49, § 66 : « Et si le doit laissier par iour, ou bouge de le maison, et laissier aller al avant cambre, parsi que quant il y va, il poet envoyer pour lui warder, s’il voet. »
89 BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 1 et 2 : « […] et aussi qu’ilz [les prisonniers qui seront admenez pour cas criminelz] ne parlent a quelxconques personnes se ce n’est par le congié du bailli et jusques a ce qu’ilz soient examinez, excepté a la personne du geolier seulement. […] Item se le bailli commande au geolier que il laisse les amis d’aucun prisonnier parler a lui, c’est a entendre I ou II a la fois au plus de jour et devant ledit geolier, et non pas de nuit ne autrement sur peine de l’amende, ne que une foiz se il n’avoit nouvel congié. »
90 BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 2 : « Item que se les amis des prisonniers leur apportent a mangier ou a boire, le geolier sera tenu de prendre garde diligemment dedanz le pain et le vin il n’y ait lismes coustel lettres ou autre chose qui puisse porter preiudice a la geole. »
91 BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 1 : « Item que l’en leur oste leurs ceintures et leurs cousteaux afin que par desesperance ou autrement ilz n’en puissent faire mal a eulx n’a autrui. »
92 Voir supra n. 84.
93 Règlements C et D du Châtelet : « ITEM nul ne sera receu en l’office de geolier s’il n’est pur lay ou marié et continuelment porte habit rayé ou party ou soit sans tonsure. […] ITEM le gelier et ses gens seront tenuz de jurer tenir et garder les ordonnances dessus dites et se ilz mesprennent en aucuns de poins et articles dessusdiz ilz en seront pugniz par le prevost de Paris ou son lieutenant selon ce en quoy ilz seront trouvez avoir mesprins et que les cas le desireront et les peines. »
94 Pour Saint-Denis, BnF, NAF 3555, fol. 19, col. 2 : « Item leurs varlez seront jurez et asermentez et ne seront point clercs. Item leurs chamberieres aussi seront jurees. » Pour le Châtelet, les textes C et D énoncent : « ITEM pour ce que oudit chastellet a continuelment grans quantité de prisonniers tant de l’ordonnance du prevost de Paris comme des autres le geolier sera tenuz d’estre lui Ve c’estassavoir lui son clerc et trois varles. »
95 Pour Saint-Denis, BnF, NAF 3555, fol. 19, col. 2 : « C’est assavoir que quant aucun sera admené en prison par aucun sergent ou autre, les geoliers ou l’un d’eulx seront tenuz de rediger par escript ou papier de la geole, le cas pour lequel icellui prisonnier aura esté admené selon ce que cellui qui l’aura admené le devisera, et avant qu’il soit miz hors de la geole afin que par deffault de registre et de savoir la cause de l’emprisonnement, le bailli tantost qu’il venra ne soit point delaié de donner aux prisonniers tele expedicion qu’ilz devront avoir. » Pour le Châtelet, les textes C et D prévoient : « ITEM que le geolier soit tenuz d’avoir ung livre ouquel sera mis et enregistré par maniere d’inventoire tout ce qui sera trouvé sur yceulz prisonniers criminelz soit argent ou autre chose pour estre gardé et conservé a iceulz ou a qui il appartendra. […] ITEM que toutes manieres de prisonniers qui entreront ou guichet soient reverchiez a savoir se ilz sont clers ou non et soient croisiez ou signez ou papier, car le prevost peut errer et a erré par maintes foiz a faire leurs proces parce qu’ilz ne disoient pas qu’ilz feussent clers, en peine de XL sp d’amende. » Le texte C ajoute : « LE VIe jour d’aoust l’an mil CCCC et XII la court de parlement ordonna que doresenavant toutes et quanteffoiz que aucuns prisonniers seroient amenez oudit chastellet pour cas criminel que le clerc du guichet enregistrera leurs estas habiz et tonsures sur peine d’en estre griefment pugniz. » Sur les registres d’écrous, voir Julie Claustre, « Écrits du guichet… », art. cité.
96 Pour Saint-Denis, BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 2 : « Item et se des juridicions subgetes l’en lui admene prisonniers le geolier retenra les admenans et jusques a ce que le bailli ou son lieutenant ait parlé a eulx sur le fait de la prinse et de la garde de l’examen des responses et contenances du prisonnier et aussi se le prisonnier se veult plaindre d’eulx. »
97 BnF, NAF 3555, fol. 19v, col 2 et fol. 20, col. 1 : « Item lesdiz geoliers seront tenuz deulx ou l’un d’eulx tenir a l’ostel de la geole residamment et continuelment sanz partir, afin que touteffoiz que le baillif ou son lieutenant venront en la geole, ilz puissent trouver qui leur baillera et administrera les clefz et les prisonniers pour les examiner et expedier selon ce qu’il appartiendra. »
98 Voir supra n. 70, 84, 90.
99 BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 1 : « Item que ilz soient mis separeement et diviseement en telz lieux qu’ilz ne puissent parler l’un a l’autre ne forgier l’un l’autre ne faire savoir l’un a l’autre ce que le juge leur aura demandé et ce qu’ilz auront respondu et aussi qu’ilz ne parlent a quelxconques personnes se ce n’est par le congié du bailli et jusques a ce qu’ilz soient examinez, excepté a la personne du geolier seulement. »
100 Voir supra n. 89.
101 Règlements C et D : « ITEM que aucun prisonnier n’ait escriptoire encre ne papier et sera tenu le geolier de bien y prendre garde. ITEM que aucun prisonnier ne face ne face faire ne escripre lettres closes ne autres en la geole se ce n’est par congié et qu’elles soient monstrees au prevost ou a son lieutenant. »
102 Textes C et D du Châtelet : « ITEM la quarte de vin de bienvenue, le parler dessoubz la seinture, le voler de moine, le parler latin et telles truffes sont deffendues car les prisonniers sont assez chargiez de paier les despens necessaires et sera tenu le geolier de le signiffier ou faire assavoir par lui ou ses gens aux prisonniers au commencement qu’ilz y seront amenez, si qu’ilz soient advisez, et se aucun s’en efforce il le contredira et deffendra. »
103 Textes C et D du Châtelet : « ITEM que ceulz qui se dient prevostz des prisons ne seront souffers et ne pourront prendre ne avoir sur aucuns prisonniers quelque prouffit que ce soit de bienvenue ne autrement. »
104 BnF, NAF 3555, fol. 20, col. 1 : « Item que les prisonniers qui seront admenez pour cas criminelz soient cerchiez tantost qu’ilz seront admenez et leurs tasses visitees en leur presence pour veoir et savoir se sur eulx l’en trouvera riens souspeconneux qui puet aidier au juge a leur congnoistre. »
105 Voir supra n. 99.
106 Textes C et D : « ITEM et est deffendu audit geollier que a prisonniers criminelz ne baille pour leur vivre que pain et eaue sur peine de perdre ce qu’il leur baillera outre, se ce n’est par commandement du prevost ou du lieutenant. » Texte E : « Item le geolier est tenuz de querir aux prisonniers crimineulx et autres qui n’ont de quoy vivre pain eaue, excepté aux prisonniers qui sont pour debte […]. »
107 Voir Véronique Beaulande-Barraud, « “Au pain de douleur et à l’eau de tristesse”. Prison pénale, prison pénitentielle dans les sentences d’officialité à la fin du Moyen Âge », dans Enfermements. Le cloître et la prison, op. cit., p. 289-303.
108 Textes C et D : « ITEM sera tenuz ledit geolier de bailler et livrer a ses despens pain et eaue aux prisonniers qui n’auront de quoy vivre ou cas qu’ilz ne seroient emprisonnez pour debte […]. » Texte E cité supra n. 106.
109 Textes C et D : « ITEM que le pain qui sera apporté ou envoié ou chastellet par les jurez de boulengiers et par cellui qui fait la queste parmy la ville pour les prisonniers soit tout distribué aux prisonniers des basses prisons par le plus souffisant et notable prisonnier qui sera sur les quarreaulx par l’ordonnance du prevost ou de son lieutenant ou du clerc dudit prevost. ITEM que l’argent ou autre chose qui sera donné ausdiz prisonniers le jour du venredi adouré soit distribué comme dessus ou aux autres prisonniers plus indigens par le plus notable prisonnier qui sera sur les quarreaulx par l’ordonnance devant dicte. ITEM s’il advient que aucuns deniers soient baillez secretement au geolier ou a ses gens pour faire aumosne ausdiz prisonniers icellui geolier ou son clerc seront tenus de le dire et reveller le pris l’un a l’autre au prevost ou a son lieutenant ou audit clerc et de le distribuer ausdiz prisonniers comme dessus sur peine d’estre reputé pour larron se par eulz en estoit aucune chose retenue ou employé en autre usage et d’en estre puny comme de larrecin. »
110 Textes C et D : « ITEM le geolier ne pourra contraindre aucun prisonnier a estre a sa table s’il ne lui plaist mais sera tenuz de laisser passer ceulz qui ausdiz prisonniers apporteront leur vivre s’ilz ne sont pour cas criminelz ou en prison fermee, ou par commandement. […] ITEM ledit prevost et ses lieuxtenans pourront ordonner et mettre pris sur la table du geolier selon le temps et que les vivres seront chers ou a bon marchié. »
111 C’est sans doute l’aspect le plus connu des règlements du Châtelet. Citons le texte A, une formule similaire se retrouvant dans les textes suivants : « Premierement, il a pluseurs prisons en ladite geolle plus honestes et plus honorables les unes que les autres et toutefoiz sont elles fors et seures, et pour mettre et emprisonner les personnes, selon le cas pourquoy il y sont amenez en prison, et selon ce que lesdictes personnes sont plus honorables les uns que les autres ou selon ce qui est mandé ou commandé du roy nostre sire et de noz granz seigneurs des royaux, es quelles prisons pour l’onnesteté d’icelles, on les puet miex mettre que es autres prisons plus moiennes, si comme il appert ci dessouz. »
112 Texte A : « Premierement, I simple homme ne doit pour son geolage d’entree et d’issue que IIII d, tant sache demourer en prison, et ne les paie que une foiz, quand il est delivrez. Item, I simple chevalier doit de geolage pour entree et pour yssue, quand il s’en va delivré, V s. Item, pour ce mesmes, I chevalier banneret XX s. Item, I conte, pour ce mesmes X l. Item, I escuier, pour son geolage XII d. Item, I Lombart, pour ce mesmes, XII d. Item, I juyf, pour ce mesmes, XII d. »
113 Notamment dans les communautés bénédictines où la « table commune » a une valeur essentielle, voir Stéphane Boulc’h, « Le repas quotidien des moines occidentaux du haut Moyen Âge », Revue belge de philologie et d’histoire, 75, 1997, p. 313-318.
114 Textes C et D : « ITEM s’il advient que aucuns prisonniers veulent vivre de provisions sans estre a la table du geolier faire le pourront sans tenir table ne vendre icelle a autres prisonniers. »
115 Voir supra n. 109.
116 Rappelons que les durées d’emprisonnement connues pour cette époque excèdent rarement quelques semaines, même si les geôles ecclésiastiques et certaines prisons royales abritaient de longues détentions, voir Julie Claustre, « La prison de “desconfort”. Remarques sur la prison et la peine à la fin du Moyen Âge », dans Nicolas Derasse, Sylvie Humbert, Jean-Pierre Royer (dir.), La prison, du temps passé au temps dépassé, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 41-43.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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