Avant-propos
p. 7-8
Texte intégral
1Enfermements. Où peut-on en parler mieux qu’à Clairvaux1 ? En 2009, pour la première rencontre d’un cycle de colloques scientifiques portant sur l’histoire des « milieux clos », et notamment sur l’histoire comparée des enfermements monastiques et carcéraux, la grande abbaye cistercienne offrait un cadre particulièrement adapté. Après plus de six siècles de vie monastique et ses beaux vestiges, puis deux siècles d’une prison aux murs intégralement conservés, c’est encore aujourd’hui une maison centrale avec ses miradors omniprésents.
2Lieux clos par excellence, le monastère et la prison ne poursuivent pas les mêmes finalités, et on ne peut comparer un moine et un détenu. Mais leurs vies ne manquent pas de points communs : stricte clôture, emploi du temps rigide, travail sur le lieu de vie, et respect d’un règlement qui prévoit les jours et les heures. Là encore, où peut-on parler mieux qu’à Clairvaux de règles, de règlements et de dérèglements ?
3Le débat qui avait justifié la création du nouvel ordre cistercien portait sur l’application de la règle de saint Benoît. On reprochait en effet à Cluny de privilégier la liturgie aux dépens du travail et d’oublier l’esprit de pauvreté préconisé par celle-ci. Dans son abbaye, Bernard de Clairvaux entendait appliquer la règle dans sa « rectitude ». Du programme architectural de l’abbaye jusqu’à la mesure quotidienne du vin pendant le repas, tout est écrit dans la règle. Toutefois, celle-ci n’est pas seulement un code mais un guide spirituel indispensable pour pouvoir vivre en communauté : c’est du reste parce que quelques ermites égyptiens avaient décidé de prier ensemble et de « réduire les incommodités et les dangers de la solitude » en devenant cénobites que l’un des leurs, Pacôme, rédigea vers 320 la première règle2.
4 De leur côté, les prisonniers de Clairvaux furent astreints à un double règlement dès 1814, celui de la maison centrale et celui des ateliers dans lesquels ils travaillaient. Ceux-ci préfigurent les règlements d’usine de la seconde moitié du xixe siècle. La prison était en avance sur les industriels… En 1848, on cite Clairvaux comme manufacture carcérale exemplaire, ce qui signifie que le travail forcé y était bien réglementé3.
5Aujourd’hui, les hauts murs de Clairvaux préservent encore toute la mémoire de ces neuf siècles vécus hors du monde commun. Champ immense pour la recherche historique.
Notes de bas de page
1 Le domaine de Clairvaux est propriété de l’État. Il est partagé entre le ministère de la Justice, dont dépend la maison centrale, et le ministère de la Culture, dont dépendent la majeure partie des bâtiments historiques. L’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux en assure l’animation culturelle.
2 Jean-Pie Lapierre, Règles des moines, Paris, Seuil, 1982, p. 9-10.
3 Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures, Paris, Fayard, 1990, p. 378-380.
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