Vers une organisation hiérarchisée des sites de la culture des Terramares
(Italie, xvie-xiie siècle av. n. è.)
p. 243-258
Résumé
The Terramare culture developed in the Po plain (Italy) during the middle and recent Bronze age (xvie-xiie centuries B. C.). Until now, archaeologists considered this culture as a tribal organisation without social stratification. This can be explained by the important homogeneity of the burial practices (cremation urns without burial deposit) and also of the settlements: the term “Terramare” is used to indicate the banked and ditched villages, usually built according to a pre-definite plan.
However, the latest studies, using spatial statistics in a GIS, seem to show a territorial organization structured or even organized in a hierarchy.
The purpose of this article is first to explain the methodology used for this research and then to present the results obtained. This way, we hope to be able to define a new social structure for this culture.
Entrées d’index
Mots-clés : âge du bronze, plaine du Pô, Terramares, terre-plein, fossé, implantation, crémation, dépôt funéraire, organisation sociale, organisation hiérarchique, SIG, statistique spatiale
Keywords : Bronze Age, Po plain, Terramare, bank, ditch, settlement, cremation, burial deposit, social organization, hierarchical organization, GIS, spatial statistic
Texte intégral
1La culture des Terramares s’inscrit au sein de l’Âge du Bronze. Le calage chronologique de cette période communément utilisé en Europe occidentale est compris entre 2300 et 750 avant notre ère (fig. 1). Il est généralement admis que l’Âge du Bronze est une période où la complexification voire la hiérarchisation des sociétés s’affirme comparativement aux périodes précédentes1. Cette observation s’explique notamment par la multiplication de marqueurs de pouvoirs forts, souvent liés au développement de la métallurgie et par extension aux échanges et donc aux importations que cette technologie entraîne. On pense particulièrement aux armes et à l’image associée du guerrier véhiculée par certaines tombes ostentatoires mais aussi par des statuettes et autres représentations graphiques qui nous ont été transmises depuis cette époque (Carozza et Marcigny, 2007, p. 14). C’est aussi la période de la domestication du cheval, animal encore suffisamment peu courant pour être réservé à une élite et créer autour de lui un fort attrait et parfois même une imagerie votive voire religieuse.
Quelle place pour la culture des Terramares dans ce nouveau contexte européen ?
2La culture des Terramares se développe au cours des Âges du Bronze moyen et récent, soit entre 1650 et 1150 avant n. ère selon la chronologie italienne2 (fig. 1). Elle a pour berceau la plaine du Pô et plus particulièrement l’Emilie (provinces de Plaisance, Parme, Reggio d’Emilie et Modène) et la partie occidentale de la Romagne, au sud du Pô, ainsi que les basses plaines des provinces de Crémone, Mantoue et Vérone, au nord du Pô. Cette région était quasiment inoccupée avant l’apparition de la culture qui nous intéresse ; apparition qui s’est faite selon des conditions démographiques trop importantes pour être d’origine naturelle et a donc été imputée à une arrivée massive de population, probablement originaire des lacs périalpins (principalement le lac de Garde) (Cardarelli, 1988, p. 111). Avec l’intensification des recherches durant ces trente dernières années, il a pu être mis en évidence, pour les zones les mieux connues archéologiquement et les moins perturbées par des phénomènes géomorphologiques récents, une densité d’un site d’habitat (appelé aussi Terramare) tous les 9-10 km² (Cremaschi, 1997, p. 111). Ce qui fait de cette région, une des zones les plus peuplées pour cette période (Bernabò Brea et Cremaschi, 1992 p. 407). Ainsi, Cardarelli propose d’estimer la densité des petites Terramares ou habitats (1-3 hectares) à 150 individus par hectare, 100 ind/ha pour les Terramares moyennes (4-6 ha) et 80-85 ind/ha pour les grandes Terramares (7 ha et plus) (Rajala, 2006, p. 510). Ces propositions ont été appliquées aux provinces étudiées dans le cadre d’un Master (Boudry, 2006, 2007) et d’une thèse (en cours) à savoir celles de Modène, Reggio d’Emilie et Parme en se concentrant sur la zone de plaine. Les résultats obtenus donnent un nombre d’habitants équivalent à 25 000 personnes concentrées sur 800 km² soit une densité de 31,25 hab/km² au plus fort de l’occupation terramaricole. Cet essor sera de courte durée : vers 1150 avant notre ère, soit cinq siècles après l’émergence de cette culture, les Terramares sont abandonnées, la plaine émilienne désertée. Cette dernière ne sera réoccupée que trois siècles plus tard avec la culture Villanovienne.
Fig.1. Tableau des correspondances chronologiques de l’âge du Bronze en Europe

D’après Provenzano, 2008.
3La culture des Terramares se caractérise par des sites éponymes qui se sont développés en plaine. Ainsi une Terramare se définit par la présence d’un terre-plein bordé d’un fossé, tous les deux souvent monumentaux avec des dimensions pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres de large. Leur fonction exacte reste encore à préciser. Les dernières recherches indiqueraient, pour le fossé, une fonction en lien avec le système d’irrigation et de drainage mis en place dans l’environnement immédiat autour des Terramares (Cremaschi et al., 2006, p. 89). Concernant le terre-plein aucune hypothèse n’a pour l’instant trouvé grâce auprès des scientifiques : une interprétation défensive qui traduirait un état conflictuel semble peu probable si l’on considère l’importante densité de population et la proximité des habitats3 (Cardarelli, 1988, p. 121) ; de plus une période de troubles aurait laissé des traces interprétables archéologiquement, or il n’en est rien. Une fonction ostentatoire semblerait donc être l’hypothèse la plus plausible à l’heure actuelle. Au sein de ces structures, une grande partie des Terramares ont livré des habitations sur pilotis4, organisées selon, semble-t-il, un plan prédéfini. Cette caractéristique architecturale semble dériver d’une tradition transmise par les populations des lacs périalpins au nord de la zone d’étude mais résulte aussi des contraintes d’un environnement humide comme devait l’être la plaine du Pô avant l’endiguement récent et systématique des cours d’eau. Il existe également des sites appartenant à la culture matérielle terramaricole dans les collines et les montagnes apenniniques, au sud de la plaine, mais qui ne répondent pas aux critères architecturaux évoqués.
Quelle lecture apposer aux découvertes funéraires ?
4La culture des Terramares semble avare dans l’expression du pouvoir ou même d’une quelconque hiérarchisation. Cette impression est principalement due aux pratiques funéraires choisies, à savoir la crémation avec absence de dépôt funéraire. Les rares artefacts découverts au sein des urnes étaient généralement liés à l’habillement (épingles, fibules, etc.) et devaient accompagner le défunt5 sur le bûcher (Cardarelli et Tirabassi, 1997, p. 680). Même si leur présence dans les urnes ne semble pas accidentelle6, il est difficile de considérer ces découvertes comme de véritables dépôts funéraires car elles sont souvent brûlées et fragmentées et ne semblent traduire aucune appartenance sociale particulière7. Une fouille particulièrement minutieuse a récemment été menée sur la nécropole de Casinalbo (Cardarelli et al., 2006). Il est intéressant de constater que le sol de cette nécropole a peut-être été le théâtre de pratiques funéraires ostentatoires avec des fragments d’armes brisés répandus à terre autour d’un grand dolium, les fragments d’épées dans un premier cercle autour de ce vase, puis les poignards et autres artefacts en bronze répartis en périphérie de ce premier ensemble. Toutefois, le nombre de nécropoles connu à ce jour n’est absolument pas représentatif de la population terramaricole : seize nécropoles sont connues en plaine dans les trois provinces abordées (Parme, Reggio d’Emilie, Modène) totalisant près de 1 400 urnes. Si l’on considère qu’une urne accueille un seul et unique individu alors seulement 5,5 % de la population terramaricole calculée est représentée dans les nécropoles. D’autant que les nécropoles citées sont datées, pour les plus anciennes, à partir du Bronze moyen iii laissant une lacune importante dans les connaissances des pratiques funéraires antérieures. Faut-il envisager la crémation comme une pratique tardive, réservée à une élite et imaginer un autre type de traitement pour le reste de la population (décharnement, exposition, etc.) ?
5L’Âge du Bronze est, certes, une période où se généralise la pratique de l’incinération (Carozza et Marcigny, 2007, p. 111) : pourtant dans les régions voisines de l’Emilie comme la Lombardie orientale et la Vénétie occidentale8, les rituels mixtes sont fréquents (inhumations et crémations en association dans les nécropoles mais selon des rapports numériques différents dans chaque cas) et sont associés à des marqueurs de pouvoir ou des marqueurs ostentatoires9 et tout particulièrement des épées. Ces dépôts funéraires restent cependant assez rares (25 % des cas dans la nécropole d’Olmo di Nogara) et marquent ainsi de façon encore plus significative l’existence de groupes socialement diversifiés. En Lombardie occidentale, intéressée au Bronze moyen iii par le faciès d’Alba-Scamozzina et au Bronze récent par celui de Canegrate (nom éponyme d’une des nécropoles), la pratique de la crémation est de mise mais associée à un dépôt d’armes et particulièrement d’épées (Cardarelli et al., 2006, p. 636). Au sud de l’aire étudiée, en Toscane, les données sont malheureusement inexistantes pour la période qui nous intéresse. Il faut cependant noter, dans le Latium, l’existence de la nécropole à incinération avec dépôt funéraire de Cavallo Morto s’inscrivant dans le faciès sub-apenninique et attribuée génériquement au Bronze récent.
6Ces constatations sont d’autant plus marquantes surtout si l’on considère les contacts soutenus qui existèrent entre les populations terramaricoles et celles plus au nord de l’Italie qui expriment un pouvoir essentiellement guerrier dans les dépôts funéraires.
7Il faut toutefois garder en mémoire que seule une infime partie des informations sociétales nous parviennent à travers les fouilles archéologiques. De nombreuses interprétations sont donc possibles : ainsi plusieurs propositions ont été faites par Patrice Brun (Brun, 2007, p. 129) quant à la compréhension des sociétés par les pratiques funéraires (fig. 2) où l’on pourrait dire de celle terramaricole qu’elle était une société aux élites effacées à l’image du Bronze moyen atlantique. Pour Alain Testart (Testart, 2004, p. 312) l’absence de dépôts funéraires ou leur pauvreté ne sont non pas l’indice d’un caractère égalitaire de cette société, mais seulement un choix préférentiel pour une politique de distribution funéraire. Cette dernière indiquerait plutôt une société où les grands le sont du fait qu’ils sont au service de la communauté (évergétisme funéraire) tandis qu’une politique de dépôt serait plutôt celle d’une société où les grands le sont du fait que la communauté est à leur service.
Fig.2. Représentation schématique des éventuelles expressions sociétales que peuvent prendre les pratiques funéraires

D’après Brun, 2007.
8Un autre élément semble confirmer cette première impression de primauté de la communauté sur l’individu au sein de la société terramaricole, tant et si bien qu’il a pu être proposé de voir un système d’entraide communautaire « en qualité de prestations de services dans le cadre de liens tribaux » entre les différentes Terramares afin de mener à bien les grands travaux entrepris par cette culture (Cardarelli, 1988, p. 120). On pense ici aux structures périphériques (terre-plein et fossé) mais aussi au système d’irrigation et de drainage mis en place par ces populations afin de cultiver la plaine, ainsi qu’au déboisement important10 qui découle de ces aménagements et de la demande en bois pour les constructions. Il est cependant légitime de s’interroger sur l’organisation sociétale qui est à l’origine de ces réalisations. L’existence d’un chef charismatique au pouvoir fort est une hypothèse tout aussi valable pour expliquer l’émergence de ces constructions, voire même dans un climat de compétition, qui construira le terre-plein le plus élevé, la palissade la plus monumentale ?
Quelles méthodologies utiliser face à ces interrogations ?
9Face à ces interrogations sociétales, il est essentiel de se concentrer sur les sources les mieux documentées à savoir les sites relatifs à la sphère des « vivants » en opposition aux rares nécropoles. Il a ainsi été possible de mettre en place une typologie des sites terramaricole nous permettant d’éclaircir notre vision quant à l’organisation territoriale. On distingue ainsi :
Des Terramares dont les principaux caractères ont déjà été exposés (structures périphériques, pilotis, plan prédéfini, etc.). La caractéristique majeure des Terramares reposant sur ces structures périphériques, il est possible de créer un autre type de site dépourvu de cette qualité à savoir :
Des sites d’habitat dits « ouverts » car non ceinturés de ces structures monumentales. Ces sites d’habitats ouverts semblent irrémédiablement en relation d’interdépendance avec les Terramares par leur proximité géographique (en général à moins de 2 km). Quelques cas de Terramares et de sites d’habitats cohabitant à quelques centaines de mètres sont également avérés.
Des occupations à caractère indéterminé qui correspondent à des concentrations de matériaux qui n’ont révélé la présence ni de structures périphériques ni d’habitats. Beaucoup sont à renvoyer à de petites structures isolées à proximité des Terramares, liées probablement à une activité productive (petites constructions destinées aux dépôts d’outils, abris pour animaux, fermes, etc.). Entrent aussi dans ce type des découvertes faites à plusieurs kilomètres des Terramares : traces de système d’irrigation, four de cuisson céramique (Cattani, 1997). Pour ce dernier exemple, une implantation volontairement éloignée était certainement liée à un besoin d’approvisionnement en bois (les alentours immédiats des Terramares ayant été très certainement déboisés, cf. note no 10), en eau et en argile.
Des attestations à caractère indéterminé correspondant à des affleurements de matériel, issu d’un ramassage de surface, sur un lieu n’ayant fait l’objet ni d’une fouille ni d’un sondage de vérification. Il peut s’agir de sites de l’Âge du Bronze ou d’attestions liés au phénomène perturbateur des concimazione. Ce dernier se met en place dès le xviiie siècle et consiste en un véritable commerce autour des terres particulièrement fertiles (en raison de la décomposition des bois de construction, des cendres et autres déchets accumulés) extraites des Terramares. Elles seront exploitées comme de véritables carrières et répandues dans les champs comme un vulgaire engrais rendant les prospections actuelles particulièrement ardues.
10Ces exemples laissent clairement envisager le contrôle des Terramares sur un vaste territoire ainsi que sur leur environnement. Il existe une application géométrique que nombre d’archéologues ont repris et appliqué sur leurs données afin de créer des territoires potentiels : les polygones de Thiessen11. Cette méthode peut cependant poser des problèmes de représentativité en fonction de la quantité et de la qualité des données archéologiques disponibles. Il peut alors être plus pertinent d’utiliser une méthode de statistique spatiale exploratoire basée sur la distance qui nous permet d’avoir une idée générale de l’organisation spatiale des Terramares qu’elle soit concentrée, aléatoire ou répartie : la méthode K de Ripley12 et sa visualisation sur corrélogramme (Zaninetti, 2005, p. 85) (fig. 3). Cette méthode relevant d’une analyse du second ordre a également comme propriété de permettre une observation de l’organisation spatiale à différentes échelles. Ainsi sur la figure 3, il est possible de visualiser trois pics13 d’agrégation répartis tous les quatre kilomètres et qui pourrait traduire le rayon moyen du territoire d’une Terramare. Il est prévu d’utiliser ensuite ces résultats pour une application locale de cette méthode afin d’identifier les parties de la zone d’étude qui contribue le plus à la formation d’agrégats et si l’on distingue des zones plus importantes que d’autres au sein même du territoire d’une Terramare. Ils pourront également servir à optimiser le paramétrage du lissage par la méthode des noyaux que nous présenterons par la suite.
Fig.3. Corrélogramme de Ripley

Les flèches indiquant les pics d’agrégation des sites terramaricoles.
11Il est aussi possible de réfléchir par territoire théorique et non plus par sites. Il suffit d’appliquer les polygones de Thiessen au corpus et de calculer la densité de sites par polygones afin de savoir quelle Terramare possède le plus de sites satellites. Ceci en admettant qu’une plus forte densité indiquerait une plus grande structuration du territoire et peut-être une plus grande hiérarchisation. Dans notre cas un problème de représentativité du corpus rend difficilement exploitables les résultats de cette méthode14.
12À la suite de la présentation de cette typologie, se dessine une hiérarchie entre les différents sites terramaricoles. Cependant est-il possible de mettre en évidence une hiérarchie entre les Terramares ?
De nombreux éléments peuvent être comparés dans ce but :
leur superficie totale.
La taille de leurs structures périphériques et leur complexité (plusieurs fossés, présence de gabions, etc.).
La période d’occupation du site15.
L’existence d’une phase d’accroissement. Si elle existe, on parle alors de petit et grand village16.
La présence d’artefacts d’importation en leur sein : ambre (baltique ou sicilien), pierres alpines, coquillages marins adriatiques, perles en verre, etc.
La présence d’artefacts dits ostentatoires : objets en or, éléments pour le harnachement des chevaux, poids de balance (Cardarelli et al., 2001), armes de prestige comme les épées. On se souvient de l’absence de ces dernières dans les nécropoles ; dans les habitats leur rareté leur confère une importance toute particulière surtout lorsque l’on constate que sur les sept dénombrées dans les trois provinces étudiées, trois ont été retrouvées sur le même site17.
Des traces de production particulière au sein des sites (métallurgique, os/bois de cerf, textile, etc.) ainsi que la présence de quartiers spécialisés.
13Une base de données a été mise en place afin de recueillir toutes ces informations qui ont ensuite pu être cartographiées à l’aide d’un logiciel d’information géographique.
14Une carte « test » des sites les plus importants ou « hot spots » (dans le vocabulaire d’analyse spatiale) a été réalisée à l’aide d’une méthode d’interpolation spatiale : le lissage par la méthode des noyaux qui permet de créer une carte de densité. Pour se faire « On définit une fonction de lissage (uniforme, quadratique, gaussienne, triangulaire ou exponentielle négative) qui produit une estimation continue aréolaire de densité cumulée autour des points du semis […] ainsi que le rayon d’influence de l’aire estimée autour de chaque point du semis » (Zaninetti, 2005, p. 263). Pour définir le rayon d’influence, deux options s’offrent à nous : définir un intervalle fixe ou calculer un rayon d’influence flexible. Dans notre cas, la première option a été choisie en utilisant les résultats du corrélogramme de Ripley, soit h = 4 km. Cette méthode permet de produire une surface de densité pondérée à l’aide d’une variable quantitative attributaire des points du semis, ici il s’agit d’un indice construit selon le rapport entre le nombre d’éléments ostentatoires et le nombre d’hectares fouillés. Dans la présente étude (fig. 4), nous allons nous concentrer sur les Terramares18 implantées dans la plaine de la province de Parme, cadre géographique de la thèse en cours. Il faut cependant rester prudent car malgré des résultats graphiques éloquents cette méthode reste hautement spéculative19 et est en cours d’élaboration.
Fig.4. Carte de densité réalisée selon le rapport entre le nombre d’éléments ostentatoires et le nombre d’hectares fouillés à l’aide du lissage par la méthode des noyaux

Dessin : J. Boudry.
15Les premières observations tendent à indiquer une hiérarchie entre les Terramares et qui, fait étonnant, ne dépendrait pas de leur superficie. La Terramare de Castione Marchesi semble la plus importante. Les autres Terramares qui se dégagent semblent être en relation avec la future Via Emilia Romaine qui rejoint Plaisance et Rimini et donc la mer Adriatique. Cette voie a pu être un axe de circulation privilégié dès l’Âge du Bronze et a été un axe d’implantation ; c’est en effet une zone riche en résurgences hydriques. Enfin, les derniers sites qui se démarquent font la transition entre la zone de plaine et les premières collines apenniniques. Une relation entre l’implantation des sites et le réseau hydrographique pourrait également être envisagée après approfondissement de la question, le réseau hydrographique padouan ayant évolué depuis l’Âge du Bronze.
16D’autres applications méthodologiques peuvent ensuite être considérées afin d’étayer ces premières observations. Il est intéressant de noter que le lissage par la méthode des noyaux permet donc de créer des densités brutes ou relatives mais aussi des probabilités d’occurrence dans le cas d’un semis de points non exhaustif. Il serait ainsi possible d’établir une carte du risque archéologique sur laquelle nous pourrions, entre autres, nous baser afin d’appliquer certaines statistiques spatiales exigeantes en terme de représentation du corpus (densité par territoires selon les polygones de Thiessen par exemple).
17Enfin, une autre méthode pourrait porter ces fruits : une variante de la X-Tent proposée par Renfrew et Level en 1979. Elle consiste à calculer un coefficient (x) afin d’obtenir le rayon des aires contrôlées par les sites ; ceci en choisissant deux sites de la même classe dimensionnelle, contemporains et voisins. De là deux clés de lecture sont possibles :
repérer quel site possède le plus grand nombre de sites mineurs dans son aire d’affluence (comme pour les polygones de Thiessen).
Discriminer entre plusieurs modèles : si les circonférences des sites contemporains sont tangentielles et celles des sites mineurs complètement inscrites dans celle des grands, cela signifie que l’organisation territoriale est totalement intégrée ; si les sites majeurs sont trop éloignés, on en déduira l’absence de relation entre les sites ; si le site majeur est localisé dans l’aire d’influence d’un autre, cela implique une organisation hiérarchique (Di Renzoni, 2006, p. 471).
Conclusion
18Ces observations sont issues d’une étude préliminaire et demandent de nombreux approfondissements. Quoi qu’il en soit, elles nous permettent d’aborder une réflexion sur l’organisation de la société terramaricole : peut-on distinguer des petites chefferies disséminées sur tout le territoire qui tentent de se démarquer par l’importance et l’ostentation des réalisations entreprises ? Un système lignager est-il envisageable ?
19Il faut noter que les marqueurs de pouvoir étudiés sont de plus en plus nombreux dans les Terramares à mesure que l’on s’approche dans le temps de la disparition de cette culture. Il n’est alors pas interdit de s’interroger sur la fin des Terramares. Les dernières données indiqueraient qu’il y a eu un problème écologique à cette période : une sécheresse ? La société terramaricole était-elle suffisamment structurée pour faire face à un dérèglement climatique ? Le trop grand nombre de « têtes pensantes » a-t-il interféré sur les décisions majeures à prendre face à une crise et créer ainsi une période de tension sociétale que l’on semble lire dans les dernières strates d’occupation des sites : abandon rapide, destruction, incendie ?
Bibliographie
À méditer…
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Notes de bas de page
1 Ce type de phénomène ne peut cependant être lu de façon linéaire et de nombreuses oscillations ont pu être observées au cours de l’Âge du Bronze et en fonction des aires géographiques.
2 Nous utiliserons ici celle élaborée par Maria Bernabò Brea et Andrea Cardarelli. L’Âge du Bronze moyen (BM) se divise en trois phases : Bronze moyen I : 1650 – 1550 av n. è. ; BM II : 1550 – 1450 av. n. è. ; BM III : 1450 – 1340/30. L’Âge du Bronze récent est subdivisé en deux phases : BR I : 1340/30 – 1200 av. n. è. ; BR II : 1200 – 1150 av. n. è. (Bernabò Brea et al., 1997).
3 D’autant plus que leur construction, selon les différents sites, n’est pas contemporaine.
4 Certaines Terramares ont été implantées directement au sol ; d’autres ont été réaménagées, souvent dans une période tardive (BR II), selon un plan au sol à la suite de constructions sur pilotis (p. ex. S. Rosa à Fodico di Poviglio).
5 Les études anthropologiques ont montré que l’introduction de ces objets dans les urnes était presque exclusivement réservée aux femmes, aux enfants/adolescents ou encore dans les urnes accueillant plusieurs corps (Cardarelli et al., 2006, p. 636).
6 Bien souvent, seuls certains os ont été sélectionnés pour être placés dans les urnes et la présence de charbons et de cendres est particulièrement sporadique. L’introduction d’un artefact devait être tout aussi réfléchie.
7 « Les dépôts funéraires sont un indicateur certain de l’amplitude des inégalités sociales » (Testart, 2004, p. 312).
8 On peut citer les nécropoles de Roncoferraro (province de Mantoue), Ponte Molina di Ostiglia (Mantoue), Franzine Nuove di Villabartolomea Povegliano Veronese (Vérone), Olmo di Nogara (Vérone), attribuées par Peroni au faciès de Povegliano.
9 La richesse ne faisant pas le pouvoir effectif.
10 Des études paléobotaniques récentes montrent un déboisement particulièrement important en Emilie-Romagne aux Âges du Bronze moyen et récent ainsi qu’une augmentation de l’aire déboisée et cultivée autour des Terramares au Bronze récent (1 km de rayon au Bronze moyen et jusqu’à 4 km au Bronze récent) (Cremaschi et al., 2006 : 92).
11 Les polygones de Thiessen sont formés autour de chaque point par les bissectrices perpendiculaires aux lignes reliant deux points voisins.
12 « Ripley s’intéresse à la probabilité d’observer un nombre donné de points dans un cercle de rayon de recherche d autour d’un point quelconque du plan. Sous hypothèse de stationnarité, la densité locale à l’intérieur du cercle devrait être égale à la densité de l’ensemble de la zone d’étude, notée λ. La fluctuation aléatoire attendue étant connue, on peut associer une probabilité de réalisation à chaque densité différente, supérieure pour les agrégats, inférieure pour les lacunes. La fonction K de Ripley résume cette information pour l’ensemble du semis étudié en traçant des cercles de recherche de rayon croissant » (Zaninetti, 2005, p. 85).
13 Distance maximale entre la courbe de l’hypothèse de stationnarité maximale et celle de Ripley.
14 Certaines zones géographiques, étant mieux connues archéologiquement que d’autres (ceci pour des raisons géomorphologiques, politiques ou encore administratives, etc.), entraînent des disparités conséquentes et faussent alors la mise en application de cette méthode.
15 Il faudra bien entendu prendre en considération les phases précises d’occupation des sites afin de comparer des éléments contemporains.
16 Le petit village désigne l’implantation d’origine. Le grand village correspond à une deuxième phase d’implantation créant un nouveau quartier qui vient généralement encercler le petit village. De nouvelles structures périphériques sont alors construites pour le grand village avec même parfois réaménagement ou construction de celles du petit village.
17 La Terramare de Castione Marchesi.
18 Ainsi que sur quelques sites encore mal définis d’un point de vue typologique en l’absence de recherches approfondies mais qui présentent quelques caractéristiques propres aux Terramares.
19 En raison des nombreux paramètres qui restent à définir par le chercheur lui-même.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 8215 : « Trajectoires ». Sujet de thèse : La culture des Terramares (Italie). Systèmes d’implantation, croissance et désertion à l’âge du Bronze (xviie-xiie siècle).
Directeur : P. Brun. Co-directeur : M. Cremaschi (Università degli Studi di Milano, Italie).
Thèse soutenue le 13 décembre 2012.
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Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
Antoine Bourrouilh, Paris Pierre-Emmanuel et Nairusz Haidar Vela (dir.)
2016
Des vestiges aux sociétés
Regards croisés sur le passage des données archéologiques à la société sous-jacente
Jeanne Brancier, Caroline Rémeaud et Thibault Vallette (dir.)
2015
Matières premières et gestion des ressources
Sarra Ferjani, Amélie Le Bihan, Marylise Onfray et al. (dir.)
2014
Les images : regards sur les sociétés
Théophane Nicolas, Aurélie Salavert et Charlotte Leduc (dir.)
2011
Objets et symboles
De la culture matérielle à l’espace culturel
Laurent Dhennequin, Guillaume Gernez et Jessica Giraud (dir.)
2009
Révolutions
L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
Clara Filet, Svenja Höltkemeier, Capucine Perriot et al. (dir.)
2017
Biais, hiatus et absences en archéologie
Elisa Caron-Laviolette, Nanouchka Matomou-Adzo, Clara Millot-Richard et al. (dir.)
2019