Chapitre 1. Payer l’impôt : économie du don et extraversion
p. 45-80
Texte intégral
1Ce chapitre examine l’articulation entre logique sociale et organisation spatiale des « territoires » à travers les modalités du versement de l’impôt par les seigneurs, comtes et princes à l’empereur : dans le paiement se jouent et se mettent en scène publiquement un rang social et un statut politique, et le paiement contribue à faire fonctionner ces pouvoirs en dehors de leurs propres frontières. Les trois Maisons de Reuss, Schönburg et Schwarzburg relèvent du cercle de Saxe supérieure, instance supra-territoriale qui réunit une vingtaine d’états d’Empire1. Dès avant, mais davantage encore après que les institutions du cercle sont tombées en désuétude (1683), les trois Maisons fonctionnent de concert, se consultant régulièrement sur les questions de fiscalité impériale, échangeant des informations, jusqu’à mettre en œuvre, à certains moments, des formes institutionnalisées de coopération – et cette proximité engendre des porosités telles que l’échelle des trois « Maisons » en devient tout aussi pertinente, sinon davantage, que celle de chaque ensemble « territorial » pris isolément. Il faut ensuite verser les deniers collectés aux instances chargées de les recevoir : s’opère alors une forme de dissémination dans l’espace impérial. Appuyé sur la mobilisation d’un réseau d’hommes et de lieux disséminés dans l’Empire, le versement de l’impôt met au jour des espaces de pouvoir dilatés. Leur extraversion révèle leur perméabilité à un « extérieur » qui s’avère moins aisément délimitable que ne le laissent croire tous les discours qui considèrent les territoires comme des espaces clos, définis et étanches. Ces espaces de pouvoir se caractérisent donc par leur grande plasticité et le paiement de l’impôt d’Empire, loin de contrecarrer ces tendances, tend à les renforcer. C’est la raison pour laquelle ces « territoires » apparaissent comme diffus, au sens propre de ce qui « est intimement mêlé à ce qui l’entoure », « qui se répand de façon uniforme dans toutes les directions », « qui n’est pas nettement délimité et a tendance à s’étendre aux régions voisines », mais aussi de ce qui « s’entrecroise sans former de réseau élémentaire2 », renvoyant ainsi à l’indéterminé et à ce dont les contours sont mal définis.
2Or cette extraversion est l’expression du fait que le geste fiscal s’inscrit dans un réseau de contraintes sociales qui en font un geste éminemment symbolique, où se joue quelque chose qui ressortit à une « économie morale du don3 » : la transaction fait surgir l’obligation morale et sociale qui fonde les relations entre agents. Payer l’impôt d’Empire est une manière d’affirmer un rang et un statut distinctifs sur une scène impériale où les états d’Empire – et surtout les plus petits d’entre eux – scrutent mutuellement le lien qui les unit à l’empereur. Paradoxalement, l’impôt devient ici un vecteur de distinction sociale.
Espace saxon et coopérations des trois Maisons
3Les trois Maisons de Reuss, Schönburg et Schwarzburg fonctionnent ensemble, et cette coopération est fondée, outre leur proximité spatiale, sur leur intégration à des institutions macro-régionales et impériales communes : elles font partie des « états de moindre puissance » (mindermächtige Stände), comme elles se désignent elles-mêmes, au sein du cercle de Saxe supérieure, mais partagent également le statut juridique de seigneurs et comtes, au titre duquel elles siègent au banc des comtes de Wetteravie de la Diète d’Empire4. Leur proximité se fonde en outre sur la détention d’arrière-fiefs de la couronne de Bohême et de fiefs saxons, ce qui leur vaut des menaces de médiatisation de la part de l’électeur de Saxe, qui exerce par ailleurs sur eux, en tant que prince convoquant et commandant du cercle, mais également suzerain d’une partie de leurs terres, une menace de coercition importante. C’est l’intersection de ces appartenances féodales, politiques et juridiques qui fonde leur communauté d’intérêt.
Les « états de moindre puissance » et le cercle de Saxe supérieure jusqu’en 1683
4Durant la seconde moitié du xviie siècle, leur horizon d’action est, du point de vue fiscal, avant tout saxon : l’essentiel des paiements passe par l’intermédiaire du cercle de Saxe supérieure. Mais en 1683, ce dernier cesse de fonctionner régulièrement et de réunir des Diètes de sorte qu’après cette date, les trois Maisons renforcent leurs coopérations et tendent à privilégier un lien direct avec les différents hauts lieux du pouvoir impérial.
• L’électeur de Saxe en tant que « prince convoquant », la Diète du cercle et le « maître du Denier d’Empire »
5Les cercles d’Empire ont fait l’objet dans la dernière décennie d’une historiographie conséquente5 mais, comme l’impôt lui-même, ils ont surtout été analysés en tant qu’institutions de l’Empire et très peu du point de vue des états membres – à l’exception des plus puissants d’entre eux. Globalement, les cercles d’Empire sont considérés par l’historiographie comme une échelle d’action intermédiaire entre le niveau impérial et le niveau territorial, qui a pour fonction de contrecarrer la tendance de l’Empire à l’atomisation et représenterait une « alternative » à l’État territorial6. Le cercle de Saxe se distingue par le faible nombre de ses membres – vingt-deux7 – dont deux États territoriaux qui comptent parmi les plus puissants de l’Empire, le Brandebourg-Prusse et la Saxe. Ce sont d’ailleurs leurs rivalités qui conduisent, à la fin du xviie siècle, à la paralysie de l’institution. Il se distingue également par la faiblesse des conflits confessionnels, puisqu’il est entièrement luthérien jusqu’à la conversion du souverain saxon en 1697. L’électeur de Saxe est parvenu à cumuler au sein du cercle les fonctions de prince convoquant (kreisausschreibender Fürst8) et de commandant (Kreisobrister9) au détriment de la Prusse, et il utilise en partie ces fonctions pour asseoir sa politique territoriale. Cette position prééminente lui permet, en retour, d’exercer toutes formes de pressions sur les petits états d’Empire du cercle. Thomas Nicklas a montré pour le xvie siècle comment l’organisation, notamment par la Saxe, d’un surprélèvement chronique des membres les plus faibles par l’impôt d’Empire était un levier de médiatisation, faisant du statut d’état d’Empire un luxe qu’ils ne pouvaient plus se permettre10. Au milieu du xviie siècle, les trois Maisons de Reuss, Schönburg et Schwarzburg sont les dernières, parmi les petits états d’Empire de Saxe et Thuringe, à avoir résisté aux assauts saxons.
Dès qu’une Diète du cercle est convoquée, les trois Maisons envoient systématiquement des représentants, malgré le coût que cela implique et bien que, selon Thomas Nicklas, la réalité de leur pouvoir de négociation soit limitée :
Il est presque impossible de se représenter le travail d’un envoyé des Schönburg à la Diète du cercle dans toute sa tristesse. Il consiste à s’exprimer en dernier et à s’accorder à la majorité des voix conformément aux ordres de ses seigneurs. […] N’aurait-on pu, au lieu de Köler, qui était tout de même un docteur en droit de Leipzig, envoyer une poupée de paille au rassemblement du cercle11 ?
6Mais sans doute cela tient-il au fait que la capacité à peser sur les décisions n’est pas l’unique raison – ni même la principale – de leur souci scrupuleux d’être représentés au cercle. En témoigne la façon dont les Schönburg envisagent leur participation à une Diète du cercle convoquée pour le 27 septembre 1663 à Leipzig, en réponse au danger turc et aux impôts consentis par la Diète d’Empire. Dès la convocation reçue, l’aîné des Schönburg écrit aux quatre autres seigneurs régnants :
La présence [à la Diète du cercle] est en elle-même indispensable, de sorte que la question de savoir si [l’on doit y aller] est superflue, qu’il est nécessaire de réfléchir en revanche à la question de savoir selon quelles modalités, ce qui, selon la coutume, doit avoir lieu lors d’un rassemblement général de la régence. Je soumets donc à votre bonne disposition de savoir si vous voulez bien dépêcher vos conseillers et serviteurs à Glauchau vendredi prochain, le 18 de ce mois, munis de pouvoirs, afin de se consulter et de déterminer comment cette Diète du cercle doit être visitée. Pour ma part je propose que soit envoyé là-bas M. Johann Vogel, conseiller et bailli de Lichtenstein, qui me paraît la personne la plus appropriée, proposition que je soumets ici, afin qu’il y ait moins de difficultés lors du rassemblement pour s’accorder sur la désignation d’une personne12.
7Le caractère collectif de la prise de décision entraîne une certaine lenteur de la procédure, qui n’empêche cependant pas que Johann Vogel soit désigné comme représentant et envoyé à temps à Leipzig. Le texte révèle en outre l’importance que revêt, aux yeux des Schönburg, la fréquentation de l’assemblée du cercle : la question de savoir si l’on y envoie un représentant est évacuée d’emblée comme allant de soi. Le dossier montre que Vogel envoie aux Schönburg des comptes rendus circonstanciés et réguliers sur ce qui s’est passé et ce qui s’est dit : sa présence a donc une fonction essentielle d’accès à l’information. Mais siéger aux Diètes du cercle, s’y montrer comme état du cercle (Kreisstand) est également l’une des manières de s’affirmer publiquement comme état d’Empire et, partant, comme immédiat d’Empire. Thomas Nicklas conclut son analyse en affirmant que la politique des « états de moindre puissance » (mindermächtige Stände) du cercle se limite à donner à la Saxe leur assentiment. C’est faire l’économie du fait que la Diète du cercle, tout comme la Diète d’Empire, puisse revêtir une importance politique et sociale en dehors de la simple prise de décision13.
Une seconde institution fait le lien entre les « territoires » et l’échelle saxonne et impériale du point de vue de la fiscalité : c’est le maître du Denier d’Empire. Il existe depuis 1557 deux offices de maître du Denier d’Empire : celui de Leipzig, qui est en charge de l’administration des impôts impériaux de haute et basse Saxe, et celui d’Augsbourg, qui est en charge des autres cercles (Rhin supérieur et inférieur, Franconie, Souabe, Bavière). Leur fonction consiste à lever, administrer et faire parvenir les impôts des états aux institutions impériales. Ces impôts sont versés en principe dans des « villes de dépôt » (Legstädte) comme Ratisbonne, Augsbourg, Nuremberg et Leipzig. Les maîtres du Denier d’Empire sont aussi chargés de contracter des crédits auprès des villes de dépôt ou de personnes privées, en particulier quand les contributions des états sont insuffisantes. Ce sont également eux qui délivrent aux états d’Empire les quittances attestant qu’ils ont effectué leurs prestations, et qui sont chargés de rappeler à l’ordre les mauvais payeurs. La fonction, qualifiée d’officium damnosum à la Diète de 1598, comporte de nombreux risques politiques et financiers14. À partir de 1641, elle perd beaucoup de son importance, de sorte qu’elle est mal connue pour la période qui nous concerne15. On retrouve cependant les fonctions principales de collecte des deniers, émission des quittances et menace de sanction contre les mauvais payeurs.
Jusqu’au début du xviiie siècle, l’essentiel des paiements s’effectue à Leipzig – ou, plus rarement, à Dresde. La fonction de ville de dépôt (Legstadt) de Leipzig est liée à la fois à sa situation géographique et à son rôle économique : en raison des foires, c’est une ville où l’argent circule, ce qui garantit la possibilité de crédits et la présence de bonnes monnaies. Pourtant, la possibilité de contourner l’institution du cercle, la ville de dépôt et le maître du Denier d’Empire existe dès le milieu du xviie siècle et, si elle est rarement mise en œuvre, on envisage régulièrement de payer directement à Vienne ou à Ratisbonne, sans passer par le cercle ni par le maître du Denier d’Empire16.
• Paralysie du cercle et phase de transition (années 1680-1690)
8En 1683 est réunie la dernière Diète du cercle : le siège de Vienne entraîne un remaniement des rapports de force au sein du cercle, notamment parce que le Brandebourg, fidèle à son alliance avec la France, pose des conditions inacceptables à son soutien à l’empereur17. La Diète du cercle ne sera plus réunie. Thomas Nicklas en conclut que « l’État territorial est devenu seule réalité » en Allemagne du Nord et de l’Est : c’est soit compter sans les petits comtés d’Empire, soit les ramener à ce qu’ils ne sont pas. En 1689, la Saxe réclame aux comtes de Schwarzburg les 200 mois romains consentis à l’empereur et qui ont été assignés directement à la Saxe afin qu’elle finance ses troupes, selon le système dit de la « reluition18 ». Les Schwarzburg envoient alors leur conseiller aulique, Christoph Julius Cellarius, à Leipzig et à Dresde, où il doit se présenter aux conseillers privés à la guerre (Geheime Kriegs-Räthe) saxons19. Contrairement à ce qui se produisait auparavant, la négociation ne passe donc plus ici ni par un membre du cercle, ni par le maître du Denier d’Empire, mais directement par des officiers militaires saxons, même si le paiement, lui, doit bien être fait au maître du Denier d’Empire. En février, la Saxe exige que les mois romains soient versés directement à sa milice, cantonnée sur les terres des Schwarzburg : le maître du Denier d’Empire von Taube l’interdit tant qu’il n’a pas délivré ses propres assignations et le représentant de l’empereur à Dresde proteste avec véhémence, car cela représente une atteinte grave et une tentative de court-circuiter les institutions impériales20.
9On voit bien ici comment l’électeur de Saxe utilise la défaillance du cercle pour mettre en œuvre ses intérêts territoriaux, en contournant les institutions d’Empire et en profitant de l’urgence née de la situation militaire. Nous reviendrons sur le problème des cantonnements militaires, mais il va de soi que la présence d’une armée saxonne dans le territoire Schwarzburg représente une menace très concrète que les conseillers de guerre saxons ne manquent d’ailleurs pas de souligner. Ainsi Christoph Dietrich Bose21, le 24 janvier 1690 : « Je ne doute pas que les dispositions nécessaires auront déjà été prises, afin que les sommes arrivent à temps chaque mois et que le soldat, privé de sa solde, ne se livre pas à de terribles excès22. » La menace est à peine voilée, et les Schwarzburg paieront effectivement leurs mois romains sur place aux soldats cantonnés23.
10L’exemple montre assez bien les hésitations qui caractérisent cette période intermédiaire : le cercle n’existant plus en tant que tel, les négociations s’opèrent directement entre les états du cercle et le prince convoquant, ce qui laisse libre cours aux velléités de puissance de la Saxe électorale. Le maître du Denier d’Empire, lui aussi, apparaît très en retrait. Cela entraîne des négociations à caractère fortement interpersonnel et, pour les comtes et seigneurs, cela implique un infléchissement du rapport de force nettement en leur défaveur. Les années suivantes voient un changement clair de la stratégie des trois Maisons : elles élaborent des formes institutionnalisées de coopération et contournent la Saxe au profit d’un renforcement du lien direct à l’empereur.
L’institutionnalisation de la coopération : le régiment commun Reuss-Schwarzburg (1702-1708)
11En 1702, Reuss et Schwarzburg s’associent pour mettre à disposition de l’empereur un « régiment commun » de 3000 hommes – 2000 pour les deux branches Schwarzburg et 1000 pour les deux branches Reuss. Il est autorisé par résolution impériale le 25 août 170224. L’exclusion des Schönburg n’était pas prévue au départ et, en mars 1702, ils font encore partie intégrante de la négociation : le représentant commun des comtes de Reuss, Johann Samuel Brunner, affirme qu’il ne faut pas « dans cette affaire importante, prendre de décision unilatérale, avant d’avoir communiqué sur notre intérêt commun avec les hautes Maisons comtales de Schwarzburg et de Schönburg, et avant d’avoir pris connaissance de leur avis25 ». Mais la pérennisation du régiment commun entre les Reuss et les Schwarzburg entraîne un renforcement de leur coopération à deux qui, de fait, exclut de plus en plus les Schönburg, bien que les trois ensembles continuent à fonctionner de concert dans le cadre du banc des comtes de Wetteravie26.
12La solidarité des intérêts des trois puis deux Maisons est affirmée, mais sans pour autant que chaque Maison soit perçue comme une entité unifiée : ce sont davantage les branches régnantes qui apparaissent dans la documentation comme les échelles pertinentes de la prise de décision. La mise sur pied du contingent est ainsi précédée d’une longue discussion pour savoir s’il faut le concevoir comme « un seul régiment commun, mis au service de l’empereur », ou bien comme « un régiment de trois bataillons27 ». Ce qui se joue dans ces interrogations n’est pas une simple querelle de mots, c’est la conception même du « territoire ». Parler de trois bataillons ménage l’autonomie des trois ensembles formés par, d’un côté, les deux branches de la Maison Reuss, de l’autre, la branche Schwarzburg-Rudolstadt et, enfin, la branche Schwarzburg-Sondershausen. Jusqu’en avril 1702, le comte de Schwarzburg-Rudolstadt affirme d’ailleurs son intention de maintenir son bataillon à part, mais finit par accepter la fusion « au nom de l’intérêt commun de nos deux Maisons28 ». On voit ici l’autonomie des branches d’une même Maison, le souci de l’intérêt des deux Maisons prises ensemble et la relative faiblesse d’une échelle propre au « territoire » ou à la « Maison ».
13Cette fusion des contingents en un seul régiment, qui est au départ une mesure circonstancielle, est renouvelée à plusieurs reprises au cours des trente années suivantes, de sorte qu’elle s’institue progressivement : alors que le renouvellement de 1708 est présenté comme le résultat du « caractère préoccupant des circonstances actuelles29 », celui de 1733 insiste sur l’accroissement des coopérations et sur leur pérennisation : « Il a été considéré comme nécessaire de renforcer toujours davantage à l’avenir la bonne entente qui a prévalu jusqu’ici entre nous, et à cette fin, de persister dans cette association, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre30 », et marque la volonté d’une structure plus pérenne. Cette coopération est justifiée par plusieurs ordres de raisons. Réitérée dans tous les textes, la « communauté d’intérêt » des deux ensembles dynastiques est un élément crucial. Elle est déclinée sous plusieurs facettes : la « proche parenté » (nahe Anverwandschafft) des deux Maisons est souvent soulignée, de même que leur proximité géographique (alß auch in Ansehung der situation beÿderseits Landen). Un élément important consiste dans le fait que cette association est destinée à affermir leur statut d’états d’Empire (zu Erhaltung des beÿden gedachten hohen Häusern competirenden Reichß- und Creÿßstandes31), et le renouvellement de 1708 précise que « si l’une des partie est menacée à tort d’une atteinte à sa personne, son honneur, sa dignité, son immédiateté d’Empire, sa liberté et ses droits, ou à ses terres et ses sujets, ou de quelque autre manière, en contradiction avec les constitutions de l’Empire, elles doivent se porter mutuellement, autant qu’elles le peuvent, conformément à l’association, assistance, conseil et concours32 ». Celui de 1733 réitère cette injonction33. La coopération va donc bien au-delà de la simple prestation des obligations militaires et financières vis-à-vis de l’Empire, et constitue un moyen d’affirmer et de consolider un statut social et politique menacé. Pourtant, des réserves sont émises, en 1733, sur la possible coopération face aux conflits avec la Saxe : « Au reste il a été décidé et conclu par les deux hautes Maisons dans le présent traité qu’aucune des deux parties ne saurait être entraînée dans les différends particuliers de l’autre partie, spécifiquement au regard des conflits avec les maisons princières et électorale voisines34. »
14Enfin, les traités d’association prévoient explicitement un accroissement de la « communication » entre les deux Maisons. Ainsi le traité de 1708, aux paragraphes 5 et 6, précise-t-il que les Maisons associées doivent « communiquer, à chaque fois qu’un événement surviendra qui touchera le status publicus, ou leurs pays et leurs sujets », et interdit que l’une des parties prenne publiquement une résolution sans avoir au préalable consulté l’autre (§ 6)35. Or cette coopération qui touche aux matières financières ainsi qu’à la « politique extérieure » des deux pays pose d’emblée le problème des arcanes. C’est pourquoi les ministres, conseillers et serviteurs des deux parties contractantes sont tenus au secret :
Afin que rien dans ces affaires communes […] ne soit divulgué de façon intempestive, mais qu’au contraire chaque fois soient observés la plus grande prudence et le plus grand soin, il a été ici expressément conclu que les affaires communes seraient tenues au secret de la meilleure manière possible et qu’à cette fin, les arcanes et les secrets ne seraient portés à la connaissance de nuls autres que ceux à qui ils ont été confiés, en s’assurant de la capacité de ces derniers au silence et à la dextérité36.
15La question des arcanes est sans doute le lieu où se manifeste de la façon la plus flagrante l’affirmation volontaire d’une suspension de l’étanchéité entre les deux ensembles territoriaux. Elle se traduit par la tenue régulière de conférences entre les représentants des différentes branches régnantes des deux Maisons, ainsi que par un accroissement de leur correspondance, et les administrateurs des différentes branches régnantes entretiennent à partir de ce moment des relations de patronage et d’« amitié » sans cesse réaffirmées37.
16Mais la coopération pose également de nombreux problèmes de fonctionnement concret. Tout d’abord, ces régiments de 1 000 hommes ne peuvent être intégrés directement à l’armée impériale, dont les régiments comptent 2 300 hommes : ils sont donc mis à la disposition du cercle de Franconie – notamment dans le but de contourner la Saxe. Surtout, le régiment commun entraîne un surprélèvement structurel, en particulier chez les Reuss, et pose de nombreux problèmes de conversion et d’équivalence des montants. Le chancelier commun des Reuss, Freiesleben, demande ainsi que « selon l’équité, quelque chose soit enlevé du tiers des Reuss38 » car « aujourd’hui la part des Reuss dans la matricule d’Empire n’est que de 88 florins39 ». Leur participation au régiment commun implique donc une contribution supérieure à ce qu’ils doivent. Sommer répond au nom des Schwarzburg que « les Schwarzburg sont aussi surévalués dans la matricule, et ont toujours essayé d’obtenir une modération […] ; et si l’on n’accepte pas, du côté des Reuss, de maintenir la participation au tiers, cela suscitera de nombreuses difficultés de calcul40 », de sorte que la tentative des Reuss de remanier la répartition fait long feu. La résolution de l’empereur, qui autorisait en 1702 la mise en place du régiment commun, précisait d’ailleurs explicitement que ce surprélèvement ne devait pas faire précédent : « Et si l’entretien et le recrutement permanents [d’une armée] peuvent engendrer quelque dépassement de leur contribution matriculaire coutumière, cette contribution ne doit pas leur porter préjudice à l’avenir41. »
17La mise sur pied d’un contingent commun de 3000 hommes participe donc à accroître et à ancrer des pratiques de coopération et des circulations, entraînant plusieurs changements essentiels : elle pérennise d’une part, à l’échelle locale, un impôt extraordinaire à l’échelle impériale ; elle implique une conversion systématique en nature, puisqu’il est versé sous la forme d’hommes armés42 ; elle entraîne un surprélèvement structurel ; elle implique enfin un accroissement considérable de la coopération entre les deux Maisons et l’institutionnalisation de cette coopération.
18Mais ce fonctionnement à deux ne prend sens que sur fond d’un univers plus vaste, celui d’une scène impériale où se jouent à la fois le lien à l’empereur et le rapport aux autres états d’Empire. Les deux Maisons « s’assurent mutuellement d’une amitié constante et entendent persister ensemble de manière inaltérable dans leur fidélité et leur dévouement permanent envers S.M. Impériale, ainsi que dans leur zèle patriotique pour le bien-être de l’ensemble de l’Empire romain43 » : on voit très bien ici l’enchâssement des fidélités. De même, la préservation de leurs intérêts en tant qu’« états d’Empire de moindre puissance » et donc, de leur immédiateté d’Empire, est présentée comme prenant sens à l’échelle de tout l’Empire, dans le cadre d’une défense plus globale des états « faibles44 ». En d’autres termes, l’accroissement des coopérations entre les deux ensembles de pouvoir est intrinsèquement corrélée à leur fonctionnement dans l’espace impérial. Le pouvoir se construit donc moins dans des « territoires » qu’à d’autres échelles – celle de l’Empire, mais également celle des branches régnantes de chaque Maison – qui sont multiples et sans cesse entrelacées. Or ce trait s’enracine dans la fonction sociale de l’impôt d’Empire : si ces ensembles spatiaux fonctionnent dans et pour l’espace impérial, c’est que le geste du paiement n’est pas un simple transfert financier, mais qu’il actualise et rend manifeste un rang social, sur une scène impériale où tous les états s’observent mutuellement.
Scène impériale, zèle et logiques du don
19Payer l’impôt d’Empire aux diverses institutions chargées de le collecter fait agir et fonctionner ces espaces sur une scène impériale de manière réticulaire, beaucoup plus que comme des aires homogènes, étanches et délimitables. Cette scène impériale où se joue la performance publique de leur statut, de leur rang et de leur lien à l’empereur est l’espace propre dans lequel le geste du versement reçoit, pour les seigneurs, comtes et princes, sa signification. La faculté de l’impôt d’Empire d’être sans cesse converti de nature en argent et inversement entraîne les états d’Empire dans une logique du surplus, où l’impôt se perçoit et se dit comme un don, quantifié avec précision, et susceptible d’entraîner un contre-don sous forme politique45. Avances et retards dans le paiement attestent encore que le geste de payer est, pour les princes et comtes, un acte qui se joue sous le regard de tous les autres états d’Empire et de l’empereur, et où l’on doit sans cesse arbitrer entre logique du zèle, surveillance mutuelle et contraintes matérielles. Mais il y a plus, car les logiques concrètes du versement elles-mêmes, la mobilisation d’un réseau d’intermédiaires, marchands et serviteurs des « Maisons », font véritablement fonctionner ces entités en dehors d’elles-mêmes, dans un « extérieur » impérial sillonné de lignes ponctuées par les hauts lieux de l’Empire.
Conversions et compensations : labilités
20La fiscalité impériale est indexée sur les prestations en hommes armés qui sont dues par les états d’Empire au titre du lien vassalique, de sorte que l’impôt est versé tantôt en nature, sous la forme de soldats, tantôt sous une forme monétarisée. Cette fluidité et la possibilité permanente de la conversion offrent aux états d’Empire le moyen de faire déduire les versements en nature de leurs contributions en espèces, mais engendrent aussi des surprélèvements. Dans les deux cas, il en découle une extrême complexité de la comptabilité : l’impôt d’Empire n’obéit pas toujours au schéma narratif selon lequel, décidé par l’Empire et l’empereur, il serait ensuite exigé par les cercles et versé par ses membres à ce dernier, qui se chargerait d’en transmettre le produit aux institutions impériales, si bien que l’on pourrait tracer un circuit clair des flux financiers, depuis les contribuables jusqu’aux institutions impériales. Qui plus est, après 1700, négociations et versements tendent à s’opérer de manière de plus en plus directe entre les états et les institutions de l’Empire, en contournant l’intermédiaire du cercle.
21En 1663, le cercle de Saxe supérieure réclame la mise sur pied d’une armée sur la base du triplum : il s’agit donc de lever des hommes armés, correspondant au triple de ce que prévoit la matricule d’Empire. Chez les Schönburg, on réclame aussitôt du directeur de la régence commune de Glauchau qu’il « élabore une estimation de la part qui pourrait nous revenir pour cette aide à l’Empire, et prescrive un impôt correspondant dans les bailliages46 », dont le produit servira à financer douze fantassins et six cavaliers. Ce qui relève, à l’échelle impériale, de la mise sur pied d’une armée prend donc localement la forme d’un impôt monétarisé47 et Moser inclut bien dans la fiscalité d’Empire « tout ce que coûte à mettre sur pied et à entretenir le contingent d’un état d’Empire, en hommes, chevaux, artillerie et tout le reste, et qu’il doit mettre à disposition d’après un ordre impérial48 ».
22Inversement, lorsque l’empereur réclame une levée d’hommes en armes, les petits états demandent parfois à pouvoir contribuer en argent – c’est la « reluition » ; la plupart du temps, la prestation s’effectue alors auprès d’un « état armé », en l’espèce, bien souvent la Saxe49. Ces mobilisations d’hommes en armes et le logement de gens de guerre offrent aussi une marge de manœuvre pour réclamer une baisse des prestations en argent : en 1694, sur les 300 mois romains qui leur sont assignés (soit 19200 thalers), les Reuss cherchent à retrancher ce qui a été payé directement aux soldats saxons logés dans le territoire, et qui se monte selon leurs calculs à environ 18500 thalers. L’impôt d’Empire est donc ici reversé sur-le-champ et sur place par le biais des cantonnements, sans qu’il soit besoin de davantage d’intermédiaires : les comtes estiment qu’il ne leur reste à payer que 679 thalers50. On verra plus loin les difficultés entraînées vis-à-vis des contribuables par le fait que l’impôt consiste simplement dans l’entretien de soldats cantonnés sur place. Le statut du logement des gens de guerre est au demeurant extrêmement ambigu, mais Moser inclut bien dans sa définition des impôts d’Empire « tout ce que les troupes, de l’Empire, de l’empereur, ou encore alliées et auxiliaires, peuvent causer comme frais, en fourage ou en logement, dans un pays », à l’exception des excès auxquels ceux-ci peuvent se livrer51. Mais qu’en est-il d’un cantonnement de soldats saxons fait au nom de la défense de l’empereur et de l’Empire52 ? On entrevoit ici l’étendue des situations intermédiaires, peu claires du point de vue juridique, comme les conflits qui peuvent en découler.
En outre, la mise sur pied du contingent commun, qui, comme on l’a vu, représente un surprélèvement structurel par rapport aux contributions matriculaires, débouche sur de nombreuses tentatives des Reuss et des Schwarzburg d’obtenir des compensations ou une diminution de leurs contributions en numéraire. Il s’ensuit là encore des calculs d’une extrême complexité – non sans une certaine mauvaise foi. Lorsqu’en 1734, 30 mois romains sont consentis pour financer la guerre contre la France, le régiment commun vient d’être renouvelé et Reuss et Schwarzburg tentent ensemble d’obtenir une compensation53. Ils estiment les contributions totales des deux Maisons à quelque 8500 florins pour ces 30 mois romains54 ; or le recrutement des troupes, à lui seul, leur revient à 12000 florins : les dispenser de payer leur part en mois romains ne permettrait pas même de couvrir ces frais de recrutement, auxquels il faut de surcroît ajouter les frais d’entretien.
23Chez les Reuss, la décision est prise très rapidement de payer ce que l’on doit : le 13 février 1735 arrive l’ordre impérial de s’acquitter des 30 mois romains consentis par la Diète ; le jour même, le chancelier de Gera, Freiesleben, écrit à Heckenberg, l’envoyé des Reuss à Vienne, « [qu’] il paraît recommandé de se préparer dans tous les cas au paiement55 ». Il écrit également le jour même au conseiller privé et vice-chancelier de Rudolstadt, Ludwig Friedrich von Sommer, afin de s’enquérir de l’attitude des Schwarzburg, mais aussi de savoir « si l’on a des espoirs plus précis et plus certains » concernant la réussite de la négociation sur la compensation. Sa lettre fait apparaître un réel souci de ne pas être pris en défaut, et une crainte aiguë de l’exécution fiscale, qui impliquerait une perte de crédit auprès de la cour de Vienne56. La correspondance entre comtes de Reuss révèle la même préoccupation. Ainsi Heinrich de Reuss-Lobenstein :
Nous avons toujours été et sommes toujours d’avis, qu’il n’y avait rien à attendre d’une hypothétique compensation concernant le surplus des 300 hommes, de sorte que les frais engagés auront été dépensés en vain ; nous considérons donc qu’il faut se tenir prêt à payer les 30 mois romains, de sorte que ceux-ci puissent être versés immédiatement, dès la prochaine missive de Vienne, afin d’éviter d’avoir à subir une exécution, laquelle serait fâcheuse et hautement préjudiciable57.
24Les branches Obergreiz et Gera se conforment à cet avis, ainsi Obergreiz, le 4 mars 1735 :
Nous rappelons que nous avons d’ores et déjà envoyé la part d’Obergreiz pour la première échéance des 10 mois romains en juillet, en numéraire, à Gera […] et que nous avons toujours considéré que nous ne pourrions nous soustraire à cette contribution, étant donné la situation des affaires dans l’Empire […], nous allons donc nous tenir prêts à verser l’ensemble des 30 mois romains à tout moment et à faire mettre en œuvre sans délai le paiement de la part qui nous revient, sitôt qu’une décision commune aura été prise58.
25Le zèle des comtes à payer pour ne pas être pris en défaut, comme la hantise du discrédit, sont patents. Parallèlement se poursuit la négociation à Vienne, pour tenter d’obtenir la compensation. Le 2 mars, Praun, agent des Reuss au Conseil impérial aulique de Vienne, écrit aux comtes qu’il n’y a que peu d’espoir ; le recès d’Empire (Reichsgutachten) a interdit toute compensation à l’exception des territoires occupés par l’ennemi, et la requête des Schwarzburg a reçu une réponse négative59. La seule éventualité serait, selon lui, d’obtenir une compensation sur le prochain impôt. Mais il faut alors prendre garde « que d’autres états […] ne s’y agrègent, faute de quoi il n’en sortira rien, car, si les compensations se font trop nombreuses, la cour [de Vienne] ne pourra que s’y opposer60 ».
26Le 30 mars, Heckenberg rapporte, depuis Vienne, son entretien avec le vice-chancelier d’Empire Metzsch, qui lui a fait connaître la résolution impériale : l’empereur a reconnu le « zèle patriotique » des Reuss et des Schwarzburg et la nécessité que l’Empire leur offre en retour « quelque douceur », mais refuse toute diminution ou exemption des mois romains. Heckenberg oppose à Metzsch qu’une contribution en nature représentant le double de la contribution matriculaire est un témoignage de dévouement et que, s’ils contribuent en plus aux mois romains, le total de leurs dépenses se montera au triple de leur contribution matriculaire, de sorte qu’ils se verront « lésés et désavantagés par leur bonne volonté et leur zèle patriotique d’une manière tout à fait inouïe61 ».
27La négociation a parallèlement été prise en main directement par l’un des comtes, Heinrich III de Reuss, qui, se trouvant à Vienne, se charge de la défense des intérêts de la famille62 : il rencontre à plusieurs reprises, à cette fin, le prince Eugène et le vice-chancelier d’Empire Metzsch, à propos duquel il ajoute qu’« une petite douceur accélèrerait la résolution, car sans cela, on ne saurait ici rien obtenir63 ». Mais le comte de Metzsch n’est pas favorable à la requête, en particulier de crainte que cela ne cause « de nombreuses oppositions des autres états d’Empire ». Les comtes de Reuss prennent alors acte de l’impossibilité de la compensation et paient leur part courant avril. Le document n’est pas conservé pour Schwarzburg-Sondershausen, mais Schwarzburg-Rudolstadt paie également sa part aux 30 mois romains le 13 avril64.
On perçoit en permanence dans ces négociations la crainte des réactions des autres membres de l’Empire et le comte de Reuss voit même dans le refus de la compensation l’avantage « que l’on n’aura à craindre aucun reproche de la part des autres états d’Empire65 ». Ce souci permanent, réitéré dans presque tous les textes, de la réaction des autres états d’Empire à l’octroi d’une éventuelle compensation, de même que la crainte du discrédit qu’engendrerait un défaut de paiement, révèlent à quel point payer l’impôt d’Empire est un geste public, qui met en scène et actualise un statut sur la scène impériale. Ce geste, social, politique et diplomatique autant que financier, est soumis à une surveillance mutuelle rigoureuse qui contrôle que nul ne soit lésé ou ne jouisse de faveurs particulières. Le paiement de l’impôt prend ainsi sens sur le fond d’une compétition des états d’Empire – et surtout, des plus petits d’entre eux – pour la faveur de l’empereur. Cette compétition doit toutefois rester bornée, et l’on craint les jalousies. Le zèle mis par les petits états d’Empire à payer davantage que leur dû, afin de s’attirer la faveur de l’empereur, doit se mouvoir dans l’étroit espace d’une loyale concurrence avec les autres membres du corps impérial. En 1661, dans l’instruction du Dr Albert, conseiller des comtes de Reuss et représentant à la Diète de Ratisbonne des Schwarzburg, Reuss et Schönburg, il est précisé qu’il faut « s’en tenir aux 20 mois romains consentis » afin « de ne pas s’accorder à donner plus que les autres comtes de Wetteravie et leur porter ainsi préjudice66 ».
28Les surplus versés visent à se ménager la faveur de la cour de Vienne, à faire la preuve du zèle et du patriotisme impérial, mais la demande de compensation montre aussi que ce surcroît n’est pas engagé dans un cycle de surenchère permanente : le calcul demeure précis et l’on en attend un contre-don, que ce soit sous forme financière, symbolique ou politique. Comme dans le cas du courtisan français, « la concurrence pour les signes du prestige est ainsi, en même temps, une lutte pour les attributs et les avantages de la puissance sociale67 ». C’est pourquoi non seulement les montants, mais encore le rythme des versements font l’objet de stratégies politiques et sociales, et cet impôt labile se prête particulièrement bien à ces manœuvres.
Avances et retards
• Payer vite : le paradoxe de la supériorité dans la soumission
À tout le moins mes maîtres ont-ils l’honneur qu’il ne leur reste pas le moindre kreuzer impayé au titre des prestations d’Empire68.
29Payer à temps est une question d’honneur : c’est tenir son rang. Le paiement de l’impôt d’Empire met en jeu l’identité sociale des seigneurs, comtes et princes d’Empire et c’est la raison pour laquelle on les voit déployer maints efforts pour s’acquitter de leur dû. Pourtant, les difficultés de la collecte ou, plus généralement, les difficultés financières peuvent engendrer des retards conséquents. Payer en avance, à temps ou en retard est donc un arbitrage qui s’ancre chaque fois dans un contexte diplomatique et politique singulier, et qui mobilise différents paramètres : la situation politique générale de l’Empire et l’imminence d’une menace ; le besoin particulier d’une faveur de Vienne ou d’un autre état d’Empire ; la « scène impériale » et les relations aux autres états d’Empire – ainsi que la « moralité fiscale » de ces derniers, qui bien souvent sert de curseur ; et enfin, la crainte de l’exécution fiscale.
30La bonne « morale fiscale » des petits états d’Empire, souvent soulignée par l’historiographie, est confirmée par le souci récurrent des trois Maisons de payer leurs impôts d’Empire de façon ponctuelle, voire anticipée. Le comte de Reuss-Gera s’adresse ainsi le 3 juillet 1663 à chacune des deux branches de la Maison Schwarzburg pour leur faire part de la décision commune des Reuss de payer en avance les 50 mois romains d’aide turque : « Plus tôt ils seront levés et transmis, mieux ce sera » ; les Reuss entendent mettre la somme à disposition dès la saint Barthélémy (24 août) sans attendre l’échéance de la saint Martin (11 novembre)69. Les deux branches de la Maison Schwarzburg s’accordent également pour payer de manière anticipée. Deux ordres de considérations entrent en ligne de compte : l’espoir de se ménager la faveur de Vienne d’une part, mais également l’urgence d’une situation militaire qui inquiète. À l’été 1663, la nouvelle de l’avancée turque en Hongrie rend le paiement plus urgent encore et la situation est préoccupante à tel point que « l’on [i. e. la cour impériale] fait des rappels tout à fait pressants [ganz instendige erinnerung]70 ».
31Le souci de s’acquitter rapidement de ce que l’on doit prend aussi son sens par rapport à l’attitude et au regard des autres états d’Empire, sur cette scène impériale où se joue la performance d’un rang. La décision de payer ou de ne pas payer, et si oui, de savoir à quel rythme, est toujours insérée dans l’observation scrupuleuse de l’attitude des autres états d’Empire. C’est là ce que résume parfaitement une lettre adressée aux Reuss par leur chancelier commun Johann Samuel Brunner, le 20 octobre 1713 : on a reçu de Ratisbonne une « spécification » des sommes qui ont été effectivement versées par les états ; sur les trois millions qui ont été consentis, seuls 113 204 florins ont été encaissés et, d’après Brunner, sur cette somme « sans doute le contingent des Reuss est-il le seul qui ait été versé intégralement71 ». L’information circule donc, et l’on sait qui a payé quoi à quelle date. Brunner recommande que, face « aux longues tergiversations des autres états », au contraire les Reuss se pressent de s’acquitter de la quatrième échéance afin de faire la preuve de « leur zèle et [de] leur fidélité72 ». Mais il souligne dans le même temps les risques politiques que peuvent comporter un paiement trop rapide et une attitude trop zélée :
Il se peut aussi qu’un paiement trop prompt n’éveille, d’une part, la jalousie de ceux qui ont du retard dans leur paiement, et d’autre part, la présomption que les pays de Vos très Hautes Seigneuries et Excellences sont pourvus de riches sujets, ce qui pourrait avoir un effet désavantageux, en entraînant des cantonnements de troupes ou autres désagréments73.
32Le zèle est donc contraint par la surveillance des autres. Brunner suggère d’attendre six à huit semaines avant de payer la dernière échéance et, entre temps, « de se renseigner pour savoir comment les autres maisons comtales se comportent eu égard au paiement de leur contribution74 ». On notera que la mesure de l’action n’est pas un ensemble abstrait formé par le reste de l’Empire : l’allusion aux « autres maisons comtales » montre que cette scène impériale n’est pas uniforme et qu’elle est restreinte ici au groupe des comtes d’Empire.
33En juillet 1734, Obergreiz (Reuss) affirme vouloir « envoyer sa part au plus vite, car cette contribution a été accordée à l’assemblée de l’Empire par l’ensemble des états de façon unanime, qu’il pourrait en outre y avoir periculum in mora, et que la part qui revient à l’ensemble des Maisons Reuss n’est que de 586 thalers 16 groschens75 ». Mais Schwarzburg-Sondershausen considère qu’il « n’est pas si urgent de s’acquitter des 60 mois romains », quoiqu’il faille « prendre garde à ce que l’ensemble ne puisse être exigé d’un seul coup76 ». Obergreiz rétorque :
Il est notoire que ces 60 mois romains ont été consentis par l’Empire, sauf par quelques-uns des états les plus puissants, qui cherchent à obtenir une remise […] en arguant des dégâts qu’ils ont subis. Mais précisément ces prestations pourraient être exigées des autres états, les plus faibles, parmi lesquels notre Maison comtale […]77.
34On voit ici combien les « états de moindre puissance » se considèrent comme faisant partie d’un ensemble clairement identifié, et ce rang n’appelle ni ne permet les mêmes attitudes vis-à-vis de l’impôt que pour les états d’Empire puissants. C’est que l’enjeu politique n’est, en effet, pas le même.
Chez les petits états d’Empire, l’espoir d’une faveur de la cour impériale sous-tend presque systématiquement le souci de payer rapidement. En février 1738, alors que Reuss-Lobenstein affirme « que l’on paiera sans délai la part qui nous revient, sitôt que la notification sera envoyée par l’office du prince convoquant78 », Ebersdorf va plus loin encore dans l’anticipation :
On est ici d’avis qu’il ne faut pas attendre le monitorium de l’office du prince convoquant concernant ces 50 mois romains, mais qu’il faudrait envoyer aussi tôt que possible à Vienne la somme de notre Maison, afin de ne pas gâcher l’occasion de se ménager par là un mérite particulier auprès de la cour de l’empereur : quel ne sera pas le gain pour la réputation de notre Maison, si l’on peut répondre, quand le monitorium de l’office du prince convoquant arrivera, que les parts de la Maison comtale de Reuss aux 50 mois romains consentis à l’Empire ont déjà été payées à Vienne79.
35Et de fait, l’envoyé des Reuss à Vienne, Heckenberg, rapporte à la fin de février 1738 que :
Son Excellence [le vice-chancelier d’Empire] nous a assuré que Sa très haute Majesté Impériale non seulement a loué, comme il est juste, le fait que la haute Maison comtale des Reuss en particulier se soit montrée si prompte et zélée à prouver par ses actes son très humble dévouement et sa fidélité, mais encore qu’elle veut conserver le souvenir de ce service que Vos très nobles Seigneuries ont témoigné pour le très haut intérêt de l’empereur80.
36En 1740 encore, le vice-chancelier promet aux Reuss de vanter leur dévouement (Devotion) auprès de l’empereur. Payer vite sert donc à manifester aux yeux des autres états d’Empire d’une part, directement à l’empereur d’autre part, une « fidélité » et un « dévouement » (Treue und Devotion) qui contribuent à réactualiser le lien direct à l’empereur et, partant, à matérialiser l’immédiateté d’Empire. Ce zèle à s’acquitter des impôts est enfin parfois le moyen d’obtenir un contre-don politique immédiat : en 1742, au moment de la guerre de Succession d’Autriche et alors que la couronne impériale échappe brièvement aux Habsbourg, les deux branches de la Maison Schwarzburg s’empressent de payer leur part aux 50 mois romains en une seule fois, « car sans aucun doute, Sa Majesté Impériale n’en sera que plus encline à favoriser l’introduction, depuis si longtemps désirée, au vote et au siège dans le conseil des princes pour moi-même et pour ma Maison princière81 ». Les Schwarzburg tentent donc de tirer parti de la nouvelle configuration politique de l’Empire pour obtenir un changement de collège à la Diète qui sanctionnera publiquement leur élévation de rang82.
37Les textes montrent bien que le zèle à payer départit le geste de sa dimension financière et qu’il recèle avant tout, pour les comtes et princes, une signification symbolique, politique et sociale, qui permet de dépourvoir la fiscalité de son caractère ordinairement stigmatisant. L’acquittement de l’impôt d’Empire qui proclame l’allégeance à l’empereur procède en cela d’une logique analogue à celle du « paradoxe de la supériorité dans la soumission » et de la « distinction par la dépendance » (R. Chartier83) que Norbert Elias analysait au sujet des aristocrates de la cour de Louis XIV :
[Le courtisan] ne se rendait pas à la cour parce qu’il dépendait du roi, mais il acceptait sa dépendance par rapport au roi parce que seule la vie à la cour et au sein de la société de cour lui permettait de maintenir son isolement social par rapport aux autres, gage du salut de son âme, de son prestige d’aristocrate de la cour, en d’autres mots, de son existence sociale et de son identité personnelle84.
38De même, le comte d’Empire ne paie pas ses impôts en avance et intégralement parce qu’on l’y oblige, mais accepte cette obligation parce que ce paiement est le gage de sa distinction et de son prestige : ce qui se joue dans cette soumission volontaire, c’est avant tout l’affirmation d’une identité sociale. Tous les textes émanant de la chancellerie impériale soulignent le risque, politique et social, encouru par les mauvais payeurs : rompre la solidarité, et donc le lien, avec le reste de l’Empire, se mettre soi-même hors du corps impérial. Si ces menaces sont peu efficaces auprès des états puissants, les petits immédiats ont besoin de ce lien à l’Empire et à l’empereur, non seulement pour des raisons politiques, comme l’a souvent souligné l’historiographie, mais encore pour des raisons sociales. Affirmer ce lien est affaire de distinction vis-à-vis des noblesses territoriales, une distinction dont les grands États territoriaux n’ont nul besoin – alors qu’ils ont bien, sur le plan politique, besoin de l’Empire et de l’empereur85.
39Que ce soit, donc, par « patriotisme impérial » en raison de l’imminence d’un danger, par crainte de l’exécution fiscale et de la menace symbolique qu’elle représente, par souci d’être bien vu de Vienne, d’entrer en compétition avec les autres états d’Empire, ou encore dans l’espoir d’obtenir de l’empereur quelque faveur particulière, payer l’impôt impérial de façon rapide est une manière de rendre public son rang sur une scène impériale elle-même hiérarchisée et différenciée. Comme l’entretien d’une cour, le paiement de l’impôt d’Empire ne prend donc pas, de façon primordiale, son sens dans le « territoire », mais en dehors de lui86 et renforce son extraversion. Pourtant, comtes et princes ne paient pas toujours en avance, ni même à temps et de nombreuses raisons les en dissuadent ou les en empêchent.
• Retards
40Les retards de paiement peuvent être liés à plusieurs ordres de causes : la lenteur des communications à tous les niveaux et les difficultés matérielles de la levée et du transport de l’argent – des sujets mauvais payeurs, des difficultés à trouver du crédit ou encore à se procurer de bonnes monnaies – suscitent des obstacles techniques. Mais le retard tend parfois à la stratégie dilatoire organisée, en particulier lorsque l’on attend de savoir si et quand les autres états paieront, afin de s’aligner sur eux. La décision de payer vite ou non obéit donc à un contexte politique au sens large, qui prend en compte et évalue l’ensemble de ces variables. Les petits états ne sont pas systématiquement bons payeurs, mais ajustent chaque fois leur action à une configuration spécifique.
41On paie rarement sans s’être informé au préalable de la conduite des autres états. Le chancelier commun des Reuss, Johann Samuel Brunner, écrit ainsi le 24 mars 1713 qu’il a réparti le premier million de thalers sur les quatre consentis par les états, car la première échéance est passée le 6 mars ; mais il attend encore « d’avoir une information fiable sur la manière dont les autres états, et particulièrement les plus puissants, se comportent en la matière », tout en estimant préférable que la répartition soit faite, afin que le paiement puisse être effectué rapidement si besoin et que toute menace d’exécution soit évitée87. En juin, Brunner recommande un paiement rapide, faute de quoi sont à craindre « soit une exécution rapide, si l’on tarde davantage, soit une mainmise [Vertretung] des [états] les plus puissants, par le biais des assignations, ce qui porterait atteinte aux droits des états faibles de l’Empire et représenterait un grand préjudice88 ». On ne craint donc pas seulement le discrédit auprès de l’empereur : le retard de paiement peut être l’occasion d’un coup de force de la part des états plus puissants.
42C’est sans doute aussi ce qui explique que les impôts d’Empire de faible montant et dépourvus d’enjeu géopolitique soient si mal payés, comme les quelques mois romains consentis dans le premier tiers du xviiie siècle pour l’entretien des forteresses de Philippsburg et Kehl89. Au mois d’août 1716 arrivent les premiers rappels envoyés par l’office du prince convoquant du cercle : l’impôt était dû pour le mois de juin et, en septembre, ni les Schönburg, ni les Schwarzburg, ni les Reuss ne l’ont payé90. Le chancelier commun des Reuss, Johann Samuel Brunner, redécouvre d’ailleurs en 1716, à la faveur de cet impôt, l’ensemble des impayés depuis 170391. Le document est précieux, car il est rare que les administrateurs éprouvent ainsi le besoin de faire la synthèse, sur plus d’une décennie, de ce qui a été exigé d’eux et de ce qu’ils ont effectivement payé en impôts d’Empire : il y a une vraie difficulté à entretenir une mémoire fiable des prélèvements exigés et de ce qui a été acquitté ou non. Il semble que comtes et princes paient quand ils le peuvent, mais « oublient » leur dû lorsque celui-ci n’est pas réclamé ou que l’urgence de la situation est passée : les Reuss se sont acquittés des six mois romains consentis en 1703 ; en revanche, les 300000 florins consentis en octobre 1707 n’ont même pas été répartis dans le territoire, et ce, parce qu’un nouvel impôt d’un million de thalers a été consenti dès février 1708 (§ 2). Ce dernier, au reste, n’a été acquitté que partiellement (§ 3). Les quatre millions de thalers consentis en 1713 ont, eux, bien été répartis et versés à Francfort (§ 4 et 5). Mais en 1714, sur les cinq millions de thalers exigés, une seule des cinq échéances a été répartie et sur ce million, deux contingents n’ont pas été versés, « car on s’est aperçu que les autres princes et états étaient aussi passés complètement outre le paiement de cet impôt92 ».
43Brunner effectue donc, sur la demande des comtes, un nouveau bilan des reliquats : sur un total de 11343 florins et 8 kreuzers, les comtes de Reuss se sont acquittés de 8557 florins 23 ¼ kreuzers, et les impayés se montent donc à 2785 florins 36 kreuzers. Même lorsque les retards de paiement sont importants, les comtes demeurent relativement bons payeurs et ce d’autant plus qu’ils s’acquittent effectivement des 2785 florins restants, après avoir tenté en vain d’obtenir une compensation au titre du régiment commun. Enfin, Brunner conclut son tableau synoptique des prélèvements en suggérant de s’informer auprès des autres états – ici Gotha et Schwarzburg – afin de savoir ce qu’ils ont payé. Si la branche Untergreiz acquiesce à l’idée, la branche Ebersdorf craint, pour sa part, qu’en se renseignant on ne rende visibles les retards et que l’on ne s’attire une exécution de la Saxe93 et l’on voit ici, de manière inversée, les craintes que peuvent entraîner la visibilité et la surveillance mutuelle des états entre eux.
44On observe un fonctionnement analogue chez les Schwarzburg : à la faveur des 2 mois romains consentis en 1733, l’électeur de Saxe réclame au nom du cercle le paiement des prestations demeurées impayées de 1716, 1728 et 1732. Mais ce n’est qu’en 1750 que les Schwarzburg s’acquittent pleinement de leur dû : on s’aperçoit alors que « les actes révèlent que la décision de payer a bien été prise, mais que l’assignation n’a jamais été expédiée94 ». Défaut de la procédure administrative, stratégie dilatoire liée à la situation financière ou à la configuration des relations diplomatiques, toujours est-il que, là encore, les Schwarzburg s’acquittent bien, quoique avec vingt à trente-cinq ans de retard, de leur dû.
45L’empressement à payer ou le retard structurel sont avant tout affaire de conjoncture singulière. L’un des freins majeurs au paiement rapide est la mauvaise volonté des sujets. Pourtant, les comtes et princes ne font presque jamais allusion à la « rénitence » (Renitenz) des sujets lorsqu’ils souhaitent exposer à l’empereur ou à ses représentants les raisons pour lesquelles ils ne sont pas en mesure de payer à temps : dire publiquement la résistance des sujets, c’est s’exposer au risque d’avouer un déficit de légitimité. Bien plutôt, comtes et princes usent d’un discours en apparence identique en tout point à celui des suppliques des contribuables qui réclament un allègement ou un délai de paiement. Les sujets deviennent alors de « pauvres sujets » (arme Unterthanen), voire des sujets « appauvris » (verarmte Unterthanen) et, plus souvent encore, des sujets « énervés » (enerviert). À la rhétorique des patentes impériales, décrivant par le menu les dangers imminents qui menacent l’ensemble de l’Empire voire, pour le cas des guerres turques, la chrétienté tout entière, font pendant les discours de la misère qui réclament sursis et dégrèvements.
• Discours de la misère
46Ces discours sont caractérisés par l’insistance sur les catastrophes naturelles – incendies, mauvaises récoltes – et les malheurs de la guerre. Stéréotypés, ils laissent cependant une place à la description d’une situation réelle et font appel à un sens de l’équité qui souligne toujours le refus de surprélever les sujets. En 1661, lorsque les trois Maisons proposent à l’empereur de manière volontaire un paiement anticipé de 20 mois romains, leur adresse comporte les éléments habituels du discours sur le danger turc et sur l’imminence de la menace qu’il représente : dans le cadre d’un texte qui propose une contribution spontanée à l’effort de guerre, ce n’est guère surprenant. Mais les trois Maisons font aussi à cette occasion la description des malheurs qui ont rendu leurs sujets difficilement solvables : la guerre de Trente Ans les a épuisés, et ses conséquences économiques et démographiques n’ont pas encore été surmontées95. Ils rappellent même les difficultés qu’ils ont eues à payer les 100 mois romains consentis en 1648, près de quinze ans plus tôt. Les guerres suivantes sont également évoquées, en particulier la traversée des troupes impériales depuis la Poméranie et la Bohême. Une fois les misères de la guerre évoquées, les auteurs du mémoire passent à la description des aléas et catastrophes naturels : le mois a été marqué par des inondations « telles qu’on en n’a jamais connues de mémoire d’homme » ; outre les dégâts matériels qui ont été causés (destruction des maisons, des ponts, des moulins), elles ont gâté les récoltes de céréales, de fruits mais aussi de foin – le texte est daté du 17 août – de sorte que de nombreux sujets sont menacés de ne pouvoir passer l’hiver. En conséquence de tout cela, il est impensable d’exiger d’eux un prélèvement fiscal important. Pourquoi cette convocation du discours de la misère, alors même que les trois Maisons se proposent d’elles-mêmes pour un paiement anticipé ? Sans doute faut-il imputer ce passage à la volonté des trois Maisons de désamorcer les « apparences de richesse » qui pourraient leur valoir, de la part des autres états comme de celle de la cour impériale, des tentatives de surprélèvement. Mais ce discours précise également la signification du don fiscal anticipé : c’est un don qui coûte – le sacrifice n’en est que plus noble – et qu’il ne faut pas imputer à une aisance.
47Ce même discours de la misère peut aussi être utilisé pour justifier une difficulté à payer. Ainsi, en 1690, lorsque les Schwarzburg tentent de négocier un étalement des paiements auprès de la Saxe : trois villes ont subi des incendies et sont par là « rendues incapables de toute contribution ». L’envoyé des Schwarzburg à Dresde, Cellarius, fait savoir à l’électeur « de quelle façon les sujets Schwarzburg ont été exposés et affaiblis par les nombreuses troupes qui ont traversé le territoire jusqu’à présent, leur logement, les subsides qu’ils ont dû leur payer, les mauvaises récoltes qui sont survenues, ainsi que d’autres malheurs, à tel point que devoir supporter la double charge de la guerre présente le risque d’être pour eux un fardeau terrible, voire de leur être impossible96 ». Cellarius demande le retrait des troupes saxonnes afin d’éviter aux « sujets énervés » d’être exposés à une ruine totale. Dans ces discours, les contribuables apparaissent comme de « pauvres sujets », fragiles objets de prélèvements multiples, christiques dans leur pauvreté – aux antipodes du sujet rebelle et rénitent : nous verrons qu’il ne s’agit là que d’une de leurs nombreuses facettes.
Concrètement, cette difficulté à lever l’impôt sur les sujets « énervés » est contournée le plus souvent par le recours au crédit. En août 1663, le chancelier d’Arnstadt écrit aux chanceliers d’Ebeleben que le paiement
est rendu difficile par le fait qu’il est impossible de lever de l’argent : la période de récolte a commencé et les sujets sont dans la misère ; et nous ne pouvons dire avec certitude si nous serons en mesure de les lever en recourant à un prêt, mais nous nous efforcerons dans ce sens et rapporterons bientôt ce à quoi nous sommes parvenus97.
48De même, le chancelier de Schwarzburg-Rudolstadt qui, après avoir dépeint les difficultés de la levée de l’impôt sur les sujets conclut en 1691 : « Comme on nous menace d’une exécution militaire, nous pourrions être contraints de lever une certaine somme en contractant un prêt, car dans un délai si court, l’argent ne pourra pas être rassemblé98. »
Le versement de l’impôt impérial ne met donc pas seulement en jeu les contribuables, les princes et comtes des trois Maisons, et les institutions du cercle et de l’Empire. Il s’appuie aussi sur tout un réseau de lieux et d’intermédiaires, dans et hors des « territoires » parfois partagés par les trois Maisons. Non seulement, donc, le paiement de l’impôt d’Empire est un geste social et politique qui prend son sens sur une scène impériale scrutée par tous les membres de l’Empire, mais encore il fait véritablement fonctionner ces entités au-delà de leurs frontières. Il entraîne un ensemble de circulations d’hommes et d’argent dans un espace structuré par un réseau de personnes mobiles et dont les points nodaux sont les hauts lieux de l’Empire.
Lieux, réseaux et monnaies : circulations et diffusion hors du « territoire »
Hauts lieux : Ratisbonne, Francfort, Vienne
49Payer l’impôt d’Empire implique de faire circuler l’argent jusqu’à sa destination, qu’il ait été levé sur les sujets en espèces sonnantes et trébuchantes, ou qu’il soit avancé par un tiers. Comme on l’a vu précédemment, avec l’obsolescence du cercle de Saxe supérieure et les évolutions du paiement de l’impôt à l’échelle impériale, Leipzig et secondairement Dresde, qui étaient jusqu’aux années 1680 les destinations principales des deniers collectés, et quoiqu’elles aient parfois déjà été contournées durant cette période, perdent progressivement leur fonction de villes de dépôt principales. Ainsi s’établit un lien direct avec les hauts lieux de l’Empire – lien direct qui est lui aussi symbole et manifestation publique de l’immédiateté d’Empire. Car les trois villes qui sont les destinataires possibles de l’impôt d’Empire sont fortement investies de capital symbolique impérial : Ratisbonne, où siège la Diète d’Empire – capitale de l’Empire en ce sens, et centre névralgique de l’échange d’informations politiques99 ; Francfort, ville d’Empire, ville de foire, mais surtout ville du couronnement de l’empereur ; et enfin, Vienne, résidence et cour de l’empereur100. D’autres villes apparaissent, mais seulement de manière plus ponctuelle, telle Nuremberg – au demeurant ville des insignes impériaux.
50Il s’ensuit durant les quatre premières décennies du xviiie siècle une incertitude fréquente sur le lieu où il faut payer comme sur les institutions ou personnes chargées de collecter les impôts. Cela pose tout particulièrement problème lorsque l’on souhaite payer rapidement. En juillet 1734, lorsqu’il faut payer les 30 mois romains consentis le mois précédent pour la caisse des opérations militaires de l’Empire, on ne sait pas dans quelle ville il faut acheminer l’argent : Günther de Schwarzburg-Sondershausen propose de payer à la caisse de l’Empire à Ratisbonne, « si entre temps aucune autre ville de dépôt n’est spécifiquement nommée101 ». Tous ces éléments soulignent aussi la difficulté matérielle qu’il peut y avoir à payer vite – difficulté qui explique pour partie les retards de nombreux états dans l’acquittement de leur dû. De même chez les Reuss dès le 28 juin 1734, où le comte de Reuss-Lobenstein charge le conseiller commun, à cette époque Johann Georg Döhler, de s’enquérir auprès du conseiller Keipf, représentant à la Diète de Ratisbonne, pour savoir « quand, où et à qui il faudra payer cet argent102 ». Quelques jours plus tard, le comte de Reuss-Untergreiz estime pour sa part « qu’il n’y a nul doute que cette somme doive être envoyée à Ratisbonne, aux receveurs qui y ont été nommés car, le rétablissement du cercle de Saxe supérieure n’ayant pas encore eu lieu, la ville de dépôt habituelle ne saurait être utilisée103 ». Quand bien même le lieu de paiement est fermement établi, il arrive que l’on ne sache pas, concrètement, à qui verser l’argent. Le 25 juillet 1713, le chancelier commun des Reuss, Johann Samuel Brunner, écrit aux comtes que l’argent a commencé d’être acheminé, par l’intermédiaire de marchands, à Francfort ; la destination géographique semble ici univoque. Mais il y a vacance institutionnelle, parce que le maître du Denier d’Empire n’a pas encore été nommé, que ni le maire, ni le conseil de la ville de Francfort ne veulent se charger de récupérer l’argent, et que le receveur de la caisse des opérations de l’Empire n’a pas encore été désigné104. Or l’argent a déjà été en partie payé aux marchands chargés de l’apporter à Francfort, le reste est encore à Gera, et Brunner ne sait qu’en faire.
Ces différents lieux de paiement posent également l’épineux problème des monnaies105 : en raison des frais de change, qu’il soit monétaire ou par lettre, les états essaient parfois de négocier un lieu de paiement alternatif. C’est le cas en 1738, lorsque les 50 mois romains consentis pour la guerre contre les Turcs doivent être versés à Vienne. Johann Friedrich von Freiesleben, chancelier commun des Reuss, écrit à ces derniers le 7 janvier 1738 : « Le fait que le paiement doive être effectué à Vienne est extrêmement problématique s’il doit être fait en monnaies courantes de là-bas, en raison de l’agio106. Je vais me renseigner à Francfort et à Ratisbonne, afin de savoir ce qu’en pensent les autres co-états107. » Le représentant des Reuss – qui est aussi celui des Schwarzburg – auprès du Conseil impérial aulique à Vienne, Dietrich Adolph von Heckenberg, répond le 1er février à Freiesleben :
Entre-temps, il n’y a finalement rien à espérer de la proposition de payer les 4400 florins soit à Ratisbonne, soit à Nuremberg : les deniers doivent être transmis ici. Plusieurs états d’Empire se sont déjà présentés avec cette proposition, mais on ne l’accepte nullement, et comme [le vice-chancelier d’Empire] m’en a fait part, ce matin encore, la même réponse a été faite à l’envoyé du prince d’Ansbach, que ces deniers doivent être payés ici, en échange de la quittance du sieur baron de Glandorff108.
51Or ces cinquante mois romains devaient être versés sous six semaines à compter de la ratification, ce qui représente, comme le souligne Freiesleben, un délai très court : lieux, monnaies et délais sont étroitement corrélés et si le paiement immédiat à Vienne, Francfort ou Ratisbonne recèle certains avantages politiques, il comporte souvent de nombreuses difficultés en termes de conversion.
Monnaies
52Le problème de la conversion et de la qualité des monnaies peut entraîner des retards, en particulier si le caissier d’Empire refuse les monnaies mauvaises ou dévaluées. Les ordres impériaux prescrivant l’impôt précisent presque toujours que le paiement doit être effectué en « bonnes monnaies », mais sans les énumérer, ce qui laisse une certaine latitude. En temps de désordres monétaires, la négociation se fait âpre.
53« Et certes à l’office de la caisse [des opérations militaires d’Empire], on a de nouveau haussé les épaules109 » : le représentant des Reuss – et de bien d’autres états d’Empire – à la Diète de Ratisbonne, Keipf, clôt sa négociation avec le caissier d’Empire au terme de plus de six semaines (de novembre à décembre 1736) durant lesquelles le caissier d’Empire n’accepte que de mauvais gré les monnaies en cours de dévaluation présentées par Keipf. Le caissier d’Empire finit par accepter le paiement sur le double argument que la dévaluation n’a pas encore officiellement eu lieu et qu’un refus pourrait entraîner une suspension des paiements ultérieurs. La quittance délivrée note de ce fait que le paiement a été effectué « en toutes sortes de monnaies110 ».
54Le problème de la qualité des monnaies ne se pose d’ailleurs pas seulement au niveau des institutions d’Empire : tout le réseau des intermédiaires qui interviennent dans le transport de l’argent, marchands et banquiers, est concerné. En 1713, le chancelier commun des Reuss, Brunner, dans sa lettre aux comtes, les prie « que le paiement soit effectué dans des monnaies qui sont acceptées par les marchands, afin que l’envoi de ces deniers ne soit pas retardé par un quelconque refus111 ». Le banquier Pflüger, à Nuremberg, qui est en charge des affaires financières de la Maison Schwarzburg, se plaint régulièrement de la mauvaise qualité des monnaies envoyées par les comtes ; ainsi au chancelier de Sondershausen en 1756 :
J’ai certes bien reçu les deniers que vous m’avez envoyés, je les ai examinés et je n’ai rien à y redire, hormis quelques 34 [kreuzers112] défectueux et 11 [kreuzers] dévalués. Mais nous ne pourrions vous décrire le mal qu’il nous en a coûté de démêler ces monnaies et de les mettre en ordre, d’autant que ces espèces sont bien trop mauvaises pour ce type de paiement et que l’on ne pourra en aucun cas effectuer la conversion en monnaies viennoises en dessous de 24 % [sic] étant donné le cours élevé des commissions113.
55Et de nouveau, en juin 1757, où la qualité de la monnaie devient plus explicitement encore le reflet de la qualité de l’échange lorsque le paiement se fait par lettre de change :
Seulement vos Altesses nous permettront de leur faire savoir que, comme nous en avons précédemment fait l’humble remarque, de telles petites monnaies, en partie véritablement mauvaises, comme les kreuzers et les schillings, sont de celles avec lesquelles ici on traite les pauvres gens de la campagne, et ne sont pas appropriées pour le paiement par change114.
56Le paiement de l’impôt met en jeu tout un monde d’intermédiaires et de passeurs, disséminés dans l’Empire, mais toujours liés au territoire d’une manière ou d’une autre. Deux types de personnes sont chargées de transporter, convertir et payer l’impôt aux divers lieux et institutions de l’Empire : les administrateurs et hommes « d’État » au service des princes et comtes d’un côté, les marchands, banquiers et créanciers de l’autre. Ils constituent deux mondes relativement étanches l’un à l’autre, quoiqu’ils soient, en permanence, en contact, et les banquiers et marchands interviennent dans une relation inégale avec les administrateurs des trois Maisons comtales et princières : il se joue souvent dans ces interactions des querelles de rang et de statut. Et si donc les seigneurs, comtes et princes se préoccupent avant tout de payer vite pour « se faire un certain mérite auprès de la cour de Vienne », leurs administrateurs prennent en charge l’ensemble des aspects techniques du paiement ; outre les questions monétaires, il leur revient de mobiliser le réseau des intermédiaires chargés de rendre possible le transport et le paiement de l’argent. Or ces intermédiaires sont, pour la plupart d’entre eux, à la fois rattachés au « territoire », au sens où ils relèvent d’une manière ou d’une autre de lui, et physiquement hors de lui.
Intermédiaires et réseaux
• Marchands, banquiers et créanciers
57Lorsque les sujets s’avèrent insolvables ou que l’on souhaite payer vite, les seigneurs, comtes et princes recourent à l’emprunt. À l’issue de la guerre de Trente Ans, en 1651, le comte de Reuss-Gera, pour payer les « impôts de guerre de sa portion », emprunte ainsi 4034 florins 7 groschens 5½ deniers auprès d’un marchand de tissus de Leipzig, Justus Christian Amelung, né à Gera115. En 1654, celui-ci n’a pas recouvré son capital, alors que les échéances de paiement qui avaient été prévues (novembre 1652, novembre 1653 et novembre 1654) se sont toutes écoulées, à l’exception de la troisième et dernière. Après plusieurs tentatives infructueuses auprès du conseiller curial et directeur de la caisse des impôts, le Dr Christoph Limmer, Amelung s’adresse parallèlement au comte de Reuss-Gera et au Dr Limmer116. Il explique qu’il a été contraint d’emprunter à son tour ; alors qu’il avait accepté d’avancer l’argent de l’impôt sans intérêts jusqu’en 1654117, son crédit de marchand et son honneur sont désormais menacés – et par conséquent, sa subsistance (Nahrung). Nul n’a voulu intercéder en sa faveur : « L’un s’excuse au motif qu’il n’aurait pas d’audience auprès du seigneur docteur [Limmer], l’autre, parce qu’il ne veut pas importuner un ami aussi important118. » Amelung finit par se rendre en personne à Gera en octobre 1655119, sans plus de succès. Ses lettres oscillent entre la posture d’humilité déférente d’un créancier paradoxalement redevable, inversant le langage de la dette, et des réclamations toujours plus pressantes, où pointe parfois l’indignation. Les paiements s’opèrent encore majoritairement à Leipzig lors des foires – aussi bien les remboursements des Reuss à Amelung que les nouveaux emprunts qu’Amelung est obligé de contracter, ce qui confirme le rôle de Leipzig comme place financière montante, qu’elle cumule encore, à cette époque, avec le rôle de « ville de dépôt » des impôts d’Empire120.
58Mais les marchands sont aussi ceux qui rendent possible le transfert de l’argent vers sa destination, quelle que soit la manière dont celui-ci s’opère. La première moitié du xviiie siècle étant marquée par une diversification des lieux de paiement de l’impôt, l’horizon des réseaux d’intermédiaires mobilisés se fait plus vaste. Le cas le mieux renseigné est celui du conseiller de commerce Breuning. Né en 1672 en Thuringe, il dirige une maison de commerce, spécialisée dans les draps d’Allemagne centrale, située à Ratisbonne, où il se marie en 1722. Il possède deux filiales, l’une chez les Reuss à Greiz – siège d’une importante production textile – et l’autre à Wunsiedel en Bavière. Il laisse à sa mort un patrimoine de 300000 florins. Il s’occupe régulièrement du transfert des impôts d’Empire des Reuss, de Greiz à Ratisbonne, en particulier dans la première moitié du xviiie siècle. En 1735, le comte de Reuss-Lobenstein écrit ainsi, au sujet des 20 mois romains consentis pour la caisse des opérations militaires qu’il a résolu
de transmettre les parts d’ici, en numéraire, par la présente, comme cela a été exigé auparavant, au conseiller de commerce Breuning à Greiz, et de donner ordre qu’il transmette la somme totale de 2640 florins rhénans, soit 1760 thalers, conformément au vote du 13 de ce mois, au conseiller et légataire Keipf à Ratisbonne, dans de telles espèces, et je ne doute pas que nos chers seigneurs cousins transmettront leurs propres parts au conseiller de commerce susnommé121.
59L’argent levé par chacun des comtes régnants est donc rassemblé une première fois à Greiz, par Breuning, chargé de le faire parvenir au légataire Keipf, à Ratisbonne. Lorsque le paiement doit s’effectuer à Francfort, où les comtes n’ont pas de représentant permanent, on passe par un nouvel intermédiaire marchand : en septembre 1735, la quittance du banquier Christian Rhost précise que les 88 florins versés au titre du mois romain consenti pour le prince Eugène « m’ont été payés en espèces aujourd’hui au nom de Johann Georg Breuning et consorts de Ratisbonne, par l’intermédiaire du sieur Johann Ludwig Harscher, ici même. Francfort-sur-le-Main, le 12 septembre 1735122 ». Johann Ludwig Harscher (1674-1757), issu d’une famille de commerçants bâlois et auparavant commerçant de rubans de soie, s’est installé comme banquier à Francfort à la faveur des guerres franco-allemandes. Il sera nommé conseiller commercial de l’électeur palatin et ses fils sont agrégés à la chevalerie d’Empire en 1760123. Mais de cette multiplication des intermédiaires et des opérations découlent à la fois une multiplication des frais et une multiplication des possibilités de la divulgation des arcanes, ce qui ne va pas sans susciter des tensions.
• La maison Pflüger
60Alors que chez les Reuss, à l’exception de Breuning, les intermédiaires marchands sont assez fluctuants, la maison Pflüger, à Nuremberg, prend en charge les affaires financières des Schwarzburg pendant au moins cinq décennies, entre 1707 et 1757124. La correspondance entretenue par les Pflüger père et fils tisse un réseau avec l’ensemble des administrateurs des Schwarzburg, aussi bien dans le territoire qu’en dehors de lui, mais aussi avec certains administrateurs des Reuss125. Pflüger est, en effet, en relation avec le conseiller curial Ernesti, à Sondershausen, et le conseiller curial Schwartz, à Rudolstadt ; avec les agents Straube et Lemmerhird, à Ratisbonne (et à Vienne) ; avec l’envoyé des Schwarzburg à Dresde, Vockel ; avec l’envoyé à Vienne, qui est aussi celui des Reuss, Dietrich Adolph von Heckenberg126 ; enfin, avec le chancelier commun des Reuss, Johann Friedrich von Freiesleben.
61La correspondance concerne aussi bien les questions strictement financières propres au territoire – paiement des mois romains, cours des monnaies, qualité des versements, paiement des gages des différents intermédiaires – que des échanges d’informations plus générales, essentiellement politiques : on y commente l’avancée des armées, la politique des grands états d’Empire et, de manière générale, tous les événements marquants ; elle est aussi économique, et l’on s’y tient au courant des cours de certaines marchandises, comme le coton127. Enfin, Pflüger sert de relais pour des échanges de biens, moins pour les comtes eux-mêmes que pour leurs administrateurs, et fait parvenir à qui une montre, à qui un coffre, à qui un miroir, depuis la France et la Suisse. La banque Pflüger, à Nuremberg, hors du territoire, sert donc de point d’appui à toutes les affaires financières et au commerce de luxe des deux branches de la Maison Schwarzburg. Par sa volumineuse correspondance avec l’ensemble des représentants de la Maison disséminés dans l’espace impérial, elle représente un point nodal du réseau Schwarzburg dans l’Empire.
62Mais les relations entre administrateurs et marchands banquiers sont parfois tendues. Le conflit qui oppose à l’été 1757 le banquier Pflüger à Friedrich Ernst Lemmerhirdt, représentant des Schwarzburg à Vienne, rejoue, de manière plus exacerbée encore, un conflit de rang que l’on pouvait deviner en filigrane dans l’affaire Amelung. Pflüger était chargé de faire parvenir à Vienne, à Lemmerhirdt, un paiement de 2000 florins destiné à la caisse des opérations militaires128. Pour une raison que la documentation ne permet pas d’établir puisque le banquier se refuse à toute explication précise, le paiement n’est pas passé par l’intermédiaire de Lemmerhirdt. Il a donc été retardé et cela a porté préjudice à l’image de la Maison Schwarzburg, dont le zèle n’a pu être apprécié. Lemmerhirdt écrit :
Je ne saurais endurer les reproches d’un marchand, je n’ai pas pour habitude de lui ouvrir mon opinion, j’ai exigé que cette affaire soit menée avec zèle, et cet homme a anéanti tout ce que nous avions concerté, et je ne pourrais pas garantir que le Seigneur de Plotho sache, aussi bien que nous, que la très haute maison princière de Rudolstadt paie ses mois romains ; voilà quelque chose que nous devons à ce très astucieux Pflug129.
63Le conseiller curial de Rudolstadt renchérit, en écrivant lui-même à Pflüger qu’« il ne faut pas vous étonner que le sieur Lemmerhirt montre quelque impatience, puisque vous avez tout fait à l’opposé de l’ordre que j’avais donné. […] Cela m’a causé tant de tort que je ne peux le décrire130 ». La manifestation publique du zèle de la Maison Schwarzburg est compromise, mais il y a plus : Pflüger, en passant par un autre intermédiaire que Lemmerhirdt, a pris le risque de livrer les arcanes du territoire à qui n’aurait pas dû y avoir accès. Et Lemmerhirdt y insiste, dans sa réponse à Pflüger : « Et pourquoi avez-vous pris de vous-même la décision de vous tourner dans cette affaire vers des gens qui n’ont aucun besoin d’[en] avoir connaissance131 ? » Car, bien qu’il soit proclamé publiquement, le paiement s’effectue toujours en lien avec les serviteurs de la Maison dont on peut s’assurer de la « fidélité » : à Ratisbonne, c’est le légataire Keipf qui effectue le paiement et, à Vienne, Heckenberg ou Lemmerhirdt.
• Serviteurs et hommes de gouvernement
64Ces serviteurs, hommes de gouvernement, légataires, représentent une nébuleuse de personnes interagissant dans l’espace impérial. Les seigneurs, comtes et princes disposent de représentants permanents à Dresde, Ratisbonne et Vienne et certains d’entre eux sont partagés entre les trois Maisons. Mais les administrateurs du territoire, eux-mêmes, se déplacent, ainsi que, parfois, les membres régnants de la famille – ainsi, Heinrich III. de Reuss en 1735132, lorsqu’une affaire particulièrement délicate requiert sa présence en personne à Vienne. L’espace du pouvoir est donc loin d’être cantonné aux « territoires », et ces déplacements motivés par la fiscalité contribuent à faire exister la Maison dans l’espace de l’Empire.
65Nous prendrons, parmi ces hommes de gouvernement, un seul exemple, caractéristique à de multiples égards, celui de Johann Friedrich von Freiesleben. Né le 20 octobre 1690 à Glauchau dans les seigneuries Schönburg, où son père était conseiller et bailli avant de passer au service d’Altenburg, il a étudié le droit à Leipzig, puis à Erfurt, où il devient docteur en 1718. Il entre en 1722 au service de la branche cadette des Reuss et devient conseiller curial et consistorial ainsi que professeur de droit au lycée de Gera. En 1733, il est nommé conseiller commun des deux branches de la Maison, prenant la suite de Johann Samuel Brunner. Il cumule cette fonction avec celle de vice-chancelier et de vice-président du consistoire au service de la branche cadette. À la mort de Johann Georg Döhler en 1750, il lui succède comme chancelier et président du consistoire. En 1740, il est agrégé par l’empereur Charles VI à la chevalerie d’Empire. Son frère, né en 1696, suit un parcours universitaire analogue et devient dans un premier temps, en 1727, avocat de la régence à Gera chez les Reuss, avant d’enseigner à Altdorf, puis de passer au service du margraviat d’Ansbach. La famille est de noblesse ancienne, et leur grand-mère paternelle était la sœur de Leibniz – mais c’est bien le service assidu des Reuss qui leur permet de s’élever à la noblesse d’Empire. On notera la circulation privilégiée de ces familles d’administrateurs entre les trois territoires – ici, avec le territoire Schönburg – et dans un espace régional saxon et thuringien, sans que cela soit contradictoire avec un horizon socio-spatial qui s’étend à l’ensemble de l’Empire.
66En tant qu’administrateur des Reuss, Johann Friedrich von Freiesleben est amené à circuler entre les pays Reuss et les autres points d’appui dans l’Empire (fig. 3) : en mars 1735, il est envoyé à Nuremberg133, tandis que Heinrich III. de Reuss se trouve à Vienne où, secondé par von Praun, il tente de mener la négociation concernant la possibilité d’une compensation134 et que les mois romains sont versés au conseiller commercial Breuning, chargé de les faire transmettre à Ratisbonne au légataire Keipf. Or ces trois affaires, menées concomittamment dans l’espace impérial, ont toutes à voir avec la fiscalité d’Empire – Breuning, qui fait verser l’argent à Keipf ; Heinrich III. et Praun, qui tentent d’obtenir de Metzsch et du prince Eugène une compensation ; Freiesleben, qui est envoyé négocier – et muni à cet effet d’une « petite douceur » – avec le commissaire du cercle de Franconie. Les personnes et les informations circulent donc activement entre ces différents pôles : les « territoires » des seigneurs, comtes et princes apparaissent comme des entités dont le fonctionnement prend appui sur un extérieur impérial et qui ne sauraient être comprises sans lui.
Fig. 3. Circuits et réseaux du paiement de l’impôt d’Empire chez les Reuss, 1735-1742135

*
67On comprend mieux la fonction sociale de l’euphémisation de l’impôt dans la catégorie du don. Elle rend possible un faire-comme-si, qui est la condition de possibilité d’un geste fiscal facteur de distinction. Le paiement des impôts d’Empire met en relief l’extraversion de ces petits espaces de pouvoir qui, pour exister, ont besoin de l’espace impérial. C’est à cette échelle que se joue la signification du geste pour les seigneurs, comtes et princes, car ils proclament et consolident leur supériorité politique et sociale en manifestant publiquement le lien immédiat qui les attache à l’empereur, de sorte que l’impôt perd sa dimension stigmatisante pour devenir le vecteur d’affirmation d’une identité sociale distinctive. Verser l’impôt d’Empire procède donc à la fois d’une logique de la supériorité dans la soumission, et de l’évolution des formes de la représentation et de la « culture de la présence » caractéristiques des institutions impériales après la paix de Westphalie136. Or, non seulement l’Empire est l’échelle à laquelle ce geste reçoit sa signification, mais c’est à cette échelle impériale aussi que fonctionnent concrètement ces entités singulières, appuyées sur la mobilisation d’un réseau d’hommes et de lieux, dans et hors du « territoire ». « Intérieur » et « extérieur » sont des notions complexes dans un Empire où les niveaux, les prérogatives et les institutions s’intriquent en permanence. Loin d’en accuser la clôture, l’impôt d’Empire accentue le caractère « diffus » de ces pouvoirs, tout particulièrement après 1683 et l’obsolescence du cercle de Saxe supérieure, qui à la fois facilite le contournement de Leipzig au profit des hauts lieux de l’Empire et entraîne un accroissement des coopérations des trois ensembles. L’impôt d’Empire ne renforce donc pas la construction de « territoires » au sens d’espaces de pouvoir définis, clos et aisément délimitables, sur lesquels s’étendrait une juridiction. Et si l’on observe l’incidence de la fiscalité d’Empire sur les structures internes de ces pouvoirs, on s’aperçoit que, là encore, l’échelle primordiale de signification et de fonctionnement n’est pas tant le « territoire », ni même la « Maison », que les « portions », bailliages et seigneuries qui les constituent. Et c’est cette fois une logique d’enchevêtrement et de fragmentation qui caractérise ces entités, et qui de nouveau répond aux besoins des stratégies sociales des gouvernants.
Notes de bas de page
1 Les dix cercles d’Empire sont des circonscriptions d’administration qui regroupent plusieurs territoires de l’Empire. Créés au milieu du xvie siècle, ils ont en charge, outre la collecte des impôts impériaux, diverses matières « supra-territoriales », telles que la bonne police, l’entretien des routes, les questions monétaires, mais également la répression des séditions. Ils ont fait ces dernières années l’objet d’une historiographie abondante : entre autres W. Dotzauer, Die deutschen Reichskreise in der Verfassung des Alten Reichs und ihr Eigenleben (1500-1806), Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1989 ; P. C. Hartmann, Regionen in der frühen Neuzeit. Reichskreise im deutschen Raum, Provinzen in Frankreich, Regionen unter polnischer Oberhoheit. Ein Vergleich ihrer Strukturen, Funktionen und ihrer Bedeutung, Beiheft der Zeitschrift für historische Forschung, 17, Berlin, Duncker und Humblot, 1994 et Id., Der bayerische Reichskreis…, op. cit. ; M. Fimpel, Reichsjustiz und Territorialstaat. Württemberg als Kommissar von Kaiser und Reich im Schwäbischen Kreis (1648-1806), Frühneuzeit-Forschungen 6, Tübingen, Bibliotheca academica, 2000 ; T. Nicklas, Macht oder Recht : frühneuzeitliche Politik im Obersächsischen Reichskreis, Stuttgart, Franz Steiner, 2002 ; Wolfgang Wüst (dir.), Reichskreis und Territorium. Die Herrschaft über die Herrschaft ? Supraterritoriale Tendenzen in Politik, Kultur, Wirtschaft und Gesellschaft. Ein Vergleich süddeutscher Reichskreise, Stuttgart, Thorbecke, 2000.
2 Définitions issues du Trésor de la langue française (http://www.cnrtl.fr/lexicographie).
3 B. Stollberg-Rilinger, « Zur moralischen Ökonomie des Schenkens bei Hof (17.- 18. Jahrhundert) », dans W. Paravicini (dir.), Luxus und Integration. Materielle Hofkultur Westeuropas vom 12. bis zum 18. Jahrhundert, Munich, Oldenbourg, 2010, p. 187-202.
4 Sur l’influence de la Reichspublizistik dans la consolidation juridique et l’identité sociale du groupe des comtes d’Empire, voir Id., « Der Grafenstand in der Reichspublizistik », dans H. Wunder (dir.), Dynastie und Herrschaftssicherung in der Frühen Neuzeit : Geschlechter und Geschlecht, Berlin, 2002, p. 29-54, où il est démontré très clairement que la mesure de l’action n’est pas uniquement le prestige du « nom et du rang » de chaque Maison prise isolément, mais également la préservation du statut collectif des comtes d’Empire.
5 Cf. supra, note 1.
6 Ainsi T. Nicklas, Macht oder Recht…, op. cit. : « En tant qu’union d’états d’Empire voisins, chargée de veiller aux problèmes communs de sécurité, de monnaies, de douanes et de politique commerciale, les cercles représentent dans l’histoire de l’Allemagne une alternative au désordre des particularismes comme à l’État territorial », p. 7, nous soulignons.
7 Cela le situe dans le même ordre de grandeur que les cercles de Bavière, de Saxe inférieure et de Franconie ; d’autres regroupent un nombre beaucoup plus élevé de membres, comme le cercle de Souabe, qui en compte une centaine, celui du Rhin supérieur – une cinquantaine – ou du Rhin inférieur – une soixantaine. Ibid., p. 10.
8 Le prince convoquant convoque les Diètes du cercle et les dirige, élabore le résumé des positions qui sert à l’établissement de la position commune, ce qui lui laisse une marge de manœuvre importante, et rédige et scelle le congé de la Diète. Le Brandebourg dispose du primum votum, la Saxe du votum ultimum, ce qui est stratégiquement défavorable au Brandebourg, toujours obligé de donner sa voix avant de connaître la position des autres membres. K. H. von Römer, Staatsrecht…, op. cit., vol. 1, p. 478.
9 Ibid., p. 480-481 : la fonction de commandant est en principe complètement disjointe de celle de prince convoquant et le cumul ne va pas de soi. Elle recouvre principalement le maintien de la paix dans le cercle et l’exécution des décisions de justice.
10 T. Nicklas, Macht oder Recht…, op. cit.
11 Ibid., p. 187.
12 HStAC, Waldenburg, 11, fol. 26.
13 C’est dans ces termes que Susanne Friedrich analyse le fonctionnement de la Diète perpétuelle de Ratisbonne : non pas en tant que pré-parlement, mais en tant que « bourse de l’information » et plaque tournante des échanges et de la communication dans l’Empire : S. Friedrich, Drehscheibe Regensburg. Das Informations- und Kommunikationssystem des Immerwährenden Reichstags um 1700, Berlin, Akademie Verlag, 2007.
14 M. Schattkoswky, « Reichspfennigmeister im Ober- und Niedersächsischen Reichskreis. Zur Kommunication zwischen Kaiser und Reichsständen um 1600 », Blätter für deutsche Landesgeschichte, 137, 2001, p. 17-38. S’ils sont nommés par l’empereur, les maîtres du Denier d’Empire de Leipzig sont néanmoins toujours « proposés » par l’électeur de Saxe et l’électeur de Brandebourg et choisis pour leur bonne connaissance des affaires locales, ibid., p. 25.
15 P. Rauscher (dir.), Kriegführung und Staatsfinanzen…, op. cit., p. 438-446 et 463-465.
16 Voir par exemple HStAR, Kanzlei Sondershausen, 1594, 12 août 1663.
17 T. Nicklas, Macht oder Recht…, op. cit., p. 306 et suiv.
18 Les états qu’on dit « armés », disposant d’une armée permanente, mettent celle-ci à disposition de l’Empire, tandis que les états « non armés » contribuent financièrement par des mois romains à l’entretien de ces armées.
19 HStAR, Kanzlei Rudolstadt, C XVIII 2a Nr. 10.
20 Ibid., Augustus Gerhard à Cellarius, février 1690.
21 Celui-ci est conseiller privé de l’électeur de Saxe – son fils sera, en 1696, maître du Denier d’Empire. C’est à lui que Cellarius doit s’adresser « de manière prioritaire », HStAR, Kanzlei Rudolstadt, C XVIII 2a Nr. 10.
22 Ibid., Christoph Dietrich Bose à Cellarius, 24 janvier 1690.
23 Ibid., quittances du comte Johann Georg de Clary u. Aldringen, 13 mars 1691, avril 1691 et 8 mai 1691.
24 HStAR, Kanzlei Rudolstadt, E II 7d Nr. 1, autorisation impériale pour la création du contingent commun, 25 août 1702, copie de 1706.
25 Ibid., lettre de Johann Samuel Brunner au chancelier de Beulwitz, 24 mars 1702.
26 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 896, Johann Samuel Brunner aux Reuss, 6 juin 1713 ; HStAC, Hinterglauchau, 252, Johann Samuel Brunner à la régence commune des Schönburg, 23 mai 1711.
27 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 896, lettre de Johann Samuel Brunner au chancelier Beulwitz, mai 1702.
28 HStAR, Kanzlei Rudolstadt, EII 7d Nr. 1, lettre d’Albrecht Anton de Schwarzburg-Rudolstadt aux comtes Heinrich III. et Heinrich XIII. de Reuss, 25 avril 1702.
29 HStAG, Geheimes Kabinett Greiz, 5, 52, renouvellement du traité 1708.
30 Ibid., renouvellement du traité 1733.
31 Ibid.
32 HStAG, Geheimes Kabinett Greiz, 5, 52, renouvellement du traité 1708, § 10.
33 Ibid., renouvellement du traité 1733, § 2.
34 Ibid., § 10.
35 Ibid., renouvellement du traité 1708.
36 Ibid., renouvellement du traité 1733, § 8.
37 Sur les ressorts de l’« amitié » et les relations entre ministres, voir le travail de Sébastien Schick, Des liaisons avantageuses. Action des ministres, liens de dépendance et diplomatie anglaise dans le Saint-Empire romain germanique (années 1720-1750), thèse de doctorat, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
38 HStAG, Geheimes Kabinett Greiz, 5, 52, relation de Freiesleben, 10 janvier 1727.
39 Ibid.
40 Es stünd Schwarzburg auch zu hoch in der Matricul, und hätte immer umb moderation nachsuchen wollen […]. Und würde es, wenn man Reuss. Seiten nicht die gantz Terz behalten wolte, viele verdrüßlichkeiten wegen der Zurechnung geben, ibid.
41 HStAR, Kanzlei Rudolstadt, E II 7d Nr. 1, autorisation impériale pour la création du contingent commun, 25 août 1702, copie de 1708, § 2.
42 Sur le fait que ceux-ci relèvent de la fiscalité d’Empire, cf. supra, préambule.
43 HStAG, Geheimes Kabinett Greiz, 5, 52, renouvellement du traité 1708, § 1.
44 Ibid., § 4.
45 Voir l’analyse du don dans l’économie curiale proposée par Barbara Stollberg-Rilinger : le don actualise avant tout une relation sociale, ce qui n’exclut aucunement sa quantification, bien au contraire, et révèle sa faible différenciation avec les autres modalités de l’échange – transaction marchande, solde, corruption, tribut. B. Stollberg-Rilinger, « Zur moralischen Ökonomie des Schenkens… », art. cité.
46 HStAC, Herrschaft Waldenburg, 12, fol. 1.
47 HStAC, Herrschaft Waldenburg, 11, fol. 13-15, compte rendu de la conférence commune du 23 octobre 1663 à Glauchau.
48 J. J. Moser, Von der Landeshoheit…, op. cit., p. 502-504, § 3.
49 Cf. supra, note 18.
50 HStAG, Geheimes Kabinett Greiz, 5, 27, spécifications du 23 juin et du 27 septembre 1694.
51 J. J. Moser, Von der Landeshoheit…, op. cit., p. 502-504, § 7.
52 En 1716-1717, les comtes de Reuss sont très divisés : certains veulent obtenir une compensation de leurs mois romains en raison des cantonnements saxons ; d’autres estiment que l’argument n’est pas recevable. HStAG, Hausarchiv Schleiz, 908.
53 HStAR, Geheimes Ratskollegium, C XVIII 2a Nr. 21, pétition des comtes de Schwarzburg à l’empereur, 5 novembre 1734.
54 Très exactement, le total serait en réalité de 8 640 florins.
55 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, Freiesleben à Heckenberg, 13 février 1735.
56 Ibid., Freiesleben à Sommer, 13 février 1735.
57 Ibid., Heinrich XV von Reuss, Lobenstein, 18 février 1735.
58 Ibid., Greitzisches Votum, Köstritz, 4 mars 1735.
59 Ibid., Praun aux comtes de Reuss, Vienne, 2 mars 1735.
60 Ibid.
61 Ibid., Lettre de Heckenberg, Vienne, 30 mars 1735.
62 Ibid., lettre de Heinrich III von Reuss aux autres membres de la Maison, Vienne, 10 mars 1735.
63 Ibid., Vienne, 30 mars 1735.
64 HStAR, Geheimes Ratskollegium, C XVIII 2a Nr. 21, quittance du 13 avril 1735.
65 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, lettre de Heinrich von Reuss-Lobenstein, 12 avril 1735.
66 HStAR, Kanzlei Sondershausen, 1588, questions au Dr Albert, 29 juillet 1661, réponse au paragraphe 2.
67 R. Chartier dans N. Elias, La société de cour, op. cit., p. XXI.
68 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, Freiesleben à Keipf, 7 décembre 1736.
69 HStAR, Kanzlei Rudolstadt, C XVIII 1c Nr. 5, le comte de Reuss-Gera à Albrecht Anton de Schwarzburg-Rudolstadt, 3 juillet 1663.
70 HStAR, Kanzlei Sondershausen, 1594, les conseillers d’Arnstadt à ceux de Sondershausen, 20 août 1663.
71 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 896, Johann Samuel Brunner aux comtes de Reuss, 20 octobre 1713.
72 Ibid.
73 Ibid.
74 Ibid.
75 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – 9.
76 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – 10, Freiesleben aux comtes de Reuss, 21 juillet 1736.
77 Ibid., résolution d’Untergreiz, Burgk, 26 juillet 1736.
78 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – 10, Lobenstein. Meÿnung, 10 janvier 1738.
79 Ibid., Ebersdorf. Votum, 11 janvier 1738. Nous soulignons.
80 Ibid., Heckenberg aux comtes de Reuss, Vienne, 1er février 1738.
81 HStAR, Geheimes Ratskollegium, C XVIII 2a Nr. 22, Heinrich von Schwarzburg-Sondershausen à Pogarell, le 22 octobre 1742. Les Schwarzburg ont, en effet, été élevés au rang de princes d’Empire, mais n’ont pas encore été intégrés au collège correspondant à la Diète d’Empire.
82 Voir infra, chap. 3.
83 R. Chartier dans N. Elias, La société de cour, op. cit., p. XXI-XXII.
84 N. Elias, La société de cour, op. cit., p. 92.
85 À cet égard, le rituel de l’investiture féodale est un puissant « sismographe » des relations entre les princes et l’empereur. Cf. B. Stollberg-Rilinger, « Le rituel de l’investiture dans le Saint-Empire de l’époque moderne : histoire institutionnelle et pratiques symboliques », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56-2, 2009, p. 7-29.
86 Pour une analyse de la scène impériale appliquée à la question de la cour et en discussion avec Norbert Elias, voir A. Winterling, Der Hof der Kurfürsten von Köln 1688-1794. Eine Fallstudie zur Bedeutung « absolutistischer » Hofhaltung, Bonn, L. Röhrscheid, 1986, qui montre que les cours des princes de l’Empire sont pensées, fonctionnent et prennent leur signification dans l’espace impérial bien davantage que dans les « territoires ».
87 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 896, Joh. Sam. Brunner aux comtes de Reuss, 24 mars 1713.
88 Ibid., 10 juin 1713.
89 Cf. fig. 1 : 6 mois romains en 1703, 1 mois romain en 1716, 2 mois romains en 1728 et 6 mois romains en 1732.
90 HStAC, Herrschaft Waldenburg, 1979, fol. 25-26, rappel de paiement, 19 août 1716. Le même document est envoyé aux Reuss le 3 août.
91 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 908, lettre de Johann Samuel Brunner à l’ensemble des comtes de Reuss, 12 septembre 1716.
92 Ibid., Johann Samuel Brunner aux comtes de Reuss, 31 octobre 1716.
93 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 908, Unter-Graizisches Votum, 21. Sept. Ao. 1716, et Erbsdorffer Meÿnung, 7. Oct. 1716.
94 HStAR, Geheimes Ratskollegium, C XVIII 2a Nr. 20, « Die vorhandenen Acta zeügen zwar daß die Bezahlung resolviert aber die assignation nicht expediert worden », Votum ad sereniss., Rudolstadt, 28 octobre 1750.
95 HHStW, Reichshofrat, fol. 72-75 et HStAR, Kanzlei Sondershausen, 1588.
96 HStAR, Kanzlei Rudolstadt, C XVIII 2a Nr. 10, Cellarius à l’électeur de Saxe, pièce no A, s. d.
97 HStAR, Kanzlei Sondershausen, 1594 ; HStAR, Kanzlei Sondershausen, 1594, chancelier d’Arnstadt au chancelier d’Ebeleben, 12 août 1663.
98 HStAR, Kanzlei Rudolstadt, C XVIII 2a Nr. 10, chanceliers et conseillers de Rudolstadt aux chanceliers et conseillers de Franckenhausen, 3 janvier 1691.
99 S. Friedrich, Drehscheibe Regensburg…, op. cit.
100 E. Hassler, La cour de Vienne, 1680-1740 : service de l’empereur et stratégies spatiales des élites nobiliaires dans la monarchie des Habsbourg, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2013.
101 HStAR, Geheimes Ratskollegium, C XVIII 2a Nr. 21, Günther von Schwarzburg-Sondershausen, 13 juillet 1734.
102 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – 9, Reuss-Lobenstein, 28 juin 1734.
103 Ibid., Unter-Greitz. Votum, 1er juillet 1734.
104 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 896, Johann Samuel Brunner aux comtes de Reuss, 25 juillet 1713. Brunner semble considérer comme probable que le banquier Christian Rhost, à Francfort, soit chargé d’encaisser les impôts, mais il craint que sa nomination par la Diète ne prenne du temps, et hésite à verser la part des Reuss à Rhost tant qu’il n’est pas officiellement investi. Christian Rhost von Eisenhard (1658-1729), banquier de Francfort, fait office de banquier pour la Hofkammer de Vienne depuis le tournant du siècle. Il est élevé au rang de chevalier d’Empire en 1714. Cf A. Dietz, Frankfurter Handelsgeschichte, Francfort-sur-le-Main, 1925, t. IV, p. 182-187.
105 Je remercie ici Vincent Demont pour l’ensemble de ses conseils et explications précieuses, car toute cette section lui doit beaucoup.
106 Agio (et ailleurs, Lagio) est à entendre ici dans sa polysémie ancienne, qui englobe à la fois le taux de change des monnaies, le taux d’intérêt et la commission du changeur. S. v. « Aufgeld », dans J. G. Krünitz, Oekonomische Encyclopädie, oder allgemeines System der Staats-, Stadt-, Haus- und Landwirtschaft in alphabetischer Ordnung, J. Pauli, Berlin, 1798-1854.
107 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, Freiesleben aux comtes de Reuss, 7 janvier 1738.
108 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, Heckenberg à Freiesleben, 1er février 1738.
109 « Nun hat man zwar freÿlich beÿ dem Cassier-Ammt die Achseln wieder gezucket », HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, Keipf à Freiesleben, Ratisbonne, 14 décembre 1736.
110 Ibid., Keipf à Freiesleben, 23 novembre 1736.
111 HStAG, Hausarchiv Schleiz, 896, Johann Samuel Brunner aux comtes de Reuss, 10 juin 1713.
112 Petite monnaie, dont soixante font un florin.
113 HStAR, Geheimes Ratskollegium, E III 7d Nr. 39, Pflüger au conseiller curial de Sondershausen, 21 décembre 1756.
114 Ibid., 3 juin 1757.
115 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – II – Nr. 9, fol. 92, Amelung au seigneur de Reuss-Gera, Leipzig, 28 octobre 1654. Assez peu d’informations sont disponibles sur Amelung : il est né à Gera et obtient en 1638 le droit de bourgeoisie à Leipzig où il est établi comme marchand de tissus. Voir G. Fischer, Aus zwei Jahrhunderten Leipziger Handelsgeschichte, 1470-1650, Leipzig, Meiner, 1929, p. 170, 185, 266, 292, 313.
116 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – II – Nr. 9, fol. 92 et 93.
117 Ibid., fol. 98, Amelung au seigneur de Reuss-Gera, 10 octobre 1655.
118 Ibid., fol. 93, lettre du 28 octobre 1654.
119 Ibid., fol. 98, Amelung au seigneur de Reuss-Gera, 10 octobre 1655.
120 M. A. Denzel, « Zahlungsverkehr auf den Leipziger Messen vom 17. bis zum 19. Jahrhundert », dans H. Zwahr, T. Topfstedt, G. Bentele (dir.), Leipzigs Messen 1497-1997. Gestaltwandel – Umbrüche – Neubeginn, Teilband 1 : 1497-1914, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 1999, p. 149-165.
121 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, résolution de Lobenstein, 21 mars 1735.
122 Ibid., quittance du 12 septembre 1735.
123 A. Dietz, Frankfurter Handelsgeschichte, op. cit., t. IV, p. 405-496.
124 HStAR, Geheimes Ratskollegium, E III 7 d Nr. 38, lettre de Friedrich Ernst Lemmerhirdt au conseiller curial de Rudolstadt, Ratisbonne, 13 août 1757 : « J’ai le plaisir de correspondre avec l’affaire depuis près de 50 ans. »
125 HStAR, Geheimes Ratskollegium Rudolstadt, E III 7d Nr. 7, Nr. 38, Nr. 39.
126 On dispose de très peu d’informations le concernant ; Johann Jacob Moser le cite en tant que Legations-Rat des Schwarzburg, J. J. Moser, Zusätze zu seinem teutschen Staatsrecht, Francfort/Leipzig, 1782, vol. 3, p. 1074.
127 Les pays sont producteurs de cotonnades. F. G. Leonhardi, Erdbeschreibung der Churfürstlich- und herzoglich- sächsischen Lande, vol. 3, 1804, p. 346 ; K. Keller, Kleinstädte in Kursachsen, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2001, p 342.
128 HStAR, Geheimes Ratskollegium, E III 7 d Nr. 38.
129 Ibid., Lemmerhirdt au conseiller curial de Rudolstadt, 13 août 1757. Nous soulignons.
130 Ibid., le conseiller curial de Rudolstadt au banquier Pflug, Rudolstadt, 16 août 1757.
131 Ibid., Lemmerhirdt à Pflüger, 13 août 1757.
132 Cf. supra, p. 59.
133 HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – Nr. 10, votes des 22-31 mars 1735.
134 Cf. supra, p. 59-60.
135 D’après HStAG, Gemeinschaftliche Regierung Gera, PP – I – 10 et HStAR, Geheimes Ratskollegium Rudolstadt, E III 7d Nr. 7, Nr. 38, Nr. 39.
136 Cf. B. Stollberg-Rilinger, Les vieux habits…, op. cit., notamment p. 315 et suiv.
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