« Urgence pour l’Algérie » : Vin nouveau, une revue d’étudiants catholiques contre la guerre d’Algérie (1955-1956)1
p. 387-411
Texte intégral
Il nous suffit qu’une jeunesse réveillée demeure fidèle à sa vocation2.
François Mauriac
126 février 1957 : Jean-Marie Mayeur devait retrouver à Paris, rue de l’École-de-Médecine, Ahmed Taleb Ibrahimi, qui ne vint jamais au rendez-vous. Il venait d’être arrêté. Comment mon père, né en 1933 à Sarreguemines et jeune agrégatif d’histoire, et le fils de Bachir Ibrahimi, né en 1932 à Sétif, alors étudiant en médecine et fondateur de l’Union générale des musulmans algériens (UGEMA) en juin 1955, s’étaient-ils connus ?
2Dans la bibliothèque de mes parents, on trouvait des livres consacrés à l’histoire de l’islam, comme le « Que sais-je » de Dominique Sourdel, dont la première édition était parue en 1949, L’art de l’islam de Georges Marçais publié en 1946, et le remarquable petit essai d’Émile Dermenghem, Mahomet et la tradition islamique, paru en 1955. Ces acquisitions n’étaient pas uniquement le fruit du programme de l’agrégation d’histoire qu’ils avaient passée en 1957, l’année de leur mariage, et dont la question de médiévale était consacrée exclusivement à l’islam. Des rayons de la bibliothèque étaient dédiés à l’histoire de l’Afrique du Nord en général, à l’histoire de l’Algérie en particulier, de la guerre d’Algérie et aux témoignages parus sur la torture en Algérie : j’ai lu très jeune La Question de Henri Alleg, livre paru en février 1958, aussitôt interdit, et dont la diffusion atteignit pourtant 150 000 exemplaires3. La présence de tels livres dans la bibliothèque était d’abord le fruit des engagements de jeunesse de Jean-Marie Mayeur contre la politique coloniale de la IVe République.
3Le milieu des intellectuels catholiques opposés à la torture et à la guerre en Algérie, voire, pour certains, déterminés à aider les Algériens du FLN, a fait l’objet d’études, de longue date4. On connaît les prises de position de la revue Esprit et de ses illustres protagonistes, on a quelque idée du milieu catholique entraîné dans la lutte contre la torture en Algérie par les « trois M » (l’historien Henri-Irénée Marrou, l’islamologue Louis Massignon, l’écrivain François Mauriac)5, auquel on pourrait ajouter un quatrième : l’historien André Mandouze. C’est dans le sillage d’Esprit et de l’influence considérable de Marrou qu’une petite revue de jeunes étudiants catholiques, Vin nouveau, fut fondée en janvier 1955. Celle-ci n’avait toutefois pas de lien direct avec Esprit, mais avec les dominicains : la réunion de fondation eut lieu boulevard de La Tour-Maubourg, aux éditions du Cerf6. Dans l’éditorial du premier numéro, les fondateurs de Vin nouveau, âgés d’une vingtaine d’années, se proclamaient « ni intégristes, ni progressistes », revendiquaient leur fidélité à l’Église en même temps qu’une volonté d’indépendance à son égard, et, se situant nettement à gauche, disaient l’espoir qu’ils plaçaient en Pierre Mendès France et dans la régénération de la France7. D’où le titre de la revue, inspiré par l’Évangile de Luc, V, 37-38, que le prospectus de lancement avait choisi de citer : « On ne met pas de vin nouveau dans de vieilles outres, mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves. »
4L’hostilité à la désastreuse politique coloniale de la IVe République était au cœur du lancement de Vin nouveau, et plusieurs articles de la revue soulignaient le déshonneur national qu’étaient pour la France les massacres à Madagascar, la déposition du sultan du Maroc, la répression en Algérie. L’esprit était similaire à celui du Bloc-notes de François Mauriac, même si celui-ci paraissait encore trop tiède aux auteurs de Vin nouveau8. Si Pierre Mendès France, alors président du Conseil, suscitait l’espoir, c’est justement parce que l’on pensait que, après avoir mis fin au conflit indochinois et avoir ouvert les négociations sur l’autonomie puis sur l’indépendance de la Tunisie, il aboutirait à une solution au Maroc. Le comité France-Maghreb, particulièrement actif sur la question marocaine et hostile à la déposition du sultan, y poussait Mendès France : y militaient des catholiques comme le résistant Claude Bourdet (1909-1996), journaliste à L’Observateur, et André de Peretti (1916-2017), un jéciste né au Maroc9. Robert Barrat (1919-1976), rédacteur en chef adjoint de Témoignage chrétien à partir de 1946, joua un rôle important : il avait participé en 1949 à la mission d’aide aux réfugiés arabes de Bethléem avec Louis Massignon, et assura les fonctions de secrétaire général du Centre catholique des intellectuels français de 1950 à 195510. Mais l’influence de François Mauriac et du comité France-Maghreb où militait également Charles-André Julien se heurta à l’influence contraire du parti radical et du lobby colonial, et les attentes des jeunes auteurs de Vin nouveau furent immédiatement déçues : le gouvernement Mendès, d’ailleurs attentiste sur le Maroc, fut acculé à la chute le 6 février 1955 sur la question algérienne11.
5En novembre 1955, la fondation du Comité d’action des intellectuels contre la guerre d’Algérie et surtout le numéro spécial d’Esprit, Arrêtons la guerre d’Algérie, coïncidèrent avec l’engagement d’un certain milieu catholique. Le Comité d’action proclamait : « Nous nous engageons à agir de toutes les façons que nous jugerons bonnes en conscience et dans tous les domaines qui nous sont accessibles pour mettre fin en Afrique du Nord à une guerre qui est une menace contre la République en même temps qu’un crime contre le genre humain. » La guerre d’Algérie devint le centre des préoccupations des jeunes auteurs de Vin nouveau.
6Dès décembre 1955, c’est en écho immédiat et explicite au numéro d’Esprit que Vin nouveau prit position contre la torture et contre la guerre en Algérie. Tout ce numéro 8, intitulé Urgence pour l’Algérie, après un éditorial vibrant, dénonçait la colonisation française, la politique de répression, la torture, et les mensonges qui faisaient accroire que la rébellion était l’œuvre de l’étranger, ou le seul fruit de circonstances économiques et sociales. L’éditorial promettait « de montrer de quelle irréversible manière le “problème algérien”, dans sa matière économique et sociale, est devenu politique ». La table des matières donne une juste idée du contenu de la revue qui souhaitait « présenter l’Algérie dans une perspective dynamique sous forme de problèmes et de questions plutôt que de descriptions » (p. 73) : « L’œuvre française en accusation » (Henri Lemare), « Misère et racisme » (Madeleine Borgomano), « L’Algérie en chiffres », « Cent vingt-cinq ans de présence française en Algérie ou Naissance d’une nation » (Frédéric Jura, alias Jacques Julliard) ; la publication d’un document : « Lettre à M. le procureur de la République », témoignage sur la torture d’un ancien membre du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) arrêté en décembre 1954, que suivaient « L’urgence est politique » (Claude Martin12), « Les conditions culturelles de la communauté algérienne » (Suzanne Mestre), enfin un court texte, « Jésus et nous » (Ahmed Taleb). À la fin du numéro, avant une rubrique culturelle faite de comptes rendus, une note bibliographique recommandait dix-huit ouvrages récents sur l’Algérie. On donnait des « renseignements pratiques » pour entrer en contact direct avec des Algériens vivant en France, en recommandant particulièrement les services de l’UGEMA « que préside notre ami, Ahmed Taleb » (p. 75). Dès la première année de la revue, pourtant si confidentielle, ses prises de position contre la guerre en Algérie attirent l’attention au point que Le Monde, sous la plume du critique littéraire Yves Florenne, salue le 21 janvier 1956 « la jeune et courageuse équipe de la Revue Vin nouveau ».
7Quatre mois plus tard, dans le numéro 11 daté d’avril-mai 1956, c’est en écho au célèbre article de Henri-Irénée Marrou dans Le Monde du 5 avril 1956, « France, ma patrie », que Vin nouveau édita un éditorial, signé par la rédaction et rédigé par Jean-Marie Mayeur, sous le titre « L’Algérie et la nation française13 ». Une nouvelle fois, la question algérienne était posée en termes essentiellement politiques. « Il est trop vrai que le sort de la République se joue en Algérie, mais pas comme on le proclame. Certes la nation est en péril, mais dans son âme peut-être encore plus que dans nos forces matérielles […]. Nous aimons trop la France pour lui donner un visage de bourreau14. » Comme chez Marrou, le discours politique et patriotique était intimement lié à un important socle spirituel et même théologique : c’est d’abord comme Français et républicain que l’on s’opposait à la guerre et à la torture, mais c’est aussi comme chrétien que l’on s’engageait. L’éditorial d’Urgence pour l’Algérie s’inquiétait du racisme dominant en métropole comme en Algérie même. L’éditorial relevait que
ce sentiment s’amplifie – et de ce côté-ci de la Méditerranée : le mythe du bicot, du raton grandit, quotidiennement alimenté par l’indignation complaisante d’une partie de la presse devant les vols et agressions du Nord-Af et le récit des horreurs du terrorisme, auxquelles ne font jamais pendant celles de la répression. Combien de fois chacun de nous, dans la mesure où il s’efforçait de parler de l’Algérie en termes d’idéal, de charité et de justice, ne s’est-il pas heurté à ce préjugé fondamental ?
8Reprenant le beau titre d’Urgence pour l’Algérie, c’est principalement à partir de ce remarquable numéro 8 de décembre 1955, et d’articles de Vin nouveau consacrés à l’Algérie au printemps 1956, que cet article s’efforcera de mettre en perspective les jeunes auteurs de leur revue et leur milieu, les influences dont ils s’inspiraient, leurs idées et le sens de leur engagement d’alors.
De jeunes étudiants catholiques au milieu des années 1950
9Lancée en janvier 1955, Vin nouveau paraissait à raison de sept numéros par an (novembre, décembre, janvier, février, mars-avril, mai, août), coûtait 100 francs au numéro, et des abonnements étaient possibles. Chaque numéro, sauf celui du mois d’août, plus léger, comptait environ 90 pages, sur un format 13 × 18. Rédigé par des étudiants pour des étudiants, peut-être à l’instigation de l’abbé Brien, aumônier de la rue d’Ulm, Vin nouveau fut administré et financé par les dominicains. Aux éditions du Cerf, le père Réginald Chartier (1921-2003), résistant, homme de presse et de médias, s’occupait de la fabrication de la petite revue, conçue dans la foulée de la prestigieuse revue dominicaine La Vie intellectuelle (1928-1956)15, prestigieuse mais alors déclinante. C’est le père Chartier qui apprit à Yves Vadé à corriger des épreuves. Mais, comme le dit ce dernier, « c’était une sale époque [dans l’Église] pour les catholiques de gauche, dans une atmosphère de réaction et de suspicion ». Les prêtres-ouvriers venaient d’être condamnés, et à leur suite sept dominicains de la province de France, les pères Chenu, Congar et Féret. C’est pourquoi les dominicains de La Tour-Maubourg s’appliquèrent à ne laisser voir aucun lien apparent entre la revue et eux-mêmes, au point que la boîte aux lettres de Vin nouveau fut tantôt celle du directeur de la revue (donc parfois l’ENS, 45, rue d’Ulm), tantôt celle d’une employée des éditions du Cerf, Mlle Jeanne Yquel, domiciliée… rue Saint-Dominique (une petite blague du père Chartier). Lorsque les prises de position gauchistes de Vin nouveau suscitèrent des problèmes aux dominicains, étroitement surveillés par une hiérarchie prudente et vigilante, la revue fut éditée et administrée par Témoignage chrétien, alors dirigé par Georges Montaron et Georges Suffert. Bref, si les dominicains ne furent pas impliqués dans la rédaction même de la revue, le lien était toutefois assez profond pour que soit tenue, un été, une retraite de Vin nouveau au couvent de La Tourette, à l’Arbresle : « Le soir, on priait complies dans un pré16. »
10Vin nouveau était animée et rédigée par de très jeunes normaliens et ex-khâgneux catholiques français, âgés d’une vingtaine d’années. Yves Vadé, un étudiant en littérature né en 1933, sorti de la khâgne de Henri-IV, et Xavier Mignot (1930-2017), un normalien étudiant en linguistique, fondèrent la revue qu’ils dirigèrent durant les deux premières années. En novembre 1956, la revue lança une nouvelle série dont Philippe Joutard assura désormais la direction-rédaction, avant Jean-Yves Tadié, né en 1936, qui la dirigea de 1957 à 1958, suivi par Richard Pini qui assura la publication des derniers numéros, jusqu’à la fin 1958. L’esprit et les auteurs de Vin nouveau étaient proches de la revue Cahiers Talas, rédigée par des normaliens catholiques un peu plus âgés, dont l’historien Marc Venard (1929-2014). Ces revues catholiques des années 1950, sensibles aux évolutions du monde contemporain et au désir d’œuvrer pour un monde meilleur, reflètent bien le bouillonnement d’initiatives qui caractérisa, sous Pie XII (m. 1958), l’atmosphère préconciliaire : leurs jeunes auteurs mêlaient, de façon indissociable, engagement religieux, engagement intellectuel et engagement politique.
11À ses origines, le petit groupe de Vin nouveau regroupait une génération de jeunes intellectuels catholiques, nés en 1933 ou 1934, dont beaucoup étaient des historiens. Jacques Julliard et Antoine Prost venaient tous deux d’être reçus à l’École normale supérieure, depuis la khâgne de Lyon. De la khâgne de Louis-le-Grand, principale pépinière des auteurs de Vin nouveau, venait Jean-Yves Tadié. Jean-Marie Mayeur (1933-2013), monté de la khâgne de Fustel-de-Coulanges, à Strasbourg, à la khâgne de Louis-le-Grand à l’automne 1952, était étudiant à Sciences Po et à la Sorbonne après trois échecs à la rue d’Ulm. Il avait été présenté par Antoine Prost à Françoise Paoli (1933-2006), une Sévrienne littéraire, issue elle aussi de la khâgne de Lyon, puis de celle de Lakanal à Sceaux. Bientôt sa fiancée, elle devint historienne. Parmi les Sévriennes, Madeleine Borgomano (1933-2009) participa aux premiers numéros de Vin nouveau. Deux autres couples de fiancés, le normalien latiniste Jean Rousselet (1933-1996) et la philosophe fontenaisienne Suzanne Mestre (1930-1962), ainsi que Xavier Mignot et Claude Ogliastri de Gentile, contribuèrent à la revue. Certains militaient aussi à la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne), comme Joseph Hoffmann venu de Strasbourg, qui, séminariste à Paris, à partir de la rentrée 1955, signait Jacques Berger dans la revue, ou comme Jean-Jacques Origas, ancien responsable de la JEC de Mulhouse.
12Presque tous les auteurs de Vin nouveau militaient à la FFEC (Fédération française des étudiants catholiques, prononcer Fefec) qui eut pour présidents durant ces années trois normaliens, le littéraire Guy Lafon auquel succéda l’historien Antoine Prost, et le mathématicien Antoine Delzant. Françoise Paoli fut vice-présidente de la FFEC, au bureau de laquelle on retrouve Yves Vadé, Antoine et Paulette Prost, Jean Rousselet et Suzanne Mestre. On y trouve aussi l’historien Gérard Cholvy (1933-2017), né au Maroc, étudiant à Montpellier d’où il envoya à Vin nouveau un compte rendu sur les heurts violents entre étudiants pro-colonialistes et anticolonialistes (dont des étudiants de l’UGEMA) en janvier 1956.
13Ces étudiants écrivaient seuls, mais non sans modèle ni sans guide. Ils étaient marqués par leurs professeurs de khâgne (le catholique Jean Lacroix à Lyon, le communiste Jean Bruhat à Lakanal) et leurs aumôniers : l’abbé Bockel à Strasbourg, ancien aumônier de la Brigade Alsace-Lorraine et ami personnel de Malraux ; le père Lucien Fraisse à Lyon ; l’aumônier de la rue d’Ulm, l’abbé André Brien, et l’aumônier des khâgnes parisiennes, devenu en 1957 l’aumônier du CCIF, l’abbé Pierre Biard qui donna plusieurs articles à Vin nouveau. Connue par ces aumôniers, la lecture des théologiens de la « nouvelle théologie » comme Hans Urs von Balthasar, Henri de Lubac, ou Romano Guardini, situait ce petit milieu à la pointe d’innovations alors blâmées par Rome. Ces jeunes catholiques partageaient un faisceau de lectures convergentes qui imprégnaient jusqu’à leur style et leur vocabulaire : deux grands écrivains catholiques engagés, Charles Péguy (1873-1914) dont on retrouve les accents dreyfusards et patriotes, et Georges Bernanos (1883-1948), sont souvent cités par les articles des premiers numéros17, ainsi que, à un moindre degré, Paul Claudel (1868-1955). Ces influences à la fois littéraires, religieuses et politiques leur parvenaient aussi via les deux fondateurs d’Esprit : Emmanuel Mounier (1905-1950) qui venait de disparaître, et Jean Lacroix (1900-1986), en général le milieu personnaliste. C’est de son inspiration que se réclamait Vin nouveau : dans le numéro 11 d’avril-mai 1956, par exemple, Jean-Marie Mayeur publie un compte rendu « Sur Mounier et sa génération18 ». La revue Esprit, les groupes Esprit, les collections « Esprit » aux éditions du Seuil dont le directeur général, Paul Flamand, était un proche à la fois de Mounier et de Marrou : le combat contre la guerre d’Algérie venait de ce milieu catholique personnaliste et de compagnons de route d’Esprit proches du communisme19. Urgence pour l’Algérie annonçait la parution imminente d’un livre de Colette Jeanson au Seuil, livre qui devait finalement être cosigné par Francis Jeanson20 : le numéro 10 (février-mars 1956) fit un compte rendu de ce livre, qui en disait l’importance dans la dénonciation du fait colonial, tout en regrettant son caractère hâtif et schématique21. Vin nouveau s’inspirait aussi, on l’a dit, du numéro spécial d’Esprit, Arrêtons la guerre d’Algérie.
14Intimement liée à ce milieu personnaliste, et d’une influence considérable pour les jeunes historiens de Vin nouveau, était la haute figure d’Henri-Irénée Marrou (1904-1977), historien, philosophe, musicologue (sous le nom de Henri Davenson)22. Par son engagement dans la Résistance à Lyon, par son enseignement comme professeur à Lyon durant la guerre, puis à la Sorbonne à partir de 1945, par son attachement à la patrie selon Péguy, et par son exceptionnel rayonnement spirituel et humain, Marrou était l’autorité non la plus visible, mais probablement la plus importante, auprès des jeunes historiens de Vin nouveau. C’est souvent avec lui que ses étudiants relisaient Péguy, aimaient Mounier avec lequel il avait travaillé à partir de 193523. Il venait de publier deux grands petits livres : De la connaissance historique (1954) qui marqua plusieurs générations d’historiens, et Saint Augustin et l’augustinisme (1955), paru au Seuil dans la collection « Maîtres spirituels ». Ce dernier livre fit l’objet d’un bref compte rendu dans Urgence pour l’Algérie, juste au-dessous du compte rendu de Mahomet et la tradition islamique d’Émile Dermenghem, paru dans la même collection : l’évêque berbère et le Prophète de l’islam étaient unis dans une même découverte, et l’auteur du compte rendu disait à quel point ses préjugés en étaient bouleversés. Mais ce sont surtout les prises de position publique de Marrou qui, en 1955-1956, inspirèrent Vin nouveau : Marrou disait nettement et publiquement ce qu’imposait à un catholique engagé dans la cité – et justement parce qu’il l’était – l’appartenance à la cité de Dieu.
Des exemples d’amont en amont : la Résistance, la guerre d’Espagne, l’affaire Dreyfus
15La grande référence des jeunes auteurs de Vin nouveau était celle des chrétiens engagés dans la Résistance, leur indignation était d’assister à la faillite morale et politique de la IVe République qui avait trahi, à leurs yeux, tant d’espoirs. S’ils avaient été trop jeunes pour participer eux-mêmes à la Résistance, les étudiants de Vin nouveau avaient été marqués par l’exemple d’intellectuels catholiques français, résistants, dont certains n’avaient que quelques années de plus qu’eux. Marrou encore, résistant à Lyon ; Jean-Marie Domenach (1922-1995), un élève de la khâgne de Lyon, disciple de Marrou, qui avait combattu dans le Vercors. Il était alors le secrétaire, depuis 1946, d’Esprit, dont il devait reprendre la direction en 1957. D’autres jeunes aînés avaient combattu dans le réseau « Témoignage chrétien », comme le couple d’historiens François Bédarida (1926-2001) et Renée Bédarida (m. 2015)24. Un autre normalien résistant, André Mandouze (1916-2006), faisait partie de ce milieu : lié au dominicain Jean-Augustin Maydieu et au jésuite Pierre Chaillet, il fut le premier rédacteur en chef en 1943 du Courrier du Témoignage chrétien25. Élève de Henri-Irénée Marrou et spécialiste, comme lui, d’augustinisme, il devint professeur à l’université d’Alger d’où il avait adressé à Esprit dès 1947 un article où il prophétisait la prochaine guerre, disait le racisme, les haines intercommunautaires, le mépris de l’islam qui prévalait chez les Français d’Algérie26. Il venait d’être arrêté, et bientôt relâché, en novembre 1955 avec d’autres militants hostiles à la guerre d’Algérie. Dans le milieu des journalistes catholiques qui parrainaient (discrètement) Vin nouveau, on trouvait aussi d’anciens résistants, à commencer par le père Chartier, ou par Georges Suffert (1927-2012) qui avait lancé à 20 ans une revue d’étudiants catholiques de gauche qui avait tourné court, Les Mal-Pensants, et devint ensuite rédacteur en chef de Témoignage chrétien27.
16La Résistance, donc, mais qui ne s’en réclamait alors ? Au début de la guerre d’Algérie, la référence à la lutte contre les nazis était, Guy Pervillé l’a bien montré, disputée entre les camps qui se dessinaient : le souvenir de la Gestapo était-il à retrouver dans les meurtres atroces de Français d’Algérie par le FLN à l’été 1955, ou dans la lutte du FLN contre le MNA ? On trouvait à l’époque ce parallèle dans l’argumentation justifiant la guerre d’Algérie et les moyens employés. Mais la violence de la répression par l’État français lui-même n’était-elle pas la sinistre reproduction de ce contre quoi la Résistance avait lutté : les camps, la torture28 ? Le document anonyme sur la torture reproduit dans Urgence pour l’Algérie dénonçait les méthodes de la Gestapo (p. 41-44). Pour les auteurs de Vin nouveau, la question d’une éventuelle guerre juste ne se posait même pas, puisque les moyens utilisés étaient indéfendables : comme le disaient Mauriac ou Marrou, la torture à elle seule condamnait la guerre, et abîmait le visage de la France déshonorée.
17Résister, dans l’esprit de ces étudiants, c’était proposer un relèvement moral et spirituel. C’était aussi réfléchir à l’histoire de la France. Dans le numéro de Vin nouveau de novembre 1956, Jean-Marie Mayeur signait un texte politique, sous le titre « Le projet national », qui faisait explicitement le lien entre le traumatisme de la défaite de 1940 et la dégradation morale de la nation qu’entraînaient les guerres coloniales29. « De la grandeur de la France, nous n’avons connu que le récit et comme l’image en creux. Enfants, nous vîmes refluer sur les routes les colonnes d’une armée vaincue et les troupes de réfugiés de l’“étrange défaite”. » Avec cette référence à Marc Bloch, le texte « extrêmement critique sur l’action des gouvernements successifs depuis la guerre, notamment en matière de politique coloniale, est tout entier placé sous le signe de l’abaissement de la France, avec un regard nostalgique sur la République des années 188030 ».
18Si les jeunes auteurs de Vin nouveau avaient des souvenirs d’enfance de la guerre, l’exemple de la Résistance puisait en amont dans les engagements d’une guerre qu’ils n’avaient pas connue : la guerre d’Espagne. C’est son exemple qui inspirait la réflexion sur la guerre d’Algérie à ses débuts, et permettait de combattre l’argumentation courante, celle du gouvernement comme des catholiques conservateurs, qui prétendait justifier, par l’horreur des massacres du Constantinois au mois d’août 1955, une répression sans pitié. L’éditorial de Urgence pour l’Algérie, en décembre 1955, s’achevait par une citation de Georges Bernanos, tirée de son pamphlet Nous autres, Français (1939), adressé aux franquistes dont il dénonçait l’argumentation identitaire chrétienne, et, en quatrième de couverture de ce même numéro figurait un autre extrait du même pamphlet :
Vous vous rengorgez dans le sang des martyrs comme si le sang des martyrs ne coulait que pour vous, alors qu’il ne coule trop souvent que par vous. Au point que si demain, par impossible, la perfection de vos méthodes, l’ardeur de vos milices sportives, la discipline de vos formations paramilitaires et par-dessus tout l’appui – hélas, non désintéressé – de toutes les gendarmeries de la terre, interrompaient cette mystérieuse effusion, vous assurant, avec le libre usage des biens de ce monde, le paisible exercice d’une médiocrité devenue sans risque, le nom même de chrétien n’aurait bientôt plus qu’une signification historique31.
19Outre les citations de Bernanos, on se rappelait les prises de position d’Esprit au temps de la guerre d’Espagne32, qui avaient condamné la violence franquiste commise au nom d’une Église conservatrice, et l’anéantissement de Guernica par l’aviation allemande. S’il fut bientôt patent, comme l’écrivait déjà Mauriac, puis Jean Daniel dans Esprit en 1957, que la guerre d’Algérie ne pouvait guère être comparée à la guerre d’Espagne (où les camps étaient bien plus aisément discernables), c’est l’instrumentalisation cynique du christianisme par la Realpolitik de la répression qui était dénoncée par les auteurs de Vin nouveau.
20Toujours dans l’amont de la Résistance, d’autres auteurs exploraient l’héritage de Marc Sangnier et du Sillon, dans l’héritage de La Vie intellectuelle, et comme le faisait d’ailleurs Mauriac dans le Bloc-notes. On se remémorait les démocrates-chrétiens de l’entre-deux-guerres, les combats de Georges Bidault dans les années 1920 contre l’Action française et contre le nationalisme maurrassien ; la revue démocrate-chrétienne Politique où Marrou avait écrit des articles importants dans les années 1930, contre l’injustice du système colonial déjà, les Nouvelles Équipes françaises lancées en novembre 1938, par Bidault et Francisque Gay, et les éditoriaux du quotidien catholique L’Aube à partir de 193233 ; les combats du résistant Edmond Michelet. Sur cet héritage vivifié par la Résistance s’était édifié à la Libération un parti démocrate-chrétien, le MRP (Mouvement républicain populaire), mais son étroite association à la politique coloniale de la IVe République l’avait déconsidéré, aux yeux des jeunes auteurs de Vin nouveau. Leur jugement sur ces démocrates-chrétiens qui s’étaient accommodés de bien des choses était des plus sévères : il n’est que de lire le compte rendu par Françoise Paoli du livre de Maurice Vaussard, Histoire de la démocratie chrétienne.
21Encore en amont de la Résistance et du bouillonnement de l’entre-deux-guerres d’où sortirent le pire et le meilleur, c’est la référence à l’affaire Dreyfus qui tenait lieu de ligne de conduite : justice d’abord. On se rappelait les « catholiques dreyfusards34 », et c’est la France de l’affaire Dreyfus et de la Révolution française qu’invoquait Marrou dans son article d’avril 1956 qui protestait contre la torture et les camps. S’agissait-il là de catholiques de gauche ou de chrétiens de gauche, comme on l’a beaucoup dit, de façon hâtive et parfois caricaturale ? Dès la fondation d’Esprit, Mounier se disait étonné de l’appellation. A fortiori les élèves de Marrou et les auteurs de Vin nouveau dont certains souhaitaient « le retour du général », comme Mauriac35, quand d’autres (parfois les mêmes) optèrent pour l’engagement syndical, comme Jacques Julliard à l’UNEF36, comme Marrou lui-même au SGEN, ou poursuivirent leur militantisme en 1960 au PSU (Parti socialiste unifié) : en luttant contre la guerre d’Algérie, en refusant le purisme manichéen, ils avaient choisi l’engagement, non aux côtés des communistes, mais bien souvent – comme dans la Résistance – à leur côté, pour lutter contre une certaine droite catholique qui excusait violences, répression, voire la torture, et leur paraissait une triste résurgence de Vichy.
22Fallait-il pour autant, s’interroge Claude Martin dans Vin nouveau en février-mars 1956, craindre de se dire « de gauche » à cause du compagnonnage communiste et par volonté de « donner des gages à la Modération » : « et ces socialistes dont nous avions tant espéré la venue au pouvoir, n’y ont-ils accédé que pour céder au chantage, à la trahison qu’exerce sur eux la Droite » ? Et de dénoncer le gouvernement de Guy Mollet et son aveuglement. Peut-être l’article de Claude Martin répondait-il à des accusations, et en particulier au tract anonyme intitulé « Une nouvelle trahison de la chaîne Sauvageot », diffusé au début de 1956. Ce tract, qui s’en prenait au numéro de janvier 1956 de Vin nouveau, dénonçait l’orientation de la revue, notamment dans deux articles jumeaux de Jean-Marie Mayeur (« De quelques confusions ») et du latiniste Jean Rousselet (« Pour des idées claires »), tous deux consacrés à éclaircir les positions de Vin nouveau par rapport au marxisme et au communisme. Le tract anonyme les accusait pourtant de faire le jeu du communisme37 : ce positionnement vis-à-vis du marxisme était, plus généralement, un enjeu central à une époque où, témoigne Jean-Yves Tadié, le tiers des étudiants des grandes khâgnes parisiennes étaient communistes. Et effectivement l’un des premiers auteurs de Vin nouveau, le normalien Michel Launay (1933-2012), auteur d’un article, dès le deuxième numéro de la revue en février 1955, sur « la bombe atomique française », puis en mai 1955, d’un compte rendu sur une biographie de Jaurès, « a viré ensuite du côté du PC » (Yves Vadé) en adhérant au Parti communiste dans la cellule des élèves de l’ENS : une façon pour lui de retrouver ses origines ouvrières.
Là-bas en Algérie : l’intérêt pour les questions économiques et sociales
23Que savaient-ils, après tout, de l’Algérie ? Pas grand-chose, hormis par l’intermédiaire des élèves plus âgés de Marrou, notamment les historiens Pierre Riché, né en 1921, qui enseignait au lycée de Constantine, et Charles-Robert Ageron qui, né à Lyon en 1923, vécut ensuite dix ans à Alger (1947-1957). Ceux des auteurs de Vin nouveau qui avaient pu se rendre en Algérie dénonçaient d’abord le mépris et le racisme, « le plus grand mal de l’Algérie ».
24Claude Martin, le seul Français d’Algérie parmi les auteurs de la revue, était le plus virulent dans cette dénonciation exaspérée. Il racontait ses rencontres à Alger : dans un article daté du 25 février 1956, il dénonçait l’obstacle majeur qu’était la peur du slogan déjà diffusé « la valise ou le cercueil » dans l’opinion européenne d’Algérie, tout en craignant que le gouvernement n’organise quelque jour, en effet, l’abandon des Français d’Algérie38. Sur la politique catastrophique de la SFIO au pouvoir, il concluait ainsi :
Aussi peut-il être préférable de ne plus se formuler à soi-même aucun espoir, maintenant que la seule issue semble être soit un Dien-Bien-Phu algérien – cent mille Européens massacrés dans une nuit, et le FLN a les moyens de le faire, si on le réduit à le vouloir – soit un coup de force fasciste qui, cette fois-ci, serait couronné d’un tragique succès ; dans un cas comme dans l’autre, après la longue exaspération d’une attente abusée, n’en doutons pas : c’est la porte ouverte à la guerre raciale, à la guerre de religion, c’est la naissance de ce qui, malgré tous les mensonges, n’existe pas encore : la haine de l’Européen, la haine du Chrétien. Telle est la responsabilité que nous n’entendons pas faire endosser à la France, quand nous participons à la lutte quotidienne contre le colonialisme en Algérie et que nous acceptons d’y avoir, parfois, les mains sales.
25Quelques pages plus loin, un article de Jean-Marie Mayeur et de Philippe Joutard dénonçait avec la même virulence la sclérose de la gauche française (de la SFIO), l’absence de politique coloniale sérieuse de la SFIO et de ses conséquences désastreuses pour le pays.
26Il s’agissait donc d’informer et de s’informer. La revue marquait son intérêt pour les questions économiques et sociales, pour démontrer l’échec patent de l’œuvre coloniale. « Il est faux que nous n’ayons rien fait là-bas, mais ce qui éclate aujourd’hui, c’est ce que nous aurions dû faire et pu faire, et que nous n’avons pas fait » (p. 3). Et Urgence pour l’Algérie de citer Mgr Henri-Alexandre Chappoulie (1901-1959), l’évêque d’Angers : « L’Église ne saurait se ranger du côté de ceux qui tiennent la condition coloniale pour un fait permanent. » Un article reproduit les prises de position de Mgr Duval et de Mgr Chappoulie face à la guerre d’Algérie39. Des chiffres et des statistiques étaient repris de la revue Informations catholiques internationales, du 15 septembre 1955. Un article bien informé faisait le point sur la situation démographique, sur les surfaces cultivées, sur la recherche de pétrole dans le sous-sol algérien, évoquait l’absence de redistribution des richesses à « la masse musulmane40 ». Ces jeunes étudiants, bientôt enseignants, déploraient surtout la médiocrité de l’enseignement élémentaire. Madeleine Borgomano, qui contestait que l’insurrection fût une insurrection de la misère, souhaitait toutefois dénoncer cette misère.
27Frédéric Jura (Jacques Julliard) dressait le bilan de la présence coloniale dans un récit classique qui évoquait l’insurrection de 1945 et estimait entre 20 000 et 40 000 le nombre de musulmans alors massacrés (p. 31), énumérait les différents partis nationalistes, et signalait finalement l’apparition du FLN désormais suivi, écrivait-il fin 1955, par une grande partie de la population. Il donnait la part belle à l’Association des Oulémas dans son rôle de « prise de conscience nationale », tout en montrant comment le trucage des élections avait pu contribuer « à rendre la présence française humiliante et insupportable » (p. 38). Il concluait que le choix n’était pas entre l’intégration et l’association, mais entre l’association et la guerre, en dénonçant – dès décembre 1955 – « les ultras français et algériens qui sont au moins d’accord pour aboutir à la ségrégation » (p. 39). Claude Martin, l’auteur de la revue le plus au fait de l’Algérie, était conscient des dissensions internes du nationalisme algérien et du FLN lui-même, conscient de l’intransigeance que représentait, par exemple, un Tawfik al-Madanī au sein de l’Association des Oulémas, et dénonçait le désir chez beaucoup d’Algériens musulmans nationalistes de rompre tout lien avec la France : « Mais ne pas voir l’aspiration qui fait l’unité profonde du nationalisme algérien, c’est là une mystification, dont on ne sait que trop de quoi et de qui elle nous rend complices. Ne nous payons pas de byzantinismes timorés : il s’agit d’indépendance41. »
28Indépendance : un mot qui ne faisait pas peur à Vin nouveau, qui dénonçait le régime colonial. Sa racine était le racisme, traduit par un apartheid de fait, contre le « bicot », le « raton », « le Nord-Afr », le « Musulman » tenu pour un homme inférieur « auquel on entend imposer le genre de bonheur qu’on tient congru à cet homme inférieur […] comme l’éleveur impose au lapin domestique la nourriture et le clapier qu’il juge idéaux » (Urgence pour l’Algérie, p. 6). Pour lutter contre le racisme, les jeunes lecteurs étaient donc invités à avoir « des contacts directs avec la réalité algérienne et, plus spécialement, avec les Algériens vivant en France » (p. 75) : on signalait différents groupes (le groupe Coopération, le Mouvement pour la Justice et la Liberté outre-mer, les Comités Étudiants franco-maghrébins). On proposait de donner des cours aux Nord-Africains à Paris, en signalant des associations avec leur adresse et téléphone. Enfin, on renvoyait à l’UGEMA, 115, boulevard Saint-Michel42.
29On proposait aussi une bibliographie, aux pages 74 et 75. Urgence pour l’Algérie énumérait : sur l’histoire, le « Que sais-je » de Jean Despois sur l’Afrique du Nord, le « Que sais-je » de Georges Esquer sur L’histoire de l’Algérie, et L’histoire de l’Afrique du Nord de Charles-André Julien ; sur les problèmes économiques et sociaux, Jean Blanchard, Le problème algérien, et les rapports de Robert Delavignette (5 juillet 1955) et de la commission Maspetiol à l’Assemblée nationale, ainsi qu’Algérie 1954, numéro spécial de l’Encyclopédie mensuelle d’outre-mer. Sur l’Algérie d’aujourd’hui, L’Afrique du Nord en marche de Charles-André Julien figurait avec La crise algérienne de François Sarrazin aux éditions du Cerf, en annonçant l’ouvrage sous presse de Colette Jeanson. Mais ce sont surtout les numéros d’Esprit sur la question algérienne, qui, avec celui des Informations catholiques internationales, de la Revue de l’action populaire (janvier 1955) et enfin de La Nef (juin 1955) informaient les auteurs (et donc les lecteurs) de Vin nouveau.
30La lutte contre la guerre en Algérie et contre la politique coloniale française en général entraînait une nouvelle vision du monde. Un éditorial écrit le 10 novembre 1956 par Jean-Yves Tadié dénonçait à la fois le détournement de l’avion de Ben Bella et l’expédition de Suez :
Livrés donc à nous-mêmes, nous en sommes venus à penser qu’il n’est plus grand-chose à espérer du présent. […] Si de l’incohérence des politiques antérieures ne sort pas la fascinante logique de la guerre, si ceux qui, jusqu’à présent, ont pris à cœur de nous décharger de notre destin nous en laissent le temps, il nous faudra songer à une autre éducation : celle qui saura découvrir les conditions réelles de la construction économique, celle qui inventera le nouveau langage qu’attendent les jeunes d’outre-mer, plus encore que nous victimes, et, par cela même, vrais compagnons de notre effort ; celle qui rendra à la France le rôle qu’on a trop attendu qu’elle reprenne43.
31En janvier 1957, un important numéro de Vin nouveau sur l’Afrique noire publia des articles sur l’économie de l’Union française, et ses dimensions politiques, en faisant une large place à la poésie de Léopold Sedar Senghor – un catholique fortement influencé par le personnalisme de Mounier – et à la poésie de Jacques Rabemanjara, survivant des émeutes de 1949 terriblement réprimées : un nouveau regard sur la francophonie même était esquissé44.
Une nouvelle vision de l’islam et des musulmans
32Nouvelle vision de l’islam aussi. Sur l’islam, la note bibliographique citait les livres de Dominique Sourdel et d’Émile Dermenghem, ceux-là mêmes que je trouvai vingt-cinq ans plus tard dans la bibliothèque de mes parents. S’y ajoutait le livre Vocation de l’Islam, paru en 1954 aux éditions du Seuil sous la plume de Malek Bennabi (1905-1973) : ce Constantinois, bientôt installé au Caire en 1956, était alors l’un des chantres du réformisme musulman. Toujours dans le numéro 8 de Vin nouveau, Suzanne Mestre, dans « Les conditions culturelles de la communauté algérienne », évoquait à la fois les questions linguistiques et celles de l’islam algérien, plaidait pour l’enseignement de l’arabe, tout en affirmant l’importance de la culture française en Algérie. Elle présentait aussi la réalité d’une « renaissance islamique » que la puissance coloniale avait vainement cherché à étouffer. Puis, faisant le constat de l’échec missionnaire en Algérie, elle écrivait ces lignes audacieuses, conformes à la nouvelle missiologie vis-à-vis de l’islam :
La vocation missionnaire en terre d’Islam n’est peut-être pas de présenter d’abord le Christ dans son Église, mais de faire comprendre qu’il est le sens et la plénitude de toute expérience religieuse vraie. Elle suppose donc une reconnaissance de la tradition islamique sous forme de « révélation naturelle ». Dès lors, n’est-il pas nécessaire d’aider les Musulmans à sauver cette tradition du littéralisme et de l’inaptitude à créer du nouveau ?
33La question culturelle et religieuse commandait, elle aussi, une solution politique.
34L’article de Suzanne Mestre donnait un large écho à l’expérience des Scouts musulmans et à l’activité de l’Association des Oulémas – comptant, d’après l’article, 100 000 membres, dont 500 membres actifs diplômés notamment de la Grande Mosquée de la Zeituna à Tunis. Il dénonçait la répression par la police de la presse réformiste, des médersas, des cercles. Un tel éloge signifiait l’influence importante d’Ahmed Taleb sur le petit milieu de Vin nouveau : lecteur de Mounier, étudiant en médecine, c’est par une fille de Marrou dont il était ami, qu’il était entré en contact avec ces jeunes étudiants catholiques. Urgence pour l’Algérie lui avait ouvert ses colonnes : un petit article d’Ahmed Taleb suivait celui de Suzanne Mestre. Il y disait le refus de l’intégration, prônait une politique de coopération ou d’association pour que les deux communautés algériennes continuent à coexister, dans une absolue égalité. En Algérie, c’était un « fait que l’opprimé est toujours le musulman, l’oppresseur, souvent le chrétien » (p. 70). Jésus fils de Marie était pourtant cher à l’islam. Qu’en était-il alors du message du Christ que reprenaient les musulmans contre les pharisaïsmes, contre ceux qui étouffent les cris des humbles et des innocents ? Ahmed Taleb dénonçait le mépris à l’égard du Prophète professé par bien des chrétiens, et finissait par un mot rapide sur le dialogue entre islam et christianisme, proposant une « action conjuguée et soutenue pour la liberté individuelle contre l’injustice sociale » (p. 72). La revue, citant l’évêque d’Angers Mgr Chappoulie, dans son message du 2 octobre 1955, parlait plutôt d’« amitié fraternelle ». Et quand Ahmed Taleb fut arrêté, Claude Martin lui consacra un article ainsi qu’à Salah Louanchi, arrêté avec lui, pour montrer les visages du nationalisme algérien et leur diversité : loin d’être le « monstre acéphale » contre nature et « indigne d’une analyse historique » que présente le gouvernement français, « c’est d’êtres humains que nous parlons45 ».
35Urgence pour l’Algérie marquait l’apparition, dans une frange marginale, mais non négligeable, du catholicisme français, d’une nouvelle vision de l’islam et des musulmans. Ici se manifeste l’aura de Louis Massignon (1883-1962), qui militait contre la guerre. Ce nouveau regard sur l’islam, né dans la missiologie de l’entre-deux-guerres sous l’influence des jésuites, se fortifia sous l’influence active des dominicains du Caire (Serge de Beaurecueil, Georges Chehata Anawati, Jacques Jomier) qui fondèrent, le 7 mars 1953, l’Institut dominicain d’études orientales (Idéo)46. Dans la foulée de la quatrième édition (1954) de L’Annuaire du monde musulman de Louis Massignon, la revue des dominicains de Lyon, Lumière et vie, proposa en janvier 1956 un numéro 25 consacré à L’islam où écrivaient les pères Youakim Moubarak, Georges Anawati et Jacques Jomier, ainsi que Louis Gardet. Constatant un réveil politique, culturel et religieux des pays d’islam, l’éditorial proposait de se pencher sur l’islam « avec sympathie », sur un ton proche de celui de Vin nouveau – mais non politique.
Faire la guerre ?
36Parmi les auteurs de Vin nouveau et leur milieu, il y eut ceux qui firent la guerre, et en tirèrent des leçons – pas toujours les mêmes – dans leur engagement comme historien et dans la vie politique : Antoine Prost, reçu second à l’agrégation d’histoire en 1957, la même année que Jean-Marie Mayeur (quatrième), fut durant neuf mois sous-lieutenant au 5e bataillon de tirailleurs47. Gérard Cholvy, lui aussi reçu à l’agrégation d’histoire de 1957, partit à son tour combattre en Algérie, comme Jacques Julliard, agrégé d’histoire en 1958, qui fut durant dix-huit mois (septembre 1959-mai 1961) officier d’action psychologique auprès des populations civiles. Un élève de Marrou, le chartiste Paul-Albert Février (1931-1991), fit la guerre de 1957 à 1960 : il fut affecté comme sergent, administratif, dans un centre de torture où, cohabitant avec les bourreaux, il soigna et nourrit, prit surtout soin d’enregistrer les entrants, pour éviter qu’ils ne disparaissent pour toujours48. Michel Launay, d’abord envoyé en Allemagne faire son service, annonça auprès de ses supérieurs son intention de déserter et sa conviction que l’Algérie serait indépendante : l’abbé André Brien lui-même intervint, via le général de Boissieu, auprès du général de Gaulle pour négocier un service qui n’implique aucune opération militaire. Michel Launay fut finalement envoyé en Algérie en mars 1960 dans une SAS où il passa un an avec sa femme Léo (1931-2015)49. Certains réussirent à éviter de faire la guerre : infirmier au Val-de-Grâce, Yves Vadé resta en France. Il s’était occupé, lors de son service à Maisons-Laffitte et Rueil-Malmaison, des dossiers de réformés, notamment des Algériens vivant en France, réformés d’office. Quant à Jean-Yves Tadié, il partit comme enseignant en Égypte où il découvrit Alexandrie en 1960, tandis que Joseph Hoffmann, détaché militaire au collège de la Sainte-Famille du Caire, y passait deux années (1959-1961)50, et que Jean-Jacques Origas, qui avait pu repousser le service, partait pour le Japon en 1961.
37Comme dans toute la société française, rares furent les déserteurs ou objecteurs de conscience chez ces jeunes catholiques, même si le débat fut vif, les hésitations et les tourments considérables : les évêques, l’Église elle-même, avaient condamné la désertion. Comme l’a écrit Tramor Quemeneur, « ils contestaient et obéissaient51 ». C’est dans l’Est, à Mulhouse, à Strasbourg que – peut-être à cause du souvenir très vif de l’incorporation de force52 – éclatèrent en juin 1956 des manifestations chez les rappelés. L’influence d’André Mandouze chez les étudiants alsaciens était considérable, lui dont l’arrestation en novembre 1955 à Strasbourg avait soulevé une vive émotion53. Cette influence s’étendait aux étudiants parisiens : l’un des collaborateurs de Vin nouveau, Jean-Jacques Origas, avait justement été le responsable de la JEC à Mulhouse. À Metz, le jeune chef scout lorrain Jean Müller, né en 1931, tué au combat en Algérie en 1956, laissa un témoignage sur la torture (le Dossier Müller) qui parut peu après sa mort dans Témoignage chrétien, en 1957. C’est ensuite dans l’entourage de Mgr Paul-Joseph Schmitt (« le grand Schmitt »), évêque de Metz à partir de 1958, que se dessinèrent les oppositions, et pour commencer les témoignages. Grandi dans ce milieu messin proche de Mgr Schmitt, le cinéphile (puis cinéaste) Jean-Marie Straub déserta en 1958, par solidarité avec les indépendantistes algériens, et quitta la France pour l’Allemagne où son premier film Machorka Muff (1962) dénonçait la menace d’un retour du nazisme dans les compromissions de l’Allemagne capitaliste. Ce fut l’évêque de Metz qui témoigna en personne au tribunal des forces armées de Metz et au tribunal de Thionville en faveur de plusieurs objecteurs de conscience et d’un déserteur54.
38Dans cette deuxième phase du conflit s’affirment les ruptures. Un camarade de khâgne de Jean-Marie Mayeur, Jean Le Meur, officier de réserve opposé en 1958 à la torture, fut condamné à deux ans de prison55. Un congrès de la FFEC vote une motion en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Mais c’est hors du cercle intellectuel de Vin nouveau que se tinrent les jeunes historiens qui dénoncèrent la guerre avec la plus grande virulence, comme le communiste Robert Bonnaud, né en 1929, réserviste rappelé envoyé sur le plateau des Nementchas les 25-26 octobre 1956. Il livra un témoignage d’une force extraordinaire dans La paix dans les Nementchas, publiée par Esprit en avril 1957 à l’instigation de son ami Pierre Vidal-Naquet56. Aux confins des communistes, comme Bonnaud, et des catholiques de gauche, comme Straub, se dessinèrent bientôt les soutiens du FLN où figuraient certains proches d’Esprit et surtout de Témoignage chrétien. En 1955, la publication de L’Algérie hors-la-loi avait déterminé l’engagement des Jeanson57. Le couple et leurs proches franchirent le pas, le 2 octobre 1957, en créant le « réseau Jeanson », où l’on ne trouve, à ma connaissance, aucun nom des jeunes auteurs de Vin nouveau, excepté celui de Michel Launay, contacté par le père Robert Davezies (1923-2007) et le père Bernard Boudouresques (1923-2013). C’est hors de Vin nouveau qu’une amie de mon père, la professeure de lettres Janine Cahen (1931-2011), à Mulhouse, devint membre du réseau Jeanson : ses origines juives, sa fuite dans le Vercors durant la résistance du maquis avaient décidé de son engagement58. Quant au petit milieu de Vin nouveau, hésitant jusqu’alors, il se scinda à la suite du 13 mai 1958, pour ou contre le retour du général de Gaulle : comme l’épiscopat français, la majorité des jeunes auteurs firent confiance à de Gaulle pour solder la guerre d’Algérie, comme ils avaient fait confiance jadis à Mendès France sur la question marocaine. « On n’a pas été surpris par le 13 mai, pas chagrinés de voir disparaître ce personnel politique. Des bruits couraient que de Gaulle avait des vues progressistes sur l’Algérie. On lui prêtait le mot : sur l’Algérie, je vais plus loin que Mauriac » (témoignage d’Yves Vadé). D’autres choisirent la rupture et l’engagement dans une gauche hostile au 13 mai.
De Vin nouveau au renouvellement de l’histoire religieuse
39Réformé pour asthme, Jean-Marie Mayeur n’eut ni à faire la guerre, ni à déserter, et n’entra jamais en contact direct avec le FLN. Son nom devait toutefois continuer à circuler dans les milieux nationalistes algériens, puisque j’ai trouvé dans ses papiers une lettre anonyme dactylographiée, adressée à son adresse strasbourgeoise, qui appelait à l’insoumission (un appel devenu inutile dans son cas). Comme les autres auteurs de Vin nouveau, il obéit aux directives de l’Église, mais aussi aux avis de Marrou qui dit sa distance, en 1962, avec un engagement excessif des intellectuels59. Une fois l’agrégation obtenue, il avait été tenté par un poste de coopérant à l’université de Tunis, dans la Tunisie fraîchement indépendante, mais choisit finalement de rester en France, au lycée Kléber de Strasbourg (1958-1961) où il devint le collègue et l’ami de Mohammed Arkoun, professeur d’arabe. Il y fonda en 1958 un groupe Esprit, et renoua les contacts de sa jeunesse strasbourgeoise, comme l’abbé Pierre Bockel, mais aussi des personnalités liées au petit groupe de l’aumônerie protestante, comme le pasteur Georges Casalis (1917-1987) et le professeur Riehl, théologien protestant rédacteur à Réforme. André Mandouze, muté à Strasbourg après sa libération de prison au début 1957, était un ami.
40L’intérêt de mon père pour l’Algérie dura longtemps : il écrivit encore deux articles, traduits en italien, pour la revue Humanitas, Rivista mensile di Cultura qui, éditée à Brescia, promouvait la réflexion sur le catholicisme social60. L’un portait sur la France et l’Algérie après le référendum sur l’autodétermination (1961), et l’autre sur la France et l’Algérie au lendemain du cessez-le-feu (1962)61. À la demande de la Fédération de France du FLN en Alsace, J.-M. Mayeur fut chargé d’écrire un petit texte en vue d’une politique économique à suivre dans l’Algérie indépendante. Il s’associa pour l’écrire à un économiste parisien ancien responsable étudiant de l’UNEF, Jacques Freyssinet (né en 1937), et tous deux furent invités à un méchoui à Mulhouse pour la fête célébrée pour l’indépendance en juillet 1962 : « Cela a été mon seul – et premier – contact avec le FLN62. » C’était aussi la première fois de sa vie qu’il mangeait un méchoui. Et comme il s’agissait aussi d’asseoir la propagande du FLN, on lui offrit un 45 tours de Kassaman, devenu l’hymne algérien.
41La réflexion conjointe, jamais dissociée, sur les relations entre religion et politique, sur l’engagement des chrétiens dans la cité alimenta d’autres élans. Le désir commun au petit groupe de Vin nouveau de faire autrement de l’histoire religieuse s’était affirmé en même temps que ses prises de position contre la guerre d’Algérie, parce que les deux engagements allaient de pair – toujours dans l’héritage à la fois d’Esprit et de Marrou. Dans ce numéro 11 où il rédigeait un éditorial engagé sur l’Algérie et la nation française, Jean-Marie Mayeur participait aussi au « débat sur l’histoire de l’Église », tenu par quatre jeunes collaborateurs de la revue déjà tournés vers l’histoire religieuse (outre Mayeur, André Dekker, Philippe Joutard, Marc Venard), avec trois historiens du christianisme, Henri-Irénée Marrou, René Rémond et l’abbé Jean Chatillon, professeur à l’Institut catholique de Paris. Les protagonistes de ce débat passionnant appelaient à renouveler les méthodes et les objectifs de l’histoire religieuse. Henri-Irénée Marrou concluait, en s’adressant à ces jeunes historiens :
Ce n’est pas seulement la fabrication de l’histoire de l’Église qui est en question, c’est la totalité de l’histoire. Sans se cantonner à l’histoire religieuse, sans vouloir défendre une conception cléricale de la culture chrétienne, le chrétien doit toujours être sensible et attentif à certaines résonances, à la composante religieuse de l’homme63.
42Dans un très beau texte, « Dieu conduit l’histoire », Marc Venard a évoqué ce débat du numéro 11 de Vin nouveau : « L’histoire religieuse sortait du ghetto où elle était enfermée depuis près d’une génération et où elle s’était étiolée. » C’est à partir de 1958, se rappelle-t-il, que se constitua le groupe d’histoire religieuse, plus tard appelé « groupe de la Bussière » à partir d’une publication commune et de rencontres annuelles, groupe qui donna lieu à l’Histoire du christianisme : Jean-Marie Mayeur, Charles Piétri, André Vauchez, Marc Venard64. En somme, d’anciens protagonistes de Vin nouveau. À la mort de Marrou, Pietri préfaça un volume de reprises d’articles, dirigé et introduit par Mayeur, assorti de témoignages d’amis et de proches de Marrou : Pierre Vidal-Naquet y revenait sur les engagements de Marrou durant la guerre d’Algérie.
43Pour beaucoup des auteurs de Vin nouveau, la fin de la guerre d’Algérie coïncidait donc avec le début d’une carrière universitaire et de choix scientifiques engagés, dans l’espérance joyeuse du concile Vatican II inauguré le 11 octobre 1962, quelques mois après la fin de la guerre d’Algérie. Ce fut Vatican II qui prononça pour la première fois une parole nouvelle sur l’islam avec Nostra Aetate (28 octobre 1965) et annonça à l’Église des promesses de renouvellement spirituel, d’engagement social et de solidarité auprès du Tiers-Monde, d’où devait sortir l’encyclique Populorum progressio (26 mars 1967).
44Pour d’autres auteurs de Vin nouveau ou leurs proches les plus à gauche, la suite fut plus mélancolique : dix ans après la fin de la guerre d’Algérie, en octobre 1972, une table ronde reprise dans un numéro d’Esprit proposait un « retour sur la guerre d’Algérie », quelque peu nostalgique65. Jacques Julliard déclarait avoir eu
nettement l’impression, à la fin de la guerre d’Algérie, que nous venions de vivre le dernier acte d’un certain type de vie politique au sens propre, et que désormais nous entrions dans des problèmes de nature assez différente. Pendant les trente années qui se sont terminées avec cette guerre d’Algérie, l’adversaire pour la gauche était clairement défini, et il est extrêmement facile d’avoir une attitude politique militante quotidienne lorsque l’adversaire est bien défini, qu’il s’appelle le fascisme, le franquisme, le nazisme et, pendant la guerre d’Algérie, le colonialisme.
45Pour Domenach, la dépolitisation et la société de consommation commencées en France en même temps que la guerre d’Algérie expliquaient ces changements. De l’autre côté de la Méditerranée, les problèmes étaient tout autres, et plus sombres : de nouveau emprisonné, huit mois, sous Ben Bella, Ahmed Taleb Ibrahimi devint ministre de l’Éducation après le coup d’État de Houari Boumediene. C’est alors qu’il fit paraître début 1966 ses Lettres de prison de 1957 à 1961, avec une préface qui présente ces lettres comme un testament : « Celui qui les a écrites est mort d’une certaine façon. Mort l’enthousiasme qui le faisait chanter […]. Mortes les illusions sur le temps et les hommes ! Mais la foi subsiste et demeure l’espérance66. »
46La vie passe, les espoirs sont déçus, les engagements changent, et les guerres se succèdent. L’Algérie d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle que défendaient les auteurs de Vin nouveau. Et pourtant, quand, au début de 2017, Charlotte Courreye offrit à Ahmed Taleb Ibrahimi un exemplaire de sa thèse sur l’Association des Oulémas musulmans algériens, celui-ci évoqua le souvenir de Jean-Marie Mayeur, « un homme de bien ». Soixante ans après le rendez-vous manqué, il n’avait pas oublié les étudiants de Vin nouveau.
Notes de bas de page
1 Cet article est une première étape dans une recherche que j’espère plus ample. Je dis mon affectueuse reconnaissance à mes oncle et tante André et Denise Vauchez qui se sont rencontrés en vendant Vin nouveau à Strasbourg, et à l’abbé Joseph Hoffman pour son témoignage (4 janvier 2018). J’exprime toute ma gratitude, pour les entretiens qu’ils ont bien voulu m’accorder, à Jean-Yves Tadié (8 décembre 2017) et à Yves Vadé (19 janvier 2018). Je remercie la génération suivante pour son aide : Alexis Tadié, Jean-François Julliard, Isabelle Launay (via Emmanuel Lozerand) et tout particulièrement Bruno Rousselet pour m’avoir prêté sa collection de Vin nouveau. Je remercie pour leur lecture et leurs remarques Étienne Fouilloux, Jacques Prévotat et Antoine Prost. Je remercie enfin chaleureusement Jérôme Bocquet de m’avoir envoyé le PDF de son habilitation, Les chrétiens et la guerre. La guerre juste ou la « génération du djébel » (1954-2010), HDR EPHE, 2014. On en trouvera une idée dans sa riche contribution sur « Un dreyfusisme chrétien face à la guerre d’Algérie », dans Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2012, p. 227-255, avec des fiches sur André Mandouze, Jean Müller, la Fédération protestante de France et Robert Davezies. J’en profite pour rectifier toutefois deux affirmations contenues dans l’habilitation ou dans l’article : Jean-Marie Mayeur n’a jamais été démocrate-chrétien, et il n’a jamais milité à l’UNEF.
2 À la date du 22 décembre 1955, François Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, Paris, Flammarion, 1958, p. 210.
3 Peut-être l’exemplaire de la bibliothèque parentale n’était-il que la réédition de 1961. Il y avait aussi L’affaire Audin de Pierre Vidal-Naquet, La question algérienne paru en 1958, bref ce que les Éditions de Minuit firent paraître sur la torture en Algérie.
4 Signalons la récente habilitation soutenue par Jérôme Bocquet : Les chrétiens et la guerre. La guerre juste ou la « génération du djébel » (1954-2010), op. cit.
5 C’est ainsi que les appelait avec hostilité, début 1956, Christian Courtois, un jeune historien, professeur à Alger qui avait fait sa thèse sur Les Vandales et l’Afrique. Voir Pierre Riché, C’était un autre millénaire. Souvenirs d’un professeur de la communale à Nanterre, Paris, Tallandier, 2008.
6 « Tout s’est fait grâce aux dominicains », résume Yves Vadé. Vin nouveau est tout à fait inconnu de la littérature secondaire, excepté une unique mention par Étienne Fouilloux dans le livre de Jean-François Sirinelli, Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre d’Algérie et les intellectuels français, Bruxelles, Complexe, 1999.
7 Charles Palmier [peut-être un pseudonyme de Charles Pietri ?], « P.M.F., une carte ou une politique », Vin nouveau, no 1, janvier 1955, p. 31-36. Sur les catholiques mendésistes, voir Étienne Fouilloux, « Les catholiques mendésistes, 1953-1956 », dans François Bédarida, Jean-Pierre Rioux (dir.), Pierre Mendès France et le mendésisme, Paris, Fayard, 1985, p. 71-86.
8 Jean Flory, « Monition fraternelle à M. François Mauriac », Vin nouveau, no 2, février 1955, article complété par Yves Vadé qui se demande ce qui manque à Mauriac pour être Bernanos ou Péguy, p. 4-9.
9 Jéciste, c’est-à-dire membre de la JEC, Jeunesse étudiante chrétienne.
10 Sur le CCIF, au 61, rue Madame, voir Claire Toupin-Guyot, Les intellectuels catholiques dans la société française : le Centre catholique des intellectuels français, 1941-1976, Rennes, PUR, 2002. Lors de conférences très suivies, on venait écouter Mauriac ou Massignon. C’est au cercle Richelieu que Jean-Marie Mayeur entendit une fois Massignon « très impressionnant » (interview accordée à Jérôme Bocquet, 5 mars 2012).
11 Devenu ministre d’État sans portefeuille du gouvernement Guy Mollet en 1956, Mendès France démissionna au bout de quelques mois en raison de son désaccord avec la politique menée en Algérie. Voir André de Peretti, L’indépendance du Maroc et la France : 1946-1956 : mémoires et témoignages, Haut commissariat aux anciens résistants et anciens membres de l’Armée de Libération, DL 2006 et Robert Barrat, Un journaliste au cœur de la guerre d’Algérie, Paris, Témoignage chrétien, 1987 ; Éditions de l’Aube, 2001. Sur Mendès France face au Maroc, Maria Romo-Navarette, Pierre Mendès France : héritage colonial et indépendances, Paris, PUPS, 2009.
12 Précisons que ce Claude Martin, alors étudiant et plus tard professeur à l’université de Lyon et spécialiste d’André Gide (témoignage de Jean-Yves Tadié), convoqué par la police militaire lors du service militaire (témoignage d’Yves Vadé), n’a rien à voir avec le Claude Martin qui fut professeur au lycée Carnot de Tunis dans les années 1940, et qui – lui-même docteur ès lettres en 1936 – écrivit une Histoire de l’Algérie française 1830-1962, publiée en 1963, qui – d’après le compte rendu qu’en fit Le Monde en mai 1963, ne « porte guère de sympathie à l’Islam, ni aux “indigènes” pratiquement imperméables à nos concepts occidentaux, ni aux “idéologues” de gauche ».
13 Comme le signale Jacques-Olivier Boudon, l’exemplaire conservé dans les Archives privées de Jean-Marie Mayeur, porte, écrit de sa main, sous le texte, les trois initiales JMM.
14 Vin nouveau, avril-mai 1956, p. 7.
15 Jean-Claude Delbreil, La revue « La Vie intellectuelle ». Marc Sangnier, le thomisme et le personnalisme, Paris, Cerf, 2008.
16 À l’été 1956 ou 1957. C’était avant la construction, déjà projetée alors, du couvent par Le Corbusier. Entretien avec Joseph Hoffmann du 4 janvier 2018.
17 Joseph Hoffmann, né en 1934, collabora à Vin nouveau sous le pseudonyme bien malrucien de Jacques Berger. Il y publia en 1955 un article sur Malraux (prélude à une thèse ultérieure), en 1956 l’article « D’une connaissance faussement historique » inspiré par la pensée de Henri-Irénée Marrou, et un troisième article début 1957 sur Georges Bernanos. Pour nous, témoigne-t-il, « Bernanos, c’était le grand homme, à la fois par ce qu’il disait, et la façon dont il le disait ».
18 Jean-Marie Mayeur, « Sur Mounier et sa génération », Vin nouveau, no 11, avril-mai 1956, p. 62-69.
19 Comme l’a bien montré Goulven Boudic, la direction d’Esprit était très partagée entre philo-communistes (Lacroix, Bartoli) et hostiles au compagnonnage (Marrou, Laloy). Goulven Boudic, Les métamorphoses d’une revue, Esprit, 1944-1982, Saint-Germain-la-Blanche Herbe, Éditions de l’IMEC, 2005.
20 Le livre parut effectivement en 1955 au Seuil sous le titre L’Algérie hors la loi, cosigné avec Francis Jeanson – deux ans avant la création du réseau Jeanson.
21 Claude Martin, « À propos d’Alger », Vin nouveau, février-mars 1956, p. 23-33.
22 Pierre Riché, Henri-Irénée Marrou, historien engagé, Paris, Cerf Histoire, 2003.
23 Ses articles engagés parus dans Esprit sous le pseudonyme de Henri Davenson furent regroupés dans Henri-Irénée Marrou, Crise de notre temps et réflexion chrétienne (de 1930 à 1975), Paris, Beauchesne, 1978.
24 Nul hasard si, une trentaine d’années plus tard, François Bédarida codirigea avec Étienne Fouilloux une publication de référence sur La guerre d’Algérie et les chrétiens en 1988. Renée Bédarida devint l’historienne des chrétiens de la Résistance : parmi ses nombreux ouvrages, voir Les armes de l’esprit. Témoignage chrétien (1941-1944), Paris, Éditions ouvrières, 1977 ; ainsi que la préface, l’introduction et les notes de Henri de Lubac, Résistance chrétienne au nazisme, Paris, Cerf, 2006.
25 André Mandouze, Mémoires d’outre-siècle : 1. D’une Résistance à l’autre, Paris, Viviane Hamy, 1998 ; Mémoires d’outre-siècle : 2. À gauche toute, bon dieu !, Paris, Cerf, 2003.
26 André Mandouze, « Impossibilités algériennes », Esprit, juillet 1947, repris dans Esprit. Écrire contre la guerre d’Algérie 1947-1962, Paris, Hachette Littérature, 2002, p. 21 ; Jeanyves Guérin, « Mauriac et les autres. Un dreyfusisme catholique (1954-1957) », dans Catherine Brun (dir.), Guerre d’Algérie : les mots pour la dire, Paris, CNRS Éditions, 2014.
27 Georges Suffert donna un article à Vin nouveau pour le numéro 3-4 de mars-avril 1955 : « Nouvelle gauche, nouvelle droite ou un gouvernement pour la France ? », p. 20-24.
28 Guy Pervillé, « La génération de la résistance face à la guerre d’Algérie », dans François Marcot (dir.), La Résistance et les Français. Lutte armée et maquis, Actes du colloque international de Besançon, 15-17 juin 1995, Annales littéraires de l’université de Franche-Comté, 1996.
29 Comme l’a justement écrit Jacques-Olivier Boudon, « Le traumatisme de la défaite de 1940, vécu par un jeune garçon de sept ans “déporté” en mai 1940 avec sa mère et sa petite sœur, depuis la Lorraine, dans des wagons à bestiaux, jusqu’à Couhé-Vérac dans le Poitou, permet de mieux comprendre l’intérêt porté ensuite à celle de 1870 à laquelle elle fait écho », « Jean-Marie Mayeur, historien du christianisme et de la laïcité », Revue de l’histoire de l’Église de France, t. 100, 2014, p. 219-234. L’annexion allemande toute récente de l’Alsace-Moselle avait déterminé l’enfance de Joseph Hoffmann, qui signait Jacques Berger dans Vin nouveau et qui avait été scolarisé à l’école allemande.
30 Boudon, « Jean-Marie Mayeur, historien du christianisme et de la laïcité », art. cité.
31 Telle est la citation qui figure en quatrième de couverture du numéro 8 de Vin nouveau : Urgence pour l’Algérie, décembre 1955. Dans la continuité des Grands cimetières sous la lune et du Scandale de la vérité, le recueil Nous autres, Francais, paru en 1939, réunit des articles de Georges Bernanos écrits en 1938 et 1939, contre la « Croisade » du général Franco et contre Charles Maurras.
32 Esprit publia un texte de l’homme politique catholique Jose Maria de Semprun y Gurrea (le père de Jorge Semprun), publié en novembre 1936 : « La question d’Espagne inconnue ». Sur la guerre d’Espagne, comme lors du Front populaire, Mounier et sa revue choisirent de refuser toute instrumentalisation de la référence au christianisme au service du conservatisme réactionnaire.
33 Françoise Paoli y consacra sa thèse de troisième cycle, soutenue à la Sorbonne en janvier 1964. Françoise Mayeur, L’aube, étude d’un journal d’opinion, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, Armand Colin, 1966. Le compte rendu du livre par Jacques Julliard dans Le Mouvement social de janvier-mars 1968, p. 143-144 confirme la très bonne connaissance des mouvements catholiques de l’entre-deux-guerres par le petit milieu de Vin nouveau.
34 Auxquels Jean-Marie Mayeur consacra un article vingt-cinq ans plus tard : Jean-Marie Mayeur, « Les catholiques dreyfusards », Revue historique, CCLXI, avril-juin 1979, p. 337-361.
35 Jean-Marie Mayeur cite de Gaulle dans la conclusion de « Le projet national », Vin nouveau, nouvelle série no 1, novembre 1956, p. 19-29. Compte rendu bref et brillant du deuxième tome des Mémoires de guerre de De Gaulle par Jean-Yves Tadié dans le même numéro, p. 66-67.
36 Jacques Julliard donne dans « Les étudiants français devant le problème algérien », Vin nouveau, no 12 d’août-septembre 1956 un tableau passionnant des luttes internes au sein de l’UNEF, notamment vis-à-vis de l’UGEMA.
37 Comme la revue était administrée par les éditions du Cerf, « il n’en faut pas plus au tract, qui renvoie aux pamphlets de Madiran, pour y voir une nouvelle entreprise du “trust Sauvageot” et des “dominicains soviétophiles” », Étienne Fouilloux, Histoire des Éditions du Cerf 1918-1965, Rennes, PUR, 2018. Je remercie Étienne Fouilloux de m’avoir communiqué l’extrait de son livre.
38 Claude Martin, « À propos d’Alger », Vin nouveau, février-mars 1956, p. 30-31.
39 Cet article non signé, « Hiérarchie catholique et Afrique du Nord », cite les principales déclarations de l’épiscopat français sur la question, d’après une brochure diffusée conjointement par la JEC, Omnes Gentes, la Route et les Guides de France et la FFEC. Il cite notamment de larges extraits d’une conférence de Mgr Chappoulie à la Quinzaine missionnaire du diocèse de Lille le 2 octobre 1955, où Mgr Chappoulie se réfère au père René Voillaume, fondateur des Petits Frères de Charles de Foucauld. Voir Jean-Marie Mayeur, « Les évêques et la guerre d’Algérie », dans François Bédarida, Étienne Fouilloux (dir.), La guerre d’Algérie et les chrétiens, Cahiers de l’Institut d’histoire du temps présent, no 9, octobre 1988, p. 39-45.
40 Un petit article d’Antoine Haumont (1935-2016), étudiant en géographie, citait les professeurs qui, à l’Institut géographique de Paris, permettaient de comprendre le « problème algérien » : « Le problème algérien : information et action politique », Les étudiants et la politique, Vin nouveau, avril 1957, p. 42-44.
41 Claude Martin, « L’urgence est politique », Vin nouveau, décembre 1955, p. 45-57. Le mot « indépendance » avait déjà été prononcé par le Comité théologique de Lyon dans la Semaine religieuse du diocèse de Lyon, le 3 juin 1955, qui reconnaissait « la légitimité des aspirations à l’indépendance du peuple algérien ». L’épiscopat devint bientôt plus prudent, remarque à l’époque un auteur nettement hostile à l’attitude des évêques français et de Rome, craignant que la décolonisation en Afrique noire, en Asie, en Algérie n’aboutisse à une disparition des catholiques de ces terres de mission ; François Méjan, Le Vatican contre la France d’outre-mer ?, Paris, Librairie Fischbacher, 1957, p. 167-173.
42 Sur l’UGEMA, Guy Pervillé, Les étudiants algériens de l’Université française, 1880-1962, Paris, Éditions du CNRS, 1984.
43 Éditorial, Vin nouveau, nouvelle série no 1, novembre 1956, p. 3.
44 Alain Badiou, « La poésie de Senghor », Vin nouveau, nouvelle série no 2, janvier 1957, p. 67-79 et L. X. M. Andrianarahinjaka, « Poésie malgache : poètes de langue française et tradition poétique », ibid., p. 80-96.
45 Claude Martin, « Algérie : quelques visages », Vin nouveau, avril 1957, p. 58-63.
46 Dominique Avon, Les Frères prêcheurs en Orient. Les dominicains du Caire (années 1910-années 1960), Paris, Cerf, 2005 ; Oissila Saaidia, Clercs catholiques et oulémas sunnites dans la première moitié du xxe siècle. Discours croisés, Paris, Geuthner, 2004.
47 Antoine Prost, Carnets d’Algérie, Paris, Tallandier, 2005, préf. de Pierre Vidal-Naquet. Antoine Prost avait proposé au Monde une tribune, le 10 avril 1956, où il condamnait à la fois une guerre illégitime et le recours à la torture. La tribune fut refusée.
48 Paul-Albert Février fut ensuite chercheur, inspecteur des antiquités et enseignant dans l’Algérie indépendante, ce dont il témoigne dans l’introduction de son dernier livre Approches du Maghreb romain. Je remercie Antoine Prost d’avoir attiré mon attention sur le témoignage (lettres et carnets) publié par Jean-Marie Guillon, Paul-Albert Février, un historien dans l’Algérie en guerre. Un engagement chrétien, 1959-1962 (préf. de Pierre Vidal- Naquet), Cerf, 2006.
49 Ils revinrent tous deux avec des monographies, dont celle de Léo Launay sur dépossession territoriale de la tribu des Ouled Zeir et ses conséquences.
50 Dès le premier numéro de Vin nouveau, une interview d’Anouar Louca (1927-2003), alors étudiant à Paris, attirait l’attention sur « la culture française en Égypte ».
51 Tramor Quemeneur, « Les manifestations de rappelés contre la guerre d’Algérie. Contestation et obéissance, 1955-1956 », Outre-Mers, no 332-333, p. 407-427. La thèse de Tramor Quemeneur, soutenue en 2007, porte sur ces scansions temporelles très rapides : après le temps des rappelés, vient celui de l’organisation des insoumis, des déserteurs, voire des objecteurs de conscience emprisonnés, enfin celui du débat public en 1960 avec le manifeste des 121. Tramor Quemeneur, « Réfractaires français dans la guerre d’Algérie. 1954-1962. Refus d’obéissance, insoumissions, désertions », dans Jean-Charles Jauffret, Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et guérillas dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001, p. 115-136.
52 Les Malgré-Nous étaient groupés dans l’ADEIF (Association des déserteurs, évadés et incorporés de force). Rappelons que le dernier Malgré-Nous venait à peine de rentrer, en 1954, de Russie. Bien que l’ADEIF ait appelé en mai 1956 au « maintien de l’unité de la nation et la sauvegarde de la présence et des intérêts français en Algérie », il y eut de profondes divisions en Alsace entre la majorité des membres du MRP, de la SFIO, des gaullistes – favorables à la poursuite de la guerre – et une minorité qui se démarqua nettement : parmi eux, d’anciens Malgré-Nous et d’anciens résistants, voir Yves Frey, La guerre d’Algérie en Alsace. Enquête sur les combattants de l’ombre 1945-1965, Strasbourg, La Nuée bleue, 2013.
53 André Vauchez, « Strasbourg : le rythme de la vie politique dans une université de province », 1957 : Les étudiants et la politique, Vin nouveau, p. 10-14.
54 « En Moselle, des catholiques furent au premier rang pour combattre la torture. Pas seulement d’anciens scouts mais aussi des médecins et des avocats, membres ou non des groupes “Témoignage chrétien” et “Reconstruction”, de la JOC et de l’ACO, de l’UGS devenue ensuite PSU. Nous les avons soutenus. Ce ne fut pas de tout repos, surtout au moment des attentats de l’OAS. J’ai fréquenté André Mandouze à cette époque », Paul Berger (né en 1928), professeur de mathématiques à Metz de 1951 à 1988, non-croyant, dirigeant syndicaliste de la FEN en Moselle, « Témoignage d’un enseignant syndicaliste sur un évêque concordataire hors du commun », en ligne depuis 2005 sur « la feuille de chou », consulté en 2017. Paul Berger précise le rôle pionnier des protestants (y compris le Consistoire), des syndicalistes et des communistes dans les manifestations et autres actions pour la paix en Algérie. Il cite une thèse non publiée de Zorah Tareb, Perception et conséquences de la guerre d’Algérie en Lorraine, thèse de doctorat d’histoire, université de Metz, 1986.
55 Jean Le Meur, « Histoire d’un acte responsable. Le cas Jean Le Meur », Esprit, décembre 1959, p. 673-708.
56 Ce texte célèbre qui fut lu par tous les étudiants de Vin nouveau replaçait la guerre et ses violences dans le contexte colonial : « Il faut savoir ce que l’on veut. Le maintien de notre domination a exigé, exige, exigera des tortures de plus en plus épouvantables, des exactions de plus en plus générales, des tueries de plus en plus indistinctes. Il n’y a pas d’Algérien innocent du désir de dignité humaine, du désir d’émancipation collective, du désir de liberté nationale. Il n’y a pas de suspect arrêté à tort et torturé par erreur. » Robert Bonnaud quitta le PCF en 1957, s’engagea aux côtés du FLN, fut emprisonné de juin 1961 à juin 1962.
57 Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les Porteurs de valises, la Résistance française à la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1979 ; rééd. Paris, Seuil, 1982.
58 Elle avait été l’élève de Madeleine Rebérioux au lycée de jeunes filles de Mulhouse. Elle fut arrêtée avec les membres du réseau Jeanson à Mulhouse. Par la suite, proche de Henri Curiel, elle s’engagea ensuite aux côtés des Palestiniens. Correctrice au Monde, elle fut également correctrice de la Revue d’études palestiniennes.
59 « La responsabilité de l’intellectuel », Bulletin du cercle saint Jean-Baptiste, 1962, p. 27-37, repris dans Marrou, Crise de notre temps et réflexion chrétienne (de 1930 à 1975), op. cit., p. 207-220.
60 Cette revue, un mensuel catholique fondé en 1946 dans un esprit d’« anticommunisme constructif » à l’écoute du marxisme et de l’existentialisme, venait de débuter en 1960 une nouvelle série plus attentive aux questions du catholicisme social et du popolarismo de Luigi Sturzo : c’est sans doute par ses contacts avec les spécialistes italiens de ces questions que Jean-Marie Mayeur fut amené à rédiger ces deux articles.
61 « Francia e Algeria dopo il referendum », Humanitas. Rivista mensile di cultura, no 2, février 1961, p. 174-178 ; « Francia e Algeria un mese dopo il ‘cessate il fuoco’ », ibid., no 5, mai 1962, p. 444-449.
62 Interview accordée à Jérôme Bocquet, 5 mars 2012.
63 Vin nouveau, 11, avril-mai 1956, p. 32. Cité par Boudon, « Jean-Marie Mayeur, historien du christianisme et de la laïcité », art. cité.
64 Marc Venard, « Dieu conduit l’histoire », dans Jean Delumeau (dir.), L’Historien et la foi, Paris, Fayard, 1996.
65 Y participaient, avec Stéphane Khemis, Jean-Marie Domenach, Pierre Vidal-Naquet, Robert Bonnaud, Paul Thibaud, Madeleine Rebérioux et Jacques Julliard.
66 Ahmed Taleb, Lettres de prison 1957-1961, préf. datée du 5 janvier 1966, Alger, SNED-Éditions nationales algériennes, p. XIII-XIV.
Auteur
professeure à l’université Paris-Sorbonne (Centre d’histoire du xixe siècle)
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