Chapitre 4. Les dépendances d’utilité : un écrin pour le corps de logis
p. 161-213
Texte intégral
1Dès le xvie siècle, les architectes s’efforcent de régulariser l’architecture du corps de logis et des jardins grâce à l’utilisation de travées rythmiques, d’axes de symétrie, et d’un vocabulaire architectural renouvelé, d’inspiration antique. Cette régularité d’abord centrée sur l’habitat seigneurial s’étend progressivement aux jardins1 — le jardin s’organise désormais en fonction de la symétrie du château — mais elle s’applique difficilement aux bâtiments d’utilité en raison de leur destination. En effet, si le corps de logis incarne la régularité de l’ordre seigneurial, les communs sont quant à eux tournés vers le monde ancillaire : leur architecture demeure chaotique car elle répond aux seuls besoins immédiats. Une nouvelle acquisition, celle d’un cheval par exemple, entraîne la construction d’un nouveau bâtiment, ici une écurie, sans plan directeur et en dehors de toute intervention de l’architecte.
2Le logis seigneurial, composé de plusieurs ailes regroupées autour de la cour d’honneur, évolue lentement vers un plan en quadrilatère puis vers un plan en U, caractéristique du règne de Louis XIII2. Alors que les cuisines, offices, buanderies, bûchers, etc. prennent place autour de la cour d’honneur, les écuries, étables, remises, greniers sont rejetés dans les bâtiments de ferme de la basse-cour lorsque le château a quelque importance. La séparation du maître et des services devient alors une marque de luxe, après avoir été une nécessité3. En raison du coût élevé des fortifications, ces dernières ne peuvent ceindre l’ensemble des dépendances et ne protègent que les seules fonctions vitales du château : le logis du seigneur (donjon) et le service de la bouche, selon une organisation d’origine médiévale. Les premières tentatives d’unification du logis régulier et de ses accessoires remontent aux grands exemples illustrés par Androuet du Cerceau dans Les Plus Excellents Bâtiments de France4. Cependant, une lecture attentive de ces plans montre que les services ne se soumettent pas tous au jeu géométrique des cours régulières. Qu’il s’agisse d’Anet (Eure-et-Loir) ou de Bury (Loir-et-Cher), seules les parties nobles font l’objet d’une composition ordonnée, alors que les basses-cours demeurent irrégulières ; à Saint-Maur (Val-de-Marne), l’avant-cour rectangulaire est entourée de bâtiments réguliers, mais ces derniers n’abritent, semble-t-il, que des logements (appartements de maîtres).
3Il faut attendre les années 1630 pour voir s’étendre le plan régulier à toutes les parties du château. Celui de Richelieu (Vienne) marque une étape importante dans la genèse d’un modèle d’organisation spatiale employé jusqu’aux dernières décennies du xviiie siècle. Jacques Le Mercier, architecte du Cardinal, établit dès 16315 une succession de cours formant la séquence d’accès monumentale au logis proprement dit, implanté sur la traditionnelle île entourée de douves en eau. La première avant-cour est flanquée de deux basses-cours rectangulaires bordées de bâtiments symétriques qui abritent à la fois les écuries, les remises et un manège. Ces basses-cours sont encore séparées de la cour principale par des murs, scandés de jambes de raidissement et percés de grands portails qui rythment l’arrivée au château. Nous retrouvons cette séparation des activités hippiques du passage des maîtres chez Le Vau à Vaux-le-Vicomte : les deux vastes basses-cours latérales et rectangulaires n’ouvrent sur l’avant-cour que par deux portails.
4À côté de ces luxueux châteaux construits pour les plus hauts personnages de l’État, François Mansart crée, à Balleroy (Calvados), un modèle d’organisation des communs plus simple. En 1631, l’architecte construit pour Pierre de Choisy, conseiller du roi, le nouveau château de Balleroy6, où deux ailes de communs ouvrent directement sur l’avant-cour, selon une formule que l’on retrouve également à Versailles, en 16637. L’aile de droite abrite les cuisines et celle de gauche les écuries, alors que les basses-cours sont rejetées à l’arrière des bâtiments. Il faut attendre les transformations de Jules Hardouin-Mansart, une vingtaine d’années plus tard, pour que les services quittent définitivement les abords du château ; le grand commun puis les écuries sont construits en dehors du cycle des cours. Ils entrent néanmoins dans la composition d’ensemble du château de Versailles car l’échelle a changé. La régularité initialement circonscrite au logis et aux cours s’étend désormais à la place d’armes, à l’avenue de Paris et à toute la ville nouvelle de Versailles. Contrairement au cas de Richelieu, la ville n’est plus un satellite du château mais participe entièrement à la séquence d’accès. Non seulement elle sert de dépendance pour loger la cour, mais elle concourt également à asseoir l’image du pouvoir royal. Les élévations modestes de la ville8 face au luxe des façades du château traduisent la soumission des sujets au roi, en même temps qu’une certaine harmonie. Il en va de même pour la topographie du site : érigé sur une butte artificielle, le château domine. La volonté d’ordonner et de rationaliser l’espace s’applique dans ce cas à l’ensemble du territoire : expression du pouvoir non plus d’un seigneur mais du roi. L. Savot, avant même les campagnes successives des travaux qui transforment le relais de chasse de Versailles en palais souverain, exprime de manière visionnaire la démesure qu’entraîne nécessairement un château royal :
Il n’est pas possible de décrire tout ce qu’il faut pour loger un grand prince, une grande ville n’y serait pas quelquefois suffisante : et comme l’étendue de sa souveraineté ne se peut borner que par sa mort, aussi la grandeur de sa cour et par même moyen de son palais, et du logement de ses officiers, ne peut recevoir de description. Tellement que les logis des grands rois ne sont jamais tels que l’architecte les voudrait ordonner, mais seulement comme il a plu à eux-mêmes se les vouloir prescrire : étant presque autant déraisonnable de les assujettir à certaines mesures que de leur vouloir donner des lois et de borner leurs puissances9.
5Grâce aux grands chantiers de Louis XIV, on assiste à la mise en place progressive de plusieurs schémas de composition. Versailles, Trianon, Marly, etc. sont autant de laboratoires formels qui inspirent les architectes du xviiie siècle. L’organisation des bâtiments d’utilité reprend ces modèles, mais leur implantation et leur décor subissent également l’influence des Lumières, ainsi que celle de l’évolution des mœurs et de la mode.
Le corps de logis intégré à une composition d’ensemble
Genèse d’un modèle canonique
6La très lente assimilation des principes de régularité, pourtant mise en œuvre en Italie par Palladio dès le milieu du xvie siècle, s’explique en partie par la fonction même du château français. Alors que les villas italiennes ont principalement une fonction agricole et de villégiature10, le château français demeure avant tout le siège de la seigneurie. Si l’architecte dispose autour de ses villas les diverses activités agraires, malgré quelques précautions occasionnées par les nuisances de l’élevage, Palladio recommande d’implanter la maison au cœur du domaine,
afin que le maître puisse avoir l’œil plus facilement sur les environs de son héritage et que les fermiers aient moins de peine à conduire tous les revenus au logis du maître11.
7Ce point de vue n’apparaît pas en France avant 1737, et c’est dans son traité De la distribution des maisons de plaisance que J.-F. Blondel présente sa maison d’économie :
J’avais composé ce projet pour une personne aisée qui avait le dessein de se retirer à la campagne dans la belle saison et qui, attentive à l’éducation de sa famille et aux différents devoirs de son domestique, voulait être à portée de tout voir par ses propres yeux12 .
8Le terme de maison d’économie évoque à lui seul le cadre de ce projet. Il ne s’agit plus du château traditionnel entouré des fonctions seigneuriales, paré des « enseignes de la féodalité », mais d’une simple maison de campagne, sans avant-cour, sans fossé et dont la façade d’arrivée ouvre sur un verger et non sur une avenue. L’indication du « chemin qui conduit au château seigneurial », donnée par Blondel sur son plan (ill. 69), renforce l’idée qu’il s’agit là de la maison d’un simple particulier.
9Le principe de composition du château repose sur la tradition féodale qui associe le donjon et l’enceinte fortifiée. Malgré la disparition de ces deux éléments qui cèdent le pas au corps de logis régulier dans le château moderne, il conserve, au travers du plan en U sur une île, l’image du « seigneur protecteur » dont l’habitation embrasse la cour d’honneur. Cette vocation d’accueil du visiteur exclut les activités agricoles, comme chez Palladio ; celles-ci sont rejetées dans la basse-cour, et la cour d’honneur demeure un espace officiel.
10La disparition totale ou partielle des ailes du plan en U dans les châteaux de Balleroy (à partir de 1631), de Maisons (à partir de 1651) ou de Vaux-le-Vicomte (1656) n’est qu’une étape dans ce processus de transformation. Dans ces trois exemples, la cour d’honneur reste isolée sur le terre-plein du château entouré de fossés. Les pavillons logés dans les angles antérieurs de la plate-forme de Balleroy évoquent encore les antiques tours d’angle telles qu’on les voit à Dampierre. À Ormesson (Val-de-Marne), l’exiguïté de la plate-forme oblige l’architecte à inventer une solution nouvelle : il dispose les pavillons d’angle contre le château sur des trompes en surplomb des douves. Ils ne servent plus alors de sentinelles, intégrés à la maison, mais sont transformés en cabinets. Malgré le profil légèrement incliné de l’avant-cour, la balustrade masque le départ des trompes et donne l’illusion de simples avant-corps. Ces vestiges de l’ancienne organisation disparaissent à Vaux afin de libérer le terre-plein sur lequel ne règne plus désormais que le logis.
11Louis Savot justifie ainsi la disparition de toutes les autres constructions de l’île :
On est accoutumé en France à laisser la face de l’entrée en terrasse, pour donner un aspect plus agréable et plus découvert et rendre la cour plus aérée et égayée du soleil13 .
12Cette ouverture du château sur ses alentours donne lieu à de nouvelles dispositions afin de rendre les vues agréables à la fois sur cour et sur jardin14, et l’atomisation des différents services du château sous forme de plusieurs bâtiments n’exclut pas la recherche d’une harmonie d’ensemble. Ainsi, la régularité désormais bien assimilée pour le corps de logis irradie les alentours du terre-plein, au-delà des fossés.
13À Versailles, la reconstruction des communs du premier château en 1661 marque cette volonté d’harmoniser l’ensemble de la demeure. Les nouveaux bâtiments sont surélevés d’un étage, reçoivent un comble brisé et de grandes fenêtres. Leur modénature plus simple que celle du logis permet une gradation de l’architecture des communs vers le logis royal. Par ailleurs, l’utilisation systématique de l’appareil brique et pierre assure l’homogénéité de l’ensemble. Louis Le Vau puis Jules Hardouin-Mansart décident, lors de la campagne de travaux suivante (entre 1670 et 1680), de supprimer les fossés, de rattacher les communs au château, d’élargir la séquence d’accès grâce à la création d’une nouvelle avant-cour et de construire les pavillons des futures ailes des ministres. Les élévations régulières s’étendent à l’est et donnent une ampleur nouvelle à la demeure royale.
14Jules Hardouin-Mansart reprend le schéma de composition versaillais lors des travaux qu’il dirige à Dampierre en 1682, pour la reconstruction du château de Charles-Honoré d’Albert de Luynes, duc de Chevreuse15. Le massif corps de logis en U est isolé sur une île et deux ailes de communs percées d’arcades au rez-de-chaussée bordent, sur la rive, la seconde cour d’arrivée. L’ordonnance de ces bâtiments d’un étage reprend celle du logis principal aux élévations en moellons enduits, briques et chaînes d’angle en grès appareillé16, héritage de l’ancien château construit selon la mode des années 155017. Deux pavillons de trois travées, dont les élévations sont identiques à celles du corps de logis, flanquent les ailes de communs du côté de l’entrée. Seul l’archaïque double bandeau d’étage du corps de logis distingue ce dernier des pavillons des communs. Le ressaut qu’ils forment sur la cour d’arrivée et la balustrade qui les joint marquent la séparation de l’avant-cour et une gradation de la séquence d’accès : la noblesse des élévations de ces pavillons, couverts de combles brisés en ardoises, à l’instar du château, souligne l’appartenance de cette cour au logis seigneurial. La hauteur des ailes de communs, qui règne avec celle du château, accentue cet effet plastique et contraste avec les bâtiments de ferme en rez-de-chaussée, couverts de tuiles qui bordent l’avant-cour. L’architecture noble s’étend ainsi au-delà du corps de logis afin d’établir une gradation plus claire de la séquence d’accès et concourt à la mise en valeur de l’habitat noble. Notons enfin que, comme à Ormesson, le profil des cours est en pente légère vers le château.
15Alors qu’à Richelieu ou dans le Versailles de 1668, l’espace sacral de la cour d’honneur, circonscrit au terre-plein du château, est bordé par un mur bas ou des arcades, l’ouverture du corps de logis sur la façade d’arrivée et la suppression des ailes du plan en U nécessitent de nouvelles solutions afin de marquer plastiquement une séparation entre le monde commun et celui du seigneur. Ainsi, à Balleroy, les pavillons du suisse ou du concierge délimitent l’espace noble de la cour d’honneur sur le terre-plein du château. L’innovation de Jules Hardouin-Mansart à Dampierre consiste à éloigner ces pavillons du logis, ils quittent le terre-plein du château et sont disposés à l’entrée de l’avant-cour où ils commandent la séquence d’accès. Cet éloignement produit donc un élargissement de l’espace sacral : ce n’est plus la seule cour d’honneur qui marque la distance entre la roture et le seigneur, mais le cycle des cours.
16L’ouverture de la cour d’arrivée sur les basses-cours, rendue possible grâce aux arcades des communs, apparaît également comme un phénomène nouveau à Dampierre. En effet, alors que les ailes de Versailles masquent les basses-cours et dirigent l’attention du visiteur sur le logis royal, à Dampierre, les arcades créent une perspective sur les abords de la cour. Cette transparence produit une dilatation spatiale de la séquence d’accès et laisse apercevoir la symétrie des basses-cours. La dilatation et l’ennoblissement de la séquence d’accès permettent une mise en valeur du corps de logis, à laquelle concourent les élévations régulières des ailes de communs. À Vaux comme à Richelieu, les hauts combles des ailes de communs permettent d’imaginer les cours malgré les murs de séparation destinés à masquer les activités domestiques. L’utilisation de l’ardoise pour ces combles assure l’homogénéité de l’ensemble des bâtiments et intègre plastiquement les basses-cours, seulement suggérées, à la séquence d’accès. Grâce à l’étendue de cette dernière, les bâtiments sont plus éloignés les uns des autres et le corps de logis séparé des activités serviles. Cela répond aux recommandations de L. Savot qui voit là l’impératif du confort :
Les nobles bâtiments […] devraient encore être isolés, c’est-à-dire détachés et séparés des autres de toutes parts et avoir issues sur rues de tous leurs côtés, comme ils l’avaient anciennement et l’ont encore à présent en Italie, tant pour l’incommodité du feu et du mauvais voisinage, que pour la commodité de leurs jours, entrées et issues18.
Le critère de convenance
17La gradation de la simple maison de campagne au château d’un souverain ne se règle plus sur le choix du site, ni même sur la majesté de l’architecture mais sur les dimensions de la séquence d’accès qui, à elle seule, évoque la dignité du propriétaire. J.-F. Blondel, particulièrement sensible à la convenance, pose le principe de cette hiérarchie dans De la distribution des maisons de plaisance :
Il est à propos d’écarter les idées trop élevées lorsqu’il ne s’agit que d’une maison particulière19.
18Cependant, il précise :
N’en doutons point, il faut par gradation insensible que du commencement de l’avenue à l’entrée de l’avant-cour et de celle-ci, à l’entrée de la cour principale, on s’aperçoive qu’on approche de l’habitation du maître qu’on vient visiter. C’est par cet enchaînement réfléchi qu’on n’est pas obligé d’avoir recours à la prodigalité, à la multitude des membres d’architecture et aux ornements de sculpture pour que cette cour principale et les bâtiments qui l’entourent puissent acquérir une prééminence sur toutes les autres parties accessoires de l’édifice20.
19La hiérarchie des constructions est fondée sur la convenance :
C’est la convenance qui indique le rapport qu’on doit observer entre l’étendue ou le raccourcissement des bâtiments qui précèdent la principale habitation et qui, pour l’ordinaire, se placent dans les avant-cours, soit qu’on masque ceux-ci par des murs de clôture, soit au contraire qu’on en expose les façades au regard des étrangers. C’est encore la convenance qui après la disposition de ces derniers bâtiments indique le genre de leur décoration, celui de leur structure, leur élévation, enfin la richesse ou la simplicité qu’ils doivent avoir relativement au style qui préside dans l’ordonnance du principal corps de logis21.
20Le cas de Richelieu, où le visiteur doit franchir cinq étapes successives pour arriver au château (demi-lune, basse-cour, avant-cour, douves, cour d’honneur), constitue le sommet du déploiement de la séquence d’accès. Dans la plupart des châteaux du xviiie siècle, celle-ci se résume au complexe avant-cour/cour, tel qu’on peut le voir notamment au Bourg-Saint-Léonard (ill. 70).
21Ce principe de composition contraint à construire le corps de logis face à l’entrée, comme le soulignent Savot (1624)22 et Briseux (1761)23. Les exemples de cette mise en scène symétrique du château et des communs abondent jusqu’à devenir une règle générale. Cependant, cette constante dans les écrits théoriques sur un siècle et demi n’exclut pas de nombreuses entorses dont Blondel lui-même recommande l’usage, comme dans le cas du château de Saint-Cloud où, selon ses termes, « [le] coup d’œil [est] si intéressant qu’on n’a pas hésité à rendre oblique l’avenue qui donne entrée à cette magnifique demeure24 ».
22La nécessité de disposer d’un accès digne au château amène parfois les architectes à « tricher » par rapport à l’axe transversal de la demeure. À Asnières (Hautsde-Seine), Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne change l’orientation du corps de logis enclavé dans le village, afin de dégager l’espace nécessaire et disposer une avant-cour et une cour en avant du château du marquis d’Argenson (pl. VI). À Chanteloup, le désir de contempler la Loire depuis le logis contraint Robert de Cotte à renverser le plan en U du château. La cour d’honneur ouvre donc sur le parc afin que les ailes en retour d’équerre ne masquent pas le panorama. L’avant-cour est par conséquent rejetée sur le côté du corps de logis, ce qui aurait pour effet de réduire singulièrement la séquence d’accès si l’architecte n’avait pas établi une circulation en chicane afin de respecter la convenance. Ainsi, le visiteur arrivant depuis la Loire passe dans cette avant-cour puis, grâce à un passage ménagé dans l’aile ouest, se dirige vers la cour d’honneur25 (ill. 21).
Le choix du site et ses implications
23L’ouverture du château sur le paysage, l’agrément de ses vues, la salubrité et l’abondance des eaux26 deviennent des arguments majeurs dans le choix du site, à l’heure de l’abandon des formes anciennes du château fort. Comme l’a bien montré Jean-Pierre Mouilleseaux, « l’implantation générale du château semble connaître depuis la fin du xviie siècle des modifications remarquables27 ». L’observation des lieux, l’analyse scientifique des sols, du paysage, des vents prennent le pas sur toute autre considération. L. Savot, dans L’Architecture française, fustige les superstitions attachées à l’implantation du château, telles qu’elles existent encore à l’aube du xviie siècle, et affirme un cartésianisme militant :
Quelques superstitieux croiront encore qu’il y a certaines demeures qui portent bonheur ou malheur à leurs habitants, en attribuant la cause avec les platoniciens au génie du lieu ou avec les judiciaires à l’horoscope sous lequel le lieu a été premièrement habité ou bâti : amis, l’homme chrétien et de bon jugement rejettera toujours telles impiétés et fantaisies de cervelles creuses28.
24Les auteurs se fondent généralement sur des exemples concrets afin de définir les principes élémentaires du choix du site. C’est pourquoi ils se cantonnent à des généralités lorsqu’ils tentent d’élaborer une grille de lecture systématique. C.-É. Briseux, notamment, reste assez évasif sur les lieux à privilégier :
La différence des emplacements étant infinie, il n’est pas possible de donner des règles particulières et certaines sur cette matière29 .
25J.-F. Blondel élude également la question et s’attache exclusivement au problème de la qualité des eaux30. Quant à Le Camus de Mézière, dans son Génie de l’architecture31, il ignore cet aspect du programme et ne se soucie que de la distribution intérieure. Citons aussi le point de vue de M.-A. Laugier, seul théoricien de l’architecture française du xviiie siècle à ne pas être architecte : selon lui, le choix du site constitue le premier impératif de la « commodité » auquel doivent être ajoutés la distribution et les dégagements32.
26La vocation nouvelle du château, envisagé comme une villégiature, oriente pour une large part son implantation. En Île-de-France, et particulièrement dans la proche banlieue de la capitale, l’abondance de sites exceptionnels comme les rives de la Seine ou de la Marne a pour conséquence la construction d’une grande quantité de maisons de plaisance dont la vue demeure l’un des premiers atouts. Afin que la maison puisse jouir du panorama le plus avantageux, les architectes font quelques concessions au modèle canonique du château entre cour et jardin. Les corps de logis sont alors construits de préférence au bord de la falaise ou du coteau, soutenus par d’impressionnantes terrasses, comme à Saint-Germain-en-Laye ou Meudon.
27Lorsque la topographie le permet, les architectes conservent la séquence d’accès propre au château, comme marque de noblesse de la maison. Cette solution est adoptée à Sainte-Assise (Seine-et-Marne), où le château, construit pour Louis Lefèvre de Caumartin vers 160833, est précédé d’un cycle de trois cours et d’une longue avenue (ill. 71). En revanche, les jardins ne sont plus disposés dans l’axe transversal du logis en raison de l’implantation de la maison au bord de la falaise, mais au sud-est du château. Ils sont remplacés par des allées tournantes qui dévalent la pente jusqu’à la Marne. Cette solution préfigure les aménagements du château de Bellevue où l’on retrouve le même dispositif au pied de la façade qui ouvre sur la Seine. Cependant, dans ce dernier cas, les jardins sont disposés en avant de la façade sur cour du château, de part et d’autre d’une allée centrale fermée à son extrémité par un saut-de-loup qui se prolonge par une avenue sur le plateau. Ainsi la séquence d’accès traditionnelle est-elle simulée, conservant sa noblesse à la maison de la marquise de Pompadour. L’arrivée au château s’effectue en réalité soit par l’avenue de Meudon, à l’est, soit par la route de Sèvres, à l’ouest.
28Si la construction du logis au bord de la falaise permet de disposer d’un large panorama, ce type d’implantation apparaît également très ostentatoire : il faut voir et, à défaut, être vu. Le château de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), pourtant trop éloigné de la rivière pour jouir de sa vue, est ainsi relié au cours d’eau par une avenue qui permet d’apercevoir le logis depuis la Marne (ill. 72). De même, au pavillon royal de Croix-Fontaine (Seine-et-Marne), construit sur les plans d’Antoine-Matthieu Le Carpentier pour Étienne-Michel Bouret en 175534, l’architecte utilise tous les ressorts du site pour faire de la demeure du financier un véritable château, digne d’attirer l’attention du roi. En effet, la vanité du financier lui fit établir, à côté de son château, un pavillon destiné à Louis XV, que Piganiol de La Force qualifie de « monument du zèle d’un sujet qui a tout fait pour plaire à son maître35 ». Le projet consiste à établir un pavillon dans l’axe d’une avenue de la forêt de Rougeau sur laquelle ouvre la façade d’arrivée (ill. 71). Elle est précédée d’une avant-cour et d’une cour, appelée boulingrin, de quatre-vingts toises de long36. La façade latérale ouest du logis domine un méandre de la Seine. La disposition du logis permet ici de répondre à la double exigence de la commodité grâce à la proximité d’une forêt giboyeuse — où le roi est censé chasser — et de l’agrément par le panorama particulièrement bien choisi sur la Seine.
« Périr en symétrie37 », plans centrés et vide axial
Modernisation des châteaux
29La recherche de la symétrie, manifestation du pouvoir régulateur du propriétaire, apparaît comme l’enjeu principal de la composition architecturale au cours de la période étudiée. Lors de travaux de modernisation des châteaux anciens, la réduction du bâti à la stricte symétrie est une constante tout au long du siècle. C’est en 1567, dans le troisième livre d’Architecture, que Philibert de L’Orme38 théorise pour la première fois le problème de la régularisation d’un château ancien. Dès lors, l’idée néoplatonicienne de l’architecte-démiurge hante la création architecturale. Il se présente comme le régulateur d’un monde chaotique et s’emploie à régulariser, symétriser, ordonner l’espace39. Les projets de transformation de châteaux sont donc autant de manifestes de l’appartenance des architectes à cette modernité. G. Boffrand, au détour de la description de son projet de transformation du château de Cramayel (Seine-et-Marne), affirme ainsi :
Ce château qui est à sept lieues de Paris, appartient à madame la marquise d’Ambre. Il est plus distingué par la beauté de ses avenues, des avant-cours et de ses jardins potagers que par son architecture extérieure. C’était un bâtiment fort ancien qui n’était pas disposé suivant la manière de vivre de ce siècle. Les croisées étaient placées fort irrégulièrement et étaient de grandeurs fort différentes40.
30Cette fameuse « manière de vivre » qui touche, semble-t-il, principalement à la distribution répond-elle vraiment au critère de commodité ? Manifestement, l’architecte vise à la régularité bien plus qu’au confort. Il fait preuve d’une singulière mauvaise foi, car le seul exemple qu’il donne des désordres de l’architecture porte sur la disposition des croisées. Toutes les irrégularités du plan sont corrigées ou masquées par les bâtiments-écrans de l’avant-cour et les plantations en quinconce de la terrasse et de la grande place.
31La volonté de régulariser d’anciens châteaux se heurte cependant souvent aux contraintes budgétaires du maître d’ouvrage. Au château de Montgeoffroy (Maine-et-Loire), les plans anciens montrent ainsi que le nouvel ensemble reprend le tracé du vieux château. Les travaux de fondations, les plus délicats et les plus coûteux, sont limités dans la mesure du possible au minimun. Pour des ensembles prestigieux comme le projet de reconstruction du château neuf de Saint-Germain-en-Laye pour le comte d’Artois, en 1777, François-Joseph Bélanger utilise toutes les possibilités offertes par les fondations des anciens bâtiments, comme le prouve la confrontation du plan ancien avec le projet de ce dernier (ill. 73 et 74). L’économie ainsi réalisée permet à Bélanger d’imaginer un riche décor à la grecque41, déployé tant sur le corps de logis que sur les façades des ailes de communs. Grâce à cet artifice, l’ensemble monumental des nouveaux bâtiments s’apparente plus à un palais qu’au traditionnel château.
32Le projet de transformation du château de Bonnelles (Yvelines), pour le duc d’Uzès, daté de 178242, est bien plus radical. Comme le montrent les plans avant et après les travaux, l’architecte ne conserve qu’une partie infime du bâti ancien afin de créer un ensemble cohérent, régulier et symétrique (pl. VII). Ce projet montre l’importance accordée à la séquence d’accès et l’évolution du rôle des bâtiments d’utilité dans l’esprit des architectes entre le xvie siècle et la fin du xviiie siècle. Le procès-verbal d’expertise conservé aux Archives nationales n’indique pas le nom de l’architecte, on peut supposer que ces travaux sont l’œuvre de Claude-Nicolas Ledoux qui, quelques années auparavant (1768-1769)43, travaillait à l’hôtel parisien du duc. Le premier plan montre l’état ancien du château, disposé sur un terre-plein irrégulier, flanqué de pavillons carrés et précédé d’une basse-cour entourée de bâtiments de ferme irréguliers. L’entrée de la basse-cour est marquée par un portail doublé d’une porte piétonne. Un pont étroit franchit les fossés et conduit au logis à la hauteur du quart du côté antérieur du terre-plein. Ce document montre déjà quelques modifications apportées au plan d’origine. Ainsi, le corps de logis présente, côté cour, une façade régulière, pourvue d’un avant-corps central qui marque le nouvel axe de symétrie du château. Il est probable que ce logis ait été au moins partiellement reconstruit si l’on en juge par l’irrégularité de la façade sur jardin. Un pont, plus large que le précédent, est construit face à cet avant-corps : il conduit à la basse-cour, désormais séparée en deux par un mur rectiligne. Ce nouveau dispositif est complété par une ouverture percée dans l’enceinte fortifiée, face au nouveau pont, dans l’axe de l’avant-corps du logis.
33Le second dessin annexé au procès-verbal d’expertise révèle que seule la façade sur cour de l’ancien château a été conservée. Les douves sont comblées, les bâtiments de basse-cour détruits, seule subsiste une rangée d’arbres à droite du logis (pl. VII). Ce projet montre comment l’architecte, en 1782, propose de réinterpréter le programme du château et ses prérogatives seigneuriales selon les critères de la modernité. La séquence d’accès se compose d’une avant-cour commandée par un saut-de-loup flanqué de deux pavillons pour le concierge et le suisse. Seul le perron de la nouvelle chapelle forme, à main gauche, une saillie sur l’avant cour strictement rectangulaire. Suivent la cour d’honneur, plus petite, et le logis. Les bâtiments de service sont regroupés à droite de l’avant-cour et n’offrent plus que des angles droits qui contrastent avec les anciens communs. L’architecte propose une vision rationalisée des services autour de deux basses-cours pour les écuries et les étables qui ne présentent aucun percement sur l’extérieur à l’exception des passages. Il suit en cela les préceptes de J.-F. Blondel qui, décrivant les offices et dépendances de son projet de « bâtiment de soixante-six toises de face », explique :
Toutes ces ailes de bâtiment sont peu élevées et d’une décoration simple mais régulière ; c’est le seul moyen dont on doive user pour attirer quelquefois la présence des maîtres et des étrangers dans ces lieux écartés : aussi avons-nous recommandé plus d’une fois que la distribution de tous ces bâtiments entre dans le projet de l’architecte et qu’il préside lui-même à leur ordonnance44.
34Les activités agricoles ou domestiques sont ainsi complètement séparées de celles des maîtres, selon le critère de convenance. La cour des écuries à laquelle on accède par l’avant-cour dispose d’une sortie sur l’avenue, commodité recommandée entre autres par Quatremère de Quincy, afin
que le service de leurs bâtiments se puisse faire commodément et sans être aperçu des appartements des maîtres et de la cour principale45.
35Dans un mouvement centrifuge à partir du logis, la basse-cour de la ferme succède à celle des écuries. La distance qui sépare l’habitation de ses communs n’exclut pas la recherche de la modernité pour les aménagements des espaces de service. Ainsi, il faut remarquer, au centre de la basse-cour des étables, l’abreuvoir maçonné qui, au xviiie siècle, remplace souvent la mare.
36Enfin, l’agencement du mur de clôture qui entoure le complexe château/communs exprime magistralement le statut seigneurial du lieu. Tout d’abord, ce long mur aveugle présente un caractère défensif qui renvoie directement à la fonction des fortifications ; par ailleurs, son front uni ne s’interrompt que pour laisser voir le logis à hauteur du saut-de-loup ; enfin, le seul ressaut de ce mur de clôture se situe à l’aplomb de l’avant-cour, à droite, à l’emplacement de la fuie. L’enceinte du domaine met ainsi en valeur les éléments signifiants du château et rend évidente la qualité des lieux.
37Cette même année 1782 correspond au projet de transformation du château de Dangu par Bernard Poyet pour le baron de Breteuil46. Les dessins de l’architecte révèlent un parti original. Ce dernier renonce pour ainsi dire à établir une symétrie dans la vieille demeure et Poyet se propose d’établir seulement un grand appartement de parade et une galerie dans le corps de logis. L’essentiel des travaux regarde l’aménagement des abords du château et de ses dépendances. Les Archives nationales conservent un document exceptionnel dans lequel l’architecte décrit minutieusement son projet, fait valoir ses apports et éclaire ses ambitions47. À défaut de pouvoir reprendre entièrement la construction, Poyet se propose d’harmoniser le décor extérieur des bâtiments selon un seul modèle (celui du « bâtiment de monsieur de Bouville ») et d’organiser l’ensemble chaotique de l’ancienne forteresse autour de quatre cercles (ill. 23). Cette forme, inspirée par le plan même du vieux château, permet à l’architecte de distribuer à la fois les bâtiments et les jardins, en se jouant des irrégularités du logis et des communs. Ces derniers sont ici encore isolés de toutes parts et masqués du côté du parc par une longue galerie ouverte sur les nouveaux parterres. Dans sa description, Poyet insiste principalement sur deux aspects : la régularité ou la commodité et les vues. On peut remarquer que Boffrand et Poyet confondent tous deux régularité et commodité, nourris de la même conception de la modernité. Nous avons vu notamment que la maison du jardinier est disposée afin de cacher une « vilaine irrégularité48 ». Par ailleurs, Poyet ajoute, à propos de la distribution intérieure :
M. l’ambassadeur remarquera que toutes les pièces faisant des dépendances du grand appartement sont éclairées et que les passages n’en sont ni tourmentés ni incommodes49.
38Le second aspect touche à la volonté de transformer l’austère château en véritable maison de plaisance. À cet égard, l’architecte travaille à la fois sur l’orientation des jardins et sur la mise en scène pittoresque des alentours. Dans la description du projet on relève ainsi :
Les bosquets sont plantés en arbustes tenus à hauteur d’appui pour ne pas masquer la vue dans cette partie […]50.
39Et plus loin :
Les plantations qui le dessinent [le bosquet neuf] ne seront élevées que de ce qui sera nécessaire pour masquer les masures du village. La croisée du bout de la galerie offrira à la vue tous les embellissements que l’on fera dans la partie du jardin51.
40On comprend alors que les communs n’entrent plus dans la composition d’un tel ensemble. Dans un pareil cadre, la disparition des services ajoute un agrément supplémentaire et concourt à la magie du lieu.
41À ces exemples prestigieux, il faut ajouter des interventions plus modestes mais tout aussi significatives, comme celle de J. D’Haran au château de Romainville, où l’acquéreur de la seigneurie en 1754 entreprend différents travaux de modernisation du domaine, recensés dans le procès-verbal d’expertise du 18 septembre 175852. L’ambition du propriétaire, plus modeste que celle des grands seigneurs évoqués plus haut, consiste à rajeunir le vieux manoir, laissé à l’état de ruine par le comte de Ségur, pour qui le château ne semblait avoir d’intérêt qu’au titre des rentes qu’il lui rapportait. D’Haran souhaite, lui, habiter son château, y vivre en seigneur. Les travaux qu’il entreprend sont significatifs de l’état d’esprit de ce simple chirurgien ordinaire du roi. Il fait largement rénover les intérieurs du corps de logis, modernise les extérieurs du corps de logis par des enduits au plâtre, ajoute aux façades des mascarons et agrafes, masque les hautes souches de cheminée derrière de fausses lucarnes, etc. En ce qui concerne les communs, construits en moellons, D’Haran commande à son architecte Thomas Arnoult53 un « enduit briqueté », qui rappelle celui utilisé quelques années auparavant par Jacques V Gabriel pour la nouvelle aile du château de Fontainebleau54, lui-même repris de ceux imposés à Versailles par Louis XIV. Le nouveau seigneur souhaite-t-il donner un air royal à son château ? On est en droit de le penser au regard des travaux entrepris au portail du château qu’il fait entièrement reconstruire, ainsi que les deux tourelles qui encadrent l’entrée, dont une abrite la prison. Les piles du portail sont elles aussi reconstruites et sommées de lions en pierre de Saint-Leu qui portent les armes de D’Haran et de son épouse.
Le plan centré
42La gradation des élévations jusqu’au point focal (le corps de logis), les différentes étapes de la séquence d’accès ou l’utilisation systématique de l’axe transversal du domaine sont autant de moyens de rendre le programme du château lisible. C’est là l’intérêt majeur du plan traditionnel. Le plan centré, s’il correspond médiocrement à la rigueur de cette organisation, permet cependant d’accéder aux plus hauts sommets de la symétrie. Son utilisation dans l’architecture religieuse ou hospitalière, dès l’époque médiévale, fait référence au Saint-Sépulcre. En revanche, dans le cadre de l’architecture civile, le plan centré semble mal adapté. Trop singulier, il implique une organisation rayonnante du domaine autour du logis difficile à mettre en œuvre. Il n’est pas étonnant que Louis XIV ait souhaité l’employer à Marly, le plan centré exprimant le pouvoir absolu du Roi Soleil. Pour ce chantier, Jules Hardouin-Mansart élabore un programme original, où le roi est au cœur du dispositif, à la croisée de deux perspectives perpendiculaires. Le site est choisi pour la variété des vues qu’il offre : vers un vaste bassin dans une clairière dégagée et vers une colline à l’opposé. L’autre axe qui commande l’accès au pavillon du roi est quant à lui barré par le bâtiment des cuisines, orné d’une vue en trompe l’œil à l’ouest. Plus qu’ailleurs, les activités triviales n’ont pas droit de cité dans la féerie de Marly. C’est pourquoi les dépendances n’entrent dans la composition que sur l’axe est/ouest et sont le plus souvent dissimulées derrière des treillages, à l’écart des lieux de passage. Cependant, il faut faire exception des corps de garde qui bordent la « place d’en haut » et, au bas du coteau, de la chapelle et du bâtiment des suisses qui encadrent l’arrivée au pavillon du roi. L’ingénieux trompe-l’œil du bâtiment de la perspective dissimule la cour des cuisines par un décor théâtral qui prolonge l’axe est/ouest du domaine (ill. 75).
43La difficulté d’utiliser ce précédent royal s’explique par la singularité du programme. L’intérêt des architectes pour le plan centré s’accorde difficilement au programme traditionnel du château ou de la maison de campagne. Il est plus adapté à une architecture de fantaisie, moins soumise à la convenance, comme par exemple un pavillon de chasse. G. Boffrand utilise ce type de composition pour le pavillon de chasse de Bouchefort commandé par Maximilien II Emmanuel, électeur de Bavière. Par ailleurs, un panorama à trois cent soixante degrés semble bien adapté à un tel programme :
Du centre de ce salon on découvre plusieurs routes dans la forêt par lesquelles on peut voir à perte de vue passer la chasse et desquelles on découvre le pavillon, au haut duquel est un fanal, pour que la nuit les chasseurs reconnaissent la maison55.
44Ici, la référence à Marly est d’autant plus explicite que Maximilien Emmanuel passa plusieurs années à la cour de France56. Elle s’affirme plus encore dans l’intérieur du pavillon cruciforme où l’architecte, comme à Marly, décore le salon à l’italienne de termes monumentaux. Cependant, contrairement à Hardouin-Mansart, Boffrand intègre les dépendances au plan du domaine selon le modèle de Versailles, comme l’a montré Jörg Garms57. Celles-ci entourent le pavillon et séparent les allées forestières rayonnantes. Leurs façades-rideaux masquent les cours disposées à l’arrière des bâtiments. Ces dépendances abritent chacune des fonctions différentes : cuisines, écuries, remises, chenil et deux corps de garde. La gravure un peu maladroite de La Murcade, graveur de Boffrand, montre comment les bâtiments de service entourent le pavillon et lui servent d’écrin en même temps que de faire-valoir par leurs élévations modestes qui contrastent avec les portiques colossaux du logis principal. Les communs permettent d’asseoir la silhouette du logis et donnent au pavillon l’assise nécessaire à la majesté de son propriétaire.
45On retrouve cette même caractéristique à l’Hermitage de Condé-sur-l’Escaut, construit sur les plans de Jean-Baptiste Chaussard en 175758 (ill. 76). La tentation d’utiliser les modèles palladiens — en particulier celui de la villa Rotonda — s’oppose en effet au principe de la séquence d’accès graduée par le cycle des cours qui oriente le plan. L’originalité du projet consiste dans l’association du château et du plan centré, déjouant ainsi les contraintes de ce programme traditionnel. Dans son journal, le prince de Croÿ avoue lui-même s’être inspiré de Marly59 :
Monsieur Chaussard qui sur mes directions avait fait en 1757 le plan du beau château carré sur l’idée de Marly, avait tout sacrifié pour un superbe salon au milieu60.
46Cependant, la topographie de l’Hermitage, moins accidentée qu’à Marly, 181 permet un déploiement plus étendu des axes de composition et donc des vues sur les longues avenues rayonnantes qui partent du logis. L’implantation des bâtiments de communs de part et d’autre de l’avenue d’arrivée (à l’ouest) concourt ici à la mise en scène du logis (ill. 77). Le modèle du pavillon centré, nécessairement isolé de ses communs, se transforme en manière de château. Les communs accompagnent le logis, lui donnent l’ampleur et la majesté d’une seigneurie et non d’une simple maison des champs. Le prince explique ainsi son choix du plan centré à l’Hermitage :
Le roi aimait beaucoup les plans et le bâtiment. Il me mena dans son joli pavillon des jardins de Trianon [le pavillon français], me fit remarquer que c’était dans ce goût-là qu’il me fallait bâtir, et en effet, c’est ce qui remplissait le plus mon objet. Il commanda à Gabriel de me donner deux plans qu’ils avaient faits ensemble dans le même goût et demandant du papier et des crayons, je lui fis un croquis de ma position. Il dessina ses idées longuement lui-même et avec M. Gabriel, retournant cette position pour laquelle il parut s’intéresser (c’était ce que je voulais) pendant longtemps61.
47En bon courtisan, Croÿ adopte le plan centré malgré la difficulté d’associer le programme du château à ce type de composition.
48Alors que le prince de Croÿ lance le chantier de l’Hermitage, Louis XV projette déjà d’élever le Petit Trianon. Il se sert pour ainsi dire du projet de Condé sur-l’Escaut comme d’un laboratoire pour ses propres entreprises et charge son premier architecte Gabriel de proposer des plans à Croÿ. Trois ans plus tard, l’architecte dresse les premiers plans du Petit Trianon dans lesquels il adopte cependant un parti bien différent. Le plan centré se réduit à un plan massé et les quatre faces du pavillon de Trianon disposent d’une organisation indépendante, afin de répondre aux différentes fonctions du bâtiment (ill. 78). L’entrée de Trianon s’apparente à celle d’un hôtel particulier, où le corps de logis est précédé d’une cour entièrement minérale. Les autres faces, chacune ouverte sur un jardin différent, présentent des élévations spécifiques en rapport avec leur destination. Les communs trouvent difficilement leur place dans une telle composition ; ils en sont exclus, masqués de toutes parts : par de hauts murs, du côté de la cour, et par des charmilles, du côté du jardin français.
49L’implantation des communs au sein d’un plan centré reste un problème épineux. Pierre Panseron, dans son Recueil de jardinage62, bien qu’il compose in abstracto, échoue dans son désir d’inventer des formes nouvelles. Les compositions qu’il donne de jardins de propreté autour de châteaux ne sont en effet guère convaincantes. Dans le projet « de deux cent dix sur cent soixante-dix toises » (ill. 79), les écuries et les remises disposées dans des bâtiments triangulaires, aux façades légèrement convexes du côté du château, s’intègrent mal à la grande place circulaire qui entoure le logis. Ils sont sans rapport avec le jardin et ne parviennent pas à délimiter clairement l’avant-cour du château. L’architecte montre la même incapacité dans un projet « sur un terrain irrégulier » composé sur un plan en X (pl. VIII). Malgré une séquence d’accès plus clairement définie grâce à des fossés, la cohérence de l’ensemble est anéantie par une avenue transversale qui sépare artificiellement les bâtiments de communs de l’avant-cour. Il est vrai que, dans ce type d’exercice, la séduction du jeu géométrique l’emporte sur la faisabilité du projet.
Les dépendances d’utilité : autour et alentour de la maison
De la cour au jardin
50L’ouverture sur les jardins fonde désormais la spécificité du château ou de la maison de campagne et différencie ce programme de celui de l’hôtel particulier, malgré une disposition identique entre cour et jardin. Dans le cadre urbain, l’architecte s’emploie à isoler l’hôtel de ses mitoyens alors que l’absence de voisinage à la campagne permet d’ouvrir la cour et le logis sur leurs abords. En ville, l’étroitesse des parcelles explique que le logis occupe toute la largeur et empêche donc de créer des vues sur le jardin. Au contraire la cour du château doit s’ouvrir le plus largement possible sur la campagne. Seuls quelques exemples en marge des villes, construits sur de vastes parcelles comme l’hôtel Biron, notamment, entretiennent une certaine ambiguïté entre hôtel et maison de campagne, mais en aucun cas entre hôtel et château. La caractéristique de ce dernier réside en effet dans le déploiement des cours.
51La mise en scène de la séquence d’accès au corps de logis a pour but de conditionner le visiteur, impressionné par le déploiement de l’architecture, la régularité des élévations, la progression du système décoratif ou la hauteur des façades, jusqu’au point focal : le corps de logis. Cette organisation de l’entrée du château détermine également les circulations des maîtres et des domestiques entre la cour, les basses-cours, le logis et les jardins. Après être descendu de carrosse, le visiteur abandonne son équipage qui disparaît de la cour d’arrivée par le passage qui conduit à la basse-cour, dans un mouvement transversal, afin de laisser libres l’accès et la vue sur le corps de logis. L’étiquette qui préside au circuit du visiteur à l’intérieur des appartements, minutieusement décrite par J.-F. Blondel en particulier63, est dictée par degré d’intimité, son statut social. Le maître de céans reçoit ainsi, selon un système hiérarchique de l’antichambre au cabinet, clients et amis. Ce parcours des espaces publics vers les lieux de l’intimité s’applique également aux circulations extérieures, depuis la cour d’arrivée jusqu’au jardin.
52Le parcours officiel du visiteur passe ainsi obligatoirement par le logis, et le jardin n’intervient que comme l’ultime étape de sa visite. Traditionnellement, le jardin est un espace privé64, il est donc clos. Même si les grilles et les ha ha permettent d’en apercevoir l’intérieur, ces structures sont essentiellement destinées à ouvrir des perspectives sur le domaine. La volonté d’étendre la régularité, l’ordre et la symétrie au jardin puis, dans le cadre du jardin français, au paysage n’exclut pas de fermer la propriété par de hauts murs percés de sauts-de-loup dans l’axe des allées, afin d’ouvrir la composition.
53La place grandissante de la nature dans l’imaginaire de l’homme du xviiie siècle65 est à l’origine de la réflexion des architectes qui s’efforcent de marquer la rupture entre la villégiature rurale et l’hôtel urbain. Le château s’enrichit par conséquent de la qualité de maison de campagne. La nature, but premier du voyage hors les murs, doit être présente partout dans la maison de campagne. L’intégration du logis au cadre champêtre, l’ouverture sur le paysage s’opposent à la réclusion de l’hôtel, où il s’agit de masquer les mitoyennetés. L’exemple de la première maison de campagne donné par J.-F. Blondel dans De la distribution des maisons de plaisance illustre cette volonté :
Ce qui fait une des beautés de cette grande cour, c’est qu’elle est percée de toutes parts, les ailes C et D étant isolées et séparées du château d’environ huit toises ; ce qui laisse la liberté de voir de dessus le perron du vestibule d’un côté le jardin de l’orangerie E et de l’autre celui M destiné aux fleurs, les espaces n’étant pas fermés par des grilles66 (ill. 47).
54Les cinq premiers projets de maisons de plaisance de Blondel proposent chacun des solutions différentes afin d’intégrer la nature au cycle des cours. Par exemple, dans le second projet (ill. 44), où les cours sont fermées sur l’extérieur, ce sont les plantations qui évoquent la nature :
Les basses-cours sont plantées aux deux côtés de l’avant-cour C, de façon qu’elles ne peuvent être aperçues en arrivant au château. On doit user de cette précaution pour cacher ces sortes de bâtiments qui n’offrent rien d’agréable à l’œil : cette avant-cour est ornée d’une allée d’arbres qui en suit la forme, ainsi qu’une charmille à hauteur d’appui, laquelle donne de la gaieté à cette entrée et s’accorde bien avec les pilastres qui ornent les flancs de la cour du château, qui n’est séparée de l’avant-cour que par une grille posée sur un appui de deux pieds et demi de haut.
La verdure, les bâtiments, et les autres ornements dont ces deux cours sont accompagnées annoncent la magnificence des jardins et des édifices dont le premier coup d’œil en entrant n’aperçoit qu’une partie67.
55Ce choix s’explique ici par la proximité du village, dans lequel le château est enclavé. Afin de ne pas rompre la symétrie, Blondel renonce à ouvrir les cours sur le jardin et seul le passage entre les basses-cours des volailles et des cuisines dégage une perspective sur le potager. L’auteur compense ce défaut par des plantations qui renforcent le caractère champêtre de la demeure. Cette volonté d’intégrer la nature aux cours par des plantations se manifeste cependant souvent de manière plus modeste. Ainsi, au château de Champs-sur-Marne et au petit château de Millemont, les arcades qui bordent les cours sont plantées de lierre. Ces installations tardives procèdent de la volonté d’intégrer la nature à la séquence d’accès, telle que la décrit Blondel.
56La séquence d’accès du troisième projet est elle aussi largement ouverte sur le jardin grâce aux fossés en eau qui séparent les diverses fonctions des avant-cours, cours du château, basses-cours et jardins. Blondel ajoute que les deux ailes de communs
ne contiennent que des écuries et des remises, [mais] leur extérieur est bien symétrisé, à cause de ce qu’elles sont exposées aux yeux du maître et qu’elles semblent servir d’avenue pour arriver au château68.
57Dans son cinquième projet de maison de plaisance, intitulé bâtiment à l’italienne, l’auteur abandonne l’expression de château et réduit la séquence d’accès à une seule cour. Par la connotation étrangère du titre, Blondel évoque le caractère d’« architecture de fantaisie » du projet et justifie par là les licences de composition qu’il s’autorise par rapport au schéma idéal du château. La cour plus large que longue permet en particulier d’ouvrir amplement cet espace sur les jardins. Les trois rangs d’arbres plantés de part et d’autre du tapis vert montrent cependant l’attachement de Blondel aux proportions canoniques de la cour : elles réduisent en effet la largeur de l’ensemble et masquent en même temps les élévations des communs.
58La démarche qui consiste à ouvrir la cour du château sur ses jardins trouve son aboutissement dans l’abandon pur et simple du principe des cours successives bordées de bâtiments. Selon E. de Ganay69, Villarceaux, construit par Jean-Baptiste de Courtonne pour la famille du Tillet en 175770, semble être le premier exemple de ce type de transformation. Ganay exprime ainsi la nouveauté de cet aménagement :
Villarceaux rompt avec la tradition des avant-cours et cour d’honneur. En effet, après avoir franchi par un pont jeté au-dessus d’un fossé sec la grille d’entrée cantonnée de deux pavillons, la chapelle et la conciergerie, l’on se trouve tout à coup en manière d’arrivée non pas dans une cour bordée de communs mais sur une sorte d’esplanade qui est déjà un jardin. C’est comme une immense salle verte entourée de bois à travers laquelle s’élancent des allées s’ouvrant sur l’horizon en patte-d’oie autour de l’allée centrale, qui est l’avenue d’arrivée71.
59L’initiative de Courtonne à Villarceaux, qui tend à intégrer la nature au cadre strict du château traditionnel et du jardin régulier, correspond aux recherches des années 1750, que nous retrouvons exprimées notamment chez J.-F. Blondel. Cette voie est cependant progressivement éclipsée par l’avènement du jardin irrégulier, dont la mode tend à révolutionner la composition du château français. Il n’est plus alors question de séquence d’accès, ni de convenance, mais de mise en scène naturelle du corps de logis.
Les accès au château
60Dans l’aménagement idéal de l’arrivée au château, une avenue plantée mène à l’avant-cour bordée d’une grille et de pavillons pour le suisse, et toujours dans le même axe, le visiteur rejoint la cour d’honneur puis le logis. La longueur de l’avenue accroît la majesté du château et souligne la puissance du maître de maison et son pouvoir régulateur ; elle constitue un signe dans le paysage, un appel au promeneur. Il ne s’agit pas là d’une nouveauté au xviiie siècle : déjà, L. Savot, en 162472, insiste sur le caractère impératif de l’avenue dans la composition des « dehors du bâtiment » et plus précisément de la patte-d’oie, sans pour autant justifier ce choix. Il montre ainsi que cet élément est intégré au schéma de composition habituel du château. L’auteur conseille de donner quatre toises de large à la principale avenue et seulement deux aux autres. Les palissades qu’il recommande de disposer entre les arbres expriment la singularité de l’avenue qui n’est pas seulement une voie de communication mais qui concourt aussi à la mise en scène du château ; elle capte l’attention du promeneur et guide son regard sur le logis. Les renseignements qu’ajoute son successeur — F. Blondel — dans la réédition de L’Architecture française73 soulignent la nécessité de soumettre la taille des avenues aux dimensions du logis. La taille croissante des châteaux jusqu’à la fin du xviie siècle conduit l’architecte à augmenter les dimensions des avenues et les porte à :
8 à 10 toises de larges, si elles sont tant soit peu longues, et les contre-allées à proportion : l’on en a fait même de 16 de 20 jusqu’à 25 et 30 toises, dans celles qui sont d’une extraordinaire longueur74.
61Il est le premier cependant à relever que la taille des avenues est conditionnée par la hauteur des arbres et signale que l’élagage que l’on pratique sur ces derniers permet d’éclaircir le sous-bois. Sans être botaniste, l’auteur suggère de prendre en compte la croissance des arbres, ce qui montre une sensibilité assez singulière à la nature.
62Rares sont les architectes et théoriciens à prendre garde à cet aspect. Dans son Cours d’architecture, si J.-F. Blondel insiste sur les qualités esthétiques des avenues, il ignore la « dimension végétale » des plantations et recommande :
Autant que cela se peut, il est essentiel de faire précéder les principales entrées des édifices élevés à la campagne par des avenues placées en face de la ligne capitale du château, ne fût-ce que pour prolonger le coup d’œil et dussent-elles même être plantées au milieu des terres labourées, des prés, des bois, etc.75.
63L’auteur n’oublie pas cependant que l’avenue doit guider le visiteur vers le logis et il suggère que les contre-allées débouchent
sur l’angle d’un avant-corps, ou le milieu du trumeau d’un arrière-corps et jamais dans l’axe d’une arcade, ni dans celui d’une croisée.
64Grâce à ce principe, les longues perspectives des avenues se heurtent sur les parties pleines des massifs d’architecture qui soulignent la présence du bâtiment. A contrario, depuis le logis, les avenues étendent la perspective au-delà de l’emprise même du château, sur la réserve76 ou les autres parties du domaine.
65L’homogénéité des plantations permet parfois d’augmenter visuellement l’étendue de la propriété sur des domaines voisins. Le prince de Conti, lors des travaux de construction de ses nouvelles écuries en 1777, crée, dans cet esprit, une avenue entre les deux ailes des nouveaux bâtiments, qui conduit à l’enclos de Cassan. Les Archives nationales conservent le plan des acquisitions nécessaires à ce percement77 : y figure la liste des trente-deux propriétaires auxquels le prince rachète les trois arpents et cinquante-deux perches de surface nécessaire à la construction de l’avenue. De même, la longue avenue qui précède les jardins de Bellevue, en dehors de l’enclos du parc, relève-t-elle d’un privilège exceptionnel accordé à la marquise de Pompadour. Les terrains achetés par le roi, puis offerts à sa maîtresse, n’englobent en effet que la surface du jardin, et l’avenue percée sur le plateau, dans le « bois des Cotiniers », ressort du domaine de la Couronne.
66L’intérêt des avenues n’est cependant pas uniquement esthétique et la pénurie de bois de chauffage, particulièrement sensible en Île-de-France, est un argument solide en faveur de ces plantations. Dès 1552, Henri II commandait de planter les chemins afin de pallier cette carence, mais sans succès78. L’arrêt du Conseil du 3 mai 1720 renouvelle l’ordre de planter les grands chemins
des deux côtés d’ormes, hêtres, châtaigniers, arbres fruitiers ou autres arbres suivant la nature du terrain, à la distance de 30 pieds l’un de l’autre et à une toise au moins du bord extérieur des fossés et de les armer d’épines79
67Le même arrêt indique :
Faute par le propriétaire d’en planter, il est dit que les seigneurs auxquels appartient le droit de voirie pourront en planter à leurs frais et qu’en ce cas, les arbres plantés par ces seigneurs leur appartiendront de même que le fruit de ces arbres80.
68Les avenues plantées, presque systématiques au xviiie siècle, répondent donc à un double critère : esthétique, tel que Blondel s’en fait l’écho, et pratique, afin de faire face à la nécessité de se procurer du bois de chauffage. Le choix des essences mentionnées dans l’arrêt du Conseil indique l’intérêt de ces plantations. Les arbres plantés le long des routes et des avenues sont plus destinés à la consommation courante (fruits, bois de chauffage) qu’à la construction. En effet, leurs troncs noueux, souvent soumis à la taille, ne sont guère utilisables en charpenterie.
69L’autre aspect mis en lumière par cet arrêt touche à la responsabilité de chacun face à ces plantations et à l’entretien des chemins, sous la haute responsabilité du seigneur qui, en dernier ressort, doit planter et entretenir les voies de circulation à ses frais. Ainsi, le sieur D’Haran, seigneur de Romainville, en 1754, fait-il réparer
[…] la chaussée faite à neuf dans le village et sur le grand chemin qui auparavant était impraticable, en sorte que l’on n’en pouvait y aborder qu’avec des voitures et qu’il fallait dans les plus mauvais temps faire à pied une partie du chemin dans la boue jusqu’à mi-jambe et renvoyer les voitures à Paris, faute de pouvoir les introduire jusqu’au château […]81.
70Cet exemple montre l’implication du seigneur dans la vie villageoise. Il supporte les frais importants de ces réparations (cinq mille deux cent seize livres pour trois cent vingt-cinq toises) bien que ces chemins soient publics.
71L’empressement du public à bénéficier du bois des avenues et des routes, de l’élagage apparaît dans plusieurs contrats ou soumissions. Ainsi, lorsque Louis XV, nouvellement propriétaire du château de Bellevue, décide, en 1769, de percer deux nouvelles routes facilitant le passage des équipages lors des chasses à courre et des charrois de glace en hiver, la communauté villageoise, propriétaire des terrains, s’intéresse principalement aux arbres82. Elle demande que les allées nouvelles soient plantées et qu’elle puisse jouir du bois d’élagage et des grumes « quand la révolution du temps l’exigera ». En 1772, le sieur Belleville obtient également la jouissance des arbres abattus dans les jardins de Versailles et la somme de six cent trente-deux livres, quinze sols, dix deniers, contre la plantation de l’avenue du canal de Trianon83.
72Le saut-de-loup et les grilles auxquels aboutissent les avenues forment l’étape suivante de l’arrivée au château. Ce poncif de la composition de l’arrivée du château est associé aux pavillons pour séparer l’espace noble des cours, sans empêcher le passant d’admirer le logis, morceau de bravoure de la composition. Ils forment également le cadre dans lequel la mise en scène du château prend toute son ampleur. Ces éléments, dont nous avons vu qu’ils apparaissent à l’aube du xviie siècle, s’adaptent aux modes architecturales et leurs formes évoluent pour la période envisagée ici, depuis l’époque rocaille jusqu’à l’architecture sévère — ou à la grecque — des dernières années de l’Ancien Régime.
Mise en œuvre de la construction des dépendances d’utilité
Le parti de l’harmonie
73La proximité des communs et du corps de logis dans la composition traditionnelle du château implique un certain équilibre afin que le logis soit mis en valeur par ses annexes, sans qu’il écrase par sa masse les bâtiments qui l’accompagnent. À cet effet, les communs sont tenus à une hauteur inférieure à celle du logis ; ils font ainsi pyramider la composition sur l’axe de symétrie du château, matérialisé par un avant-corps ou un fronton timbré des armes du maître de maison. Outre la hauteur des élévations, la forme des combles ou le choix des matériaux marquent également cette subordination des communs au logis. Il existe donc une adéquation entre les matériaux et les bâtiments. L’ardoise, par exemple, plus noble que la tuile, est réservée au corps de logis. Cependant, elle s’emploie aussi pour les communs qu’elle ennoblit ; dans ce cas, les bâtiments de basse-cour qui regardent la cour d’honneur en sont couverts, alors que les façades arrière reçoivent une toiture de tuiles. Ce sont des raisons économiques qui président le plus souvent à ce choix. À Champs-sur-Marne, par exemple, seules les ailes ouvertes sur les jardins sont couvertes en ardoises, alors que les toitures du reste des bâtiments de ferme demeurent en tuiles. Il est vrai que les arrières sont souvent négligés, comme le déplore J.-F. Blondel pour qui la disposition des basses-cours de Champs
[…] se ressent un peu de la négligence que nous avons déjà dit qu’on apportait souvent dans la distribution générale […] il semble que toutes ces dépendances aient été élevées à plusieurs reprises sous les ordres du jardinier et que l’architecte n’ait été consulté que pour donner les plans du château84.
74Par ailleurs, cette analyse prend toute son importance dans le cadre d’un cours d’architecture destiné, notamment, à valoriser la fonction de l’architecte qui doit présider à l’élaboration du plan dans toutes ses parties. Dans cette mesure, Blondel prévient ses élèves contre toute forme d’abandon des prérogatives de la corporation au profit des non-spécialistes. Par cette réflexion, l’auteur récuse toute intervention extérieure, ici celle du jardinier, ailleurs celle d’un propriétaire trop exigeant qui prétendrait imposer ses vues à l’architecte éclairé.
75La basse-cour des écuries du château de La Roche-Guyon offre un bel exemple de la volonté d’harmoniser et donc de moderniser l’architecture. L’ancienne disposition de cette basse-cour entourée de hauts murs et de fossés répondait à des impératifs de défense hérités de l’époque médiévale, comme en témoignent les poivrières et la poterne (pl. IX). Une première campagne de travaux menée en 1724 permet de répondre aux nouveaux besoins du duc de La Rochefoucault, grand courtisan, et de sa famille, propriétaires de nombreuses voitures. Afin d’abriter ces véhicules, sept remises couvertes d’un comble brisé en tuiles85 sont construites au pied du château, entre les contreforts qui soutiennent la façade. Ce bâtiment ne fait qu’ajouter à la disparate de la basse-cour et en 1742 le nouveau projet élaboré par L. De Villars établit un ensemble homogène dans lequel ces remises sont détruites. Le bâtiment qui les remplace reprend la modénature des nouvelles écuries et une terrasse bordée d’une balustrade de pierre est substituée au comble en tuiles des anciennes remises. Le projet initial comprenait en outre une orangerie qui devait faire face aux nouvelles écuries dans un esprit de symétrie par trop élémentaire, dans lequel l’entrée devait se faire dans l’axe transversal du corps de logis. L’abandon du projet d’orangerie remplacée par le pavillon De Villars permet, depuis le grand chemin de Vernon, d’embrasser plus largement la vue des nouvelles écuries au travers d’un portail de ferronnerie disposé non plus au centre de la cour mais sur son angle nord-est. Par ailleurs, la nouvelle terrasse au pied du château participe de la modernité du projet par sa référence à l’architecture savante des jardins italiens. Cette volonté de modernisation s’affirme également dans le choix des matériaux. Alors que la couverture de l’ancien bâtiment des remises renvoyait aux matériaux utilisés dans l’architecture vernaculaire, le comble d’ardoises des nouvelles écuries répond à la noblesse du château (ill. 80).
Hiérarchie des bâtiments
76La mise en valeur du corps de logis, dans le cadre de la composition traditionnelle du château, s’exprime dans le rapport qu’il entretient avec ses communs. J.-F. Blondel propose à cet égard plusieurs solutions au travers de cas d’espèces. Dans son Cours d’architecture, l’auteur soumet à ses élèves le sujet suivant :
La décoration extérieure de la porte d’une écurie faisant partie des dépendances d’une maison royale. L’ordonnance de cette porte doit être sans ordre d’architecture et contenue dans un avant-corps de vingt-sept pieds de large86.
77Il affirme à cette occasion quelques principes élémentaires :
Le style de l’architecture de cette porte doit avoir le caractère de fermeté qui annonce son infériorité d’avec l’ordonnance des façades qui président dans le principal corps de logis ; mais non de cette fermeté absolue qui caractérise les ouvrages militaires : une belle forme dans l’élévation, un mouvement modéré dans son plan et quelques ornements relatifs à son usage doivent faire tous les frais de cette composition87.
78Cette idée de « fermeté », qui renvoie pour l’auteur à l’« architecture mâle » avec toutefois « moins de pesanteur88 », exprime le savant rapport que doivent entretenir les communs avec le logis. L’« infériorité » suppose une modestie et la sobriété du décor n’exclut pas l’harmonie qui doit régner entre les différentes parties du château.
79La subordination des communs au château s’exprime également par le type de couverture choisi tant pour le château que pour ses communs. Dans ce but, J.-F. Blondel adapte à chacun de ses projets de maisons de plaisance un type de couverture spécifique au programme particulier du château, de la maison de campagne ou du pavillon à l’italienne. Alors que le château doit, à ses yeux, disposer du traditionnel comble « à la française », les communs qu’il lui associe sont couverts de combles brisés, selon le modèle élaboré à Versailles. La simplicité du comble brisé des écuries et des remises du château de Saint-Rémy89 répond à l’opulence de celui du château, augmenté d’une balustrade de pierre ; ils permettent par ailleurs de loger quelques chambres de domestiques et les greniers nécessaires au fourrage90.
80Le palais qui fait l’objet du premier projet de maison de plaisance — « plan des bâtiments, jardins et environs d’un palais » — nécessite, pour répondre à l’image italianisante du programme, l’emploi du toit-terrasse pour les cuisines et l’orangerie. Ce programme implique en effet un faste particulier sur lequel Blondel ne s’appesantit pas mais qui apparaît dans le luxe du dessin des « jardins de propreté » ou encore dans la présence d’un Trianon, également couronné d’une balustrade. Les communs sont ainsi décorés
afin de faire honneur à la vue du château, sans cependant que les deux ailes pussent entrer en comparaison avec la noblesse et la grandeur de son architecture91.
81Les terrasses sur lesquelles l’architecte dispose les communs répondent aussi à la magnificence requise pour un palais, tout comme le riche programme sculpté de ces deux corps de bâtiment. Celui de l’orangerie représente des putti jardiniers en haut relief alors qu’en face l’amortissement du bâtiment des cuisines, entouré de groupes allégoriques, figure les armes du maître de maison.
82La hiérarchie des bâtiments ne se réduit cependant pas au seul rapport entre le logis et les ailes de communs qui bordent la cour. La construction des arrières procède également d’une progression d’une architecture luxueuse vers des constructions vernaculaires. À Jossigny, le comble sophistiqué du corps de logis, qui mêle comble brisé, toiture à la française et égouts retroussés, domine logiquement les ailes de communs en rez-de-chaussée, pourvues de combles à la Mansart, auxquels succèdent les bâtiments de basse-cour couverts de simples toitures à croupes. La hiérarchie des bâtiments s’exprime ainsi au travers des combles de plus en plus simples, mais également de moins en moins coûteux. En effet, si le comble brisé requiert des bois moins longs, donc meilleur marché, sa mise en œuvre demeure plus délicate que celle des toits en bâtière ou à croupe.
83Au château de Millemont, à l’occasion de la grande campagne de travaux de 1769, les communs sont partiellement reconstruits et régularisés92. Ici encore, la forme des combles et la couverture des bâtiments distinguent le grand château couvert d’un comble à la Mansart des communs aux toitures à croupe couvertes de tuiles. Le souci d’économie se manifeste aussi dans le choix des matériaux de construction : l’enduit du logis principal est remplacé par un simple crépi sur les communs. De surcroît, les bâtiments qui bordent la seconde basse-cour sont construits en pans de bois, technique de construction rudimentaire, rarement utilisée dans les châteaux d’Île-de-France. Cet exemple montre comment, chez un propriétaire éclairé — le comte d’Ogny est intendant des postes93—, la rationalité de l’architecture s’exprime aussi par une économie de moyens.
Le style des communs
Le décor et la question des ordres
Le décor
84Les rares mentions du décor requis pour les bâtiments subalternes dans les traités d’architecture démontrent la relative indifférence des théoriciens à cet égard. Les ouvrages de d’Aviler94, Briseux95 ou Le Camus de Mézière96 n’abordent à aucun moment cet aspect. Ils se contentent le plus souvent d’étudier la fonction, la commodité et les contraintes techniques liées aux communs mais ils ignorent leur décor : soit les conditions de la convenance leur apparaissent trop évidentes, soit l’utilité exclut implicitement tout décor spécifique. L’observation des bâtiments montre une réalité beaucoup moins contrastée. L’intégration des basses-cours à la composition d’ensemble du château, l’absence de murs de séparation entre ces dernières et les cours principales et plus encore l’ouverture de ces bâtiments sur les voies d’accès rendent visibles au promeneur les bâtiments d’utilité. Le décor devient nécessaire afin d’ennoblir ce que l’on cachait traditionnellement. Acteurs de la mise en scène du château, les communs se parent d’attributs originaux, « adaptés » selon la formule de l’Arioste97, sous l’influence de la rocaille durant la première moitié du xviiie siècle. G. Boffrand souligne à cet égard :
Une écurie, une ménagerie et une orangerie n’exigent pas une construction légère : elles doivent tenir de la destination du bâtiment et du travail nécessaire à la culture de la terre et des jardins. Un temple consacré à Cérès ne devrait pas être traité comme celui de Junon98.
85En effet, les communs les plus importants du siècle précédent ne présentent pas de décors historiés et leurs élévations sont souvent sans rapport avec leur usage. Mansart à Maisons et son neveu à Versailles se contentent d’un décor architectural muet quant à la fonction du bâtiment. Seuls les archivoltes des écuries du roi montrent des chevaux en haut relief. Dans la logique de la rhétorique architecturale, où l’avant-corps central d’un bâtiment — et plus particulièrement le tympan du fronton — désigne à lui seul le statut et la noblesse du bâtiment, l’entrée des communs joue un rôle de premier ordre. Le décor se concentre essentiellement sur l’axe de symétrie, sur le portail des bâtiments de communs. L’un des premiers exemples de ce nouveau type de décor apparaît au château de Bercy, où Jacques de La Guêpière augmente le logis de deux cours de communs en 1713-1714 pour Charles-Henri Malon99. Les entrées incurvées des deux cours se font face et leurs décors expriment chacun la vocation des bâtiments auxquels elles donnent accès. Ainsi, l’entrée des écuries figure à l’imposte une tête de cheval, et celle des chenils est ornée de bas-reliefs qui représentent des chiens à l’arrêt dans un décor de feuillages (ill. 81). Cette évocation convaincante du monde de la forêt et de la chasse, grâce à la qualité de la sculpture, fait du décor des écuries de Bercy un modèle du naturel rocaille100. Les motifs affleurent sur le mur lisse, sans bordure, selon une formule employée plus tard (1735) par Le Lorrain aux écuries de l’hôtel de Rohan.
86Le décor sculpté des écuries de Chantilly, réalisé par une équipe de sculpteurs réunis autour de Remy-François Bridault101, présente la même inventivité à une échelle beaucoup plus importante. Comme à Bercy, le foisonnement décoratif rappelle la vocation du bâtiment. L’iconographie cynégétique domine le décor des écuries, alors que les motifs guerriers et les chevaux occupent les archivoltes des trois portes de la grande écurie. Sur la façade ouest, le décor sculpté des baies marque clairement la séparation des fonctions des deux pavillons de part et d’autre du portail de la cour du chenil (ill. 82). Le pavillon de gauche, occupé par le chenil, montre un lévrier et une lice de part et d’autre d’un oculus entouré des attributs de la chasse (filet, dague, carquois, fusil, trompe, hure, etc.) alors que celui de droite, à l’extrémité de l’écurie, reprend le motif de chevaux cabrés de son pendant oriental. Le tympan du portail central illustre, non sans naïveté, l’hallali d’un sanglier hirsute, aux prises avec une meute féroce, au-dessus d’une agrafe rocaille. Si les piédroits de cette baie figurent des trophées de chasse plus conventionnels, retenus par des têtes de chiens, les groupes en ronde bosse disposés en amortissement méritent davantage d’attention. Ils représentent à droite Diane et à gauche Cyparisse. Ce personnage, dont la métamorphose est contée par Ovide102, constitue l’élément le plus original de l’iconographie de Chantilly.
87Le jeune homme vêtu en veneur du temps de Louis XV est accompagné de son animal favori et fait face à Diane, la main posée sur l’encolure d’une biche.
88Tandis que les portes des deux extrémités de la nef reprennent les groupes de chevaux cabrés inventés par Hardouin-Mansart à Versailles, l’archivolte du portail monumental montre pour sa part trois chevaux qui caracolent en liberté, dans un décor naturel. Des arbres, un tronc mort à droite de la composition et un nuage figuré au-dessus du groupe central servent de cadre à la chevauchée. L’esquisse d’Aubert montre un couple de chevaux en pied, au centre de la grande archivolte, aux encolures entrecroisées, qui évoque avec candeur l’univers pacifié des animaux (ill. 83). Cette composition rigide et sans invention laisse place à une réalisation du haut-relief incomparablement plus originale. Le groupe animalier figure la transposition dans le monde animal des actions humaines, selon un processus bien connu en littérature depuis les fables d’Ésope mais encore inédit dans le décor monumental. Grâce au surgissement d’un troisième cheval à gauche de la composition (ill. 84), la scène hiératique dessinée par Aubert s’anime. Il faut en effet remarquer le caractère quasi anthropomorphique des bêtes ; on distingue au premier plan un mâle drapé dans une cape et, derrière, une jument parée d’un collier caudal et dont la couverture est tombée au sol. Le couple est surpris dans son intimité par le cheval cabré qui surgit à gauche, la crinière hérissée : c’est le mari jaloux qui surprend l’adultère, thème mille fois représenté dans la peinture d’histoire ! Ce procédé facétieux est en fait une transposition au monde équin de l’iconographie conventionnelle des hôtels particuliers contemporains. J. Auber lui-même orne le tympan du palais Bourbon d’un large bas-relief historié. Le caractère incongru de l’iconographie de la grande archivolte de Chantilly, alors qu’on attendrait la sage image d’un épisode mythologique, rappelle la folie d’une époque aux mœurs légères et peut-être aussi celle du maître des lieux, désireux de déstabiliser le visiteur par l’extravagance de ses écuries. Représenter une telle scène est sans précédent dans la mesure où elle exprime de manière monumentale un registre iconographique réservé au petit format des peintures de cabinet. Ce cas est probablement unique dans l’histoire de l’architecture et le prince de Condé reste à jamais le seul à avoir commandé un tel bâtiment pour des chevaux.
89Le décor de rotonde du manège découvert à l’est du complexe des écuries n’est pas négligé et les agrafes des arcades de ce dernier présentent trois trophées de chasse différents : celui du centre est composé autour d’une hure alors que les deux autres utilisent le motif du filet afin d’unifier ces natures mortes. Au-dessus de l’entablement du manège,
est élevé un trophée avec le chiffre de S. A. S. accompagné d’armes et de guirlandes de fleurs et se termine par deux chevaux103 (ill. 85).
90L’ensemble décoratif unique des écuries de Chantilly laisse perplexe quant au choix des artistes. Bien que la composition et le dessin des groupes sculptés soient assez soignés, la maladresse de l’exécution, toujours assez grossière, laisse penser que le prince de Condé a privilégié la quantité de sculpture et la rapidité d’exécution au détriment d’un travail précis et sensible tel qu’on pourrait l’attendre. On peut s’étonner à cet égard que, de tous temps, la critique n’ait jamais relevé la médiocrité et la raideur des figures sculptées. Les ouvrages les plus récents continuent d’ailleurs à considérer Bridault comme « l’un des meilleurs animaliers de la sculpture française104 » alors que, pour d’autres, « ces hauts-reliefs soutiennent la comparaison avec les groupes analogues des écuries de Versailles, antérieurs, ou des écuries de Rohan à Paris, sculptés par Robert Le Lorrain vers 1735105». L’étude préalable conduite en 1999 par le GRAAL sous la direction d’Étienne Poncelet, architecte en chef, se contente de souligner la partie importante du décor restauré à l’époque du duc d’Aumale106. Il n’en demeure pas moins, en dépit des restaurations, que la composition du relief de la grande archivolte reste assez faible.
91Malgré les efforts entrepris pour rendre lisible le programme sculpté, l’ensemble reste confus en raison de la taille du bâtiment et de ses multiples fonctions. Ce type de décor, mieux adapté à des bâtiments plus petits, est destiné ici à évoquer successivement la prestigieuse Maison de Condé, son goût pour la chasse et une certaine idée de la nature et de l’antique par des évocations mythologiques. On comprend la difficulté de telles associations, mais on peut s’étonner du manque de cohérence du programme décoratif. Les écuries n’en demeurent pas moins un exemple sans égal de décor rocaille monumental appliqué aux communs, même si, dans ce cas, l’effet prime le sens.
92Malgré l’immense renommée de ce bâtiment, il semble que la faiblesse de son décor n’ait pas fait d’émules. La mode de ces grands décors disparaît, sous la pression de J.-F. Blondel, entre autres, pour qui l’exagération du décor rocaille est contraire à la convenance. Cependant, l’image frappante du portail monumental de Chantilly trouve une suite inattendue dans les écuries du château de Bourg-Saint-Léonard. Vermunt, à qui l’on doit le dessin de ce bâtiment, offre ici une interprétation originale du chef-d’œuvre d’Aubert. Il intègre à ces modestes écuries tout le répertoire décoratif nécessaire, afin de rendre explicite la référence à ce modèle, sans pour autant respecter ni les proportions de l’édifice, ni le sens de cette architecture monumentale. L’avant-corps à lignes de refend du bâtiment, percé d’un portail en plein cintre, intégré à un ébrasement concave, fait directement référence à l’écurie des Condé. En outre, le tympan du fronton qui couronne l’édifice emprunte à Aubert l’iconographie de la grande archivolte de Chantilly décrite plus haut. Deux chevaux croisés semblent s’enlacer sous les regards de deux autres congénères. L’arc du fronton, trop bas, contraint le sculpteur à donner aux animaux des postures improbables qui affaiblissent la composition.
93L’orangerie qui fait face à l’écurie du château de Bourg-Saint-Léonard reprend la même composition. Les chevaux sont simplement remplacés par les attributs du jardinage (panier fleuri, arrosoir, râteau, etc.) dans une composition tout aussi aléatoire (ill. 86). La date de construction tardive de cet ensemble (17631767)107 montre la lente pénétration des modèles parisiens en province. Deux ans plus tard, les modèles fournis par Contant d’Ivry108 renouvellent passablement le décor des communs. Il propose une série de portails d’écuries dans lesquels l’« éclectisme d’inspiration », selon la formule de D. Rabreau109, montre sa maîtrise des grands modèles, qu’il accommode au goût à la grecque. Ces planches montrent le chemin parcouru depuis le chantier de Bizy (1741), où l’architecte combinait encore la grande archivolte de Chantilly et les chevaux cabrés des écuries de Versailles. Contant s’affranchit de la stricte convenance et intègre les ordres à ses compositions dans une architecture de fantaisie ; il les transforme selon un jeu « maniériste » dans lequel l’architecte met l’accent sur les colonnes baguées, rustiques, les pilastres, les niches, etc. S’il fait encore référence à Versailles pour la sculpture, l’auteur intègre également les groupes de Coustou pour Marly (ill. 87), plus modernes.
94À l’heure de la parution des Œuvres d’architecture110, Contant d’Ivry est déjà dans sa soixante-douzième année et son goût pour le décor figuratif n’est plus de mise. La nouvelle génération renonce à utiliser ce vocabulaire au profit de motifs abstraits, empruntés à l’architecture antique. L’architecture désormais suggère sa fonction non plus par son décor mais par la puissance évocatrice des formes. Ainsi, les planches de modèles d’écuries de J.-F. de Neufforge (1714-1791), publiées en 1763111 (ill. 88), ne font plus référence au cheval que dans un cas sur quatre. Le bas-relief que l’auteur intègre à son troisième projet d’élévation n’a d’ailleurs pas valeur de décor intrinsèque mais se présente plutôt comme une citation incrustée à la façade entre des médaillons enguirlandés qui sont empruntés au Louvre de Lescot. La façade prend ainsi la valeur d’une œuvre recomposée, à la manière des palais romains de la Renaissance où les fragments antiques composent le décor des façades112. Le terme de goût à la grecque, appliqué à ces projets, mérite d’être nuancé, à moins de ne l’envisager que comme une recomposition de citations hétéroclites : le concept d’« éclectisme d’inspiration » semble mieux convenir. La fortune critique considérable des planches de J.-F. de Neufforge mériterait une étude complète hors de notre propos. Cependant, remarquons que les formes proposées dans ces quatre façades d’écuries sont largement reprises et synthétisées dans plusieurs réalisations de la fin du xviiie siècle, parmi lesquelles nous retiendrons les écuries de l’hôtel Bourbon-Condé, élevées par Alexandre-Théodore Brongniart en 1782, et l’hémicycle du château de Wailly (Somme). Dans ce dernier cas, l’architecte — dont Jacques Foucard-Borville suggère qu’il pourrait être l’œuvre de J.-B. Chaussard113 — reprend nettement la composition de J.-F. de Neufforge, rythmée par des baies rectangulaires surmontées d’entresols. Un tel recueil permet aux architectes provinciaux ou moins talentueux de puiser dans ce répertoire de formes à la mode ; il est donc difficile d’établir la paternité de tels bâtiments en l’absence de sources.
Les ordres
95L’emploi des ordres appliqués aux communs reste un débat très secondaire dans l’architecture du xviiie siècle. Ils sont le plus souvent cantonnés aux avant-corps ou aux portails monumentaux, à l’instar des hôtels particuliers. La disposition des entrées de châteaux, fermées par des grilles, dispense le plus souvent de les employer. De surcroît, des piles de portails trop importantes présentent l’inconvénient de masquer partiellement la vue sur le principal corps de logis et de clore par trop la cour. J.-F. de Neufforge propose cependant trois péristyles (dorique, ionique et corinthien) « propres à enrichir une cour tant à l’usage des palais que des châteaux et hôtels114» (ill. 89). Il est vrai que la formule est largement utilisée en ville, dans des compositions magistrales comme au palais Bourbon115, par exemple, ou plus tard à l’hôtel de Salm116. À notre connaissance, A.-J. Gabriel est le seul à utiliser cette solution pour fermer la cour d’honneur du château de Compiègne, encore s’agit-il plus d’un palais que d’un château, et la cour d’honneur qui ouvre sur la ville reprend manifestement la disposition du Palais-Royal117. Seul Le Camus, à Chanteloup, utilise des portiques doriques afin d’unifier la façade d’arrivée du château. Dans le cadre des nouveaux aménagements pour le duc de Choiseul, ils permettent de regagner à couvert la chapelle à l’est et le pavillon des bains à l’ouest (ill. 90).
96J.-F. Blondel ne donne pas de consignes strictes à propos de l’emploi des ordres pour les bâtiments d’utilité. En effet, s’il recommande de ne pas les utiliser pour la porte d’écurie qu’il propose pour le palais d’un souverain118, il cite en exemple l’orangerie de Versailles qu’il tient pour « […] l’un des chefs-d’œuvre de notre architecture française119 ». Il ajoute :
Hardouin a suivi assez précisément dans cet ordre-colonne les proportions que Vignole lui a données. Nous rappelons à nos élèves que dans l’architecture civile, on ne peut guère placer plus convenable ment le toscan ordinairement destiné pour les bâtiments militaires et navals120.
97Remarquons cependant que l’auteur limite la liberté de cet emploi à l’ordre dorique, le plus fruste et donc le mieux adapté à l’architecture des bâtiments d’utilité. Ce choix s’inscrit dans la gradation des effets architecturaux, soumis au principe de convenance :
Qu’on y prenne garde, rien de si inconséquent lorsque ces bâtiments subalternes disputent de grandeur ou de dignité avec l’objet principal dont ils ne sont que l’accessoire121.
98Comment en effet orner la façade du logis avec des colonnes ioniques si les communs sont déjà parés du corinthien ? Hardouin-Mansart renonce ainsi à utiliser colonnes et pilastres sur les écuries de Versailles afin qu’elles ne rivalisent pas avec le château qui en est alors dépourvu.
99Le cas de Chantilly apparaît donc très singulier dans l’architecture des communs. Les écuries ne s’affichent pas comme une dépendance du logis, mais comme l’habitation principale :
La magnificence de ce vaste édifice, sa situation avantageuse font croire aux étrangers que c’est là la demeure du maître, et ils prennent ordinairement les écuries pour le château122.
100La disposition du bâtiment, isolé sur la grande pelouse, à l’écart du vieux château, conforte cette impression. Cette situation particulière permet à l’architecte de prendre le contre-pied du parti traditionnel de l’harmonie des communs et du logis. À l’écart du château, le pavillon central se pare ainsi de pilastres ioniques. L’utilisation des ordres d’architecture appliqués à des écuries est néanmoins sans précédent en France, si ce n’est aux écuries du château de Maisons. Encore faut-il préciser qu’ils y sont superposés (colonnes toscanes au rez-de-chaussée et pilastres composites à l’étage). À Chantilly, l’absence d’étage et la monumentalité de l’édifice contribuent à la majesté de l’ordre ionique, dont le choix marque la volonté explicite de transgresser la convenance. Dès les années 1680, J. Hardouin-Mansart associe étroitement l’ordre ionique à la personne du roi au travers des places royales et du palais de Versailles ; son application à des écuries échappe au système de référence traditionnel de l’architecture française.
101Cette liberté, considérée par J.-F. Blondel comme une licence123, est une caractéristique principale de l’architecture rocaille. Elle permet de sortir les communs du monde ancillaire et de leur donner à l’occasion des lettres de noblesse.
Les entrées à la mode
102Dans le cadre de la séquence d’accès au château, les pavillons d’entrée jouent un rôle déterminant : ils font office d’« enseigne » du château et, à ce titre, résument et annoncent le système décoratif du château. Certes, ces bâtiments ne sont pas une nouveauté au xviiie siècle et la France a une vieille tradition de pavillons d’entrée ornés. On se souvient qu’à Sceaux, ils supportent un riche décor sculpté dont l’iconographie renvoie à la devise de Colbert, « intégrité et fidélité », dont K. Krause a donné une analyse convaincante124. Cependant, dans la plupart des cas, ces pavillons ne portent pas d’iconographie aussi précise et c’est plutôt leurs caractéristiques plastiques qui renvoient au château, auquel ils sont « assortis ». Ainsi, à Mesnil-Voisin (1639, Essonne)125, les pavillons d’angle qui bordent la cour d’honneur reprennent les traits généraux de la façade du corps de logis (combles à la française, chaînes d’angle harpées, etc.). Les pavillons d’entrée de Maisons (1660)126 constituent, dans cet esprit, un condensé du corps de logis et reprennent le vocabulaire architectural du château ; leurs combles en pavillon écrêté et les colonnes doriques jumelées qui encadrent les baies sont l’expression accentuée des ailes de la demeure où Mansart n’emploie que des pilastres. À Chamarande, les pavillons d’entrée, carrés, appareillés brique et pierre, et couverts de dômes sur plan carré, renvoient aux caractéristiques du corps de logis. Ces pavillons, construits en même temps que le château, prennent une valeur particulière à partir de 1739-1742, date d’une campagne de modernisation importante du domaine conduite sous la direction de P. Contant d’Ivry127 . La suppression du mur-bahut qui séparait le château de l’avenue met en valeur les pavillons qui abritent chapelle et logement du concierge.
103Les architectes rocaille mettent à profit les pavillons d’entrée pour manifester leur goût pour les compositions savantes. À Champlâtreux, lors de la première campagne de travaux de 1735-1740128, Jean-Michel Chevotet orne ainsi l’entrée du château de deux petits pavillons à combles brisés, ornés de grandes archivoltes, transcription en miniature de celle d’Aubert à Chantilly (ill. 91). L’architecte fait ici preuve d’érudition en faisant également référence aux pavillons du château de Maisons et plus encore à ceux de Blérancourt (Aisne), construits sur les plans de Salomon de Brosse pour le duc de Gesvres en 1612. De même, au château de Villarceaux (1755-1759), les pavillons sont un chef-d’œuvre de maîtrise du dessin d’architecture et la composition savante de leurs façades mouvementées en fait de véritables fabriques dans le décor végétal de la grande cour verte qui précède le château (ill. 92 et 93). Le goût nouveau pour les villégiatures champêtres explique la grande liberté de composition des pavillons d’entrée rocaille, qui se distinguent par l’animation de leurs élévations, les ressauts des toitures, etc.
104La création des châteaux de la seconde moitié du xviiie siècle relève d’une analyse beaucoup moins systématique. Les idées politiques (en particulier la fameuse réaction nobiliaire dès les années 1750), la mode, le goût pour une campagne idéalisée par les œuvres de Rousseau ou de Bernardin de Saint-Pierre se diffusent de manière contradictoire dans la création architecturale. Comme Daniel Rabreau l’a démontré129, le château est étroitement associé aux revendications féodales du second ordre. Dans ce cadre, le goût à la grecque, largement adopté en ville comme une mode, mêlé aux attendus idéologiques des Lumières, apparaît caduc lorsqu’il s’agit d’exprimer l’actualité de la tradition — c’est-à-dire des privilèges — qui atteste une symbolique intemporelle ou d’origine médiévale. Le goût à la grecque intrinsèque reste donc insignifiant dans le programme du château. Tout au plus exprime-t-il de la nouveauté pour certains aménagements. La cheminée à la grecque de la cuisine du Petit Trianon (ill. 94) est un exemple éloquent de cet emploi purement décoratif de formes qui, ailleurs, évoquent le modèle antique idéologique.
105L’aristocratie bâtisseuse n’est pour autant ni exclusivement réactionnaire, ni réfractaire aux modes. Bien au contraire, le marquis de Marigny, par exemple, grand initiateur du goût à la grecque, fait bâtir par Soufflot à Ménars la fameuse rotonde en style sévère, en même temps qu’il établit sur les ailes du corps de logis des combles à la française, en remplacement des terrasses de Gabriel130. Paradoxe éloquent, révélateur de l’« éclectisme d’inspiration », la modernisation du château s’opère à la fois dans un « néostyle Louis XIII » et dans le style à la grecque. À Béhoust (Yvelines), les pavillons d’accès servent à afficher cette modernité grecque. Construits peu avant 1786 pour le comte de Lastic131, autour de deux hémicycles, ils reprennent la silhouette ramassée (avec dôme surbaissé et baie inscrite dans une embrasure rectangulaire), élaborée dans le cadre académique par De Wailly dès les années 1750 (ill. 95 et 31). On retrouve le même type architectural, légèrement transformé, à Chanteloup (l’embrasure est remplacée par des pilastres, le fronton a disparu) où L.-D. Le Camus, en 1770132, restaure et modernise le château du duc de Choiseul en exil.
Le retour au vernaculaire
106Selon la formule du duc d’Harcourt, dans le jardin irrégulier,
[…] l’orangerie, les écuries, la ménagerie, laiterie, faisanderie, glacière, jusques à l’abreuvoir, tout est susceptible de participer à l’ensemble et d’embellir avec très peu de frais, parce qu’il faut du simple pour faire valoir le riche, et du repos pour faire sentir le travail133.
107Cette formule, qui vise au pittoresque de l’architecture, ne doit pas occulter d’autres facteurs qui, bien avant l’avènement du jardin anglais en France, conduisent propriétaires et architectes à préserver des bâtiments anciens. Impécuniosité ou choix délibéré ? Il serait hasardeux d’établir rétrospectivement les raisons qui font, au château de Launay par exemple, conserver les communs anciens. Bien qu’il borde la cour, le long bâtiment de ferme daté des premières années du xvie siècle134, construit en pans de bois, dans la tradition du pays de Caux, est préservé lors de la construction du nouveau château vers 1740.
108Le choix de conserver le vieux château de Villarceaux où, au cours de la décennie suivante, se dresse le nouveau logis semble plus évident. L’ancien manoir et ses accessoires servent en effet de commun au château neuf. De surcroît, la renommée de Ninon de Lenclos, qui occupa le vieux château135, et la qualité du décor intérieur justifient la conservation du bâtiment, dont la dimension est à la fois pittoresque et romanesque.
109Dans le cadre du jardin irrégulier, la taille des bâtiments d’utilité détermine souvent leur emploi en tant que fabrique, et seuls les plus petits d’entre eux peuvent être intégrés aux compositions pittoresques. Les glacières, nous l’avons vu, sont particulièrement adaptées au jardin anglo-chinois. P. Panseron136, à cet égard, propose d’associer autour d’un pavillon circulaire quatre fabriques : une chaumière, une glacière, une pompe et une tour ruinée. La réduction de ces éléments à une même valeur plastique, comme simple élément de symétrie, caractérise assez bien l’attitude de l’architecte dont les propositions reposent sur un système géométrique, loin de la poésie du jardin pittoresque137.
Notes de bas de page
1 J. Guillaume, « Le jardin mis en ordre », Architecture, jardin, paysage, op. cit., p. 107-109.
2 L. Hautecœur, Histoire de l’architecture classique, op. cit., t. I 3**, p. 685-691.
3 Voir supra, partie I, chapitre I.
4 J. Androuet du Cerceau, Les Plus Excellents Bâtiments de France, Paris, 1988, reprint présenté par D. Thomson.
5 L. Hautecœur, Histoire de l’architecture classique, op. cit., t. III*, p. 143-144 ; A. Gady, Jacques Le Mercier, architecte et ingénieur du roi, Paris, 2005, p. 264.
6 P. Liévaux, « Le château de Balleroy en Normandie », dans J.-P. Babelon et C. Mignot (dir.), François Mansart, op. cit., p. 118-122.
7 L. Hautecœur, Histoire de l’architecture classique, op. cit., t. II*, p. 266 ; A. Gady, Jacques Le Mercier, op. cit., p. 264.
8 J. Castex, Versailles : lecture d’une ville, Versailles, 1980, p. 30.
9 L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 20-21.
10 H. Burns, « Palladio’s designs for villa complexes and their surroundings », Architecture, jardin, paysage, op. cit., p. 45.
11 A. Palladio, Les Quatre livres d’architecture, op. cit., livre II, p. 113.
12 J.-F. Blondel, De la distribution des maisons de plaisance, op. cit., t. I, p. 145.
13 L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 30.
14 Ibid., p. 29.
15 J.-M. Pérouse de Montclos (dir.), Guide du patrimoine Île-de-France, Paris, 1992, p. 212.
16 J. Sartre, Châteaux « brique et pierre » en France. Essai d’architecture, Paris, 1981, p. 170-172.
17 De nombreux exemples de château « moellons enduits et briques » sont construits durant la seconde moitié du xvie siècle, parmi lesquels on compte la Grange-le-Roy, Fontainebleau, Neuville, Ormesson, voir J.-P. Babelon, Châteaux de France, op. cit., p. 434-437.
18 L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 15.
19 J.-F. Blondel, De la distribution des maisons de plaisance, op. cit., t. I, p. 146.
20 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. 126.
21 Ibid., t. IV, p. 109.
22 L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 29.
23 C.‑É. Briseux, L’Art de bâtir les maisons de campagne, op. cit., t. I, p. 1.
24 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. 137.
25 N. Le Camus ruinera cette disposition lors des réaménagements de la distribution intérieure du château.
26 L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 12 ; G. Boffrand, Livre d’architecture, op. cit., p. 10 ; J.-F. Blondel, ibid., t. IV, p. 117-122.
27 J.-P. Mouilleseaux, « L’époque néoclassique 1750-1790 », dans J.-P. Babelon (dir.), Le Château en France, op. cit., p. 340.
28 L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 13.
29 C.‑É. Briseux, L’Art de bâtir les maisons de campagne, op. cit., t. I, p. 1.
30 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. 119-122.
31 N. Le Camus de Mézière, Le Génie de l’architecture, op. cit.
32 M.‑A. Laugier, Essai sur l’architecture, op. cit., p. 139.
33 A. Duchein, Croix-Fontaine, le pavillon royal et Sainte-Assise, Melun, 1927, p. 12.
34 Ibid., p. 52.
35 J.‑A. Piganiol de La Force, Description historique, op. cit., t. IX, p. 185.
36 Ibid., t. IX, p. 185-186.
37 Citation de Mme de Maintenon dans sa Correspondance vers 1682.
38 Ph. de L’orme, op. cit., livre III, p. 66-68.
39 Sur ce sujet, voir les gravures du « bon » et du « mauvais » architecte de Ph. de L’orme, ibid., p. 328 et p. 341.
40 G. Boffrand, Livre d’architecture, op. cit., pl. XXXV, château détruit.
41 M. Constant, « Le goût d’un prince à la fin de l’Ancien Régime : l’œuvre de Bélanger et son équipe dans la décoration des bâtiments du comte d’Artois », Clodion et la sculpture française de la fin du xviiie siècle, actes du colloque, Paris, 1993, p. 427-429.
42 AN, Z1j1092.
43 D. Rabreau, Claude-Nicolas Ledoux, op. cit., p. 65.
44 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. 173.
45 A.-C. Quatremère de Quincy, Encyclopédie méthodique, op. cit., t. I, p. 245.
46 F. Beaumont et Ph. Seydoux, Gentilhommières des pays de l’Eure, op. cit., p. 170 ; Ch. Morin, « Le château du baron de Breteuil à Dangu (Eure), ou comment faire d’un château médiéval une maison de plaisance moderne », Construire, reconstruire, aménager le château en Normandie, Congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, Annales de Normandie, 2004, p. 157-171.
47 AN, NIII Eure 9116, voir annexe II-7.
48 Ibid.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 AN, Z1j 842.
53 M. Gallet, Les Architectes parisiens du xviiie siècle, op. cit., p. 481, indique que l’architecte est l’auteur d’un projet pour l’école de médecine. Ce lien avec le milieu médical explique peut-être le choix de D’Haran ; AN, Z1j842, f° 26 r°.
54 Voir M. Gallet et Y. Bottineau, Les Gabriel, op. cit., p. 215.
55 G. Boffrand, Livre d’architecture, op. cit., p. 45.
56 L. Hautecœur, Histoire de l’architecture classique, op. cit., p. 82-83.
57 M. Gallet et J. Garms, Germain Boffrand, op. cit., p. 60-61.
58 J.-L. Baritou et D. Foussard (dir.), Chevotet, Contant, Chaussard, op. cit., p. 220 ; voir L. Rousseau, L’Hermitage à Condé-sur-l’Escaut, jardins, architecture et décor dans le Nord dans la seconde moitié du xviiie siècle, thèse de troisième cycle sous la direction de F. Souchal, université Paris X-Nanterre, 1982.
59 É. de Croÿ, Journal, op. cit., t. I, p. 267.
60 Prince de Croÿ, Histoire de l’Hermitage, manuscrit, Valenciennes, B. mun., dans J.-L. Baritou et D. Foussard (dir.), Chevotet, Contant, Chaussard, op. cit., p. 220.
61 E. de Croÿ, Journal, op. cit., t. I, p. 213.
62 P. Panseron, Recueil de jardinage, Paris, 1783.
63 J.-F. Blondel, L’Architecture française, op. cit., t. I, p. 30 et passim ; J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. 192-278 ; J.-F. Cabestan, L’Architecture domestique à Paris au xviiie siècle. Distribution et innovation, thèse de doctorat sous la direction de D. Rabreau, université Paris I, 1998, annexe 2, p. 570 et suivantes.
64 M. Whiteley, « Relationship between garden, park an pricely residence in Medieval France », Architecture, jardin, paysage, Paris, Picard, 1999, p. 93.
65 J. Ehrard, L’Idée de nature en France dans la première moitié du xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1994.
66 J.-F. Blondel, De la distribution des maisons de plaisance, op. cit., t. I, p. 13.
67 J.-F. Blondel, De la distribution des maisons de plaisance, op. cit., t. I, p. 97.
68 Ibid., p. 120.
69 E. de Ganay, Les Jardins à la française, op. cit., p. 54.
70 M. Gallet, Les Architectes parisiens du xviiie siècle, op. cit., p. 161.
71 E. de Ganay, Les Jardins à la française, op. cit.
72 L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 163.
73 F. Blondel et L. Savot, L’Architecture française, op. cit., p. 178.
74 Ibid.
75 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. 122.
76 La réserve est la partie du domaine attachée directement au maître de maison, le reste de la propriété est composé de domaines fermes et de métairies.
77 AN, NIII Seine-et-Oise 130, pièce 6.
78 D. Diderot, Encyclopédie, op. cit., t. VII, p. 615.
79 Ibid.
80 Ibid.
81 AN, Z1j842, f° 26 r°
82 AN, O11531306, voir annexe III-7.
83 AN, O1126978, voir annexe III-8.
84 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. 144-145.
85 AD Val-d’Oise, 10J 455.
86 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. IV, p. xcviij.
87 Ibid.
88 Ibid., t. II, p. 411-412.
89 Il s’agit du troisième projet de maison de plaisance.
90 J.-F. Blondel, De la distribution des maisons de plaisance, op. cit., t. I, p. 140-141.
91 J.-F. Blondel, De la distribution des maisons de plaisance, op. cit., t. I, p. 84.
92 A. Sabourin-Demaret, Le Château de Millemont, université Paris I, 1997, maîtrise sous la direction de D. Rabreau, p. 64-65.
93 P. Charbon, « Rigoley d’Ogny, intendant des postes aux lettres et aux chevaux (1768-1790) », Relais, 1986, n° 14, cité par A. Sabourin‑Demaret, ibid., p. 20.
94 A.-C. d’Aviler, Cours d’architecture, op. cit.
95 C.-É. Briseux, L’Art de bâtir des maisons de campagne, op. cit. ; C.-É. Briseux et J. Courtonne, Architecture moderne, op. cit.
96 N. Le Camus de Mézière, Le Génie de l’architecture, op. cit.
97 Parva sed apta, cf. supra, première partie, chapitre III.
98 G. Boffrand, Livre d’architecture, op. cit., p. 24.
99 M. Gallet, Les Architectes parisiens du xviiie siècle, op. cit., p. 277.
100 Malgré nos recherches, le nom du sculpteur demeure inconnu.
101 L’équipe se compose de Bernard, Coutelet, Brault, Lefèvre et Buret. Voir J.-P. Babelon, Chantilly, op. cit., p. 129.
102 Ovide, Les Métamorphoses, Paris, 1966, livre X, vers 62-160, p. 255-257.
103 A.-N. Dézallier d’Argenville, Voyage pittoresque des environs de Paris, op. cit., p. 417.
104 A. Lefébure et y. Bienaimé, Chantilly, grandes écuries…, Paris, 1984, p. 16.
105 J.-P. Babelon, Chantilly, op. cit., p. 130.
106 E. Poncelet, Domaine de Chantilly, les grandes écuries : étude préliminaire sur les extérieurs, Lille, le 6 décembre 1999, rapport dactylographié non coté, Archives du musée Condé de Chantilly.
107 Comte du Mesnil du Buisson, « Construction du château de Bourg-Saint-Léonard », op. cit., p. 203 ; A. Mercier et Ch. Morin, « Le château de Bourg-Saint-Léonard », op. cit., p. 21.
108 P. Contant d’Ivry, Œuvres d’architecture, Paris, 1769.
109 D. Rabreau, Claude-Nicolas Ledoux, op. cit., p. 23.
110 P. Contant d’Ivry, Œuvres d’architecture, op. cit.
111 J.-F. de Neufforge, Recueil élémentaire d’architecture, op. cit., vol. V, pl. 333-3.
112 Nous pensons ici notamment à la villa Médicis ou au palais Mattei.
113 J. Foucard-Borville, « Recherche sur les architectes parisiens dans la Picardie du xviiie siècle », BSHAF, 1980, p. 182.
114 J.-F. de Neufforge, Recueil élémentaire d’architecture, op. cit., vol. I, cahier 8, pl. 43, 44, 45.
115 F. Magny, Palais Bourbon, sa place, Paris, 1987, p. 20.
116 Construit par P. Rousseau en 1783.
117 Voir S. Descat, « Pierre-Louis Moreau et la sculpture », Augustin Pajou et ses contemporains, actes du colloque du musée du Louvre, Paris, 1999, p. 170.
118 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. I, p. 412.
119 Ibid., t. II, p. 175.
120 Ibid.
121 Ibid., t. IV, p. 109.
122 J.-G. Mérigot, Promenade ou itinéraire des jardins de Chantilly, op. cit., p. 53.
123 J.-F. Blondel, Cours d’architecture, op. cit., t. III, p. lviij-lix.
124 K. Krause, Die Maison de Plaisance, op. cit., p. 159.
125 M.-C. Henry-Boucher, Le Château du Mesnil-Voisin à Fontenay-le-Vicomte, maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de C. Mignot, université Paris IV, 1985.
126 J.-P. Babelon et C. Mignot, François Mansart, op. cit., p. 176.
127 J.-L. Baritou et D. Foussard (dir.), Chevotet, Contant, Chaussard, op. cit., p. 109-111.
128 Date de la construction des pavillons d’entrée, J.-L. Baritou et D. Foussard (dir.), Chevotet, Contant, Chaussard, op. cit., p. 56.
129 D. Rabreau, « Les nouveaux châteaux de la réaction nobiliaire et seigneuriale… », op. cit., p. 90.
130 M. Mosser, « Monsieur de Marigny et les jardins : projets inédits de fabriques pour Ménars », BSHAF, 1972, p. 269-293.
131 A. Allard, Une Maison de campagne du xviiie siècle au xixe siècle à Béhoust dans les Yvelines, maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de D. Rabreau, université Paris I, 1997, p. 57 et 105 ; AN, MC, ét. XCII 917, 24 février 1786.
132 R. Édouard-André, « Documents inédits… », op. cit., p. 16.
133 E. de Ganay, Traité de la décoration des dehors, des jardins et des parcs, par feu monseigneur le duc d’Harcourt, Paris, 1919, p. 199.
134 F. Beaumont et Ph. Seydoux, Gentilhommières des pays de l’Eure, op. cit., p. 263.
135 E. de Ganay, Châteaux de France, Paris, 1948, environs de Paris, p. 38.
136 P. Panseron, Recueil de jardinage, op. cit., IVevolume, 8eplanche.
137 Notons au passage que cet esprit systématique, qui en l’occurrence montre ses limites, trouve dans l’œuvre de son élève Jean-Nicolas-Louis Durand un développement plus fécond.
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