Introduction
Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte
p. 11-44
Texte intégral
1Résistance, désobéissance, dissidence, rébellion, révolte, révolution… Les figures de la contestation constituent un domaine de recherche qui, s’il fut largement exploré dans les années 1960-19701, porté par les vents de l’époque et dans une veine d’inspiration souvent marxiste, fut ensuite traité de façon plus rare et dans des perspectives plus diverses selon les contextes historiographiques et nationaux2. Aujourd’hui, à l’heure où une nouvelle historiographie de l’hérésie revisite les rapports entre désobéissance et rébellion3, où l’histoire intellectuelle réexamine la destinée de certaines figures contestataires4 et où les grandes révoltes suscitent un notable regain d’intérêt, comme en témoignent plusieurs publications récentes ainsi, par exemple, que le programme de l’Agence nationale de la recherche « Culture des révoltes et des révolutions5 », il était temps d’en redécouvrir l’intérêt dans le cadre d’un congrès de la Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public, sans nécessairement évoquer les anniversaires des années en …8 (660e anniversaire de la jacquerie de 1358, 640e anniversaire de la révolte des Ciompi de 1378, 50e anniversaire de Mai 68), ni l’expérience de Rennes (et de l’université Rennes 2 !) en matière de contestation, ni même l’actualité brûlante de ces derniers mois marquée, en France, par le « mouvement des gilets jaunes6 ».
La contestation : un problème et ses enjeux
2Étudier les contestations suppose de s’interroger d’abord sur ce que signifie contester, avant d’examiner ensuite les motifs des contestations, leurs formes, leurs effets et leur devenir, y compris mémoriel et historiographique. Ces quatre dimensions dessinent les contours du spectre de questions qu’envisagèrent les congressistes.
Dire et définir la contestation
3Dans des sociétés médiévales qui accordent une grande place à la culture de l’obéissance (obéissance au père, à l’époux, aux autorités religieuses et politiques), au respect de la tradition et au principe hiérarchique, il convient d’abord de s’interroger sur ce qui transforme une simple résistance (dont le degré le plus faible serait la passivité, la force d’inertie) en une véritable révolte, voire une révolution, et de faire état des différents degrés du mécontentement, depuis le simple « murmure » jusqu’à la « fureur », pour reprendre le mot par lequel les sources françaises de la fin du Moyen Âge qualifient des formes jugées excessives de contestation. Autrement dit, quels sont les seuils et les degrés permettant de caractériser le passage de la désobéissance à la rébellion ou à la révolte ? Il faut notamment se montrer sensible à la dimension individuelle ou collective, visible ou invisible, implicite ou explicite de la désobéissance.
4Une grande attention doit par conséquent être accordée d’une part au vocabulaire des sources, d’autre part à la terminologie des historiens. Quels sont, dans les sources médiévales, les mots de la contestation (rebellio, seditio, « murmure », « tumulte », « fureur » en Occident, stasis, apostasis dans le monde byzantin, fitna dans le monde arabo-musulman), mots ou même absence de mots qui peuvent dénoter une illégitimité ou un degré de gravité ? Quels sont par ailleurs les modèles ou les héros de la désobéissance, positifs ou négatifs, bibliques (Lucifer, Absalom…), antiques (Prométhée…), littéraires (Girart de Roussillon…) ou historiques (Robin des Bois, la Kahina…), voire anonymes ? Au-delà des questions de vocabulaire et de modèles se pose de manière plus générale le problème des sources permettant d’approcher les contestations. En effet, le discours dominant dans la documentation reflète souvent celui de la répression et peut en outre se nourrir d’une mythologie (négative) de la révolte. Il s’agit de rendre compte des stéréotypes hostiles projetés sur les révoltés, ainsi que de la peur qu’ils suscitent (y compris de manière rétrospective), par exemple en étudiant le problème de la personnification de la contestation et la manière dont est fabriquée la figure du « chef » éventuel ou de l’inspirateur de la rébellion.
5Comme l’a montré la nouvelle historiographie de l’hérésie, la contestation n’a de sens que par rapport à une norme contre laquelle elle s’élève, mais cette norme a parfois elle-même intérêt à se forger (s’inventer ?) des dissidents ou des contestataires pour mieux se définir et s’affirmer. En Occident, l’assimilation de l’hérésie à la lèse-majesté à partir de la fin du xiie siècle contribue à nouer étroitement désobéissance politique et insoumission religieuse7. Cette question se retrouve à des échelles plus locales et dans des contextes variés, en Occident comme dans les mondes byzantin et musulman. Une étude récente a ainsi pu montrer combien la « révolte des boules de neige » a été l’un des instruments de la fabrique idéologique du mythe politique vénitien8.
6Cette réflexion recoupe la question de l’ordre et du désordre – la dénonciation d’un ordre injuste est souvent à l’origine de la rébellion, de même que la dénonciation du désordre est souvent convoquée pour justifier les répressions –, du conflit des normes et des valeurs (nœud de bien des intrigues familiales ou politiques), de la tension entre légalité et légitimité, qui ouvre sur la thématique du déni de justice ou de l’abus de pouvoir.
Pourquoi désobéir ? Les motifs de la contestation
7Les motifs de la contestation peuvent d’abord être cherchés du côté de la contestation d’un ordre établi. Il s’agit alors de contester une situation, une décision, une politique, de favoriser l’émergence de nouvelles institutions (par exemple, dans le mouvement communal) ou d’obtenir leur ouverture à de nouveaux groupes sociaux, de rejeter des dogmes, des croyances ou des vérités établies, de refuser des médiations obligatoires (par exemple, la médiation cléricale), de rechercher l’accès au pouvoir, la participation au gouvernement et/ou le contrôle de l’impôt, de revenir à un état des lieux antérieur (comme y engage un discours classique de la réforme à la fin du Moyen Âge)…
8La contestation peut également se nourrir de la recherche d’autres mondes possibles et être animée par un véritable projet alternatif sur le plan social ou politique, voire contenir une part d’utopie. Dans le monde musulman, certains courants chiites et kharidjites ont même pu développer une véritable théologie de la révolte. Fréquemment, ce futur possible s’enracine dans la référence à des communautés passées idéalisées.
9La contestation peut enfin découler plus directement d’un contexte économique, social ou fiscal détérioré. La désobéissance ou la révolte peuvent alors viser la remise en cause ou l’aménagement des statuts (le statut servile, l’accès aux métiers en milieu urbain…), la régulation de la seigneurie (droits et redevances, accès aux communs, accès au marché, transmission des patrimoines…) ou le refus d’un nouvel impôt. Un sort particulier doit être réservé à la question de l’existence ou non de révoltes de la misère dont la majeure partie de l’historiographie conteste l’existence au Moyen Âge.
Grammaire de l’insoumission : quelles formes prend la contestation ?
10L’analyse doit bien sûr au premier chef porter sur les protagonistes de la contestation et leur identité sociale, statutaire, politique, etc., qu’il s’agisse des moines byzantins, des soufis, de certains peuples ou tribus, d’héritiers impatients, de groupes aristocratiques, de factions urbaines, d’artisans ou de manœuvres des villes, de paysans opprimés… Mais au-delà de la typologie des contestataires se posent la question du rôle des solidarités – quelles solidarités jouent, se font ou se défont, dans le cadre des contestations ? –, celle des meneurs (meneurs « naturels » ou hommes nouveaux ?), celle des intermédiaires et des relais, enfin celle du genre – quelles sont la place et le rôle des femmes dans les révoltes par exemple ?
11Une deuxième dimension de cette grammaire de l’insoumission concerne les modalités discursives et les pratiques politiques de la désobéissance ou de la révolte, le passage, en quelque sorte, de la parole aux actes, en commençant par apprécier le degré de formalisation d’un « programme » ou de « revendications » – quel est, par exemple, le rôle des prédicateurs, comme les da’wa dans les pays musulmans ? –, et également le degré de formalisation des liens entre les révoltés – quels sont les enjeux, pour les révoltés et pour la répression, de la conjuration et de toutes les formes de serment collectif ?
12Il s’agit aussi de caractériser la nature des transgressions : doivent faire l’objet d’un examen attentif les formes ritualisées de la désobéissance ou de la révolte, ainsi que la question de la violence, souvent dénoncée chez les rebelles et les révoltés dans les sources qui les évoquent, pour lesquelles elle constitue toujours un facteur de disqualification. La violence est-elle pour autant consubstantielle à toute rébellion ? Lorsqu’elle existe, quelles en sont les formes et les degrés ? Peut-on distinguer violence spontanée et violence ritualisée, violence contre les biens et violence contre les personnes ? Parmi ces dernières, existe-t-il des boucs émissaires ? De manière plus générale, la violence est-elle un adjuvant ou un frein à la révolte ? Y a-t-il un art (surtout aristocratique ?) de se révolter (dans le respect de certaines limites, par exemple) pour mieux négocier son retour en grâce ? La révolte ne peut-elle apparaître comme un usage réglé de la violence pour mieux faire valoir ses droits, comme un moyen de pression dans le cadre d’une négociation avec le pouvoir ?
13Très souvent, les révoltés, surtout lorsqu’ils sont d’origine « populaire », sont présentés comme des masses aveugles, dépourvues de conscience politique. La question se pose précisément de savoir si la révolte – en dépit même de ses revendications souvent conservatrices ou préservatrices – ne constitue pas une forme (et le lieu possible) de mobilisation politique. Le constat déjà établi dans les années 1960 de ce que les nombreuses révoltes dites « populaires » au xive siècle sont rarement des révoltes de la misère plaide en ce sens.
14Une troisième dimension des formes de la contestation concerne l’espace. Que peut-on connaître et apprendre de la diffusion et de l’ampleur des contestations, de la contagion ou de la coalescence des mouvements de rébellion, du rôle de la circulation de l’information, voire des phénomènes de concertation ? Quels sont les traits spécifiques et les articulations entre révoltes rurales et révoltes urbaines ? Quels sont les lieux centraux ou symboliques (la place de la ville ou du village, tel ou tel édifice majeur…) dans la genèse ou le déroulement des révoltes ? Est-on par ailleurs en mesure aujourd’hui d’esquisser une géographie des révoltes à l’échelle régionale ou européenne, en particulier pour la fin du Moyen Âge ? Pourquoi certaines campagnes ou certaines villes apparaissent-elles comme des foyers de rébellion alors que d’autres ne sont presque jamais touchées par de tels mouvements ?
15Enfin, une quatrième et dernière dimension de la grammaire de l’insoumission renvoie aux enjeux du temps, du rythme et de la durée des contestations. Comment situer ou identifier l’entrée en désobéissance ou en révolte ? Quels événements font sens ? Quels marqueurs peuvent être identifiés ? Quels sont les rythmes des contestations et des révoltes ? Qu’est-ce qui explique leur caractère éphémère ou durable ? Y a-t-il des saisons où éclatent davantage les révoltes ? Se pose ici la question plus spécifique de la fin du Moyen Âge en Occident : est-ce un « temps de révolutions » comme l’avance depuis longtemps l’historiographie ? Quels sont l’impact de la Peste noire sur la libération de la parole revendicative et l’impact de la guerre, de la défaillance aristocratique et de l’apparition d’une fiscalité directe d’État sur le déclenchement et la multiplication des soulèvements9 ? Comment expliquer que certains mouvements se généralisent à l’échelle européenne durant certaines périodes très courtes (en 1378-1382 ou dans les années 1510 par exemple) ?
En finir avec la contestation
16L’extinction de la désobéissance ou de la révolte doit être envisagée dans le cadre de temporalités enchaînées : le temps court des fins de crise, le temps plus étiré des effets ou de l’impact de la contestation, enfin le temps long de la mémoire.
17« Il faut savoir terminer une révolte » ; mais comment se déroule le processus de sortie de crise, le « retour à la normale » ? Quelles sont la part de la satisfaction d’une partie des revendications des contestataires, celle de la répression, celle de l’amnistie et de la réintégration des rebelles… ? Si la répression prend souvent l’allure d’un théâtre de la souveraineté, quel est, dans ce cadre, le rôle spécifique de la justice ? La sortie de crise, avec son lot de sanctions exemplaires et de clémence des autorités (au prix de l’amende honorable du côté des révoltés), obéit-elle toujours à une forme de ritualisation comme à Gand, Rouen, Paris, Montpellier… dans les années 1380 ? Quelle est la part de la négociation dans la sortie de crise ? Dans quelles conditions la recherche du compromis permet-elle de désamorcer les tensions ?
18Par ailleurs, en dépit de leur répression, dans quelle mesure les révoltes ont-elles fait « bouger les lignes » (abandon de certaines mesures, recul du pouvoir, prudence nouvelle…) ? Quelles contestations, à l’image, par exemple, de celle des Abbassides, sont parvenues à recomposer durablement l’ordre social et politique ?
19Enfin, quel souvenir est-il conservé des figures et des mouvements contestataires ? Quelle est la part de la bonne et de la mauvaise mémoire, voire de la damnatio memoriae des vaincus ? Quels sont les supports de cette mémoire (discours, images…) et leurs implications particulières ? Quels usages politiques, sociaux ou culturels fait-on de cette mémoire10 ? Il convient, dans ce cadre, de se montrer attentif à la question des remplois et du « recyclage » des mêmes discours d’une révolte à l’autre, voire des récupérations par les pouvoirs contestés eux-mêmes.
La contestation dans le monde islamique médiéval
20Les révolutions arabes qui ont éclaté à partir de 2011, et l’implacable répression qu’elles ont presque partout déclenchée en retour, sont parfois dans les médias l’occasion de raccourcis historiques qui vont puiser dans la période médiévale le canevas d’une analyse paresseuse et partiale. L’Islam, dont on a longtemps postulé qu’il n’avait pas d’histoire11, semblait étirer jusqu’au contemporain un Moyen Âge jamais dépassé fait de despotisme et d’oppression aveugle, d’inaptitude structurelle à la modernité politique, d’obscurantisme et d’archaïsme barbares. Une vision confortée par la mise en place sur une partie de la Syrie et de l’Irak d’un califat islamique prétendant abolir le temps en se référant au moment mythique des origines. C’est faire abstraction de siècles d’une histoire riche et complexe qui a travaillé en profondeur les sociétés des mondes islamiques au cours du temps, comme partout ailleurs. Faut-il le rappeler, il y a fort à parier qu’un paysan irakien du xe siècle ressemblait bien plus à son contemporain poitevin ou anglais qu’à son hypothétique descendant du xxie siècle ; peut-être ont-ils eu tous deux des rapports assez semblables à la mort, au travail, à la violence ou à même à Dieu. S’intéresser à la contestation et aux révoltes du monde islamique médiéval, c’est donc non pas faire abstraction du contexte dans lequel nous écrivons l’histoire, cela nul ne le peut, mais au contraire l’avoir constamment à l’esprit pour mieux le tenir à distance lorsqu’il s’agit de se pencher sur ces textes anciens. Et plutôt que de chercher dans le Coran ou les ḥadīths les racines de la violence contemporaine, à l’instar de ce que font les intégristes islamistes ou les identitaires européens, penchons-nous sur la genèse de ces textes et sur leurs contextes de production, voyons en historiens les différences entre le christianisme, qui voit le jour dans un empire constitué, l’Empire romain, et l’islam, dont la prédication va de pair avec la construction d’un État. On comprendra dès lors mieux pourquoi résonne l’écho des batailles et des révoltes dans ces textes.
21Ce qui nous amène à un second point, celui de la complexe imbrication entre le religieux et le politique en Islam, supposée plus inextricable que dans le cas de l’Occident latin. Là aussi, il ne faut pas être grand clerc pour saisir qu’au Moyen Âge le monde islamique et la chrétienté résonnent de concert ; et nous verrons au fil des pages de cet ouvrage combien l’étendard de la révolte ou la justification de la répression mêlent souvent de manière consubstantielle le politique et le religieux dans les différents mondes sociaux. Dans Le divan des rois, Jocelyne Dakhlia a bien montré que les deux sphères ne sont ni plus ni moins liées que dans le cas de l’Occident latin12 ; et Makram Abbès retrace dans l’introduction de son ouvrage intitulé Islam et politique à l’âge classique la genèse historiographique d’une vision située dans l’héritage sociologique webérien13. Penser que l’islam, qui signifie soumission (à Dieu), induirait une obéissance aux califes, successeurs du Prophète, plus grande, plus aveugle que celle que les peuples de la chrétienté14 devaient à leurs souverains ne fait que renforcer le cliché d’un Orient despotique où toute forme de contestation est impossible et n’aboutirait de ce fait qu’à une répression terrible. La longue liste des révoltes, des rébellions, des dissidences montre bien combien les réalités sociales et politiques pèsent souvent bien plus lourd que les normes sans cesse réaffirmées par les élites religieuses15, très exactement comme dans le cas de la chrétienté occidentale.
22C’est précisément ce qui réunit les spécialistes des différents champs d’études au sein de la SHMESP : des grilles d’analyses communes et des questionnements analogues, car ces mondes ne sont pas des entités imperméables ; des éléments de la science politique, mais aussi de la grammaire de la révolte sont communs et ils puisent bien souvent aux mêmes sources de l’Antiquité classique et surtout tardive, lorsque des penseurs néoplatoniciens ont cherché à concilier philosophie et monothéisme, notamment en tentant de définir le bon gouvernement de la cité16. Les miroirs aux princes, composés en Orient comme en Occident (on pense notamment au fameux Secret des secrets, élaboré en premier lieu à la cour omeyyade), ont contribué à la diffusion de puissants motifs présentant en miroir le roi et le sage qui lui résiste, l’un et l’autre figures archétypales qui s’opposent et, de ce fait, se complètent. Les anecdotes sont ainsi nombreuses dans la littérature arabe mettant en scène le sage désintéressé, ascète et saint homme, seul capable d’en remontrer au prince orgueilleux et tyrannique et de lui faire contrepoids. Elles se terminent généralement par le triomphe du savant, l’humilité retrouvée, du moins temporairement, du puissant. Piètre consolation pour les hommes de plume qui les ont inventées, mais matrices d’images pieuses du pouvoir, sans cesse renouvelées au gré des contextes d’écriture et témoignages d’un substrat commun.
Les spécificités d’une histoire impériale
23Demeure-t-il donc, dans le cadre de notre problématique, des différences structurelles, justifiant cette introduction à plusieurs mains ? Il y a d’abord les particularités d’une histoire impériale qui se distingue en partie, dans ses fondations politiques et géographiques, de celle de l’Occident latin, une histoire qui est celle du califat, des califats à partir du xe siècle. Il y a également diversité des communautés religieuses, qui sont alors des communautés juridiques, diversité qui donne une coloration différente puisqu’en dehors des communautés juives, l’Europe ne fait l’expérience de l’altérité intérieure structurée qu’à partir de la survenue du protestantisme au début de la Modernité17. Ces différences donnent une tonalité particulière aux révoltes et nécessitent de s’interroger sur ces sources qui racontent la contestation. Car pourquoi l’écho de certains de ces mouvements nous est-il parvenu, parmi les milliers de soulèvements qui se sont produits entre le viie et le xve siècle ? Qu’est-ce qui fait qu’une contestation mérite d’être consignée et passe ainsi à la postérité ? Là aussi, seule l’étude des contextes de production de l’écrit peut nous éclairer. Des contextes successifs, car certains grands moments de révolte ou de révolution ont continué de faire l’objet d’une mise en récit bien longtemps après qu’ils ont éclaté.
24Cela pose d’emblée la question des sources ; les spécificités de celles du monde islamique ont déjà été présentées dans un précédent congrès de la SHMESP, celui du Caire en 2008, par Gabriel Martinez-Gros18. Comme dans le cas de l’Occident latin, le fossé est abyssal entre la documentation concernant le haut Moyen Âge, plutôt rare, et celle des périodes postérieures, avec une véritable abondance documentaire aux xive et xve siècles, notamment dans l’Égypte mamelouke. Au total, pas ou peu d’archives de l’État dans la plupart des cas, mais des chroniques qui reproduisent nombre de documents, et de nets renouvellements historiographiques ces dernières années, permis par l’étude de sources nouvelles et/ou par des approches différentes des sources juridiques, des traités de ḥisba, des documents liés aux Waqf, etc.19. Dans ce contexte documentaire d’inégale densité, les révoltes et rébellions mentionnées sont celles qui ont mérité de l’être, pour leur exemplarité, surtout négative, parce qu’elles ont profondément marqué les esprits, parce que leur répression est l’expression d’un retour à l’ordre qu’elles contribuent à définir en retour ; parce qu’elles ont aussi parfois réussi.
Les mots de la contestation
25On trouve à plusieurs reprises dans le Coran l’injonction d’obéir à Dieu et à son Prophète (comme dans la sourate 3, verset 32), mais les allusions à l’obéissance au gouvernement des hommes sont très rares ; il n’y a guère que le verset 59 de la sourate 4 qui soit explicite : « Obéissez à Dieu, obéissez à l’Envoyé et à ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité (amr) parmi vous. » Ce sont les juristes qui se sont attelés à théoriser le devoir d’obéissance au pouvoir souverain en présentant toute forme de contestation comme un appel au désordre, à la fitna20, et qui ont tenté de faire de l’obéissance (tāʿa) au pouvoir un devoir religieux21. L’obligation de l’obéissance au pouvoir prônée par les juristes, principalement sunnites, trouve toutefois une limite de taille : il ne fallait pas que cela impliquât de désobéir à Dieu, ce qui ouvrait le champ à toutes les justifications possibles d’une révolte légitime menée au nom du retour à la norme, au nom de la religion. « Seul Dieu est juge » : ce credo sans cesse réaffirmé peut aussi avoir une portée révolutionnaire.
26Le révolté, al-mārid, celui qui pratique al-murūd ou al-tamarrud22, la résistance à l’ordre établi, est celui qui prend le risque de rompre l’unité de la communauté, de mettre en péril l’islam et d’entraîner la régression toujours possible au temps de l’ignorance, celui de la Jāhiliyya, dans une forme de criminalisation de la révolte, même lorsque celle-ci s’exerce contre un pouvoir injuste : « Si l’on mettait sur un plateau d’une balance un pouvoir injuste qui dure un an, et dans l’autre une heure d’abus, de torts et de troubles causés par les sujets et dus aux dysfonctionnements du pouvoir, il s’avèrerait qu’une heure de troubles est plus grave et pire qu’un an d’injustices commises par le pouvoir. Comment ne pas reconnaître que la disparition du pouvoir ou sa faiblesse est le moment où prospèrent les mauvaises gens, le temps où les armées amassent les profits et où se multiplient les brigands, les vulgaires, les voleurs et les pillards ? », écrit al-ṭurṭūšī (1059-1126) dans son Sirāğ al-mulūk23. Les mots qui expriment la contestation et la révolte sont nombreux, témoignant de la diversité des situations et des processus. Ṯhawra, qui a pris le sens moderne de « révolution », est au départ la poussière ou le sable que le taureau soulève dans sa fureur ; le terme n’acquiert de sens positif qu’au xxe siècle dans les milieux réformistes qui voient dans la ṯhawra al-faransāwiyya24, la Révolution française, un formidable catalyseur de l’histoire, à l’exact opposé des considérations des juristes médiévaux. ‘Isyān, la désobéissance, fasād, le désordre, la corruption, kalaba, qui, en indiquant le retournement, le renversement, la volte-face, est l’exact équivalent de notre « révolution », ‘aṣā, l’action de se rebeller, sont autant d’indicateurs de la richesse sémantique des mots qui disent la révolte et qui distinguent les types de violence25. La gamme étendue des signifiants ne rend pas aisé l’établissement d’une nomenclature des types de contestation, qui risquerait de ressembler à un inventaire à la Prévert. Tentons plutôt d’en suivre l’histoire dans le monde de l’Islam médiéval26, par-delà la récurrence des formes qu’elle emprunte, contestations fiscales, révoltes tribales, dissidence religieuse, etc. Car si le désordre est le reflet inversé de l’ordre politique, alors l’analyse des formes successives que celui-ci a revêtues peut en retour nous éclairer sur l’évolution des contestations. Des contestations présentées dans les sources médiévales dominantes comme autant de manifestations de l’hérésie, de l’innovation blâmable, du brigandage et de la déviance, mais qui sont toujours le révélateur d’une agitation sociale et d’une lutte contre les abus et l’injustice. Notre choix est donc de dérouler cette histoire, celle de la construction mais aussi celle de la remise en cause des assises de la légitimité politique.
Une fitna fondatrice
27Il est d’usage de présenter comme premier véritable moment fondateur de la division celui de la grande fitna27, la guerre civile des années 650 qui voit s’opposer deux camps : celui de ‘Alī, cousin et gendre du Prophète, incarnation de l’islam de la première génération, et celui de Mu’āwiya, issu du puissant clan qurayshite des Banū Umayya ayant toujours dirigé La Mecque, qui entendait venger la mort de son cousin, le 3e calife ‘Uthmān. On sait qu’ils se battent à Ṣiffīn28 en 657 et que ‘Alī est assassiné en 661 par l’un de ses anciens partisans.
28Cette première fitna fondatrice est d’abord la confrontation de deux conceptions du pouvoir souverain issu de la prophétie de Muḥammad. Plus que l’expression d’une opposition ou d’une contestation, elle est d’abord le signe des débats sur ce que devait être le nouvel ordre politique alors que la théocratie médinoise, l’État islamique des débuts, avait engendré un empire à l’issue de la première vague de conquêtes, entre 632/634 et 650. Cette première fitna n’est donc pas à proprement parler une révolte, mais l’opposition frontale et armée de deux conceptions du pouvoir ; c’est cependant dans ses soubresauts que vont naître le kharidjisme et le shiisme, les deux formes les plus abouties de la contestation politico-religieuse. Le long épisode d’un anti-calife, ou d’un calife alternatif à La Mecque, Ibn al-Zubayr, dans les années qui suivent, et qui brave l’ordre omeyyade, est me semble-t-il du même ordre. La structure politique impériale est en voie de formation et donne lieu à de profonds conflits au sein de la première génération des compagnons.
29L’accession de Mu’āwiya au titre califal en 660/661 permet la fondation de la première dynastie de l’histoire de l’Islam, celle des Omeyyades, lorsque ce calife fait désigner son fils Yazīd pour lui succéder ; c’est l’occasion d’une révolte majeure, d’un baroud d’honneur riche de conséquences mené par le fils de ‘Alī et petit-fils du Prophète, al-Husayn, assassiné par une armée omeyyade à Kerbala en Irak en 680, épisode fondateur de la naissance du shiisme et profond traumatisme pour l’ensemble de la communauté. C’est la tache du sang du Prophète laissée sur le manteau blanc des Omeyyades. La relance des conquêtes par ces derniers, entre 661 et 750, masque un temps les désunions, et l’afflux de butin ainsi que l’association des vaincus aux conquêtes à venir, comme dans le cas des Berbères en al-Andalus, permettent d’agrandir encore l’Empire, qui atteint ses bornes : de l’Indus aux Pyrénées ou, pour reprendre la formule des géographes arabes, du grand Océan ténébreux à la muraille de Gog et Magog, le double de la superficie de l’Empire romain à son apogée.
30La fin des conquêtes entraîne la consolidation de la taxation et l’apparition assez logique de révoltes fiscales, guère nombreuses dans les premières décennies de la domination islamique lorsque les populations conquises avaient peu résisté aux troupes islamiques qui leur laissaient la plupart du temps leurs biens, leur liberté personnelle et leur liberté de culte. La volonté des Omeyyades de maintenir la suprématie des Arabes, ou leur incapacité à accompagner la transformation de l’État des débuts en un empire, explique également la profondeur des révoltes qui scandent le viiie siècle ; révoltes aux causes multiples, principalement fiscales, et qui entraînent de d’importants changements aux deux extrémités du domaine de l’Islam. C’est d’abord le grand soulèvement berbère des années 740, contre la domination arabe et non contre l’islam puisque c’est en son nom, et plus particulièrement dans la voie kharidjite qui prône l’égalité de tous les musulmans quelles que soient leurs origines, que le Maghreb échappe définitivement à la tutelle orientale. Les savants sunnites n’ont eu de cesse d’assimiler cette révolte à une déviance n’engendrant que ruine, anarchie et hérésie. Dans le camp de ces révoltés, qui ne se qualifient jamais eux-mêmes de kharidjites29, on théorise en retour la légitimité de la révolte contre les imams injustes et on prône une forme de pouvoir collégial. Des royaumes et des principautés sont érigés, à l’instar de ceux de l’ouest du Maghreb ou de l’imamat rustamide de Tāhart, qui subsiste jusqu’à l’avènement des Fatimides au début du xe siècle.
La « révolution » abbasside
31À l’autre extrémité de l’Empire, une grande révolte soulève le Khurāsān, menée par un Persan du nom d’Abū Muslim, et elle se fait au nom du droit des « gens de la Maison » (ahl al-bayt), c’est-à-dire du clan de Muḥammad, à exercer la magistrature suprême. Elle se solde par le renversement des Omeyyades en 750 et ce que l’historiographie nomme la révolution abbasside. C’est ainsi que l’on nomme le plus souvent les révoltes qui ont réussi, du moins dans l’historiographie contemporaine, héritière des révolutions, qui peut considérer que l’usage de la violence est légitime pour renverser un gouvernement tyrannique et engendrer un ordre nouveau. Or le Moyen Âge, islamique comme latin, fonde la stabilité des sociétés sur l’observance d’une loi révélée réputée immuable que nul désordre ne doit troubler. Selon un célèbre ḥadīth, « Mieux vaut soixante ans d’injustice qu’un seul jour de désordre ». La révolution est synonyme d’innovation blâmable, de bida’, à l’instar des déviances religieuses ; on voit là aussi la perméabilité des registres et l’assimilation de la contestation politique à des troubles orchestrés par des brigands et des hérétiques, dans un processus bien connu de disqualification de l’adversaire30. Le refus de payer l’impôt, par exemple, notamment la zakāt, la dîme légale, est considéré comme une rébellion contre la loi islamique, à l’exemple des groupes tribaux arabes qualifiés d’apostats qui avaient refusé de reconnaître le successeur de Muḥammad, le premier calife Abū Bakr. La révolte sociale et politique est le plus souvent présentée comme l’expression d’une dissidence religieuse par les sources médiévales.
32Mais, dans le cas qui nous occupe, le soulèvement mené par les Abbassides a réussi ; d’où la nécessité de justifier cette révolte contre les Omeyyades impies. C’est à cette tâche d’écriture que s’attellent les chroniqueurs à la solde du nouveau califat qui entament l’opération de damnatio memoriae des Omeyyades. Ce processus d’écriture de l’histoire par les vainqueurs est initié au ixe siècle et trouve sa pleine mesure dans les grandes encyclopédies « canoniques » du xe siècle, celles de Tabarī et Mas’ūdī notamment. Sous leur plume, le recours à la révolte a permis un retour à la norme islamique, en privilégiant la famille même de Muḥammad, au plus près de l’héritage de la Prophétie. Les Abbassides au pouvoir se retournent vite contre les shiites qui les avaient appuyés au nom des droits de la famille dans le combat contre les Omeyyades, et les rejettent dans l’opposition politique. Progressivement, le shiisme se structure, et si les duodécimains peuvent composer avec le pouvoir califal, dissimulant leur foi au nom de la taqīyya, les ismaéliens appellent à la révolte armée.
La révolte des Zanğ
33C’est au nom du shiisme ou du kharidjisme qu’éclate une immense révolte d’esclaves qui faillit emporter le califat abbasside, celle des Zanğ, qui se déroule de 869 à 883 dans le Sud de l’Irak. C’est un exemple net de lutte de classes selon Alexandre Popovic31, élève de Maxime Rodinson, qui fut l’un des rares historiens à avoir consacré une monographie à cette gigantesque révolte qui apparaît de manière récurrente sous la plume de très nombreux chroniqueurs, contemporains comme postérieurs, suscitant effroi et réprobation. Les Zanğ étaient des esclaves noirs achetés en Afrique orientale pour travailler dans les marais du Bas-Irak afin de rendre la terre cultivable32, au sein de chantiers réunissant de cinq cents à cinq mille travailleurs dans des conditions épouvantables. Dans la décennie 869-879, ils se révoltent avec succès, construisent des forteresses dans les marais, se procurent des armes. Leur leader, sorte de Spartacus arabe, ‘Alī b. Muḥammad al-Zanğī, surnommé le maître des Zanğ, se prétendait descendant de ‘Alī (Mas’ūdī dit qu’il était shiite) et avait essayé en vain d’appeler à la révolte dans diverses provinces de l’Empire avant cet épisode. C’est l’ampleur de la révolte, le nombre d’insurgés, la qualité et le nombre des victimes de leurs violences, l’importance des dégâts et la férocité de la répression qui ont marqué les esprits, à la hauteur de la peur éprouvée lors de cette immense révolte. Tabarī, qui est contemporain des faits, lui consacre plus de trois cents pages et décrit dans le détail le sac des villes de Baṣra, Wāsīṭ, al-Ahwāz et le massacre de leurs habitants par les insurgés. Les textes, et notamment un poème de déploration composé par Ibn al-Rūmī33, nomment les révoltés Zanğ ou ʿabīd, rappel sans équivoque de la condition servile des insurgés et de la couleur de leur peau. C’est un procédé utilisé par l’historiographie abbasside pour disqualifier la révolte, laquelle, soulignent Claude Cahen et surtout Alexandre Popovic, mêlait hommes libres et esclaves, car nombre de paysans pauvres et de bédouins s’étaient ralliés à l’insurrection, ce que reconnaît Tabarī34. Le pouvoir califal installé à Samarra, alors fragilisé par les luttes internes à la tête de l’État et l’entrée en dissidence de certaines provinces35, ne peut répliquer qu’à partir de 879 et la répression est alors féroce puisque les sources évoquent plusieurs centaines de milliers de morts. Si le maître des Zanğ meurt pendant le combat final en 883, on exhibe pendant longtemps sa tête, et toutes sortes de supplices sont réservés à ses lieutenants ; les têtes tranchées et les corps crucifiés sont exposés à Bagdad selon une mise en scène de la répression savamment orchestrée. La consignation par écrit de la violence, sa présentation dans les sources, sont univoques : celle commise par les révoltés est toujours abominable, presque inhumaine, celle en revanche qu’exerce le pouvoir lors de la répression et qui reproduit souvent les mêmes exactions ou supplices, est considérée comme légitime, justifiée et nécessaire préalable à un retour à l’ordre. Selon Alexandre Popovic, cette révolte met fin à l’unique essai médiéval de transformer l’esclavage domestique en esclavage de plantation à grande échelle, et ces chantiers qui nécessitaient une main-d’œuvre servile sont abandonnés.
La prise du pouvoir par les Fatimides
34Le xe siècle est un véritable tournant dans l’histoire du monde islamique et, partant, de ses révoltes car, pour la première fois, si l’on exclut quelques épisodes d’anti-califes, il y a désormais trois califats rivaux. Outre le califat canal historique, celui des Abbassides, il y a désormais un califat omeyyade proclamé à Cordoue en 929, mais il ne s’agit pas là d’une révolution puisque cette famille exerçait déjà le pouvoir sur ce territoire excentré depuis 756. Il y a surtout proclamation dès 909 à Kairouan d’un califat shiite ismaélien, le califat fatimide36, qui va ensuite conquérir l’Égypte à partir de 969, des terres en Syrie et même les villes saintes de Médine et La Mecque. Cette proclamation a été rendue possible par le travail de fond de révolutionnaires professionnels, les du’at (pluriel de dā’ī : « celui qui appelle » ; la da’wa est « l’appel » à suivre les croyances ismaéliennes), qui organisent la convergence des luttes. C’est la rencontre entre la prédication d’une élite sociale et savante capable toutefois de s’adresser à tous et la volonté de populations de l’Ifrīqiya de se libérer de la tutelle du pouvoir en place. Le dā’ī ‘Abd Allāh, qui annonce l’arrivée prochaine du Mahdī37, porte un discours de justice et de dénonciation des abus commis par la dynastie aghlabide qui gouverne l’Ifrīqiya de manière tout à fait autonome mais au nom du calife de Bagdad. La dissidence rencontre la révolte et cela engendre un vrai bouleversement. Sans le soutien des tribus berbères, la révolution eût été difficile.
35Nous ne ferons là qu’entrevoir cet acteur essentiel de la résistance au pouvoir qu’est la tribu (qabīla en arabe), structure si étrangère à l’histoire de l’Occident latin et qu’Ibn Ḫaldūn, le grand penseur du xive siècle, considère comme le moteur de l’histoire des États38. Les tribus ne sont pas seulement des troupeaux de bédouins efflanqués rétifs à toute autorité centrale et perpétuellement rebelles ; elles sont une part essentielle de la vie des États, qui vont puiser dans leurs rangs les forces militaires qui permettent d’encadrer les populations sédentaires désarmées. Les désordres tribaux récurrents sont même nécessaires à la régénération du pouvoir et/ou mettent à l’épreuve sa solidité39. Les ‘aṣabiyya puissantes, esprit de corps fondés sur la solidarité des liens de sang, sortent des marges et donnent les plus grandes dynasties, à l’exemple des Arabes eux-mêmes que le souffle de la Prophétie a conduits à abattre les anciens empires. Les Berbères, les Turcs, les Mongols sont également à l’origine selon Ibn Ḫaldūn de pouvoirs impériaux, dans ce ballet des nations qui fait se succéder les peuples à la tête de l’État.
36Quand une révolution réussit, il faut toutefois que le groupe au pouvoir désarme les siens pour se constituer en une dynastie et pour imposer l’ordre monarchique. Si nous reprenons l’exemple des Fatimides, après avoir porté la rébellion, ils appellent à l’obéissance et à l’ordre40. Malgré une certaine ouverture, notamment à l’égard des sunnites malikites, les Fatimides, comme tout pouvoir, ont à faire face à des révoltes, là aussi motivées principalement par le poids de la fiscalité. C’est le cas en Sicile et dans différentes parties du Maghreb fatimide, mais la plus grande révolte est celle menée au nom du kharidjisme par Abū Yazīd, « l’homme à l’âne », qui lance en 943-44 une insurrection contre le violent al-Qā’im (934-946). C’est en 947 seulement qu’Abū Yazīd est défait ; son corps est empaillé et exhibé41.
Al-Andalus, de fitna en fitna
37À Cordoue, un troisième califat est proclamé en 929 et son existence d’un siècle est enserrée entre deux grands moments de fitna : celle de la fin du ixe siècle, qui le crée, et celle qui le fait disparaître entre 1009 et 103142. Ce sont les mêmes auteurs, principalement l’historien du xie siècle Ibn ḥayyān, qui qualifient ces deux moments de fitna. La première prend fin lorsque le futur calife ‘Abd al-Raḥmān III vient à bout d’une grande révolte menée par les muwalladūn, les indigènes convertis à l’islam, lesquels considèrent qu’ils n’ont pas la place qu’ils méritent dans l’appareil d’État ; notons que le principal rebelle, ‘Umar ibn ḥafṣūn, est présenté dans les sources omeyyades comme un apostat ; l’écrasement de cette révolte entraîne la création du califat omeyyade43. Quant à la grande fitna du début du xie siècle, elle résulte de la mise sous tutelle du calife Hishām II par le ḥājib al-Manṣūr et la prétention d’un de ses fils de devenir calife à la place du calife. Un grand soulèvement de la population cordouane, appelé « la révolution de Cordoue » par l’orientaliste néerlandais du xixe siècle Reinhart Dozy, achève de pérenniser le désordre engendré par les conflits entre les différentes factions de l’armée. La populace, le « commun », le peuple, al-’āmma44, devient un acteur de premier plan lors de flambées de violences urbaines qui éclatent pendant les épisodes de faiblesse du pouvoir ; nombre de gouvernements mis en place dans le cadre de ce que l’on nomme les royaumes des Taïfas, dont l’histoire couvre tout le xie siècle, sont exercés par des magistrats issus de l’élite urbaine, la ḫāṣṣa, comme à Cordoue et à Séville, et ils durent composer avec ces populations urbaines promptes au soulèvement45. Point là de schisme religieux, et pourtant on utilise le terme de fitna, de violence qui déchire l’unité de la communauté, certainement parce que la principale victime de ces troubles est le califat, seule autorité en principe légitime, magistrature exercée par des membres issus de la tribu de Muḥammad et qui relie chaque époque au temps de la Prophétie par le fil de la continuité. Ces royaumes des Taïfas ont été très largement contestés par la suite, en raison de leur absence de légitimité mais surtout pour leur incapacité à contrer la Reconquista menée par la Castille et l’Aragon, tout en écrasant leurs populations d’impôts. Mais comme l’a montré François Clément46, la contestation fut tardive, lorsqu’il était entendu que les Almoravides, guerriers berbères appelés à la rescousse après la chute de Tolède en 1085, allaient l’emporter et démettre ces souverains andalous. Ces grands moments de contestation ont longtemps été, et à tort, interprétés en termes ethniques, ce qui appauvrit considérablement l’analyse des ferments de la révolte. Et précisément à l’échelle d’al-Andalus, où la population est partout la même, lorsqu’on évoque les Berbères et les Slaves, ce n’est point de peuples dont on parle, mais de fractions de l’armée ou de l’État. Les différentes dimensions de la contestation ainsi que les groupes qui la portent ne peuvent être appréhendés que dans une analyse du politique et du social47.
La construction de la norme juridique sunnite
38C’est également l’analyse politique qui permet de comprendre l’évolution majeure que le xie siècle voit s’amorcer, la fin de la domination des califats arabes. L’émergence de groupes nouveaux à la tête des États, principalement berbères à l’ouest et turcs à l’est, est moins l’histoire de peuples que celle de l’avènement des pouvoirs sultaniens. C’est alors que s’élaborent véritablement les normes juridiques du gouvernement : les oulémas doivent faire preuve de pragmatisme afin de légitimer a posteriori les brutales usurpations, certes menées au nom de la défense de l’islam sunnite. C’est ce que s’emploient à faire des savants comme al-Māwardī, al-ğuwaynī et al-Ġazālī notamment aux xie et xiie siècles, au prix de maintes contorsions48. Les Seljoukides, qui ont imposé leur tutelle aux Abbassides49, les Zenguides dans leur sillage puis les Ayyoubides, nouveaux hommes forts du Proche-Orient, ont fait du califat une simple machine à déléguer le pouvoir, lequel ne peut plus être contesté dans les mêmes termes. Il faut théoriser le nouvel ordre politique, dans ce contexte de désordre et de remise en cause de la souveraineté califale50, voire de création d’un ordre califal d’un type nouveau, comme c’est le cas sous les Almohades51. C’est donc au nom de la défense de la religion véridique, comme toujours, que sont menées les prises de pouvoir violentes, celles des Turcs en Orient, celles des Berbères dans l’Occident islamique à partir du xie siècle.
39La période de la domination mamelouke en Syrie et en Égypte (1250-1517) amène à poser en d’autres termes la question de l’ordre politique et de sa contestation. Seuls remparts contre les Mongols qui ont dévasté l’Iran et l’Irak et tué en 1258 le dernier calife abbasside, les Mamelouks instaurent un régime où le pouvoir est exercé par d’anciens esclaves, ce qui est le fruit d’une longue évolution, presque logique, celle de la prise du pouvoir par les forces armées en provenance des marges. Mais ni les Seljoukides, ni les Ayyoubides, les Almoravides ou les Almohades ne sont issus de l’esclavage ; et, surtout, ils ont fondé des dynasties, ce qui s’avère impossible dans le cadre du sultanat mamelouk puisqu’à la mort de chaque sultan, le pouvoir est pris violemment par le plus puissant de ses anciens mamelouks. Et si al-Nāṣir Muḥammad est fils de sultan, c’est en mamelouk qu’il arrache le pouvoir aux soldats de son père au début du xive siècle. Être issu de l’esclavage devient un critère affiché de distinction, en un processus radicalement différent de celui que peut connaître l’Occident latin. Comme Julien Loiseau l’a montré52, ces soldats, loin de vouloir se fondre dans la culture arabe de l’Égypte et de la Syrie, continuent de parler entre eux le turc, de porter de très lourds bonnets en poils de chèvre et de boire du lait de jument fermenté, car c’est l’origine esclave qui est le signe distinctif de l’exercice du pouvoir. Par le système déjà ancien de l’iqta’, qui n’est pas celui du fief53, le pouvoir mamlouk attribue à la caste militaire les revenus de terres qui permettent l’entretien et la rémunération des troupes. La diffusion de ce type de concession foncière et l’alourdissement de la fiscalité déclenchent des soulèvements de grande ampleur en Égypte54, notamment après l’énorme saignée occasionnée par la peste, lorsqu’il faut organiser de véritables expéditions militaires pour lever l’impôt. Aux xive et xve siècles cependant, la taxation du commerce des épices de l’océan Indien garantit à l’État d’importants revenus évitant qu’il ne s’épuise à recruter toujours plus de troupes pour percevoir un impôt essentiellement destiné à les rémunérer. C’est par un processus analogue que les Hafsides de Tunis bénéficièrent de l’essor du commerce méditerranéen. En construisant leurs palais dans les principales villes, au Caire notamment, les Mamelouks jouent un rôle central de maintien de l’ordre au cœur des remuantes populations urbaines du Proche-Orient55.
40Nous pouvons dire en conclusion que les dissidences religieuses, les révoltes fiscales, les rébellions d’esclaves, les brusques flambées urbaines, les jacqueries des campagnes, bien moins connues, les tumultes de toutes sortes se retrouvent tout au long du Moyen Âge, mais parce qu’ils sont toujours une réaction aux actes du pouvoir, c’est celui-ci qu’ils définissent en miroir et dont ils retracent les évolutions majeures, entre viie et xve siècles, de la fin de la théocratie médinoise jusqu’à l’arrivée des Ottomans. Quels que soient les motifs ou les raisons de la contestation, ils expriment une révolte qui met au jour les assises de la légitimité des structures d’État, celles du califat puis des sultanats, et qui constitue autant de mises à l’épreuve de la solidité du pouvoir, de sa capacité à juger, à frapper en retour, mais aussi à accorder l’amān, le pardon56. Qu’elle soit un échec ou une réussite, la contestation par la révolte a toujours des conséquences ; c’est en cela qu’elle est un objet majeur d’histoire politique.
Une révolte sociale exemplaire dans l’Occident latin : la révolte des Ciompi (Florence, 1378)
41Dans l’Occident latin, la révolte des travailleurs florentins de l’art de la laine, appelés Ciompi, en 1378, apparaît comme un exemple de contestation remarquable à bien des égards, en particulier pour cette forme paroxystique de la contestation qu’ont constituée les grandes révoltes sociales de la fin du Moyen Âge. Elle illustre la formation de solidarités sociales, d’une pensée collective forgée dans l’action, qui en l’occurrence propage des idées de justice et d’égalité. Elle nous dit comment peuvent naître les idées de transformation sociale, par l’intelligence collective de gens infériorisés, avant que celles-ci ne soient reprises par des théoriciens. À ces divers titres, elle constitue un cas d’espèce dont la radicalité même, par l’ouverture du champ des possibles qu’elle autorise, justifie la présentation en introduction d’un volume exposant ensuite une grande variété de contextes, de formes et de degrés de la contestation.
42« Les révoltes populaires sont un échec, mais leur répétition, en particulier à la fin du Moyen Âge, a entretenu une psychose de peur. Non seulement les insurgés sont présentés comme des criminels, mais le peuple tout entier gagne en laideur, donc en mépris et en rejet. À terme il est probable que la répétition des révoltes populaires a finalement servi le développement des pouvoirs centralisés et a conforté la place des privilèges57. » Il est certain que les révoltes populaires ont fait peur aux puissants et aux riches voyant leur pouvoir contesté par la possibilité d’un renversement des rapports sociaux, la fragilité de leur autorité. Il est tout aussi sûr que les élites dirigeantes ont utilisé cette peur pour asseoir davantage leur pouvoir, le légitimer au nom de la défense de l’ordre et de la paix publics, et accroître leurs moyens policiers. Mais si la reprise en main des leviers du pouvoir par les élites, après la répression des révoltes populaires, signifie souvent plus d’autorité arbitraire, plus de limitations et moins de libertés, elle engendre en même temps les conditions pour une prochaine révolte, puisqu’elle l’alimente de nouvelles raisons de se révolter. Transmise oralement, symboliquement ou par écrit, la mémoire de la révolte est d’ailleurs un facteur déterminant dans le déclenchement des révoltes à venir.
43Quand les impuissants s’organisent et attaquent les puissants, c’est d’abord par un sentiment d’incompréhension et de désarroi que ces derniers réagissent. Dépassés par les événements, c’est ensuite par la répression policière qu’ils répondent. Mais la répression d’un mouvement social ne saurait se faire sans la disqualification des acteurs et des raisons de la révolte.
La révolte versus le tumulte des Ciompi (Florence, 1378)
44« Il tumulto dei Ciompi ». Ainsi ont été qualifiés par les spectateurs et chroniqueurs contemporains, et après eux par des générations de mémorialistes et d’historiens, les événements qui ébranlèrent Florence à l’été 1378. Un terme marqueur, dont même des historiens avisés ont été inconsciemment imprégnés58. Trois mois de manifestations, de cortèges, d’assemblées, de discussions, de pétitions, d’actions de rue, d’attaques des grands palais jusqu’à la prise du Palais des seigneurs, n’auraient été qu’une émeute, une explosion soudaine, irrationnelle et incompréhensible de ceux qui étaient appelés par les Florentins nantis le popolo minuto et le plus souvent « Ciompi », à savoir « fils des champs », « bâtards », « fils de pute ».
45Le mouvement qui avait été ainsi disqualifié dès le début et pendant des siècles fut, en effet, une révolte sociale urbaine qui donnait à voir les raisons des conflits à l’intérieur de la cité, ou plutôt de la République, comme aimait se dire Florence. Une République qui s’était affirmée contre le pape, l’empereur et la noblesse locale (les magnats), mais qui était gouvernée par une oligarchie/ploutocratie restreinte, une minorité de marchands, entrepreneurs, banquiers, qui s’enrichissait sur le dos des milliers de travailleuses et de travailleurs qui trimaient à laver, peigner, filer, tisser les belles étoffes de laine. Une République où la majeure partie de la population était exclue de toute représentation corporative et politique, une ville dans laquelle les palais et les tours du centre-ville contrastaient avec les maisonnettes des quartiers périphériques.
46Tous les dictionnaires sont unanimes pour donner de la révolte une définition très claire : il s’agit d’une action collective de contestation, de refus d’une autorité établie, et d’une volonté de changer les fondements de l’autorité sociale. Mais cette définition d’un mouvement social a été peu employée au cours de l’histoire. Car, pendant et tout de suite après, les actes de révolte sont présentés par les contemporains non pas comme une volonté de subversion d’un ordre vu comme injuste et oppressif, mais comme une explosion irrationnelle et émotionnelle. « Émeute », « rumeur », « commotion », « fureur », « désordre », « trouble », « agitation », « convulsion », « tumulte » : voilà les termes les plus couramment employés, de l’Antiquité à nos jours, pour qualifier les révoltes sociales. Tous rangent les actions en question dans le champ de la déraison, de la violence insensée, de l’instinctif. De la même manière, le discrédit est jeté sur les acteurs de la révolte. On parle de « Ciompi », de « Tuchins » (vivant dans les « touches », marginaux), de « Jacques » et autres sobriquets dénigrants. Désigner par des termes méprisants et disqualifiants tant les actions que les protagonistes des événements vise à invalider tout motif de révolte contre l’autorité établie. Il faut lire le dégoût d’un grand bourgeois florentin, membre de la famille Acciaioli, voyant les Ciompi dans le Palais des seigneurs :
C’était stupéfiant de voir la maison des Prieurs, auparavant si propre et bien tenue, honnête et joliment décorée, devenir laide et mauvaise et puante, et infamée par toute sorte d’indécences, déréglée et dépourvue de bonnes mœurs ; que même de loin elle puait d’une puanteur nauséabonde, et c’était vraiment horrible et regrettable de la voir ainsi réduite […]. Oh mon Dieu, quels gens eurent à réformer une si noble ville et son gouvernement ! Certainement, plus de la moitié de ceux qui avaient droit de vote et jugeait les bons et aimés citadins, c’étaient des maquereaux, des filous, des voleurs, des batteurs de laine, des semeurs de mal, et gent dissolue et de toute sorte de méchante condition, et très peu de bons citadins, et presque pas d’artisans connus ; il n’y avait là que des déracinés ne sachant pas eux-mêmes d’où ils venaient, ni de quelle contrée […]. Et l’on a pu voir ensuite clairement à leur procès qu’il n’y en avait aucun de famille connue, ni aucun citadin de bonne souche, et bien peu de bons artisans, seulement des gens vils et inutiles. Ils ne voulaient entendre aucun honnête homme, et encore moins voir au Palais aucun citadin honorable, vêtu de bons habits, mais seulement des gens comme eux59.
47Les luttes sociales qui se sont produites au cours de l’été 1378 à Florence ont donc été présentées par des chroniqueurs et mémorialistes florentins de l’époque et des siècles postérieurs comme une explosion irrationnelle et convulsive d’une plèbe dépenaillée, ignorante, forcément incapable de se prendre en main et encore moins d’administrer la cité. Certains chroniqueurs de l’époque (ledit Squittinatore) comme des historiens du xxe siècle (Niccolo Rodolico, Charles de La Roncière) ont eu une approche compassionnelle à l’égard de ces « pauvres », alors que d’autres (Gene Brucker, Dale Kent, Jacques Heers) se sont employés à brouiller les cartes de la sociologie des révoltés pour délégitimer leurs actions et revendications. Dans tous les cas et en dépit des nuances d’un auteur à l’autre, les insoumis du xive siècle, ceux qui ne voulaient plus être sottoposti, ont été vus et traités d’en haut, et quand ils n’ont pas été stigmatisés en termes de « populace » ou « vile plèbe » (Nicolas Machiavel), ils n’ont eu droit qu’à l’apitoiement envers des « pauvres miséreux ». En tout cas, on a dénié aux révoltés florentins non seulement les raisons de se révolter, mais aussi la capacité de formuler des revendications politiques. « Des gens sans tête », disait d’eux le chroniqueur contemporain Marchionne Di Coppo Stefani. Du fait que les Ciompi étaient analphabètes et qu’ils n’ont laissé que peu de traces écrites (recueillies par autrui) de leurs revendications, on a voulu en déduire qu’ils n’étaient pas vraiment porteurs d’idées de subversion de l’ordre social. Dans ce cadre, renommer « la révolte des Ciompi » les événements qui pendant six cents ans ont été appelés « le tumulte des Ciompi » constitue aussi une forme de contestation de l’écriture de l’histoire60.
48Relevant que parmi les dizaines de condamnés pour les événements de l’été 1378 se trouvaient également un notaire, un aristocrate, un maître d’école et quelques petits artisans, chroniqueurs médiévaux et historiens contemporains ont voulu nier la dimension de classe ouvrière propre au mouvement des Ciompi. Car la très grande majorité des révoltés mentionnés par les sources étaient bien des travailleurs de l’industrie lainière. Cardeurs, laveurs, peigneurs, les ouvriers du textile formaient le gros des troupes des révoltés. À Florence, au xive siècle, le terme Ciompi était même devenu synonyme de travailleurs de la laine, plus précisément des ouvriers qui effectuaient les premières opérations avant le filage, tâches sales et ingrates. Selon Alamanno Acciaioli, prieur de Florence au moment de la révolte de 1378, sa connotation sociale était claire :
Ciompi, nom pris par les gens de la plus basse condition, ceux qui exercent l’art de la laine à l’atelier, qui la peignent, l’oignent et la préparent pour le filage, de sorte que, pendant leur travail, ils restent enfermés dans des salles en guenilles, sales de graisse et des couleurs de la laine. Aussi, Ciompi ne signifie-t-il rien d’autre que graisseux, crasseux et dépenaillés61.
49Dans la deuxième moitié du xive siècle, Florence comptait entre cinquante et soixante-dix mille habitants. La manufacture lainière florentine employait la moitié de la population de la ville et des villages alentour (contado). Les statistiques tirées des registres fiscaux nous indiquent qu’un tiers des chefs de ménage recensés travaillaient à une phase ou l’autre du cycle de fabrication des draps de laine. Mais il ne s’agit là, fondamentalement, que de travailleurs de sexe masculin, les femmes restant dans l’ombre administrative de leur tutelle masculine. Or c’était aux femmes, souvent secondées par leurs enfants, que les entrepreneurs lainiers confiaient la totalité du filage et une bonne partie du tissage. Des opérations de travail qui demandaient beaucoup de temps et beaucoup de main-d’œuvre.
50Cette manufacture, dans laquelle travaillaient des milliers et des milliers de personnes, était disséminée à l’intérieur de la ville et dans les campagnes des environs. Au cœur du cycle de travail figurait la bottega del lanaiolo, à la fois entrepôt de ballots de laine brute, de filée et de draps finis, centre directionnel de contrôle de l’ensemble des opérations, de distribution du travail et de la matière première, et atelier de travail pour les opérations préparatoires au filage (tri des qualités, nettoyage, cardage, peignage, battage). Dans les grandes botteghe pouvaient travailler deux à trois dizaines de personnes, mais la principale caractéristique de la manufacture florentine de la laine était la dissémination des lieux de travail dans l’espace urbain. On lavait les laines brutes de tonte dans des chaudrons d’eau chaude, pour ensuite les rincer dans les eaux de l’Arno et les faire sécher sur les places publiques. On construisait de grands hangars pour laver les laines ou étirer les tissus, des teintureries et des entrepôts, mais d’autres opérations se déroulaient en grande partie au domicile des travailleurs, le filage et le tissage en particulier. Ce qui nécessitait une foule de transporteurs qui faisaient la navette entre les botteghe et le domicile d’ouvriers et ouvrières, apportant laine, filé, tissé. Un ordre de grandeur de la masse de travailleurs textiles vivant à Florence nous est fourni par les chiffres d’inscrits aux trois nouveaux Arts créés par le gouvernement insurrectionnel le 22 juillet 1378, conférant aux sottoposti de l’Art de la laine le droit de se réunir en corporations propres : y furent inscrits treize mille travailleurs, dont neuf mille dans l’Art des batteurs, cardeurs, peigneurs, à savoir les Ciompi.
51Fournissant le gros du travail, les travailleurs lainiers étaient mal payés, précarisés, soumis aux maîtres lainiers et à leur corporation toute-puissante, exclus de toute représentation « syndicale » et politique. Les origines de la révolte étaient en somme inscrites dans la structuration économique et sociale du travail de la laine dans la Florence de l’époque, dans sa hiérarchisation, dans la répartition des richesses engendrées par cette industrie et son commerce florissants.
Que voulaient les Ciompi ?
52Il est certain que, jusqu’à une époque récente, le manque d’écrits des « gens d’en bas » reflétant leur pensée est un écueil majeur pour l’historien des classes populaires62. Comment sortir de cette impasse, par quels moyens dépasser cet obstacle ? Depuis les années 1980, des historiens ont cherché et trouvé des clefs capables d’ouvrir quelques fenêtres de compréhension. Chacun à sa manière, avec sa méthode et ses sources, Richard Trexler, Samuel Cohn63, Franco Franceschi, Ernesto Screpanti et moi-même64 nous sommes employés à retrouver la voix, les idées, la pensée de ces Florentins appelés Ciompi. À travers l’analyse des emblèmes utilisés, des dynamiques de l’action, des profils individuels et de groupe, des grands et petits conflits du travail, chacun a ouvert une brèche dans la damnatio memoriae jetée sur ces révoltés du Moyen Âge.
53La révision que j’ai opérée dans l’analyse a été méthodologiquement simple : en historien, je suis parti des événements et j’ai ensuite examiné la scène de l’action et le profil des acteurs. Que nous disaient les faits rapportés par les chroniqueurs de l’époque ? Que des milliers de personnes avaient défilé à plusieurs reprises dans les rues de Florence de juin à août 1378, s’en prenant au palais de la corporation des maîtres lainiers, aux palais des échevins et à ceux des juges (podestat, capitaine du peuple, exécuteur des ordonnances de justice) et surtout au Palais des seigneurs, siège du gouvernement de Florence. Qu’elles avaient attaqué, parfois pillé et mis le feu aux belles demeures de riches marchands entrepreneurs. Qu’elles avaient ouvert les prisons de la ville et libéré les prisonniers qui y étaient détenus. Toutes actions explicitement significatives.
54Ce que j’ai compris, c’est que les actions tiennent lieu de mots écrits pour des gens qui ne savent pas écrire. La lecture des pages écrites dans l’action par les Ciompi en révolte dit leur pensée sur les enjeux de la société dans laquelle ils vivent. Prenons quelques exemples. L’irruption du popolo minuto dans les cortèges du mois de juin 1378 se fait sous la forme de « brigades festives », seule forme associative alors reconnue au popolo minuto. Mais une fois dans l’action, ces brigades changent le cours des événements : aux attaques déclenchées par le popolo grasso contre les magnats succèdent des pillages d’églises et de monastères, puis l’attaque de la prison communale (les Stinche) et la libération de tous les prisonniers qui s’y trouvaient. C’est encore sous forme de charivari que le popolo minuto, au soir de la journée insurrectionnelle du 20 juillet, met en scène sur la place de la Seigneurie un rituel d’adoubement de soixante « chevaliers du popolo minuto » : ils obligent des nobles et des grands bourgeois florentins à jurer fidélité et protection à ceux que le système social rejetait dans la catégorie des soumis (sottoposti). C’était « un nouveau jeu », « un divertissement » (trastullo), selon les chroniqueurs.
55La dynamique de la révolte des Ciompi écrit en caractères gras qu’il s’agissait d’un conflit entre deux Florence. Entre ceux qui vivaient petitement dans les maisonnettes standard des quartiers périphériques et ceux qui vivaient aisément dans les belles demeures du centre-ville. Entre ceux qui vivaient de leur labeur et s’habillaient chichement et ceux qui vivaient de l’industrie et du commerce, pavoisant dans de beaux habits qu’ils interdisaient aux premiers de porter. Une lutte contre les inégalités sociales autant que spatiales. L’attaque des habitants des quartiers populaires de la périphérie citadine contre ceux vivant dans les beaux quartiers du centre-ville constitue une dimension centrale de la révolte des Ciompi65. Le plan d’attaque du 20 juillet 1378 montre les manifestants se rassembler sur des places à mi-chemin entre la périphérie et le centre-ville, pour ensuite déferler en courant vers les palais du pouvoir et la place de la Seigneurie. Aucun doute, les pages écrites par l’action des Ciompi en révolte révèlent un antagonisme de classes doublé d’un antagonisme d’espaces66.
Travailleurs, camarades et voisins
56La grande majorité des meneurs connus des Ciompi, ceux qui avaient participé aux comités clandestins d’organisation du mouvement de 1378 et ceux qui avaient été condamnés, exécutés ou bannis par la suite, vivaient dans les quartiers populaires de la périphérie citadine, dans des lotissements bâtis au cours de la première moitié du xive siècle pour y loger les milliers de nouveaux immigrés provenant des campagnes et montagnes toscanes, qui allaient devenir la main-d’œuvre indispensable à l’industrie lainière florentine67.
57Les lieux de réunion des comités clandestins, tout comme les lieux de repli des manifestants, se situent aussi dans les quartiers populaires de la périphérie, où les révoltés jouissent de protection et sympathie. La logistique des révolutionnaires, telle qu’elle ressort du récit des événements de l’été 1378, complète le tableau géo-social de la révolte des Ciompi68. Les premières réunions clandestines, aux mois de juin et juillet, ont lieu dans un champ près de la porte San Piero Gattolino, derrière le monastère des Convertite, à Camaldoli, sur la via San Gallo, à San Marco. Les cloches appelant à l’insurrection du 20 juillet, les lieux de rassemblement et ceux de répit pour la nuit (Camaldoli, Belletri) recoupent la sociologie spatiale des insurgés. La tentative de révolte radicale du mois d’août voit encore Camaldoli aux avant-postes, avec San Marco et Santa Maria Novella comme hauts lieux de la présence insurrectionnelle. Tout cet ensemble d’éléments concordants nous indique que, dans la révolte des Ciompi, la solidarité de classe et la solidarité de voisinage se confondent, qu’ils étaient camarades et voisins69.
58Santa Croce, San Pancrazio, San Frediano, San Marco : les quartiers berceaux des révoltes à Florence correspondent aux nouveaux quartiers populaires bâtis au cours de la première moitié du xive siècle. Avec la construction de la nouvelle muraille citadine, entre 1284 et 1333, pour faire face à l’expansion urbaine et à l’accueil des immigrants, de vastes plans de lotissements furent mis en place sur des terrains auparavant extra-urbains appartenant à des ordres religieux. Pour loger les nouveaux citadins, la seigneurie de Florence et les promoteurs immobiliers conçurent la construction de centaines de maisonnettes standard, appelées case a schiera (« maisons en rang »)70.
59Ces maisons en rang, de forme rectangulaire, mitoyennes, mesuraient entre 30 et 75 mètres carrés, avaient une façade étroite de 3 à 5 mètres donnant sur la rue, et comportaient soit un rez-de-chaussée seulement, soit également un étage et une arrière-cour. Les nouveaux quartiers de Camaldoli, Belletri, Ognissanti, Sant’Ambrogio, San Gallo, furent édifiés de la même manière. Dans la seule contrada de Camaldoli, entre la porte San Frediano, l’église du Carmine et la porte de Camaldoli, furent construites en l’espace d’un siècle (1309-1415) 450 maisonnettes de ce type. Le prix d’achat de ces logements se voulait à la portée des petites bourses, car, au début du xive siècle, on pouvait en acquérir une pour 30 florins, l’équivalent de deux années de travail d’un ouvrier, et, à la fin du siècle, leur valeur était encore moindre. Cependant, malgré les prix abordables de ces maisonnettes, deux tiers des Ciompi et des tisserands, d’après le Catasto de 1427, étaient locataires, seulement un tiers était propriétaire71. Dans ces quartiers de lotissements, le niveau de fortune des habitants était le plus bas à l’échelle de la ville, supérieur seulement à celui des serviteurs domestiques, logés dans des appentis ou des chambres de bonne chez leur patron72.
60L’édification des quartiers populaires de Florence a été un élément majeur dans la fabrique de la société citadine. Aux derniers siècles du Moyen Âge, Florence présentait un paysage social très contrasté : une ancienne ville faite de tours et palais en pierre de taille, où habitaient les riches, les puissants, les gouvernants, et une ville nouvelle composée de lotissements de maisonnettes en brique, habitées par des pauvres, des travailleurs, des immigrés, des Ciompi. Des différentiations urbaines criantes qui ont été, sans doute, un facteur déterminant de la révolte.
La mémoire collective de la révolte
61On a dénié une pensée autonome aux Ciompi insurgés, comme on leur a dénié une mémoire de groupe social. Mais ce qui est passé dans l’histoire comme le « tumulte des Ciompi » ne fut aucunement une explosion subite et imprévue. Après Niccolo Rodolico, Samuel Cohn a montré comment la révolte insurrectionnelle de 1378 venait de loin. Depuis deux générations, en effet, depuis les années 1340, l’histoire de Florence avait été marquée par des grèves, manifestations, révoltes ouvertes des travailleurs de la laine : environ quarante épisodes de conflit, entre 1342 et 138573.
62Les premières révoltes eurent lieu dans les années 1340, à la suite de l’ouverture institutionnelle voulue par Gauthier de Brienne, un chevalier français à la tête d’une armée de mercenaires, qui s’était autoproclamé duc d’Athènes et seigneur de Florence. Pour compenser le poids politique de la grande bourgeoisie, le duc avait autorisé les minuti à s’organiser en brigades festives et à former des milices de quartier. Il avait aussi autorisé la constitution d’une corporation de teinturiers et une autre de « cardeurs », cette dernière représentée par la bannière de l’ange. Après la chute du duc et sa fuite, au mois d’août 1343, avec la reprise en main du gouvernement de Florence par le popolo grasso, ces conquêtes furent abolies. Mais à partir de ce moment-là, et jusqu’aux années 1380, le popolo minuto et les petits artisans n’eurent de cesse de lutter pour rétablir ces conquêtes de reconnaissance sociale. Et à chaque nouvelle révolte, la bannière interdite de « l’ange de la libération » (saint Michel, ange de la justice) refaisait son apparition à la tête des cortèges, signe d’une mémoire collective et d’une continuité du mouvement ouvrier florentin74.
63La plus importante et fondatrice de ces révoltes ouvrières avait eu lieu au printemps 1345. Un chroniqueur anonyme raconte :
Aujourd’hui, 24 mai 1345, le Capitaine de Florence, messer Nuccio da Gobbio, arrêta au cours de la nuit Ciuto Brandini, cardeur, et ses deux fils, car ledit Ciuto voulait constituer une compagnie à Santa Croce, et faire une secte et un rassemblement avec les autres travailleurs de Florence ; et ce jour-ci, les travailleurs de Florence, à savoir peigneurs et cardeurs, aussitôt qu’ils apprirent la nouvelle que ledit Ciuto avait été arrêté la nuit dans son lit par le Capitaine, ils cessèrent immédiatement le travail disant qu’ils ne voulaient plus travailler jusqu’à la libération dudit Ciuto, et ils allèrent en cortège devant les Prieurs demandant de rendre ledit Ciuto sain et sauf, et qu’autrement ils s’en seraient pris à eux ; et ils voulaient aussi être mieux payés. Ledit Ciuto fut ensuite pendu par le cou75…
64Par le procès contre Ciuto Brandini, tenu devant le tribunal du capitaine du peuple, le 30 mai 1345, nous apprenons qu’il s’était affirmé comme l’un des leaders du mouvement ouvrier du printemps de cette année-là. Accusé par le juge d’être « un homme de mauvaise condition, conversation, vie et renommée, d’esprit diabolique », Ciuto s’était beaucoup investi dans les réunions et assemblées des travailleurs, il avait promu la formation de « fraternités » dans plusieurs quartiers de Florence et constitué une caisse commune des travailleurs en lutte76.
65Nous pouvons donc conclure, sans commettre d’anachronisme, que la révolte des Ciompi a bien été une révolte de classe. Une révolte sociale à finalité politique, pour changer la société, comme le disait à sa façon Domenico Di Tuccio, dit Tambo, l’un des leaders de la révolte, avant d’être décapité sur la place de la Seigneurie de Florence, le 1er septembre 1378 :
« Que tu saches, Dieu, comment nous mourons par une très grande injustice, mais si par nous on doit raccommoder cette terre, nous mourons contents. » Ils se turent, et l’on fit l’injustice. Beaucoup de gens trouvèrent cela fort mal. Ils furent enterrés par leurs gens. La place était pleine de soldats à cheval et à pied, tous bien armés, de peur que la ville ne se soulève77.
Les idées de révolte
66Ce que les temps extraordinaires font à l’ordinaire. La deuxième moitié du xive siècle, et particulièrement les années 70-80 du siècle, ont connu une période intense de révoltes, de la France à l’Italie, des Flandres à l’Angleterre et ailleurs. À la fois des révoltes paysannes et des révoltes urbaines. Faut-il croire à une simple coïncidence temporelle ou peut-on envisager que, dans certaines conjonctures culturelles et politiques, les idées de révolte se répandent à des centaines, voire des milliers de kilomètres ? Et comment se diffusent-elles ? Au temps d’Internet, où la circulation des informations est immédiate et mondiale, les idées, les messages et la construction de relations affinitaires semblent voler dans les airs, sans avoir besoin de messagers (voir la diffusion de l’idéologie islamiste fondamentaliste). Déjà en 1968, grâce à la modernité de la radio et de la télévision (même si celle-ci était encore en noir et blanc), les motifs de la révolte se sont propagés rapidement d’un continent à l’autre. Des moyens de communication évidemment plus rapides et performants que ceux qu’avaient à leur disposition les travailleurs anarchistes et socialistes de la première moitié du xxe siècle, pour l’essentiel journaux, magazines, feuilles volantes. Cependant, même au temps d’Internet, de la radio ou des journaux imprimés, la transmission des messages politiques semble avoir toujours besoin de messagers en chair et en os, de personnalités qui portent et incarnent ces idées. C’était sans doute d’autant plus vrai au Moyen Âge, a fortiori pour des paysans et des travailleurs révoltés qui étaient massivement analphabètes. Nous savons que des personnes fuyant les condamnations, des bannis et de simples travailleurs migrants se sont déplacés d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, à pied, à dos d’âne ou en bateau, racontant à qui voulait bien les entendre leur histoire, leurs vicissitudes, les raisons de leur révolte ou de leur fuite.
67D’où viennent les idées de révolte, qui les produit, qui les diffuse ? Des universités et des intellectuels aujourd’hui, des monastères et des moines savants au Moyen Âge ? Ou des personnes concernées par les injustices et les oppressions, qui réfléchissent par elles-mêmes et qui au travers des débats et des actions collectives fabriquent une pensée collective ? Commentant la révolte des ouvriers vignerons bourguignons, Michel Mollat et Philippe Wolff écrivent : « Il faut croire qu’en 1393 il se trouvait au Parlement [de Paris] des avocats suffisamment nourris, soit de la doctrine chrétienne traditionnelle, soit des tendances du courant naturaliste, soit des principes humanistes de la dignité de l’homme, pour traduire en formulations rationnelles les aspirations confusément senties par les simples vignerons auxerrois78. » Or, les « simples » ouvriers vignerons de l’Auxerrois en révolte nous font voir qu’ils s’étaient auto-organisés, dans un esprit communautaire et solidaire. Qu’ils s’étaient réunis d’abord dans les tavernes et les champs, puis avaient tenu des assemblées dans des monastères. Par relais de cris ils avaient organisé la grève dans les vignes. Ils avaient nommé leurs propres représentants pour aller au parlement de Paris défendre leur cause. Et ils avaient mis en place une caisse commune pour payer les frais de justice et le scribe autant que pour aider ceux d’entre eux qui avaient été mis en prison et condamnés à des amendes pécuniaires79.
68Dans leurs conclusions sur les révolutions populaires en Europe, Mollat et Wolff affirment une autre fausse évidence : « En fait, il n’est pas de vraie révolution sans mystique. Où les hommes des xive et xve siècles auraient-ils pu en trouver une, si ce n’est dans le seul Livre dont les humbles recueillaient, par le verbe et par l’image, le message de la “bonne nouvelle annoncée aux pauvres” ? Mystique : orthodoxe, déformée, teinte d’hérésie, elle se fondait toujours sur les Évangiles80. » Michel Mollat et Philippe Wolff, qui ont apporté une contribution majeure à l’étude des révoltes populaires, expriment là une opinion séculaire ancrée dans la pensée bourgeoise : les gens d’en bas, les soumis, les pauvres, par définition analphabètes, ne peuvent exprimer correctement une pensée rationnelle et lucide, et ne peuvent trouver une idéologie qu’en puisant dans la culture dominante, chrétienne à l’occasion. C’est un vieux déni de pensée autonome, d’intelligence, dont sont victimes celles et ceux qu’on qualifie de travailleurs manuels. Mais les révoltés nous montrent qu’ils n’ont pas seulement des bras et des jambes pour travailler, mais aussi une tête et une parole intelligible, à condition qu’on veuille l’entendre.
Notes de bas de page
1 Il faut notamment citer les maîtres livres de M. Mollat et P. Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi. Les révolutions populaires en Europe aux xive et xve siècles, Paris, 1970, et de R. Hilton, Les mouvements paysans du Moyen Âge et la révolte anglaise de 1381, Paris, 1979 (trad. fr.).
2 Voir par exemple les ouvrages de J.-C. Cheynet, Pouvoir et contestations à Byzance, 963-1210, Paris, 1990 et d’A. Stella, La révolte des Ciompi. Les hommes, les lieux, le travail, Paris, 1993.
3 Sur la nature politique de l’accusation d’hérésie, voir par exemple : S. Parent, Dans les abysses de l’infidélité. Les procès contre les ennemis de l’Église en Italie au temps de Jean XXII (1316-1334), Rome, 2014 ; J. Chiffoleau, « Note sur la bulle Vergentis in senium, la lutte contre les hérétiques du Midi et la construction des majestés temporelles », Cahiers de Fanjeaux, 50 (2015), p. 89-144.
4 Voir, par exemple, Pierre de Jean Olivi 1248-1298 : pensée scolastique, dissidence spirituelle et société, éd. A. Boureau, S. Piron, Paris, 1999, ou A. Suhamy, Godescalc. Le moine du destin, Paris, 2016.
5 Voir, par exemple, K. Abou El-Fadl, Rebellion and Violence in Islamic Law, Cambridge/New York, 2001 ; S. Cohn, Lust for Liberty: the Politics of Social Revolt in Medieval Europe, 1200-1425. Italy, France and Flanders, Harvard, 2006 ; Rivolte urbane e rivolte contadine nell’Europa del Trecento. Un confronto, dir. M. Bourin, G. Cherubini, G. Pinto, Florence, 2008 ; « Obéissance et désobéissance dans la péninsule ibérique au Moyen Âge », Lust for Liberty:, 34 (2011) ; La Comunidad medieval como esfera pública, éd. V. Challet, J. Dumolyn, H. R. Oliva Herrer, M. A. Carmona Ruiz, Séville, 2014 ; The Voices of the People in Late Medieval Europe, éd. J. Dumolyn, J. Haemers, H. R. Oliva Herrer, V. Challet, Turnhout, 2014 ; The Routledge History Handbook of Medieval Revolt, éd. J. Firnhaber-Baker, D. Schoenaers, Londres, 2017.
6 Le thème relève même de l’actualité littéraire, comme en témoigne, par exemple, la publication de La guerre des pauvres d’Éric Vuillard (Arles, 2019), récit qui, s’il porte avant tout sur la révolte de Thomas Müntzer et la guerre des paysans de 1524-1526, s’ouvre par une sorte de généalogie remontant à la révolte des travailleurs de 1381 en Angleterre.
7 J. Chiffoleau, « Sur le crime de majesté médiéval », Genèse de l’État moderne en Méditerranée, Rome, 1993, p. 183-313.
8 C. Judde de Larivière, La révolte des boules de neige. Murano contre Venise, 1511, Paris, 2014.
9 On peut notamment évoquer la thèse de S. Cohn (op. cit. n. 5) sur l’essor des combats pour la libertas dans le contexte post-peste.
10 Voir, par exemple, les travaux de G. Milani sur les peintures infamantes des bannis pour cause de révolte : « Avidité et trahison du bien commun. Une peinture infamante du xiiie siècle », Annales. Histoire, sciences sociales, 66 (2011), p. 705-739 ; L’uomo con la borsa al collo. Genealogia e uso di un’immagine medievale, Rome, 2017 (traduction française à paraître en 2019).
11 A. Nef, L’Islam a-t-il une histoire ? Du fait religieux comme fait social, Lormont, 2017.
12 J. Dakhlia, Le divan des rois : le politique et le religieux dans l’Islam, Paris, 1998.
13 « Selon le schéma webérien, il existe une opposition qui régit deux types de conceptions du pouvoir politique. La première, qui est rationnelle, émane de la culture occidentale ; elle est marquée par la différenciation des activités juridiques et administratives, la spécialisation et la professionnalisation des hommes politiques. La seconde, qui est une domination de type traditionnel, est représentée, entre autres, par l’islam ; elle est marquée par la fusion des deux domaines temporels et spirituels, par l’indifférenciation des tâches et la faible autonomisation de la politique par rapport à la sphère du religieux. […] La réduction de la société de l’islam classique à un fonctionnement ecclésial relève simplement d’une déformation volontaire des réalités historiques et institutionnelles, et ne sert, finalement, qu’à créer un miroir dans lequel se reflètent toutes les représentations politique que l’Occident lui-même a voulu refouler ou rejeter. […] De l’incarnation du désordre né des passions humaines, le politique en islam devient, au bout d’un siècle, la figuration de la soumission à l’ordre voulu par Dieu dans le monde » (M. Abbès, Islam et politique à l’âge classique, Paris, 2015, p. 5-11).
14 Le dogme de l’obéissance aux gouvernants est dans les faits tempéré par la nécessité d’un certain consensus, l’ijmāʿ, et par celle de fonder le bon gouvernement sur l’exercice de la justice, ce que montre dans différents chapitres M. Abbès (ibid).
15 Des normes tardivement fixées, c’est-à-dire principalement à partir du xie siècle, voir infra.
16 Abbès, Islam et politique…, op. cit. n. 13, p. 193 et suiv.
17 Même des musulmans étaient déjà présents dans l’Occident latin au Moyen Âge, voir A. Nef, « Les groupes religieux minoritaires et la question de leur structuration en communautés dans les sociétés médiévales chrétiennes et islamiques », Les musulmans dans l’histoire de l’Europe, dir. J. Dakhlia, W. Kaiser, Paris, 2013, t. 2, p. 413-440.
18 L’autorité de l’écrit au Moyen Âge (Orient-Occident), Paris, 2009.
19 F. Micheau, Les débuts de l’Islam : jalons pour une nouvelle histoire, Paris, 2012.
20 Sur cette notion, voir L. Gardet, s. v. « Fitna », dans Encyclopédie de l’Islam, 2e édition (E.I.²), Leyde/Boston, 1960-2005, II, p. 952-953 ; La fitna. Le désordre politique dans l’Islam médiéval, dir. G. Martinez-Gros, D. Sancy, E. Tixier du Mesnil, Médiévales, 60 (2011) ; Désordres créateurs. L’invention politique à la faveur des troubles, éd. G. Lecuppre, E. Tixier du Mesnil, Paris, 2014. Le terme fait avant tout référence au conflit qui opposa ‘Alī, quatrième calife de l’Islam, à Mu’āwiya, futur premier calife omeyyade, voir H. Djaït, La Grande Discorde. Religion et politique dans l’Islam des origines, Paris, 1989.
21 K. Abou El Fadl, Rebellion and Violence in Islamic Law, Cambridge/New York, 2001. Cet ouvrage est la principale référence sur la contestation dans le monde islamique et fournit une bibliographie sur les théories juridiques élaborées autour de cette notion.
22 La racine même du terme (m-r-d) renvoie tout à la fois à l’audace, l’orgueil, la révolte et la jeunesse (T. Bianquis, s. v. « Mārid », E.I.²). Le lien entre jeunesse et révolte se retrouve également dans l’organisation de milices urbaines constituées de jeunes gens issus des classes populaires, les aḥdāṯh des villes de Syrie, les ‘ayyārūn en Irak et en Iran, avec une idéologie particulière, la futuwwa, qui préconisait l’hostilité aux riches, l’aide aux pauvres et la générosité, voir A.-M. Eddé, H. Bresc, P. Guichard, « Les autonomismes urbains des cités islamiques », Les origines des libertés urbaines, Mont-Saint-Aignan, 1990, p. 97-119, p. 106.
23 Al-Ṭurṭūšī, Sirāğ al-mulūk (Le flambeau des rois), Le Caire, 1994, p. 200, traduit par M. Abbès, Islam et politique…, op. cit. n. 13, p. 34.
24 D. Ayalon, s. v. « Thawra », E.I.², p. 476.
25 Sur la distinction entre les différents types de violence et notamment sur la fitna, qui n’engendre que la désagrégation, voir l’article de G. Martinez-Gros sur l’usage de ce terme dans la pensée d’Ibn Ḫaldūn : « Introduction à la fitna : une approche de la définition d’Ibn Khaldûn », La fitna…, op. cit. n. 20, p. 7-16.
26 C’est ce qu’a tenté de faire Thierry Bianquis dans l’article de l’Encyclopédie de l’Islam déjà évoqué ; il propose une typologie des révoltes qui n’arrive toutefois pas à faire le choix entre critères chronologiques, géographiques et thématiques, ce qui l’amène à distinguer les révoltes des premiers siècles de celles qui suivent. T. Bianquis, s. v. « Mārid », E.I.².
27 H. Djaït, La Grande Discorde…, op. cit., Paris, 1989.
28 M. Lecker, s. v. « Ṣiffīn », E.I.², IX, p. 574-578.
29 Voir dans cet ouvrage la communication de C. Aillet.
30 M. Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris, 2007 ; K. Abou El Fadl, Rebellion and Violence…, op. cit. n. 21.
31 A. Popovic, La révolte des esclaves en Irak au iiie/ixe siècle, Paris, 1976.
32 Ils enlevaient la croûte de natron (carbonate de sodium cristallisé naturellement) ou de salpêtre afin de rendre les terres cultivables.
33 Sur l’analyse de ce poème, voir B. Foulon, « L’impact de la fitna chez les lettrés andalous », La fitna…, op. cit. n. 20, p. 45-66.
34 Al-Tabarī III, p. 1753, 1755, 1759-1760, 1920, 1924, 1975. éd. M. J. De Goeje, Annales quos scripsit Abu Djafar, Leyde, 1879-1901/3, p. 1742-1787, 1834-1838, 42-58, 59-72, 74-80, 83, 88-89, 1898-1911, 12-15, 17-29, 32-37, III/4 : 1938-1939, 1942-2026, 28-37, 40-83, 2085-2103, 2011, 29-30, 35-36.
35 Contexte du début de la crise : les Abbassides se préoccupent des Tulunides et des Saffarides.
36 M. Brett, The Rise of the Fatimids: the World of the Mediterranean and the Middle East in the Fourth Century of Hijra, Tenth Century CE, Leyde, 2001.
37 L’action révolutionnaire des Ismaéliens se plaçait dans une perspective messianique, celle du retour sur terre du Mahdī et de la préparation du Jugement dernier.
38 Ibn Ḫaldūn, Al-Muqaddima, trad. fr. V. Monteil, Arles 1997 ; Kitāb al-’ibar wa dīwān al-mubtada’ wa-al-ẖabar fī ayyām al-’arab wa-al-’aǧam wa-al-barbar wa man ‘āṣarahum min ḏawī al-sulṭān al-akbar, 1284/1867 ; réimpression Dār al-kutub al-’ilmiyya, Beyrouth, 1413/1992. Sur cet auteur, voir G. Martinez-Gros, Ibn Khaldûn et les sept vies de l’Islam, Arles, 2006.
39 Comme ceux que soulevèrent les tribus bédouines de l’ensemble de la Syrie contre les Fatimides entre 1025 et 1029, qui furent provoqués par le décret de l’administration du Caire qui interdisait à leurs troupeaux l’accès aux terres cultivées par les sédentaires : « Ce fut pour la première fois une coalition fondée, non sur une solidarité de sang, mais sur une solidarité de condition exprimant la revendication commune de populations marginalisées par l’essor urbain, affamées par la montée incessante du prix des céréales et de la viande, nomades arabes ou berbères, soldats sans soldes, paysans chassés de leurs terres », écrit T. Bianquis dans États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, xe-xve siècle, dir. J.-C. Garcin et al., Paris, 1995, t. 1, p. 95.
40 Le dā’ī ‘Abd Allāh est assassiné dès 911.
41 M. Chapoutot-Remadi, s. v. « Abū Yazīd », E.I.3.
42 C. Aillet, « La fitna, pierre de touche du califat de Cordoue (iiie/ixe-ive/xe siècle) », La fitna…, op. cit. n. 20, p. 67-83.
43 G. Martinez-Gros, L’idéologie omeyyade. La construction de la légitimité du Califat de Cordoue (xe-xie siècles), Madrid, 1992, p. 107 et suiv.
44 F. Clément, Pouvoir et légitimité en Espagne musulmane à l’époque des Taïfas. L’imam fictif, Paris, 1997, p. 156 et suiv.
45 Ibid., p. 129 et suiv.
46 Ibid., p. 83 et suiv.
47 Voir la réflexion de V. Van Renterghem, « Catégorisations sociales dans le monde musulman médiéval. Introduction au dossier », Groupes sociaux et catégorisation sociale dans le dār al-islām médiéval (viie-xve siècle), Annales islamologiques, 42 (2008), p. 29-51.
48 Abbès, Islam et politique…, op. cit. n. 13, p. 153 et suiv.
49 J.-C. Garcin, « Le Proche-Orient à l’époque mamluke », États, sociétés et cultures…, op. cit. n. 39, p. 343-369.
50 E. Tixier du Mesnil, « Penser l’ordre en temps de désordre », Désordres créateurs…, op. cit. n. 20, p. 153-162 ; Abbès, Islam et politique…, op. cit. n. 13, p. 123 et suiv.
51 P. Buresi, H. El Aallaoui, Gouverner l’empire. La nomination des fonctionnaires provinciaux dans l’empire almohade (Maghreb, 1224-1269), Madrid, 2013 ; M. Ghouirgate, L’ordre almohade (1120-1269). Une nouvelle lecture anthropologique, Toulouse, 2014.
52 J. Loiseau, Les Mamelouks, xiiie-xvie siècle, Paris, 2014.
53 Mais ce n’est pas un système héréditaire et les mamelouks résident en ville, voire dans la citadelle, au plus près du sultan, et non dans des châteaux au centre de seigneuries.
54 En 1252-1253, 1298-1299, et surtout entre 1349 et 1353.
55 Loiseau, Les Mamelouks…, op. cit. n. 52, p. 237 et suiv.
56 L’amān est le pardon et l’amnistie offerts aux révoltés.
57 C. Gauvard, s. v. « Révolte populaire », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 1206-1209.
58 Il Tumulto dei Ciompi. Un momento di storia fiorentina ed europea, Florence, 1981 ; F. Franceschi, Oltre il “Tumulto”. I lavoratori fiorentini dell’Arte della Lana fra Tre e Quattrocento, Florence, 1993 ; E. Screpanti, L’angelo della liberazione nel Tumulto dei Ciompi, Sienne, 2008.
59 « Aggiunte anonime alla cronaca di Alamanno Acciaioli », Cronache e memorie sul tumulto dei Ciompi, éd. G. Scaramella, Rerum Italicarum Scriptores, XVIII, 3, Città di Castello, 1917-1934, p. 36.
60 C’est la volonté de mon ouvrage, A. Stella, La révolte des Ciompi. Les hommes, les lieux, le travail, Paris, 1993, que d’avoir voulu changer l’image desdits émeutiers, image construite par des chroniqueurs contemporains, des mémorialistes et des historiens au fil du temps. Car il est clair que loin d’être une description objective des événements, de ses enjeux et de ses protagonistes, l’histoire des soulèvements des dominés est régulièrement écrite de façon subjective, traduisant l’intérêt partisan des détenteurs du pouvoir en place à présenter sous un jour défavorable les faits et leurs protagonistes. Sur l’historiographie du « Tumulte », ibid., Introduction, p. 17-42.
61 « Cronaca di Alamanno Acciaioli », Cronache e memorie…, op. cit. n. 59, p. 13.
62 The Voices of the People in Late Medieval Europe, éd. J. Dumolyn, J. Haemers, H. R. Oliva Herrer, V. Challet, Turnhout, 2014.
63 R. Trexler, « Neighbours and Comrades: the Revolutionnaires of Florence, 1378 », Social Analysis, 14 (1983), p. 53-106 ; id., « Follow the Flag. The Ciompi Revolt Seen from the Streets », Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, 46/2 (1984), p. 357-392 ; S. Cohn, The Laboring Classes in Renaissance Florence, New York/Londres, 1980.
64 Voir notes 57 et 59.
65 A. Stella, « Les Ciompi à l’assaut des beaux quartiers », Territoires, lieux et espaces de la révolte, xive-xviiie siècles, dir. P. Bravo, J. C. D’Amico, Dijon, 2017, p. 41-51.
66 Ibid., cartes.
67 Voir la carte de résidence des leaders connus des Ciompi, dans Stella, La révolte…, op. cit. n. 60, p. 92-93.
68 Voir la carte de la logistique des révolutionnaires : ibid., p. 126-127.
69 Comme l’avait remarqué R. Trexler (« Neighbours and Comrades… », loc. cit. n. 63).
70 F. Sznura, L’espansione urbana di Firenze nel Dugento, Florence, 1975.
71 Stella, La révolte…, op. cit. n. 60, p. 137.
72 Id., « Fiscalità, topografia e società a Firenze nella seconda metà del Trecento », Archivio Storico Italiano, 558 (1993), p. 797-862.
73 S. Cohn, « Florentine Insurrections, 1342-1385, in Comparative Perspectives », The English Rising of 1381, dir. R. Hilton, T. H. Aston, Cambridge, 1984, p. 143-163.
74 E. Screpanti, L’angelo della liberazione nel tumulto dei Ciompi, Sienne, 2008.
75 « Frammento di una cronica anonima », dans Donato Velluti, Cronica di Firenze, éd. Domenico Maria Manni, Florence, 1731, p. 148.
76 N. Rodolico, Il Popolo Minuto. Note di storia fiorentina (1343-1378), Florence, 1968, p. 102.
77 « Cronaca dello Squittinatore », Cronache e memorie…, op. cit. n. 59, p. 84.
78 M. Mollat, P. Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi. Les révolutions populaires en Europe aux xive et xve siècles, Paris, 1970, p. 247.
79 A. Stella, « Un conflit du travail dans les vignes d’Auxerre aux xive et xve siècles », Histoire et sociétés rurales, 5 (1996), p. 221-251.
80 Ibid., p. 291.
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