Pour une grammaire des listes
p. 121-132
Texte intégral
1Le point de départ de ce chapitre, qui essayera de fournir une définition à la fois intensive et extensive de ce qu’est une liste, tient en l’idée selon laquelle les listes font partie de notre grammaire naturelle, c’est-à-dire que la capacité de produire une liste est une des compétences qui constituent cette aptitude cognitive que nous appelons grammaire. Nous n’allons pas ici nous attarder sur ce qu’est une grammaire ; nous nous contenterons de la définir comme un ensemble structuré de connaissances qui nous met en mesure de produire et d’interpréter un nombre potentiellement infini de formes plus ou moins complexes, les énoncés. Le point de départ est donc que nous avons en tant que locuteurs une compétence de listes, des connaissances abstraites qui nous permettent de les former et de les déchiffrer, et que cette compétence est naturellement reflétée dans les listes historiques, documents en forme de liste que les historiens se trouvent à questionner comme sources dans leurs recherches et qui font l’objet de ce volume.
2Le point de vue que nous allons adopter dans notre approche des listes est donc de type mentaliste, dans le sens où nous allons nous interroger sur les connaissances qui sont à la base de la production de listes comme objets. La question s’inscrit dans une démarche générale qui cherche à reconstruire sur la base de nos productions linguistiques quelles sont les règles mentales qui les ont générées et dont elles sont le produit. Nous savons que ces règles sont génératives, au sens où elles ne sont pas un simple répertoire de formes mais plutôt des règles plus abstraites pouvant les produire ; qu’elles sont en grand partie inaccessibles à l’introspection, et donc dans une large mesure inconscientes ; et qu’elles ne varient qu’à l’intérieur de limites plutôt étroites et en partie insensibles à la variation culturelle1.
3En partant de cette perspective mentaliste, nous allons tenter de définir ce qu’est une liste du point de vue syntaxique et du point de vue sémantique, et pour ce faire, nous pointerons avant tout la notion de coordination. Nous nous tournerons alors vers l’analyse de corpus oraux qui conduisent à une prototypicité de la liste à trois éléments, avant de dresser finalement une typologie des listes et de leurs fonctions. Pour ces trois étapes, nous nous baserons surtout sur le langage quotidien et sur l’emploi de l’oral, en tant que réflexe plus direct de la grammaire mentale et moins médié par les conventions et les traditions que l’écrit. Ce faisant, nous espérons toutefois pouvoir parvenir à des généralisations suffisamment solides pour pouvoir éclairer la lecture des documents en forme de liste, dans l’hypothèse, que nous croyons raisonnable, selon laquelle ceux-ci descendent aussi de façon plus indirecte de notre compétence de liste.
La liste et la coordination
4Le mécanisme syntaxique qui est à la base des listes est la coordination. Deux éléments sont syntaxiquement coordonnés lorsqu’ils sont placés sur le même plan et occupent donc la même position – ils comptent ainsi comme un, du point de vue de leur rôle, dans la structure argumentale et de leur fonction grammaticale.
5Nous savons que la coordination est une règle syntaxique des plus faciles. En cela, elle est souvent opposée à la subordination – on parle aussi de parataxe en opposition à l’hypotaxe. Par exemple, nous savons que c’est la première règle récursive qu’apprend l’enfant qui acquiert sa première langue. Une expérience très connue d’Edward Matthei2 montre clairement que les enfants de 3-4 ans tendent à interpréter des adjectifs comme étant coordonnés (comme dans une liste) plutôt que comme étant subordonnés l’un à l’autre. L’expérience consistait à leur soumettre une disposition de balles colorées (fig. 1), et à leur demander de montrer la deuxième balle verte (Show me the second green ball).
Figure 1 : Show me the second green ball

6Plus de 50 % des enfants interrogés répondait en indiquant la balle X au lieu de la balle Y, préférant ainsi une lecture conjointe – X est la balle qui est deuxième et verte, voir (1) – à une lecture hiérarchisée – Y est la deuxième balle verte, voir (2) –, laquelle est au contraire plébicitée par les adultes.

7Les listes s’appuient donc sur une règle de structuration de l’énoncé qui est particulièrement simple, primitive et facile, ce qui explique l’omniprésence des listes et des énumérations en général. La coordination toutefois, si elle est simple et a une sorte de précédence cognitive par rapport à d’autres formes plus complexes de structuration de mots, n’est pas par ailleurs dans la structure.
8On le voit bien en observant de plus près ce que l’on peut coordonner dans un énoncé : on relève immédiatement des contraintes à l’œuvre. La première d’entre elles est que l’on ne peut coordonner que ce qui se ressemble, et ceci dans un sens très précis. Pour mieux voir de quoi il s’agit, nous pouvons nous tourner vers un exemple illustre et particulièrement extrême, cette fois littéraire : la fameuse liste de Jorge Luis Borges dans La langue analytique de John Wilkins3 :
(3) Esas ambigüedades, redundancias y deficiencias recuerdan las que el doctor Franz Kuhn atribuye a cierta enciclopedia china que se titula Emporio celestial de conocimientos benévolos. En sus remotas páginas está escrito que los animales se dividen en
(a) pertenecientes al Emperador,
(b)embalsamados,
(c) amaestrados,
(d) lechones,
(e) sirenas,
(f) fabulosos,
(g) perros sueltos,
(h) incluidos en esta clasificación,
(i) que se agitan como locos,
(j) innumerables,
(k) dibujadoscon un pincel finísimo de pelo de camelo,
(l) etcétera, (m) que acaban de romper el jarrón,
(n) que de lejos parecen moscas
Ces catégories ambigües, superfétatoires, déficientes rappellent celles que le docteur Franz Kuhn attribue à certaine encyclopédie chinoise intitulée Le marché céleste des connaissances bénévoles. Dans les pages lointaines de ce livre, il est écrit que les animaux se divisent en : a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s’agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, l) et cætera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin ressemblent à des mouches.
9L’effet extraordinaire, à la fois comique, poétique et évocateur de cette liste consiste dans un jeu de tension entre le respect des conditions formelles de formation de liste et le caractère follement hétéroclite de ses composantes. Elle montre de façon patente que la seule similarité qui compte pour la coordination, et donc pour la liste, est la similarité syntaxique : les objets les plus disparates peuvent trouver leur place dans une liste à la seule condition qu’ils soient des constituants de la même catégorie, ici des adjectifs ou faisant fonction. Il s’agit donc d’une contrainte purement formelle, qui par le fait même de son formalisme pur, autorise l’opération de Borges.
10On ne peut coordonner que des éléments qui se ressemblent du point de vue syntaxique. Si cette contrainte est respectée, même les éléments les plus disparates du point de vue sémantique, comme les prédicats de la liste de Borges, peuvent être rapprochés et produire un effet d’unité – sur lequel nous reviendrons dans la troisième partie du chapitre.
11Mais la similitude syntaxique n’est pas la seule contrainte à laquelle obéit la coordination. Même s’il s’agit de la règle de combinaison la plus simple, celle-ci n’est pas privée de structure, ou aussi plate que l’on pourrait le croire à première vue. L’existence d’une structure interne à la coordination, et donc à la liste, peut s’observer à partir d’un certain nombre d’asymétries internes. La première concerne la conjonction (ou joncteur) : celle-ci n’est possible que dans le dernier conjoint, ou dans tous les conjoints, mais nulle part ailleurs :
(4) a. Ada, Nico et Phil
b. (Et) Ada et Nico et Phil
c. *Ada et Nico, Phil4
12Une autre asymétrie concerne les éléments anaphoriques tels que les pronoms : un pronom dans un conjoint peut être contrôlé par une expression nominale dans un conjoint qui le précède (5a), mais pas le contraire (5b).
(5) a. Jean a rencontré un homme, une femme et leur chien
b. *Jean a rencontré leur chien, un homme et une femme
13Ce chapitre n’est naturellement pas le lieu pour discuter de ce que ces asymétries nous montrent du point de vue syntaxique. Mais nous avons de bonnes raisons de supposer que la coordination n’est pas aussi plate qu’elle en a l’air et que ces asymétries relèvent de faits structuraux, et non pas purement linéaires. Quoi qu’il en soit, elles montrent que l’ordre des conjoints est significatif, et donc que la liste est un ensemble certainement structuré, bien que simple, d’éléments syntaxiquement similaires. Cette structuration s’observe aussi dans la prosodie propre des énoncés en forme de liste, prosodie faite de pauses, de répétitions rythmées et souvent d’assonances, de pics et de gouffres intonatifs à la distribution précise. Une analyse de la prosodie de liste montre par exemple qu’une liste peut s’identifier à l’oral dès son premier élément, qui est marqué dans son intonation de façon à générer l’attente d’une suite d’énumérations5.
Le numéro trois
14Si, comme nous l’avons vu, le mécanisme à la base de la liste est celui de la coordination, ceci ne veut pas dire que coordination et liste sont la même chose. En particulier, il y a un aspect quantitatif à la liste qui n’entre pas dans la définition de la coordination : très concrètement, si l’on peut avoir une coordination à deux éléments, il en faut probablement au moins trois pour faire une liste. Ce nombre trois semble d’ailleurs n’être pas simplement un minimum, mais constitue aussi une mesure de prototypicité : typiquement, la liste contient trois éléments.
15Ceci a été analysé par Gail Jefferson, dans une étude devenue classique sur les éléments de liste dans un corpus conversationnel en anglais6. Il montre que la grande majorité des listes produites dans le parler spontané et conversationnel est composée de trois éléments, qu’il s’agisse de listes de mots, de syntagmes ou de phrases. Voici quelques exemples tirés de cet article : en (a) une liste tripartite de phrases subordonnées ; en (b) une liste tripartie de syntagmes nominaux ; en (c) une liste tripartie de mots ; en (d) une liste tripartie de syllabes7.
(6) a. And in general what we try to do is help people figure out what the trouble is, what kind of help they need and get it from them.
Et en général ce qu’on essaye de faire c’est aider les gens à comprendre quel est le problème, de quel genre d’aide ils ont besoin, et l’obtenir.
b. While you’ve been talkin’to me, I mended two nightshirst, a pillowcase and a pair of pants.
Pendant que tu parlais avec moi, j’ai réparé deux chemises, un oreiller et une paire de pantalons.
c. Working working working you know how I do.
Travailler, travailler travailler, tu sais comment ça se passe.
d. Well, we’re calling our good friend Alice and bla bla bla.
Et bien on appelle notre bonne copine Alice et bla bla bla8.
16Cette généralisation est d’autant plus intéressante qu’elle semble opérer dans le corpus observé comme une contrainte active, qui force les locuteurs à compléter leur liste pour arriver au numéro trois. Pour ce faire, on voit qu’ils ajoutent soit des clôtureurs, des éléments qui terminent la liste de façon explicite, tels que etc., ainsi de suite ; soit des remplitifs, des éléments sémantiquement vides qui ont pour seule fonction de remplacer un conjoint manquant pour arriver à trois. (7a-b) ci-dessous contiennent un remplitif ; (7c-d) un clôtureur.
(7) a. I know his name is something else, Teddy or Tom or…something
Je sais que son nom est différent. C’est Teddy ou Tom ou…quelque chose comme ça.
b. And they had a concession stand like at a fair where you can buy coke and popcorn and that type of thing
Et ils avaient un stand comme dans une foire où on peut acheter du coca et du popcorn et ce genre de choses.
c. Samuel just takes things casually and naturally and – all that
Samuel prend les choses de façon désinvolte et naturelle et… tout ça.
d. Oh they come from Jamaica, and South Africa, and all over the place.
Oh ils viennent de Jamaïque, d’Afrique du Sud, et de partout9.
17En résumé, la liste est une coordination, donc une combinaison simple et récursive d’éléments formellement semblables, dotée typiquement d’au moins trois constituants, douée d’une prosodie qui lui est propre – traduite à l’écrit par des éléments tels qu’intitulation, virgules et paragraphations. Voyons maintenant plus précisément quelles typologies de listes l’on peut dresser sur la base de leurs propriétés formelles et de leurs fonctions.
Typologies de listes : propriétés formelles et fonctions
18Dans cette troisième partie, nous nous baserons surtout sur les travaux de Paola Pietrandrea10 qui, en collaboration avec d’autres, a longtemps travaillé sur les aspects formels et fonctionnels des listes, qu’elle appelle aussi « entassements », à l’oral. Nous lui emprunterons la plupart des dimensions de classification prises en considération ici, ainsi que la plupart des exemples cités à titre d’illustrations, qui sont tous tirés d’un corpus de français parlé spontané annoté dans le cadre du projet « Rhapsodie11 ».
19L’objectif est, encore une fois, de rechercher à travers une récognition des types de listes naturelles du parlé spontané des pistes utiles au déchiffrage des documents en forme de liste.
Classification formelle
20Pour commencer par une classification purement formelle, on devra tenir compte des éléments suivants pour décrire la typologie d’une liste quelconque :
présence ou absence de conjonction ;
nature de la conjonction ;
liste ouverte ou fermée ;
nombre d’éléments listés ;
catégorie des éléments listés ;
relation sémantique entre les éléments listés
21Illustrons ces dimensions de classification par quelques exemples simples.
Présence ou absence de conjonction
22Ci-dessous deux exemples : dans (8) l’entassement est donné sans joncteur, et ce n’est qu’à partir de la syntaxe, et donc ici de l’hypersaturation de la position d’objet du verbe arracher, que l’on reconstruit la présence d’une liste. En (9) au contraire, l’itération du joncteur négatif ni signale explicitement la structure de la liste.
(8) C’est à ceux de votre tradition que nous avons arraché la
liberté de presse le droit de grève le droit à l’instruction12
(9) On s’est retrouvé sans eau ni gaz ni téléphone ni électricité13
Nature de la conjonction
23Sur la base de la nature de la conjonction, on peut distinguer les listes additives ou conjonctives, où la dénotation de la liste correspond à l’union des dénotations des conjoints ; et les listes alternatives ou disjonctives, où les éléments dénotés par les conjoints sont potentiellement substituables les uns aux autres. Les listes additives peuvent soit ne contenir aucun joncteur (comme dans [8] ci-dessus), soit typiquement des joncteurs tels que et, ni (comme dans [9] ci-dessus). Les listes alternatives ont au contraire toujours besoin d‘un (dis)-joncteur explicite, tel que ou, soit ou bien.
Liste fermée ou ouverte
24Les listes peuvent être fermées ou ouvertes, et ceci est normalement marqué à l’oral par la conjonction, par la prosodie (les points de suspension de l’écrit), par un clôtureur (etc. pour une liste ouverte ; vs. et c’est tout pour une liste fermée).
Nombre d’éléments listés (au moins trois)
25Comme nous l’avons vu, les éléments listés sont typiquement trois dans l’usage quotidien, mais selon la fonction et le référent de la liste celle-ci pourra contenir un nombre variable d’éléments.
Catégorie des éléments listés (des mots, des syntagmes de type X, des phrases, etc.)
26Comme nous l’avons vu également, la seule contrainte concernant les listes est de nature formelle, et concerne la catégorie syntaxique des éléments conjoints. La complexité de ces éléments peut être des plus variables. Les conjoints peuvent être de simples mots (comme dans la liste des stupéfiants plus loin [13]) ; des syntagmes de diverses natures, adjectivaux dans la liste de Borges en (3) nominaux dans l’exemple en (8) ; ou encore des phrases entières, comme dans l’exemple suivant (10), tiré de la fameuse chanson de Charles Trenet.
(10) La lune est là, la lune est là, la lune est là et le soleil ne la voit pas.
Relation sémantique entre les éléments listés
27On peut distinguer les listes naturelles de celles non naturelles. Dans les premières, les éléments ont une relation sémantique indépendante de la liste. Ils peuvent être antonymes, co-hyponymes, identiques. Dans l’exemple ci-dessous (11), nous avons une liste de paires d’éléments antonymes.
(11) Nous avons vu qu’il y avait accord pour la guerre entre les hommes d’État et les révolutionnaires, les constitutionnels et les Girondins, les aristocrates et les Jacobins.
Alphonse de Lamartine, Histoire des Girondins14
28Dans les listes non naturelles, les éléments n’ont pas de relation sémantique, et c’est la liste même qui les rapproche, comme dans la liste de Borges en (3).
29Du point de vue sémantique, il nous reste à opérer une dernière distinction : certaines listes sont compositionnelles, au sens où chaque conjoint dénote un élément différent, et la liste complète possède une dénotation qui est fonction des dénotations des conjoints. Si nous dressons par exemple la liste des étudiants qui suivent notre cours, il s’agit d’une liste compositionnelle, qui dénote exactement et uniquement l’ensemble des éléments qu’elle contient (les étudiants de notre cours). D’autres listes sont au contraire non compositionnelles, au sens où la liste complète possède une dénotation qui va au-delà de la somme des dénotations des conjoints, et acquiert donc une signification qu’ils n’ont pas. C’est vers cet autre type de listes que nous allons nous tourner maintenant.
Classification fonctionnelle
30Une propriété fondamentale des listes est, comme nous venons de l’évoquer, qu’elles peuvent avoir une signification que les éléments qui la composent n’ont pas : en cela elles peuvent être vues comme un procédé très simple pour la constitution de nouveaux référents. Nous allons examiner quelques types de listes non compositionnelles de façon plus approfondie.
Liste généralisante
31La fonction d’une liste généralisante est de créer la quantification universelle d’une classe en utilisant des antonymes ou des co-hyponymes suffisamment opposés pour créer un effet de parcours de l’ensemble de la classe.
32Expressions telles que jour et nuit ou petits et grands, par exemple, peuvent être vues comme des proto-listes de ce type, en ce qu’elles sont utilisées respectivement comme synonymes de toujours et de tout le monde.
33Un exemple classique de ce type d’énumération à fonction généralisante est la liste de temps qui sert à définir l’universel et l’intemporel du Qohelet (12).
(12) Temps de naître et temps de mourir,
Temps de tuer, temps de guérir,
Temps de planter, temps de détruire,
Temps de bâtir, temps d’arracher,
Temps de gémir, temps de danser,
Temps de pleurer et temps de rire.
Temps d’assembler les blocs, temps de les disperser,
Temps d’aimer les baisers et temps de les maudire,
Temps de poursuivre un rêve ou de se l’interdire,
Temps d’aimer un objet, temps de le repousser.
Temps où l’on coud, où l’on déchire,
Temps où l’on garde, où l’on se tait,
Temps où l’on hait, où l’on soupire,
Temps de la guerre et temps de paix15
Liste hypéronymique
34La fonction d’une liste hypéronymique16 est de créer une expression hypéronymique à travers la juxtaposition de co-hyponymes : un exemple simple serait d’utiliser chats, chiens, oiseaux, poissons pour indiquer les animaux en général.
35Une application très fréquente de la liste hypéronymique est celle de la définition par extension : la liste même fournit une définition de l’objet dont elle est le référent, qui n’est pas défini autrement. Un exemple est l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des stupéfiants : un stupéfiant n’est en fait un stupéfiant selon la loi que s’il est tout simplement inclus dans la liste. Un extrait en est donné en (13).
(13) Sont classées comme stupéfiants les substances et préparations mentionnées dans les annexes au présent arrêté.
Acétorphine
Acétylalphaméthylfentanyl
Acétylméthadol
Alfentanil
Allylprodine
Alphacétylméthadol
Alphaméprodine
Alphaméthadol
Alphaméthylfentanyl
Alpha-méthylthiofentanyl
Alphaprodine
Aniléridine
Benzéthidine
Benzylmorphine
Béta-hydroxyfentanyl
Béta-hydroxy-méthyl-3-fentanyl
36Ici la liste de stupéfiants est en même temps une définition ayant valeur de loi des stupéfiants. Par rapport à une définition explicite, la liste hypéronymique a l’avantage de pouvoir être mise à jour, modifiée, étendue, raccourcie sans pour autant devoir contredire, ou même revoir le concept qu’elle encadre.
Liste intensifiante
37La fonction d’une liste intensifiante est de souligner le sens du même élément listé.
(14) La grosse recette de Sarah, tu vois, c’était de faire des exercices des exercices des exercices par exemple, tu vois, pour un point de grammaire17
(15) Sa vie n’était rien que boulot boulot boulot18
Liste approximative
38La liste approximative est utilisée pour définir un référent par approximation, en incluant des membres possibles de la même classe.
(16) Tout d’un coup j’vois, c’te mouche, c’moustique, enfin bref cette bestiole19…
39Ces quelques notes ont proposé, en mettant la notion de liste dans une perspective de grammaire mentaliste, une première récognition de ce que sont les propriétés, les typologies et les fonctions des listes que les locuteurs produisent de façon naturelle dans l’usage quotidien. Les textes en forme de liste dont fait l’objet ce volume et en général le projet « Le pouvoir des listes au Moyen Âge » (Polima) dont il est le fruit emploient probablement des mécanismes plus sophistiqués, et conditionnés par les pratiques de l’écriture, de la production documentaire et du droit. Il est toutefois difficile d’imaginer qu’ils puissent s’affranchir des contraintes de base que nous avons essayées de relever ici.
Notes de bas de page
1 Pour une introduction à la perspective mentaliste à la grammaire, voir par exemple J. Pinker, L’instinct du langage, Paris, Odile Jacob, 2013.
2 Voir E. H. Matthei, « The Acquisition of Prenominal Modifier Sequences », Cognition, 11/3, 1982, p. 301-332.
3 El idioma analítico de John Wilkins, publié pour la première fois dans Otras inquisiciones (1937-1952), Buenos Aires, Editorial Sur, 1952. Traduction française : Enquêtes, Paris, Gallimard (Folio essai), 1986.
4 Suivant la convention normalement utilisée dans les articles de linguistique, un astérisque marque les formes agrammaticales.
5 La littérature plus récente sur la syntaxe de la coordination doit beaucoup à la thèse d’Alan Munn : A. Munn, Topics in the Syntax and Semantics of Coordinate Structures, thèse de doctorat, université du Maryland, 1993. Pour la syntaxe de la coordination en français, voir A. Abeillé, D. Godard (dir.), La syntaxe de la coordination, numéro spécial de Langages, 160, 2005. Pour une perspective typologique et interlinguistique : M. Haspelmath (dir.), Coordinating constructions, Amsterdam, Benjamins, 2004. Sur la prosodie de la coordination et des listes : E. Selting, « Lists as Embedded Structures and the Prosody of List Construction as an Interactional Resource », Journal of Pragmatics, 39, 2006, p. 483-526.
6 G. Jefferson, « List-Construction as a Task and Resource », dans G. Psathas (dir.), Interactional competence, New York, Irvington, 1991, p. 1-33.
7 Sur la fonction des listes contenant la répétition du même élément (listes intensifiantes), voir infra.
8 Tous ces exemples sont extraits de Jefferson, « List-construction… », art. cité. La forme de la transcription a été légèrement modifiée dans le sens d’une normalisation par rapport à l’orthographe anglaise, pour faciliter la lecture.
9 Ibid.
10 Et notamment : E. Bonvino, F. Masini, P. Pietrandrea, « List Constructions: A Semantic Network », communication à la troisième conférence internationale de l’Association française de linguistique cognitive (AFLiCo), Nanterre, 2009, dactyl. ; S. Kahane, P. Pietrandrea, « Les parenthétiques comme “Unités Illocutoires Associées”. Une perspective macrosyntaxique », Linx, 61, 2012, p. 49-70.
11 Rhapsodie est un corpus annoté de français parlé construit grâce à l’ANR Rhapsodie 07 CORP 030 01. Voir en ligne : http://www.projet-rhapsodie.fr/
12 Cité dans Kahane, Pietrandrea, « Les parenthétiques… », art. cité, exemple 23.
13 Ibid., exemple 25.
14 Ibid., exemple 49.
15 L’Ecclésiaste. Un temps pour tout, traduction d’E. Renan, Paris, Arléa, 1990 [éd. orig., Paris, Arléa, 1881], p. 20.
16 La notion d’hyperonyme s’applique à un mot dont le sens inclut celui d’autres mots plus spécifiques.
17 Cité dans Kahane, Pietrandrea, « Les parenthétiques… », art. cité, exemple 52.
18 Ibid.
19 Ibid.
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