Les transactions judiciaires à l’époque carolingienne
Les actes du Liber traditionum de Freising
p. 209-230
Résumés
Parmi les actes enregistrés dans le Liber traditionum de Freising, composé au ixe siècle, figurent un certain nombre de notices de plaids, au sein desquelles les transactions judiciaires représentent le mode privilégié de résolution des litiges fonciers. Quelles motivations ont conduit les évêques de Freising à privilégier ce mode de règlement ? Comment les notaires bavarois ont-ils mis en scène, dans les actes diplomatiques, le processus transactionnel et la réconciliation des parties qui l’accompagnait ? Il convient également de scruter l’évolution qui s’observe, dans les actes des viiie-xe siècles, dans la manière dont sont enregistrées ces transactions.
L’analyse s’est portée plus spécifiquement sur un acte de 849, à la fois parce qu’il est représentatif des pratiques judiciaires observables à Freising au ixe siècle, parce qu’il révèle les mécanismes utilisés par les parties pour régler pacifiquement les litiges, et parce qu’il permet d’observer les stratégies discursives employées par les scribes pour préserver les intérêts économiques et l’honneur des parties.
Many charters recorded in the ninth century Liber traditionum of Freising are judicial acts, in which legal transactions constitute the most employed form of settlement of disputes. Why bishops used these modes of conflict resolution? How did the notaries describe the transaction and the reconciliation between bishops and their opponents? It’s also important to focus on the chronological evolution of the recording of these acts from ninth to tenth centuries.
A judicial act from 849 was chosen and detailed to answer theses questions, because it is representative of the manner in which disputes were resolved in the ninth century Freising. It also reveals mechanisms litigants used to pacifically settle their disputes, and it allows to observe the strategies employed by scribes in their reports, given in a particular matter to preserve both economic interests and honor of the litigants.
Texte intégral
1La justice carolingienne s’inscrit dans une « culture du compromis » ; de ce fait, elle fait la part belle aux transactions de nature juridique destinées à mettre un terme aux litiges fonciers de manière efficace, conciliante et favorable à la paix sociale. Notre propos ne portera pas sur les transferts patrimoniaux qui résultent de ces règlements judiciaires, qui ont fait l’objet de multiples travaux, mais plutôt sur le poids des transactions judiciaires dans ce processus et, partant, d’insister, sur les mécanismes judiciaires, juridiques, sociaux qui rendent possibles le règlement des conflits ; enfin, sur le processus de mise par écrit de ces transactions à partir d’un fonds documentaire d’une exceptionnelle richesse : le Liber traditionum de l’église épiscopale de Freising, en Bavière1.
2Au ixe siècle, plusieurs formes de règlement des conflits coexistent. À côté des règlements judiciaires, réglés dans le cadre d’une cour publique (royale, épiscopale, comtale) sont menées des démarches infrajudiciaires (conduites en amont de tout recours à une cour judiciaire et qui, pour cette raison, ont laissé peu de traces), extrajudiciaires (via l’arbitrage ou la médiation) ou suprajudiciaires, par lesquelles les négociations sont menées après le procès. Certaines de ces négociations, qui remettent en cause l’autorité du jugement et du juge, sont parfois interdites, comme c’est le cas pour les populations qui relèvent de la loi des Wisigoths, laquelle interdit tout règlement amiable dès lors qu’un jugement royal a été prononcé2. Les transactions, bien qu’elles n’aboutissent pas à une décision unilatérale, s’inscrivent pleinement dans le processus judiciaire. Elles figurent d’ailleurs comme modèles de certaines formules pour mettre un terme à un conflit : devant le tribunal, la partie qui obtient la possession du bien contesté abandonne des terres à l’autre partie en guise de réconciliation3. En effet, les transactions participent du rétablissement de la paix, et sont de ce fait un instrument privilégié de règlement des conflits.
3Si, par définition, la transaction se distingue de l’accord bilatéral ou du compromis4, il s’avère difficile d’identifier les transactions judiciaires dans les sources altimédiévales, en raison de l’absence d’un terme latin qui permette de les désigner. Les notaires et scribes qui retranscrivent les décisions judiciaires usent de périphrases qui rendent compte d’un double mouvement de renonciation : restitution/revestiture d’un côté, octroi de bénéfice ou concession de précaire de l’autre. Mais ce double mouvement ne suffit pas à reconnaître une transaction, tant il est malaisé de dissocier ce qui relève du règlement négocié et ce qui peut être défini comme une transaction judiciaire. Il convient alors de trouver d’autres critères par lesquels un règlement judiciaire peut être nommé transaction.
4La transaction relève de la sphère économique, quand le compromis appartient à la sphère pénale, surtout employé pour régler les litiges pour violence, homicide, incendie5.
Pour qu’il y ait transaction, l’intention des deux parties est indispensable6. Ces dernières décident de rétablir une communication rompue ou altérée, et s’engagent dans un accord mutuel en mettant en jeu des biens mobiliers.
Chacune des parties renonce partiellement ou totalement à une prétention, et accorde réciproquement des concessions. Sont donc exclues les actions juridiques par lesquelles le juge intervient comme médiateur ou arbitre pour inciter une des parties à renoncer à ses prétentions sur un bien foncier.
Une transaction est nécessairement écrite. Il n’existe pas de transaction tacite, au contraire du compromis.
La publicité garantit l’exécution et la validité de la transaction. L’assistance agit comme garante, mais aussi comme groupe de pression, pression qu’elle exerce sur les deux parties en conflit. Dès lors, comme dans les sociétés traditionnelles de face-à-face, le conflit a pour corollaire le renforcement de la cohésion du groupe7.
5Malgré son indéniable efficacité dans le processus de résolution des conflits, l’idée de transaction a, pendant longtemps, été perçue péjorativement dans les pays héritiers du droit romain, alors qu’elle fait partie intégrante du processus judiciaire dans les pays de Common Law. Au haut Moyen Âge, la transaction judiciaire ne fait l’objet d’aucune réserve ; mieux, elle est encouragée par les juges laïques comme ecclésiastiques, en particulier les évêques. On peut dès lors s’interroger sur les forces qui attirent les juges et les parties vers la transaction, quelles motivations préjuridiques et juridiques les guident vers ce type de règlement.
6Mieux que tout autre espace, la Bavière est un espace adéquat pour appréhender ces pratiques. Le duché se situe dans l’orbite franque depuis le vie siècle, quand les Mérovingiens imposèrent une lignée de ducs, lesquels rompirent avec le royaume franc sous les premiers Carolingiens, créant un duché indépendant que les ducs gouvernèrent avec l’aristocratie et l’Église. En 787, Charlemagne conquit la Bavière et l’intégra à son royaume, imposant à cette occasion de nouvelles institutions, un clergé doté de nouvelles prérogatives, mais aussi de nouveaux modes de règlement des conflits8. L’intérêt de la Bavière carolingienne pour notre sujet réside surtout dans les fonds documentaires qu’elle a engendrés au cours du ixe siècle. On y a compilé les plus anciens recueils d’actes diplomatiques médiévaux : les libri traditionum, qui apparaissent pratiquement en même temps, vers 820, à Freising, Ratisbonne, Passau et Mondsee. Le Liber traditionum de Freising, en particulier, donne à observer de nombreuses transactions judiciaires, qui invitent à s’interroger sur les motivations des acteurs, les tractations et modalités ayant abouti au règlement, ainsi que sur la manière dont les scribes ont rendu compte de ces transactions.
Le Liber traditionum de Freising
Cozroh et le Liber traditionum
7Les libri traditionum (en allemand, Traditionsbücher ou Kopialbücher) sont antérieurs aux cartulaires. Ils apparaissent dans les années 820 en Bavière et hors de Bavière à Fulda et Wissembourg. Y sont compilées des milliers de donations (traditiones), même si ces recueils d’actes sont loin de ne contenir que des actes de donations. Ils sont le plus souvent composites, puisqu’ils peuvent renfermer d’autres documents comme des textes narratifs ou hagiographiques, des inventaires, des documents nécrologiques, ainsi que des enregistrements d’échanges ou de décisions judiciaires. L’autre particularité de ces recueils, qui les distingue des cartulaires, réside dans le fait que les actes enregistrés le sont en majeure partie sous forme de notices en style objectif, parfois très courtes, qui suivent un formulaire très sommaire, accompagné d’une liste de témoins9.
8Parmi les libri traditionum bavarois, le plus riche pour notre propos est sans conteste celui de Freising, conservé à Munich10. La création du document est connue grâce au prologue qu’en a donné son maître d’œuvre, le diacre Cozroh. De son propre témoignage, Cozroh commença ce travail sur ordre de l’évêque Hitto de Freising (812-835), qui menait un vaste programme de rénovation des textes liturgiques et juridiques de son église. Il ordonna à Cozroh de compiler la liste de « ceux dont la mémoire a enrichi la maison avec leurs propriétés, dont les dons ont été faits pour le salut de leur âme » depuis l’épiscopat d’Atto (784-811). Ainsi, entre 824 et 855, Cozroh et ses successeurs collationnèrent et copièrent les archives de la cathédrale de Freising, qui contenaient des documents allant de 744 jusqu’à la fin de l’épiscopat d’Erchanbert (836-854), le successeur d’Hitto. Ce travail tient dans un codex, qui contient 700 copies d’enregistrements. Une partie manque, et n’est connue que par une copie du xiie siècle, dans laquelle n’ont pas été enregistrées les listes de témoins. L’organisation adoptée est celle d’un classement des actes par épiscopat, même si des actes ont été insérés postérieurement, d’abord dans la seconde moitié du ixe siècle, puis aux xe, xie et xve siècles.
9Les motivations de Cozroh et les choix qu’il a faits pour son entreprise doivent être pris en considération. D’abord, le diacre comme ses continuateurs ont organisé le recueil chronologiquement, par épiscopat ; pour cette raison, le dossier des transactions judiciaires fait la part belle aux évêques, dont l’autorité sacrée fut un élément déterminant dans le succès et la diffusion des transactions judiciaires. L’effet de source est patent, dans la mesure où n’ont été conservées que les notices favorables aux évêques de Freising, écartant celles qui ne servaient pas les intérêts de l’église. Toutes les actions judiciaires enregistrées s’inscrivent dans le cadre d’une histoire sacrée centrée sur les évêques de Freising, glorification à laquelle participent les transactions conclues par les prélats11.
Transactions, actes judiciaires et transactions judiciaires dans le Liber traditionum
10Un très grand nombre d’actes enregistrés dans le Liber traditionum peuvent être qualifiés de transactions, en particulier la multitude d’actes d’échanges fonciers conclus à partir de la seconde moitié du ixe siècle. Rares avant 845, ces commutationes explosent ensuite, allant jusqu’à représenter 84 des 85 actes conservés pour la période 883-92612. Cependant, les transactions qui nous intéressent ici sont d’un autre type : ce sont celles qui, conclues dans le cadre d’une assemblée judiciaire, visaient à régler pacifiquement le litige ayant opposé l’évêque à un compétiteur en concédant à la partie perdante une part du bien litigieux. Le Liber traditionum de Freising se prête favorablement à cette enquête dans la mesure où une centaine d’actes qui y sont conservés concernent le règlement des conflits, contre une trentaine seulement dans les libri traditonum des églises épiscopales de Ratisbonne, Passau et Salzbourg. Il s’agit donc d’une source de première importance, dans laquelle les transactions judiciaires représentent une grande part des règlements judiciaires enregistrés. Pourtant, le « passage à l’acte » pose un certain nombre de problèmes.
La scripturalité et ses enjeux
11Les difficultés que pose la mise par écrit des actes judiciaires résultent des interactions qui existent entre le règlement judiciaire proprement dit et l’acte tel qu’il nous est parvenu, des difficultés qui ne sont pas propres à la documentation bavaroise.
12La première interaction est de nature linguistique. Durant une grande partie du Moyen Âge, les notaires ont transcrit en latin des débats qui avaient lieu en langue vulgaire. L’approche sociolinguistique permet de qualifier le latin des actes judiciaires de lingua mixta, qui s’apparente à une écriture « orale » latine qui nous prive en partie de la teneur des échanges13.
13Il en résulte une deuxième interaction, qui est rhétorique. Même si les actes de Freising sont peu contaminés par l’usage des formulaires et qu’ils ne témoignent pas d’un réel effort pour solenniser le document, ils ne représentent pas un simple travail d’enregistrement. C’est un véritable travail d’écriture, de « mise en scène juridique », où transparaît l’oralité commune14. Si on peine à saisir le processus de rédaction des actes bavarois, d’autres corpus d’actes judiciaires peuvent nous y aider. C’est le cas des chartes carolingiennes de Saint-Gall, qui ont été conservées en original et contiennent, pour une centaine d’entre elles, des notes dorsales (Vorakte). Il s’agit de notes prises par le scribe pendant le procès au dos du parchemin (nom du donateur ou des litigants, propriétés concernées, composition du tribunal, nom des témoins, lieu et date), qui lui servaient ensuite à composer la charte ou la notice15. La brièveté des renseignements contenus sur ces notes dorsales laisse penser que le notaire disposait d’une certaine latitude pour, sinon interpréter, du moins « mettre en forme » les débats judiciaires. Il écrivait de telle manière que l’acte qui était lu à voix haute aux protagonistes soit non pas conforme aux débats qui avaient eu lieu mais réponde aux exigences des nouvelles relations sociales nées du règlement judiciaire. Par exemple, les notaires de Freising s’attachent à relater le procès en une seule séquence, l’usage d’adverbes de temps (cum, tunc, iam…) participant à souligner l’enchaînement des phases processuelles, alors même que la temporalité des débats judiciaires pouvait être longue, parfois plusieurs semaines, et que certains actes font clairement apparaître des débats en plusieurs lieux successifs. C’est que l’écriture de l’acte judiciaire était un élément à part entière du processus transactionnel16.
14Une troisième interaction peut être soulignée, qui résulte du rôle éminent joué par l’oralité et les rituels dans les assemblées judiciaires et, partant, dans le succès des transactions judiciaires. Les notices de transactions se situent au carrefour de plusieurs modes de communication, et sont autant des inscriptions d’actions juridiques que des « enregistrements de performances »17. C’est ainsi qu’il faut interpréter la mention des litigants touchant l’acte final, le dépôt de celui-ci sur l’autel, l’humiliation rituelle du perdant devant l’évêque ou l’action de tirer les oreilles des témoins (testes per aures tracti)18.
15La dernière interaction est d’ordre scriptural. La cartularisation traduit nécessairement un projet, un choix et une sélection19. Cozroh, au moment de composer son recueil, n’a conservé et transcrit que les actes judiciaires qui étaient favorables aux évêques de Freising, soit par le fait que l’évêque se voyait démontrer son bon droit, soit parce qu’il était mis en valeur en qualité de médiateur, de juge ou de pacificateur, soit parce que l’acte sanctionnait une situation juridique qu’il pourrait utiliser ultérieurement. Il convient également de souligner que certains actes de donation peuvent avoir été des transactions déguisées, sans qu’on puisse en reconstruire le déroulement et les enjeux. D’autres au contraire accordent une grande importance aux étapes, aux échanges et aux rituels qui ont rendu possible la transaction.
Mise en scène et mise par écrit d’une transaction judiciaire
16Pour comprendre le déroulement des négociations et le processus d’enregistrement de ces transactions judiciaires, le choix s’est porté sur un acte de Freising daté du 9 janvier 849, à la fin de l’épiscopat d’Erchanbert (836-854)20.
17Le conflit oppose le prêtre Erchanfrid à l’évêque de Freising. Erchanfrid revendique des terres situées à Singenbach et à Ried, 50 kilomètres au nord de Freising, que son père a accordées en donation pro anima plusieurs décennies auparavant. Mais « poussé par le diable et par de mauvais conseils », Erchanfrid les a accaparées. Ce sont ces propriétés que l’évêque de Freising lui réclame au cours d’un plaid tenu en janvier 849 en présence de pas moins de quatre-vingts personnes. Le règlement judiciaire a fait l’objet d’une assez longue notice, dont l’intérêt réside justement dans le luxe de détails qu’elle livre sur les négociations ayant abouti à la transaction. La notice laisse apparaître plusieurs étapes :
l’acte est dépourvu de préambule (arenga) et débute avec la notification (cum constet…) ;
l’exposé relate la contestation faite par le prêtre Erchanfrid de la donation pieuse faite par son père un demi-siècle plus tôt, « du temps de l’évêque Atto », en 784, à Singenbach et Ried ;
suit l’altercatio. Poussé par le diable et de mauvais conseils, Erchanfrid a remis en cause la donation paternelle, revendication qui a motivé la convocation du tribunal épiscopal, à Tandern, à proximité du lieu du litige. L’évêque Erchanbert peut compter sur une assistance nombreuse, composée des « Huosi et de nombreux nobles » qui confirment son bon droit, mais il dispose aussi de témoins et de chartes qu’il est en capacité d’utiliser face à son adversaire ;
éludant toute forme de procédure, le notaire souligne les modalités de la négociation. En effet, « surpassé par les lois, les témoins et les écrits » – manière de dire qu’il ne disputera pas les terres à l’évêque –, l’accusé Erchanfrid convoque des proches influents, les comtes Fridaratus et Rihhon « et d’autres », qu’il charge de négocier avec l’évêque ;
la seconde partie de la notice est introduite par l’adverbe tunc, employé pour souligner l’ouverture des débats. Devant le plaid, les deux parties sont représentées par leur avoué. Alors même que les phrases précédentes signalaient le souhait fait par Erchanfrid de négocier, on procède pourtant à l’accusation faite par l’avoué de l’évêque, Pilgrim, qui interpelle Waldgarius, avoué d’Erchanfrid devant l’assemblée, que le notaire retranscrit au style direct : « Rends la donation… » ;
malgré cela, aucun débat contradictoire n’a lieu, puisque l’accusé, décidé à négocier, livre à l’évêque sa professio et remet la propriété « dans la main de l’évêque et de son avoué », peut-être par la remise d’un objet symbolique (branche, fétu de paille, motte de terre…). Des gages sont remis à l’évêque, des garants et des témoins sont désignés, dont la liste figure à la fin de l’acte. L’affaire semble réglée. Toutefois, un délai est fixé pour la restitution formelle, qui représente un temps nécessaire, celui au cours duquel se négocient les termes de la transaction ;
une nouvelle réunion a alors lieu deux jours plus tard à Hilgertshausen, non loin de là, sur le lieu même du litige, pour la revestitura. Avec la restitution du bien, la confrontation est remplacée par un dialogue entre les parties. L’évêque, désormais conforté dans son bon droit, interroge le prêtre sur la décision qu’il a prise. Aussitôt (econtra), celui-ci renouvelle la donation paternelle et y ajoute l’ensemble de ses propriétés, à l’exception de cinq dépendants et des acquêts. Au gage de bonne intention d’Erchanfrid, l’évêque, « non ingrat de sa miséricorde », répond en accordant la terre rétrocédée en précaire (in beneficium)21. Des témoins sont désignés, qui témoignent « par les oreilles tirées », selon la coutume bavaroise.
18Dans le manuscrit, la notice est suivie immédiatement d’un second compte rendu intéressant la même affaire, puisqu’il enregistre la vestitura des terres rendues par Erchanfrid. Devant vingt-huit témoins, son avoué, Waldgarius, remet à l’avoué épiscopal, Pilgrim, les terres qui composaient la donation paternelle. En retour, Erchanfrid reçoit les mêmes terres en précaire ainsi que les acquêts, c’est-à-dire les biens et profits acquis durant la période au cours de laquelle il a occupé la propriété, qui lui sont remis par dépôt rituel sur l’autel (« par la frange du corporal qui repose sur l’autel ») de l’église construite par son père sur le domaine de Singenbach.
19On a ici un type de transaction très classique pour le haut Moyen Âge : l’accusation d’occupation illégitime d’une terre est réglée dans le cadre d’un plaid épiscopal ; l’aveu rapide de l’accusé qui, parce qu’il a accepté de renoncer à ses prétentions, reçoit tout ou partie du bien litigieux en précaire. L’intérêt réside moins dans la transaction foncière elle-même que dans la description des mécanismes de la transaction judiciaire.
Mécanismes de la pratique transactionnelle
20La transaction judiciaire se négocie dans le cadre d’une communauté d’interconnaissances.
21On ne peut comprendre la réussite de la transaction sans prendre en considération les personnes mobilisées par les deux parties pour parvenir à leurs fins. Parmi les personnes présentes en 849 figurent « beaucoup de membres des Huosi », qui appartiennent à l’une des plus anciennes et des plus puissantes familles aristocratiques bavaroises, et dont font partie l’évêque comme l’accusé. Les Huosi sont également le principal bienfaiteur de l’église épiscopale de Freising22. Leur présence au plaid s’explique donc par leurs liens de parenté avec les parties, par leur relation privilégiée avec l’église de Freising et par les intérêts qu’ils ont dans la gestion des terres patrimoniales. En effet, dans la Bavière post-agilolfingienne, les églises constituent en quelque sorte des « bureaux de cadastre de la noblesse » ; pour cette raison, les familles de l’élite continuent à conserver un droit de regard sur les terres patrimoniales qui ont pu être transmises aux églises23. Leur présence massive s’explique surtout par la volonté de la part de l’évêque de faire céder son adversaire : leur nombre renforce le caractère public de l’accord et met sur Erchanfrid une pression supplémentaire. Il en est de même des nobles de son entourage, de rang comtal, qui sont sollicités pour intervenir comme médiateurs entre les deux parties, avec qui ils sont liés, ce qui facilite ladite négociation. Dès lors, lorsque s’ouvre le plaid, la position de l’évêque est assurée, ce qui laisse le champ libre à la négociation de la transaction.
22On le voit, la composition des plaids est une condition essentielle du succès des transactions judiciaires. Dans ce plaid réuni à Tandern en 849, le plaignant, le défendeur, les médiateurs et une partie de l’assistance appartiennent au même groupe familial, ce qui contribue à lubrifier les relations sociales. Il faut ajouter à cela le fait qu’à Freising – comme ailleurs, à Redon par exemple – les assemblées judiciaires mobilisent des groupes d’interconnaissance. Ainsi, les mêmes individus peuvent intervenir tantôt comme juge, tantôt comme boni homines, témoins, garants, etc.24. Le nombre et la réussite des transactions judiciaires à l’époque carolingienne s’expliquent par le fait que les règlements judiciaires se jouent dans le cadre d’une communauté judiciaire, caractérisée par une certaine homogénéité sociale, des intérêts communs25. Le nombre de participants, de témoins ou de cojureurs est également essentiel à la réussite de la transaction : pour les parties en conflit, la présentation de ces témoins ou cojureurs est l’occasion de faire la démonstration publique de leur bon droit, mais aussi et surtout de dévoiler le nombre et la qualité de leurs soutiens.
Stratégies judiciaires
23Dans l’affaire mise en exergue, la volonté de traiter semble acquise avant même la tenue du plaid ; c’est en tout cas ce que suggère le notaire Paatto en affirmant que très vite (iam) « ledit prêtre vit qu’il ne pourrait obtenir ce bien… ». Malgré cela, le scribe s’applique à conformer le récit du plaid au protocole judiciaire, de manière à montrer que les magistrats respectent les règles du jeu processuel, quand bien même le procès serait déjà réglé en amont. La transaction y gagne une certaine force normative, quand l’évêque y voit, lui, une occasion de conforter juridiquement ses droits26. Dans cette notice comme dans l’ensemble des actes de la pratique judiciaire du haut Moyen Âge, la procédure est le parent pauvre. L’affaire nous en fournit une explication : derrière ce vernis de procédure, on observe que les transactions prennent le pas sur la procédure.
24Pourquoi transiger plutôt que chercher à obtenir gain de cause, et pourquoi le faire dans le cadre judiciaire ? Le notaire affirme que la position d’Erchanfrid s’est vite révélée intenable, qu’il « était surpassé par les lois, les témoins et les écrits ». En effet, la Loi des Bavarois comme la norme conciliaire stipulent que les donations aux églises doivent faire l’objet d’un acte écrit27. L’évêque a selon toute vraisemblance l’acte en main – l’acte de donation, daté de 784, est d’ailleurs conservé dans le Liber traditionum28 –, et il est peut-être en capacité de faire témoigner, sous serment si nécessaire, certaines des personnes qui ont corroboré l’acte de donation, même si un certain nombre des témoins a sans doute disparu depuis. Pourtant en position de force, Erchanbert ne présente ni l’acte écrit, ni ne fait témoigner quiconque. L’élément central de la transaction me semble résider dans cette ligne, qui est d’ailleurs suivie de l’aveu de renonciation de l’accusé, introduit par le verbe tractare. Ainsi, l’évêque dispose de moyens de pression juridiques, mais ne présente ni charte, ni témoins. En y recourant, il prouverait devant tous son bon droit, démontrerait les torts de son adversaire. Toutefois, s’il est indéniablement en position de force, il ne dispose pas nécessairement des moyens coercitifs de récupérer le bien litigieux. Dès lors, la transaction s’inscrit dans le cadre des stratégies judiciaires : s’il va trop loin dans la démonstration de force, toute négociation sera impossible. Son but n’est pas de triompher ; il s’agit pour lui d’obtenir gain de cause, mais triompher serait contre-productif. Certes, ainsi que l’a justement souligné Bruno Lemesle, l’historien doit interpréter avec prudence le récit irénique que dressent les scribes des règlements judiciaires et garder à l’esprit que « les querelles ont sans doute moins pour fonction de restaurer du lien social que de manifester des résistances29 ». Néanmoins, si devant le tribunal chacun cherche à obtenir gain de cause, les parties prennent garde de ne pas écraser leur adversaire. La transaction judiciaire est à ce prix : en humiliant publiquement un adversaire, le vainqueur sacrifie toute chance de se réconcilier avec lui. L’évêque Erchanbert, dès lors qu’il a pris l’ascendant sur le prêtre Erchanfrid, a tout intérêt à ménager son honneur.
25La transaction ne se réduit pas à la restitution amiable de la propriété litigieuse. Une fois que la renonciation d’Erchanfrid est acquise, la transaction prend une autre dimension : l’auteur de la notice présente la restitution non comme la vestitura d’un bien usurpé mais comme une donation pieuse. L’accusé obtient de l’évêque l’autorisation de renouveler la donation que son père avait faite en 784, ce qui contribue à créer les conditions adéquates pour un règlement transactionnel. En effet, la configuration permet à l’évêque Erchanbert de se voir reconnaître publiquement la propriété litigieuse, du moins sa propriété réelle. Il pourra s’appuyer, en cas de litige, sur une nouvelle liste de témoins, qui ont assisté à la restitution. Quant à Erchanfrid, son geste lui donne l’occasion de nouer de nouvelles relations spirituelles avec l’église de Freising, dont il devient un bienfaiteur.
26Ainsi, la transaction judiciaire ne se fait pas à n’importe quel prix et dans n’importe quelles conditions.
La compétition, moteur de la transaction judiciaire
27La confrontation judiciaire telle qu’elle apparaît dans cet exemple place les acteurs dans une triple situation d’interaction, d’interdépendance et d’opposition. Dans ce contexte compétitif, les acteurs, parce qu’ils partagent des intérêts communs, élaborent des stratégies dans l’objectif de prendre l’ascendant sur leur adversaire mais sans rompre le lien social qui les unit. La dimension psychologique des interactions est prégnante. Elle repose d’abord sur la confiance, qui se traduit par exemple par l’absence de clauses comminatoires ou de prestations de serment, qui sont pourtant légion dans les actes bavarois du ixe siècle ; c’est peut-être dans cette fides que se trouve la vraie distinction entre la transaction judiciaire et le compromis. Elle mobilise ensuite le sacré : outre que le conflit porte sur des biens ecclésiastiques, la cérémonie de la vestitura illustre cette mobilisation du sacré, à travers la nappe d’autel servant à la remise symbolique du bien foncier à l’évêque30.
28Une seconde notice du Liber traditionum de Freising enregistre un type similaire de transaction, conclue en 807, mais présente de manière plus prégnante encore les conditions psychologiques, juridiques et rituelles nécessaires à l’accomplissement des transactions entre l’évêque de Freising et ses ouailles31. L’acte, assez court, enregistre la donation faite par le dénommé Hermperht à Bayrischzell, au sud-est du diocèse, sur l’Inn, sans doute dans le cadre d’une assemblée judiciaire à laquelle participent l’évêque Atto (784-811) et un juge local. De manière singulière, la notice se présente comme un aide-mémoire (breve commemoratorium) non pas de la donation – décrite de manière brève –, mais des circonstances qui l’ont motivée. La démarche est exceptionnelle, dans la mesure où les notaires ont d’ordinaire tendance à éluder les motivations des litigants lorsqu’elles ne leur sont guère favorables, maquillant ainsi des restitutions de biens usurpés en donations pieuses. Or, dans ce cas, la donation est le résultat d’un vol de bétail commis par Hermperht aux dépens de l’église de Freising. Mais malgré ce contexte, le récit insiste sur les conditions de la transaction, ainsi que sur les éléments indispensables à la réconciliation des parties, sans laquelle la transaction est impossible. Comme le notaire Paatto en 849, il attribue le geste du coupable à la tentation diabolique, évoque la médiation de plusieurs amici, chargés de négocier la réconciliation avec l’évêque, met en avant le geste miséricordieux de l’évêque qui pardonne la faute32. En agissant ainsi, l’évêque Atto met fin à la confrontation et ouvre la voie de la transaction. En effet, à ce pardon accordé par le prélat répond la donation « spontanée » (sponte) d’Hermperht. À aucun moment n’est mentionnée la restitution du cheval et des deux vaches volés par Hermperht, qui permettrait d’assimiler cette transaction à un échange, mais pas un échange comme les autres puisqu’entre dans la balance l’acte délictueux commis par Hermperht.
29Comme dans l’affaire précédente opposant Erchanfrid à l’évêque Erchanpert, plusieurs conditions indispensables à la négociation transactionnelle entrent en ligne de compte, que prend soin de mentionner l’auteur de la notice. Tout d’abord, l’honneur du coupable, sa fama, est préservé puisque le forfait commis est attribué à la tentation diabolique33. L’aveu et la restitution spontanée, fût-elle fictive, sont également des conditions nécessaires. Que l’accusé s’obstine et toute réconciliation sera compromise ; qu’il fasse amende honorable sans délai et l’évêque sera enclin à faire preuve de mansuétude. Certaines notices usent ainsi du champ lexical de la pénitence liturgique pour relater les regrets d’un coupable, qu’ils décrivent s’agenouillant au pied de l’autel, devant l’évêque… avant de recevoir le bien litigieux en précaire34. Ces gestes, qu’ils aient été feints ou sincères, étaient avant toute chose un « carburant idéologique » nécessaire à la réussite de la transaction, dont les enjeux étaient autant économiques que sociaux.
Quelles transactions pour quels usages ?
L’enjeu foncier
30Toutes les notices judiciaires contenues dans le Liber traditionum de Freising sont loin de donner un tel luxe de détails sur les débats judiciaires ; certaines tendent même à éluder les étapes de la procédure judiciaire pour se focaliser sur les transferts fonciers ayant ponctué les plaids. Toutefois, dans les règlements que nous qualifions de transactions judiciaires, les notaires prennent soin d’inscrire les actions qui ont rendu possible l’échange. Reste à s’interroger sur les motivations des protagonistes de ces transactions. Barbara Rosenwein, s’appuyant sur le corpus des actes clunisiens des xe-xie siècles, fait de la consolidation du lien social le moteur des transactions conclues entre les moines de Cluny et leurs voisins laïcs35. Toutefois, la transaction judiciaire est loin de constituer, à Cluny comme à Freising, le mode exclusif de règlement dans la mesure où un certain nombre d’altercationes n’aboutissent pas à des transactions judiciaires36. Barbara Rosenwein a cependant raison de replacer les échanges fonciers dans le cadre de l’économie du don, qui dévoile ici toute sa complexité37. La restitution du bien litigieux, parce qu’elle est publique et volontaire, est contrebalancée par un contre-don accordé par l’évêque. Le plus courant consiste en l’octroi du bien litigieux en précaire : l’évêque, qui s’est vu reconnaître la propriété effective du bien, en accorde la jouissance à son adversaire, étant attendu qu’il le récupérera à la mort du bénéficiaire. La précaire stipule donc la concession totale du bien, ce qui la différencie de la simple donation avec réserve d’usufruit qui, en outre, ne s’accompagne pas de contre-don38. À Freising, les actes n’enregistrent que des precaria oblata, puisque les terres concédées en précaire sont celles qui ont été offertes par les bénéficiaires à l’église. On peut, à ce propos, se demander pourquoi les scribes n’ont pas simplifié l’enregistrement en le réduisant à l’inscription de la donation et de la précaire.
Conflits fonciers ou conflits de normes ?
31Les propriétés ayant fait l’objet de revendications sont des terres patrimoniales, accordées en dons pro anima puis contestées une ou deux générations plus tard par les héritiers du donateur. Les conflits ne portent ni sur l’identité du propriétaire, ni sur les limites de propriété, mais sur les droits que les héritiers peuvent avoir sur ces biens après qu’ils ont été donnés. Pour Brigitte Kasten, ces revendications de l’hereditas sont légitimes au haut Moyen Âge, la donation d’un bien faisant naître un droit à l’usufruit en faveur du donateur, sous la forme d’un beneficium39. Toutefois, dans les sources bavaroises, l’insistance sur les différentes étapes rituelles qui aboutissent à la conclusion des transactions judiciaires tend à montrer que la concession des biens en précaire n’est pas un droit mais une gratification exceptionnelle accordée par l’évêque, lequel exprime ainsi que la precaria oblata relève de son pouvoir discrétionnaire.
32Il n’en demeure pas moins que le nœud des transactions judiciaires réside dans les rapports qu’entretiennent les litigants avec ces terres patrimoniales que leurs ancêtres ont concédées à l’église de Freising. En effet, dans la Bavière agilolfingienne, la famille ne renonçait pas complètement à la propriété sur une terre ou une église, même après qu’elle eut été l’objet d’un don dûment enregistré40. Ainsi, sous le régime ducal, le propriétaire se voyait accorder la jouissance des terres données à l’église. Or, à la fin du viiie et au début du ixe siècle, la Bavière subit une période de bouleversement politique et normatif. La chute du duc Tassilon III (788) et l’intégration de la Bavière au royaume carolingien ont modifié en profondeur la donne normative. À la faveur de la « mise en ordre carolingienne41 », l’église de Freising s’affranchit des coutumes en vigueur qui faisaient d’elle une propriété familiale42. Le droit franc permet désormais aux évêques de revendiquer la pleine propriété des terres accordées en donation. Les transactions judiciaires enregistrées dans le Liber traditionum sont le fruit de ce conflit de normes, par lequel s’opposent deux conceptions du droit foncier43. Ainsi, en 849, Erchanfrid considère que la terre donnée par son père en 784 (en présence du duc Tassilon) appartient à l’église de Freising, mais qu’il en conserve la jouissance en vertu du « droit des héritiers » (Erbwartenrecht)44. L’évêque Erchanbert, au contraire, entend appliquer les normes carolingiennes qui accordent au bénéficiaire d’une donation la propriété pleine et entière. On comprend alors mieux le grand nombre de conflits fonciers qui se sont élevés en Bavière après 788, comme la place prégnante occupée par les transactions judiciaires dans le Liber traditionum, qui impliquent les héritiers de donateurs aux évêques. Dans ces conditions, les épiscopats d’Atto (784-811), Hitto (811-834) et Erchanbert (834-854) représentent une période de transition dans la diplomatique de l’église de Freising. Avant 784, on trouve essentiellement des donations ; après 854, les actes sont composés de restitutions de biens litigieux et surtout d’échanges, permis par la législation royale de Louis le Germanique45. Une autre raison de la baisse brutale du nombre de transactions réside sans doute dans le fait qu’après l’épiscopat d’Erchanbert, le siège épiscopal échappe au groupe familial des Huosi, auquel appartenaient à la fois les donateurs, les litigants et les bénéficiaires, qui trouvaient dans les transactions judiciaires l’occasion de régler pacifiquement les conflits en préservant les intérêts du clan. On comprend alors mieux que dans l’acte de 849, l’ensemble de la parentèle participe au plaid, à la négociation comme à la vestitura ; on comprend également l’importance de l’aveu circonstancié fait par le coupable comme la responsabilité attribuée au diable, qui créent les conditions de la négociation. Enfin, ce contexte normatif justifie que les scribes présentent la concession du bien litigieux en précaire non comme un contre-don « naturel » – situation observable dans les actes antérieurs à 784 –, mais comme un acte de miséricorde accordé par l’évêque.
Conclusion. Enregistrer les transactions judiciaires
33Aucun témoignage écrit ne permet d’évoquer un quelconque usage en justice de ces actes. On l’a vu, les évêques hésitent même à recourir aux actes de donation (ou aux témoins qui les ont validés) qui sont en leur possession et qui leur permettraient de prouver leur bon droit. Alors, comment expliquer que les évêques de Freising aient accordé un tel soin à mettre par écrit ces actions juridiques, à les inscrire dans un Liber traditionum et à les conserver ? Les avis des historiens divergent sur l’interprétation à donner à ces enregistrements. Patrick Geary assimile les libri traditionum bavarois à des gesta episcoporum, puisqu’ils sont la collation des actes qui ont permis d’assurer la grandeur de l’église épiscopale, qu’ils sont organisés chronologiquement et que l’évêque en est le commanditaire46. Rosamond McKitterick ou Jachim Jahn leur attribuent une fonction liturgique : les actes recensent les « amis » de l’église épiscopale, parfois aussi leurs adversaires, notamment ceux qui ont refusé la conciliation, et fonctionnent comme des livres de confraternité, dont la rédaction – c’est le cas du livre de confraternité de Reichenau – est d’ailleurs contemporaine47. Laurent Morelle propose une interprétation plus pragmatique de la confection et de l’usage du Liber traditionum, qu’il considère avoir été destiné à un usage administratif et juridique. Certes, les libri traditionum n’ont aucune valeur probatoire, et seuls les actes originaux peuvent être présentés devant un juge. Toutefois, les évêques disposent d’un instrument capable d’exposer la reconnaissance de leurs droits, ainsi que d’une liste de témoins qu’ils peuvent convoquer devant un tribunal. Surtout, en une période où deux systèmes normatifs entrent en confrontation, l’enregistrement des actes de donation puis des transactions judiciaires portant sur ces mêmes donations leur assure la reconnaissance formelle de leurs droits fonciers.
34C’est l’inscription temporelle des actes qui permet de saisir les enjeux des transactions judiciaires. Les années 784-849 constituent une période de transition au terme de laquelle, à Freising, les intérêts ecclésiaux prennent le pas sur les intérêts familiaux48. Dans un contexte compétitif où s’entremêlent les intérêts familiaux, sociaux, économiques, juridiques et religieux, la transaction offre l’opportunité à l’évêque de défendre au mieux ses intérêts tout en ménageant ceux de l’aristocratie bavaroise. Le modèle conciliatoire se révèle alors un efficace instrument de la dynamique sociale.
Annexe
Documents
Document 1. Le prêtre Erchanfrid restitue à l’évêque de Freising les biens qu’il revendiquait de manière illégitime, et les reçoit en précaire (849)
Die Traditionen des Hochstifts Freising, vol. 1, 774-926, no 703 (849), éd. par Theodor Bitterauf, Munich (Quellen und Erörterungen zur bayerischen und deutschen Geschichte, 4), 1905, p. 589-590.
Complacitatio seu redditio Erchanfredi presbiteri ad Munninpahc et ad Reode.
a.
Cum constet, quia quam plurimis in Baiouuariae provinciae partibus incognitum non est, qualiter quidam presbiter nobilis Erchanfrid nomine traditionem proprietatis suae quod ei iure hereditaria pater suus dimisit et de fratribus suis participavit iam olim factam temporibus Attonis episcopi ad domum sanctae Mariae, sed instigante diabolo aliisque persuasoribus infrangere conatus est et detestare coepit atque negare hanc traditionem se numquam peregisse. Contigit namque Erchanbertum venerabilem episcopum placitum suum codixisse in loco qui dicitur Tannara ubi plurimi de Hosis vel alii quam plurimi viri nobiles insimul convenerunt hanc negationis falsitatem disrumpere et superare quod et ita factum est testibus veracis et scriptis. Iam dictus namque presbiter videns se ceptam rem non posse perficere, tulit secum in locum secretum Fridaratum comitem seu Rihhonem vel alii cum quibus causam suam consiliare voluit vidensque se legibus et testibus vel scriptis esse superatum tractavit cum ipsis et convertit pravum sensum atque confessus est priorem traditionem, intravit simul cum ipsis in concilium et cum resedissent, tunc inter alia surrexit Piligrim advocatus Erchanberti episcopi et interpellavit Uualdgarium advocatum predicti presbiteri dicensque : « Dimitte traditionem quam Erchanfrid fecit iam olim ad domum sanctae Mariae et postea iniuste abstraxit. » Ille vero videns se aliter agere non posse statim relaxavit in manus sepedicti episcopi et advocati sui Piligrimi. Fideiussores fuerunt Starcholf et Erchanfrid. Tunc querebat vestituram ab eo, ille vero confessus est altera die eum vestire quod ita et factum est. Post hanc vero vestituram Erchanbertus venerandus episcopus interrogatus iam dictum presbiterum, quid de sua causa consiliatum habuisset, et illa econtra rogans sibi licentiam dari renovabit priorem traditionem iterumque tradidit totum ex integro quod habuit, nihil pretermittens nisi mancipia V et conquesitionem suam. Supradictus namque venerandus episcopus non inmemor misericordiae suae concedebat illi hoc ipsum in beneficium usque in vitam suam ; post finem vero vitae suae sine illius hominis contradictione firmiter et inviolabiliter ad domum sanctae Mariae permansisset. Et isti sont testes qui hoc viderunt et audierunt quod factum fuit ad Tannarum : Inprimis Fridarat comes. Rihho comes. Ratolt comes. Managolt. Cotaperht. Piligrim. Purchart. Cunzo. [suivent 69 autres noms]. Actum in loco Tannara anno incarnationis domini DCCCXLVIIII. indictione VII. mense ian. V. id. ian. Et isti testes per aures tracti ad Helidkereshuson, quando Erchanfrid ipsam traditionem fecit : Pertolt. Uuichelm. Piligrim. Amoto. Uualdker. Uolmot. Alprihc. Meginfrid. Hruodperht. Otperht. Humperht. Jacob. Liutprant. Ippo. Sigahart. Stallo. Reginhoh. Actum est hoc ad Helidkereshuson in III. id. ian. Et ego Paatto indignus presbiter iussione Erchanberti episcopi annotavi et conscripsi.
b.
Isti sunt qui presentes fuerunt quod Uuadlker, advocatus Erchanfredi presbiteri vestivit Piligrimum advocatum Erchanberti episcopi ad Munninpah et ad Reode quicquid iure hereditario ad his duobus locis iuste et legaliter pertinere dinoscitur curtibus et curtiferis domibus aliisque aedificiis terris cultis et incultis marchis silvis pratis pascuis aquis aquarumve decursibus mancipiis iuste ad hoc pertinentibus.
Engildrud. Rihpald. Zeizhilt. Starcholf. Meginperht. Uuillihelm. Isangrim. Amoto. Erchanfrid. Eccho. Isanhart. Cundpald. Keio. Moricho. Gaganhart. Alius Caganhart. Hruodperht. Lantolt. Riholf. Oadalscalh. Amo. Cotaperht. Immino. Otperht. Einuuic. Adalpero. Similiter ad Tannarun vestivit quicquid iuste Erchanfredum constare de paretnibus et fratribus ad suam partem in ipsa basilica vel conquesitione cuncta eum pertinere debere dinoscitur per fimbriam palii iacentis super altare vestivit.
Traduction
Précaire et bénéfice du prêtre Erchanfrid à Singenbach et Ried (849).
a.
Qu’il soit connu de tous, dans les différentes parties de la province de Bavière, qu’un prêtre nommé Erchanfrid contesta la donation de la propriété que, du temps de l’évêque Atto, son père avait faite par droit d’héritage avec l’accord de ses frères, et qu’il avait donnée à Sainte-Marie [de Freising]. Mais poussé par le diable et par de mauvais conseils, [Erchanfrid] fut poussé à enfreindre, détourner et réfuter cette donation. Alors, lorsque se tint le plaid de l’évêque Erchanbert dans le lieu appelé Tandern, beaucoup de membres des Huosi et de nombreux nobles vinrent confirmer la fausseté de son intention, car le don avait été fait en présence de témoins et mis par écrit. Là, ledit prêtre vit qu’il ne pourrait obtenir ce bien, et prit avec lui dans un lieu secret le comte Fridaratus et Rihhon et d’autres avec qui il voulait s’entretenir, et voyant qu’il était surpassé par les lois, les témoins et les écrits, il traita avec eux et abandonna ses mauvais sentiments pour reconnaître la donation primitive. Il se présenta avec les mêmes au plaid afin qu’ils apaisent les choses.
Alors se leva Piligrim, avoué de l’évêque Erchanbert, qui accusa Waldgarius, avoué dudit prêtre, en affirmant : « Restitue la donation que fit Erchanfrid il y a déjà longtemps à Sainte-Marie, et dont il s’empara ensuite illégalement ». Celui-ci, voyant qu’il se pouvait agir autrement, la remit dans la main de l’évêque et de son avoué. Les fidéjusseurs furent Starcholf et Erchanfrid. Alors qu’il lui demandait la restitution formelle, il avoua qu’il le ferait un autre jour, ce qu’il fit. Après cette restitution, le vénérable évêque Erchanbert interrogeant ledit prêtre sur les biens dont il disposait, celui-ci au contraire s’interrogea sur le droit qu’il avait de renouveler sa première donation, et à nouveau renouvela la première donation, donnant tout ce qu’il avait, ne conservant que cinq esclaves et son acquêt. Alors ledit évêque, non ingrat de sa miséricorde, lui accorda cela en bénéfice jusqu’à la fin de sa vie. Après sa mort, ces biens demeureraient à Sainte-Marie sans contradiction de quiconque. Furent témoins ceux qui virent et entendirent ce qui fut fait à Tandern : le comte Fridarat, le comte Rihho, le comte Ratolt, Managolt, Piligrim… Et furent témoins par les oreilles tirées à Helidkereshuson, lorsqu’Erchanfrid fit sa donation : Pertolt. Uuichelm. Piligrim. Amoto. Uualdker. Uolmot. Alprihc. Meginfrid. Hruodperht. Otperht. Humperht. Jacob. Liutprant. Ippo. Sigahart. Stallo. Reginhoh. Moi, Paatto prêtre indigne j’ai écrit et noté, sur ordre de l’évêque Erchanbert.
b.
Furent présents ceux qui virent que Waldgarius, avoué du prêtre Erchanfrid, investit Pilgrim, avoué de l’évêque Erchanbert à Singenbach et Ried de ce que, par droit héréditaire, il estimait disposer justement et légalement dans ces deux lieux, à savoir des terres cultivées, des jardins et des maisons et autres édifices, des terres cultes et incultes, des forêts, prés, rivières et des esclaves.
[28 témoins]. De même, à Tandern, il investit Erchanbert de ce qu’il tenait de ses parents et de ses frères dans l’église et il fut reconnu de ce qu’il devait recevoir par acquêt et il remit tout cela par la frange du corporal qui repose sur l’autel.
Notes de bas de page
1 Sur les mécanismes judiciaires à l’époque carolingienne, L. Jégou, L’évêque, juge de paix. L’autorité épiscopale et le règlement des conflits entre Loire et Elbe (milieu viiie-milieu xie siècle), Turnhout, Brepols, 2011, p. 139-286 ; F. Bougard, La justice dans le royaume d’Italie de la fin du viiie au début du xie siècle, Rome, 1995, p. 119-229 ; Janet L. Nelson, « Dispute settlement in Carolingian West Francia », dans W. Davies et P. Fouracre (dir.), The Settlement of Disputes in Early Medieval Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 45-64. Sur la place des conflits fonciers dans la Bavière des viiie-ixe siècles, W. Brown, Unjust Seizure. Conflict, Interest and Authority in an Early Medieval Society, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 2001 ; G. Bührer-Thierry, « Formes de donations aux églises et stratégies des familles en Bavière du viiie siècle au xe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 111/2, 1999 (Les transferts patrimoniaux en Europe occidentale, viiie-xe siècle), p. 675-699 ; C. I. Hammer, « Land Sales in Eight- and Ninth-Century Bavaria : Legal, Economic, and Social Aspects », Early Medieval Europe, 6/3, 1997, p. 47-76.
2 Lex Visigothorum, II, 2, 10, éd. par K. Zeumer, Hanovre/Leipzig, 1902 (MGH, Leges, I/1), p. 87-88.
3 Formulae Sangallenses miscellanae, 5 et 10, éd. par K. Zeumer, Formulae merowingici et karolini aevi, Hanovre, 1886 (MGH, Formulae) p. 382 et 385.
4 « Transaction », dans J. A. Mirimanoff (dir.), Dictionnaire de la résolution amiable des différends (RAD/ADR) en matières civile, commerciale, familiale et sociale, Bruxelles, Larcier, 2015, s.v.
5 R. Le Jan, « Les transactions et compromis judiciaires autour de l’an mil », dans La justice en l’an mil, Paris, La Documentation française, 2003, p. 67-79.
6 Plus explicite que le vocable français, le terme anglais transactional renvoie aux relations interindividuelles.
7 M. Gluckman, « The Peace in the Feud », Past and Present, 7, 1955, p. 1-14 ; S. F. Nadel, Byzance noire. Le royaume des Nupe au Nigéria (1965), Paris, Maspero, 1971 ; E. E. Evans-Pritchard, Les Nuer. Description des modes de vie et des institutions politiques d’un peuple nilotique, Paris, 1968 [1re éd. 1937].
8 Brown, Unjust Seizure…, op. cit., n. 1.
9 P. Johanek, « Zur rechtlichen Funktion von Traditionsnotiz. Traditionsbuch und frühere Siegelurkunde », dans Peter Classen (dir.), Recht und Schrift im Mittelalter, Sigmaringen, 1977, p. 131-162 ; S. Molitor, « Das Traditionsbuch. Zur Forschungsgeschichte einer Quellengattung und zu einem Beispiel aus Südwestdeutschland », Archiv für Diplomatik, 36, 1990, p. 61-92.
10 Munich, Bayerischen Haupstaatsarchiv, Hochstift Freising Lit. 3a, http://daten.digitale-sammlungen.de/~db/bsb00003037/images/index.html, consulté le 27 février 2017.
11 J. Jahn, Tradere ad sanctum : politische und gesselschaftliche Aspekte der Traditionspraxis im agilolfingischen Bayern, dans Ferdinand Seibt (dir.), Gesellschaftsgeschichte. Festschrift für Karl Bosl zum 80. Geburtstag, vol. 1, Munich, 1988, p. 400-416.
12 G. Bührer-Thierry, « De la traditio à la commutatio : sens et pratiques de l’échange à Freising du viiie au xie siècle », dans I. Fees, Ph. Depreux (dir.), Tauschgeschäft und Tauschurkunde vom 8. bis zum 12. Jahrhundert/L’acte d’échange, du viiie au xiie siècle, Cologne, 2013, p. 217-238.
13 M. Banniard, « Niveaux de compétence langagière chez les élites carolingiennes : du latin quotidien au latin d’apparat », dans François Bougard, Régine Le Jan, Rosamond McKitterick (dir.), La culture du haut Moyen Âge, une question d’élites ?, Turnhout, Brepols, 2009, p. 39-62, ici p. 45-46.
14 Ibid., p. 47-48.
15 Die Dorsualnotizen der älteren St. Galler Urkunden, éd. par O.-P. Clavadetscher, P. Staerkle, Saint-Gall, 1970 ; C. Bruckner, Die Vorakte der älteren St.Galler Urkunden, Saint-Gall (Urkundenbuch der Abtei Sanct Gallen, Ergänzungsheft, 1), 1931 ; M. Borgolte, « Chronologische Studien an den alemannischen Urkunden des Stiftsarchivs St. Gallen », Archiv für Diplomatik, 24, 1978, p. 54-201.
16 B. Zeller, « Writing Charters as a Public Activity : the Example of the Carolingian Charters of St Gall », dans M. Mostert, P. S. Barnwell (dir.), Medieval Legal Process : Physical Spoken and Written Performance in the Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2011, p. 27-37, ici p. 32.
17 L’expression est empruntée à P. J. Geary, « Land, Language and Memory in Europe, 700-1100 », Transactions of the Royal Historical Society, 6th series, 9, 1999, p. 169-184, ici p. 175. Voir aussi W. Brown, « When Documents are Destroyed or Lost : Lay People and Archives in the Early Middle Ages », Early Medieval Europe, 11/4, 2002, p. 337-366 et Medieval Legal Process…, op. cit., n. 15.
18 J. Merkel, « Das firmare des bairischen Volksrechtes », Zeitschrift für Rechtsgeschichte, 2, 1863, p. 120-122.
19 L. Morelle, « The Metamorphosis of Three Monastic Charter Collections in the Eleventh Century (Saint-Amand, Saint-Riquier, Montier-en-Der) », dans K. Heidecker (dir.), Charters and the Use of the Written Word in Medieval Society, Turnhout, Brepols, 2000, p. 171-204.
20 Die Traditionen des Hochstifts Freising, vol. 1. : 774-926, éd. par Th. Bitterauf, Munich (Quellen und Erörterungen zur bayerischen und deutschen Geschichte, 4), 1905 [désormais LTF], no 703, p. 589-590. Le texte et sa traduction figurent en annexe.
21 La précaire est une catégorie d’actes diplomatiques par laquelle, à la demande du bénéficiaire, le concessionnaire lui accorde l’usufruit d’un bien foncier pour une période déterminée (généralement jusqu’à sa mort) mais en conserve la propriété.
22 W. Störmer, Adelsgruppen im früh- und hochmittelalterlichen Bayern, Munich, 1972, p. 92-111.
23 J. Jahn, Tradere ad sanctum…, op. cit., n. 10.
24 Pour se limiter au Liber traditionum de Freising, on peut citer le cas d’un dénommé Ellanperht. Il est mentionné pour la première fois en 806 dans une liste de témoins dressée à la suite d’une convenientia ; il intervient ensuite toujours avec le titre de juge (judex), qui est un titre peu fréquent dans les actes bavarois, ce qui offre la possibilité de l’identifier plus aisément. En tant que juge, il siège lors des plaids aux côtés de l’évêque ou du comte, mais intervient surtout une quarantaine de fois comme témoin privilégié (sous la mention Testes… inprimis Ellanperht judex) puis comme enquêteur. Il fait jurer sur les reliques, assiste aux conciles… À partir de 815, il est parfois dénommé comte et juge : LTF, nos 237, 223, 227, 231, 232, 235, 240, 241, 242, 245, 247, 250, 251, 274, 282, 284, 293, 298, 299, 343, 347a, 374, 397a, 434c, 445, 457, 470, 463, 474a, 475, 476, 480, 483, 507, 510, 543, 544.
25 Sur la notion de communauté judiciaire, voir J. Weitzel, Dinggenossenschaft und Recht. Untersuchungen zum Rechtsverständnis im fränkisch-deutsch Mittelalter, 2 vol., Cologne/Vienne, 1985 ; L. Jégou, « Scabini, témoins, boni homines…, acteurs de la communauté judiciaire à l’époque carolingienne », dans J. Péricard (dir.), La part de l’ombre. Artisans du pouvoir et arbitres des rapports sociaux (viiie-xve siècle), Limoges, 2014, p. 41-55. La réalité carolingienne trouve des échos dans la community justice américaine : cette procédure juridique transactionnelle reflète la volonté de la part des juges et des autorités publiques d’établir une collaboration entre les praticiens de la justice et les communautés locales, pour mieux faire accepter les décisions judiciaires et favoriser la réconciliation entre les parties.
26 N. Dion, « Les forces de la médiation, variations libres », dans C. Thibierge et alii (dir.), La force normative. Naissance d’un concept, Paris, 2009 ; A. Supiot, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du droit, Paris, 2005, p. 137-142.
27 Lex Baiwariorum, 1, 1, éd. E. von Schwind, Hanovre, 1926 (MGH, Leges, V-2), p. 268 ; Concilium Dingolfingense (ca. 770), c. 6, éd. A. Werminghoff, Hanovre, 1906 (MGH, Concilia, II-1), p. 95.
28 LTF, no 118 (784), p. 130-131.
29 B. Lemesle, Conflits et justice au Moyen Âge, Paris, Puf, 2008, p. 121 ; id., « Les querelles avaient-elles une vocation sociale ? Le cas des transferts fonciers en Anjou au xie siècle », Le Moyen Âge, 115, 2009, p. 337-364.
30 Sur la mobilisation du sacré dans la compétition, Ph. Depreux, F. Bougard, R. Le Jan (dir.), Compétition et sacré au haut Moyen Âge. Entre médiation et exclusion, Turnhout, Brepols, 2015, en particulier R. Le Jan, « Introduction. Compétition et sacré : médiation et exclusion », p. 5-15.
31 LTF, no 259 (807), p. 232.
32 Un autre exemple, particulièrement évocateur relate que « l’évêque très bon [benignissimus], mû par la miséricorde, ne voulut les priver de tout leur héritage ni en faire des déshérités, mais s’inquiéta de leur pauvreté et permit, pour cette raison, que soient restituées ces trois tenures » : ibid., no 626 (837), p. 533.
33 Sur la nécessaire préservation de l’honneur pour la réussite des transactions judiciaires, G. Althoff, « Compositio. Wiederherstellung verletzter Ehre im Rahmen gütlicher Konfliktbeendigung », dans K. Schreiner, G. Schwerhoff (dir.), Verletzte Ehre. Ehrkonflikte in Gesellschaften des Mittelalters und der frühen Neuzeit, Cologne, 1995, p. 63-76.
34 LTF, no 284 (808) : Tunc vero eadem presbiter nomine Unarc videbat, quod nequaquam optinere potuit quod volebat ; paenitentia conpunctus atque cum iusto iudicio superatus veniebat ante Attonem episcopum seu cunctam congregationem sancte Mariae sive alii multi qui huc venerant ad testimonium. Dicebat, quod iniuste hoc fecisset et precabat, ut indulgentiam ei dare dignaretur, et ille iam dictus presbiter coram omnibus prostratus iacebat ante altare sancte Mariae et confessus est se mentisse omnia verba quibus contradicebat domui sanctae Mariae ; ibid., no 702 (ca.848-853), p. 588-589 : Quadam die contigit Christo propitio divina Piligrimum suscepisse monita, quod pro causa tradita ad domum sanctae Mariae sine contentione adquisitio vestiture daretur. Ista cunpunctione Piligrim commotus ad episcopum Erchanbertum pervenit…
35 B. H. Rosenwein, To Be the Neighbour of Saint Peter : The Social Meaning of Cluny’s Property. 909-1049, Ithaca/Londres, 1989 ; ead., Th. Head, S. Farmer, « Monks and Their Enemies : A Comparative Approach », Speculum, 66, 1991, p. 764-796, ici p. 769-777.
36 Pour une remise en cause de ce paradigme, voir P. Henriet, « La propriété clunisienne comme ciment social », Le Moyen Âge, 98, 1992, p. 262-270 ; B. Lemesle, « Les querelles avaient-elles une vocation sociale ? », art. cité, n. 29.
37 Sur la pratique du don et son usage par les historiens, voir en dernier lieu É. Magnani (dir.), Don et sciences sociales. Théories et pratiques croisées, Dijon, 2007.
38 L. Morelle, « Les actes de précaires, instruments de transferts patrimoniaux (France du Nord et de l’Est, viiie-xie siècle) », dans Les transferts patrimoniaux…, op. cit., n. 1, p. 607-647, ici p. 611.
39 B. Karsten, « Beneficium zwischen Landleihe und Lehen : eine alte Frage, neu gestellt », dans D. Bauer et alii (dir.), Mönchtum-Kirche-Herrschaft, 750-1000. Josef Semmler zum 65. Geburtstag, Sigmaringen, 1998, p. 243-260, ici p. 253-254.
40 Lex Baiwariorum, I, 1, op. cit., n. 25, p. 268. Sur cette pratique juridique, J. Jahn, Ducatus Baiuvariorum : Das bairische Herzogtum der Agilolfinger, Stuttgart, 1991, p. 409.
41 R. Le Jan, « Réseaux de parenté, memoria et fidélité autour de l’an 800 », dans ead., Femmes, pouvoir et société dans le haut Moyen Âge, Paris, Picard, 2001, p. 108-118.
42 G. Bührer-Thierry, « Des évêques, des clercs et leurs familles dans la Bavière des viiie-ixe siècles », dans F. Bougard, C. La Rocca, R. Le Jan (dir.), Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du patrimoine et mémoire au haut Moyen Âge, Rome, 2005, p. 239-264, ici p. 248.
43 Brown, Unjust Seizure…, op. cit., n. 1.
44 W. Ogris, « Erbwartenrecht », dans Handwörtenbuch zur deutschen Rechtsgeschichte, vol. 1, Berlin, 1971, col. 958-959 ; G. Bührer-Thierry, « Formes de donations… », art. cité, p. 675-699, ici p. 679. Il s’agit de ce que l’anthropologue Annette Weiner appelle des « possessions inaliénables », assimilables au groupe qui les possède et sur lesquels ils conservent un droit. Ces terres constituent un fondement de l’identité familiale (A. Weiner, Inalienable Possession. The Paradox of Keeping-While-Giving, Berkeley, 1992).
45 G. Bührer-Thierry, « De la traditio à la commutatio », art. cité, n. 11.
46 P. J. Geary, La mémoire et l’oubli à la fin du premier millénaire, Paris, Aubier, 1996, p. 131-160. L’examen du manuscrit révèle le caractère composite du recueil, mais cela tient à l’utilisation des blancs pour inscrire des documents postérieurs ou certains qui furent peut-être retrouvés a posteriori. On note également un souci d’inscrire des actes importants sans respecter l’ordre chronologique : la donation faite par Haholt et son fils Arn, futur archevêque de Salzbourg et missus impérial sous Charlemagne ; les donations faites par Tassilon à l’église de Freising… Cozroh a collationné les actes présents dans les archives de 744 à l’épiscopat d’Hitto, son commanditaire. Il les a groupés par épiscopat et a semble-t-il recopié les actes tels qu’il les avait trouvés dans les archives. Il a distingué les actes à la première personne des notices rédigées à la troisième personne, et a parfois rassemblé les actes qui avaient entre eux des similitudes de contenu. Ces choix ont dû rendre la consultation du codex particulièrement ardue.
47 J. Jahn, « Virgil, Arbeo und Cozroh : Verfassungsgeschichtliche Beobachtungen an bairischen Quellen des 8. und 9. Jahrhunderts », Mitteilungen der Gesselschaft für Salzburger Landeskunde, 130, 1990, p. 201-291, ici p. 241 ; R. McKitterick, History and Memory in the Carolingian World, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 156-185.
48 G. Bührer-Thierry, « Des évêques, des clercs et leurs familles », art. cité, n. 40.
Auteur
Laurent Jégou est maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (LaMOP, UMR 8589). Ses travaux portent sur l’histoire de la justice et l’épiscopat du haut Moyen Âge. Il est l’auteur de L’évêque juge de paix. L’autorité épiscopale et le règlement des conflits entre Loire et Elbe (viie-xie siècle), Turnhout, 2011.
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