L’impact des religions chrétienne et musulmane sur le paysage urbain de Syrie-Palestine (ive-viiie siècle) : Le cas des églises et des mosquées
p. 167-181
Résumés
Après une brève présentation du contexte, nous mettrons en évidence les adaptations de l’architecture urbaine concernant l’organisation des nouveaux espaces liturgiques des villes de Syrie-Palestine, de la christianisation (période proto-byzantine) à l’islamisation (période omeyyade). Nous relèverons ainsi les répercussions sur le paysage urbain de la lutte du christianisme contre le paganisme préexistant pour, ensuite, proposer une évolution du processus de christianisation, du ive au viie siècle, avec le cas des églises. Enfin, nous mettrons en perspective les termes de l’implantation – et non de la lutte – de l’islam face au christianisme, du viie au viiie siècle, avec le cas des mosquées. Ces phénomènes seront observés à Damas avec l’étude du temple de Jupiter Damascène devenu une église dédiée à Saint-Jean-Baptiste puis une mosquée omeyyade.
After a short presentation of the context, we will highlight the adaptations of urban architecture within the organization of new liturgical spaces in Syrian-Palestinian cities, from Christianization (proto-byzantine period) through to Islamization (Omayyad period). This will help to reveal the impact of the Christian fight against the pre-existent paganism on the urban landscape and show the evolution of the Christianization process from the ivth to viith century A.D.—with the case of churches. Finally, we will cover the establishment—not the fight—of Islam at the hands of Christianity from the viith to viiith century A.D., with the case of mosques. This phenomenon will be highlighted with a survey of Jupiter’s temple at Damascus which became a church dedicated to Saint John the Baptist and then, an Omayyad mosque.
Entrées d’index
Mots-clés : Syrie-Palestine, paysage urbain, paganisme, église, christianisme, islam, christianisation, islamisation, mosquée, période proto-byzantine, période omeyyade
Keywords : Syria-Palestine, urban landscape, paganism, Islam, christianization, churches, islamization, mosques, proto-byzantine period, Omayyad period
Texte intégral
1La Syrie-Palestine était l’une des régions les plus convoitées du Proche-Orient au haut Moyen Âge et un enjeu majeur, à la fois pour les empereurs romains d’Orient à la période proto-byzantine, ainsi que pour les Omeyyades à l’époque proto-islamique. Cette région doit notamment son rayonnement à sa localisation, des plus stratégiques1. Elle joue alors un rôle politique, économique, religieux et social majeur au sein du Proche-Orient. La période proto-byzantine, comprise entre le ive et le viie siècle, est marquée par la domination du christianisme2, le développement de l’église étant nettement visible au sein du territoire urbain. Au début du viie siècle, les Arabo-musulmans, alors à la recherche de nouveaux territoires, se lancent à la conquête de la Syrie-Palestine, pour des raisons géographiques et économiques incontestables (Ducellier et Micheau, 2000, p. 25). Elle tombe en 638 après que les troupes arabes, menées par le général Khâlid ibn al-Walîd (584-642), ont écrasé l’armée byzantine à la bataille du Yarmuk en 6363. Dès lors, l’époque omeyyade (650-750), marquée par l’essor de l’islam, voit l’implantation des mosquées au sein des villes, traduisant ainsi le triomphe de la religion musulmane.
2Les chrétiens, puis les musulmans, ont donc adapté le territoire urbain syro-palestinien, l’implantation de ces deux religions au sein des villes étant marquée par la multiplication des édifices de culte. Les églises, puis les mosquées, ont donc eu un impact considérable sur l’aspect du paysage urbain.
3Cette communication a pour objectif d’exposer les modalités d’adaptation du territoire urbain en fonction des nouveaux enjeux religieux.
« Imposer » le christianisme au sein du milieu urbain païen de Syrie-Palestine
4Le christianisme se développe au milieu du ive siècle en Palestine, véritable berceau de la religion chrétienne (Walmsley, 1996, p. 131). De cette province se diffuse la religion chrétienne qui atteint alors les autres régions du Proche-Orient, essentiellement à la fin du ive siècle. Dès l’avènement du christianisme, quelques églises, modestes, sont construites au sein des villes afin d’implanter cette nouvelle religion au cœur d’un paysage essentiellement païen. Les lois adoptées contre le paganisme par l’empereur Théodose Ier en 391 et par ses successeurs favorisent incontestablement l’essor du christianisme, dès lors que les cultes des païens sont interdits et que leurs temples sont fermés (Tsafrir et Foerster, 1997, p. 110). Actes symboliques de cette lutte du christianisme sur le paganisme, certains temples païens furent détruits ou démantelés. Les chrétiens tentent également d’éradiquer les symboles païens, seuls quelques décors subsistent mais dans un but essentiellement décoratif (Tsafrir et Foerster, 1994, p. 102). Les représentations perdent alors toutes notions religieuses et habillent les lieux publics comme les rues à portiques ou les thermes.
5Le ve siècle marque l’essor de la religion chrétienne. Les églises se multiplient au sein du milieu urbain syro-palestinien afin de répondre aux besoins de la communauté chrétienne qui se devait d’avoir d’importants lieux de culte à disposition. Afin de favoriser la christianisation du territoire, les églises se développent essentiellement au sein des pôles urbains à des emplacements stratégiques comme près des structures économiques et commerciales4. Quant au paganisme, il disparaît progressivement du paysage urbain à partir de cette période. Les églises s’imposent alors au sein des villes, certaines sont même construites sur les ruines des temples païens comme ce fut le cas à Scythopolis où une église de plan circulaire d’un diamètre de 40 mètres fut construite sur le temple de Zeus Akraios. Ce cas est suffisamment rare pour être relevé puisque les chrétiens évitaient de construire leurs édifices de culte sur les anciens temples car il était dit que ceux-ci étaient habités par le Mal (Tsafrir et Foerster, 1997, p. 111). En règle générale, ces derniers se contentaient surtout de remployer les blocs des anciennes structures païennes. Si les églises s’imposent face aux temples, il en est de même pour les structures publiques. Ainsi, la christianisation du paysage urbain est effective avec la disparition de bâtiments publics comme les basiliques ou avec le délaissement des agoras, les grandes places publiques des villes antiques. Ces lieux de rassemblement et de réunion n’avaient, en effet, plus lieu d’être dès lors que les églises les remplaçaient dans leurs fonctions en acquérant un rôle éminemment social. Cela montre la domination de l’église et le pouvoir considérable que les religieux, comme les évêques, pouvaient avoir au sein des villes proche-orientales (Tsafrir et Foerster, 1997, p. 116).
6L’implantation des églises révèle progressivement un nouvel urbanisme. Le plus souvent, le groupe épiscopal chrétien est localisé au centre de la ville proto-byzantine. Malgré cette présence marquée du christianisme, l’espace central urbain ne sera vraiment christianisé qu’au vie siècle (Dagron, 1977, p. 5-6). En effet, c’est à cette période que les constructions d’églises se multiplient, notamment sous le règne de l’empereur Justinien (527-565), où plus de 350 églises et chapelles furent identifiées en Syrie, en Palestine et en Arabie. La périphérie des villes proches-orientales devient tout aussi chrétienne avec des édifices cultuels comme les églises, les martyria, les chapelles, les baptistères ou encore les monastères qui abondent au sein des faubourgs (Dagron, 1977, p. 6). Le vie siècle marque donc la prise de possession, par le christianisme, des villes païennes proche-orientales. L’implantation du christianisme est présentée comme la victoire de la bonne religion sur la mauvaise. Pourtant, il n’y a pas eu de véritable substitution ou de conversion de masse. Au contraire, la christianisation fut un processus long qui s’étala sur près de deux siècles et qui fut loin d’être définitive (Dagron, 1977, p. 4).
7En effet, les constructions chrétiennes ralentissent à partir du viie siècle en raison de l’instabilité politique de la Syrie-Palestine qui subit raids, tentatives de conquête et guerres. L’avènement des Omeyyades dans le deuxième quart du viie siècle, suite à la Conquête islamique (632-644), freine la construction des églises. La communauté chrétienne restant importante, la plupart des édifices religieux sont conservés, entretenus et restaurés. Le nouveau régime arabo-musulman ne met donc pas fin au christianisme même si celui-ci va indéniablement décliner au fur et à mesure que l’islam va se développer.
Implanter l’islam au sein des villes chrétiennes de Syrie-Palestine
8L’avènement des Omeyyades (661-750) n’a pas eu de conséquences immédiates et importantes sur le paysage urbain de Syrie-Palestine. En effet, les Arabo-musulmans, en minorité, se sont surtout intégrés au sein des territoires nouvellement conquis, s’inscrivant dans la continuité plutôt que dans la rupture par rapport à la période proto-byzantine. La Conquête islamique du viie siècle apporta un territoire considérable aux Arabo-musulmans. Afin d’islamiser leur nouvel empire jusque-là byzantin et perse, ces derniers se sont tournés vers les villes qu’ils ont complétées par des structures plus adaptées à leur culture. Ils ont procédé alors à quelques changements et transformations afin que chaque ville dispose d’une mosquée, d’un suq – un quartier commercial permanent – et d’un hammam (Marçais, 1961, p. 65), bains puisant leurs origines dans les thermes antiques et qui furent adaptés aux préceptes de la religion musulmane qui préconise hygiène et ablutions avant les prières5.
9Les premières mosquées furent donc construites au viie siècle, dans le cadre de la Conquête islamique, au sein des villes, car l’islam, peut-être plus que toute autre, est une religion essentiellement urbaine, qui a eut besoin du système urbain pour se développer et pour s’imposer. Les premiers édifices religieux omeyyades syro-palestiniens étaient de petites dimensions (10 mètres de long environ) et peu nombreux car la communauté musulmane était assez limitée en nombre. Le processus d’islamisation fut donc assez lent et long, surtout en raison de la forte présence du christianisme. Pendant la période omeyyade, les communautés chrétienne et musulmane ont réussi à coexister sans mal. Par exemple, les deux religions ont, à plusieurs reprises, partagé le territoire urbain. Ainsi, en Syrie, une église et une mosquée se faisaient face à Alep tandis qu’une église et une mosquée occupaient un même bâtiment à Homs (Carver, 1996, p. 196). Le territoire à islamiser était conséquent, c’est pourquoi les premiers édifices religieux omeyyades ont tendance à avoir été construits à partir d’anciennes structures ou avec des blocs de remploi pour des raisons d’ordre pratique et de gain de temps.
10Néanmoins, il faut noter qu’il n’y a eu que très peu de transformations d’églises en mosquées, la communauté chrétienne étant fortement présente et influente à cette période en Syrie-Palestine. Les quelques rares à l’avoir été, le furent au viiie siècle, lorsque l’islam prit le dessus sur le christianisme (Behrens-Abouseif, 2002, p. 114).
11Les mosquées disposent des mêmes fonctions que les églises, à savoir un rôle social en tant que lieu de rencontre, de réunion et de sociabilité. Les mosquées ont également un rôle politique. Ainsi, certaines d’entre elles, selon leur emplacement géographique, au sein d’une capitale de province par exemple, étaient le lieu de cérémonies politiques et publiques importantes comme la bay’a, le serment d’allégeance fait aux dirigeants, la khutba, le sermon hebdomadaire pendant lequel le nom du dirigeant était reconnu, ou encore la cour de justice tenu par les qadis, les juges musulmans (Kennedy, 1985, p. 15). La mosquée pouvait également avoir d’autres fonctions, jusque-là occupées par des bâtiments publics. Ainsi la mosquée se présentait-elle également comme un centre d’éducation des sciences religieuses et juridiques et ce, jusqu’au début du xie siècle, date de l’apparition des premières madrasas (Kennedy, 1985, p. 16).
12La mosquée était donc une composante essentielle de la ville proche-orientale. En tant que lieu de culte, notamment, elle était indispensable à la communauté des croyants, c’est pourquoi elle était reconstruite ou restaurée dès qu’il le fallait et ce, même si la ville était en déclin, comme ce fut le cas de Scythopolis au viiie siècle (Tsafrir et Foerster, 1994, p. 115). Avec l’avènement des Abbassides en 750, le phénomène d’islamisation s’amplifia au sein des autres territoires urbains proche-orientaux. Les mosquées se multiplièrent et furent de plus grandes dimensions, répondant ainsi aux besoins d’une communauté musulmane en plein essor.
Le cas de Damas ou l’impact des religions
13Le cas de Damas nous permet de mettre en avant l’impact des religions chrétienne et musulmane sur le paysage urbain préexistant. En premier lieu, ce fut un temple de Jupiter puis l’édifice fut converti en église dédiée à Saint-Jean-Baptiste, avant de devenir une mosquée omeyyade qui servit de référence aux autres mosquées de l’empire musulman.
14Au ier siècle, Damas abritait un temple dédié à Jupiter Damascène disposant d’un téménos de 160 sur 100 mètres orienté est-ouest (Stierlin, 2002, p. 45). Le règne de l’empereur Théodose Ier à la fin du ive siècle vit la religion chrétienne officialisée avec l’interdiction du paganisme en 392 et l’empire romain christianisé. Dans ce contexte, le temple de Jupiter fut remplacé par une grande basilique consacrée à saint Jean-Baptiste qui prit place au centre du téménos romain, un acte des plus symboliques. L’édifice, abside comprise, mesurait 65 mètres de longueur pour 40 à 45 mètres de largeur (Stierlin, 2002, p. 54).
15La Conquête islamique de Damas en 635 vit le partage du téménos entre chrétiens et musulmans. Selon les chroniques arabes, les rites de chacun y étaient pratiqués, au sein du téménos romain ou dans des bâtiments mitoyens (Stierlin, 2002, p. 47). Il n’est pas possible de statuer sur cette information, à l’instar des panégyriques adressés par les poètes Nâbiga6 puis Farazdaq7 au calife al-Walid (705-715) :
Tu as arraché leur église du milieu de notre masgid8, enlevé ses fondations aux entrailles de la terre ; tandis que les fidèles se tenaient en prière, de l’église ne cessait de nous répondre les évêques ; clameurs de barbares, célébrant leur liturgie, comme au matin crient les hirondelles. Aujourd’hui triomphent la parole de vérité et l’appel véridique du livre d’Allah (Nâbiga).
Tu as opéré la séparation entre les chrétiens (priant) dans leurs églises et les adorateurs, prosternés au point du jour et aux premières heures de la nuit. Leurs oratoires se touchaient ; mais leurs fronts prosternés se tournaient, les uns vers Allah, les autres vers l’idole. Allah t’a inspiré d’éloigner leur église du masgid où l’on récite la bonne parole (Farazdaq).
16Vers 664, lorsque les Omeyades firent de Damas la capitale de leur empire, ces derniers tentèrent de s’emparer de l’ensemble du téménos et de l’église, à côté de laquelle aurait vraisemblablement été édifiée une première qibla et où se trouvait le mihrab des « Compagnons du Prophète9 », également localisé près du palais califal de Damas (Stierlin, 2002, p. 47). Les chrétiens refusèrent, sous les califats de Muawiya Ier (661-680) et d’Abd al-Malik (685-705), de céder la basilique Saint-Jean-Baptiste pour agrandir la première mosquée. En revanche, l’église ne résista pas aux ambitions du calife omeyyade al-Walid, connu comme l’un des bâtisseurs les plus importants des débuts de l’Islam10 qui souhaitait satisfaire la population musulmane, alors en plein essor.
17En 706, le calife al-Walid (705-715) entreprit la construction d’une mosquée digne de Damas et de l’empire omeyyade et fit ainsi démolir la basilique Saint-Jean-Baptiste afin de pouvoir y construire sa Grande mosquée (Stierlin, 2002, p 52). Si l’église ne fut pas convertie en mosquée mais détruite, c’est parce que cela permettait une plus grande marge de manœuvre pour l’orientation et les dimensions de la première mosquée, dimensions qui furent déterminées par le téménos romain, à savoir 160 mètres sur 100 mètres environ11.
18Le sanctuaire est doté de trois entrées. Courant à l’intérieur de la cour (ancien téménos), (fig. 1), un portique amène à deux portes correspondant aux entrées ouest (Bâb al-Barid) et est (Bâb Jayrun).
19Les portiques nord, est et ouest du téménos furent conservés avec néanmoins quelques ajouts. Ainsi, les tours chrétiennes orientale et occidentale furent surmontées d’un minaret (fig. 2), tandis qu’un autre minaret, ainsi qu’une porte dite « Bâb al-Faradîs », furent ajoutés au milieu du portique nord. En revanche, le portique sud fut entièrement remanié afin de pouvoir accueillir une nouvelle qibla, un nouveau mirhab (fig. 3), des travées pour la prière et une coupole centrale nommée qubbat an-Nassr, « coupole de l’aigle » (fig. 4), (Stierlin, 2002, p. 56).
20Enfin, trois pavillons d’époques différentes furent ajoutés au sein du téménos, devenu la cour de la Grande mosquée : une fontaine à ablutions en son centre (fig. 5), le Trésor, à l’ouest, sous la forme d’un édicule octogonal (fig. 6), et la tour dite de l’horloge « Burj as-Sa’ah », également octogonale, à l’est (Stierlin, 2002, p. 50, 52).
21L’origine du plan de la mosquée omeyyade de Damas pose problème. Son agencement peut être dû à la mosquée al-Aqsa de Jérusalem dès lors que l’aménagement de ces deux édifices s’est fait à partir de structures préexistantes, et plus précisément à partir d’un téménos déjà en place. Un plan similaire entre les mosquées omeyyades de Jérusalem et de Damas aurait donc été mis en œuvre selon le même type de contraintes.
22Une autre hypothèse peut être évoquée, à savoir le principe que tous les édifices religieux musulmans, la mosquée omeyyade de Damas y compris, tirent leur influence du plan de la mosquée de Médine, présentant une cour rectangulaire entourée de murs et une salle de prière formée par trois rangées transversales. Médine serait donc l’archétype duquel dérive le plan des autres mosquées.
23À Damas, l’influence des sphères chrétienne et syrienne aurait modifié le schéma initial de l’édifice omeyyade. C’est pourquoi on trouve de nouvelles caractéristiques qui vont servir de référence aux autres mosquées, à savoir une nef axiale, une triple entrée sur la façade du sanctuaire et un dôme au centre du transept12. Si Damas servit de modèle aux mosquées plus récentes c’est parce qu’elle a connu une grande notoriété dans l’ensemble de l’empire musulman, Damas ayant été la capitale de l’empire omeyyade.
La mosquée omeyyade de Damas peut être rattachée au style architectural et décoratif byzantin.
24Dans un premier temps, les architectes arabo-musulmans ont pratiqué le principe du remploi. L’église Saint-Jean-Baptiste fut donc démantelée avec soin. Ses colonnes et ses chapiteaux, déjà issus du temple de Jupiter, ainsi que ses arcs et ses arcades furent réutilisés et intégrés à la nouvelle structure religieuse omeyyade (fig. 7), (Stierlin, 2002, p. 56).
25Quant au décor, il était essentiellement composé de mosaïques. Sur fond d’or se détachaient des scènes champêtres exaltant la nature et figurant des demeures et jardins idylliques sans jamais représenter les hommes et les animaux (fig. 8), (Stierlin, 2002, p. 59-60). Plusieurs hypothèses existent quant à la signification de ces mosaïques. Il pourrait, par exemple, s’agir d’une représentation de la réalité ou une suggestion de domaines géopolitiques (Stierlin, 2002, p. 56-57).
26Pour d’autres, ces mosaïques évoquent le Paradis décrit dans le Coran (IX, 72) :
Dieu a promis aux croyants, hommes et femmes, des jardins qu’arrosent des cours d’eau. C’est là qu’ils demeureront éternellement. Il leur a promis des habitations délicieuses dans les jardins d’Eden.
27Enfin, certains n’y voient qu’une expression purement esthétique et réfutent toute interprétation plus ou moins symbolique. Ce décor est vraisemblablement le fait d’artistes byzantins dotés d’un important savoir-faire (Stierlin, 2002, p. 56-57). L’explorateur Ibn Battuta (1304-1369) mentionne d’ailleurs que :
L’émir des croyants, al-Walid […] demanda au souverain de Constantinople de lui envoyer des artisans. Il en reçut 12 000.
28Cette mosquée a donc, à bien des égards, de fortes influences byzantines. En effet, la Grande mosquée omeyyade de Damas s’inscrit dans la continuité de l’époque proto-byzantine – plutôt que dans la rupture – en usant d’éléments de remploi de la basilique chrétienne de Saint-Jean-Baptiste et en ayant recours à des mosaïstes byzantins ; mais aussi en conservant les mêmes rôles et fonctions, dès lors qu’église(s) et mosquée(s) se présentaient comme des lieux de prière, de sociabilité et de réunions publiques.
29Les seules différences notables tiennent surtout des pratiques religieuses qui ont des répercussions visibles sur l’organisation de l’espace. Ainsi, l’espace cultuel chrétien se déploie sur la profondeur tandis que l’espace cultuel musulman s’étend sur la largeur (Stierlin, 2002, p. 60). Cette différence résulte d’une conception divergente de l’exercice de la prière, les chrétiens se placent les uns derrière les autres selon un ordre préétabli tandis que les musulmans se placent les uns à côté des autres, sans expression
hiérarchique.
30La mosquée des Omeyyades de Damas se présente en fait comme une habile combinaison entre les traditions proto-byzantines et arabo-musulmanes, que ce soit par l’intermédiaire de son plan, de son architecture ou de son décor, traduisant ainsi une continuité entre les périodes proto-byzantine et proto-islamique.
31De manière générale l’avènement des Omeyyades n’a pas engendré de rupture avec le paysage urbain préexistant de Syrie-Palestine car les Arabo-musulmans se sont surtout contentés d’adapter le paysage, tout en conservant, le plus souvent, les édifices religieux chrétiens antérieurs. Les byzantins se sont, en revanche, démarqués de la période précédente et ont profondément changé l’aspect du territoire urbain en valorisant le christianisme au détriment du paganisme.
32Pour les chrétiens byzantins l’idée était de « s’imposer » alors que, pour les Arabo-musulmans, l’idée était plutôt de « s’implanter » dans un territoire.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 La Syrie-Palestine est une région du Proche-Orient bordée par la mer Méditerranée à l’ouest et par des zones désertiques à l’est, qui possède quelques reliefs imposants comme les chaînes du Mont Liban et de l’Anti Liban au sud. La région syro-palestinienne, essentiellement aride, doit incontestablement son rayonnement à ses cours d’eau, le Jourdain pour la Palestine mais surtout le Tigre et l’Euphrate pour la Syrie qui sont à l’origine de zones fertiles, comme la Djézireh au nord-est de la Syrie. La Syrie est particulièrement bien desservie, notamment par les axes de circulation Méditerranée-Mésopotamie et Asie Mineure-Arabie via Damas, ce qui favorise incontestablement le commerce, l’une des principales ressources de la région.
2 Par christianisme, on entend l’ensemble des courants chrétiens orientaux comme le chalcédonisme ou l’orthodoxie (les chalcédoniens reconnaissent la double nature du Christ, humaine et divine), le nestorianisme (les nestoriens distinguent les natures humaine et divine du Christ et reconnaissent la Vierge comme étant la mère du Christ et non la mère de Dieu), ou encore le monophysisme (les monophysites ne reconnaissent que la nature divine du Christ).
3 Cette lourde défaite engendre d’importants problèmes financiers, l’Empire romain d’Orient essaya alors plutôt d’éviter les combats. Dans ces conditions, de nombreuses villes furent laissées à leur sort et tombèrent progressivement aux mains des Arabo-musulmans, comme Jérusalem en 638.
4 Citons les édifices de culte chrétiens localisés près des ports, des marchés ou encore près des rues à portiques.
5 Ces trois composantes entraient dans la définition même de la ville islamique. Ainsi, une ville se devait d’avoir une mosquée, un suq et un hammam en son sein pour être définie comme telle.
6 Nâbiga est un poète contemporain du règne du calife al-Walid (705-715).
7 Farazdaq (641-728/730) est le poète officiel du calife al-Walid (705-715). Il n’est venu pour la première fois en Syrie que sous le règne du calife Soleiman (715-717).
8 Le terme masgid désigne, dans le vocabulaire du Coran et des débuts de l’Islam, un espace sacré à ciel ouvert.
9 Le mirhab indique la qibla, la direction de La Mecque. La qibla est aussi un élément architectural, il s’agit du mur dans lequel prend place le mirhab.
10 Le calife al-Walid ordonna la construction de trois mosquées congrégationnelles majeures, à savoir celles de Médine (710), de Damas (715), et de Jérusalem (715).
11 De par ses dimensions, la mosquée omeyyade de Damas est l’une des plus grandes mosquées connues à ce jour.
12 La présence du dôme au sein du transept est une caractéristique qui peut être rattachée aux églises de plan cruciforme ainsi qu’aux basiliques à coupole, attestant d’une influence chrétienne.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 8167 : Orient et méditerranée. Sujet de thèse : L’expression de la monumentalité au sein des villes de Syrie de Justinien aux Abbassides.
Directeur : A. Northedge. Soutenance prévue fin 2013.
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