Métamorphoses du Vieux Dieu sur le Haut Plateau Central mexicain
Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl : Adoption ou adaptation du Vieux Dieu de Teotihuacan ?
Résumés
Plongeant ses origines au Préclassique moyen (1220-500 av. J.-C.), le Vieux Dieu est l’un des plus anciens dieux connus du Haut Plateau Central mexicain. D’abord répandu et adoré à Teotihuacan, puis oublié durant le Postclassique ancien (650-1250 apr. J.-C.), il semble ensuite réapparaître au cours du xve siècle de notre ère, avec l’arrivée du peuple mexica. Dès lors, le Vieux Dieu est-il adopté ou bien adapté par ces nouvelles populations ?
À travers cet article nous proposons l’analyse du Vieux Dieu de Teotihuacan et de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl de l’époque mexica afin de mettre en relief les liens et les différences qui unissent ou désunissent ces deux types de représentations, séparées par 750 ans de troubles et de changements. L’analyse conjointe de l’iconographie, de la symbolique et des sources ethno-historiques conduit à formuler des interprétations et de comprendre la nature des liens qui existent entre ces deux dieux.
Taking its origins in Middle Formative (1220-500 B.C.), the Old God is one of the earliest gods identified in the Mexican Central Highland. First worshiped in Teotihuacan, then neglected during the Early Postclassic, it seems to reappear in the middle of the 15th century A.D. with the Mexica expansion. The issue can be phrased in this way: Has the Old God been adopted or adapted from the Teotihuacan pattern? The paper studies two types of representations, the Old God and Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl and attempts to explain the links between these two divinities, even though they aresepared by 750 years. Iconographic and symbolic analysis, as well as the ethnohistoric sources provide us with data that help to understand why the links are at the same time so close and so distended, although characteristic of both gods.
Entrées d’index
Mots-clés : archéologie du Bassin de Mexico, religion mésoaméricaine, iconographie, modalité de représentation, Vieux Dieu, Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl, Teotihuacan, Tenochtitlan, Xiuhtecuhtli, Huehuetéotl
Keywords : basin of Mexico archaeology, mesoamerican religion, iconography, representation pattern, Old God, Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl, Teotihuacan, Tenochtitlan, Xiuhtecuhtli, Huehuetéotl
Texte intégral
« Plus la religion change, plus elle reste la même. »
(Sahlins, 2000, p. 380)
1Puisant ses origines au cœur du Préclassique Moyen (1220-500 av. J.-C.), (fig. 1), la figure du Vieux Dieu est l’une des plus anciennes divinités identifiées du Haut Plateau Central mexicain (fig. 2). Durant près de 1500 ans, son iconographie s’affirme, ses représentations se répandent dans tout le Bassin de Mexico, et parfois bien au-delà. Apogée sublime à Teotihuacan où le culte du Vieux Dieu s’intensifie jusqu’à y devenir majeur.
2Sept cent cinquante ans passent et ébranlent le Haut Plateau Central. Teotihuacan s’effondre, le Vieux Dieu s’éclipse, mais l’influence de l’antique cité demeure à travers le Bassin de Mexico. Un peuple de migrants, le peuple mexica, érige sur le lac de Texcoco sa capitale Tenochtitlan (vers 1325 apr. J.-C.) et entreprend la conquête du Mexique central.
3C’est pourtant au sein de cette culture exogène que semble renaître la figure emblématique de l’époque classique (100-650 apr. J.-C.), le Vieux Dieu. On remarque, en effet, que les chroniqueurs font mention du « Vieux Dieu » à travers les écrits ethno-historiques. Ajoutons que l’archéologie et l’analyse iconographique des sculptures mexicas nous livrent des représentations nommées Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl (en nahuatl Xiuhtecuhtli signifie « Seigneur de turquoise » et Huehuetéotl « Vieux dieu » ou « Ancien dieu »).
4Dès lors, ce Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl est-il un héritage classique repris par la culture mexica ? Après avoir été honoré puis oublié, le Vieux Dieu est-il adopté ou adapté à partir du modèle de Teotihuacan ? Afin de répondre à ces interrogations, il nous est nécessaire d’identifier chacune des deux divinités, connaître leurs particularités iconographiques mais aussi leurs symbolismes et les mythes qui leur sont attachés. Ainsi, nous procèderons de façon chronologique en commençant notre étude par le Vieux Dieu de Teotihuacan et en l’achevant par l’analyse des Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl de Tenochtitlan. Ce n’est qu’ensuite que nous entamerons un travail de comparaison produisant des éléments de réponses et des pistes de réflexion.
Le Vieux Dieu de Teotihuacan
Les Vieux Dieux en pierre de Teotihuacan : caractéristiques iconographiques et standardisation
5De quoi parle-t-on lorsque les sources font référence au Vieux Dieu de Teotihuacan ? De façon assez systématique, le terme Vieux Dieu renvoie à un type bien précis de représentation. Il s’agit alors d’une sculpture en pierre, exclusivement d’origine volcanique, qui se compose de deux éléments essentiels : une figure anthropomorphe associée à un brasero (fig. 3). Nous définissons par brasero un réceptacle ou récipient caractérisé par une ouverture aussi large, sinon plus large, que le diamètre maximal observé à la panse. Il se trouve systématiquement placé au dessus de la figure anthropomorphe, donnant ainsi l’image d’un personnage portant sur sa tête un large brasero. L’association d’un homme et d’un brasero, formant ce que l’on nomme un « brasero effigie », constitue donc l’élément essentiel et caractéristique du Vieux Dieu de Teotihuacan.
6Complétant cette base, un ensemble de traits iconographiques se développe systématiquement sur les représentations en pierres. Ils concernent aussi bien la figuration humaine que le brasero. Ce dernier suit une division tripartite qui sectionne la paroi du brasero de façon horizontale. Nous observons donc deux petites bandes vierges qui encadrent une bande centrale plus large, comportant des motifs géométriques. Ceux-ci correspondent à un groupe de barrettes verticales (de deux à quatre éléments) alternant avec un motif rhomboïdal généralement complété en son centre par un cercle (fig. 4).
7Concernant à présent la figure anthropomorphe des sculptures de Vieux Dieu en pierre, nous pouvons diviser les caractéristiques iconographiques en deux catégories : ceux qui définissent le visage et ceux qui concernent le corps de la représentation. Tout d’abord, intéressons nous à la position générale du personnage. Le Vieux Dieu est représenté assis en tailleur, les mains en appui sur les genoux et le dos exagérément courbé. Remarquons que cette dernière caractéristique a pour particularité de mettre en avant le visage du dieu, et ce, au détriment du corps qui s’efface derrière une tête proéminente, voire pendante. En outre, le dos courbé est également un indice trahissant l’âge avancé du personnage. Cet aspect sénile se retrouve de façon beaucoup plus visible et marquante dans les traits de son visage. En effet, les représentations comportent toutes de nombreuses rides, sur les joues ou le front, et à cela s’ajoute une bouche entrouverte, presque béante, qui ne laisse apparaître que deux dents. En complément d’une iconographie insistant sur la vieillesse du personnage, la représentation d’yeux entrouverts et de larges oreilles parées d’ornements circulaires est très fréquente.
8Au-delà des caractéristiques iconographiques, ce qu’il faut retenir des représentations en pierre du Vieux Dieu de Teotihuacan, c’est la forte standardisation des sculptures. Un systématisme saisissant rend l’ensemble du corpus de pierre parfaitement homogène et cohérent. Ainsi, nous avons réalisé ce que nous pouvons appeler un « portrait robot » du Vieux Dieu en pierre à Teotihuacan durant l’époque classique, témoin, s’il en fallait, de l’existence d’une véritable modalité de représentation du Vieux Dieu.
Les Vieux Dieux en céramique de Teotihuacan : pluralité de formes et hiérarchisation
9Une forme singulière, le brasero effigie, respectant une iconographie très codifiée, voilà ce qui rend si particulier les Vieux Dieux de pierre de l’époque Classique. Cependant, cette modalité de représentation est-elle également valable pour les représentations en céramique ? Étant donné que nous ne pouvons pas ignorer près de la moitié des Vieux Dieux de Teotihuacan, il nous faut donc à présent étudier le corpus de représentations en céramique.
10Contrairement aux objets en pierre, les Vieux Dieux en céramique forment un ensemble hétérogène. En effet, nous remarquons que ces artefacts présentent une pluralité de forme, ainsi qu’une variété iconographique, totalement absentes du corpus des sculptures en pierre.
11Ce phénomène, bien qu’intéressant, ne sera pas traité ici mais nous allons nous en servir. Le problème est le suivant : notre corpus de pierre est tellement homogène que nous disposons d’un très grand nombre de critères iconographiques définissant notre objet d’étude. Toutefois, chacun de ces critères n’est pas particulier à la représentation du Vieux Dieu et la forte standardisation interdit toute hiérarchisation des critères. Avec le corpus en céramique, nous disposons d’artefacts plus librement conçus et qui, tout en changeant et variant les formes, ont gardé certains traits iconographiques les identifiant comme représentations de Vieux Dieu.
12Ainsi, l’étude de ce corpus nous permettra peut-être de discerner les critères déterminants et essentiels, de ceux qui sont subordonnés, pour la représentation du Vieux Dieu.
13Dans un premier temps, nous observons des représentations de Vieux Dieu en céramique reprenant le schéma classique des sculptures en pierre. Toutefois, chaque élément iconographique se trouve légèrement modifié, simplifié ou développé. On observe une tendance nette à la simplification des formes anatomiques et l’absence répétée d’ornements d’oreille et des deux dents. Nous voyons également se développer un bandeau intermédiaire entre le brasero et le sommet du crâne du personnage.
14Dans un second temps, nous allons analyser deux objets atypiques susceptibles d’affiner notre hiérarchisation de critères iconographiques. Le premier provient du quartier de Xolalpan (est de Teotihuacan). Il s’agit d’une figurine anthropomorphe en céramique, dont seule la partie supérieure est conservée. Pour la description du visage nous renvoyons à l’illustration (fig. 5) car nous nous attarderons principalement sur la coiffe du personnage. Chapeautant le visage ridé de la figurine, cette coiffe est composée de la représentation d’un rapace, certainement un aigle, portant des ornements d’oreille circulaires agrémentés de pendants. Au dessous de ce motif, un élément rectangulaire prend place au centre de la composition de la coiffe. Il est divisé horizontalement en trois sections avec une partie centrale alternant des motifs géométriques rhomboïdes et rectangulaires. En dessous se développent enfin deux bandeaux qui complètent la coiffe et matérialisent la séparation entre le visage du personnage et cette coiffe. Nous commençons par remarquer que les nombreuses rides confèrent un aspect sénile à la figure qui se trouve exacerbé par son apparence édenté. Mais, ce qui attire tout particulièrement notre attention, c’est l’absence de brasero. En effet, le modèle de brasero effigie semblait jusqu’ici bien particulier au Vieux Dieu et essentiel dans la représentation de la divinité. Or, aucun brasero, tel que nous les avons observés précédemment, n’est présent, ni ne semble avoir existé. Toutefois, nous l’avons vu à travers la description, la coiffe du personnage présente un élément strictement iconographique qui reprend tous les motifs et l’ordonnance ordinairement associés aux braseros des Vieux Dieux en pierre et leur réplique en céramique. D’autre part, la représentation d’un rapace, certainement un aigle, allégorie du soleil et du feu, semblant s’appuyer ou surgir de cet élément, restitue la symbolique du feu normalement incluse à l’objet brasero. Dès lors, tout semble indiquer que nous sommes en présence d’une schématisation de l’objet brasero, réduit aux traits iconographiques les plus caractéristiques. L’utilité du brasero n’est plus, mais son sens et sa symbolique sont restitués et mis en avant par l’ajout d’un rapace évoquant le feu.
15Enfin, intéressons nous à notre deuxième et dernier objet. Les collections de Teotihuacan comportent de très nombreux candélabres réalisés en céramique. La majorité est de facture simple mais quelques uns sont anthropomorphisés. Observons les particularités de ces objets à travers un exemple provenant des collections du musée du quai Branly (fig. 6). Celui-ci se caractérise tout d’abord par une forme ovoïde, voire rectangulaire et en son sommet sont modelés deux trous valant à cet objet d’être considéré comme un candélabre. L’aspect anthropomorphisé, cité précédemment, apparaît sur un des longs côtés de l’objet.
16Nous pouvons y observer une bouche, un nez modelé et saillant, ainsi que des yeux représentés par deux fines incisions. Nous remarquons que la forte schématisation du visage a épargné les rides. En effet, de nombreuses incisions complètent ce visage succinct, à la fois sur le menton les joues et peut-être même le front. Au dessus du front sont incisés, dans un large bandeau, les motifs géométriques déjà observés sur les représentations en pierre et parfois en céramique du Vieux Dieu. La première remarque que nous pouvons faire concerne justement ces motifs géométriques de barrettes verticales et de losanges complétés d’un cercle. Leur ordonnance et leur facture évoquent d’emblée ceux observés sur les Vieux Dieux en pierre. Ainsi, nous sommes à nouveau en présence d’une schématisation du brasero, l’objet disparaît mais il est évoqué au moyen d’un élément iconographique qui lui est lié. D’autre part, bien que le brasero soit absent, la fonction de l’objet comme candélabre est directement en rapport avec la flamme et le feu. Par conséquent, nous retrouvons, là encore, l’association des motifs géométriques avec la symbolique du feu. Enfin, en ce qui concerne cet objet, ajoutons que la schématisation extrême du visage met en valeur la présence des rides qui apparaissent comme étant l’élément déterminant et particulier qui donne une identité au visage.
17En synthèse, nous constatons que c’est par l’analyse des objets et des formes atypiques que nous sommes parvenus à saisir ce qui fait l’essence du Vieux Dieu de Teotihuacan : un vieil homme (critère iconographique) associé au feu (critère idéel, parfois iconographique) et à un symbolisme géométrique singulier (critère iconographique).
Les Vieux Dieux de Teotihuacan : la question de la modalité de représentation
18À la suite de ces analyses des braseros effigies de pierre et des Vieux Dieux en céramique, nous obtenons un schéma (schéma 1) qui s’organise autour du critère considéré comme étant essentiel dans la représentation d’un « Vieux Dieu » : le caractère anthropomorphe associé à un brasero ou à une schématisation de brasero. Ensuite, notre schéma s’organise de façon binaire selon deux axes pour ce qui est des caractéristiques liées au brasero ou à son image. La représentation anthropomorphe, quant à elle, observe une hiérarchisation simple et unique. Nous retrouvons ainsi schématisées nos observations précédentes. De la sorte, nous disposons de nombreux critères de représentation dont nous avons extrait les trois éléments fondamentaux : la vieillesse, le symbole igné et les motifs géométriques (encadrés sur le schéma).
Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl
19Au milieu du viie siècle de notre ère, Teotihuacan cesse d’être la cité hégémonique qu’elle fut pendant l’époque classique. Les causes, certainement multiples, sont encore obscures, mais les dernières hypothèses imputent cette chute à deux facteurs principaux : la faillite de l’économie de la cité et l’arrivée des populations nomades et guerrières du nord du Mexique (Manzanilla, 2001, p. 219). Par la suite, ces intrusions septentrionales vont se poursuivre avec l’arrivée de nombreux peuples appelés Chichimèques, littéralement « Peuple du chien », (Matos Moctezuma et Solis Olguìn, 2003, p. 402). La chute des Toltèques, au xiiie siècle, fait place à l’arrivée d’un nouveau peuple chichimèque dans le Bassin de Mexico : les Mexicas. Ce peuple va rapidement fonder « l’empire aztèque ». C’est au cours du xve siècle qu’apparaissent, à Tenochtitlan, capitale mexica, des représentations jusqu’alors inédites qui sont appelées Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl (López Lujan, 2005), autrement dit « Le vieux seigneur du feu ». C’est cette appellation qui a éveillé notre intérêt.
Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl : caractéristiques iconographiques
20Que désigne-t-on par Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl ? Première constatation, le contexte archéologique de ces représentations est très particulier puisqu’elles furent découvertes, à de rares exceptions près, dans des offrandes placées au cœur du Templo Mayor. On dénombre un minimum de 41 de ces effigies et l’analyse du contexte archéologique de ces offrandes a permis de mettre en relief la faible représentativité des figurations anthropomorphes. Ainsi, les 41 effigies occupent une place particulière dans les offrandes (López Lujan, 2005, p. 147-148). De plus, l’organisation très particulière des dépôts nous laisse penser que les représentations anthropomorphes sont le centre de cette organisation et que par là même elles pourraient « présider » les offrandes (López Lujan, 2005, p. 148). Enfin, elles sont toutes sculptées dans une roche volcanique en provenance du Bassin de Mexico (Guzman Acevedo, 2005, p. 342).
21En ce qui concerne leurs caractères iconographiques, elles se présentent généralement assises, genoux ramassés contre la poitrine, revêtant le maxtlatl (pagne), (fig. 7). Leurs visages sont caractérisés par des cavités oculaires vides et la bouche entrouverte laisse apparaître, dans la plupart des cas, seulement deux dents. Les représentations possèdent des ornements d’oreilles rectangulaires avec des pendants. Elles portent une couronne décorée de motifs circulaires. Celle-ci est complétée d’un oiseau stylisé qui serait le xiuhtototl « Oiseau de feu » ou le xiuhcoatl « Serpent de feu » sortant au-dessus du front. Leurs coiffes sophistiquées, positionnées à l’arrière de la tête, se composent d’un éventail régulier de papier attaché sur la nuque et de rubans, représentant des écailles de tortues, qui retombent le long du dos. La tortue est, à nouveau, présente par la figuration sur quelques sculptures de carapace de tortue sur le couvre-chef. Deux protubérances rectangulaires émergent de la tête, parallèles l’une de l’autre.
22Ainsi, nous retrouvons des attributs particuliers à Xiuhtecuhtli (couronne, xiuhtototl, ornements d’oreille rectangulaires) et d’autres plus généralement considérés comme des caractéristiques iconographiques divines (coiffe, position assise). Les deux protubérances qui apparaissent sur le haut de son crâne ont fait débat et leur signification reste assez obscure mais elles seraient probablement caractéristiques de l’iconographie de Xiuhtecuhtli et représenteraient peut-être les bâtons pour faire le feu. Ainsi, tout indiquerait qu’il s’agit bien de représentations du « Seigneur de turquoise ». Cependant, comme nous avons pu le remarquer au cours de la description, les effigies présentent deux caractéristiques inédites jusqu’ici dans la représentation du dieu du feu mexica. En effet, les lèvres laissent apparaître deux dents distantes l’une de l’autre, qui semblent suggérer que le dieu est édenté. D’autre part, nous avons pu constater que les yeux ne sont pas figurés et que les cavités ne semblent pas voir reçu d’incrustation. Il est possible que ce vide exprime la cécité du personnage (López Lujan, 2005, p. 133). Ensemble, ces deux caractéristiques confèrent un aspect sénile discret et particulier à la sculpture. C’est donc la combinaison des modalités iconographiques de Xiuhtecuhtli avec ces marques de vieillesse qui est à l’origine de l’appellation néologique Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl que Leonardo López Lujan leur prête dans ses travaux (López Lujan, 2005).
Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl : modalité de représentation, sources et réflexivité
23D’après toutes ces observations nous avons donc pu élaborer un schéma illustrant la modalité de représentation existante pour les sculptures de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl (schéma 2). Ce schéma récapitule les traits iconographiques liés à cette représentation. Les critères sont constants sans qu’une véritable hiérarchisation soit envisageable dans l’état actuel de nos connaissances. Ainsi nous avons organisé ce schéma en trois parties. La première fait état de la position et de la représentation du corps de la sculpture, la seconde donne la liste de l’ensemble des attributs et objets attachés à la divinité et enfin, la dernière, relève deux caractères iconographiques supposés exprimer la vieillesse.
24Toutefois, l’appellation de (Vieux seigneur du feu « Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl ») est-elle véritablement justifiée ? Revenons à la sculpture qui nous a servi d’exemple (fig. 7) afin d’analyser cet aspect précis. La représentation du corps, tout d’abord, affichant des proportions correctes semble plutôt présenter un homme en bonne forme physique et sans élément qui trahisse un âge avancé. Au contraire, on serait même tenté de penser à la vue de cette sculpture qu’elle représente un jeune seigneur, voire un jeune guerrier. La position est, en effet, celle des seigneurs et guerriers mexicas et ajoutons que sa tenue (dos droit, jambes parallèles et tête fièrement relevée) confirme l’impression de jeunesse et de force qui se dégage de cette représentation. Enfin, le visage même du personnage n’est pas celui d’un vieil homme : le visage présent des joues et des rondeurs finement sculptées où aucune ride ne vient contrarier un faciès jeune et impassible.
25Maintenant, analysons plus précisément les deux caractéristiques icono-graphiques qui seraient révélatrices de la vieillesse de ce Xiuhtecuhtli. La première, les deux dents affleurant de la bouche, est la plus manifeste. Elle procure un caractère sénile indéniable. La deuxième caractéristique, la cécité, n’est pas nécessairement liée à la vieillesse. Il s’agit plutôt d’une suggestion motivée par l’absence des yeux qui restent discrètement évoqués par une cavité oculaire vide. D’un point de vue un peu plus emic, le creux profond, en lieu et place de l’œil, laisse se développer une ombre et donne l’image d’un homme fermant les yeux. Cette interprétation iconographique remet en cause une cécité provoquée par l’âge. Cet homme ne voit pas mais nous ne pouvons imputer cela uniquement à la vieillesse. Ainsi, l’aspect sénile de l’entité ne serait marqué que par les deux dents saillantes et une hypothétique cécité.
26Enfin, les codex et autres sources ethno-historiques décrivent Xiuhtecuhtli sous les traits « d’un fort et jeune guerrier et dirigeant » (Miller et Taube, 1993, p. 189). Cette information vient expliquer l’apparente jeunesse de la sculpture observée précédemment. En outre, elle confirme l’existence d’un véritable paradoxe existant entre le registre iconographique de la vieillesse – certes peu développé – et celui de la jeunesse et de la guerre, en accord avec ce que nous apprennent les sources sur Xiuhtecuhtli. Par conséquent, pour quelles raisons ce Xiuhtecuhtli est-il affublé de motifs iconographiques évoquant la vieillesse ? L’appellation Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl se justifie iconographiquement mais ne trouve pas d’explication, a priori.
La mémoire en héritage ?
27Disposant des deux schémas synthétisant les résultats de nos analyses iconographiques, nous pouvons confronter les deux modalités de représentations. Cet exercice servira, dans un premier temps, à repérer s’il existe des liens iconographiques entre les deux entités et d’en évaluer l’importance. Dans un deuxième temps, nous ferons de même avec les liens idéels et dans un troisième temps, nous traiterons de la symbolique et de la mythologie des deux entités.
Liens iconographiques et liens idéels
28Commençons par comparer nos deux modalités de représentation (schémas 1 et 2). La première observation concerne les structures distinctes des deux schémas. Cette divergence est révélatrice d’une différence essentielle entre les deux modalités de représentation. En effet, en ce qui concerne le Vieux Dieu de Teotihuacan, nous sommes en présence d’une iconographie qui se développe autour de l’association atypique d’une figure anthropomorphe et d’un brasero, ou d’une simplification du brasero. Or, cet élément iconographique central disparaît dans la représentation des Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl. D’ores et déjà, l’absence du brasero rend délicate la suite de notre comparaison dans la mesure où nous comparons deux types de représentations fondamentalement différentes. Toutefois, la comparaison mérite d’être poursuivie car elle met en évidence un lien iconographique. Il s’agit du caractère édenté du personnage qui, quoique mineur dans la représentation du Vieux Dieu et n’apparaissant pas dans le schéma, réapparaît figuré sur les sculptures de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl. Ajoutons que l’iconographie de cet élément ne varie pas, ainsi, nous observons les deux dents affleurer les lèvres de manière identique sur les deux représentations. Toutefois, puisqu’il ne s’agit pas d’un critère caractéristique du Vieux Dieu, le lien iconographique est relativement négligeable. Enfin, le dernier constat comparatif est à considérer avec beaucoup de précautions. Comme nous l’avons souligné précédemment, il se pourrait que les Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl soient aveugles. Or à l’instar des yeux absents des sculptures post-classiques, les yeux entrouverts du Vieux Dieu suggèrent peut-être une cécité. Si ces suppositions sont correctes, nos deux entités partageraient, en tout et pour tout, deux critères iconographiques portant sur les yeux et les dents. Cependant, le dernier critère iconographique de la cécité est critique et incertain. Ainsi, les modalités de représentation sont différentes et, par corrélation, les liens iconographiques bien faibles entre les deux objets.
29Maintenant intéressons-nous aux idées véhiculées par l’iconographie de chacune des représentations. Le Vieux Dieu comporte un élément structurel déterminant qui est lié aux braises et au copal et de façon plus générale, au feu. Les candélabres et l’aigle, qui ont quelquefois remplacé le brasero, sont également des éléments iconographiques se rapportant au feu. En outre, les motifs géométriques, récurrents et essentiels dans la représentation du Vieux Dieu, seraient selon les dernières hypothèses, des symboles ignés exclusivement liés à cette entité (Winning, 1987, p. 111-114). Le feu occupe donc une place primordiale et apparaît comme l’idée principale véhiculée par l’image du Vieux Dieu. Les rides du personnage, critère iconographique dominant et exacerbé, sont révélatrices de sa vieillesse.
30Elles posent l’idée centrale de l’âge avancé du Vieux Dieu. Ainsi, pour l’époque classique à Teotihuacan, les idées fondamentales comprises dans l’iconographie du Vieux Dieu sont celles de la vieillesse et du feu.
31La représentation de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl combine trois thèmes iconographiques qui véhiculent chacun une idée différente. Le premier concerne les ornements (couronne agrémentée de cercles, deux protubérances sur la tête, pendants rectangulaires) portés par la sculpture qui, d’après les données ethno-historiques, suggèrent que nous sommes en présence de la divinité Xiuhtecuhtli. Telle est la première idée exprimée iconographiquement par la sculpture. La seconde, bien que déjà sous-entendue par la nature du dieu, est exprimée par le xiuhtototl ou le xiuhcoatl. Il s’agit donc du feu qui est mis en avant par la présence dominante du xiuhtototl ou xiuhcoatl surgissant au centre de sa couronne. Enfin, les derniers éléments iconographiques, les dents saillantes et la cécité suggérée, véhiculent l’idée, quelque peu surprenante, de vieillesse. En tout état de cause, bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une vieillesse fortement marquée comme une caractéristique essentielle de la divinité à l’instar du Vieux Dieu de Teotihuacan, elle est malgré tout soulignée par le contraste avec l’aspect juvénile qui domine la sculpture. Ainsi, la synthèse des idées portées par l’iconographie de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl se résume en un dieu, Xiuhtecuhtli, étroitement lié au feu et où les deux concepts opposés de jeunesse et de vieillesse s’unissent dans un même personnage.
32À près de huit siècles d’écart, nous voyons se développer, dans une même aire géographique, deux divinités aux concepts et idées similaires mais qui adoptent des schémas iconographiques fondamentalement divergents. Dès lors, comment expliquer l’absence de liens iconographiques significatifs, alors que les liens géographiques, idéels et conceptuels sont concordants ?
Analyse et synthèse des données archéologiques, interprétatives et ethno-historiques
33Après avoir étudié l’iconographie et la symbolique, il ne nous reste, à présent, que les données mythologiques et interprétatives pour compléter notre vision des Vieux Dieux et de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl. Ainsi, nous avons réuni en un tableau (tableau 1) l’ensemble des données afin de les confronter et d’y distinguer d’éventuelles concordances ou discordances.
34Les sources disponibles ne sont pas les mêmes suivant les époques. De fait, les données ethno-historiques sont précieuses et abondantes en ce qui concerne les représentations du Postclassique (fig. 1), alors que, pour les représentations de Teotihuacan, on ne dispose que des données archéologiques et les interprétations des chercheurs. Les incertitudes concernant le Vieux Dieu (marquées par les points d’interrogations au tableau 1) s’expliquent par l’absence de données écrites de cette époque, qui limite notre compréhension des codes iconographiques et de la mythologie de la cité. Enfin, précisons qu’aucune mention de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl n’est observée dans les sources ethno-historiques, ce pourquoi nous avons décidé de ne faire paraître que le nom Xiuhtecuhtli dans notre tableau et l’analyse qui suit.
Tableau 1 : Tableau de comparaison entre le Vieux Dieu et Xiuhtecuhtli
Vieux Dieu | Xiuhtecuhtli | |
D’après les dernières interprétations archéologiques et iconographiques | D’après les sources ethno-historiques | |
Origine | Peuple sédentaire | Peuple nomade |
Appartenance | Panthéon agraire | Panthéon et mythologie céleste/solaire |
Symbolique principale | Feu terrestre | Feu solaire |
Apparence | Vieillard | Jeune guerrier |
Rôles et caractéristiques | Culte aux ancêtres ? | Dirigeant et protecteur des lignées de chefs |
Vieux Dieu = ancêtre des dieux ? | Ancien dieu (Huehuetéotl) Dieu du temps Origine des dieux (« mère et père des dieux ») | |
Autres symboliques | Incarnation du volcan ? | « Dans le nombril de la terre » Nombril se dit Xitle (en nahuatl) Le Xitle est un volcan du Bassin de Mexico |
35Dans un premier temps, nous observons des données qui s’opposent. En effet, que ce soit les caractéristiques des peuples à l’origine des représentations, de leurs panthéons respectifs ainsi que de la symbolique incarnée et de l’apparence de chaque divinité, tout oppose nos deux représentations.
36Nous ne nous attarderons que sur deux aspects opposés : l’apparence et la symbolique des deux divinités. La symbolique associée au Vieux Dieu de Teotihuacan semble concerner le feu tellurique alors que Xiuhtecuhtli est clairement désigné comme dieu du feu solaire, car son appellation « Seigneur de turquoise » (couleur du ciel de midi), évoque le soleil brûlant de la journée, le feu solaire. Enfin, nous observons d’un côté, un vieillard, édenté, ridé, courbé et émacié et de l’autre, les sources et les quelques représentations postclassiques nous décrivent Xiuhtecuhtli comme un « fort et jeune guerrier » (Miller et Taube, 1993, p. 189).
37Après cette série d’opposition, le tableau 1 présente les rôles et caractéristiques du Vieux Dieu. Les hypothèses sont les suivantes : il est probable que cette figure emblématique de Teotihuacan ait été l’objet d’un culte aux ancêtres. Les chercheurs (Pasztory, 1993, p. 175 ; De la Fuente et al., 2003, p. 139) vont même plus loin en estimant que le Vieux Dieu peut être l’ancêtre, ou une figure patriarcale, du panthéon de Teotihuacan. Quant à Xiuhtecuhtli, que disent les sources sur son rôle et ses fonctions ? Le « Seigneur de turquoise », à l’instar de nombreuses autres divinités aztèques, était considéré comme protecteur de lignées de chefs, soit une fonction proche de l’idée patriarcale exposée antérieurement. Les sources nous informent également qu’il est l’ancien dieu, en espagnol « el dios antiguo » (Sahagún, 1997, Livre VI, chapitres 4, 9 et 17). L’appellation Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl prend alors tout son sens, car, même si l’adjectif Huehuetéotl, « Ancien Dieu », employé pour qualifier Xiuhtecuhtli, semble contredire la description donnée par les sources, elle ne remet pas en cause la jeunesse et la vigueur du dieu. En effet, dans le terme d’« Ancien Dieu » il n’y a pas la notion de vieillesse que suggère la traduction imprécise de « Vieux Dieu ». Voilà peut-être pourquoi, il n’est aucunement décrit comme un vieillard mais qu’il est envisagé comme le plus ancien des dieux. Il serait même l’origine des dieux car considéré comme « mère et père de tous les dieux » (Sahagún, 1997, Livre VI, chapitres 4, 9 et 17). Il est, enfin, le dieu du temps, présidant à la fête du feu nouveau célébrant la fin et le début du cycle calendaire chez les Mexicas (Nicholson, 1971). L’ensemble de ces rôles et caractéristiques est à rapprocher de ceux que l’on attribue au Vieux Dieu. En effet, la fonction présumée du Vieux Dieu comme ancêtre des dieux correspond bien au concept de Huehuetéotl, l’ancien dieu à l’origine du panthéon aztèque. Nous retrouvons donc deux manières d’exprimer iconographiquement un même concept, l’ancienneté voire l’origine de tous les dieux.
38Le tableau se termine par un aspect des plus interprétatifs mais qui n’en reste pas moins intéressant. Les hypothèses sur le Vieux Dieu considèrent que l’entité, symbole du feu et de l’ancienneté, serait, par corrélation, liée aux volcans (De La Fuente et al., 2003, p. 141). Cette idée se justifie en deux temps : premièrement, le volcan est avant tout une montagne, qui, dans la pensée nahuatl, évoque la présence des ancêtres. Deuxièmement, le volcan est une montagne d’où le feu et la lave surgissent. Ainsi le volcan combine les deux symboliques principales du Vieux Dieu, ce qui justifie l’idée selon laquelle il y serait lié. Ajoutons que les volcans sont omniprésents dans le Bassin de Mexico et que les populations préclassiques ont certainement été témoins de l’irruption du Xitle (ier siècle av. ou apr. J.-C.), à l’origine de la disparition de plusieurs villages et cités au sud de la région et de mouvements de populations vers le nord, vers la vallée de Teotihuacan. En ce qui concerne Xiuhtecuhtli, il est dit dans l’Historia general de las cosas de Nueva España que celui-ci réside « dans le nombril de la terre » (Sahagún, 1997, Livre VI, chapitre 9). Le terme exact employé dans le texte nahuatl est tlalxicco formé à partir de la racine xitle qui signifie nombril en nahuatl. Nous pouvons envisager que cette localisation est à comprendre au premier degré. Dans ce cas, Xiuhtecuhtli réside au centre de la terre et la comparaison avec les volcans n’est ni directe, ni manifeste. Nous pouvons également comprendre ce nom comme une localisation particulière, c’est à dire dans un volcan, voire même une localisation spatiale, à savoir dans le Xitle même, ce volcan qui a vraisemblablement joué un rôle dans la croissance de Teotihuacan et peut-être même dans l’arrivée du culte du Vieux Dieu dans la cité. Remarquons, enfin, que les Vieux Dieux comme les Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl sur support de pierre sont tous sculptés dans une pierre volcanique particulièrement caractéristique, ce qui est une manière d’incarner matériellement le dieu par ce qu’il représente, ou son lieu de résidence. Ainsi, là encore, nous trouvons nos deux figures divines partageant un lien symbolique, celui du volcan.
Tableau 2 : Fond commun entre le Vieux Dieu et Xiuhtecuhtli
Vieux Dieu | Xiuhtecuhtli | |
D’après les dernières interprétations archéologiques et iconographiques | D’après les sources ethno-historiques | |
Origine | Peuple sédentaire | Peuple nomade |
Appartenance | Panthéon agraire | Panthéon et mythologie céleste/solaire |
Symbolique principale | Feu terrestre | Feu solaire |
Apparence | Vieillard | Jeune guerrier |
Rôles et caractéristiques | Culte aux ancêtres ? | Dirigeant et protecteur des lignées de chefs |
Vieux Dieu = ancêtre des dieux ? | Ancien dieu (Huehuetéotl) Dieu du temps Origine des dieux (« mère et père des dieux ») | |
Autres symboliques | Incarnation du volcan ? | « Dans le nombril de la terre » Nombril se dit Xitle (en nahuatl) le Xitle est un volcan du Bassin de Mexico |
39Ce que nous pouvons déduire de ces observations successives c’est qu’il semble que les concordances des rôles, attributs et définitions de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl avec les hypothèses d’interprétation de la figure du Vieux Dieu soient le révélateur d’un héritage que partageraient ces deux entités (marqué par les cases coloriées en gris au tableau 2). À partir de ce substrat culturel et conceptuel se superposent les particularités liées à chacune des populations qui sont à l’origine des deux divinités (cf. cases non coloriées, tableau 2). Ainsi nous sommes en droit de penser que la survivance du Vieux Dieu à travers Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl est bien réelle mais éclipsée, et parfois quelque peu contrariée (association d’une image juvénile avec une fonction de patriarche des dieux), par la pensée du peuple mexica nomade.
40Malgré les sept cent cinquante ans qui séparent le Vieux Dieu de Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl et un registre iconographique bien différencié, l’analyse des deux types de représentation nous a permis de déceler des liens idéels étroits les unissant. Cette contradiction (opposition iconographique/liens idéels), accessible avec l’analyse des artefacts, s’observe également à travers l’étude des données ethno-historiques et interprétatives dont nous disposons. Ainsi, nous pouvons considérer que Xiuhtecuhtli-Huehuetéotl est le témoin de la survivance, à travers la pensée mexica, du Vieux Dieu qui, à partir de l’adoption du fond (attribut et rôle de la divinité), aurait subi une véritable adaptation sur la forme (iconographie) pour apparaître conforme aux concepts aztèques. Se juxtaposent, voire se superposent, dans le Vieux Dieu de Teotihuacan les concepts propres à ce peuple et au Postclassique, comme les guerres, l’influence des nomades du nord, le déplacement des centres de pouvoir, le rejet de l’ordre ancien, suivi de la récupération et manipulation du passé (Noguez, 2001, p. 231). En somme, selon la formule citée en exergue, « plus la religion change, plus elle reste la même » (Sahlins, 2000, p. 380).
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Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 8096 : Archéologie des Amériques.
Sujet de thèse : Le Vieux Dieu.
Directrice : B. Faugère.Soutenance prévue fin 2013.
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