Vivants et morts dans l’aristocratie seigneuriale et chevaleresque : la mémoire des héros (xiie-xiiie siècles)1
The Living and the Dead in the Seigneurial and Knightly Aristocracy: The Hero’s Memory (12th-13th Centuries)
p. 155-169
Résumés
La participation des grands à certains événements glorieux semble avoir favorisé, dès le xiie siècle, l’émergence au sein de l’aristocratie laïque, ou tout au moins de certains lignages, d’une mémoire de héros familiaux s’étant illustrés dans des aventures chevaleresques contemporaines ou relativement récentes, telles la campagne d’Angleterre de 1066 ou les croisades. Cet article s’efforce de prendre la mesure du phénomène et d’en comprendre les principaux enjeux : l’entrelacement, dans la mémoire aristocratique, de l’épopée (l’imaginaire carolingien) et de l’histoire (les réalités féodales), l’association de la renommée individuelle et de la mémoire familiale, l’articulation entre mémoire ecclésiale et mémoire laïque.
The participation of the nobles in certain glorious events seems to have encouraged, from the 12th century onwards, the emergence of memoires of family heroes among the lay aristocracy or at least among a few lineages. These were the work of warriors who had won distinction in contemporary or relatively recent knightly adventures such as the England campaign of 1066 or the Crusades. This article strives to gauge the extent of the phenomenon and to understand what is at stake here: the interpenetration in the aristocratic memory of Epic (the Carolingian imagination) and History (feudal reality), the connection between individual fame and family memory and the link between lay memory and the memory of the church.
Texte intégral
11. Dans son célèbre Roman de Rou, composé vers 1160-1170, Wace énumère, lorsqu’il raconte la bataille d’Hastings (14 octobre 1066), une liste de 116 noms de compagnons du duc Guillaume ayant combattu à ses côtés contre Harold et les Anglais. Longtemps considérée comme peu fiable, cette liste a fait l’objet d’une récente réévaluation. Elle apparaît d’autant plus remarquable que Wace déclare, pour être en mesure de la dresser, avoir mené personnellement l’enquête auprès des lignées seigneuriales de Normandie, interrogeant en particulier des hommes et des femmes de la région de Bayeux et de Caen à propos de leurs grands-pères et arrière-grands-pères : les seigneurs d’Asnières, Aubigni, Aulnay-sur-Odon, Aumâle, Aunou-le-Faucon, Auvilliers, les vicomtes d’Avranches… pour en rester à la seule lettre A2. Elisabeth Van Houts distingue trois catégories d’individus dans cette liste : dix-sept font l’objet d’un petit développement anecdotique, vingt-deux sont mentionnés par leur nom et surnom, soixante-dix-sept, enfin, sont associés à une seigneurie. À la fin du xiie siècle, le souvenir de la participation d’un ancêtre à la conquête de l’Angleterre et, plus encore, de sa présence sur le champ de bataille d’Hastings était ainsi conservé dans les familles normandes et, semble-t-il, pieusement entretenu comme un titre de gloire. Un siècle plus tard, vers 1300, il en va encore de même dans les plus grandes familles d’Angleterre, comme en témoigne la fameuse histoire rapportée par Walter de Guisborough, en partie légendaire, de l’earl (comes) Warenne exhibant devant les juges du roi Édouard Ier, qui lui demandaient de justifier ses privilèges juridictionnels, une vieille épée rouillée avec laquelle son ancêtre, disait-il, avait combattu à Hastings : « Regardez cela mes seigneurs, ceci est ma preuve ! Comme mes ancêtres vinrent avec Guillaume le Bâtard et conquirent leurs terres avec l’épée, par l’épée je les défendrai contre quiconque tentera de me les prendre3. »
2D’autres témoignages, littéraires, historiographiques ou diplomatiques, attestent l’existence, de manière parallèle bien que plus diffuse, surtout lorsque l’on quitte le milieu des princes, d’une mémoire des combattants de la croisade. Le phénomène est bien connu pour les princes, principaux protagonistes des récits de croisade, et cela dès la première croisade, mais l’on connaît de nombreux autres cas concernant des seigneurs de moindre rang. Pour la première croisade, comment ne pas mentionner la figure de Thomas de Marle, sire de Coucy, qui serait entré le premier dans Jérusalem selon le récit de la Conquête de Jérusalem (chant V, v. 4374-4435), repris dans la généalogie des Coucy incluse dans la chronique du cistercien Aubry de Trois-Fontaines dans les années 1230, qui semble attester l’existence d’une tradition mémorielle locale4 ? On peut également évoquer Hugues II et Enguerrand, comtes de Saint-Pol, cités soixante-trois fois dans la Chanson d’Antioche5, laquelle mentionne de nombreux autres nobles du nord de la France, à l’image de Rotrou, comte du Perche, parti avec le duc de Normandie, cité six fois et dont les exploits à la bataille et au siège d’Antioche sont aussi célébrés par Guillaume de Tyr et Orderic Vital6. Plus au sud, on peut citer Gouffier de Lastours, qui brilla au siège de Ma’arrat an Nu’man selon la chronique de Geoffroy de Vigeois : d’après ce dernier, sa renommée et sa mémoire auraient amplement profité des bons services de son chevalier, Grégoire Bechada, qui était aussi poète et qui est peut-être l’auteur, vers 1120-1130, de la version occitane de la Chanson d’Antioche, dont certains fragments évoquent aussi Gouffier7. La troisième croisade contribue à l’élaboration d’une nouvelle couche mémorielle. On peut notamment mentionner la figure de Jacques d’Avesne, comte de Hainaut, auteur, lors du siège de Saint-Jean d’Acre (1191), d’une prouesse exceptionnelle rapportée, vers 1195, par l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise, qui lui vaut d’être comparé à Alexandre, Hector et Achille8… Ses exploits sont également célébrés par l’Itinerarium Peregrinorum et Gesta Regis Ricardi, attribué à Richard († 1198), chanoine de la Sainte-Trinité de Londres, et sa mort en martyr, qui suscite une longue déploration funèbre dans l’Estoire d’Ambroise (v. 6170 et 6623-6672), dut favoriser l’entretien de son souvenir dans sa lignée et sa région d’origine. Elle suscite en tout cas encore au milieu du xve siècle la rédaction de trois romans, fantaisistes sur le fond mais qui font l’éloge de Jacques et sa famille en l’honneur de Charles, comte de Charolais, futur Téméraire. L’Estoire évoque bien d’autres figures chevaleresques, tel Guillaume des Barres, qui s’illustre à la bataille d’Arsouf (v. 5800-5806), Guy et Geoffroy de Lusignan ou Guillaume le Maréchal. Indice d’une certaine mémoire de leur geste héroïque, ces figures apparaissent ensuite dans d’autres récits de fiction (le Roman de Mélusine par exemple) ou diverses chroniques (la Chanson de Guillaume le Maréchal, la chronique de Rigord)9.
3On connaît par ailleurs, en particulier pour la première croisade, de nombreuses attestations diplomatiques rapportant des cérémonies au cours desquelles les nobles de retour de croisade offrent aux communautés monastiques auxquelles ils sont liés des reliques ou des objets symboliques rapportés de Terre sainte, aptes à rappeler leurs hauts faits aux habitants de leurs seigneuries et à leurs propres descendants. C’est aussi l’occasion d’obtenir de ces communautés des services liturgiques pour le salut de leur âme et celle de leurs parents, d’autant que ces anciens croisés élisent ensuite souvent sépulture en ces églises dont beaucoup font figure de nécropole familiale10. De retour de la première croisade, Rotrou, comte du Perche, confirme ainsi à l’abbaye de Nogent-le-Rotrou, affiliée à Cluny, les dons de ses prédécesseurs et prend la communauté sous sa protection – il reçoit en échange le statut de confrater de Cluny – en déposant solennellement sur l’autel de l’église la charte de donation et une feuille de palmier rapportée de Jérusalem. Signe de l’écho de la cérémonie et du souvenir de la participation de Rotrou à la croisade, cet événement nous est rapporté à la fois par la charte de Nogent-le-Rotrou et par le récit d’Orderic Vital, moine de Saint-Évroult (à 75 kilomètres de Nogent et dans un autre diocèse), composé dans les années 112011. On connaît de nombreux autres dons mémoriels de ce genre, tels celui du chevalier Olgerius qui déposa des palmes de Jéricho sur l’autel de l’église abbatiale de Bèze, en Bourgogne, et en devint le confrater, ou celui du comte Robert II de Flandre qui offrit le bras de saint Georges à l’abbaye d’Anchin. Certains héros de la croisade sont allés plus loin et fondèrent à leur retour de nouvelles communautés monastiques dans une perspective votive propice à l’entretien du souvenir de leur participation à cette aventure et de leurs actions d’éclat. C’est le cas de nouveau de Robert de Flandre, qui fonda un monastère dédié à saint André près de Bruges, placé sous la tutelle de l’abbaye d’Affligem. Mais on peut également citer des seigneurs de moindre rang comme les Montaigu, fondateurs de l’abbaye du Saint-Sépulcre-et-Saint-Jean-Baptiste, près de Huy ; de Bencelius de Brie, fondateur du prieuré de Landécourt, en Lorraine ; d’Hugues de Toucy, fondateur du prieuré de Crisenon, en Bourgogne… Quelques-uns de ces héros, surtout des princes, se voient même attribuer dans les chartes le titre de Jerosolimitanus, « le Iérosolimitain »12.
4Il reste cependant difficile de départager, dans la tradition narrative ou diplomatique, ce qui relève de l’exemplum universel – ces héros sont des modèles pour les croisés voire les chrétiens dans leur ensemble13 – de ce qui relève de la mémoire familiale – le souvenir de héros qui sont aussi des ancêtres. En effet, nous ne disposons que de très peu d’attestations explicites de l’entretien de la mémoire des héros dans un cadre familial. Outre les descendants des combattants d’Hastings selon Wace et Walter de Guisborough, on peut mentionner les seigneurs de Coucy, probables commanditaires de la Conquête de Jérusalem14, les comtes de Saint-Pol – si l’on suit l’hypothèse de Suzanne Duparc-Quioc faisant d’Hugues II ou Hugues III de Saint-Pol le commanditaire de la Chanson d’Antioche et d’Hugues IV celui de sa réécriture à la fin du xiie siècle15 –, enfin les comtes de Flandre, dont la généalogie souligne le rôle de Robert II dans la première croisade et rappelle le don des reliques de saint Georges, rapportées d’Orient, à l’abbaye d’Anchin16. Les fils pouvaient aussi faire célébrer le souvenir de leur père : comment ne pas mentionner le cas de Guillaume le Jeune, commanditaire de la fameuse Chanson de Guillaume le Maréchal peu après la mort de ce dernier en 121917 ? On sait enfin que certains grands cherchèrent eux-mêmes à faire chanter ou coucher par écrit le souvenir de leurs exploits, indice d’une réelle sensibilité personnelle à la question de la mémoire. Comme on l’a vu, le chevalier Grégoire Bechada aurait été chargé par Gouffier de Lastours de célébrer ses prouesses. On peut également rappeler le fameux récit de Lambert d’Ardres au sujet du comte de Guînes Arnoul II († 1139) : alors que celui-ci aurait voulu entendre ses hauts faits à la première croisade célébrés dans une chanson, le poète sollicité le lui aurait refusé en raison de son insuffisante générosité18. On comprend la déception d’Arnoul, car ce genre de vecteurs mémoriels pouvait s’avérer très efficace : les nombreux témoins manuscrits de la Chanson d’Antioche sont là pour en attester, tout comme l’allusion significative du théologien Pierre le Chantre († 1197) à la récitation fréquente de cette chanson dans les rues de Paris et les cours de France19.
5Certains épisodes de croisade ou des noms de héros ont également orné les murs de châteaux, d’églises ou de tours urbaines. Les fresques de Notre-Dame de Chemillé, en Anjou, probablement inspirées de la Chanson d’Antioche et datées de la fin du xiie siècle, transmettent ainsi la mémoire de plusieurs grands, comme Tancrède ou Hugues le Grand (frère du roi de France), mais aussi de seigneurs de moindre rang issus de l’ouest de la France, comme Rotrou III, comte du Perche, Foucher de Chartres, Simon et Aymeric Aleitru20. Au siècle suivant, on connaît les fresques de croisade des maisons-tours des Gaillac, à Gaillac, ou des seigneurs de Lalo, à Caussade, ainsi que les fresques de Pernes-les-Fontaines, qui rappellent le rôle que joua un seigneur des Baux à la bataille de Tagliacozzo, en 1268, lors de la conquête du royaume de Sicile par Charles d’Anjou (une croisade également, mais contre des chrétiens)21.
6On aurait pu imaginer moisson plus importante, mais il n’en reste pas moins que la participation des grands à certains événements glorieux semble donc bien avoir favorisé, dès le xiie siècle, l’émergence au sein de l’aristocratie laïque, ou tout au moins de certains lignages, d’une mémoire de héros familiaux s’étant illustrés dans des aventures chevaleresques contemporaines ou relativement récentes.
72. Le premier enseignement que l’on peut tirer de ce constat tient à l’entrelacement dans la mémoire aristocratique de l’épopée et de l’histoire, de l’imaginaire carolingien et des réalités féodales. On sait que les ressorts du succès des épopées sont multiples, mais à côté du goût des puissants pour les récits d’exploits guerriers, il faut faire toute sa part à la logique d’identification mimétique qui fonde l’identité aristocratique féodale sur la guerre contre les musulmans, affrontement dont l’âge carolingien, à travers la geste hispanique (voir la Chanson de Roland, les premières chansons du cycle de Guillaume, le Roland à Saragosse…), est tenu pour le moment fondateur, d’autant plus facilement qu’un certain nombre des premiers croisés avaient auparavant combattu en Espagne : les héros carolingiens sont dès lors vus comme des prédécesseurs illustres. L’assimilation se fait d’autant plus aisément que l’histoire récente, lorsqu’elle renvoie à des aventures exceptionnelles et mobilisatrices comme la conquête de l’Angleterre ou la première croisade, est elle-même souvent racontée sous forme épique, soit que les récits adoptent une structure littéraire proche du genre épique (voir le Carmen de Guy d’Amiens ou la Chanson d’Antioche)22, soit qu’ils ponctuent leur discours historique de digressions épiques (voir le Roman de Rou de Wace, l’Estoire d’Ambroise, l’Histoire de Guillaume le Maréchal)23. Dans ce cadre, l’évocation sur un mode épique de héros « récents » ou « féodaux » ne peut être considérée comme différente par nature de l’héroïsation des personnages carolingiens dans les chansons de geste classiques. Que les historiens identifient derrière ces personnages littéraires des figures réelles ou non importe peu du moment que l’identité historique de ces personnages, comme pour les saints, ne fait pas de doute pour les auditeurs des récits : ce qui compte est l’actualisation des contextes et la logique de mimesis des individus, l’une et l’autre facilitées par la contemporanéité des œuvres (la Chanson de Roland et la Chanson d’Antioche sont sensiblement de la même époque). L’illustration la plus éclatante de cet effet de miroir est fournie par la récitation de la Chanson de Roland juste avant la bataille d’Hastings, par les combattants normands eux-mêmes (selon Guillaume de Malmesbury) ou par un ménestrel sorti de leurs rangs nommé Taillefer (selon Wace et Benoît de Sainte-Maure) : les guerriers de Guillaume se placent ainsi eux-mêmes dans la filiation des paladins de Charlemagne quand leurs adversaires anglais sont de facto assimilés aux Sarrasins et l’issue du combat investie d’un sens sacré24. De même, dans l’Estoire d’Ambroise, « les acteurs de la troisième croisade sont perçus dans leur conduite exemplaire, semblable à celle des héros épiques dont ils s’approprient la gloire pérenne. Richard (Cœur de Lion), le héros principal de cette geste historique, se voit qualifié de maines par assimilation à Charlemagne (v. 11238)25 ». De même, encore, peut-on voir le chroniqueur Foucher de Chartres dresser implicitement un parallèle entre la prise de Jérusalem, le couronnement impérial de Charlemagne et la conquête de l’Angleterre par Guillaume26. Et l’on pourrait multiplier les exemples.
8Quels sont les enjeux d’une telle circulation des modèles et des motifs ? Le premier enjeu est clairement de donner à voir un continuum temporel entre l’époque carolingienne (telle qu’on l’imagine aux xie-xiie siècles) et l’époque féodale par-delà les transformations sociales et politiques : pour les protagonistes des événements des xie-xiie siècles et les gardiens de leur mémoire, il s’agit des mêmes terrains d’action, des mêmes exploits héroïques, des mêmes motivations. La période carolingienne constitue ainsi la matrice généalogique de l’imaginaire aristocratique de l’âge féodal27. Et il ne s’agit pas seulement d’un trait culturel – la fascination pour des temps prestigieux, le culte des traditions… –, mais bien d’un imaginaire social et familial car cette conviction d’une continuité entre les deux époques peut être mise au service de véritables revendications politiques, comme en témoignent, dans des contextes différents, l’appropriation de la figure de Guillaume de Gellone par toute une série de lignées languedociennes ou provençales au cours du xiie siècle28 ou la rivalité opposant les nobles de Flandre et de Lotharingie aux Capétiens à propos de la figure de Charlemagne au tournant des xiie-xiiie siècles29. En conséquence, l’épopée n’est pas à renvoyer du côté de la fiction, à laquelle s’opposerait la chronique. Elle est elle-même perçue comme une histoire, parfois jusque dans une perspective généalogique : une histoire de famille. C’est d’ailleurs le ressort implicite mais fondamental de l’utilisation générale du terme « Francs » pour désigner les croisés, quelle que soit leur origine géographique, chez les chroniqueurs des croisades comme chez les autres historiens des xiie-xiiie siècles tel Guillaume de Malmesbury. Cette filiation entre les héros des chansons de geste et les héros « récents » des chroniques est d’autant plus aisée à mettre en scène que le souvenir des héros épiques se manifeste jusque dans l’environnement matériel et religieux de l’époque féodale : au xiie siècle, les tombeaux des héros carolingiens jalonnent en effet les périphéries méridionales de la France à travers lesquelles on gagne l’Espagne ou la Terre sainte, depuis les Alyscamps, où reposent Vivien et ses compagnons, jusqu’à Blaye, où repose Roland, en passant par Gellone, où repose Guillaume d’Orange30. Cette multiplication des tombeaux épiques souligne toutefois une différence fondamentale entre les héros carolingiens et la plupart des héros « féodaux » : alors que les premiers sont morts au combat, en martyrs, les seconds en sont souvent revenus31, ce qui a pu faire d’eux tantôt les premiers artisans de leur propre renommée, lorsqu’ils favorisent le souvenir de leurs exploits, tantôt les premiers fossoyeurs de celle-ci, lorsqu’à l’image d’un Thomas de Marle, ils adoptent ensuite un comportement peu conforme aux attentes de l’Église.
9Le deuxième enjeu de la circulation des motifs entre modèles épiques et héros contemporains réside dans l’émulation qu’elle suscite au sein même de l’aristocratie féodale entre nobles et chevaliers, princes et rois, émulation qui renvoie in fine à une identité partagée, du simple chevalier, voire de l’écuyer, jusqu’au roi. À la différence des chansons de geste, dont les héros portaient tous au moins un titre comtal, les nouveaux héros sont issus de toutes les couches de l’aristocratie, que la liste des combattants d’Hastings du Roman de Rou, les listes de croisés de la Chanson d’Antioche ou du Liber Maiolichinus de gestis Pisanorum illustribus, ou les listes de héros de la troisième croisade de l’Estoire d’Ambroise unissent dans une même destinée manifeste32. Cette inclusion n’occulte pas les hiérarchies – ce sont les grands les plus cités, à l’image de Richard Cœur de Lion chez Ambroise –, mais les chroniqueurs ne répugnent pas à célébrer les exploits de seigneurs châtelains ou de chevaliers, dont on rapporte les noms et entretient le souvenir, comme Roger de Beaumont, Roger de Montgomery ou Guillaume Fitz-Osbern chez Guillaume de Poitiers, ou bien les Lusignan ou le chevalier Des Barres chez Ambroise33. Tous ces récits jouent de la tension entre la glorification des individus, qui renvoie à la culture chevaleresque de la prouesse, et l’exaltation de la lignée, car, dans une société d’héritiers, le geste héroïque vient toujours s’inscrire dans une geste familiale. Comment ne pas évoquer ici la fameuse répartie de Roland à l’injonction d’Olivier à souffler dans le cor au moment critique ? « Ne plaise à Dieu, notre seigneur, / Qu’à cause de moi mes parents soient blâmés, / Que la France la douce sombre dans le déshonneur ! » On le voit, il ne s’agit pas seulement de gloire personnelle mais d’honneur familial, en étroite relation avec une terre, un pays, une seigneurie : cette association constitue le cœur de la culture aristocratique du xiie siècle et la condition de toute héroïsation durable.
103. Pour autant, quelle relation cette culture entretient-elle avec celle de l’Église ? Cette mémoire des héros relève-t-elle d’une mémoire ecclésiale ou d’une mémoire laïque ? La question est d’autant plus incontournable que les auteurs des récits et des chartes sont pour la plupart des clercs et que le vecteur principal de l’héroïsation de ces figures est la guerre contre les païens ou les musulmans, toute affadie que soit parfois l’identité religieuse de l’adversaire34.
11Une tendance de l’historiographie tend à minorer toute emprise cléricale au profit de l’affirmation d’une identité laïque autonome. Cette conception détient une part de vérité : la légitimation de l’identité guerrière, parfois colorée d’une dimension courtoise, peut apparaître comme une réponse ou une alternative au durcissement clérical grégorien. Le principal marqueur de cette affirmation est d’ailleurs la légitimité nouvelle de l’écrit en langue vernaculaire, dont témoignent, par exemple, la Chanson d’Antioche, l’œuvre de Wace ou l’Estoire d’Ambroise. Il existe un public aristocratique, lettré mais laïque, de ces récits, parce que ceux-ci participent à la fabrique d’une identité chevaleresque singulière – et attestent du même coup la porosité de certains milieux cléricaux à la culture laïque, ce dont rendent compte bien d’autres textes littéraires ou, sur un autre plan, liturgique et politique, les multiples tentatives d’appropriation par les clercs des héros chevaleresques35.
12Cependant, cette mémoire guerrière ne doit pas conduire à minimiser la dimension cléricale du phénomène. Les auteurs de ces récits ne sont pas des transfuges, de faux clercs au service des seuls intérêts de leurs maîtres laïques (qui sont parfois aussi leurs commanditaires), car ce sont bien eux qui définissent le terrain de l’héroïsation, à savoir la guerre juste pour la défense et l’illustration de la foi et de l’Église, dont la forme prépondérante est la lutte contre l’islam dans le cadre de la croisade – forme prépondérante mais pas exclusive : la bataille d’Hastings est ainsi considérée dès 1066 comme une guerre juste, bénie par la papauté36. Dans ce cadre, la guerre juste devient le lieu d’un salut possible pour les guerriers sans nécessaire médiation sacramentelle37 – même si la confession du guerrier avant la mort est fréquemment recommandée38 – et se nourrit de la délégitimation religieuse des guerres vicinales et de la violence chevaleresque par la législation canonique (depuis les conciles de la paix de Dieu) et par toute une série de récits hagiographiques ou historiographiques. Au-delà de ces éléments bien connus, il faut souligner combien ces récits inscrivent l’histoire des croisades dans une geste de la chrétienté se développant de manière continue depuis Charlemagne, geste qui, pour certains chroniqueurs tel Guillaume de Malmesbury, place les héros chrétiens au-dessus des héros antiques39. Ils élaborent de la sorte un roman ecclésial qu’illustre et dans lequel s’insère la somme des romans familiaux et des aventures singulières. Ce faisant, ils tissent la toile d’une alliance entre les deux versants de l’aristocratie – ce à quoi contribuent également les récits de moniage en langue vernaculaire, qui entrelacent de la même manière histoire, hagiographie et épopée40 –, par-delà la divergence des projets normatifs et éthiques qui les animent, surtout depuis la réforme grégorienne, alliance qui finit par conduire à l’idéologie du chevalier chrétien qui s’épanouit au xiiie siècle et dont rend compte, sur un autre versant de la littérature de ce temps, la métamorphose du mythe du Graal41. Plus qu’un exemple, le héros guerrier est dès lors devenu un modèle.
134. Il reste, enfin, à s’interroger sur l’articulation, dans la fabrique des identités lignagères de l’âge féodal, entre, d’une part, cette mémoire héroïque de personnages « récents » fondée sur la participation glorieuse à un événement guerrier, et d’autre part, la mémoire des ancêtres « fondateurs » associés à la possession de la terre, de l’honneur ou du château, une mémoire dont on sait qu’elle repose, aux xie-xiie siècles, sur les usages onomastiques, les pratiques liturgiques des communautés monastiques, les nécropoles familiales, la littérature généalogique, voire les débuts de l’héraldique42. Bien souvent ces deux mémoires s’entrelacent ou s’influencent l’une l’autre. Il faut à ce propos rappeler les justes analyses de Georges Duby sur l’évolution des écrits généalogiques à partir du milieu du xiie siècle et la place nouvelle que ceux-ci accordent aux héros, transformant les sommaires évocations traditionnelles en galeries de types exemplaires43. En effet, ces écrits ne racontent plus seulement la transmission d’un patrimoine, d’une terre ou d’un honor, mais composent une suite d’éloges individuels exaltant la transmission d’un héritage de gloire, d’un honneur au sens actuel du terme, dont la conservation constitue, au même titre que la seigneurie, le cœur de l’éthique nobiliaire.
14Mémoire individuelle récente et mémoire des ancêtres peuvent également se conforter au sein même des pratiques de commémoraison mises en œuvre par l’Église. Comme nous l’avons vu, les dépôts d’objets symboliques (palmes, reliques, épées44…) à l’occasion de donations pro anima ou de fondations, liés au retour de croisade venaient intégrer la mémoire singulière d’un héros et d’un événement glorieux aux prières et célébrations liturgiques assurées de manière coutumière par une communauté monastique ou canoniale au bénéfice de la memoria de la parenté tout entière. De même, un monument funéraire ou un rouleau mortuaire pouvaient insérer une mémoire individuelle au sein de la mémoire familiale. Il faut ici mentionner le majestueux tombeau de Bohémond de Tarente, premier prince latin d’Antioche, adossé au transept droit de la cathédrale de Canosa, dont l’épitaphe rappelait les victoires et la participation décisive à la première croisade. Celles-ci étaient également célébrées par les inscriptions et les scènes figurées sur les portes de bronze de l’édifice, qui représentaient aussi la transmission du pouvoir entre Bohémond et Tancrède45. On peut, de même, évoquer l’imposant rouleau mortuaire de Guillaume Des Barres, confectionné au prieuré fontevriste de Fontaines, au diocèse de Meaux, peu après la mort, en 1234, du héros de la troisième croisade et de la bataille de Bouvines46. Mais le cas le plus exemplaire de cette intégration des mémoires individuelle et familiale est sans aucun doute fourni par le célèbre Guillaume le Maréchal. Au moment de mourir en ayant revêtu l’habit de l’ordre du Temple – il s’était fait donat lors de son expédition en Terre sainte en 1184-1186 –, celui-ci demande à ses fidèles compagnons et à son fils et héritier de faire recouvrir son cercueil, lors de ses funérailles, des draperies qu’il avait rapportées d’Orient, puis de donner celles-ci en legs au Temple dont l’église de Londres devait accueillir sa sépulture47. L’implication de Guillaume le Jeune, son fils, dans la réalisation, peu après 1219, d’un monument funéraire avec gisant, encore visible aujourd’hui, et dans la commande de la chanson composée par Jean le Trouvère, véritable tombeau littéraire à la gloire du Maréchal, disent combien le souvenir et le prestige personnel de ce dernier contribuèrent à rehausser avec éclat la mémoire de sa famille. Les inhumations successives de Guillaume le Jeune († 1231) et de Gilbert († 1241), deuxième et quatrième earl de Pembroke, dans l’église du Temple engageaient la transformation de celle-ci en véritable nécropole familiale, achevant d’associer sans les hiérarchiser mémoire individuelle et mémoire familiale – seule l’extinction de la lignée du Maréchal mit un terme précoce à cette transformation. En mode mineur, l’intégration du nom de Guillaume au Liber vitae de l’abbaye Notre-Dame de Notley, fondation, qu’il avait favorisée tout au long de sa vie, des ancêtres de son épouse, Isabelle de Clare, témoigne du même processus. Comme le suggère cet exemple, les ordres militaires, dont on connaît l’immense succès au sein de l’aristocratie des xiie-xiiie siècles, semblent avoir joué un rôle majeur dans l’intégration du souvenir héroïque des croisés outre-mer au sein des pratiques sociales de la memoria familiale et ecclésiale de ce côté-ci de la Méditerranée.
15Plus rarement, l’anthroponymie familiale pouvait également conserver le souvenir d’une figure glorieuse. La plupart du temps, au sein de l’aristocratie féodale, les noms propres masculins dominants renvoyaient au nom de l’ancêtre fondateur ou présumé tel ou bien aux noms princiers. Mais, dans quelques cas, une sélection semble avoir été effectuée en lien avec la mémoire héroïque d’une grande figure de la famille. C’est notamment l’hypothèse que l’on peut formuler pour expliquer le succès du nom Raimond au sein de la lignée comtale toulousaine aux xiie-xiiie siècles : alors qu’il était porté de concert avec Pons et Hugues au cours des xe-xie siècles, il s’impose définitivement pour le chef de lignée à la suite de Raimond IV de Saint-Gilles, héros de la première croisade, qui avait initialement été désigné par Urbain II pour la diriger, aux côtés de l’évêque du Puy Adhémar de Monteil, et qui, en Terre sainte, avait un temps été pressenti pour la couronne de Jérusalem. Dès le début du xie siècle, le nom Guillaume s’était de la même façon imposé dans la famille comtale provençale, aux dépens de Boson et Roubaud, vraisemblablement en raison du prestige acquis par le comte Guillaume Ier – mort en 993 et pourvu du titre de pater patriae sous la plume des moines de Cluny dès 992 – à la suite de la conquête de la place sarrasine du Freinet en 97248.
16Chacune de ces mémoires – la mémoire des héros et la mémoire des ancêtres – a des traits qui lui sont propres : la mémoire des héros est une mémoire de guerrier quand la mémoire familiale est d’abord une mémoire de la terre et de l’honneur ; l’enjeu de la mémoire héroïque ne réside pas dans la transmission d’un patrimoine matériel, la seigneurie, support et vecteur de la domination, ni dans celle du souvenir de la filiation et des alliances qui en ont assuré la perpétuation dans le temps, mais dans la transmission d’un patrimoine immatériel, la renommée, associée à un événement et un individu. Ces différences illustrent les tensions caractérisant la fabrique de l’identité aristocratique et les fondements de la légitimité à dominer la société dans le contexte des xie-xiiie siècles, marqué par l’essor de l’idéologie chevaleresque et de la culture de l’exploit : tension entre la guerre et la terre, tension entre la conquête (ou l’acquisition) et l’héritage, tension entre l’individu et le groupe.
17L’une et l’autre de ces mémoires collaborent cependant à entretenir le prestige d’un lignage en particulier et de l’aristocratie en général. Surtout, l’une et l’autre sont intégrées et associées dans la mémoire liturgique et les pratiques de commémoraison assurées par l’Église au service des vivants et des morts. À ce titre, ces mémoires témoignent de manière égale du rôle des clercs et de l’institution ecclésiale dans la fabrique de la mémoire aristocratique, rôle qui constitue, de part et d’autre de la réforme grégorienne, un des meilleurs moyens pour l’Église de manifester son association avec les puissants laïcs et son emprise sur les pratiques sociales et culturelles de ces derniers par-delà leurs renouvellements. Ce n’est guère qu’à partir de l’âge humaniste que la fabrique des héros commencera à se dégager de cette emprise ecclésiale en privilégiant désormais des héros mythiques antiques et préchrétiens49.
Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier Jean-Claude Schmitt et Michel Lauwers pour leurs précieuses remarques, ainsi que Xavier Storelli pour son aide bibliographique.
2 Wace, Roman de Rou, III, v. 8329-8705, éd. A. J. Holden, Paris, 1970-1973, t. 2. La liste complète figure en appendice de l’article de E. Van Houts, “Wace as Historian”, Family Trees and the Roots of Politics, The Prosopography of Britain and France from the Tenth to the Twelfth Century, éd. K. S. B. Keats-Rohan, Woodbridge, 1997, p. 103-132.
3 M. Clanchy, From Memory to Written Record. England 1066-1307, Oxford, 1993 (1979), p. 35-43.
4 D. Barthelemy, « Les sires fondateurs : enjeux impliqués dans les traditions et les recours au passé en seigneurie de Coucy », Temps, mémoire, tradition au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 1982, p. 185-203, ici p. 192.
5 La Chanson d’Antioche, éd. et trad. B. Guidot, Paris, 2011, passim, qui ne remplace pas S. Duparc-Quioc, La Chanson d’Antioche, Édition du texte, Paris, 1977 et Étude critique, Paris, 1978. J.-F. Nieus, Un pouvoir comtal entre Flandre et France. Saint-Pol, 1000-1300, Bruxelles, 2005, p. 136.
6 K. Thompson, Power and Border Lordship in Medieval France. The County of the Perche, 1000-1226, Woodbridge, 2002, p. 50-53.
7 M. Aurell, Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux xiie et xiiie siècles, Paris, 2011, p. 195-196 ; J. Riley-Smith, The First Crusaders, 1095-1131, Cambridge, 2004, p. 155-156 ; The Canso d’Antioca: An Occitan Epic Chronicle of the First Crusade, éd. C. Sweetenham et L. Paterson, Aldershot, 2003, v. 664 et 677.
8 Ambroise, Estoire de la Guerre Sainte, 2848-2860, éd. G. Paris, Paris, 1897. Sur ce texte, voir en dernier lieu C. Croizy-Naquet, « Approches historiennes, approches littéraires. L’exemple de l’Estoire de la guerre sainte », L’écriture de l’histoire au Moyen Âge. Contraintes génériques, contraintes documentaires, dir. É. Anheim, P. Chastang, F. Mora-Lebrun et A. Rochebouet, Paris, 2015, p. 21-36.
9 Sur tout ceci, voir M. Ailes, « Heroes of War: Ambroise’ Heroes of the Third Crusade », Writing War: Medieval Literary Responses, éd. C Saunders, F. Le Saux et N. Thomas, Cambridge, 2004, p. 29-48.
10 Riley-Smith, The First Crusaders…, op. cit. n. 7, p. 144-168.
11 K. Thompson, « Family Tradition and the Crusading Impulse », Medieval Prosopography, 19 (1998), p. 1-33, p. 5-10 ; Riley-Smith, The First Crusaders…, op. cit. n. 7, p. 144-145.
12 Id., The First Crusaders…, op. cit. n. 7, p. 149, 151-152 et 154.
13 À l’image, par exemple, de Renaut Porcet, capturé et exécuté par les Sarrasins à Antioche : M. Janet, « L’écriture de la première croisade. La destinée de Renaud Porcet dans les récits des xiie-xiiie siècles », L’écriture de l’histoire…, op. cit. n. 8, p. 311-324.
14 The Canso d’Antioca …, op. cit. n. 7, p. 5-9 et 132-140 ; D. Barthelemy, Les deux âges de la seigneurie banale : pouvoir et société dans la terre des sires de Coucy, milieu xie-milieu xiiie siècle, Paris, 1984, p. 124-125.
15 Duparc-Quioc, La Chanson d’Antioche…, op. cit. n. 5 ; H. Kleber, « Richard le Pèlerin et Graindor de Douai : la Chanson d’Antioche », Les épopées romanes, dir. R. Lejeune, J. Wathelet-Willem, H. Krauss, Heidelberg, 1986, p. 90-111 ; Nieus, Un pouvoir comtal…, op. cit. n. 5, p. 137-139.
16 Riley-Smith, The First Crusaders…, op. cit. n. 7, p. 152.
17 Histoire de Guillaume le Maréchal, éd. P. Meyer, Paris, 1891-1901, 3 vol.
18 Lambert d’Ardres, Historia comitum Ghisnensium, MGH, Scriptores, t. 24, Hanovre, 1879, p. 550-642, ici p. 625-627.
19 J. Baldwin, « The Image of the Jongleur in Northern France around 1200 », Speculum, 72 (1997), p. 635-663, ici p. 643.
20 C. Davy, « Rotrou, Foucher, Simon… Qui sont ces guerriers ? Ancienne église Notre-Dame de Chemillé, Maine-et-Loire », Les dossiers de l’Inventaire, 1/2015, www.patrimoine.paysdelaloire.fr.
21 A.-L. Napoleone, C. Guiraud, B. de Viviés, « L’hôtel de la famille de Gaillac ou Tour de Palmata (Gaillac, Tarn) », Bulletin monumental, 160/1 (2002), p. 97-119 ; B. Pousthiomis, N. Pousthomis-Dalle, « La Tour d’Arles de Caussade (Tarn-et-Garonne) : étude archéologique d’une maison patricienne de la fin du xiiie siècle », ibid., p. 71-87 ; F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence. L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, 2002, p. 547-549.
22 The Carmen de Hastingae proelio of Guy bishop of Amiens, éd. et trad. anglaise de F. Barlow, Oxford, 1999 ; La Chanson d’Antioche, op. cit. n. 5. Sur le Carmen, voir notamment : E. Van Houts, « Latin Poetry and the Anglo-Norman Court 1066-1135: The Carmen de Hastingae Proelio », Journal of Medieval History, 15 (1989), p. 39-62.
23 L. Mathey-Maille, Écritures du passé. Histoire des ducs de Normandie, Paris, 2007, p. 156-187 ; C. Croizy-Naquet, « Deux représentations de la troisième croisade : l’Estoire de la guerre sainte et la Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier », Cahiers de civilisation médiévale, 44 (2001), p. 313-327, en particulier p. 324 : « La grille épique est prégnante dans le combat individuel, à travers des joutes spectaculaires (v. 7571-7576) qui permettent de dépeindre des figures héroïques normandes, anglaises et françaises » ; D. Crouch, William Marshal: Knighthood, War and Chivalry, 1147-1219, Londres, 2016, « Introduction ». Voir le cas exemplaire des scènes de mort : X. Storelli, Le chevalier et la mort dans l’historiographie anglo-normande (xie siècle-début du xiiie siècle), thèse dactyl., université de Poitiers, 2009, p. 200-229.
24 Mathey-Maille, Écritures du passé…, op. cit. n. 23, p. 160 ; Storelli, Le chevalier et la mort…, op. cit. n. 23, p. 204-207 ; F. Mazel, « Qu’est-ce qu’une bataille décisive ? Jugement de Dieu et légitimation dans les premiers récits de la bataille d’Hastings (v. 1066-1087) », La bataille. Du fait d’armes au combat idéologique, xie-xixe siècle, Rennes, 2015, p. 15-30.
25 Croizy-Naquet, « Deux représentations de la troisième croisade… », op. cit. n. 23, p. 324.
26 Foucher de Chartres, Histoire de la croisade, éd. J. Menard, Paris, 2001, p. 95-96.
27 Croizy-Naquet, « Deux représentations de la troisième croisade… », op. cit. n. 23, p. 316.
28 F. Mazel, « L’héritage symbolique de Guillaume dans l’aristocratie méridionale des xe-xiiie siècles : tradition familiale ou fascination épique ? », Entre histoire et épopée. Les Guillaume d’Orange, ixe-xiiie siècles, éd. L. Macé, Toulouse, 2006, p. 163-180.
29 G. M. Spiegel, Romancing the Past: The Rise of Vernacular Prose Historiography in 13th Century, Berkeley/Los Angeles, 1993 ; Nieus, Un pouvoir comtal…, op. cit. n. 5, p. 139-140.
30 M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005, p. 180-184. Voir aussi A. Moisan, « Les sépultures des Français morts à Roncevaux », Cahiers de civilisation médiévale, 24 (1981), p. 129-145.
31 À ce titre, pour la plupart des chroniqueurs, les vrais héros ou les plus grands ne peuvent être que tombés au combat : Storelli, Le chevalier et la mort…, op. cit. n. 23, p. 106-115.
32 K.-H. Bender, « Les premières épopées de la croisade : de la chronique au roman chevaleresque épique », Les épopées romanes, op. cit. n. 14, p. 37-56, p. 42 notamment. Le Liber Maiolichinus de l’archidiacre de Pise Henri énumère les chefs, Catalans, Pisans, Provençaux et Languedociens, de la croisade menée contre Majorque par le comte Raimond Bérenger Ier de Barcelone et le légat Boson en 1114-1115.
33 Guillaume de Poitiers, Histoire de Guillaume le Conquérant, éd. R. Foreville, Paris, 1952, p. 148-149 et 168-169 ; pour Ambroise, voir M. Ailes, « Heroes of War… », op. cit. n. 9.
34 Affadissement qui va parfois jusqu’à l’occultation complète, comme en témoigne la transformation de Saladin en preux chevalier tenté par la conversion au christianisme : J. Richard, « Les transformations de l’image de Saladin dans les sources occidentales », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 89-90 (2000), p. 177-187.
35 Voir l’appropriation de la figure de Guillaume de Gellone alias Guillaume d’Orange par les moines de Gellone : P. Chastang, « La fabrication d’un saint. La place de la Vita Guillelmi dans la production textuelle de l’abbaye de Gellone », Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratiques dans l’Occident médiéval (ixe-xiie siècle), éd. M. Lauwers, Antibes, 2002, p. 429-448 ; ou celle d’Arthur par les moines de Glastonbury : A. Chauou, L’idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace Plantagenêt (xiie-xiiie s.), Rennes, 2001, p. 204-230.
36 Mazel, « Qu’est-ce qu’une bataille décisive ?… », op. cit. n. 24.
37 Voir notamment R. Kaeuper, Saints guerriers : l’idéologie religieuse de la chevalerie, Paris, 2009. On peut rappeler que la notion de martyre est bien présente dans la Chanson de Roland et qu’Ambroise compare les souffrances de Richard et son armée à la passion du Christ (L’Estoire de la guerre sainte, v. 1186-1192).
38 Aurell, Le chevalier lettré…, op. cit. n. 7, p. 436-437.
39 Guillaume de Malmesbury, Gesta Regum Anglorum, IV, 372, éd. et trad. R. A. B. Mynors, R. M. Thomson et M. Winterbottom, t. I, Oxford, 1998, p. 654 : Cedant ergo poetarum preconia, nec priscos heroas attollat fabula. Nichil unquam horum laudi comparabile ulla genuere secula ; nam et si qua illorum fuit virtus, in sepulchrales favillas post mortem evanuit, quod potius in mundalis pompae fumum quam in ullius boni solidum effusa fuerit. Istorum autem fortitudinis sentietur utilitas et ostendetur dignitas quamdiu orbis volubilitas et sancta vigebit Christianitas.
40 C. de Miramon, « La guerre des récits : autour des “moniages” du xiie siècle », Guerriers et moines…, op. cit. n. 35, p. 589-636.
41 Voir par exemple C. Girbea, La couronne ou l’auréole : royauté terrestre et chevalerie célestielle à travers la légende arthurienne (xiie-xiiie siècles), Turnhout, 2007.
42 Voir notamment M. Lauwers, La mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au Moyen Âge, Paris, 1997.
43 G. Duby, « Remarques sur la littérature généalogique en France aux xie et xiie siècles », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 111/2 (1967), p. 335-345.
44 Les dons d’épée s’inscrivaient dans une tradition remontant à la fin du viiie siècle et participaient avant tout d’une forme de pénitence illustrant le passage de la militia terrestre à la militia céleste (K. Leyser, « Early Medieval Canon Law and the Beginnings of Knighthood », Institutionen, Kultur und Gesellschaft im Mittelalter. Festschrift für J. Fleckenstein zu seinem 65. Geburtstag, éd. F. Lutz, W. Rösener, T. Zotz, Sigmaringen, 1984, p. 549-566). Mais leur conservation dans le trésor des églises devait sans doute en faire le support du souvenir des exploits et des vertus de leur premier détenteur, comme le suggère le cas de Bouchard de Vendôme : M. Lauwers, « La Vie du seigneur Bouchard, comte vénérable : conflits d’avouerie, traditions carolingiennes et modèles de sainteté à l’abbaye des Fossés au xie siècle », Guerriers et moines…, op. cit. n. 35, p. 371-418, en particulier p. 403-414. Sur la transformation des objets par leur donation et leur intégration aux trésors d’église, voir P. Buc, « Conversion of Objects », Viator, 28 (1997), p. 99-143.
45 J. Flori, Bohémond d’Antioche, chevalier d’Aventure, Paris, 2007, p. 293-300.
46 E. Grésy, Étude paléographique et historique sur le rouleau mortuaire de Guillaume des Barres, Paris, 1865.
47 G. Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, 1986, en particulier p. 16-17 ; Crouch, William Marshal…, op. cit. n. 23, p. 193-194 ; Storelli, Le chevalier et la mort…, op. cit. n. 23, p. 727-742.
48 L. Macé, Les comtes de Toulouse et leur entourage, xiie-xiiie siècles. Rivalités, alliances et jeux de pouvoir, Toulouse, 2000 ; F. Mazel, « Noms propres, dévolution du nom et dévolution du pouvoir dans l’aristocratie provençale (milieu xe-fin xiie siècle) », Provence historique, 53 (2003), p. 131-174.
49 R. Bizzochi, Généalogies fabuleuses. Inventer et faire croire dans l’Europe moderne, Paris, 2010. Un cas précoce est fourni par la légende héraldique des Coucy apparue dans un armorial du xve siècle et reprise ensuite dans le Traité des nobles de François de L’Alouëte en 1577 (Barthelemy, « Les sires fondateurs… », loc. cit. n. 4, p. 197).
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