Premiers paysans des Pyrénées occidentales
Un exemple d’adoption et d’adaptation de l’économie de production en milieu montagnard
p. 37-45
Résumés
L’article propose un regard sur l’adoption de l’économie de production et son évolution en milieu montagnard au travers de données archéologiques issues d’une thèse sur le Néolithique des Pyrénées nord occidentales. La lecture des structures archéologiques et l’étude du matériel lithique trouvé lors de prospections et de fouilles programmées et préventives permettent de cerner en partie les processus complexes de néolithisation résultant d’interactions entre un fond mésolithique local bien identifié et des influences néolithiques méridionales et septentrionales. La montagne, lieu faiblement anthropisé durant le Néolithique ancien, devient progressivement un espace exploité, utilisé, habité durant le Néolithique moyen et final. La présence d’un abondant matériel lithique corrobore les données paléo-environnementales montrant une ouverture de l’espace montagnard et la mise en place d’activités pastorales. Durant la fin du Néolithique final, l’exploitation des zones montagnardes s’exprime également par l’utilisation des ressources en cuivre.
The paper offers a look over the adoption of productive economy and its evolution in mountain environment through archaeological data collected for a PhD dissertation dealing with the Neolithic of the North-Western Pyrenees. The observation of field evidence and the study of lithic artefacts during surveys and excavations (both salavage excavations and long-term projects) make possible to evaluate quite correctly the complex neolithization processes that result from interactions between a local clearly identified Mesolithic background and Southern and Northern Neolithic influences. The mountain, the anthropization of which during Early Neolithic remains weak, gradually becomes during the Middel and Late Neolithic an exploited and inhabited area. The presence of numerous lithic artefacts confirms thre archaeo-environmental data which testify to an opening of the mountain area and to emergence of pastoralism. During the final period of Late Neolithic the exploitation of the mountain includes the use of coper ressources.
Entrées d’index
Mots-clés : Pyrénées, néolithique ancien, industries macro-lithiques, activités pastorales, exploitation métallifère
Keywords : early Neolithic, late Neolithic, macrolithic industries, neolithization, pastoralism, copper mining
Texte intégral
1Le Néolithique des Pyrénées nord-occidentales est encore assez mal connu du fait de la faiblesse et de la dispersion des données disponibles, avec peu de sites fouillés, et surtout peu de sites publiés. Cependant depuis le début des années 1990 la multiplication des fouilles programmées, et plus récemment encore le développement de l’archéologie préventive, ont contribué à une augmentation sensible de la documentation.
2Notre travail dans le cadre de la thèse vise à élaborer une synthèse du Néolithique des Pyrénées nord-occidentales guidée par l’étude des lames de pierre polie.
3De ces recherches encore largement en discussion, et nous insistons bien sur ce fait, nous avons extrait quelques éléments de réflexion quant à la néolithisation, c’est-à-dire l’adoption d’une économie de production, et le développement du Néolithique, c’est-à-dire l’adaptation de cette économie à un milieu marqué par son relief.
4Après avoir présenté rapidement le cadre géographique de notre étude nous proposerons donc deux axes principaux de réflexions, avec d’une part la présentation d’une série d’éléments concernant le Néolithique ancien, et d’autre part l’exposé de données autour du Néolithique final.
Cadre d’étude
5Notre étude prend place dans la zone géographique des Pyrénées nord occidentales, c’est-à-dire le versant nord-ouest de la chaîne des Pyrénées limité par le fleuve Adour (fig. 1).
6Administrativement, ce terrain d’étude se développe sur le département des Pyrénées Atlantiques (Pays basque nord et Béarn, 64) et une grande moitié ouest du département des Hautes Pyrénées (65) ainsi que sur le tiers sud de celui des Landes (40), et une toute petite partie sud-ouest du Gers (32).
7Cet ensemble, limité au nord par la lande des sables, au sud par la ligne de crêtes que la frontière franco-espagnole, reprend très largement, à l’ouest par l’océan Atlantique et à l’est par le bassin de la Garonne, présente une superficie d’environ 15 200 km².
8Concernant la topographie, schématiquement, le tiers sud de notre territoire d’étude est un milieu de moyenne montagne et haute montagne. Plus on va vers l’est plus l’altitude est élevée. Enfin, nous pouvons voir les deux tiers nord du territoire comme une zone vallonnée, de collines plus ou moins prononcées tendant vers la plaine en allant vers le nord.
Néolithisation
9Notons avant toute chose que nous travaillons avec un faible nombre de données et des datations radiocarbones dont l’imprécision peut s’avérer parfois importante.
10De façon générale, la néolithisation des Pyrénées nord occidentales s’inscrit dans un phénomène progressif de vagues successives de populations et/ou d’influences venues de Méditerranée (fig. 2). Ces dernières arrivent tantôt par le sud, tantôt plus directement et plus tardivement par le nord, le tout au sein d’un substrat mésolithique bien présent. Nous aurions donc une néolithisation qui prendrait la forme d’interactions successives permettant notamment d’apporter petit à petit dans un fond mésolithique, la céramique, la faune et la flore domestiques (fig. 3).
11L’expansion des néolithiques plus rapide par le versant sud et par l’Ebre pourrait s’expliquer par des différences de biotope avec un versant sud très largement méditerranéen (les populations se déplaçant avec des espèces végétales et animales déjà adaptées). À la faveur de cols d’altitude un peu moins élevés dans la partie ouest des Pyrénées, ces néolithiques ont pu laisser les premières traces de l’économie de production sur le versant nord. Ces passages sont à l’origine d’une première anthropisation de la montagne, qui reste tout de même très légère, localisée et ponctuelle.
12Par la suite, l’arrivée, dans notre région, de populations post-cardiales (Épicardiales) en provenance du Languedoc a pu être plus directe, bien que, là encore, un phénomène de remontée d’influences depuis le sud soit encore perceptible dans le même temps.
13Les cultures de Méditerranée nord-occidentale ont donc joué un rôle déterminant dans la néolithisation de l’ouest des Pyrénées et plus largement du sud de la France et de la péninsule ibérique. Si les premières installations Impressa apparaissent timides et limitées, la formation de la sphère Cardiale fut déterminante y compris dans son développement auquel nous associons l’Épicardiale.
14Dans ce Néolithique ancien, la montagne n’est que faiblement anthropisée, de façon ponctuelle et limitée, certainement aux cours de rares excursions. Mais ces Pyrénées auront tout de même jouées un rôle important en séparant en deux les routes des populations néolithiques de part et d’autre de la chaîne montagneuse.
Le Néolithique final
15La néolithisation faite, et l’économie de production adoptée, l’un des enjeux est à présent de développer ces nouveaux modes de vie dans un espace montagnard riche, mais parfois hostile.
16Pour les 1 200 années qui suivent et donc pour le Néolithique moyen nous ne disposons que de peu d’informations. Du point de vue des données paléo-environnementales, il semble que les néolithiques poursuivent leur conquête de la montagne (Galop, 2006). Ainsi ils conquièrent doucement mais sûrement des altitudes de plus en plus élevées, en particulier pour les activités d’élevage, avec notamment la mise en place de cabanes d’altitude ou des grotte-bergeries dans les zones de pacages (site de Mikela, par exemple).
17À la toute fin de la période il semble qu’il y ait une phase de déprise (ou de tassement selon les endroits) des activités humaines en montagne. Mais ce court épisode précède le retour, et une explosion, si l’on peut dire, des indices polliniques d’anthropisation de la montagne (Galop, 2006), mais aussi du nombre de sites, et pourquoi pas, une certaine expansion démographique.
18Nous proposons une carte des principaux sites attribués au Néolithique final dans notre région d’étude (fig. 4). Ici, nous nous concentrerons sur les sites non funéraires.
19Pour le piémont nous remarquerons que les sites d’habitat et indices de sites d’habitat de plein air se distribuent le long des grands cours d’eau dans la zone des collines. Nous n’avons qu’un seul site d’habitat de plein air fouillé que nous devons aux fouilles préventives récentes de l’A65 et qui ne sont pas encore publiées. En revanche nous pouvons nous appuyer sur des indices de sites d’habitat de plein air. En effet, des ramassages de surfaces sur des espaces assez restreints ont livré plusieurs dizaines de lames polies, d’outils lithiques (couteau sur plaquette de silex, armatures de flèches à ailerons et pédoncules ou foliacées, etc.) et macro-lithiques divers (choppers, galets à cupules, galets à encoches, etc.). Ces industries macro-lithiques visibles sur l’ensemble du piémont nord pyrénéen semblant tout à fait caractéristique pour notre région du Néolithique final. Nous ne développerons pas ici, cela n’est pas le sujet du présent article, l’étude de ces indices de sites, mais il apparaît que nous pouvons tout à fait les considérer comme cohérents, fiables et attribuables à ce Néolithique final.
20En montagne nous retrouvons quelques grottes ayant servies pour des activités domestiques, ainsi que des polissoirs situés dans des zones d’altitudes (quelques rares lames polies ont aussi pu être découvertes en surface malgré la difficulté de prospecter ces espaces à vocation pastorale). La manipulation de ces données relatives aux polissoirs doit se faire avec précaution car certains pourraient être de simples affûtoirs pour outils métalliques et donc bien plus récents. De plus, nous noterons la mine de cuivre du Causiat située à 1 600 mètres d’altitude et exploitée dans la deuxième moitié du Néolithique final (Beyrie et Kammenthaler, 2008).
21Les habitats de plein air du piémont témoignent d’une inflation de l’outillage lourd lié à des activités d’exploitation des forêts notamment (abattages et travail du bois) au Néolithique final. De plus, cette exploitation de la forêt est confirmée en altitude par la présence de polissoirs fixes, mais aussi par une augmentation des indices paléo-environnementaux dont ceux de paléo-incendies (Galop, 2006). De plus, ces études paléo-environnementales semblent indiquer que ces ouvertures de l’espace montagnard ont pour objectif principal la mise en place d’activités pastorales.
22Le Néolithique final marque donc l’intensification de la fréquentation pastorale de la haute montagne avec, même si nous devons rester encore très prudent, la mise en place possible d’une transhumance régulière et pérenne. Il s’agirait donc de circulations saisonnières entre les habitats de plein air de la zone des collines (du piémont) et les zones de pâturage, impliquant si ce n’est des communautés entières, des groupes familiaux comme semblent le suggérer les études anthropologiques réalisées dans les grottes sépulcrales (bien que ces données soit plus évidentes et quelque plus étoffées pour le Bronze ancien/moyen), (Courtaud et Dumontier, 2010). De plus, à la fin de la période, ce ne sont plus seulement les ressources biologiques des zones de pacages qui sont utilisées mais aussi les ressources minérales et en l’occurrence métallifères, comme le montre les indices de paléo-pollutions (Galop et al., 2002) mais aussi et surtout la mine du Causiat (Beyrie et Kammenthaler, 2008).
23Nous avons donc pu voir comment progressivement, et sans doute au contact de vagues successives de populations néolithiques venues de Méditerranée, les populations ont progressivement adopté l’économie de production. Dans cette phase, la montagne n’est que faiblement anthropisée, de façon ponctuelle et limitée, certainement au cours de rares excursions. Nous aurons vu que cette montagne a séparé en deux les routes des populations néolithiques avec une voie de part et d’autre de la chaîne pyrénéenne. La voie sud progresse visiblement de façon plus rapide, peut-être à la faveur d’un biotope et d’un climat plus favorable, le versant sud se trouvant en bassin méditerranéen et non atlantique au contraire du versant nord.
24Par la suite, cette montagne est progressivement conquise. Au Néolithique final elle est totalement anthropisée. Cette période marque un tournant important dans l’utilisation de l’ensemble des ressources biologiques et même plus large (minérales) de la montagne dans la deuxième moitié du Néolithique final. Cela implique des changements importants et durables dans ce milieu, à l’image de la forêt d’Iraty, en Pays basque, où le hêtre a remplacé le sapin à la suite de cette anthropisation, et fait de cette forêt aujourd’hui la plus grande hêtraie d’Europe (Galop, 2006).
Bibliographie
Beyrie A. et Kammenthaler E. (2008) – Aux origines de l’activité minière dans les Pyrénées occidentales. L’exploitation du cuivre, du fer, de l’or et de l’argent, Archéopages, Mines et carrières, 22, p. 28-31.
Cassen S. (1989) – Préhistoire et Protohistoire à Labatut (Landes) et Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) : l’apport de la prospection spontanée, Bulletin de la Société de Borda, 416, p. 515-522.
Chauchat C. (1968) – Les industries préhistoriques de la région de Bayonne, du Périgordien ancien à l’Asturien, thèse de 3e cycle, université de Bordeaux, 2 tomes.
Courtaud P. et Dumontier P. (2010) – Les structures funéraires marqueurs des territoires, dans V. Mistrot (dir.), De Neandertal à l’Homme moderne, l’Aquitaine préhistorique, vingt ans de découvertes (1990-2010), Bordeaux, p. 189-195.
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Galop D. (2006) – La conquête de la montagne pyrénéenne au Néolithique. Chronologie, rythmes et transformation des paysages à partir des données polliniques, dans J. Guilaine (dir.), Populations néolithiques et environnement, Paris, p. 279-295.
Galop D., MonnA F., Beyrie A., Carozza L., Mougin V., Parent G. et Marembert F. (2002) – Métallurgie et histoire de l’environnement au cours des cinq derniers millénaires en Pays basque nord (vallées de Baigorri, Pyrénées-Atlantiques, France) : résultats préliminaires d’une approche interdisciplinaire, Acheologia Postmedievale, 6, p. 155-169.
Roussot-Larroque J. (1977) – Néolithisation et Néolithique ancien d’Aquitaine, Bulletin de la société préhistorique Française, 74 (2), p. 559-582.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 8215 : Trajectoires. Sujet de thèse : Lames polies et sociétés néolithiques en Pyrénées nord occidentales. Synthèse régionale à la lumière d’un outil emblématique.
Directeur : F. Giligny. Thèse soutenue le 27 novembre 2012.
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