– XIII – Sur le navire alfonsin un oiseau nommé phénix
p. 165-183
Texte intégral
1 Démocratie : le mot, si longtemps enfoui dans le coeur des Argentins, comme si sa signification même avait quelque chose de trivialement contraire au destin national, rajeunit soudain le visage du pays et, sur toutes les lèvres, se fait incantation.
2Dans la perspective des élections générales, les deux formations les plus importantes du pays – justicialisme et radicalisme – engagent un grand débat interne sur le choix de leurs candidats à la Présidence de la République.
3Dans le camp péroniste, c’est le " trop-plein" : quatre candidats potentiels.
4Italo Luder, centre-gauche, ancien Président intérimaire sous Isabelita, Angel Robledo, modéré, ancien ministre d’Isabelita, Antonio Cafiero, le péroniste "historique", Lorenzo Miguel, le "leader ouvrier" des "62 organisations" – rivalisent de déclarations et d’initiatives diverses.
5Autour d’eux, face à eux, réagissent les tenants de la droite (Matera et certains caciques de la C.G.T.) et de la gauche péroniste (cette dernière ayant fait sa réapparition avec la nouvelle génération issue des "Jeunesses Péronistes" de la période du Tío : Galimberti, Abal Medina, Jorge Vásquez, Julio Puig, Mario Cámpora...
6Amputée des "disparus" de la "sale guerre", la famille péroniste s’est cette fois encore réunie, mais pour se déchirer de plus belle, en se livrant, sept ans après, à des règlements de compte sans lesquels elle ne peut vivre. La formule de J.W. Cooke retrouve toute son actualité : le "géant", privé de son fondateur, est encore plus "invertébré" que naguère1.
7 A Madrid, Isabelita semble vouloir rester à l’écart de ces prépara tifs, vivant en recluse dans un appartement situé près du Prado. Souffrante de dépression nerveuse "à rechute", et d’ennuis glandulaires, elle ne sort que pour de rares promenades au parc du Retiro, pour des vacances estivales sur la côte méditerranéenne, et pour ses visites, aussi fréquentes que discrètes, à l’église de Los Jerónimos.
8Les plus lucides d’entre les péronistes se livrent à un examen de conscience des erreurs commises au cours de la période de l’ "isabel-réguisme" . Angel Robledo, de son cabinet d’avocat de la rue Paraná, porte ce jugement : "Le problème ne fut pas la gauche (du mouvement), mais le désordre qui se généralisa dans nos rangs à partir de la mort du général Perón : le mouvement syndical commença à agir pour son compte ; le mouvement politique pour son compte, et les militaires entreprirent d’agir sur beaucoup de parlementaires du parti en les encourageant à "l’indiscipline" 2.
9Dans le camp radical (Union Civique Radicale), l’affrontement interne entre l’aile gauche incarnée par Raúl Alfonsín et l’aile droite représentée par de la Rúa est très court, et se solde à l’avantage du premier.
10Raúl Alfonsín est une figure bien assise dans le radicalisme : leader du mouvement "Rénovation et Changement", il a, notamment, fait ses armes contre l’inamovible Ricardo Balbín, candidat de l’U.C.R. contre Perón lors des élections présidentielles de 19733.
11Sitôt investi4, le candidat radical se lance dans la campagne électorale en parcourant les provinces.
12Au cours de son premier meeting électoral organisé le 16 juillet 1982 en présence de 10.000 personnes, il s’adresse aux "mères de la Place de Mai" : "Le problème des disparus exige une réponse morale. Nous ne sommes pas animés par un esprit de vengeance, mais nous ne pouvons pas accepter de reconstruire la démocratie en transigeant sur les principes !"
13Au fur et à mesure qu’il mène campagne (il a démarré très tôt), ses attaques contre le Péronime s’atténuent, disparaissent quasiment. Il cherche en fait à être perçu comme une synthèse entre le grand ancêtre radical et le leader populiste : Yrigoyen et Perón.
14Le Péronisme, toujours empétré dans ses contradictions, organise ses élections internes. Mi-septembre, Italo Luder obtient l’investiture.
15Son nom est étroitement lié à la présidence d’Isabel Perón, puisqu’il a exercé, en tant que Président du Sénat, l’intérim présidentiel du 11 septembre au 17 octobre 1975 alors que la Présidente, à bout de forces, avait dû prendre des vacances prolongées, et qu’ensuite il fut l’avocat au cours du procès intenté à Isabelita au lendemain de sa destitution. Jamais, depuis le coup d’Etat de 1976, il ne fut arrêté, ce qui, lorsqu’on est péroniste, relève de l’exploit. Malgrè son succès à l’issue des "primaires" organisées dans le mouvement justicialiste, Italo Luder n’est toutefois pas parvenu à empêcher la désignation de Lorenzo Miguel, l’homme fort du syndicalisme péroniste, comme Vice-Président du conseil supérieur du mouvement. Ce dernier devient, en fait, le vrai patron du parti, puisque la Présidente en titre, Isabelita, qui reste fixée à Madrid, n’exerce qu’un leadership symbolique.
16En dehors de ses références péronistes, surtout liées à la période "isabellienne", quelle est l’image que donne de lui l’homme Italo Luder ? C’est un avocat et un professeur d’université, plutôt réservé. Il est d’origine suisse, il a la distinction sobre, le geste mesuré, le tein pâle et la minceur bien peu "criolla". Bref, il est à l’opposé des canons traditionnels du candidat péroniste. Lui est associé, comme candidat à la Vice-Présidence, Deolindo Bittel, notaire et dirigeant péroniste de la province du Chaco, lui aussi d’origine suisse. En définitive, un tandem péroniste fort respectable, très "establishment", peu enclin, par nature, à emflammer les foules.
17Italo Luder, Raúl Alfonsín : une double méprise, qui ira s’accentuant au cours de la campagne électorale qui oppose les deux principales forces politiques "civiles" du pays. Le premier a l’apparence, le style, le "quant à soi" du classique candidat radical. Le second, même s’il s’est toujours identifié au courant radical, a le physique et la fibre populaire qui ont toujours constitué les atouts spécifiques des leaders péronistes.
18Le "péroniste", donc, possède les caractéristiques des anciens radicaux. Le "radical", quant à lui, est un caudillo moderne.
19Dans les meetings électoraux, les forces respectives paraissent à égalité. Le 26 octobre, à Buenos Aires, Raúl Alfonsín rassemble 800.000 personnes. Italo Luder, deux jours plus tard, mobilise un million de partisans.
20Et c’est bien là, précisément le sujet d’inquiétude des péronistes : la quasi égalité que traduit la mobilisation populaire constitue pour le mouvement justicialiste, une "anomalie". Le courant Alfonsín serait donc tel qu’il puise aux sources mêmes du Péronisme ?
21Les affiches péronistes ont beau proclamer : " Nous reviendrons pour tous les Argentins" ; Italo Luder a beau affirmer, d’une voix monocorde : " Que personne ne se trompe en cette heure décisive pour la nation ! La caractéristique d’une société moderne, c’est la participation, et depuis 40 ans, le drapeau de la participation appartient au Péronisme !", il y a, décidément, pour les héritiers de Perón, un grave impondérable qui, pour la première fois dans un contexte d’élections libres, vient percuter leur foi native.
22En novembre 1983, une nouvelle donne politique s’opère en Argentine. Les résultats électoraux surprennent : 52 % des voix pour Raúl Alfonsín, 40 % pour Italo Luder. Les autres partis, dont le "Parti Intransigeant" d’Oscar Alende, sont réduits à la portion congrue5.
23Le triomphe radical est total : l’U.C.R. s’adjuge 317 des 600 sièges qui composent le collège électoral6, tandis que le parti péroniste en détient 259. Les résultats des élections législatives, couplées avec le scrutin présidentiel, placent également les radicaux assez largement en tête : 129 sièges, contre 111 aux péronistes, et 3 au "Parti Intransigeant" d’Oscar Alende.
24Jorge Luís Borges, le vieil écrivain aveugle, phare de la littérature mondiale, l’écrivain qui fut toujours opposant au Péronisme et opposé à l’idée de la démocratie politique, salue la victoire radical comme un "retour au bon sens, aux principes moraux et à la bonne voie" et assure qu’ "une majorité d’Argentins était lassée de la mythologie perverse" du Péronisme.
25Pour les justicialistes, on s’en doute, le résultat de ce retour de la démocratie constitue un coup d’assommoir : la pire épreuve qu’ils aient jamais subie. En effet, les coups d’Etat de 1955 et de 1976 avaient été des sanctions militaires, le "coup" de 1983 est celui d’une sanction populaire. Le Péronisme, sur le terrain électoral, avait toujours été invincible. Désormais, un nouveau mythe s’effondrait. Italo Luder disparaît de la scène et Lorenzo Miguel, leader des "62 organisations", démissionne de son poste de Vice-Président du parti justicialiste.
26Le 8 novembre 1983, Alfonsín-le-conquérant constitue son gouvernement : 8 ministres radicaux qui, tous, à l’exception du ministre de l’Intérieur7, sont des "alfonsinistes" bon teint. Parmi ces ministres, se détache la personnalité de Dante Caputo, ministre des Affaires Etrangères, âgé de 39 ans, conseiller politique du nouveau Président depuis 19768. Alfonsín se constitue son "domaine réservé" : les Affaires Etrangères, précisément, ainsi que la Défense et les relations avec les syndicats.
27Il s’agit donc d’une équipe restreinte, soudée, facile à diriger.
28Un extraordinaire climat de liesse populaire préside à l’investiture d’Alfonsín, le 10 décembre 1983. Isabel Perón répond à l’invitation des nouvelles autorités et assiste à la cérémonie. Alfonsín lance alors cette phrase, qui sonne comme l’acte de foi d’une confiance ressucitée : "Plus jamais nous ne retournerons aux gouvernements militaires !"
29Le vainqueur qui s’installe à la Casa Rosada a, en effet, foi en la démocratie et foi en lui-même. Il a gagné, non pas parce qu’il appartient au parti radical, mais parce que, malgré la dictature qui a sévi pendant sept ans, l’oubli n’a pas encore totalement effacé dans les consciences le terrible échec du "Péronisme deuxième période", et surtout parce que l’homme Alfonsín possède les qualités personnelles indéniables : générosité, courage, chaleur communicative, honnêteté intellectuelle, avec de surcroît, l’autorité et la densité qui font parfois défaut aux dirigeants modernes. Alfonsín a du charisme, et il le sait. Peut donc commencer une ère nouvelle.
30Son "grand dessein" est à la mesure des espérances de l’Argentine. Il s’agit, ni plus ni moins, de refaire l’unité de la nation, et de relever l’économie du pays.
31Refaire l’unité d’une nation, condition nécessaire pour jeter les bases, en cette fin du vingtième siècle argentin, d’une authentique démocratie.
32Mais, concrètement, la voie est on ne peut plus étroite pour le gouvernement radical. Comment, en effet, à la fois traduire en justice, sans aucune concession, le commandement militaire responsable de la "sale guerre" et ne pas discréditer l’Armée qui, en tant qu’institution, doit concourir au rétablissement de l’état de droit ? Comment, à la fois, répondre à l’attente légitime des organisations de défense des droits de l’homme, et ne pas provoquer la rébellion ouverte des nostalgiques de l’ordre ancien ? La démarche est un exercice de haut style, qui exige fermeté et souplesse, respect de l’éthique et sens du pragmatisme.
33L’Armée, à la fin de la dictature, avait tenté de se prémunir contre le procès dont elle se sentait menacée à partir du moment où le gouvernement civil s’installerait à la Casa Rosada. Elle avait prévu, pour sa sauvegarde, une loi d’auto-amnistie.
34Le 13 décembre 1983, à peine installé, Raúl Alfonsín annonce que les membres des trois premières juntes militaires depuis 1976 seraient déférés en justice9, mais jugés par les tribunaux des forces armées. Le code de justice militaire est alors modifié : désormais, il pourrait être fait appel devant la justice civile des verdicts rendus par les tribunaux militaires10. Cette décision soulève une tempête de protestations dans les organisations de défense des droits de l’homme qui y voient une parade destinée à escamoter la responsabilité des généraux et amiraux qui ont organisé la répression. Le gouvernement décide alors de créer, non pas une commission parlementaire (dont les pouvoirs sont étendus), mais une "commission nationale des disparus" (CONADEP), composée de personnalités irrécusables, qui aura pour mission d’enquêter sur les cas de violence institutionnelle au cours de la dictature et de remettre un rapport à l’exécutif. Une nouvelle fois, les organisations de défense des droits de l’homme considèrent que le gouvernement est, décidément, bien trop pusillanime, et le mouvement des "Mères de la Place de Mai" parle de "trahison".
35La CONADEP, quoi qu’il en soit, entreprend un long et pénible travail : elle recense environ 9.000 cas de détention avec des témoignages sur les disparitions et les tortures. Un film est alors projeté à la télévision, et près de 2 millions de téléspectateurs le verront.
36Dans le même temps, les partisans de l’ordre ancien ne tardent pas à dénoncer dans l’attitude du gouvernement une sorte de complicité rétrospective (à tout le moins d’indulgence) avec les organisations révolutionnaires et terroristes (ERP et Montoneros) responsables, à l’origine, de la subversion11.
37 Comme il fallait s’y attendre, le tribunal suprême militaire, dans une déclaration, finit par indiquer qu’aucune charge sérieuse ne peut être imputée aux 9 chefs militaires. Il ajoute que les témoignages sur les violations des droits de l’homme émanaient de "personnes impliquées dans les faits dénoncés, ou avaient un lien de parenté avec ceux qui l’étaient et que, par conséquent, leur objectivité et leur crédibilité étaient relatives".
38Le pouvoir exécutif doit donc se rendre à l’évidence : puisque l’Armée refuse de juger les 9 membres des Juntes, et qu’elle refuse, du même coup, de se réhabiliter aux yeux de l’opinion publique, force est de se tourner vers la justice civile, en ouvrant un nouveau procès.
39C’est ainsi que le jugement civil des 9 chefs militaires va s’initier à partir du 22 avril 1985 à Buenos Aires. Les inculpés invoquent le devoir dans lequel ils s’étaient trouvés de défendre l’ordre "occidental et chrétien" . Ce procès, qui est public, nécessitera trois mois et demi pour aboutir au verdict : prison à vie pour le général Vide la et l’amiral Massera ; dix sept ans de prison pour le général Viola ; huit ans pour l’amiral Lambruschini ; quatre ans et six mois pour le général de brigade Agosti. Quatre chefs sont acquittés : le général de brigade Graffigna, le général Galtieri, l’amiral Anaya et le général de brigade Lami Dozo.
40De nouveau, au cours du procès et après la sentence, le gouvernement d’Alfonsín est la cible d’attaques frontales provenant, d’une part, des milieux conservateurs12 qui font valoir, au pire, que la lutte anti-subsersive était une "guerre sainte", au mieux, qu’il faut avoir l’intelligence de savoir tourner discrètement certaines pages de l’histoire ; d’autre part, de certains noyaux démocratiques qui estiment que le nouveau pouvoir a manifesté une trop grande clémence à l’égard des responsables d’un "génocide" . Se propagent alors des rumeurs de coups d’état et une vague d’attentats s’abat sur le pays.
41Dans ce climat délétère, le gouvernement décrète l’état de siège en octobre 1985, pour une durée de soixante jours. Reste, pour Alfonsín à trancher une autre question : doit-on amnistier, ou au contraire traduire également en justice le millier de militaires et de membres de la police, ceux-là de rang intermédiaire, accusés d’ "excès" dans la répression ?
42Sur ce point, le gouvernement, qui avait préféré devant l’urgence des échéances économiques liquider au mieux et au plus tôt l’affaire de la "sale guerre", paraît flotter.
43Dans le domaine économique, là aussi l’héritage, fruit des expériences monétaristes s’avère désastreux.
44 Jorje Schvarzer, directeur du CISEA (Centro de Investigaciones sociales sobre el Estado y la Administración) brosse ainsi le bilan de la gestion militaire : "les statistiques de production donnent une première idée de la situation : en 1983, le PIB était identique à celui de 1974 et l’investissement fixe atteignait à peine 70 % de la moyenne de la décennie précédente. Entre temps, la dette extérieure avait considérablement augmenté, atteignant, en raison de la spéculation financière et de la fuite des capitaux, 60 % du PIB, sans qu’existe pour autant un investissement équivalent au sein de l’économie nationale". 13
45L’inflation, alors que les radicaux s’installent aux commandes du pays, est d’environ 300 % par an (de 1975 à 1983, les prix auront été multipliés par 20 000). Le déficit budgétaire représente 14 % du PIB. La dette extérieure s’élève à 45 milliards de dollars (fin 1983)14.
46Alfonsín, au moment où il est épié par les forces antagonistes quant à sa volonté de jeter les bases d’un véritable état de droit, sait qu’il va être promptement jugé, par l’opinion publique cette fois, sur sa capacité à relever le niveau de vie des Argentins.
47Le gouvernement, alors, laisse entendre que son objectif consiste à ramener l’inflation à environ 50 % pour la fin de 1984, à faire passer le déficit budgétaire de 14 % à 4 % du PIB, tout en mettant en oeuvre les moyens nécessaires à une reprise de la production et à une augmentation du salaire réel de 6 à 8 % au cours de la première année d’une économie de "post-guerre".
48En janvier 1984, grâce à l’instauration d’un premier contrôle des prix, l’inflation passe d’une moyenne mensuelle de 18 % à 12,5 %. Un mois plus tard, l’indice recommence à grimper, pour retrouver sa tendance antérieure. La croissance, stimulée par des hausses de salaires et une baisse des taux d’intérêt, enregistre vers le milieu de l’année une augmentation de 3 % par rapport à son niveau de 1983. Mais, à la fin de l’année, la chute des cours mondiaux de céréales remet brutalement en cause l’amélioration de la production agricole, pilier essentiel des exportations argentines.
49Dans le même temps, le gouvernement se débat avec les problèmes de sa dette extérieure. Il tente d’abord de traiter directement avec les créanciers, sans passer par le FMI. Les négociations échouent au second trimestre 1984.
50A cette époque (mai 1984), Isabel Perón se rend de nouveau à Buenos Aires, invitée par le Président Alfonsín, qui veut négocier avec elle un "pacte national". Reçue à la Casa Rosada, la célèbre exilée de Madrid semble alors apporter la caution du Péronisme au gouvernement radical, ce qui provoque un certain trouble dans les rangs justicialistes. Le 7 juin, le gouvernement et les partis politiques15 ratifient, effectivement, le pacte d’union nationale, destiné à faciliter la tâche du gouvernement avant que s’ouvre une délicate négociation avec le FMI.
51Cela ne sert à rien : les autorités argentines sont, en effet, obligées de passer sous les fourches caudines de cet organisme international, qui leur impose une stricte politique d’ajustements.
52Lors du voyage qu’il entreprend en Europe, en octobre, Alfonsín, qui assure avoir établi "la démocratie pour cent ans" vient négocier avec le Club de Paris16. La dette extérieure argentine est alors de 45 milliards de dollars.
53A la fin de l’année, la production industrielle chute, quant à elle, de 4 % en valeur, et continue sur cette tendance début 1985. Mi-1985, l’aggravation du chômage, ainsi que la réduction du pouvoir d’achat des salariés17 traduisent alors l’échec du programme Alfonsín. Le ministre de l’économie démissionne et est remplacé par Juan Sourrouille, qui arrive à la tête d’une équipe de spécialistes issue du ministère de la Planification.
54La nouvelle équipe décide alors d’appliquer une thérapeutique de choc, et lance le "Plan Austral".
55Pour vaincre cette fatalité que constitue l’état de "stagflation" (récession, déficit budgétaire et hyperinflation), il faut que l’Etat retrouve le contrôle de la situation économique, en instaurant une autre stratégie, avec d’autres règles.
56Le 14 juin 1985, les mesures suivantes sont annoncées : plan de lutte contre l’inflation, blocage des prix et des salaires, lancement d’une nouvelle monnaie – l’austral, qui remplace le peso –, arrêt de l’émission monétaire qui n’aurait pas sa contrepartie en devises18.
57Rupture totale, par conséquent, avec la politique pratiquée depuis dix années.
58Le gouvernement a été compris : le plan est ressenti comme positif par l’opinion publique.
59De fait, les premiers résultats sont encourageants : l’inflation passe d’une augmentation annuelle de 1.129 %, enregistrée en juin 1985) à 50 % (juin 1986). Les salaires augmentent de près de 8 % au cours du second semestre 1985 par rapport au semestre précédent, puis de 2 % supplémentaires début 1986. La production industrielle, en ce qui concerne les biens de consommation et les exportations, de même que l’investissement, reprennent dès l’automne qui suit le lancement du plan.
60Fait totalement inédit depuis des décennies : le secteur public, sous l’effet d’une stricte discipline budgétaire, enregistre un solde positif, avant paiement des intérêts de la dette extérieure.
61Mais l’Argentine avait déjà retrouvé ses vieux démons que la raison ne peut tenir trop longtemps en lisière : la C.G.T. est, pour le régime, un adversaire autant syndical que politique.
62Et il ne faut pas compter sur elle pour contribuer à la "pacification" de l’économie, et surtout à la cohabitation avec le gouvernement d’Alfonsín, dès lors que les travailleurs s’impatientent d’obtenir quelques dividendes de l’assainissement économique.
63Il est vrai que le pouvoir radical avait commis, dans sa louable intention de construire les fondements d’une "démocratie syndicale", nombre de maladresses à l’égard de cet état dans l’Etat que représentait la C.G.T.
64Comment donc le gouvernement avait-il réussi cette contreperformance qui avait abouti à reconstituer l’unité de la C.G.T. péroniste ?
65Il faut se souvenir, en effet, qu’au temps de la dictature militaire, la C.G.T. s’était brisée et que la ligne de fracture avait séparé une C.G.T. accomodante (C.G.T. Azopardo) d’une C.G.T. qui, bien que décapitée, restait dans ses sections de base une force d’opposition (C.G.T. Brasil).
66Or, malgré l’échec des péronistes aux élections présidentielles de 1983, les dirigeants de la C.G.T. avaient obtenu un nombre important de sièges au sein du parti justicialiste au Congrès. Lorsque le ministre du Travail présente son projet de normalisation syndicale début 1984, destiné à introduire une succession de mécanismes d’élection des dirigeants, en commençant par le bas de la pyramide (délégués, commissions d’entreprise, sections locales) pour continuer vers le sommet, et à confier au ministère du Travail la mission de veiller à la régularité des opérations électorales19, la rébellion de la C.G.T. s’exprime au Congrès ou les justicialistes, abattus par leur défaite, commencent à resserrer les rangs.
67A la Chambre des députés, où les radicaux détiennent la majorité absolue des sièges, le projet gouvernemental est approuvé. Mais au Sénat, où les péronistes ont la majorité relative à la suite de leur victoire dans douze des vingt-quatre provinces (les radicaux ne l’ayant emporté que dans neuf provinces), le projet est repoussé par une voix de majorité, celle d’un sénateur néo-péroniste de la province de Neuquén20. Le projet doit alors revenir devant la Chambre des députés, son adoption nécessitant de réunir une majorité des deux tiers des sièges, ce qui était arithmétiquement impossible.
68Ainsi, non seulement la C.G.T. a fait reculer le gouvernement, mais de surcroît elle a retrouvé son unité puisque, face à la "menace", les deux principales tendances – C.G.T. Azopardo et C.G.T. Brazil – se retrouvent, en janvier 1984, pour former la "C.G.T. Unificada".
69Tirant la leçon de son échec, mais déterminé cependant à atteindre son but, le gouvernement change de méthode et charge un nouveau ministre du Travail, le député J.M. Casella, d’élaborer un projet différent. Un accord se dessine, et des élections sont organisées, essentiellement entre septembre 1984 et avril 1985, au niveau des directions, au sommet de la pyramide. Un vent de renouveau souffle alors à l’intérieur des syndicats, certaines listes arrivant à remplacer les vieilles directions. Le climat est alors propice pour pousser les revendications : une première grève générale, organisée en septembre 1984 par la C.G.T. réunifiée, est un demi-échec.
70Le gouvernement invite alors les partenaires économiques et sociaux à la concertation, afin de rechercher les solutions à la crise économique (l’inflation est d’environ 20 % par mois...). Cette concertation ne donnant aucun résultat, la C.G.T. lance une deuxième grève générale en mai 1985 pour défendre l’emploi. Cette fois, sur la place de mai, l’opposition péroniste a trouvé son leader : Saúl Ubaldini, issu d’un petit syndicat, celui de la "Fédération des Brasseurs". Le gouvernement fait alors cavalier seul, avec l’arrivée du nouveau ministre du Travail, Juan Sourrouille et le lancement du fameux "Plan austral".
71La C.G.T. s’oppose au plan, mais l’opinion publique y a, d’emblée, adhéré, et le Péronisme politique et syndical prêche alors dans le désert.
72Aussi, lors des élections législatives du 3 novembre 1985, le Péronisme essuie un second revers (moins 9 sièges, soit 102 députés) et le parti radical obtient la majorité dans toutes les circonscriptions, et gagne trois sièges (désormais l’U.C.R. compte 132 députés sur 254). Toutefois, un nouveau courant, au sein même du justicialisme, parvient à émerger : la "Rénovation péroniste" qui, dans la capitale et la province de Buenos Aires, a ses quatre députés21.
73Saúl Ubaldini22, le nouveau leader, se voit alors contraint, pour un temps, d’accepter de se concerter avec le gouvernement et le patronat sur la conduite de la politique des revenus, avant de mettre au point un plan de lutte qui déclenche, à partir de janvier 1986, une série de grèves générales progressives23.
74Au cours du premier semestre 1986, par conséquent, les luttes syndicales finissent par ébranler le gouvernement, qui commence à recueillir les fruits du "Plan Austral" : le ministre du Travail cède sur les salaires, les chefs d’entreprise répercutant aussitôt les hausses sur leurs prix. Afin d’éviter le réamorçage de l’engrenage infernal, le gouvernement refuse de revenir à l’indexation et d’augmenter les tarifs publics.
75 La situation, cependant, redevient ce qu’elle était, c’est-à-dire incontrôlable. Trop de mécontentements se sont accumulés.
76L’Armée, quant à elle, est secouée dans ses profondeurs. Certes, les colonels n’ont aucune indulgence pour l’ancienne hiérarchie militaire qui les a conduits à l’humiliation, mais elle est loin d’adhérer, pour autant, au pouvoir civil. Sa nervosité commence à se manifester à partir du moment où la justice entreprend de juger les gradés de rang inférieur impliqués dans les abus de la "sale guerre".
77Le gouvernement tente de calmer le jeu en faisant voter la loi dite du "point final" 24 afin de tourner définitivement la page des années noires.
78Mais, dans les casernes, les mutineries vont éclater. La première est celle d’avril 1987, avec, comme revendication, le remplacement du général Ríos Erenú, commandant en chef de l’armée.
79Lors des élections du 6 septembre 1987, le parti du Président Alfonsín subit sa première grande défaite. Enorme défaite, puisque le groupe radical passe de 132 députés (base 1985) à 117, et que sur un total de 254 sièges, l’U.C.R. perd la majorité absolue à la Chambre. Les radicaux ne conservent plus que deux bastions : Buenos Aires et Córdoba. Le Péronisme renforce ses positions de 4 sièges.
80Le gouvernement démissionne et est presque totalement remanié. Seuls subsistent de l’ancienne équipe Dante Caputo (Affaires Etrangères)25, Juan Sourrouille (Economie) et José Horacio Jaunarena (Défense). Un "péroniste" participe au gouvernement : Carlos Alderete26, nommé au Travail. La nouvelle équipe entend toutefois poursuivre la même politique économique.
81Le cap de l’année 1987 est à peine passé qu’éclate une autre mutinerie militaire : celle menée par le lieutenant-colonel Aldo Rico. Désormais, le moindre retard dans le versement des soldes est susceptible de provoquer le soulèvement contagieux des casernes. Font alors leur apparition des commandos baptisés "OAS-MRP", en hommage à l’armée secrète française que les militaires argentins citent volontiers en exemple.
82 Le gouvernement prend conscience que la pédagogie de la démocratie n’est pas forcément, en soi, un moyen suffisant pour ramener l’institution militaire argentine à une juste conception de son rôle au sein de la nation. Il faudra plus d’une décennie, estime le ministre de la Défense, pour atteindre ce but.
83En attendant, sur le terrain économique, le gouvernement radical a perdu toute crédibilité. Hyperinflation27, corruption généralisée, taux d’intérêt très élevés, créent une situation dans laquelle la spéculation devient l’activité la plus rentable, et la production un risque.
84Pour rendre compte de cette spéculation, les Argentins, avec leur humour inimitable, recourent à l’image de la "bicicleta" : il faut "pédaler" avec l’argent à une vitesse plus importante que l’inflation, en achetant des bons, des actions, des dollars, ou en pariant. Les "chistes" (plaisanteries) font florès, tel celui-ci : "l’unique "solution" ("salida") de l’Argentine, c’est Ezeiza (l’aéroport international)". A un moment, il est vrai qu’environ deux cents Argentins par jour font des démarches pour s’installer dans d’autres pays. S’agissant du chômage, il affecte près de 14 % de la population active.
85Peut-on compter sur un miracle ? Le gouvernement compte encore, en tout cas, sur sa propre imagination en lançant, en août 1988, le plan "Primavera" (printemps), né de la pression qu’exerce le FMI envers une Argentine désireuse d’obtenir des crédits. La mesure essentielle du plan consiste à faire baisser les prix sans recourir au blocage, en obtenant du patronat l’engagement à ce que les prix ne soient pas relevés au-delà d’un certain pourcentage, et en utilisant la même méthode lors des négociations salariales.
86Face à un pouvoir civil qui a échoué, les casernes, derechef, font entendre un bruit de bottes. L’Armée, dans l’incapacité de faire son aggiomamiento, considère qu’elle est devenue une institution sans mission. La lutte anti-guérilla, le conflit potentiel avec le Chili en ce qui concerne le chenal de Beagle, dans l’Antarctique, tout cela a été "résolu". Et puis, surtout, elle s’estime être victime, de la part du gouvernement d’Alfonsín, d’une entreprise visant à l’affaiblir chaque jour davantage. Le budget militaire ne représentait-il pas 6 % du PNB en 194528, alors qu’il n’est plus, sous la démocratie, que de 2 % ?
87Le 2 décembre 1988, alors que le Président Alfonsín effectue un voyage aux Etats Unis, le colonel Mohamed Ali Seineldin prend la tête d’un soulèvement à l’école d’infanterie de Campo de Mayo. Les "carapintadas (visages peints)" exigent la démission du général José Dante Caridi, commandant de l’Armée de terre et chef d’état-major, l’arrêt des poursuites contre les Militaires inculpés pour leurs actions au cours de la période 1976-83, une amnistie sous la forme d’une "loi de pacification", le relèvement des soldes et celui du budget de l’Armée.
88Ils invoquent la nécessité de "retrouver l’honneur". 29
89Le Vice-Président, Víctor Martinez (qui assure l’intérim présidentiel) entreprend les négociations. Le Président Alfonsín rentre précipitamment des Etats Unis, et stigmatise la "mégalomanie" de ces soldats qui se prennent pour la "garde prétorienne de la nation".
90Le 17 décembre, en présence d’Alfonsín, au cours d’une cérémonie au collège militaire, le ministre de la Défense, Horacio Jaunarena, emploie toutefois un autre ton. L’action des Forces armées contre la "subversion", déclare-t-il, a été "nécessaire". Conformément aux exigences des Militaires, le commandant en chef Caridi est relevé de ses fonctions30.
91Si le pouvoir civil paraît avoir été, un moment, fortement destabilisé, l’attitude d’Alfonsín, quelques jours plus tard, marque un coup d’arrêt aux concessions faites aux séditieux : "Ni le gouvernement ni le pays ne sont disposés à légitimer le terrorisme d’Etat", dit-il. Le gouvernement s’oppose à l’amnistie des officiers poursuivis par la justice, et quinze généraux ainsi que deux amiraux sont traduits devant les tribunaux.
92Mais le mandat présidentiel de Raúl Alfonsín touche à sa fin. Les élections présidentielles, si l’Armée ne s’y oppose pas par la force, sont prévues pour mai 1989, et il y a déjà belle lurette que le Président, qui avait songé, dans l’euphorie des premières victoires, à une réforme de la Constitution pour pouvoir briguer un second mandat, y a renoncé. Les derniers résultats électoraux ont, à cet égard, achevé de balayer les illusions qui lui restaient.
93Pris dans la tourmente, le radicalisme a cessé d’incarner l’espoir d’un renouveau. Et la figure de son candidat aux élections, Eduardo César Angeloz, paraît bien lisse... Celui-ci, gouverneur de la province de Córdoba, est issu d’une famille originaire de Suisse romande. Gestionnaire reconnu, il est partisan, en matière économique, d’une politique néolibérale.
94Le Péronisme s’est relevé de ses cendres. Il est redevenu, pour le peuple argentin, l’ "oiseau de notre sang", celui des martyrs de la bonne cause et du rachat consenti.
Du coup, le vieux mythe, celui du couple fondateur, a retrouvé toute son actualité.
95Un jour, dans une macabre mise en scène dont l’Argentine est parfois coutumière, des inconnus ont fracturé le caveau où repose Juan Perón, et ont découpé une main du "Líder". Le pays a frémi d’indignation devant l’odieuse profanation. Et les troupes péronistes n’en ont retrouvé que plus de foi en l’avenir.
96Le parti justicialiste a, il est vrai, changé. Il s’est rajeuni, et démocratisé. L’aile gauche extrémiste s’est consumée dans des combats armés de plus en plus espacés, la droite fascisante s’est rétrécie, et les "rénovateurs" ont su imposer un recentrage31.
97Au terme des élections internes (élargies aux militants, dont plus de la moitié a voté sur un total de 4 millions d’adhérents) qui se sont déroulées d’une façon rigoureusement démocratique32 au sein du justicialisme en juillet 1988 pour désigner le candidat péroniste aux élections de 1989, deux hommes se sont durement affrontés : Antonio Cafiero, gouverneur de la province de Buenos Aires et porte-parole des rénovateurs, et Carlos Menem, gouverneur de la province de La Rioja33, au nord-ouest du pays.
98Ce dernier en est sorti vainqueur34. Cette fois, le candidat justicialiste a bien l’apparence d’un vrai leader péroniste, avec sa réputation de bon vivant, son éloquence de tribun, ses favoris qu’il porte comme Facundo, le "Tigre de la pampa", célèbre caudillo du siècle dernier.
99 Carlos Saúl Menem, appelé "el Turco" à cause de son ascendance syrienne, paraît avoir la faveur des Argentins. Il a passé cinq ans de sa vie en prison, au pénitencier de la Magdalena, au lendemain du coup d’Etat de 1976.
100Et puis, il vient de recevoir le discret appui de celle que l’on attendait plus : Isabelita, rentrée de Madrid, s’est installée (pour combien de temps ?) au pays. Elle a évoqué, alors, l’idée d’une amnistie très large.
101Elle croit aux chances d’un "Péronisme troisième période". L’oiseau sera-t-il de bonne augure ? En tout cas, Menem, à l’égard de la veuve de Perón, paraît vouloir garder les coudées franches...
102Au point où en sont les choses en Argentine, dans les premiers mois de l’année 1989 – attaque de la garnison de La Tablada par des éléments de l’extrême-gauche35, coupures d’électricité à raison de plusieurs heures par jour sur le territoire, renonciation de la part de la Banque Centrale à défendre le cours de l’austral en raison de la spéculation sur le dollar...36–, les coups de roulette russe ne sont-ils pas bien tentants à jouer ?
103 L’"ère Alfonsín" se sera peut-être fracassée sur les réalités économiques. L’honneur du gouvernement radical aura été, cependant, d’avoir conduit, d’une main somme toute ferme, la "transition démocratique"37.
104Quel que soit l’homme qui s’installera, lors des élections présidentielles, dans le fauteuil de Rivadavia, il devra, pour réussir, se dégager d’abord lui-même, d’un certain nombre de préjugés et d’entraves. S’il s’agit de Carlos Menem, il devra reconnaître que l’histoire argentine ne s’est pas arrêtée en 1955, il devra mettre un frein à ce culte excessif de la personnalité qui a toujours caractérisé le Péronisme, il devra contenir l’influence de ses clans et l’omniprésence de la C.G.T., bref il devra, en retrouvant les sources sociales, gérer rationnellement le capital-passion et soumettre l’extrême vitalité du Péronisme à l’éthique et aux principes de l’Etat démocratique. S’il s’agit d’Eduardo Angeloz, il devra, et ce sera sans doute son handicap majeur, considérer que l’Argentine ne peut être seulement conduite avec de la "technicité", mais en lui insufflant un "supplément d’âme". 38
105Angeloz ou Menem39 : la tâche a accomplir sera immense.
Car l’Argentine, pays contrarié dans sa richesse, pays rêvant d’un âge d’or qui avait, un temps, donné à l’élite de Buenos Aires l’illusion d’être, intellectuellement et socialement, un morceau éclaté de l’Europe en terre sud-américaine, l’Argentine regarde aujourd’hui son vrai visage, celui de la colonie qu’elle est redevenue, traînant le colossal boulet de sa dette extérieure40.
106 "Une démocratie qui a faim n’est pas une démocratie", disent certains milieux conservateurs à Buenos Aires.
107Mais alors, où donc est le chemin ?
Notes de bas de page
1 John William Cooke avait qualifié le Péronisme de "géant invertébré et myope"
2 Interview de Angel Robledo au journal espagnol "El País", juillet 1982. Il deviendra "asesor" (conseiller) d’Alfonsín après 1983.
3 Raúl Alfonsín est né en 1927 à Chascomús. A 24 ans, il publie un journal : "L’impartial", et dirige le comité de district de l’U.C.R.A 26 ans, il est élu député de la province de Buenos Aires. En 1963, il est nommé Vice-Président du groupe radical et, à la mort de Balbín en 1983, il est investi à la Présidence de l’U.C.R.
4 Le 1er août 1982.
5 Raúl Alfonsín obtient 7 659 530 voix, Italo Luder 5 936 556, Oscar Alende 344.434 voix.
6 Le mode de scrutin est à deux degrés, un collège électoral devant élire, en dernier ressort, le Président de la République.
7 Le ministre de l’Intérieur, Troccoli, est le chef de file du "courant national", qui a toujours entretenu de bonnes relations avec le Péronisme.
8 Dante Caputo est un jeune technocrate "parisino-argentin", chercheur associé au C.N.R.S., conseiller personnel de Raúl Alfonsín. A Paris, il cultivait un peu le "look gauchisant".
9 Première junte : Videla (terre), Massera (marine), Agosti (aviation) ; Deuxième junte : Lambruschini, Viola, Graffigna ; Troisième junte : Galtieri, Anaya, Lami Dozo.
10 Voir Ricardo Sidicaro : "Trois années de démocratie en Argentine" dans "Problèmes d’Amérique latine", n° 82, 4ème trimestre 1986.
11 Se crée alors l’ "Association Parents et Amis des Morts par la Subversion" (FAMUS) pour faire contrepoids aux organisations de défense des droits de l’homme.
12 Au travers, notamment, de l’organisation"Action patriotique argentine" .
13 Les défis économiques, "trois années d’une expérience difficile", Jorge Schvarzer, "Problèmes d’Amérique latine" n° 82, 4ème trimestre 1986.
14 Les intérêts de cette dette représentent environ 5,4 milliards de dollars en 1984 (pour un montant d’exportation de 8,5 milliards de dollars).
15 A l’exception de l’U.C.D. conservateur, du Parti Intransigeant d’Oscar Alende, du parti communiste.
16 Le Club de Paris est une instance organisant, au cas par cas, la renégociation de la dette des états qui sont en butte aux pressions de leurs créanciers. Ce Club est présidé par le Directeur du Trésor français.
17 L’évolution du pouvoir d’achat des salariés, sur la décennie 1975-1985, est la suivante : pour un indice 100 en 1975, les salaires réels tombent à 67 en 1976 (coup d’Etat militaire) ; ils remontent à l’indice 84 en 1980 et redescendent à l’indice 67 en 1982 (guerre des Malouines) ; ils remontent à 111 % pendant la dernière année de la dictature militaire et la première année du gouvernement Alfonsín. Puis, en raison des taux mensuels de 30 % d’inflation dès 1984, le niveau des salaires en 1985, s’établit au niveau moyen de la période 1970-1980. Ces chiffres sont cités par Héctor Palomino, chercheur au CISEA, dans "Les syndicats dans les premières années du gouvernement constitutionnel " ("Problèmes d’Amérique latine" N° 82,4° T 1986)
18 Le gouvernement, qui en avait auparavant émis une quantité équivalant à deux mois de dépenses, estimant qu’il pourrait subvenir à ses besoins jusqu’à ce que l’effet de la nouvelle politique se fasse sentir au niveau des recettes publiques.
19 Ce projet désignait également la Justice électorale comme instance d’appel. La Justice électorale, organisme judiciaire, assure le contrôle des élections nationales, provinciales et municipales. Le projet de loi prévoyait que, désormais, elle contrôlerait en outre les élections syndicales.
20 Il s’agit d’Elfas Sapag, leader du "Movimiento popular neuquino".
21 Ces quatre députés sont d’origine syndicale. Ils appartiennent au courant dit des "25" qui, au sein du justicialisme, entendent rénover l’appareil syndical, s’opposant notamment aux " 62 organisations " dirigées par Lorenzo Miguel. Le courant des "25 " adhère à la ligne rénovatrice du parti justicialiste.
22 Nouveau dirigeant, Ubaldini appartient toutefois aux "62 organisations". Il a été huit fois en prison sous la dictature. S’agissant des "62 Organisations" et de leur chef historique Lorenzo Miguel, il serait d’ailleurs trop simpliste de les assimiler à la droite bureaucratique syndicale. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que les "62 Organisations”, nées du Congrès de 1957, sont à l’origine issues de courants de gauche. Au cours des années 1970, lorsque la "Jeunesse péroniste", liée aux Montoneros, présenteront des listes syndicales dans les entreprises, elles seront souvent largement distancées par les "62 Organisations" conduites par Lorenzo Miguel. Ce dernier, de même que Vandor, sont des hommes qui, au départ, constituent d’authentiques leaders ouvriers, ayant gravi les échelons hiérarchiques à partir de la base. Dans le cas de Lorenzo Miguel, son charisme de dirigeant ouvrier restera, malgré les vicissitudes du Péronisme politique, à peu près intact, malgré, également, l’étiquette de "bureaucrate syndical" qui lui sera collée par les Montoneros.
23 Après les quatre grèves générales depuis la prise de pouvoir par les radicaux, les grèves de ce "plan progressif" débutent, pour la première, en janvier1986, puis en mars, en juin et en octobre. Soit le double des grèves générales organisées au cours des sept années de dictature.
24 La loi du "point final" fixe une date limite, le 22 février 1987, pour l’ouverture des instructions. Cette loi consomme la rupture entre le gouvernement radical et le mouvement des "Mères de la Place de Mai" dont la figure de proue est Hebe Bonafini (qui décrit le combat des "Mères" dans son livre : "Histoires de Vie")
25 Dante Caputo est le seul ministre en poste depuis le retour de la démocratie en 1983.
26 Carlos Alderete est issu de la droite péroniste qui s’est plus ou moins compromise avec les Militaires.
27 Le téléphone augmente en 1988 de 414 %, l’electricité de 451 %, les transports urbains de 420 %, soit environ 600 % en moyenne pour l’année.
28 Ce budget de l’Armée argentine, qui représentait 6 % du PNB en 1945, était l’équivalent des budgets militaires des armées chilienne, brésilienne, vénézuélienne et colombienne réunies.
29 Le colonel Seineldin est un des officiers les plus populaires de l’Armée de terre. Fils d’immigrant syrien, d’origine druze libanaise, il s’est converti au catholicisme. Il vient de rentrer en Argentine après avoir passé quatre années à Panama où il était détaché en qualité d’instructeur militaire. C’est un "Malvinero", c’est-à-dire un combattant de la guerre des Malouines, qui a obtenu une décoration en raison de son comportement. Décoration qu’il a refusée, faisant valoir qu’on ne décore pas une armée vaincue.
30 Il est remplacé par le général Francisco Gassino.
31 Des hommes comme Bordón (gouverneur de Mendoza), de la Zota (député de Córdoba), José Maria Vernet (ex-gouverneur de Santa Fé) constituent, a priori, des "espoirs".
32 Ce qui pourrait inspirer bon nombre de partis politiques européens...
33 Menem se trouvait également dans le courant "rénovateur" qui s’est constitué après la défaite électorale de 1983. Mais, habile, il a su rallier le camp des "orthodoxes".
34 Pour autant, la ligne Menem ne s’est pas depuis lors systématiquement imposée, comme le démontrent les résultats d’élections internes qui se sont déroulées début 1989 dans la province de Buenos Aires : Brown, candidat de Cafiero, a, en effet, battu Barrionuevo, dirigeant syndical partisan de Menem.
35 L’attaque du 3° régiment d’infanterie de La Tablada se solde par 36 morts. Aussitôt après, le gouvernement crée un "conseil national de sécurité" pour lutter contre la subversion. Il semblerait, mais cela est sujet à caution, que les assaillants, dans une véritable opération-suicide, provenaient de groupes issus de l’ERP, et dirigés par Gorriarán Merlo. Leur but aurait été précisément, de défendre la démocratie menacée par le mouvement, au sein de l’Armée, des "carapintadas". L’appartenance des assaillants aux courants de l’extrême-gauche semble, en tout cas, attestée par le fait qu’un des morts a été identifié comme étant l’avocat Jorge Baños, militant connu des organisations des droits de l’homme, et dirigeant du mouvement gauchiste "Tous pour la Patrie". Par ailleurs, on pouvait noter que, cette fois, les guérilleros n’étaient plus composés de jeunes universitaires, comme dans les années soixante, mais de milieux populaires, appelés en Argentine les "morochos", jeunes marginalisés par le chômage et la misère. Quoi qu’il en soit, une telle action, entreprise par l’extrême-gauche, ne pouvait que renforcer la position de l’extrême-droite (et du mouvement des "carapintadas") qu’elle prétend combattre. Là est toute l’ambiguïté du "jeu" de l’extrême-gauche argentine, qui paraît toujours plus désireuse d’avoir en face d’elle une dictature plutôt qu’une démocratie...
36 Comme l’écrit Catherine Derivery dans Le Monde du 13 mai 1989, "Les Argentins ont fait du dollar la référence quasi mythique de leur santé économique, individuelle comme nationale". Or, depuis le début de février, la Banque Centrale a cessé de faire face. Et, en Argentine, "dès que le dollar s’emballe, la panique gagne. Les commerçants commencent à faire valser les étiquettes, les épargnants se replient sur le billet vert et les chefs d’entreprise renoncent à tout projet". Quant aux salariés, ils "ont le sentiment que leurs revenus, qu’ils traduisent systématiquement en dollars, fondent. Et la colère monte partout".
37 Toutefois, le Président Alfonsín se laisse aller à une certaine "dérive autoritaire", lorsqu’il considère publiquement que les critiques qui lui sont faites par le mouvement des "Mères de la Place de Mai" ainsi que par les journalistes (en ce qui concerne l’impunité d’anciens responsables de la répression et l’échec de la politique économique du gouvernement) sont des critiques attentatoires à la démocratie. Un exemple lorsque le correspondant de Clarín, Enrique Oliva, soulève l’ "affaire Guglielminetti" (accusé par les organismes de défense des droits de l’homme d’avoir pratiqué tortures et séquestrations alors qu’il appartenait au "Service Intelligence" sous la dictature, et qui avait conservé les mêmes fonctions au secrétariat général de la Présidence pendant la première année du gouvernement radical), le journaliste est accusé d’avoir fait un "faux reportage" et d’être un "délinquant déstabilisateur". Ainsi, des responsables de la répression comme le général Camps, le capitaine Astiz et le civil Guglielminetti ont pu échapper, à ce jour, aux poursuites (le capitaine Astiz étant même monté en grade sous la démocratie).
38 Deux autres candidats concourent également aux élections présidentielles : Alsogaray (Union du Centre Démocratique) et Vincente (Gauche Unie).
39 Leur compagnon de formule, pour le poste de Vice-Président est : Juan Manuel Casella, radical, ancien ministre du Travail d’Alfonsín ; Eduardo Duhalde, péroniste, maire de Lomas de Zamora.
40 La dette extérieure atteint, en 1989, près de 50 milliards de dollars.
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