Introduction
p. 9-12
Texte intégral
1Depuis le début du xxe siècle, l’Europe s’interroge sur elle-même, sur son passé, sur son présent, sur son avenir. Interrogations à la mesure de ses difficultés, de son déclin diront certains. Meurtrie par deux guerres en principe mondiales, mais d’abord « guerre civile européenne », l’Europe, ou plutôt les Européens, a cherché le moyen de conserver la paix en faisant taire ses propres querelles. La dynamique croissance des États-Unis d’Amérique, lointaine imitation de la civilisation européenne, leur fît tôt croire en une solution comparable : les États-Unis d’Europe ! Mais quelle forme donner à ce mythe, à ce vœu, dès lors que l’existence dominante des États-Nations au sein de l’Europe s’opposait à ce dessein ? Fédéralisme ou Fédération ? Supranationalité ? Europe des patries ? Cependant une autre question préjudicielle se posait : l’Europe forme-t-elle un ensemble unique renfermé dans l’espace défini par les géographes, de l’Atlantique à l’Oural ? Existe-t-il une ou des Europe ?
2L’actualité politique aidant depuis l’Acte Unique et le Traité de Maastricht, la pression de la crise économique et sociale actuelle renforçant les inquiétudes, il paraît sans cesse livres et articles pour tenter de répondre aux précédentes questions. Le passé proche peut-il aider à fournir des réponses à ces questions ? Sans nul doute, il définit les contraintes des Européens, leurs moyens réels d’action et leurs idéaux véritables. Mais à condition d’étudier ces réalités sans à priori, sans mythes, sans illusions. Tel est le sens des travaux des historiens qui ont pour mission d’expliquer avec objectivité le passé, fut-il très proche. Cette raison d’être ne leur interdit pas de se passionner pour l’objet d’étude. L’unité de l’Europe en l’espèce, mais leurs intimes convictions ne les font pas déraper au point d’oublier ou de travestir les réalités d’hier. Le présent ouvrage peut en fournir la preuve.
3Depuis plusieurs années, le Centre d’Histoire des Relations internationales de l’institut Pierre-Renouvin à Paris I, Panthéon-Sorbonne, a inscrit l’analyse de la Construction européenne comme l’un des axes de ses recherches. Ce faisant, il répond aux aspirations de bon nombre de jeunes chercheurs, attirés par l’histoire récente de l’Europe ; tout semble en effet concourir pour que ce domaine de recherche soit « à la mode » : actualité du questionnement, ouverture des archives pour la période 1945-1960, méthodologies nouvelles dans le champ de l’histoire des relations internationales.
4L’étude des personnalités, des groupes de décideurs, des mouvements d’opinion, des partis lorsqu’ils se tournent vers la politique extérieure, des conditions économiques structurelles ou conjoncturelles font en effet partie des champs d’application des méthodes de l’histoire des relations internationales ; celle-ci s’efforce de faire comprendre non seulement les rapports politiques entre les responsables politiques ou autres, en y appliquant les méthodes de la Science politique à ce domaine, mais aussi analyse les réactions des mentalités collectives en usant des méthodes des psychologues, sociologues, voire anthropologues (ce qui pourrait paraître extraordinaire appliqué aux « peuplades » européennes). En bref, une histoire qui se veut neuve et en ses méthodes et en ses sujets.
5Neuve et jeune, car l’un des avantages de ce livre, dû à l’initiative et à la ténacité de Gérard Bossuat, titulaire d’une chaire Jean Monnet à l’Université Paris I, est d’avoir donné la parole (ou plutôt la capacité d’écrire) à de jeunes chercheurs engagés depuis quelques années dans l’histoire européenne au xxe siècle. S’il fallait une preuve de la vitalité de la recherche historique chez les moins de quarante ans (on les vieillit à dessein), en voici des preuves ! J’ai le privilège de les avoir presque tous connus dès leurs années de formation à l’Université, puis d’avoir suivi leur « éclosion » à la recherche ; presque tous actuellement en train de finir leur thèse de doctorat, ils livrent ici les premiers véritables résultats de leurs travaux ; œuvres « de jeunesse » pour certains, où se retrouvent toutes les formes de la « maturité » intellectuelle, confortées par l’audace d’approches originales. Lorsque j’ai eu l’honneur de créer l’institut Pierre-Renouvin, il y a maintenant dix ans, l’histoire de l’unité européenne commençait à peine à livrer quelques résultats ; le lecteur mesurera le chemin parcouru à travers les quinze articles présentés.
6 Ces articles ont beaucoup de points communs au-delà d’une commune orientation globale, l’histoire de l’Europe. Je voudrais en retenir deux, essentiels. D’une part, ils sont fondés sur la lecture minutieuse d’archives récemment ouvertes, originales souvent, c’est-à-dire tirées de fonds encore inexploités. D’autre part, ils éclairent le processus décisionnel dans un domaine où les décideurs ne furent pas seulement les hommes politiques en charge officielle des dossiers.
7On écrit beaucoup aujourd’hui sur l’Europe et son histoire récente ; on le fait souvent à partir d’idées préconçues, donnant aux grands acteurs, « les Pères de l’Europe », un rôle déterminant un peu à la manière de l’Histoire des Grands Hommes de l’Antiquité. Or la lecture attentive des archives récemment ouvertes amène à nuancer le propos, comme on le verra ; à condition de pouvoir accéder aux archives. Je voudrais souligner ici combien toute avancée réelle de l’histoire récente de l’Europe dépend de l’ouverture des archives publiques ou privées (partis, groupes de pression, personnelles) ; si des progrès ont récemment eu lieu en ce domaine, force nous est de constater que l’accessibilité aux archives françaises selon la règle légale des trente années demeure incertaine, fragmentaire ; or, le rôle et la place de la France en cette matière furent fondamentales. Si l’on veut véritablement mesurer l’action de la France et des Français dans ce qu’il est convenu d’appeler « La Construction européenne », il est urgent et indispensable que les historiens bénéficient d’une large ouverture des archives disponibles, notamment celles des lieux de décision, tels que les groupes interministériels (SGCI) ou les Commissions d’Etudes, publiques ou privées. Nous commençons à bien connaître cette histoire européenne ; mais il faut être sûr que nous pourrons disposer de tous les dossiers nécessaires, y compris ceux qu’une habitude relativement récente fait déposer dans des Institutions privées, en France ou à l’étranger, alors que bon nombre de « papiers » qui s’y trouvent relèvent du domaine public (au sens de l’État). Nous sommes aujourd’hui sur la bonne voie, il faut encore l’élargir.
8Dans notre monde contemporain, la prise de décision demeure un fait capital pour l’historien : quand, comment, pourquoi, tel responsable a choisi de suivre telle direction ? Selon quelles influences, selon quel entourage ? En remontant dans le temps, celui de la formation du décideur, ne peut-on comprendre les origines réelles de la décision ? Quels environnements sociaux, culturels ont entouré le décideur ou le groupe décisionnel, car de plus en plus dans notre monde et à propos de l’Europe, ce sont de petits groupes qui ont fait les choix décisifs. Des hommes plus ou moins célèbres ont pesé sur les orientations fondamentales mais souvent ils étaient à l’écoute de leur environnement ; tel était bien le cas de Jean Monnet lui-même. Connaître et comprendre ces groupes et ces hommes, sans se laisser prendre par les images d’Épinal ou les mythes qui les entourent, tel est l’objectif de nombre d’auteurs de ce livre. Il en fait l’un des intérêts puisqu’il s’agit ici d’une histoire qui se veut sans concessions ni illusions, une histoire vraie, d’autant plus vraie que ceux qui l’écrivent n’étaient pas nés (ou presque), lorsqu’elle se déroula. Privilège de la jeunesse...
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