Chapitre IX. Une année trompeuse (1963)
p. 293-316
Texte intégral
1L’année 1963 marque la fin de notre étude sur les rapports qu’ont entretenus pendant vingt ans une grande puissance et une institution spécialisée du système des Nations unies. L’objet de ce chapitre est de dresser un tableau des relations entre les États-Unis et l’Unesco en 1963, ainsi que de montrer comment l’Unesco est perçue aux États-Unis à cette époque. Car, si en 1944 il s’agissait de créer une organisation internationale pour la reconstruction des systèmes éducatifs, en 1963 l’objectif principal était d’assurer la pleine participation de l’Unesco à la « Décennie pour le développement », que l’équipe du président Kennedy estimait être l’orientation principale des organisations internationales pour les années à venir. De plus, pendant cette même année de 1963, aux États-Unis, le besoin de rêver et la dureté des réalités s’affrontent violemment. Antagonisme qui, bien que se manifestant autrement, hantait l’Unesco depuis sa création.
2Pour esquisser le tableau proposé, la nomination de William Benton au Conseil exécutif, au rang d’Ambassadeur en mars 1963, nous fournit l’occasion d’un témoignage particulièrement riche. Car afin de mettre à jour ses connaissances sur l’Unesco, Benton doit s’informer et, le faisant, il nous a légué de nombreux écrits sur les relations entre les États-Unis et l’Unesco1 Sur la base de ces documents et d’autres, l’exposé proposé est divisé en cinq parties : la nomination de William Benton, les visites de René Maheu aux États-Unis, les budgets, puis le programme de l’Unesco vus de Washington et, pour terminer, le talon d’Achille des États-Unis à l’Unesco – son image. Ainsi, un bilan apparaîtra des relations entre les États-Unis et l’Unesco en 1963 ; vingt ans après le début des efforts héroïques de quelques Américains pour mettre en place l’Organisation !
LA NOMINATION DE WILLIAM BENTON
3C’est par les interrogatoires du FBI, auprès des amis, que son entourage fut mis au courant de la prochaine nomination de William Benton. Des coups de téléphone étaient échangés entre le Connecticut et Washington pour savoir pourquoi le FBI s’intéressait à cet ex-sénateur et le 1er février 1963, même le gouverneur Dempsey du Connecticut téléphonait à ce sujet au Président national du parti démocrate à Washington.2 Puis, le lendemain, un journal local, le Hartford Courant, annonça sa nomination. Deux jours plus tard, le même journal publia encore un article avec la photo de William Benton en première page. Toute la presse écrite et les radios locales du Connecticut reprenaient le scoop. Ce qui impressionna d’abord, était le rang d’Ambassadeur attribué à William Benton. Le regain d’intérêt du gouvernement américain vis-à-vis de l’Unesco, que ce grade semblait impliquer, ne venait qu’en seconde place.3
4Au début de février, Benton n’était pas encore certain de vouloir accepter le poste même s’il avait déjà commencé à recevoir des lettres de félicitations. Par la suite, tout un dossier en était rempli, ce qui le remit en contact avec d’anciens amis, tel que Sir John Maud, qui était le membre britannique du Conseil exécutif de 1946 à 1950 et qui, en 1963, était à l’Ambassade de l’Afrique du Sud. Benton souhaitait que Maud revienne à Paris, pour le conseiller au sujet de l’Unesco.4
5Pour sa part, John Howe, l’assistant de Benton depuis les années 30, à Chicago, demandait aux Américains connaissant bien l’Unesco, leurs avis sur l’intérêt qui résulterait pour William Benton de sa nomination au Conseil exécutif.5 Tout le monde était d’accord : Benton devait faire savoir au Président Kennedy qu’il n’accepterait que si l’Unesco devenait, pour les États-Unis, un facteur significatif dans les relations internationales. A l’âge de 63 ans on ne se donne pas à une tâche que le gouvernement américain ne prend pas au sérieux. D’après Adla Stevenson, Kennedy donnerait des assurances verbales, le Secrétaire d’État, Dean Rusk, devait être prié de les confirmer. Howe suggéra que Benton rappelle à Kennedy l’un de ses discours (de Benton) datant de 1945 ou 1946, où il proposait une réduction de 10 % des budgets militaires des États membres de l’Unesco pour consacrer les recettes correspondantes à la création, entre autres, d’un réseau radiophonique mondial « la Voix de l’Humanité ». Benton pouvait également signaler au Président qu’un ancien haut fonctionnaire du Département d’État lui avait avoué récemment n’avoir jamais entendu parler de l’Unesco pendant toutes les années où il assistait aux réunions des Secrétaires d’État.6
6Puis, Howe entreprit d’expliquer à Benton la situation « schizophrénique » concernant l’Unesco au Département d’État sous la responsabilité de deux Secrétaires d’État adjoints, Cleveland s’occupant des questions politiques et Battle du programme et des opérations de l’Organisation. De plus, sous la responsabilité de Battle, il existait deux unités « Unesco ». La première nouvellement créée était l’unité de politique multilatérale au Bureau des Affaires éducatives et culturelles, supervisée par Robert Wade. Cette unité était également chargée des relations, en ce qui concernait l’éducation et la culture, avec d’autres organisations internationales (la FAO et l’OMS) et régionales telles que l’Organisation des États américains et l’Organisation pour la coopération et le développement européens. Par la suite, Benton nouait des liens de travail étroits avec Wade. La fonction de la deuxième unité était principalement celle du Secrétariat de la Commission nationale.7 Howe fut obligé de revenir, trois semaines plus tard, sur le sujet des responsabilités respectives de Cleveland et Battle car, de toute évidence, les nuances de la situation étaient quelque peu difficiles à saisir.8
7Également peu claires étaient les relations hiérarchiques entre le représentant américain au Conseil exécutif, le Délégué permanent américain auprès de l’Unesco et l’Ambassadeur américain en France. Benton serait le supérieur du Délégué permanent mais, n’étant pas à Paris en permanence, il ne pouvait être responsable de la délégation américaine. Par ailleurs, John Morrow a été remplacé au poste de Délégué permanent par Crane Haussaman.9 Un conflit potentiel entre Benton et Haussaman était rapidement réglé quand ce dernier se voyait accorder, à titre personnel, le rang de Ministre pour la durée de son affectation à Paris.10 En fait, Haussaman reçut son grade, à titre personnel, deux mois avant que Benton ne reçoive confirmadon écrite du sien.11 Pour sa part, Morrow se trouvait maintenant à l’Ambassade américaine où il était chargé, avec deux autres personnes, de l’« Unesco ». La conclusion de Howe était que la Délégation permanente américaine auprès de l’Unesco était rattachée à l’Ambassade américaine tout en restant distincte, et que l’Ambassadeur américain en France, sans être son supérieur, pouvait retarder, par exemple, un câble de Benton en cas de désaccord entre les deux hommes.
8Au bas de la page de son mémorandum John Howe ajouta que le Conseil exécutif se composait de 32, membres dont en permanence la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et l’URSS et récemment l’Allemagne fédérale.12 Pour sa part, William Benton admit que cette nomination était très bénéfique à ses affaires, car lui et ses associés avaient créé une société française en juin dernier.13
9Les conseils de John Howe se poursuivaient. Pour préparer son entretien avec le Président Kennedy, Benton devait insister sur l’importance de l’objectif politique de l’Unesco par opposition au rôle mal défini d’un Harvard ou d’un Oxford supra-nationaux à la poursuite de la culture en soi. Benton devait parler de sa récente visite (en 1962) en URSS, qui avait renforcé sa conviction que le succès de la guerre froide serait déterminé par les ressources mises au service de l’éducation. Par exemple, la quantité de livres imprimés en URSS. D’après Howe, les Soviétiques imprimaient, tous les ans, 40 millions de livres dans des langues étrangères au bloc de l’Est ! Quant à la politique américaine, elle était mieux servie par la doctrine de la libre circulation des idées et de l’information. Également d’après Howe, et donc Benton, les communistes voulaient utiliser l’Unesco pour leurs efforts de propagande à court terme. Pour mener à bien le rôle de représentant personnel du Président, il était souhaitable que Benton lui fasse, de temps à autre, ses rapports directement. Telles étaient les dernières indications de Howe.14
10Le communiqué de presse de la Maison Blanche, qui suivit l’entretien avec le Président Kennedy, faisait d’abord état de l’examen détaillé que l’administration américaine entreprenait actuellement au sujet de sa participation aux institutions des Nations unies. L’Unesco était d’un intérêt tout particulier, car elle traitait l’un des problèmes cruciaux de ce temps, le manque de ressources en éducation des pays dans le monde, qui essayaient d’échapper à la pauvreté. Le Président Kennedy avait confiance en William Benton, qui n’était pas étranger à l’Organisation, pour l’aider en la matière.15 Pour sa part, après l’entretien avec le Président, Benton eut le sentiment « que celui-ci allait donner sa démission pour prendre le poste lui-même ! »16 Le Président lui avait également parlé des livres « de propagande soviétique » publiés par l’Unesco, il supposait qu’il n’y avait rien à y faire ? Benton le rassura ; il allait essayer de faire quelque chose17 (voir plus loin Talon d’Achille). Sitôt décidé à accepter le poste, William Benton commença à chercher qui était capable de faire un relevé des 2 000 projets de l’Organisation !18 Puis, il partit pour Paris afin d’assister à la session du Conseil exécutif du 29 avril au 17 mai 1963.19 Mais qui était donc ce nouveau membre américain du Conseil exécutif de l’Unesco ?
11William Benton avait soixante-trois ans en 1963. Par ses écrits nous imaginons, à première vue, être en face du même homme, aussi déterminé et énergique, qu’au temps de la mise en place de l’Unesco (1945-1947). Il avait en tout cas, toujours le même don de l’amitié et avait gardé de cette première époque de l’Unesco des relations qui allaient lui servir pour la deuxième. Ceci dit, peut-être était-il un petit peu moins passionné par l’Organisation et un peu plus par sa propre auréole.20 Mais, même si ce n’est pas tout-à-fait le même homme, il avait néanmoins pris la peine d’élargir sa connaissance du monde en effectuant deux voyages importants. Le premier eut lieu, en 1955, en Union soviétique, pour y observer le système d’éducation. Il revint plein d’admiration pour le sérieux de cet enseignement ; bientôt les Soviétiques dépasseraient les Américains si ceux-ci continuaient d’être si satisfaits de leur niveau intellectuel. Il tira un livre de cette expérience.21 Son deuxième grand voyage, en Amérique latine, William Benton le fit en compagnie d’Adlai Stevenson au printemps 1960.22 Il donna lieu à un deuxième livre sur les problèmes du développement de ce continent.23
12Malgré le désir exprimé par le Président Kennedy de le revoir dès son retour du Conseil exécutif, Benton connaissait des difficultés pour obtenir un nouveau rendez-vous. Sur le chemin de retour du Conseil, Benton lui écrivit pour le réclamer début juin.24 Or, le Président partait pour l’Inde, il valait mieux attendre les mois d’août ou de septembre.25 Benton parvenait néanmoins, à serrer la main de John Kennedy lors de la réception pour son anniversaire, le 29 mai 1963. Puis les deux hommes partirent pour l’Europe, Kennedy le 19 juin, Benton le lendemain, et tout fut remis jusqu’à leurs retours respectifs.
13Parallèlement, Benton essayait de se mettre en contact avec Robert Kennedy parce que, comme il l’avait dit à son frère, c’était le premier membre du gouvernement de dire publiquement l’importance des idées et de l’éducation dans la guerre froide.26 Cette initiative rencontrant guère plus de succès, au mois de septembre Benton retarda de deux ou trois semaines une visite projetée à Washington, dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous avec le Président.27 Puis, il repartait pour Paris, le Conseil exécutif avait lieu du 25 septembre au 29 octobre 1963, avec la promesse d’être de retour au mois de novembre. Grâce à sa ténacité il arriva, finalement, à rencontrer le Président Kennedy une dernière fois, fin octobre, à l’occasion de la visite de René Maheu.
LES VISITES AUX ÉTATS-UNIS DE RENÉ MAHEU
14En 1963, le Directeur général de l’Unesco rendit visite, par deux fois, aux États-Unis.28 La première fois, en avril, fut l’occasion d’une prise de contact avec l’administration américaine. Aussi, les informations recueillies par la Maison Blanche, en préparation à cette visite, nous renseignent-elles sur ses principales préoccupations à l’égard de l’Unesco. Et, au premier trimestre de 1963, le principal souci de la Maison Blanche était, comme toujours, de la rendre plus efficace ; l’Unesco serait moins bien gérée que les autres institutions spécialisées. Il était, également, nécessaire de remanier son programme afin qu’elle contribuât, au maximum de ses possibilités, à la Décennie des Nations unies pour le développement. De plus, il fallait convaincre René Maheu que, même si l’appui américain lui avait fait défaut lors de son élection, il pouvait désormais compter sur le gouvernement américain.29
15Il était aussi proposé de discuter, avec le Directeur général, des publications de l’Unesco de « caractère politique », telle que celle qui avait trait aux relations entre les races en Union Soviétique (Nous avons vu que le Président Kennedy avait déjà soulevé ce problème avec Benton). Comme René Maheu avait reçu l’appui de la plupart des pays membres lors de son élection, d’après le Département d’État, il devait pouvoir éliminer du programme de l’Unesco toute propagande de ce genre. Il était même proposé de tenter une légère menace du genre : « ce sujet a soulevé beaucoup de protestations au Congrès et parmi le public américain en général ; si les Soviétiques continuaient d’exploiter l’Unesco de cette manière, le soutien américain à l’Organisation serait mis en cause. »
16La Maison Blanche se préparait également à répondre à d’éventuelles questions de la part de René Maheu et, d’abord, au sujet du recrutement des Américains par l’Unesco. Il y avait lieu de lui faire savoir que, d’une part, le processus d’agrément (clearing) des candidats par le gouvernement américain avait été modifié et accéléré mais que, d’autre part, le peu d’intérêt que suscitait l’Unesco aux États-Unis rendait difficile le recrutement d’Américains. S’y ajoutaient le faible niveau de rémunération et le « mauvais » moral qui y prévalait.
17Une interrogation qui attendait le Directeur général était sur la place de la science, dans le programme de l’Unesco. Maheu avait peut-être l’intention de demander une augmentation de 100 % du budget scientifique de l’Organisation pour 1965-1966 ! Or, il fallait insister que quatre critères étaient obligatoirement à appliquer à tous les projets scientifiques de l’Organisation : être d’un haut niveau scientifique ; ne les entreprendre que si la coopération internationale est le meilleur moyen d’obtenir le succès ; prendre en compte les sphères d’intérêt des autres institutions des Nations unies ; et, enfin, l’Unesco doit améliorer son système d’administration afin d’exécuter efficacement les projets. Une organisation spécialisée en science et technologie était dans l’air, à cette époque, mais les États-Unis ne le souhaitaient pas.30
18Nous n’avons malheureusement pas les comptes-rendus des entretiens qui suivirent ces préparatifs. Le discours du Directeur général à l’occasion d’un dîner, donné en son honneur par la Commission nationale américaine, éclairerait, au mieux, sa façon de voir. D’abord, René Maheu faisait savoir qu’aucun pays ne devait s’excuser de critiquer l’Unesco et que la nature de l’Unesco était en pleine évolution. Ce n’était plus une organisation essentiellement préoccupée de coopération intellectuelle, l’Unesco était devenue une grande organisation opérationnelle qui visait à améliorer les conditions de vie du monde sous-développé. Ce qui faisait qu’elle était particulièrement bien accueillie dans les pays en voie de développement, c’est qu’en plus de l’amélioration des conditions physiques, l’Unesco se préoccupait des traditions culturelles et de la dignité humaine. Pour terminer, René Maheu se félicitait de l’initiative américaine, à la Conférence générale de 1962, de demander un étude sur la gestion de l’Organisation.31 Le Directeur général faisait allusion à une proposition américaine pour un comité international, composé de cinq personnes, pour examiner les pratiques administratives de l’Unesco. Or, la version finalement adoptée était beaucoup plus édulcorée que la proposition originale, et invitait seulement le Directeur général « à utiliser des services d’experts extérieurs ».32 Après la visite de René Maheu, au Département d’État on avait l’impression d’une meilleure entente avec l’Unesco que par le passé, et sur des sujets importants.33
19La deuxième visite de René Maheu eut lieu six mois plus tard, dans le cadre de la 9ème Conférence nationale de la Commission nationale américaine pour l’Unesco (Chicago, 23-26 octobre 1963). Avant de s’adresser à cette Conférence, Maheu rendit visite, en compagnie de William Benton, au Président Kennedy. Un rendez-vous prévu pour durer quinze minutes et qui dura quarante.34 Kennedy faisait forte impression sur Maheu qui, d’après Benton, se comportait brillamment.35
20Le thème de la 9ème Conférence nationale fut « La nouvelle Europe et les États-Unis – Nouvelles Directions », sujet qui, à première vue, était peu prometteur. Car, à cette époque, les Britanniques ayant décidé, sous la pression insistante des États-Unis, de poser leur candidature au Marché commun, le 14 janvier 1963, ils se l’étaient vu refusée par le Général de Gaulle. De plus, la France était en train de développer une force de frappe nucléaire pour garantir son indépendance,36 et, pour marquer encore l’autonomie de la force de frappe française, de Gaulle refusa de signer le traité de Moscou, du 5 août 1963, sur l’arrêt des expériences nucléaires. Ni l’Europe, ni le « Grand Dessein » exposé par le Président Kennedy dans son discours de Philadelphie, le 4 juillet 1962, sur un monde Atlantique interdépendant fondé sur l’égalité de ses deux partenaires américain et européen, ne semblaient être, a priori, en bonne voie.37
21Un message du Président Kennedy fut lu devant les 1 200 participants à la Conférence de la Commission nationale. Il y était surtout question de l’Europe, seule une Europe unifiée serait forte, et seule une Europe forte serait un partenaire efficace dans la tâche d’assurer la croissance et la survie du monde libre. Le lien était fait entre le « Grand Dessein » du Président américain et l’Unesco – les relations transatlantiques trouveraient leurs racines dans l’héritage commun de l’éducation, la science et la culture et la démocratie.38
22S’adressant aux participants de la Conférence, René Maheu lui répondit. A son avis les désaccords superficiels entre Européens ne devaient pas détourner de l’essentiel – les États-Unis avaient besoin d’un associé fort, pour préserver l’héritage commun. La nouvelle Europe, produit du vieux monde, était surtout une entité culturelle, et ce n’était pas par leur puissance militaire que les Américains gagneraient le coeur des Européens mais par leurs valeurs culturelles. Maheu termina son discours sur le fait que l’Europe et ses anciennes colonies établissaient, entre elles, des relations normales, ce qui ouvrait de nouveaux horizons aux Européens.39 Le Directeur général offrait ainsi aux États-Unis, par le biais de l’Unesco, la possibilité de développer leurs relations culturelles avec l’Europe, s’ils le désiraient, tout en avertissant les Américains qu’ils n’auraient pas le monopole (ou le bi-pole avec les Soviétiques) de l’avenir du monde en voie de développement.
23La rencontre entre John F. Kennedy et René Maheu, celle de deux fortes personnalités et dont William Benton tenait la clé, aurait pu être très bénéfique pour l’avenir de l’Unesco...
BUDGETS...
24Chaque Conférence générale de l’Unesco publie un document intitulé « Programme et budget approuvés pour... » (suivi des années appropriées).40 Or, vu des États-Unis, et surtout du point de vue de Benton, il s’agissait plutôt de « Budgets et programme... ». Voyons d’abord quelques chiffres concernant les perspectives financières de l’Organisation comme elles ont été annoncées à la fin de 1962
25Le Département d’État aurait souhaité, pour le biennium 1963-1964, une augmentation du budget ordinaire de l’Unesco limitée à 17 % par rapport au biennium précédent – on ne doit pas dépasser les moyens administratifs de l’Organisation ! Pour sa part le Directeur général proposait une augmentation de 26 %. Le Département d’État ne pouvait donc que se féliciter devant le compromis obtenu d’une augmentation limitée à 20 % ce qui portait à 38 millions de dollars le budget ordinaire de 1963-1964 dont la moitié pour l’année 1963.41
26En ce qui concerne les fonds extra-budgétaires, il fut estimé que pour ce même biennium ils représenteraient 13,7 millions de dollars dans le cadre de l’Assistance technique et 20 millions dans celui du Fonds spécial.42 A ce chiffre, il fallait ajouter 187 000 dollars en provenance de l’Association internationale de développement (IDA)43 et de la Banque interaméricaine. Ce qui donnait un pourcentage de 47 % de fonds extrabudgétaires sur la prévision globale des fonds disponibles à l’Unesco pour 1963-1964. Ce pourcentage nous paraît en-deçà de la vérité car déjà les prévisions publiées au début de 1961 pour le biennium précédent prévoyait que les fonds extrabudgétaires représenteraient 53 % du total (voir chapitre VIII KENNEDY).
27Dans le contexte d’une contribution américaine élevée au fonds extrabudgétaires de l’Unesco, ainsi qu’une croissance limitée de son budget ordinaire, le « Clay Report », publié en mars 1963, est très utile pour comprendre la politique américaine globale dans laquelle ces décisions se situaient. Le rapport, le résultat des travaux d’une commission spéciale chargée d’étudier les propositions américaines d’aide à l’étranger, dont le général Clay44 fut nommé à sa tête en décembre 1962, annonçait que, depuis la deuxième guerre mondiale, l’aide américaine à l’étranger atteignait les 100 milliards de dollars et qu’elle était surtout de nature militaire et économique. L’aide était d’abord dirigée vers l’Europe, mais en 1962 l’Inde en reçut la plus grande partie, le Pakistan et la Turquie occupant les deuxième et troisième places respectivement. En 1963, cette aide serait tournée de plus en plus vers les pays à la périphérie du bloc communiste ou en Asie. Le montant accordé serait d’un milliard de dollars, dont l’aide militaire et économique représenterait 72 %, l’assistance dans le cadre de l’Alliance pour le progrès 15 %45 et les contributions aux organisations internationales 4 %, soit 150 millions de dollars. D’ailleurs, la Commission Clay recommandait une réduction des programmes d’aide américaine bien que l’assistance militaire restât essentielle.46
28C’est ainsi qu’à Washington, au printemps 1963, on n’hésita pas de le faire savoir à René Maheu que l’augmentation de 20 % pour chacun des deux biennia précédents de l’Unesco s’était traduite par une surcharge de ses capacités de gestion. Pour le biennium 1965-1966 il était souhaitable de limiter encore l’accroissement du budget ordinaire. Mais, comme pour cacher cette politique, l’équipe Kennedy souhaitait également voir les budgets et les programmes de l’Organisation présentés, de telle manière, que les États membres de l’Unesco puissent appréhender le programme dans sa totalité, sans différenciation entre budget ordinaire et fonds extrabudgétaires.47
29Au contraire de certains autres membres du Conseil exécutif, William Benton ne s’inquiétait point de la provenance des fonds dont disposait l’Organisation. A travers ses relations personnelles, il s’empressait d’accroître les possibilités financières de l’Unesco. En 1963, il s’agissait d’intéresser l’Agence internationale pour le développement, AID (Agency for International Development48), ainsi que le Fonds spécial des Nations unies, au potentiel de l’Organisation.
30William Benton souhaitait voir les États-Unis, par le biais de l’AID, suivre l’exemple d’autres pays et utiliser l’Unesco comme une agence d’exécution, pour des projets d’intérêt national qu’elle était en mesure d’exécuter plus efficacement et pour moins cher.49 Or, David Bell, administrateur de l’AID,50 avait l’impression que Benton voulait une contribution financière directe de l’AID à l’Unesco de 5 millions de dollars. Pour contourner ce premier malentendu, Benton s’adressa directement à l’adjoint de Bell, Frank M. Coffin, (le Représentant démocrate du Maine de 1957 à 1961). Il lui rappela que Mme Benton trouvait que lui, Coffin, était le meilleur orateur Démocrate qu’elle n’eût jamais entendu dans le Connecticut (son mari étant, au début des années 50, Sénateur démocrate du Connecdcut). Il lui expliqua que plusieurs représentants des pays africains avaient remarqué que les États-Unis étaient prêts à faire beaucoup pour eux, par voie bilatérale, or ils préféraient l’aide multilatérale. L’AID avait déjà donné des fonds à des pays africains qui, par la suite, demandaient à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de prendre en charge certains projets. Pourquoi l’AID ne pouvait-elle agir de même avec l’Unesco ? Benton insista. C’était le seul moyen de dépasser légalement le plafond de 33 %, imposé à la contribution américaine à l’Unesco.51 D’après Benton, il était très important de montrer que les États-Unis n’étaient pas anti-Unesco lorsqu’ils entreprenaient des programmes bilatéraux et, pour le faire, l’AID devait suivre l’exemple du Fonds spécial et faire prendre en charge, par l’Unesco, quelques-uns de ses projets.52
31Il n’y avait aucun problème de communication entre Benton et le Directeur du Fonds spécial, Paul Hoffman, ancien directeur de l’Encyclopædia Britannica (1942-1948), avec qui Benton entretenait des liens d’amitié depuis des années. D’ailleurs Hoffman était très intéressé par la prise en charge par l’Unesco de certains de « ses » projets. Déjà, en 1963, le Fonds spécial distribuait 283,5 millions de dollars aux Nations unies et à leurs institutions spécialisées et, pour sa part, l’Unesco était l’agence d’exécution de 56 de ses projets et recevait 60,8 millions de dollars pour le faire. Dans ce domaine l’Unesco n’était devancée que par la FAO qui reçoit 101 millions de dollars pour l’exécution de 128 projets.53 Ces chiffres doivent, néanmoins, être traités avec circonspection car il s’agissait de fonds distribués « sur le papier » et sans indication de durée des projets ainsi financés.
32Par ailleurs, et dans la tradition américaine, l’Unesco continuait de recevoir une aide financière indirecte des grandes fondations des États-Unis. Depuis quatre ans, selon une formule originale de coopération avec des organisations, tant nationales qu’internationales, des études étaient effectuées, à l’initiative et sous la direction conjointe de l’Unesco et de l’Association internationale des universités, concernant le fonctionnement et le rôle des universités. C’est ainsi qu’une étude comparative fondée sur l’examen des régimes en vigueur dans un certain nombre de pays typiques a été réalisée en 1963, grâce à l’aide de la « Carnegie Corporation of New York » et qu’une deuxième, portant sur les structures et le rôle des universités dans le sud-est asiatique, se poursuivit grâce au concours de la Fondation Ford.54
33Le financement de l’Organisation fut rendu encore plus souple par une décision de la Conférence générale de 1962 qui autorisa le financement, par des contributions d’États membres, d’organisations internationales ou nationales, gouvernementales ou non-gouvernementales, de certaines activités approuvées par la Conférence générale. Le premier projet financé par des « Fonds en dépot » (FIT) fut lancé, en automne 1963, après que le Conseil exécutif accepta l’offre du gouvernement suédois, en faveur de l’éducation des femmes africaines.55 Bien que, comparé aux sommes manipulées par l’AID, le montant de la première somme offerte fût très modeste, 481 732 dollars, les projets FIT permettraient aux pays contributeurs de participer, comme ils l’entendaient, aux travaux de l’Unesco.56
34Fin 1964, le pourcentage relatif entre le budget ordinaire de l’Unesco et ses recettes extra-budgétaires pour 1963-1964 se présentait légèment autrement qu’au début du biennium. Les dépenses effectivement engagées s’élevaient à 72 900 00 dollars, les crédits du Programme élargi d’assistance technique et du Fonds spécial représentant environ 48 % du montant. C’est à dire, que si le budget ordinaire accusait une augmentation de 20 % par rapport à l’exercice précédent, l’augmentation des ressources extrabudgétaires était, pendant la même période, de 51 %.57 Ce sont des chiffres officiels mais, à notre avis, le total des fonds extrabudgétaires auxquels avait accès l’Organisation pour ce biennium était probablement encore plus élevé. Flou qui arrangeait tout le monde...
35A Washington, on ne pouvait que se féliciter lorsque René Maheu accepta, en 1963, qu’un Américain, John E. Fobes, succéda à Alvin Roseman au poste de Sous-directeur général chargé de l’Administration à l’Unesco.58 D’une part, Fobes avait été détaché auprès de Hoffman, dès la nomination du dernier en tant qu’Administrateur du Plan Marshall, et, d’autre part, Fobes avait été précédemment l’adjoint au Directeur de l’AID en Inde.59 Ce qui faisait que la personne, qui avait, après le Directeur général, le poste le plus influent de l’Unesco, était responsable de projets préparés par ses anciens patrons (Hoffman et l’AID).
36Au début des années 60, plus les moyens de financement de l’Unesco étaient souples et diversifiés, plus la contribution américaine totale à l’Organisation risquait d’être élevée. Et comme le dit Benton, en se référant au Fonds spécial, des contributions volontaires pouvaient toujours être volontairement suspendues, si les États-Unis avaient l’impression que les projets seraient mal exécutés....60
ET PROGRAMME
37Le gouvernement américain accordait-il un intérêt prioritaire au budget de l’Unesco parce que les budgets, qui faisaient vivre l’Unesco, étaient davantage à sa portée que son programme ? Et si cette politique ne faisait qu’aggraver la tendance originelle....
38L’enjeu, en 1963, était plus que jamais, celui des pays en voie de développement. Après la massive décolonisation de 1960, bouleversant la composition des États membres de l’Unesco, l’Organisation commença à se stabiliser dans son nouveau statu quo. Le Burundi fut, le 16 novembre 1962, son 114ème État membre, le 115ème serait le Kenya, le 7 avril 1964. C’est dans le cadre de cette stabilité géographique que la politique américaine envers le programme de l’Unesco, une fois établie et présentée à la Conférence générale, fin 1962, n’évoluait guère tout le long de l’année suivante.
39Début 1963, l’éducation, considérée comme faisant partie d’un tout, aussi bien économique que social du développement des pays en voie de développement, était encore prioritaire. Les besoins en matière de planification des systèmes scolaires, de formation du personnel enseignant et de création de services annexes étaient ressentis comme criants. Pour répondre à cette demande et conformément à une résolution de l’ONU en ce sens, la Conférence générale (1962) de l’Unesco prévoyait la création, à Paris, d’un Institut international pour la planification de l’Éducation.61 L’Institut, qui devint réalité en juillet 1963, fut offert à l’Unesco par le gouvernement français, et recevait, pour commencer, 200 000 dollars de la Fondation Ford. De plus, 150 000 dollars étaient attendus de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, plus 150 000 dollars de 1 Unesco, ce qui assureraient 18 mois de fonctionnement.62
40L’intérêt américain à l’égard de l’Institut pour la planification de l’Education s’exprimait également à travers la nomination de Philip Coombs, printemps 1963, en tant que premier directeur. Comme nous avons vu, Coombs était auparavant Secrétaire d’État adjoint pour les Affaires éducatives et culturelles au Département d’État.
41Après l’éducation, c’est la science qui intéressait en 1963. Une Conférence des Nations unies pour l’application de la science et de la technique dans l’intérêt des régions peu développées (UNCAST, Genève, février 1963) avait éveillé, pour la science, l’enthousiasme des pays en voie de développement. Et quand René Maheu visitait Washington en avril 1963, il fut beaucoup question de science. Comme nous l’avons vu, le Département d’État était opposé à la création d’une nouvelle institution spécialisée pour la science et la technologie. Mais, sans céder sur ce point, à la suite de la visite du Directeur général, la politique de Washington évolua rapidement. C’est ainsi que, dès leur rentrée à la session du Conseil exécutif, William Benton et Dame Mary Smieton (Royaume-Uni) présentaient un projet de résolution visant à améliorer le programme scientifique de l’Unesco. Pour Benton il s’agissait, soit de l’améliorer, soit de voir l’Unesco supplantée dans ce domaine, car l’Organisation ne détenait pas le monopole de la science. Il ajoute qu’elle méritait peut-être d’être supplantée ! L’intervention de Benton s’accordait avec les idées de Réné Maheu qui, lui, espérait également élargir le programme scientifique de l’Organisation pour répondre à l’attente des pays « sous-développés ». Et, profitant de son accord avec la politique américaine dans ce domaine, le Directeur général souligna la nécessité de disposer d’un budget suffisant pour le faire.
42La résolution finalement adoptée, proposée par Amadou Bâ (Mali), William Benton (États-Unis), Noraïr Sissakian (URSS) et Mary Smieton (Royaume-Uni) prévoyait d’accorder à la science « une importance du même ordre que celle accordée à l’éducation » et « de réorganiser le Secrétariat de l’Unesco en conséquence ». Le Conseil approuva l’intention du Directeur général de poursuivre une étude à cette effet, avec l’aide, notamment, de conseillers scientifiques, en prenant en compte les besoins des États membres. Aussi était-il chargé d’incorporer les recommandations dans l’avant projet du programme et du budget pour 1965-1966. Par ailleurs, les activités de l’Unesco dans le domaine scientifique devaient être coordonnées avec celles du reste du système des Nations unies.63
43En ce qui concerne la culture, il y avait un projet culturel qui a su retenir l’attention de l’équipe Kennedy. Il s’agissait du sauvetage des monuments de Nubie, menacés par les eaux du barrage d’Assouan, et en particulier, en 1963, la mise en place d’un plan d’action pour sauver les temples d’Abou Simbel.64 Au printemps de 1963, la République arabe unie, qui estimait avoir besoin de 30,5 millions de dollars, n’en avait reçu que 7,7 pour le soulèvement des temples d’Abou Simbel. En conséquence, le Conseil exécutif autorisa le Directeur général à financer le déficit par des contributions volontaires à la hauteur de 40 millions de dollars. Une recommandation unanime d’experts américains réunis par le Bureau des Affaires éducatives et culturelles du Département pour analyser les aspects économiques et techniques du plan suédois, finalement retenu, assurait l’appui du gouvernement américain. Et lors d’une conférence du mois de juin 1963, à laquelle participaient environ 40 pays, les États-Unis promettaient, sous réserve de l’accord du Congrès, une contribution pouvant aller jusqu’à un tiers du total de la somme promise. La contribution américaine utilisait les livres égyptiennes accumulées par la vente d’excédents agricoles.65
44Au moment de la signature au Caire, le 9 novembre 1963, de deux accords internationaux pour la préservation des temples d’Abou Simbel, la Commission nationale américaine déclarait avoir reçu l’assurance qu’une somme de 28,7 millions de dollars serait consacrée au projet alors que, fin 1963, l’Unesco attesta que les fonds qui lui étaient disponibles ne dépassaient pas les 3,2 millions, auxquels il fallait ajouter 16,5 millions promis mais non encore reçus.66 Malgré la disparité de ces sommes, on peut constater une générosité qui échappe facilement aux limitations budgétaires de l’Organisation, dès lors qu’un projet enflamme l’imagination sur la scène internationale et, surtout, à cette époque, aux États-Unis.
45En ce qui concerne le programme de sciences sociales de l’Unesco, l’Organisation n’était pas prête à profiter pleinement du développement que connaissait cette discipline aux États-Unis. Peut-être parce que la pensée européenne était davantage ancrée dans une vision plus traditionnelle des humanités. Peter Lengyel (Australien), membre du Secrétariat de l’Unesco de 1953 à 1984 et rédacteur en chef de l’International Social Science Journal à partir de 1963, analyse ainsi la situation : « Comme beaucoup de Français cultivés de sa génération, Maheu avait peu de compréhension et moins de sympathie pour les sciences sociales, les considérant comme un intrus parmi les humanités, surestimant leurs capacités opérationnelles. » D’après Lengyel, la prophétie selon laquelle, les sciences sociales seraient invendables au tiers monde, était responsable du peu de succès qu’elles y connaissaient.67 Ce qui signifie que, pendant les années 60, ce que les intellectuels américains avaient de plus achevé et de plus spécifiquement américain à offrir au programme de l’Unesco, n’était pas exploité de manière à enrichir valablement ses programmes. La décision de « stabiliser » le budget de l’Unesco pour les programmes, autres que l’éducation et la science, tout en confirmant cette attitude négative envers les sciences sociales, contribuait également à ralentir leur croissance à l’Unesco.
46Mais plus que les différentes disciplines de l’Unesco, c’est l’efficacité de l’ensemble de son programme qui, comme toujours, préoccupait Washington. Les quelques directives à ce sujet, adoptées à la Conférence générale fin 1962, étaient maintes fois répétées au cours de l’année 1963, chaque fois qu’un Américain parlait de l’Unesco. On avait l’impression que le même « dossier » passait de main en main. Il s’agissait de limiter dans le temps l’aide financière aux centres et instituts ainsi qu’aux conférences et réunions de l’Organisation, et de réexaminer les subventions et contrats avec les organisations non gouvernementales.68 Au printemps 1963, la Commission nationale américaine pouvait même annoncer que le Président du Conseil exécutif de l’Unesco, le Néo-Zélandais Edward Beeby, ajoutait sa voix au concert américain, avec la nomination d’un comité de dix personnes chargées de redéfinir les fonctions et responsabilités respectives des organes de l’Unesco. Il s’agit, en réalité, d’une démarche déjà entamée en 1960. En 1963, c’est William Benton et R.B. Dastro (El Salvador) qui proposèrent la résolution adoptée.69
47Au cours de l’année s’ajoutaient aux premières recommandations, une demande américaine d’un remaniement du programme de l’Unesco afin qu’il s’inscrivît mieux dans la Décennie pour le développement. Une rationalisation du programme, qui devait se concentrer sur quelques projets bien déterminés ; une présentation intégrée du programme et du budget, toutes sources financières confondues (nous l’avons déjà vu) ; et la réduction de la quantité de documentation afférente aux conférences. De plus, et par principe, l’Unesco devait s’abstenir de s’engager dans des projets qui pouvaient être, aussi bien ou mieux exécutés par des voies bilatérales. En dehors de l’éducation et de la science, le programme de l’Unesco devait se « stabiliser ».70
48En ce qui concerne sa gestion, l’Unesco a toujours su faire preuve d’une aptitude remarquable à résister aux pressions américaines pour l’adapter aux méthodes de gestion pratiquées outre-Atlantique. Cependant, entre le 15 septembre 1963 et le 1er juillet 1966, une importante réorganisation eut lieu qui créa, notamment, des secteurs correspondant aux grandes disciplines dans les programmes de l’Organisation.
49Pour terminer cette partie sur le programme de l’Unesco, en 1963, il y avait une question qui ne faisait pas encore l’unanimité parmi les divers responsables de la politique américaine à l’Unesco – à savoir, si ou non, l’Unesco était une organisation politique. Pour Benton, c’était sûr, c’est un instrument politique71. Or, l’équipe de la Maison blanche ne partageait pas un point de vue aussi catégorique. D’après elle, bien que l’éducation et la culture aient des implications politiques il fallait éliminer de l’Organisation le débat politique sur des sujets tels que le désarmement ou le colonialisme72. Allant encore plus loin, dans le rapport que la Commission nationale américaine pour l’Unesco rédigeait en 1963, elle avertissait son gouvernement que l’Unesco risquait de devenir une simple institution d’aide, et de perdre de vue son rôle traditionnel de coopération intellectuelle73. Cette querelle d’interprétation au sein du Département d’État datait de la guerre, quand partisans et adversaires de l’exploitation des activités culturelles, à des fins de politique extérieure, affaiblissaient, déjà, la mise en place et la portée de ce type d’activités (voir ch. I – Recherche d’une politique culturelle cohérente). En 1963, l’approche intermédiaire de la Maison blanche n’empêcha pas l’Unesco de s’inscrire clairement dans un plan d’ensemble de la politique étrangère américaine.
50Mise à part cette question fondamentale sur la nature même de l’Organisation, en 1963 l’Unesco donna toutes les apparences d’évoluer comme le souhaitait l’administration Kennedy. Le budget ordinaire de l’Organisation étant « stabilisé », son programme pouvait se construire autour de la Décennie des Nations unies pour le développement et les fonds extrabudgétaires que cela supposait. Aussi l’Unesco adoptait-elle des résolutions visant à réduire des lourdeurs administratives. Pourtant les États-Unis avaient à l’Unesco leur talon d’Achille – il s’agissait de leur image.
TALON D’ACHILLE
51L’élargissement du champ d’action en direction des pays en voie de développement, faisait que la qualité de l’image projetée par les États-Unis au-delà de leurs frontières devenait un élément essentiel de leur politique étrangère. Qui, des États-Unis ou de l’Union soviétique, saurait projeter l’image d’un modèle de société capable de séduire les nouveaux dirigeants ? Toute glorification de la société soviétique et tout ternissement de la société américaine étaient ressentis, à Washington, comme des menaces et, souvent, la réaction défensive était beaucoup plus vive que l’attaque elle-même, tellement la susceptibilité américaine fut grande.
52En 1963, les manifestations en faveur des droits civiques des Noirs américains, en captant l’attention des médias du monde entier sur leur sort, accentuaient encore la vulnérabilité de l’image américaine à l’étranger. En ce qui concerne l’Unesco, certains Américains se posaient déjà, à tort ou à raison d’ailleurs, la question sur le manque de popularité des États-Unis au sein de cette Organisation. On peut même supposer que les racines du mécontentement des États-Unis à l’égard de l’Unesco, pendant les années 80, se trouvent, en partie, dans le fait que l’image de ce pays, au moment crucial, c’est-à-dire au début des années 60, y passait mal.
53L’exemple suivant, la saga d’une publication sans grand intérêt, montre combien, en 1963, la susceptibilité du gouvernement américain était grande pendant que, parallèlement, l’Unesco commençait à émettre des signes d’éloignement de son plus grand bailleur de fonds. En avril 1962, l’Unesco publia la version anglaise d’une brochure intitulée Equality of Rights Between Races and Nationalities in the USSR (l’Égalité des droits entre races et nationalités en URSS).74 Cette publication offensait l’opinion publique américaine à cause des inexactitudes concernant le nombre et la condition des Juifs à l’intérieur l’Union soviétique que la publication présentait comme intégrés et libres de pratiquer leur religion comme ils l’entendaient. D’autres postulats sur l’adhésion et l’unification volontaires des États baltes et du peuple ukrainien à l’URSS offusquaient également. La publication, qui ne coûtait qu’un dollar et demi aux États-Unis, n’avait pas encore trouvé un seul acheteur au début mars 1963. Pourquoi une version déformée de l’histoire soviétique, monnaie courante à cette époque, choquait-elle tellement ? Parce que l’Unesco semblerait cautionner cette version, parce le titre de l’ouvrage serait une provocation au regard de la situation des Noirs aux États-Unis, ou parce qu’aux États-Unis on avait peur que le tiers monde n’y ajoute foi ?
54Quelle qu’en fût la raison, le 4 mars 1963, le Secrétaire d’État adjoint pour les Affaires éducatives et culturelles, Lucius Battle, devait se présenter au Sénat pour exposer le point de vue du Département d’État sur cette publication. Battle affirmait que déjà, lors de la Conférence générale de l’Unesco de 1962, il avait suggéré de renoncer aux conférences et publications « tendancieuses » ; d’une part, pour des raisons d’économie, d’autre part, parce que, « comme la femme de César », l’Unesco devait être au-dessus de toute soupçon. Battle résumait ensuite le déroulement de l’affaire. Cette publication faisait partie d’une série « Race et société » dans laquelle, en 1954, un Américain, Morroe Berger, avait publié une étude « objective », alors que la publication soviétique n’était que le véhicule d’une propagande soviétique et anti-occidentale, ignorant tout critère scientifique. Dès la publication, de la brochure en anglais, le Département d’État avait élevé une vigoureuse protestation auprès du Directeur général par intérim, qui l’avait défendue en arguant que cette publication était la contrepartie de la publication américaine. Battle expliquait enfin, qu’avant 1954 (c’est-à-dire avant que l’URSS ne devienne membre de l’Unesco), ce genre de problème ne se posait pas et qu’actuellement l’Organisation manquait de critères pour déterminer ce qu’elle devait publier.
55Pour pallier cette lacune et éviter que l’Unesco fût exploitée à des fin de propagande, la Commission nationale américaine proposait quelques critères : l’Unesco s’engagerait à ne publier que dans son domaine de compétence, à éviter toute déclaration abusive, à indiquer clairement les auteurs qui devaient être reconnus comme compétents et à suspendre temporairement toute publication de monographies. Acceptées par le Département d’État, les propositions de la Commission risquaient de soumettre les publications de l’Unesco à un consensus qui tirerait leur portée vers le bas.75 De son côté, quand William Benton lui rendit visite, le Président Kennedy soulevait également le problème des livres de propagande pro-soviétique publiés par l’Unesco (nous l’avons déjà vu). Il présumait qu’il n’y avait rien à y faire. Benton lui lut le passage sur les pays baltes et l’assure qu’« on allait faire quelque chose ».76
56Entretemps et, dès décembre 1962, le Conseil exécutif créait un comité de dix personnalités pour examiner ce problème. Le Président du comité était Julien Cain (français).77 Bien que prenant en compte les propositions américaines, le projet de résolution du Comité, qui était ensuite adopté par le Conseil exécutif avec peu de modifications, en était beaucoup plus subtil. Il s’agissait surtout de « continuer à inviter tous les auteurs de pays représentant tous les systèmes sociaux du monde, y compris les pays ayant récemment accédé à l’indépendance, à coopérer sur une base aussi large que possible à ses publications ». Les publications de l’Unesco seraient divisées en trois catégories : études comparatives, monographies et publications d’« idées ». Les monographies pouvaient continuer à être publiées par l’Organisation si cela se justifiait. Par ailleurs, toute publication qui ne reflétait pas l’opinion officielle de l’Organisation devait comporter une préface qui explique sa raison d’être. Quand il s’agissait de publications « d’idées », elles devaient s’inspirer du respect mutuel entre États membres et, en cas de litige, le Directeur général demanderait un avis au Conseil exécutif.78
57A l’image du Général de Gaulle qui s’efforça de maintenir l’indépendance de la France face aux deux « super-grands », nous avons l’impression que se faisait jour, à l’Unesco, une filière, inspirée par le Directeur général, déterminée à ne pas faire systématiquement le jeu des solutions américaines.79 Ceci dit le Général de Gaulle et le Directeur général ne s’entendaient pas, ce qui lui créait des problèmes avec les Gaullistes à l’Unesco. Mais cela est une autre histoire....
58En 1963, l’image des États-Unis à l’étranger n’était point embellie par les événements liés à la lutte contre la ségrégation raciale dans ce pays. L’année 1963, marquant le centenaire de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, était celle d’une année charnière dans cette lutte. Au printemps, le mouvement des droits civiques, déçu jusque-là par l’attitude du Président Kennedy, prenait des initiatives. Du 12 avril au 10 mai à Birmingham, en Alabama, les manifestations non violentes (du moins dans les intentions des manifestants) les séances de « sit-ins » et de « pray-ins » (occupation de lieux et prières collectives) auxquels participaient même les enfants, bravaient la colère des opposants blancs.80 Les manifestations entraînaient l’intervention des forces de police suivie, sous l’oeil des caméras, d’émeutes qui aboutissaient à un accord mettant fin à la ségrégation raciale dans les établissements de commerce de Birmingham. Le 12 mai, des troupes fédérales furent envoyées encore à Fort McClellan, dans la banlieue de Birmingham, à la suite d’une reprise des émeutes.
59Le gouvernement soviétique, ayant compris, nous l’avons vu, que le racisme pratiqué aux États-Unis ternissait leur image sur la scène internationale, n’hésitait pas à exploiter la situation. Les rapports de la CIA dénombrent 1 420 commentaires anti-américains diffusés par la radio soviétique dans les deux semaines qui suivaient la crise de Birmingham. S’ajoutaient à cela, des titres à sensation tels que « Crimes monstrueux des racistes aux États-Unis » paru dans le Pravda du 9 mai 1963.81
60Les pays africains ne restaient point non plus indifférents aux émeutes raciales qui eurent lieu aux États-Unis, en 1963. Lorsque le Président Kennedy adressa un message, le 21 mai, à une conférence de pays africains indépendants dans lequel il soulignait l’importance de l’unité du monde libre, le Premier ministre de l’Ouganda, Milton Obote, répondit par une protestation contre les lances d’incendie et les chiens hargneux de Birmingham.82 D’ailleurs le 9 mai, soit une semaine après la marche des enfants, Martin Luther King utilisait cet argument pour encourager les manifestants à résister. Il expliquait aux fidèles de l’église de St. John que « les États-Unis sont préoccupés par leur image à l’étranger. Quand les événements ont commencé à se produire ici, Monsieur Kennedy a été perturbé car Monsieur Kennedy se bat pour l’esprit et le coeur des hommes d’Afrique et d’Asie »83
61A cette époque, et de manière diffuse, certains Américains ressentaient déjà, et essayaient d’analyser, un malaise dans les relations entre les États-Unis et l’Unesco. Ainsi, lors de l’audition de Battle devant le Sénat, était-il question du sentiment anti-américain dans les organisations internationales. La raison invoquée par le Sénateur Church (Idaho) était, que ceux qui y travaillaient faisaient souvent partie de la bureaucratie coloniale et qu’ils pensaient que les États-Unis n’avaient pas fait assez pour sauver les empires ! Battle répondit que s’il était conscient qu’un sentiment anti-américain pouvait exister à l’Unesco, il ne se sentait pas assez compétent pour en tirer des conclusions.84 Quant à William Benton, il trouvait que l’Unesco souffrait souvent des mêmes maux que pendant les années 40. Dean Rusk le rassura : il était certain que Benton saurait y remédier partiellement !85
62Après les événements d’Alabama, et dans le même sens, la marche sur Washington, du 23 août 1963, en faveur de l’égalité des droits individuels fut suivie par plus de 250 000 personnes. La journée commença à dix heures par une chanson de Joan Baez. Pour l’anecdote, en 1961 son père, Albert V. Baez, est nommé Chef de la Division de l’Enseignement des sciences de base dans l’éducadon supérieure à l’Unesco.86 Après les chanteurs, Martin Luther King prononça son fameux discours, répétant plusieurs fois le refrain « J’ai un rêve » et terminant par « Libres enfin ! libres enfin ! Merci à Dieu tout puissant que nous sommes libres enfin ».87 Malgré cette manifestation exaltante, les conflits raciaux se poursuivaient.
63Au mois de septembre, le dossier de la « publication soviétique » de l’Unesco n’était pas encore clos. Devant le Sénat, Benton tentait d’expliquer le rôle de l’Unesco dans les domaines des relations raciales et du désarmement. Les deux problèmes pouvaient, à son avis, être légitimement considérés comme étant du ressort de l’Organisation. Sur les problèmes raciaux, les études entreprises par l’Unesco devaient se situer à un niveau savant et scientifique, sans jamais se prêter aux interprétations de propagande politique. Et, d’après Benton, le Directeur général approuvait cette approche.88 Le 15 septembre 1963, à Birmingham, 4 enfants noirs moururent dans une église bombardée et incendiée. Le mouvement des droits civiques se réclamerait, de plus en plus, de la violence pour se défendre contre de telles violences.
64Si l’image des États-Unis commence à fléchir à l’Unesco, l’Unesco ne connaît point un meilleur accueil par le grand public américain. En décembre 1963, la Commission présentait une étude qu’elle venait d’effectuer sur l’Unesco intitulée « Unesco in a Decisive Decade » (L’Unesco dans une décennie décisive) où elle appelait à une plus grande participation américaine à la Décennie pour le développement. De son côté George V. Allen souligna, dans la préface, le rôle de la Commission de renforcer les liens entre intérêts gouvernementaux et non gouvernementaux américains en ce qui concernait l’Unesco. Il estimait même nécessaire de faire appel aux universitaires et aux artistes, pour faire en sorte que le public américain comprenne les raisons de l’engagement des États-Unis dans cette organisation.89
65Les manifestations pour les droits civiques, si elles fragilisaient l’image du pays au-delà des frontières, risquaient aussi de coûter les élections de 1964 à John F. Kennedy. Impliqué par ses fonctions de Ministre de la Justice dans la recherche de solutions à ce problème, à l’automne 1963 son frère Robert considérait même démissionner de ce poste qui risquait de faire perdre les voix des États du Sud.90 Au Vietnam, la situation se dégrade. Kennedy pensait au désengagement, mais ne pouvait rien avant les élections. Le 1er novembre, Ngo Dinh Diem fut assassiné avec l’assentiment de la Maison Blanche.91 Ce pays commence à devenir un cauchemar pour les États-Unis.
66Une institution spécialisée du système des Nations unies devait paraître une entité un peu dérisoire, à côté de ces violences, surtout celle du 22 novembre 1963, date de l’assassinat du Président John F. Kennedy, à Dallas. Son Vice-Président Lydon B. Johnson devint le 36ème Président des États-Unis. Dans ce contexte quel avenir pour les relations entre les États-Unis et l’Unesco ?
* * *
67L’année 1963, année trompeuse, l’est sous presque tous les aspects évoqués dans ce chapitre, en commençant par la nomination de William Benton au Conseil exécutif. Cette nomination prouvait, certes, l’importance que l’équipe Kennedy accordait à l’Unesco, car c’était Benton, avec Archibald MacLeish et quelques prestigieux Britanniques et Français, qui avaient forgé l’Unesco en 1945-1946. Or, en 1963, Benton avait, forcément, presque vingt ans de plus, et malgré la peine qu’il se donnait pour s’informer sérieusement de l’évolu on de l’Unesco, surtout en reprenant ses anciens contacts, elle l’intéressa : moins qu’auparavant. Puis, l’Organisation devenue adulte, par le nombre des États membres, l’expérience de son Secrétariat et la détermination du Directeur général, lui rendait ce manque de respect. William Benton essayait, néanmoins, de profiter de ses relations pour augmenter les ressources extrabudgétaires de l’Unesco.
68Trompeuse également, était la confiance, bien que ne l’ayant pas soutenu lors de son élection, que le Département d’État plaçait en René Maheu. Maheu, de l’avis de beaucoup un excellent Directeur général, entendait tenir en main toutes les ficelles et affermir son autonomie aussi bien face aux super-puissances que face au reste du système des Nations-Unies. Il n’en était pas moins vrai que Kennedy et lui, la seule fois qu’ils avait eu l’occasion de se renconter, s’appréciaient mutuellement. Johnson ne commettait-il pas une erreur grave en ne rencontrant pas René Maheu, avant 1967 ?92
69Trompeuses étaient les restrictions budgétaires. Avec une contribution dépassant souvent les 30 % (qui leur étaient fixés pour le budget ordinaire de l’Unesco) par le biais des fonds du PEAT et du Fonds spécial, les États-Unis augmentaient de manière discrète leur engagement envers l’Organisation., Les fonds extra-budgétaires étaient alloués à des projets formulés par les États membres, eux-mêmes, ou par leurs conseillers. C’est aussi par ce biais que les États-Unis (et d’autres) jouissaient d’une certaine souplesse dans leur participation au programme de l’Unesco. Mais là aussi, leur succès était trompeur.
70L’éducation, comme le souhaitait la Maison Blanche, était prioritaire ; la science le devenait également, à la demande des pays en voie de développement dans le souci d’assurer leur adhésion à la technologie du monde libre. Mais, paradoxalement, les sciences sociales – spécialité américaine – risquaient d’être supprimées au profit d’un programme sur la communication, au moment où, en dehors de l’Unesco, les sciences sociales connaissaient un essor considérable.93 Puis, lorsqu’il s’agissait de publier à l’Unesco des mensonges sur l’intégration des différentes ethnies et races en Union Soviétique, et ainsi indirectement attirer l’attention sur les difficultés de la population noire aux États-Unis, nous sommes franchement surprise par l’affolement qui remontait jusqu’au Président Kennedy. Il faut toutefois signaler que le Président ne donnait pas l’impression de prendre cela de manière dramatique. Autre surpris – à quel point le Département d’État pouvait ignorer le contenu des programmes de l’Unesco, sauf lorsqu’il s’agissait d’un détail qui l’intéressait.
71Malgré les failles et les erreurs, le souvenir qui nous reste de l’année 1963 est une photographie montrant le Président Kennedy, René Maheu et William Benton ensemble. Un lien existait déjà entre Benton et Kennedy, un autre était en train de se créer entre Kennedy et Maheu. L’histoire des relations entre les États-Unis et l’Unesco reposant, pour une large part, sur les liens personnels entre les principaux acteurs, avec la mort de Kennedy tout était à recommencer.
Notes de bas de page
1 Les papiers de William Benton couvrent toute la période de son mandat au Conseil exécutif, c’est-à-dire jusqu’à la fin de l’année 1968, date où il quitta le poste.
2 Lettre du 4 février 1963 de William Benton à Walter Kotschnig. A cette date Kotschnig était Directeur du Bureau des affaires économiques et sociales internationales du Département d’État.
3 ibid., lettre du 8 février 1963 de Thomas J. Doss, US Senat à Benton et la réponse du 11 février 1963 de Benton à ce dernier.
4 Lettre du 8 février 1963 de William Benton à Sir John Maud
5 Par la suite Benton demandera que Howe assiste aux séances d’information du Département d’État en préparation du Conseil exécutif de l’Unesco. Demande refusée mais qui témoigne de l’importance que Benton attribue à Howe dans la formulation de sa politique vis-à-vis de l’Unesco. Lettre du 5 avril 1963 de Robert Wade, Bureau des Affaires éducatives et culturelles à Benton.
6 Mémorandum du 15 février 1963 de John Howe au Sénateur Benton suite à des conversations avec Howland Sargeant, Kenneth Holland, Luther Evans, George Shuster, Joseph Slater et (par téléphone) avec Philip Coombs et Walter Kotschnig.
7 ibid. et Newsletter, Vol. X, n° 1 de janvier 1963
8 Mémorandum du 6 mars 1963 de John Howe à William Benton, l’objet : Assistant Secretary Battle, Assistant Secretary Cleveland and Mr. Wade
9 Crane Haussaman vient du monde de la publicité et a été consultant au « New York Metropolitan Educational Television Association ». Newsletter de janvier 1963, déjà citée
10 Lettre du 21 mars 1963 de Ralph A. Dungan, Assistant spécial auprès du Président à Crane Haussaman
11 Lettre du 9 mai 1963 de John F. Kennedy à William Benton
12 Mémorandum du 15 février 1963 de John Howe, déjà cité
13 Mémorandum du 25 février 1963 de Benton à Howe
14 Deuxième mémorandum de John Howe à William Benton du 6 mars 1963, objet : The President
15 Communiqué de presse de la Maison blanche du 9 mars 1963
16 Lettre du 14 mars 1963 de Benton à Walter Kotschnig
17 Mémorandum du 11 mars 1963 de William Benton à Harland Cleveland et Lucius Battle
18 Mémorandum du 11 mars 1963 de William Benton à John Howe
19 65 ex/SR.1 p.6 : William Benton fut élu à l’unanimité membre du Conseil exécutif le 29 avril 1963.
20 Témoignages de ceux qui travaillaient au Conseil exécutif pendant les années 60
21 William Benton, This is the Challenge, déjà cité
22 Adlai Stevenson sera, de janvier 1961 à juillet 1965, le représentant permanent des États-Unis à l’ONU.
23 Willliam Benton, The Voice of Latin America, Weidenfeld and Nicolson, London, 1962, Copyright 1961 by Encyclopaedia Britannica Inc.
24 Lettre du 24 mai 1963 de William Benton au Président Kennedy qui a dû être écrite quelques jours auparavant à Londres
25 Lettre du 31 mai 1963 de Kenneth O’Donnell, Assistant spécial du Président à William Benton
26 Note du 9 août 1963 de Benton à sa secrétaire lui demandant de téléphoner au Ministre de la Justice afin d’obtenir un rendez-vous
27 Lettre du 16 septembre 1963 de William Benton à Kenneth O’Donnell
28 René Maheu (1905-1975), de nationalité française, était membre du Secrétariat de l’Unesco depuis septembre 1946. Auparavant il fut professeur de philosophie à l’Université de Cologne (1931-1933), à l’Institut français de Londres (1933-1939) et au Collège franco-musulman de Fez (1940-1942). En 1943-1944 il fut directeur de l’Agence de presse France-Afrique à Alger.
29 Documents non-datés que nous a fournis la bibliothèque John F. Kennedy. Ce qui donne à penser que cette information a été réunie par l’équipe à la Maison Blanche bien que la grande majorité des entretiens de René Maheu aient eu lieu avec les membres du Département d’État.
30 ibid.
31 Newsletter, Vol X, n° 4 d’avril 1963
32 12 C/DR.63 et 12 C/Résolutions, Résolution 30 Amélioration des méthodes de travail et de l’utilisation du personnel, pp.110-111
33 Lettre du 5 avril 1963 de Robert Wade, Directeur des activités multilatérales et spéciales du Bureau des Affaires éducatives et culturelles au Sénateur Benton
34 Lettre du 10 juin 1964 de William Benton à Kenneth O’Donnell
35 Lettre du 28 octobre 1963 de William Benton au Président Kennedy : « Vous avez fait un très bonne impression sur Monsieur Maheu et il n’est pas facilement impressionné ». Lettre de William Benton au Secrétaire Rusk et au Secrétaire Gardner du 15 octobre 1965
36 La force de frappe atomique française est prévue par une loi-programme élaborée dès juillet 1960.
37 André Fontaine, op.cit., pp.527-528
38 Texte soigneusement préparé, car rédigé au Département d’État, puis transmis à la Maison blanche via McGeorge Bundy (chargé de mission auprès du Président pour les questions de sécurité nationale, janvier 1961-février 1966) pour signature par John F. Kennedy pour être, enfin, adressé dans une lettre du 22 octobre 1963 à George V. Allen, Président de la Commission nationale américaine pour l’Unesco.
39 Newsletter, Vol. X. No.10 de novembre 1963. René Maheu doit avoir à l’esprit la convention annexée au traité de Rome de 1957 prévoyant l’association de pays d’outremer et la création du Fonds européen de développement, dont le règlement fut précisé par une" convention signée à Yaoundé (Cameroun) le 20 juillet 1963. J.O., Doc. de l’Assemblée nationale, année 1963-1964. Annexe n° 692 au p. v., séance du 28 Novembre 1963, pp. 262-263.
40 Document qui porte la cote C/5
41 Documentation rédigée en vue de la visite de René Maheu à Washington en avril 1963, déjà citée et 12 C/Résolutions, Rés.9.2, pp.86-87
42 12 C/5 approuvé, pp. 432 et 435. La somme exacte des provisions du PEAT est de 13 699 416.
43 L’« Association internationale de développement » (IDA) créée le 24 septembre 1960 est une filiale de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et ainsi contribue aux efforts de la Banque mondiale. A ne pas confondre avec l « Agency for International Development » dont le sigle est AID et dont il sera question plus loin.
44 Le Général Lucius D. Clay (1897-1978) fut, pendant les années 50, conseiller de l’administration Eisenhower pour les affaires allemandes, puis l’envoyé spécial du Président Kennedy à Berlin d’août 1961 à mai 1962.
45 L’Alliance pour le Progrès, organisme de coopération États-Unis-Amérique latine pour le développement économique et social, fut inaugurée par le président Kennedy en mars 1961.
46 Documentation on American Foreign Relations 1963, Ed. R.P. Stebbius, Council on Foreign Relations, Harper & Row, NY & Evanston, 1964, pp.25-34 et New York Times du 22 mars 1963
47 Idées préliminaires sur le programme et budget 1965-1966 ; documentation rédigée en vue de la visite de René Maheu à Washington en avril 1963, déjà citée.
48 L’« Agency for International Development » (AID), créée d’après la loi américaine de 1961 sur l’assistance à l’étranger, fait partie du Département d’État. Son objectif est d’aider les peuples des pays en voie de développement à exploiter au mieux leurs ressources économiques et humaines et ainsi d’administrer, sur une base bilatérale, une assistance au développement et un appui économique.
49 Lettre du 19 août 1963 de William Benton à David Bell, Administrateur de l’« Agence for International Development » (AID)
50 David Bell était l’Administrateur de l’AID de janvier 1963 à juillet 1968. Cette Agence a fourni les chiffres pour la Commission Clay qui a choisi Bell pour assister à l’élaboration de son rapport final, Documentation on American Foreign Relations 1963, op. cit.
51 Benton se trompe car l’Unesco a déjà, en 1957, limité en principe la contribution maximum à 30 %.
52 Lettre du 7 octobre 1963 de William Benton à Frank Coffin, AID, Département d’État
53 L’Annuaire des Nations unies – 1963, série citée, p. 181
54 13 C/4 du 14 septembre 1963 « Évaluation des activités de l’Unesco (1962-1963) et perspectives de l’avenir, » p. 4
55 12 C/Résolutions, 12 C/9.2. V, p. 89 et 66 EX/Déc.4.2.7
56 Newsletter, Vol. XI, n° l de décembre 1963
57 13 C/4, doc. déjà cité, p. 1
58 John E. Fobes, nommé par lettre de René Maheu en date du 20 novembre 1963, occupera le poste d’ADG/ADM du 27 février 1964 au 31 mars 1970.
59 Lettres de William Benton du 19 août 1963 à David Bell et du 16 septembre 1963 à René Maheu
60 Congressional Record-Senate, pp. 20241-20242 ; discours du 30 septembre 1963 de William Benton au Conseil exécutif de l’Unesco, lu devant le Congrès américain le 7 novembre 1963
61 Résolution de l’Assemblé générale des Nations unies 1717 (XVI) et 12 C/Résolutions, Rés. 1.213, p. 14
62 Newsletter, Vol X, n° 5 de mai 1963
63 Newsletter, Vol X. n° 6 de juin 1963 et 65 EX/décisions, Résolution 4.31, pp.8-9
64 Projet de mémorandum de la Maison blanche du 12 juin 1963 ; le projet finalement retenu fut celui de Vattenbyggnadsbyran de Stockholm.
65 ibid., 65 EX/Décisions, p. 10, Rés.4.4.2 et Newsletter, de décembre 1963, déjà citée
66 13 C/ADM/4, tableau V, p. 21
67 Peter Lengyel, International Social Science – The Unesco Experience, Transaction Books, New Brunswick (USA) & Oxford (UK), 1986, pp.32-33 et 38
68 12 C/Résolutions, Rés 8.3. Questions particulières concernant les modes et instruments d’action de l’Unesco, pp.80-82
69 Newsletter de juin 1963, déjà citée et 65 EX/23, ses Annexes et 65 EX/Décisions, Rés. 5.1, pp.13-14. Edward Beeby était un ami personnel de William Benton, depuis 1946, quand ils étaient chacun, chef de leur délégation respective, à la première Conférence générale de l’Unesco.
70 Documentation en préparation à la visite de René Maheu en avril 1963, déjà citée et discours de William Benton du 30 septembre 1963, déjà cité.
71 Lettre du 22 mars 1963 de William Benton à Lord William Maxwell Aitken Beaverbrook
72 Documentation en préparation à la visite de René Maheu en avril 1963, déjà citée
73 Unesco in a decisive decade, United States National Commission for Unesco, U.S. Printing Office, 1964
74 La version française fut publiée en 1961. Nous avons essayé d’obtenir une copie de cette publication (en anglais ou en français) aux archives et à la bibliothèque de l’Unesco sans succès.
75 Auditions du 4 mars 1963 devant le Sous-comité des Relations étrangères du Sénat, 88ème Congrès, 1ère session, pp.1-33, U.S. Government Printing Office, Washington, 1963 et Newsletter, Vol X, n° 3 de mars 1963
76 Mémorandum du 11 mars 1963 de Benton à Cleveland et Battle
77 64 EX/Décisions, point 5, p. 4 et 65 EX/12
78 65 EX/Décisions 4.6.1, pp.11-13
79 Nous citons James P. Sewell « Un innocent visiteur au siège du PNUD a été informé que l’Unesco avait à sa tête un "de Gaulle-like man" acharné à la construction de son propre empire beaucoup plus qu’à participer au PNUD ou aux autres institutions spécialisées correspondantes ». op. cit., pp.267-268
80 Martin Luther King, op.cit., p. 160
81 Information et références données dans Parting of the Waters, op.cit., pp.786, 807 et 993
82 Citation du 23 mai 1963 de l’Ambassadeur Korry d’Ethiopie à Dean Rusk et mémorandum du 14 juin 1963 de Thomas L. Hughes : Information et références données dans Parting of the Waters, op.cit., pp.807 et 993
83 ibid, p. 790.
84 Audition du 4 mars 1963, déjà citée, pp.25-26
85 Lettre du 14 août 1963 de Dean Rusk à William Benton
86 Newsletter, Vol. VII, n° 6 du 20 mars 1961
87 Taylor Branch, op. cit., pp.876-883
88 Congressional Record- Senate du 7 novembre 1963, déjà cité
89 Newsletter, de décembre 1963, déjà citée
90 Rober Kennedy, Témoignages pour l’Histoire, op. cit., pp.97-98
91 Denise Artaud, op. cit., pp.240-241
92 Memo (de la Commission nationale américaine) de septembre 1968
93 Peter Lengyel, op.cit., pp.38-40
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Les États-Unis et l’Unesco, 1944-1963
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