L’Europe des historiens
p. 333-353
Note de l’éditeur
Texte publié dans Encyclopaedia Universalis, Symposium, Les enjeux, tome 1,
1991.
Texte intégral
1Lorsqu’il faut donner une description raisonnée de l’Europe, les géographes sont gens heureux : l’Europe géographique est un continent bien défini, espace délimité par des frontières « naturelles », simples, de l’Atlantique à l’Oural et au Caucase. A propos de cette même question les historiens s’interrogent, doutent, se divisent : comment peut-on définir une Europe à travers son passé ? L’histoire du continent européen permet-elle de tracer les frontières qui la distingueraient de ses voisins en se fondant sur une série de critères culturels spécifiques ? Peut-on considérer que les interrelations européennes dans le passé ont réussi à constituer un ensemble autonome où, au-delà des diversités nationales, les habitants de ces régions se sentent solidaires ? Puisque l’on parle tant de l’Europe en 1990, puisque certains veulent la construire, peut-on utiliser l’histoire pour fonder sa légitimité ?
Les fondements d’une unité européenne
La Grèce, berceau de l’Europe
2Utiliser hier pour aujourd’hui ! L’entreprise est des plus hasardeuses, car l’identité de l’Europe a sans cesse varié dans le temps. Du même coup, les références à l’Europe comme objet unique, clairement perceptible, relèvent davantage des mythes que des réalités. Les Grecs de l’Antiquité l’avaient fort bien compris en contant l’histoire de la déesse Europe de plaisante manière. On se souvient que Zeus, une fois encore volage, s’était épris d’une charmante personne, la belle Europe, et qu’il avait su satisfaire ses désirs en l’enlevant, travesti pour cette fois en blanc taureau ailé. Les frères de la belle Europe, décidés à la retrouver, avaient ensuite entrepris des recherches dans tout le monde connu et même inconnu pour ramener leur sœur chez elle. Ces recherches, constantes, les avaient entraînés à créer de nouvelles cités partout où ils allaient, à l’est sur le Pont-Euxin, à l’ouest en Grande Grèce ; l’espace européen grandissait ainsi, selon la légende grecque, au fur et à mesure des fondations nouvelles. En réalité, c’est un espace de civilisation grecque qui se dilatait en constituant l’Europe légendaire. On touche ici au nœud du problème : l’Europe dans l’histoire est un espace de civilisation commune, qui rejette dans les ténèbres, donc hors d’Europe, ceux que les Grecs qualifiaient de « Barbares », c’est-à-dire tous les autres. Le mythe du Barbare menaçant, nécessaire pour définir les frontières de la civilisation européenne, donc de l’Europe, était appelé à une longue histoire, celle-là même des habitants de l’Europe depuis l’Antiquité.
3L’Europe va, en effet, peu à peu se constituer au rythme de l’entrée des Barbares dans le moule de la civilisation, puisque celle-ci se reconnaît comme unique de son espèce. Ce n’est point un hasard si l’histoire de l’Europe, enseignée encore aujourd’hui dans tous les États européens, débute avec l’histoire des pays du pourtour méditerranéen oriental ; les sources culturelles des Européens se trouvent, en principe, dans cette région (dont une grande partie se situe hors du continent européen, comme l’Asie Mineure ou l’Égypte). La Grèce antique, berceau de l’Europe ? Le fait n’est pas contesté par tous ceux qui voient dans la civilisation européenne un ensemble culturel reposant sur certaines valeurs (démocratie, respect de l’individu), sur certaines idéologies (rôle des philosophes grecs), sur certaines traditions (magnifiées par l’enseignement littéraire classique). Pourtant, combien d’Européens peuvent aujourd’hui se réclamer ethniquement du rameau grec ? Lorsqu’il fut question, vers 1820-1830, d’aider les Grecs à retrouver leur indépendance, de nombreux intellectuels à travers toute l’Europe vinrent se placer aux côtés des insurgés grecs du Péloponnèse au nom de la liberté pour la Grèce « mère de tous les arts », les uns par des accents vengeurs, tel le jeune Victor Hugo, les autres par un engagement total, tel lord Byron.
4En réalité, la cellule mère grecque dut son renom à son vainqueur-captif, le monde romain. L’expansion progressive et continue des conquêtes romaines tout autour de la Méditerranée fit entrer les cités grecques dans la mouvance romaine aux IIe et Ier siècles avant J.-C. ; la fine culture grecque pénétra dès lors largement le rude monde romain au point de constituer cette civilisation gréco-latine, fondement culturel de l’Empire romain. Du même coup, l’affermissement politique de cet Empire, pendant au moins les trois premiers siècles de notre ère, consolida la prééminence intellectuelle de la culture gréco-latine ; peu à peu, des peuplades barbares, situées au nord de la zone géographique méditerranéenne – Ibères, Celtes des Gaules, Germains, Helvètes, Daces... –, en se civilisant, entrèrent dans le monde romain et, par là même, dans l’Europe. Car, au fond, l’Europe, c’est l’Empire romain.
5Dans un espace lointain, quasi inconnu et légendaire, vivent des Barbares, peuplades de pasteurs, de nomades, de marins, considérés par les habitants de l’Empire-Europe à la manière des peuplades africaines ou asiatiques lorsque les Européens se lanceront dans la colonisation du monde. Les cartes grecques et romaines traduisent ce phénomène : l’Europe est distinguée de l’Afrique par la grande mer intérieure, la Méditerranée ; mais elle est limitée au nord par les vastes forêts hyperboréenne, hercynienne, c’est-à-dire par les zones forestières d’Europe centrale (Allemagne centrale, Bohême, chaîne du Balkan), au-delà desquelles les contours doivent tout à l’imagination de l’auteur. Un citoyen romain vivant sur le territoire de l’actuelle Tunisie devait être alors considéré comme beaucoup plus « européen » qu’un Saxon « féroce » habitant dans la grande plaine du nord de l’actuelle Allemagne.
Un nouvel espace
6La translation de l’Europe « véritable » vers le nord s’opéra pendant le haut Moyen Age, sous une double influence. D’une part, venant du nord et de l’est du continent, les invasions barbares, surtout aux IVe, Ve et VIe siècles de notre ère, mélangèrent des populations dans presque toute l’Europe au point de faire tomber de nombreuses barrières raciales antérieures (Wisigoths et Vandales en Espagne, Francs et Burgondes en Gaule, Ostrogoths en Italie). D’autre part, les invasions arabes, qui balayèrent l’ensemble de l’Afrique septentrionale, déterminèrent une fracture durable entre les civilisations des deux rives de la Méditerranée. Non seulement l’Empire romain périt, mais ce brassage des populations recentra l’Europe historique selon son cadre géographique ; l’Europe méditerranéenne cessa d’être prédominante.
7On le vit nettement lorsqu’un des grands « héritiers » des remaniements ethniques en Europe, le descendant des Francs, Charlemagne, en se faisant couronner empereur par le pape Léon III (800), reconstitua un empire « à la romaine » ; sa suzeraineté qui s’étendait de l’Elbe à l’Ebre fut reconnue par les doctes de l’époque comme définissant l’Europe : « Europa vel regnum Caroli ». En vérité, une partie seulement des clercs de l’époque suivait cette définition, car, à l’autre extrémité du continent, d’autres successeurs de l’héritage antique existaient : les empereurs byzantins estimaient être les seuls authentiques descendants d’une culture gréco-romaine. Déjà deux Europe, l’une occidentale, l’autre orientale, se disputaient l’héritage culturel et politique de l’ancien Empire ; le continent connaissait une profonde fracture qui n’est pas sans analogies avec l’Europe issue de la Seconde Guerre mondiale.
L’Europe christianisée
8Vers la fin du Ier millénaire, l’Europe véritable embrassait donc un espace nouveau, mais elle continuait à se définir par une culture commune, issue du passé gréco-latin, transfigurée par un autre phénomène considérable, la christianisation. Les peuples christianisés en Europe se répartissaient du sud au nord, de l’ouest à l’est du continent. Vers le nord, en Scandinavie, les populations vikings et varègues furent « évangélisées » lorsque leurs princes rejoignirent la foi chrétienne de rite romain (Olaf le Saint en Norvège, saint Erik IX en Suède), tout comme le fondateur de la dynastie Piast en Pologne orienta ce pays vers le rite catholique. Plus à l’est, dans la grande plaine ukraino-russe, le rite byzantin fut suivi par les princes de Kiev et par certains chefs locaux instruits par deux moines d’origine grecque, saint Cyrille et son frère Méthode, le premier est même considéré comme le créateur d’une écriture, dérivée du grec, utilisée désormais par les peuples slaves. La chrétienté, quel que soit le rite suivi, assurait alors une certaine unité en Europe.
9Un véhicule linguistique, le latin, commun à tous les clercs de la majeure partie de l’Europe, put même donner l’impression que l’une des deux ou trois principales catégories sociales (l’ordre de « ceux qui prient ») ne connaissait point d’autres frontières que celles qui étaient définies par l’appartenance à une même foi. Or celle-ci, ne l’oublions pas, organisait, réglementait la vie quotidienne des hommes de ce temps, ce qui put constituer un facteur complémentaire d’unité. De plus, l’Église détenait un pouvoir « politique » indéniable, symbolisé par le pontificat de Rome ou le patriarcat de Byzance. A nouveau, deux Europe. Cependant, de la naissance à la mort, les habitants de l’Europe obéissaient aux mêmes préceptes, aux mêmes idéaux, même si, ici et là, des traditions locales dérivaient de pratiques culturelles plus anciennes. La peur du diable et de l’enfer, souvent décoration majeure des lieux de culte, le culte des saints, également présent dans les églises, romanes ou non, étaient par exemple vécus intensément d’un bout à l’autre de l’Europe. On pourrait comparer ces données, langue savante et foi communes devenues facteurs d’unité, à des données similaires en Chine où la langue écrite, d’une part, le culte des ancêtres, d’autre part, ont abouti à une conscience commune dans une région aussi vaste que l’Europe.
10Cette communauté religieuse de l’Europe explique la capacité de certains, clercs ou non, de traverser à pied des milliers de kilomètres pour aller « en pèlerinage », créant des routes à l’échelle européenne, qui ne le cédaient en rien aux grandes routes commerciales allant du nord au sud de l’Europe. Les grandes croisades vers l’est de la Méditerranée procèdent, en fait, de cette pratique de déplacements considérables. Ne furent-elles pas la première forme d’une extension « européenne » hors de ce continent ? Elles prouvent, en tout cas, la possibilité de se retrouver et de s’entraider pour des paysans et des nobles venus de diverses régions d’Europe. Premières formes de constructions européennes ?
11Ne succombons point au péché d’anachronisme. Si l’« idée d’Europe » pouvait peut-être exister chez certains clercs, voire chez certains hauts responsables politiques qui, tels Charlemagne ou plus tard Otton le Grand (912-973) et les zélateurs du Saint Empire germanique, assimilaient Europe et empire de type romain, elle tenait plus du mythe ou d’un idéal que de la réalité. La vie ordinaire menée à petite échelle (la région, parfois le canton), la lenteur et la précarité des transports, la prédominance de multiples patois incitaient peu à dépasser un horizon limité. Le monde européen demeurait cloisonné. Le grand mouvement de la féodalité allait lui-même vers un renforcement des structures régionales, en se fondant sur une échelle à petite dimension. De même, lorsque le mouvement communal se développa ici ou là, par définition il intéressa des communautés limitées en nombre et réparties dans un espace restreint. Sans doute, la papauté entendit imposer un pouvoir spirituel à une échelle beaucoup plus vaste, mais ne s’agissait-il pas d’affirmations de principes, sans véritables conséquences pratiques ? Surtout lorsque des princes, puissants à l’aune des XIIe et XIIIe siècles commencèrent à bâtir de véritables royaumes. Dès le partage du traité de Verdun (843), qui consacra l’existence de trois royaumes distincts issus de l’Empire carolingien, l’organisation d’États à l’échelle régionale prévalut. Certes, les frontières de ces royaumes (mais peut-on utiliser ce mot dans son usage contemporain pour qualifier les limites de la suzeraineté de tel ou tel monarque ?) varièrent sans cesse, mais en profondeur un mouvement fut lancé dans toute l’Europe : la fragmentation politique. De durables fractures lézardèrent l’Europe.
Un continent morcelé
La constitution des États
12Ces fractures prenaient en effet appui sur un mouvement de longue durée, de grande profondeur, celui de la constitution d’États individualisés. Sans entrer dans le détail des faits, on se bornera à rappeler que, dès les XIIe et XIIIe siècles, naissaient et se développaient de grands royaumes, tels le royaume de France des Capétiens ou le royaume anglo-normand, tandis que des entités moins vastes, mais solides, car elles réunissaient des populations ayant même langue, même foi, mêmes mœurs, commençaient à dessiner la future carte de l’Europe : à l’est, les royaumes de Pologne, de Bohême, de Hongrie ; à l’ouest, ceux d’Aragon, de Castille, du Portugal. Bien sûr, des courants culturels, des créations artistiques, communs à toute l’Europe chrétienne, contribuaient à une certaine unification du continent. Ainsi le rayonnement de la langue littéraire de la France septentrionale, la langue d’oïl, dépassait les limites du royaume capétien. L’Université de Paris attirait des maîtres et des étudiants venus de toute l’Europe puisque le « vagabondage intellectuel » (J. Le Goff) était la règle (mais les étudiants se groupaient en « nations » distinctes). Dans presque tout le domaine chrétien-romain, les cathédrales étaient construites selon les exemples du style « gothique », inspirés par les réussites de la France du Nord (Saint-Denis, Paris, Laon, Soissons). Mais, de manière plus fondamentale, l’interminable lutte entre papes romains et empereurs germains, l’éclatement de l’Italie en cités actives et hostiles, le schisme entre papes de Rome et d’Avignon, et, plus encore, l’effondrement de l’Empire byzantin, accompagné d’une conquête ottomane sur la presque totalité du Sud-Est européen, condamnaient l’Europe à la fragmentation et à la disparition des derniers vestiges d’une possible unité politique à travers un empire. Même les universités se « nationalisèrent » à l’exemple de celle de Prague au début du XVe siècle. « Le monde intellectuel se glisse dans les moules politiques »1.
13Il y eut pis. Le désordre de luttes internes féroces, au nom de la recherche de frontières d’autant plus difficiles à fixer qu’elles étaient le fruit de l’imagination ou de l’idéalisation, ensanglanta les territoires européens. Les « guerres civiles » européennes, de longue durée, à l’exemple de la guerre de Cent Ans, marquèrent non seulement les corps, mais également les esprits puisque la légitimation de ces conflits menait vers le concept nouveau de la « Nation », rassemblée par son roi, seul critère dominant pour les princes et leurs sujets. Ces guerres internes prirent une violence et un éclat particuliers, lorsque le fait religieux vint s’ajouter pour justifier la séparation d’avec les voisins : la Réforme, en constituant des régions puis des États obéissant à de nouvelles règles religieuses, acheva de briser l’unité européenne. Ce n’est pas un hasard si, au XVIe siècle, se constitue l’État royal moderne ayant sa religion, sa langue (en 1532 l’ordonnance de Villers-Cotterêts oblige à employer le français à la place du latin dans les actes officiels du royaume de France), son armée royale et son administration centralisée. Désormais, l’Europe obéit à la loi des États-nations, même si l’adhésion des sujets d’un roi à cet État ne relève pas nécessairement d’une volonté clairement exprimée.
14Comme Lucien Febvre l’avait indiqué et comme le géographe Michel Foucher vient de l’illustrer remarquablement2, la constitution de tels États entraîna partout, à des moments différents, la création de lignes précises délimitant la superficie de l’État : les frontières, au sens actuel du terme.
« Les frontières sont d’abord l’enveloppe continue d’un ensemble spatial, d’un État, qui a atteint suffisamment de cohésion politique interne et d’homogénéité économique pour que les clivages principaux ne traversent plus l’intérieur du territoire et la collectivité humaine, mais aient été reportés, par changement d’échelle, en position limite >>3
Octrois et péages, contrôles et sûretés existaient depuis longtemps, mais, à l’époque moderne, l’Europe se couvrit de barrières douanières, apprit à vivre avec des passeports et surtout fut divisée matériellement par la construction d’édifices militaires (forteresses et places fortes). Lorsque la cartographie eut fait assez de progrès pour que le tracé des frontières fût reporté avec exactitude sur les cartes, les souverains ordonnèrent d’en dresser, tel Henri IV pour son royaume, en 1607 : cartes conservées dans le secret, parce qu’elles étaient désormais « preuves » de souveraineté. Un ensemble plus ou moins cohérent de limitations spatiales couvrit peu à peu toute l’Europe, cloisonnant ce continent en de multiples ensembles différents, souvent hostiles, en tout cas étrangers les uns aux autres. L’Étranger, ce n’était plus l’Autre, parlant un autre dialecte, obéissant à un autre prince, suivant d’autres lois ou coutumes ; c’était celui dont on était séparé par la frontière. L’Europe se détruisait d’elle-même. Plus le système des frontières se perfectionnait, conforté par le sentiment d’appartenance à un ensemble social unique, la patrie (en France, avant le XVIe siècle, le mot n’existe pas dans son sens actuel), plus le concept de l’Europe unie devenait lointain et donc mythique.
Le triomphe de la patrie
15Paradoxalement, la Révolution française et sa suite, l’Empire napoléonien, apportèrent la touche ultime pour que disparaisse toute virtualité politique d’Europe unie. Le paradoxe tient à ce que les révolutionnaires français, inspirés des idées des philosophes du XVIIIe siècle, eux-mêmes baignés dans le grand courant du cosmopolitisme européen, voulaient à l’origine œuvrer pour l’humanité tout entière et qu’ils en vinrent très vite, dès 1792, à révérer d’abord la patrie et la nation françaises. En 1789-1790, la Déclaration des droits de l’homme et l’abolition de l’absolutisme monarchique, la constitution volontaire d’une nation, étaient des faits qui pouvaient satisfaire bon nombre d’Européens, bien au-delà des frontières du royaume de France, l’adhésion d’une majorité d’Européens à ces principes neufs ne faisait pas de doute. L’Europe des Lumières prenait forme ; l’image de la Révolution française était presque partout positive. Pourtant, très vite, dès que les combats politiques internes s’accentuèrent en France, cette image se ternit en Europe ; au sein des royaumes voisins elle se politisa, suscitant l’adhésion délibérée de certains, l’hostilité déclarée d’autres ; du même coup, on assista à un retour aux jugements « traditionnels » sur l’esprit français, sur le rôle de la France dans le système européen, clichés qui existaient avant la Révolution ; les stéréotypes habituels reprirent souvent le dessus dans la presse espagnole ou britannique ; des Allemands pensèrent que leur tour allait venir de compléter l’élan initial donné par les Français4. Le point de vue « national », c’est-à-dire parcellisé, en Europe revint à l’honneur. Les guerres menées par la France révolutionnaire allaient accentuer ce phénomène : dans le reste de l’Europe, la défense de la patrie, vaste à l’échelle d’un ensemble national, ou petite à l’échelle de la région, face aux troupes de la Grande Nation, plus conquérantes que libératrices, façonna une cohésion populaire bien vite utilisée par les pouvoirs en place. Les nations se construisaient les unes contre les autres en Europe.
16Les chevauchées napoléoniennes apportèrent la touche finale à ce processus ; la Grande-Bretagne, la Prusse, l’Autriche, l’Espagne, la Russie, en des formes et à des moments différents, développèrent un culte de la nation, parfois proche du chauvinisme dans ses images (telle la naissance du héros britannique John Bull), souvent fondateur d’une âme nationale désormais supérieure à tout autre valeur ; ainsi la campagne de Russie de 1812, magnifiée dans Guerre et Paix de Tolstoï, est toujours considérée aujourd’hui par les historiens soviétiques comme la première grande « guerre nationale » de ce pays. N’est-il pas symbolique que la Grande Armée qui envahit la Russie fût appelée l’« armée des vingt nations », et que la grande bataille de Leipzig (octobre 1813), qui sonna vraiment le glas du grand Empire napoléonien, devînt la « bataille des Nations » ? Désormais, et pour longtemps, l’État-nation règne en maître sur l’Europe.
17On pourrait presque en tirer une loi valable pour la très longue durée : plus l’État-nation se consolide, plus l’Europe se désagrège et moins des constructions européennes peuvent naître. L’Europe est-elle condamnée aux divisions, aux conflits ? Son histoire au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle oblige à répondre affirmativement. Dès lors, une conclusion s’impose : en ce qui concerne la politique, l’Europe aux yeux des historiens n’a jamais vraiment existé.
Les convergences européennes
Des principes communs
18Récrivant l’histoire en forme de légende, quelques années seulement après les événements, Napoléon Ier lui-même transformait le sens de son action et se posait comme l’un des champions de l’unité européenne :
« Une de mes plus grandes pensées avait été l’agglomération, la concentration des mêmes peuples géographiques qu’ont dissous, morcelés les révolutions et la politique. L’on compte en Europe plus de 30 millions de Français, 15 millions d’Espagnols, 15 millions d’Italiens, 30 millions d’Allemands ; j’aurais voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation »5.
A sa manière, l’Empereur contribuait à fonder un mythe durable, qui allait parcourir le temps de l’histoire contemporaine pendant que les États se déchiraient le continent européen. Puisque les conflits internes de l’Europe sont des guerres civiles, pourquoi ne pas dépasser les antagonismes nationaux en fédérant les États européens afin d’assurer la paix ? Pourquoi ne pas créer les États-Unis d’Europe, à l’exemple de la grande démocratie américaine ? Vue d’intellectuels rêveurs, sans contact avec le réel ? Que doit-on penser lorsqu’on relit Victor Hugo, le mage-poète prédisant l’avenir à propos de la prochaine Exposition universelle prévue à Paris en 1878 ?
« L’Exposition universelle de 1878, ce sera la guerre mise en déroute par la paix. La paix, c’est le verbe de l’avenir, c’est l’annonce des États-Unis d’Europe, c’est le nom de baptême du XXe siècle [...]. Disons-le, ce qu’il faut à la France, à l’Europe, au monde civilisé, ce qui est, dès à présent, réalisable, ce que nous voulons, le voici : les religions sans l’intolérance, c’est-à-dire la raison remplaçant le dogmatisme, la pénalité sans la mort [...], le travail sans l’exploitation [...], la circulation sans la frontière, c’est-à-dire la liberté remplaçant la ligature ; les nationalités sans l’antagonisme, c’est-à-dire l’arbitrage remplaçant la guerre ; en un mot, tous les désarmements, excepté le désarmement de la conscience » (Discours aux ouvriers lyonnais, 25 mars 1877)
Sans doute, le patriarche se trompait-il sur le court terme, mais ses idéaux gardent une modernité indéniable.
19Les idéaux hugoliens d’hier comme ceux de la fin du XXe siècle procèdent, en effet, d’un même tronc commun, celui de la culture européenne contemporaine, qui transcende les frontières, qui se fonde sur quelques principes et sur un système social commun. Si, comme on l’a vu, les historiens sont conduits à penser que l’Europe politique n’a jamais vraiment existé jusqu’à ce jour, ils sont également portés à souligner les convergences culturelles intereuropéennes à travers le temps. L’Europe des historiens, c’est l’Europe de la culture.
20Mais qu’entend-on par culture et comment les historiens peuvent-ils l’étudier ? Depuis que Lucien Febvre et l’école des Annales ont mis en cause l’histoire intellectuelle (ou des idées) traditionnelle, qui isolait les idées ou les systèmes de pensée des conditions sociales et matérielles dans lesquelles elles venaient au jour, le débat sur le concept d’histoire culturelle n’a pas cessé. Il a porté en particulier sur l’interférence ou l’interdépendance entre les mentalités collectives d’une période donnée et les productions intellectuelles de cette même période. Mais comment discerner, évaluer un esprit du temps (Zeitgeist) qui serait distinct des productions intellectuelles de ce temps, étudiées par la Kulturgeschichte ? Sans entrer dans ce débat toujours renouvelé, il convient de remarquer que celui-ci a été amplifié lorsque des savants d’origine allemande, contraints de se réfugier en Angleterre à cause du nazisme, ont dû traduire des concepts germaniques en langue anglaise, obligés alors de mesurer avec précision le sens des mots dans un univers intellectuel pourtant commun, celui des Européens. On en retiendra deux orientations : l’une proposée par A. Dupront lorsqu’il évoquait la nécessité d’une étude du « mental collectif » des hommes d’une période et d’un lieu donnés, l’autre, plus récente, de Roger Chartier lorsqu’il proposait de construire une
« articulation neuve entre cultural structure et social structure sans y projeter ni l’image du miroir qui fait de l’une le reflet de l’autre, ni celle de l’engrenage, qui constitue chaque instance comme un rouage d’un système, répercutant tout le mouvement primordial affectant le premier maillon de la chaîne »6.
21On peut constater que l’ensemble européen, toutes nations confondues, subit l’influence d’idées communes, vivantes dans la longue durée, puisque procédant des considérations philosophiques du XVIIIe siècle, mais modifiées par l’évolution postérieure du XIXe siècle, lorsque la révolution industrielle donna une incontestable réalité au fait urbain et à la société de classes, puis au XXe siècle lorsque la société de consommation, réalisée ou souhaitée, transforma à nouveau les conditions matérielles et sociales des Européens. Les grands principes de 1789 sont un bien commun des Européens : liberté et égalité des hommes, donc démocratie et défense des droits de l’homme, fraternité entre les peuples. Certes, ces principes furent (et sont encore) souvent oubliés, voire niés. L’égalité entre les Européens eux-mêmes n’était-elle pas rejetée par le racisme hitlérien ? Leur liberté n’était-elle pas constamment bafouée par les régimes totalitaires, quels que soient le sens politique ou la légitimation proclamée de ces totalitarismes (défense de l’ordre, du prolétariat) ? Pourtant, le nazisme, les fascismes, le stalinisme paraissaient, dès leur temps, comme des anomalies, des négations des principes fondamentaux chers aux Européens. L’actualité de ces principes a été encore démontrée par l’évolution récente de certains États européens qui redeviennent des démocraties ; soit, à l’ouest, lorsque les dernières dictatures s’affaissent (cas portugais et grec en 1974, espagnol après la mort de Franco en 1975) ; soit, à l’est, dans les États communistes, lorsque la demande d’une réelle démocratie par le corps social aboutit à des élections véritables (Pologne de 1989) ou au moins à un retour vers un certain pluralisme politique (Hongrie)7. Lors des accords d’Helsinki (août 1975), qui consacrent les frontières politiques issues du second conflit mondial et de ses suites directes, il a fallu s’entendre sur une réaffirmation de la défense des droits de l’homme dans toute l’Europe.
22D’ailleurs, certains de ceux qui mettent à l’écart les principes de liberté personnelle, de droit à la liberté d’expression, de religion, se sentent tenus d’expliquer, de justifier pareils manquements par la nécessité « temporaire » de plus d’égalité, de plus de justice sociale dans des pays où grands propriétaires ou grands bourgeois dominaient outrageusement. A l’origine, la « démocratie populaire » se prétend démocratique et fille des mouvements révolutionnaires de 1848, ce « printemps des peuples », autant qu’inspirée par l’exemple bolchevique. Les bolcheviks eux-mêmes n’ont-ils pas, à leurs débuts, c’est-à-dire pendant les années vingt, fait constamment référence aux principes et aux actes des révolutionnaires de 1789-1794 ? Les bolcheviks jacobins se sentaient menacés par un nouveau Thermidor et le spectre du bonapartisme hantait les nouveaux dirigeants de l’Union soviétique (et leurs opposants émigrés). Il y a plus : Tamara Kondratiéva, dans un livre récent8, montre que Mikhaïl Gorbatchev puise aujourd’hui ses références idéologiques aussi bien dans la Révolution française que dans la Commune ou dans la révolution de 1917, un groupe de chanteurs rock soviétiques s’en prend maintenant tout autant à 1789 qu’à 1917 ! Le retentissement en Europe de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française n’est donc pas pure affaire de publicité ; c’est un peu un patrimoine commun qui est célébré, même si les interprétations données diffèrent selon les situations politiques actuelles.
Vers une société européenne
23Patrimoine commun, société commune. A considérer l’évolution des sociétés nationales en Europe depuis le milieu du XIXe siècle, il est bien évident que le rythme de l’industrialisation, sa durée et son intensité ont sensiblement varié d’un État à l’autre ; le passage d’une société à dominante rurale vers une société essentiellement urbaine a suivi des délais variés selon les pays et il s’est accompli à des périodes distinctes. Toutefois, un même processus a eu lieu partout en Europe. Les effets sociaux de ces transformations économiques ont entraîné des similitudes dans la vie des Européens à l’époque contemporaine. Un historien berlinois, Hartmut Kaelble, vient d’en dresser le constat dans un livre très suggestif9. L’analyse comparée de dix-sept États d’Europe (les douze de la CEE, l’Autriche, la Finlande, la Norvège, la Suède et la Suisse) et des États développés situés hors d’Europe (États-Unis, Canada, Japon, Australie, Union soviétique) conduit cet auteur à trois conclusions essentielles. Premièrement, les sociétés européennes du XXe siècle présentent de nombreux traits communs qui les distinguent clairement des sociétés américaine, japonaise et soviétique. Deuxièmement, les sociétés européennes sont devenues nettement plus semblables au cours du XXe siècle. Enfin, l’état d’esprit des Européens s’est profondément transformé. H. Kaelble a scruté huit domaines importants et relativement bien connus de l’histoire sociale des Européens entre 1880 et nos jours : la famille, la population active, les grandes entreprises, la mobilité sociale et l’éducation, les inégalités sociales, la ville, l’État-providence et les conflits du travail. Selon ces critères,
« les sociétés européennes ont tout bonnement suivi une voie spécifique, ni plus traditionaliste, ni plus progressiste, simplement différente »
par rapport aux autres sociétés des pays développés. Par exemple, l’âge moyen élevé du mariage, les caractères des entreprises, le rôle des assurances sociales, le maintien des villes moyennes, la politisation des conflits du travail, la faible mobilité sociale sont des traits spécifiques communs à la plupart de ces pays. Bien entendu, des contre-courants demeurent, qui contribuent à différencier les États d’Europe occidentale entre eux ou à les rapprocher de certains cas extra-européens ; en outre, l’analyse réalisée, de l’aveu même de l’auteur, a embrassé seulement une partie de l’histoire sociale des Européens. Il importe de prolonger l’enquête, de la systématiser. Mais la perspective globale paraît solide : un processus d’intégration sociale est en cours dans la vaste zone de l’Europe.
24Deux questions fondamentales découlent du constat précédent. Peut-on expliquer les raisons de cette évolution spécifique ? Ce qui est valable pour ces États d’Europe occidentale s’applique-t-il à d’autres États d’Europe, notamment en Europe orientale ?
25H. Kaelble répond avec prudence à la première question : l’ancienneté des sociétés européennes et la lenteur relative du processus d’industrialisation ont pu jouer dans le sens indiqué. Mais on en reste aujourd’hui au stade des hypothèses de travail. Parmi celles que l’on peut formuler, il en est une qui a trait aux migrations de populations intereuropéennes, consécutives au développement de l’industrialisation en Europe. Dans l’Europe d’avant 1914, il n’était pas besoin de passeports pour circuler, sauf dans l’Empire russe ; en outre, deux vastes États alliés se partageaient en gros toute l’Europe centrale, l’Empire allemand et l’Empire d’Autriche-Hongrie. Les déplacements de travailleurs vers les mines, les usines, les grandes exploitations agricoles s’en trouvaient facilités. N’ont-ils pas contribué à diminuer les différences sociales, propres à des ethnies différentes ? Après la Première Guerre mondiale, les frontières devinrent plus hermétiques, plus longues (près de 3 000 km en plus entre 1915 et 1920), mais les migrations du travail demeurèrent importantes en Europe, souvent amplifiées par les déplacements de populations dus aux décisions politiques (transferts de populations, émigrés politiques). L’histoire de l’Europe de la première moitié du XXe siècle n’est pas faite seulement de conflits militaires sanglants ; elle est marquée par de multiples brassages de populations. Le cas français en fournit un bel exemple : en 1918, la France compte 1,3 million de tués à la guerre, en 1926, elle connaît un excédent de population étrangère de 1,35 million de personnes par rapport à 1911. En 1914-1918, 415 000 travailleurs de l’industrie avaient été tués ; en quatre ans seulement, de 1921 à 1924 (inclus), 489 000 étrangers étaient venus travailler dans ce même secteur économique10. Il faudrait multiplier les études sur les populations migrantes, comme celle de J. Ponty11, pour mieux cerner les effets d’assimilation entre peuples européens dus aux migrations du travail. On y remarque l’exemple des mineurs polonais qui, venus travailler dans la Ruhr avant 1914 et obligés de s’installer dans le Pas-de-Calais après 1919, ont acquis une mentalité différente des autres mineurs d’origine polonaise, au point d’y gagner le curieux surnom de « Westphaliens ».
26Cependant, d’autres études récentes sur les migrations internationales ont conduit P. Milza à des conclusions qu’il convient ici de rapporter pour compléter le dossier. Travaillant lui-même sur les migrations italiennes au XXe siècle et préfaçant un numéro de la revue Relations internationales (n° 54, 1988) sur « Migrations et relations internationales », cet historien écrit :
« Le fait migratoire, qu’il s’agisse de l’émigration "économique" ou de l’émigration "politique", se limite rarement à une configuration binaire. Les grandes diasporas du XIXe siècle [...] ont en général affecté des continents entiers [...]. Il en est résulté des brassages et des métissages de tous ordres qui ont favorisé et qui tendent à favoriser de manière croissante dans le monde d’aujourd’hui la circulation des idées, des croyances, des modes et qui ont prolongé dans le temps et dans l’espace des solidarités forgées dans tel ou tel pays d’accueil entre migrants et autochtones, d’une part, entre représentants des diverses nationalités migrantes, d’autre part. »
De ces mixages naissent souvent des courants de pensée transnationaux, des courants artistiques qui « ont concouru à l’homogénéisation – toute relative certes, mais non inexistante – des élites européennes ». Si l’espace géographique européen a été façonné aux XIXe-XXe siècles par les États-nations, il n’en reste pas moins que les Européens ont vécu aussi des rapprochements dus aux transferts de populations intereuropéens.
27Le tourisme de masse, surtout postérieur à la Seconde Guerre mondiale, a sans aucun doute apporté sa contribution à l’intégration sociale des Européens. Phénomène bien analysé par les géographes, il a jusqu’à maintenant été laissé de côté par les historiens.
28On procédera donc ici par pur raisonnement. Comment les millions de transferts temporaires qui, surtout en été, précipitent les Européens du Nord (au nord d’une ligne allant grosso modo de la vallée de la Seine au Jura et à la frontière sud de l’Allemagne) vers les rivages de la Méditerranée n’auraient-ils pas entraîné d’effets sociaux et politiques ? Le passage « en douceur » de la dictature franquiste à la démocratie en Espagne n’a-t-il pas en partie été précédé, préparé par la venue, massive, d’Éuropéens apportant, outre leurs devises, leurs habitudes de vie quotidienne, de pensée, et forçant les Espagnols, peut-être inconsciemment, à sortir d’un isolement, « repli superbe et douloureux » marqué d’un complexe d’infériorité vis-à-vis des autres Européens ?12 Bien d’autres facteurs, internes et externes, ont pesé pour entraîner l’évolution récente de l’Espagne, mais lorsque les entrées d’étrangers sur le territoire espagnol atteignent les 10, puis les 30 millions (1975), le phénomène suscite des retombées sociales, culturelles au moins aussi importantes que les rentrées de devises. Si l’on y ajoute les effets de même type dus à la diaspora espagnole dans l’Europe du Nord, que celle-ci soit d’origine politique ou économique, voici l’Espagne méditerranéenne entraînée vers l’Europe septentrionale.
Le rapprochement des deux Europe
29L’Europe orientale est-elle aussi entraînée vers l’Ouest ? L’analyse doit être menée ici à trois niveaux : politique, économique, culturel.
30Sur les plans politique et économique, les choses paraissent simples. Un « rideau de fer », installé entre 1946 et 1948, a hermétiquement coupé l’Europe en deux pendant une dizaine d’années (avec le cas particulier de la Yougoslavie, d’abord fermée de tous côtés, puis entrouverte vers l’ouest). Pendant la décennie suivante, l’insurrection hongroise de 1956, marquée par un flot de réfugiés vers l’Ouest, les liens retrouvés entre la Pologne et la diaspora polonaise, les effets du « dégel » Est-Ouest dans les années soixante ont créé les premières brèches dans le dispositif antérieur ; toutefois, l’érection du mur de Berlin en août 1961 a montré la détermination de la République démocratique allemande de mettre fin à la fuite permanente des Allemands de l’Est vers l’Ouest (2,7 millions de passages entre 1949 et 1961), quel que soit le choc moral ressenti à l’Ouest. Les années soixante-dix ont « codifié » les rapports politiques par la signature d’accords entre les deux Allemagnes, par une plus grande ouverture des démocraties populaires aux voyageurs touristes venus de l’Ouest, sans que pour autant les habitants de ces États puissent véritablement faire de même puisqu’ils manquent souvent d’une quantité de devises suffisante pour séjourner à l’Ouest (sauf s’ils y ont une famille). Mais, surtout, l’application brutale à la Tchécoslovaquie en 1968 du « principe » brejnévien de la « souveraineté limitée » pour les peuples d’Europe centrale avait consolidé, en apparence, la cassure entre les deux blocs politiquement opposés. Apparence trompeuse puisque les intellectuels et, derrière eux, les peuples en entier n’ont plus cessé de faire référence aux valeurs et aux idéaux de l’Europe occidentale. Non seulement, dans les années quatre-vingt, Hongrois, Polonais, Tchèques ont davantage rencontré leurs voisins, surtout en Autriche et en Yougoslavie, mais les appels à une culture commune se sont multipliés au nom d’un passé commun.
31Les réalités économiques et surtout financières ont contribué à la reconstitution d’une certaine Europe transcendant l’ex-rideau de fer, les emprunts faits à l’Ouest, qui ont été un moment réduits et stabilisés (1981- 1984), ont repris avec vigueur ; en ce domaine, comme dans les circuits commerciaux, la règle du chacun pour soi parmi les États membres du Comecon est redevenue prédominante, avec comme objectif avoué, sinon proclamé, d’être le mieux placé pour les relations avec l’Europe occidentale (la déclaration commune CEE-CAEM. du 25 juin 1988 permet toute négociation « bilatérale », entre la CEE, d’un côté, et chacun des États de l’Est, de l’autre).
32Jamais la solidarité paneuropéenne n’a été autant proclamée depuis les rivages de l’Est européen à des fins prosaïquement matérielles. Pourtant, comme l’historien B. Michel l’a bien souligné13, le fondement même d’un retour vers l’Europe occidentale provient d’une meilleure prise de conscience par les habitants de ces pays du lien déterminant qui existe entre l’« identité nationale » d’un Tchèque, d’un Slovaque, d’un Polonais, d’une part, et l’identité européenne telle que nous l’avons décrite :
« Depuis le début du Moyen Age, il n’est pas de grand courant de l’Europe occidentale, religieux ou culturel, qui n’ait été présent et vécu en Europe centrale : l’internationale baroque s’étend du monde ibérique à la Pologne [...] ; tous les grands courants intellectuels, de la scolastique médiévale au surréalisme, ont leur prolongement naturel en Europe centrale. Même si les littératures restent étroitement nationales, certains écrivains et artistes s’échappent de ce cadre pour devenir des symboles communs : le juif allemand de Prague Kafka, le poète polonais Mickiewicz, l’exilé polonais en Argentine Gombrowicz. De Mozart à Gustav Mahler, la vie musicale unit la vie germanique et le monde slave. »
Le grand écrivain tchèque Milan Kundera, réfugié en France, illustre admirablement cette double relation avec son pays et avec l’Europe ; combien de fois dans ses romans n’a-t-il pas marqué le lien qui unit Tchèques et Européens, à travers leur histoire, manquée ou réussie : l’« histoire de la Bohême et l’histoire de l’Europe sont deux esquisses qu’a tracées l’inexpérience de l’humanité » (L’Insoutenable Légèreté de l’être) ?
33Faut-il étendre cette communauté culturelle européenne à la Russie ? Les récents propos de Mikhaïl Gorbatchev sur la « maison commune européenne », sur les « liens millénaires entre l’Europe et Moscou » dus au développement de la foi orthodoxe en Russie, sur l’apport des divers peuples de la partie européenne de l’Union soviétique dans le grand concert culturel de l’Europe sont des indications politiques claires : l’URSS, héritière du passé culturel unique de l’Europe, ne peut ni ne veut contribuer à maintenir une division politique et militaire en Europe. Vivre dans une maison commune, c’est vivre en paix. Pour autant, aux yeux de l’historien, existe-t-il une réelle histoire culturelle commune à la Russie et à l’Europe ? La réponse est ambiguë du fait même du passé russe : depuis que l’Empire russe a voulu s’arrimer à l’Europe, surtout sous la férule de Pierre le Grand à la fin du XVIIe siècle, les populations russes, à commencer par leurs intellectuels, se sont durablement et profondément divisées quant à l’attitude à adopter face à cette ouverture vers l’Occident. Sans s’arrêter aux épisodes bien connus de l’européanisation forcée des boyards, marchands et moujiks par diverses mesures « pratiques », comme la coupe des barbes, force est de constater que l’intelligentsia russe se scinda constamment entre occidentalistes, ouverts aux influences venues de l’Ouest, et slavophiles, persuadés d’une spécificité russe et, en gros, contempteurs des idées et des mœurs importées d’Europe centrale ou occidentale ; parfois, une certaine convergence entre les deux camps se réalisa sur la conception d’un syncrétisme russe, usant des vertus propres aux deux influences pour aboutir à une spécificité certaine. Pendant une grande partie du XIXe siècle, en Russie, les cadres politiques, économiques et culturels considérèrent le reste de l’Europe comme un lien nécessaire d’action et d’expansion, comme une source inévitable de modernisation technique et financière, comme un terreau pour les idées nouvelles parmi lesquelles le génie national entendit puiser ce qui était nécessaire à la création de l’« homme nouveau », façon russe ou slave (Nicolas Berdiaïev, Les Sources et le sens du communisme russe). Le roman de Nicolas Tchemychevski, Que faire ? (1863), qui a marqué toute l’intelligentsia russe du XIXe siècle, Lénine compris, par sa conception de l’homme nouveau, paraît échapper à la sensibilité européenne tant il repose sur des concepts étrangers à celle-ci. En vérité, par son régime politique, par le rôle de son clergé, par la structure de ses propriétés agraires, y compris après que le servage eut été aboli (1861), l’Empire des tsars fut compris comme un monde distinct par les autres Européens ; Saint-Petersbourg, la ville « européenne » par excellence, détonne dans l’ensemble culturel russe classique. Ces distinctions ne signifient pas absence de culture, mais civilisation autre, à la manière dont les États-Unis sont différents de l’Europe bien qu’ils en procèdent directement pour l’essentiel.
34La révolution d’Octobre maintint cette séparation, sauf à ses débuts, lorsque les dirigeants bolcheviks, Lénine comme Trotski, considéraient la prise du pouvoir à Petrograd comme le premier élément d’une révolution mondiale, donc intégrée à un ensemble extérieur au propre cas russe. Très vite, il fallut se rendre à l’évidence : la Russie soviétique restait seule de son espèce. Staline en tirait une conclusion logique dans sa théorie du « socialisme dans un seul pays » au moment où, en réalité, une seconde secousse révolutionnaire (collectivisation agraire, planification centralisée), due aux conditions économiques et sociales de la Russie encore sous-développée, entraînait celle-ci vers un régime totalitaire aux antipodes des idéaux européens. Le stalinisme, dans son essence comme dans sa réalité quotidienne, est étranger à l’Europe, démocratique, libérale, attachée aux principes des droits de l’homme.
35Du même coup, un retour actuel des Soviétiques vers ces principes suppose une condamnation complète de ce passé, que certains partisans de la Perestroïka n’hésitent plus à prononcer. Revenir vers l’Europe, c’est renier le passé proche. Est-ce possible ? Cinéastes (Le Repentir de T. Abouladze), écrivains (Les Enfants de l’Arbat d’A. Rybakov), hommes politiques (B. Eltsine) remettent en cause tout le passé de l’Union soviétique, mais renoncer à croire à sa foi antérieure, à son parti est rude, comme le souligne la Pravda en mars 1989,
« Oui, ça fait mal, oui, ça fait peur [...]. Tout se paie dans la vie, et l’histoire, des décennies plus tard, nous présente la note – pas seulement à ceux qui ont torturé et châtié, qui ont dénoncé et se sont abaissés, mais à ceux qui ont tranquillement vécu. »
Le succès de la Perestroïka paraît donc lié, pour partie, à la redécouverte de valeurs indiscutables. Il est nécessaire de se « ressourcer » en Europe.
Vers une communauté européenne des historiens
36« Nous n’unissons pas des États. Nous unissons des hommes », disait Jean Monnet. Ce bel objectif, si difficile à réaliser puisque trente années après la signature des traités de Rome (25 mars 1957) l’Europe politique est encore à faire, peut-il être aidé par l’action scientifique des historiens travaillant sur le passé européen ? Ceux-ci ont-ils déjà œuvré pour une compréhension du passé commun telle que les divisions nationales contemporaines soient replacées en juste perspective, tant dans la durée que dans leur intensité ? Une recherche commune des historiens sur l’« identité » européenne permettrait-elle de faire prendre conscience aux Européens de leur destin commun afin de dépasser les clivages nationaux ? En bref, les historiens ont-ils déjà créé les conditions d’une Europe des historiens ?
L’histoire est surtout nationale
37La réponse est claire. Comme la majorité des « littéraires », la communauté des historiens continue de travailler fondamentalement à l’échelle nationale, dans la perspective de la compréhension du passé national. Lors d’une réflexion épistémologique sur les conditions de leur métier menée par des historiens venus de diverses parties du monde à l’initiative de l’UNESCO en mars 198614, une remarque quasi générale a été faite : dans chaque pays, la corporation des historiens travaille d’abord (et souvent exclusivement) sur l’histoire de son pays, à l’exception évidente des périodes de l’histoire où la notion d’État national est inexistante ou floue. Problème de sources, de langue sans doute, mais aussi tradition influencée par le contexte général de l’État-nation dans lequel les historiens sont habitués à vivre, comme tant d’autres. Dans les pays où la colonisation joua un rôle certain (Espagne, France, Grande-Bretagne), les historiens sont plus enclins à se tourner vers les zones qui furent colonisées que vers l’histoire de leurs voisins européens. Dans l’ensemble, les approches comparatistes sur l’histoire de l’Europe sont rares, sauf pour les historiens de l’art qui étudient des mouvements d’idées ou des modes artistiques à l’échelle régionale de l’Europe, d’ailleurs souvent dans une vision plus théorisante que socioculturelle.
Vers une histoire européenne ?
38Et pourtant, une communauté européenne des historiens existe déjà ! La multiplication des congrès, colloques, séminaires internationaux depuis les années soixante a permis de dégager peu à peu des points communs de recherches, des méthodologies parallèles, des interrogations similaires. Trois axes de recherches semblent avoir favorisé la naissance de cette communauté. L’histoire économique en se tournant vers l’analyse des mouvements de longue durée (le trend séculaire) et de grande ampleur (croissances, crises) a contraint les historiens économistes à des comparaisons transnationales, souvent intereuropéennes, puisque l’Europe des XVIIIe-XXe siècles avait connu une évolution comparable (histoire de l’industrialisation en Europe, lors du colloque de Lyon en 1970, histoire des banques qui entraîne la création d’une revue spécialisée The Journal of European Economic History, publiée en Italie, histoire des techniques, etc.).
39L’histoire sociale, longtemps confinée à des analyses sectorielles ou de petite échelle (type départemental français), aborde aujourd’hui les comparaisons entre des mouvements sociaux en Europe surtout pour le XIXe siècle (enquêtes sur la petite entreprise, sur la bourgeoisie urbaine). Enfin, les historiens des relations internationales, habitués à des études de relations bilatérales, en viennent maintenant à des réflexions à l’échelle européenne. Celles-ci se placent dans la double perspective, d’une part, de la création des institutions européennes et, d’autre part, du destin commun des États européens face aux nouveaux mondes dominants (États-Unis, Union soviétique) ou perturbants (les pays issus de la décolonisation).
40Sur le premier point, l’ouverture actuelle des archives des années cinquante a permis à un important groupe d’historiens d’Europe occidentale, animé par le Groupe de liaison auprès des communautés européennes, d’organiser des colloques sur les premières étapes de la construction européenne pendant les années 1950-1957 (Strasbourg, 1983 ; Aix-la-Chapelle, 1985 ; Rome, 1987 ; Luxembourg, 1989). Sur le second thème, la perception de la puissance des grands États européens (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie) par les responsables politiques, économiques, militaires et par les opinions publiques, pendant la période 1938-1958, a entraîné une démarche coordonnée de près d’une centaine d’historiens européens réunis lors de trois colloques (Sèvres, 1982 ; Augsbourg, 1984 ; Florence, 1987). De même, les interférences entre les choix de politique extérieure et les options plus ou moins nettes des opinions publiques ont été récemment envisagées à l’échelle européenne pour la période 1871-1981, lors de colloques organisés à Rome (par l’École française de Rome et le Centre d’études de politique étrangère et d’opinion publique de Milan).
41Il apparaît, en effet, indispensable à la centaine d’historiens, maintes fois réunis lors de ces rencontres scientifiques, non seulement de confronter leurs analyses, sur un plan théorique ou méthodologique, mais de dégager peu à peu les traits fondamentaux de leur histoire commune. Plus les comparaisons se multiplient, plus une évidence apparaît aux historiens allemands, belges, britanniques, espagnols, français, italiens, suisses... : au-delà des divisions politiques nationales, si claires, si déterminantes au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, il s’est constitué un substrat économique, social et culturel commun à cette Europe. Tout le problème consiste à dégager les éléments « vécus » d’une identité européenne chez les divers peuples d’Europe et parmi les diverses catégories socioprofessionnelles afin de déterminer si l’action résolue de ceux qu’on a coutume d’appeler les « pères de l’Europe » se développait à partir de courants profonds communs.
42Il est encore trop tôt pour présenter des conclusions nettes à ce sujet. Toutefois, le sort relativement identique des Européens après 1945 permet de comprendre certaines analogies. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les Européens se sentaient au centre du monde, ils se croyaient toujours investis d’un rôle moteur pour l’humanité, que ce fût pour le progrès matériel ou pour la marche des idées ; leurs querelles étaient déterminantes pour le monde entier au point que le second conflit, dit « mondial », fut, à ses débuts, exclusivement européen : les fascismes européens engageaient la lutte contre les dernières démocraties européennes. L’année 1941 fut une année charnière : Union soviétique, Japon et États-Unis entraient en lice ; du même coup, la guerre devint vraiment mondiale. A l’issue des hostilités, l’Europe meurtrie, détruite et divisée, fut soumise aux volontés de deux superpuissances extra-européennes. Les anciennes puissances européennes étaient soit vaincues (Allemagne, Italie), soit économiquement dépendantes (Grande-Bretagne et France). La décolonisation des années cinquante diminua encore leur influence mondiale ; l’émergence des pays du Tiers-Monde acheva le recentrage de l’Europe au sein des autres continents. Certains philosophes ont évoqué l’idée d’un déclin de l’Europe depuis la guerre de 1914-1918 ; il semble plus logique d’avancer l’idée d’une nouvelle mise en perspective de ce continent face à la mondialisation des politiques, des affaires et des idées.
43Contraints à la paix par le jeu de la rivalité États-Unis/Union soviétique, dégagés de responsabilités outre-mer, les Européens sont conduits à penser à une destinée commune. Plus le spectre de la guerre civile européenne s’éloigne, plus les solidarités culturelles entre Européens semblent revenir au premier plan. On a souvent remarqué que les moments où des hommes pensaient le plus à construire politiquement l’Europe se situaient lors des guerres et pendant des persécutions. En 1876, après des massacres en Serbie, Victor Hugo écrivait :
« Ce que les atrocités de Serbie mettent hors de doute, c’est qu’il faut à l’Europe une nationalité européenne, un gouvernement, un immense arbitrage fraternel en un mot les États-Unis d’Europe [...]. Ceci n’était hier que la vérité ; grâce aux bourreaux de la Serbie, c’est aujourd’hui l’évidence. L’avenir est un dieu traîné par des tigres » (29 août 1875).
En 1941, Léon Blum dans A l’échelle humaine, traitant de l’avenir de la France, imaginait pour elle son insertion dans un ordre européen fondé sur la démocratie et la paix et invoquait Renan et Nietzsche parmi les sources de son inspiration. Nietzsche, en effet, pour qui « les guerres sont les plus forts stimulants de l’imagination » (1881), écrivit en juin 1885 dans Réflexions sur nos chers Européens d’aujourd’hui et de demain dans lesquelles il aboutissait à l’idée suivante :
« Ce qui m’importe, car c’est ce que je vois se préparer lentement et comme avec hésitation, c’est l’Europe unie. Parmi tous les esprits vastes et profonds du siècle, la tâche où ils ont mis toute leur âme a été de préparer cette synthèse nouvelle et d’anticiper à titre d’essai "l’Européen" de l’avenir. Je pense à des hommes tels que Napoléon, Goethe, Beethoven, Stendhal, Heine, Schopenhauer... ».
44Cette réflexion n’a rien perdu de son actualité après plus de quarante années de paix en Europe, car, en 1990, c’est à partir de la paix qu’il convient de dépasser les clivages nationaux. Puisse-t-elle conduire les historiens européens à chercher ce qui, hier comme aujourd’hui, peut établir les fondements d’une identité culturelle sur laquelle un jour, peut-être, une Europe politique consolidera l’Europe économique déjà largement construite.
Notes de bas de page
1 J. Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Age, Paris, Seuil, 1985.
2 Michel Foucher, Fronts et frontières, un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1988.
3 M. Foucher, op. cit.
4 Voir les Actes du congrès du bicentenaire de la Révolution française, Paris, juillet 1989.
5 Mémorial de Sainte-Hélène, cité par J.-P. Bertaud, La France de Napoléon, Paris, Scandéditions-Éditions sociales, 1987, p. 235.
6 Roger Chartier, Histoire intellectuelle et histoire des mentalités, trajectoires et questions, Paris, 1983.
7 Rappelons que le présent article est écrit par René Girault en 1990.
8 Tamara Kondratiéva, Bolcheviks et Jacobins, Paris, Payot, 1989.
9 Hartmut Kaelble, Vers une société européenne 1880-1990, Paris, Belin, 1988.
10 Chiffres tirés de R. Schor, L’Opinion française et les étrangers 1919-1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985.
11 Janine Ponty sur les Polonais méconnus, histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres (1988).
12 G. Hermet, L’Espagne au XXe siècle, PUF, 1992 (nouvelle éd.).
13 B. Michel, La Mémoire de Prague, Paris, Perrin, 1986.
14 Publiée sous le titre Être historien aujourd’hui, R. Rémond (dir.), Paris, Erès, UNESCO, 1988.
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