Critères d’identification et organisation spatiale des vestiges métallurgiques en pays toussian
p. 201-217
Résumés
La paléométallurgie du fer est le secteur archéologique le mieux étudié par les archéologues au Burkina Faso. Mais la couverture nationale concernant la connaissance de cette activité connaît quelques insuffisances. Certaines zones et périodes sont mieux étudiées que d’autres et les différentes études sont restées attachées à la reconstitution des chaînes opératoires et l’analyse des formes des structures de réduction. L’espace numu est l’une des provinces métallurgiques les moins étudiées mais les récentes prospections montrent bien que la zone recèle de nombreux vestiges métallurgiques. Les traces matérielles de l’activité métallurgique des forgerons apparaissent sous la forme de restes de fourneaux, d’amas de scories, de loupes de fer, de restes de minerai et de combustible ainsi que quelques outils de travail. Une observation de ces éléments matériels nous a donné des indices et des clés qui permettent d’appréhender l’organisation de l’espace de travail du forgeron métallurgiste. Le but de ce travail est d’identifier les différentes composantes des ateliers métallurgiques et leur organisation. Il s’articule surtout autour de la reconnaissance des sites archéologiques relevant de la métallurgie ancienne du fer mais il aborde un champ peu investi par l’étude de cette activité au Burkina Faso, à savoir l’analyse spatiale. Cette analyse débouche sur une structuration de l’espace de réduction en quatre principales zones chez les Numu.
The ancient iron metallurgy is the more studied field by archaeologists in Burkina Faso. But knowledges concerning this practice records some shortcomings. Certain areas and certain periods are more studied than others, and different studies remained attached to the reconstitution of production process, and the description of reduction structures’morphology. The numu space is one of the least studied metallurgical provinces but recent surveys show that this area has many metallurgical remains. The material evidence of metallurgical activity of blacksmiths are mainly furnaces, blocs of slag, slag heaps, iron magnifiers, ore and coal remains and some tools. An observation of these material remains gave us clues and interpretative keys that allow to understand the blacksmith’s workspace organization. The aim of this work is to identify the different components of metallurgist’s workshops and organization. It is an investigation about the identification of archaeological sites relevant from the ancient iron metallurgy but it interests a not so well known aspect of this activity in Burkina Faso ; the spatial approach. This analysis presents a division of the reduction workshop into four zones in Numu’s province.
Entrées d’index
Mots-clés : Burkina Faso, métallurgie, atelier, ferrières, fourneaux, mine
Keywords : Burkina Faso, metallurgy, workshop, slag, furnaces, mine
Texte intégral
1La paléométallurgie du fer est le thème de recherche qui a été le plus étudié par les archéologues du Burkina Faso. Les recherches déjà effectuées se sont orientées vers l’analyse typologique des structures de réduction, la description des chaînes opératoires, le statut et les attributs du forgeron métallurgiste1, l’analyse métallographique du fer et de ses résidus. Les abondantes descriptions sur les différentes chaînes opératoires et les études morphologiques des fourneaux de réduction ont permis à Jean-Baptiste Kiethéga de définir quatre zones métallurgiques au Burkina Faso (Kiethéga, 2009). Il distingue :
l’espace numu à l’ouest couvrant les provinces de la Comoé, du Kénédougou, de la Léraba ainsi que la province du Houet ;
le domaine bwa qui couvre la province du Kossi et une partie du Mouhon avec des fourneaux de type bwi ;
l’aire des Boose, très vaste et couvrant le centre, le nord, l’est et le sud-est du pays avec deux types de fourneaux dont un ensemble de fourneaux de taille moyenne à soufflets et un autre regroupant des fourneaux massifs fonctionnant à induction directe ;
et, enfin, le périmètre des djugu confiné au sud-ouest dans les provinces du Sanguié, du Iuba, de la Bougouriba, du Poni, du Noumbiel de la Sissili et du Nahouri.
2L’espace Numu reste peu connu, et il n’existe aucun inventaire des sites. Par contre, on note une abondance de vestiges de la paléométallurgie du fer. En revanche, celle-ci contraste fortement avec la carence des données archéologiques sur l’activité métallurgique dans la zone. C’est pourquoi il nous est apparu important de regarder de près les vestiges afin de comprendre les implications sociales, économiques et techniques des opérations de réduction du minerai de fer dans le cadre de notre thèse sur les témoins matériels de l’activité humaine dans cet espace. Cet article nous permet de nous pencher sur un aspect très important, mais insuffisamment traité dans les différents travaux au Burkina Faso, à savoir l’organisation spatiale de l’aire de travail. Aussi cette approche axée sur l’identification et l’analyse de l’espace d’activité s’attèlera à identifier les vestiges qui caractérisent généralement les sites. Nous présenterons dans un premier temps les indices permettant d’identifier un atelier de réduction du minerai de fer puis dans un second temps, nous ferons une description de l’organisation spatiale des ateliers de réduction du minerai de fer à partir d’une analyse basée essentiellement sur l’observation directe.
Les témoins matériels de la paléométallurgie
3D’après les travaux existants, les plus anciennes traces de la métallurgie traditionnelle du fer remontent au Burkina Faso à 500 avant notre ère (Kiethéga, 2009). Les datations obtenues par Lassina Kote font repousser cette date au viie siècle avant notre ère (Kote, 2008, p. 21). Toutefois, il faut préciser que dans l’espace occupé par les Toussian, il n’y a pas encore eu de datation afin de déterminer les bornes chronologiques de l’activité dans la zone. La limite supérieure de l’activité se situe dans la seconde moitié du xxe siècle. Les preuves de la production artisanale du fer dans le pays toussian à cette époque sont nombreuses. Le capitaine Binger, qui a traversé le secteur lors de son périple vers Bobo et qui a laissé des illustrations et des dessins, mentionne cette production dans ses rapports (Binger, 1980). Aussi, les enquêtes orales nous ont permis d’obtenir des dates à Tapoko auprès de Django Konaté, doyen des forgerons de ce village et témoin actif de plusieurs opérations de réduction. Il est actuellement le seul forgeron de ce village ayant participé à des opérations de réduction de minerai de fer. Selon lui, la dernière opération de réduction qui a eu lieu dans la région s’est déroulée en début de l’hivernage 19722 (année des dernières initiations au do du village de Toussiamasso). Par ailleurs, l’état de conservation des vestiges, malgré la forte pression humaine sur l’environnement, soutient l’hypothèse d’un abandon relativement récent de l’activité. Même si cet arrêt récent de l’activité peut expliquer la présence de fourneaux encore entiers (villages de Tapoko et de Sian), dans la plupart des cas, il ne reste que des parois effondrées et des structures détruites aux deux tiers. Les sites se trouvent aussi en majorité très fortement perturbés. Cette forte perturbation se traduit aujourd’hui par une destruction parfois totale, un démantèlement des structures de réduction et de sites ce qui rend très difficile leur identification. Les causes de cette perturbation sont, d’une part, la forte pression humaine et, d’autre part, les réalités géoclimatiques. Située dans la partie la plus humide du Burkina et couvrant les départements de Toussiana, Kourignon et Djigouèra, la zone étudiée reçoit chaque année de très fortes quantités d’eau qui endommagent les structures en argile. Si ce ne sont pas les violentes pluies qui fragilisent les fourneaux, ce sont les eaux de ruissellement qui charrient toutes sortes de matériaux jusque dans les lits des différents cours d’eau. D’où la présence d’importantes quantités de scories qui tapissent les fonds des rivières et qui bouchent certains ravins.
4Tous ces facteurs ne favorisent ni la reconnaissance d’un site de réduction du minerai de fer ni la lecture d’une quelconque organisation des vestiges dans cet espace. Notre approche dans l’identification des sites se base sur l’observation directe. Nous nous sommes laissés guider par la présence de certains éléments matériels, isolés ou en combinaison avec d’autres. Par la suite, l’analyse des indices de la présence d’atelier nous a permis d’avoir une idée de l’agencement des éléments qui constituaient l’aire de travail du métallurgiste. Pendant les prospections, nous avons identifié divers éléments permettant d’identifier des sites de réduction : les fourneaux de réduction – ou ce qu’il en reste –, les déchets de la production du fer (scories), les restes de minerai et de charbon, les pierres de concassage de minerai, les tessons de céramiques. En plus de ces éléments, nous aborderons les mines d’extraction souvent distantes des sites de réduction de plusieurs kilomètres.
Les fourneaux de réduction
5L’espace numu défini par Jean-Baptiste Kiethéga (Kiethéga, 2009) se différencie des autres zones métallurgiques du Burkina par la morphologie des fourneaux utilisés et le mode opératoire. Dans l’espace occupé par les Toussian, les fourneaux numu identifiés présentent quatre morphologies différentes. Mais en général les structures semblent avoir été construites pour fonctionner selon un même principe.
6D’un point de vue morphologique, le fourneau possède une base massive possédant parfois des renforts (pieds) avec généralement trois ou quatre ouvertures secondaires et une ouverture principale nettement plus grande que les autres. La grande ouverture mesure entre 50 et 70 cm de large et 30 à 50 cm de haut. Elle est toujours orientée vers l’ouest. Elle recevait un grand nombre de tuyères et servait à l’évacuation des scories. C’est par cette ouverture que le fer obtenu sous forme de loupe était extrait du fourneau. Les ouvertures secondaires, dont le nombre varie entre trois et quatre, recevaient également des tuyères pendant la réduction du minerai de fer. Ces ouvertures mesurent entre 15 et 30 cm de large et leur hauteur varie en fonction du fourneau, par exemple 65 cm de haut pour celui de Tapogo (Fig. 1). C’est le plus haut de tous les fourneaux que nous avons observés dans la zone. Le tronc s’enfonce dans le sol à environ 20 cm et est surmonté par une colonne conique ou cylindrique qui se termine par une gueule ou « un gueulard » (Dunikowski et Cabboi, 1995, p. 175) par où se fait le chargement du minerai et du combustible. Certains fourneaux de l’espace numu – à Kankalaba par exemple – seraient munis d’escaliers permettant d’accéder à la gueule pour le chargement (Kiethéga, 2009, p. 283), mais nous n’en avons pas recensé de ce type dans l’espace toussian. En ce qui concerne cette zone, à partir des mesures effectuées sur les fourneaux, nous situons leur hauteur entre 1,5 et 3 m de haut avec des diamètres variables. Les pieds ou contreforts servaient probablement aussi bien de montoirs pour le chargement que de supports pour le fourneau. Vu l’état de conservation, il est difficile de déterminer les dimensions et les formes réelles de nombreux fourneaux. D’un point de vue technique ou structurel, le fourneau numu comporte trois parties principales : la cheminée, la cuve et le creuset. Cette description correspond à celle que proposait Jean-Baptiste Kiethéga (Kiethéga, 2009). Dans notre approche, la présence du fourneau restait le premier indice qui caractérise un site de réduction du minerai de fer. C’est la machine autour de laquelle s’organisait l’activité. Quelques fourneaux restent encore entiers3 mais pour la majorité, il ne reste que des parois à fleur de sol. Quelques fois, sous des tas de scories se retrouvent enfouis les restes de structures de réduction ayant échappé au démantèlement par les hommes ou l’érosion. Lors des prospections, il était fréquent de trouver une concentration de fourneaux (quatre à cinq, voire plus) à certains endroits, mais il y a également des fourneaux isolés au milieu des champs de scories.
7Ainsi, le fourneau de Tapogo (Fig. 1) est l’un des derniers à avoir fonctionné dans l’espace numu. Il a une architecture en argile avec des moellons de latérite ou/et des blocs de scories. Ce fourneau mesure 2,40 m de haut avec un diamètre de 20 cm au sommet et 1,10 m de diamètre à la base. L’intérieur du fourneau est occupé par les termites qui bouchent carrément l’ouverture principale.
Les scories
8Les scories sont les impuretés issues de la réduction du minerai de fer dans les fourneaux. Elles résultent de la solidification des impuretés en fusion retirées du fourneau pendant la réduction du minerai de fer. En fonction de sa constitution chimique, du type de minerai, du degré de cuisson, la scorie est noire, brune, dense poreuse, grossière, fragmentée, coulée, etc. Très souvent, nous avons rencontré des scories formant des amas aux diamètres variables et pouvant avoir des hauteurs impressionnantes. À Pognon et à Mou au nord du barrage de Toussiana, à Kurukan et à Guéna, les scories forment de véritables reliefs dans le paysage. Par endroits, elles se présentent aussi sous forme d’amas étendus. Les amas de scories peuvent atteindre ainsi trois à quatre mètres de haut. Les scories sont les éléments les plus visibles de l’activité. Contrairement aux autres vestiges, elles sont très présentes dans le paysage. Elles sont de ce fait l’indice qui attire en premier l’attention. Leur abondance à un endroit indique la présence ou la proximité d’un site de réduction. Cependant, cette abondance à elle seule ne suffit pas pour identifier un site de métallurgie traditionnelle du fer et pour en affirmer la présence. Seule une certaine organisation des scories indique l’existence d’un atelier de réduction du minerai de fer. En effet, une organisation des scories en plusieurs amas en forme de demi-lune est un indice qui permet de signaler la présence d’un site de réduction de minerai même en l’absence de reste de fourneau visible. Par ailleurs, les amas de scories connaissent une très forte perturbation. Cette forte perturbation est surtout imputable aux travaux agricoles. Les paysans se sont chargés à plusieurs endroits de ramasser les scories répandues dans les champs pour en faire des tas à des endroits incultivables (termitières, fours, au pied des arbres gênants) ou de démanteler et disperser tout simplement les amas.
9Mais la seule présence des scories ne suffit pas pour identifier un atelier de réduction. Les blocs de scories sont aussi utilisés dans l’architecture des greniers, des enclos. Autour des forges qui sont les ateliers de transformation du fer, il y a toujours des blocs de scories. Ces scories servent souvent à délimiter l’espace de travail du forgeron en formant un muret circulaire d’une rangée autour des hangars.
10L’existence de loupes de fer est aussi un critère indicatif de l’existence d’un atelier métallurgique. Cet indice n’est pas toujours couplé avec la présence de scories organisées en demi-lune.
Les restes de minerai et de charbon
11L’observation de débris de charbon de bois et de minerai sur la plupart des aires de réductions et des sites identifiés comme tels nous a amené à émettre l’hypothèse d’un traitement du minerai et du charbon de bois sur les sites de réduction. Cette hypothèse a été vérifiée lors des enquêtes orales auprès des forgerons qui font ressortir que le charbon était trié avant le chargement. Ce tri consistait à écarter les morceaux de charbon qui pouvaient obstruer la cheminée pendant le chargement. Ces morceaux grossiers étaient calibrés avant d’être mis dans le tas charbon destiné à la réduction. Pour ce qui était du minerai, il était apporté sur l’aire de réduction en morceaux assez grossiers. Un dégrossissement s’imposait alors pour obtenir le calibre recherché pour une bonne réduction. Ainsi, à l’aide de marteaux et de pierres, le minerai est concassé puis stocké dans des récipients à côté du fourneau. Les débris de charbon et de minerai observés sur les aires de réduction sont le résultat de manipulations entrant dans le cadre du processus opératoire. Des restes de minerais ont été collectés près d’un fourneau à Kurukan au nord-ouest du village de Nyanaba (Fig. 2)4.
Les pierres de concassage
12Au milieu des amas de scories, il y a, à plusieurs endroits, des pierres aux angles arrondis, parfois creuses au milieu, aplaties ou rondes. Ces pierres sont pour la plupart en granite ou en grès siliceux dur. Leur diamètre varie entre 5 et 15 cm. Les personnes interrogées les identifient comme des outils de travail. Il s’agirait donc de pierres de concassage utilisées pour le calibrage du minerai (Fig. 3).
Les mines d’extraction
13Parmi les vestiges de la paléométallurgie du fer, les mines d’extraction du minerai ont une très grande visibilité. Ces mines, qui se présentent sous différentes formes, sont très répandues dans la zone. On peut distinguer les carrières d’extraction de plein air et les carrières d’extraction souterraines par puits. Les carrières d’extraction de plein air se caractérisent par de grands cratères de faible profondeur dans le sol. Il en existe un peu partout autour de Toussiana5. La profondeur de ces cratères, généralement de forme circulaire, varie beaucoup, mais dépasse rarement 1,5 m. Leurs diamètres sont compris entre 15 et 20 m. Les mines d’exploitation par puits sont très nombreuses et peuvent compter plus d’une centaine de puits chacune. Nous les avons appelés « champs de puits » tant ils s’étendaient sur de longues distances. Les puits sont très rapprochés entre eux (un à deux mètres d’intervalle) et sont, la plupart du temps, reliés par des galeries. Nous avons pu distinguer des puits à section rectangulaire et munis d’encoches et des puits à section circulaire également munis d’escaliers ou encoches pour faciliter l’accès. En général, les puits à section circulaires sont creusés directement dans la cuirasse latéritique, alors que les puits à section rectangulaire sont creusés à des endroits où il y a une couche sédimentaire importante (entre 30 et 50 cm). Les puits à section circulaires mesurent en moyenne 60 cm de diamètre et débouchent sur des galeries communicantes. Ces galeries qui débouchent très souvent sur de véritables cavernes témoignent de l’envergure de l’exploitation du minerai de fer dans la zone. La profondeur moyenne des puits est actuellement de 2 m.
14Au milieu des puits que nous avons trouvés à Sipiki6, il y a une énorme caverne très vaste avec de multiples galeries. L’accès se fait par une fente provoquée par un effondrement d’une partie de la paroi. La hauteur des trous de galerie est souvent de 50 cm et ces galeries débouchent sur de véritables chambres ténébreuses très humides dont la hauteur maximale atteint deux mètres. La première chambre se situe à sept mètres de l’entrée et possède plusieurs trous. En suivant l’un des trous dans la direction ouest, nous avons trouvé une seconde chambre plus vaste que la première. Dans celle-ci se trouvent de gros blocs de granite. Les cavernes, conséquences de l’exploitation du minerai de fer, sont nombreuses. Celles de Tapogo, Guena, sont toujours accessibles. Mais à Pognon, Gbapégué, Logo7, les puits, encore identifiables, sont inaccessibles.
15À Sian, le puits d’extraction à section rectangulaire (Fig. 4) ne représente plus qu’une fente dans le sol. Il est très fragilisé par la végétation et presque bouché. Les dimensions de l’ouverture restant visibles s’établissent à 1,50 m sur 0, 40 m. À Gwénégué, le puits d’extraction de minerai de fer de section circulaire8 a été creusé dans la cuirasse latéritique et est muni d’encoches (Fig. 5). Le fond est couvert de feuilles mortes.
16La distance entre les mines d’extraction du minerai de fer et les ateliers de réduction est très variable. Mais en général, plusieurs kilomètres séparent ces sites. D’après les personnes interrogées, les mines pouvaient se situer à cinq kilomètres du lieu de réduction et très souvent au-delà.
L’organisation spatiale d’un site de réduction à un fourneau
17Le site de réduction est un atelier où travaille une équipe dirigée par un chef, généralement le doyen du groupe. Le nombre de structures de réduction variait surtout en fonction de la main-d’œuvre disponible. Une main-d’œuvre abondante se traduisait par une batterie de fourneaux disposés les uns à côté des autres le plus souvent sans alignement précis. L’atelier de réduction, que nous pouvons considérer comme l’unité de base de l’espace de travail sur un site métallurgique, peut être divisé en quatre espaces fonctionnels qui s’organisent autour du fourneau de réduction (Fig. 6).
18Les aires de réduction se situent généralement au bord de cours d’eau. Sur les sites de réduction encore en place, les vestiges s’organisent quasiment de la même manière. Lorsqu’il y a plusieurs fourneaux, ce qui est le cas le plus fréquent, les structures sont disposées pêle-mêle. Cependant, la distance séparant les différents fourneaux varie entre 1,50 m au minimum, comme à Yoroko-Fesso à l’ouest de Toussiana, et 7 m au maximum. Lorsqu’il y a plusieurs fourneaux fonctionnant simultanément sur une même aire, le dispositif est le même. Mais la décharge peut être commune lorsque les fourneaux sont très rapprochés (espacement compris entre 1,50 et 3 mètres).
L’espace de calibrage du minerai
19Le minerai de fer arrivait sur le lieu de réduction en gros blocs difformes de la taille d’un poing fermé (15 cm de côté) et souvent plus gros. Les artisans procédaient à un concassage du minerai grâce à des marteaux de pierre ou de fer pour obtenir des morceaux bien calibrés (Fig. 7). Les traces de cette opération, qui s’effectuait sur le site de réduction, sont surtout les outils de concassage et les débris de minerai.
L’aire de concassage du charbon
20Tout comme le minerai, le charbon qui était utilisé comme combustible avait besoin d’être calibré avant le chargement dans le fourneau. Un espace était spécialement réservé à cette opération. Les traces laissées sont essentiellement des débris de charbons. Aucun outil de concassage n’a pu être identifié dans ces espaces. Le concassage était accompagné d’une opération visant à préparer le minerai pour la réduction. Il s’agit du calibrage qui permettait d’obtenir des fragments de minerai de taille relativement homogène. Le mobilier lié à cette opération se compose de galets de grès qui ont été utilisés comme percuteurs. Des marteaux en fer ont également été utilisés. Dans les autres provinces métallurgiques, c’est le cas le plus fréquent (Coulibaly, 2006 ; Ilboudo-Thiombiano, 2010 ; Kienon-Kabore, 2005).
L’espace de stockage
21Après avoir été calibrés, le minerai et le charbon sont entassés près du fourneau puis chargés dans celui-ci de façon alternée. Le minerai comme le charbon étaient entreposés dans des récipients (paniers) dont le volume était une mesure pour la réduction. L’espace réservé au stockage du minerai et du combustible est situé à l’arrière (côté est) du fourneau. En contexte archéologique, rien ne permet d’identifier cette place réservée au stockage. Ce sont les enquêtes orales qui nous ont révélé son existence, sa fonction et son emplacement.
La décharge
22Au cours de l’opération de réduction, l’ouverture principale du fourneau était dégagée pour évacuer les déchets liquides en fusion dont le refroidissement donne les scories. Ces scories qui s’empilent progressivement occupent un espace situé à l’ouest du fourneau. Cet espace, considéré comme une décharge, se caractérise par des blocs de scories de taille, de forme, de texture et de densité différentes. Les décharges forment généralement des amas en demi-cercle ou demi-lune tournés vers l’est entourant presque parfois le fourneau. Quelques fois, ces décharges forment de vraies collines atteignant plusieurs mètres de haut.
23Les espaces situés sur les flancs nord et sud du fourneau étaient réservés à la circulation autour de celui-ci pour le chargement, le contrôle de la combustion, l’extraction des scories et le retrait de la loupe de fer.
24Les sites de la métallurgie du fer, malgré la forte perturbation, offrent une possibilité d’analyse spatio-temporelle de l’activité. Cette analyse est surtout basée sur la répartition des ateliers de réduction dans l’espace après une observation de leur agencement.
La dynamique spatio-temporelle
25La production de fer chez les Numu du pays toussian suivait un cycle saisonnier. Les vestiges permettent de se rendre compte de l’intensité de l’activité, mais aussi de son étendue sur l’espace et le temps. Mais ce sont surtout les enquêtes orales qui permettent une appréhension de l’activité dans le temps. Les échanges avec quelques descendants de métallurgistes et de témoins vivants de l’activité nous ont beaucoup aidé dans la reconstitution du procédé de réduction, mais aussi à saisir l’organisation de l’activité dans l’année. Le tableau ci-dessus (Fig. 8) présente le cycle des activités chez les Numu au cours de l’année civile, qui n’est pas leur repère calendaire, ceux-ci divisant le temps en fonction des saisons, c’est-à-dire du cycle naturel.
26L’évolution spatiale d’un atelier de réduction se traduit sur le terrain par un chevauchement des amas de scories qui forment la décharge. En effet, les fourneaux étaient conçus pour fonctionner plusieurs fois au cours d’une campagne mais aussi pendant plusieurs années9, et lorsqu’il y avait plusieurs fourneaux dans un même atelier, ceux-ci étaient organisés suivant un axe nord-sud. Les fourneaux pouvaient avoir leur propre décharge ou, lorsqu’ils étaient très rapprochés, avoir une décharge commune.
27Cependant, vu que le minerai pouvait se raréfier et que les métallurgistes étaient parfois amenés à se déplacer à sa recherche, le site de réduction restait à l’abandon pendant plusieurs années. Le chevauchement entre les amas de scories sur quelques sites laisse voir la dynamique du site dans le temps. D’ordinaire, les sites de réduction, en s’agrandissant, s’étalaient généralement suivant la courbe d’un cours d’eau dont ils occupent les berges. Cette situation pourrait se justifier par un important besoin en eau pour l’activité. Même si cela n’a pas encore été clairement expliqué, la localisation de la plupart des sites en bordure de cours d’eau le laisse penser.
28Par ailleurs, le chevauchement des amas de scories permet d’émettre l’hypothèse selon laquelle les fourneaux abandonnés n’étaient pas réutilisés par la suite. Ce qui permet d’expliquer que la réoccupation des sites se faisait par la construction de nouvelles structures en amont des anciennes. Les occupations récentes suivraient, comme nous avons pu le constater dans quelques cas, les mêmes critères d’orientation et d’organisation que les sites anciens. Les fourneaux, comme les décharges, sont presque dans le même axe est-ouest. Et les fourneaux en amont ont leurs décharges au-dessus des fourneaux anciens. C’est ainsi qu’au fil du temps, la nouvelle décharge se constitue en recouvrant les ruines du ou des fourneaux de l’ancienne occupation. La vérification de cette hypothèse permettrait de voir une évolution chronologique de l’activité ainsi que de probables mutations.
29Cette étude est une introduction à la paléométallurgie du fer en l’espace toussian. Elle a permis de se rendre compte, d’une part, de l’envergure des vestiges et, d’autre part, de mesurer l’importance de l’activité dans l’espace et dans le temps. Les prospections et les enquêtes orales que nous avons effectuées permettent de voir que cette activité s’est poursuivie jusqu’à une période récente et qu’une grande partie des vestiges reste accessible malgré la perturbation des sites. Cependant, l’inventaire des sites et leur préservation sont d’une nécessité urgente face au développement de l’agriculture, celle-ci se caractérisant par une extension fulgurante des surfaces cultivées. En dépit de toutes les menaces, l’aire des Numu reste l’un des rares espaces où il est encore possible d’aborder la question de l’organisation spatiale des sites de réduction du minerai de fer au Burkina Faso. Cette approche de l’organisation spatiale est une démarche innovante dans l’étude de la paléométallurgie du fer en pays toussian et au Burkina Faso en particulier. C’est une approche à construire et à approfondir.
Bibliographie
Binger L. G. (1980) – Du Niger au Golfe de Guinée, par le pays de Kong et le Mossi, Paris.
Coulibaly É. (2006) – Savoirs et savoir-faire des anciens métallurgistes d’Afrique occidentale : procédés et techniques de la sidérurgie directe dans le Bwamu (Burkina Faso et Mali), Paris.
Dunikowski C. et Cabboi S. (1995) – La sidérurgie chez les Sénons : ateliers celtiques et gallo-romain des Clérimois (Yonne), Paris.
Ilboudo-Thiombiano É. (2010) – Les vestiges de l’occupation humaine ancienne dans la province du Gulmu de la préhistoire à la pénétration coloniale, thèse de doctorat, université de Ouagadougou.
Kienon-Kabore H. T. (2005) – La métallurgie ancienne du fer au Burkina Faso, province du Bulkiemdé : approche ethnologique, historique, archéologique et métallographique, Paris.
Kiethéga J.-B. (2009) – La métallurgie lourde du fer au Burkina Faso : une technologie à l’époque précoloniale, Paris.
Kote L. (2008) – Paléométallurgie du fer dans la boucle du Mouhoun, dans G. Dorel-Ferre (dir.), Les arts du feu en Champagne-Ardenne et ailleurs. Actes du colloque international de l’APIC, Reims, p. 13-23.
Notes de bas de page
1 Vocable employé ici pour désigner les forgerons chargé de la réduction du minerai de fer.
2 Information recueillie en mars 2013.
3 Cela signifie que l’on peut encore distinguer l’ensemble de la structure même si elle est presque toujours endommagée.
4 On observe sur cette figure à droite un bloc de minerai non calibré (dimensions : 15 cm sur 13) et deux fragments de minerai à droite (dimensions : 6 cm sur 3 et 4 cm sur 2).
5 Toussiana 10°50’06.5’N, 004°37’07.2’’ O ; Sanklagnon 10°50’33.6’’ N, 004°36’32.6’’ O.
6 Hameau situé à l’est du village de Tapogo.
7 Villages situés à l’est de Toussiana au nord du barrage.
8 Dimensions : diamètre : 0,75 m ; profondeur : 2 m. Localisation : 10°51’248’’ Nord et 004°39’759’’ Ouest.
9 Interview de Django Konaté en mars 2013 à Tapoko.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041 : Archéologies et Sciences de l’Antiquité. Titre de la thèse : Archéologie en pays toussian, vestiges d’occupation de la préhistoire à nos jours.
Directeur : Manuel Gutierrez. Soutenance prévue en 2016.
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