De la spatialisation des données carpologiques à la détermination de la fonction des structures au sein du site archéologique
L’exemple de Vitry-sur-Orne « ZAC de la Plaine » (Moselle)
p. 87-100
Résumés
Le site de Vitry-sur-Orne (Moselle) « ZAC de la Plaine » a été mis au jour lors des fouilles menées par l’Institut national des recherches archéologiques préventives (Inrap) en 2002, 2004 et 2007. Il a révélé l’implantation de différents bâtiments appartenant possiblement à une villa gallo-romaine. L’occupation s’est déplacée régulièrement au haut Moyen Âge avec la mise en place d’un quartier artisanal à l’époque mérovingienne puis d’un habitat carolingien divisé en différentes unités d’exploitation. Par la suite, un village-rue s’est développé avec des unités d’habitations et agricoles alignées le long d’une voie. La stratégie d’échantillonnage mise en place autorise une analyse spatiale des données archéobotaniques pour déterminer une fonction des structures en lien avec des activités agricoles. Un bâtiment gallo-romain semble avoir été employé pour stocker des récoltes. Un autre, destiné à un usage domestique, a révélé une concentration de grains d’orge vêtue dans sa partie ouest. L’analyse de la répartition des macrorestes végétaux découverts dans les fonds de cabane médiévaux a mis en évidence un stockage différencié des denrées agricoles. L’importance d’un échantillonnage systématique des structures pour identifier des activités agricoles différentes au sein de l’occupation a été mis en exergue. Les résultats montrent des assemblages carpologiques différents issus de structures archéologiques identiques. Cela tend à indiquer une spécialisation des structures en lien avec des activités agricoles.
Excavations of Institut national des recherches archéologiques préventives (Inrap) in 2002, 2004 and 2009 allowed studying the site of Vitry-sur-Orne (Moselle) « ZAC de la Plaine ». They gave evidence of several Roman buildings probably belonging to a huge villa of a craftsmanship area of a Merovingian settlement and not to forget, a Carolingian settlement and a high and late medieval village with farmstead units developed long a central road. The applied sampling strategy allowed spatial analysis of archaeobotanical data. This study focuses on different archaeobotanical assemblages from archaeological features. A Roman building seemed to have been used for storing the harvest (finds of cereals and associated weeds). Another building, probably of domestic use, revealed a carbonized storage of hulled barley Hordeum vulgare ssp. vulgare in its western part. Archaeobotanical analysis of the fillings of several pit-house gave evidence of different storage practices of agricultural products, in our case cereals and pulses. Spatial analysis of archaeobotanical data is highlighting the importance of systematic sampling with the aim of identifying different agricultural activities within a settlement. The obtained results are giving evidence of different carbonized plant assemblages obtained from similar archaeological features. The archaeobotanical data revealed from comparable settlement features are indicating different agricultural activities and storage procedures within the buildings.
Entrées d’index
Mots-clés : carpologie, analyse spatiale, Antiquité, Lorraine, cabane excavée
Index chronologique : Moyen Âge
Keywords : carpology, spatial analysis, Antiquity, Middle Age, Lorraine, pit-House
Remerciements
Je tiens en premier lieu à remercier Julian Wiethold pour m’avoir permis de réaliser cette étude carpologique et pour son tutorat scientifique. Je remercie également Franck Gérard1 pour avoir accepté que je complète l’étude carpologique et pour sa disponibilité. Enfin je remercie Christophe Petit pour avoir dirigé ce travail de master 2.
Texte intégral
Le site et la problématique carpologique
1Le site de Vitry-sur-Orne « ZAC de la Plaine » se situe dans le département de la Moselle (Lorraine), à quelques kilomètres au nord de Metz (Fig. 1). Il est positionné sur les flancs de la côte de la Moselle, sur la rive gauche de l’Orne, un affluent de la Moselle. L’implantation du site peut être explicité par trois facteurs principaux : la position topographique car situé sur une haute terrasse de l’Orne (185 m d’altitude) dominant ainsi le lit majeur de l’Orne ; une exposition plein sud pour le site et un facteur stratégique avec la proximité de la butte de Justemont (332 m d’altitude) permettant une vue d’ensemble sur la vallée de l’Orne ainsi qu’une ouverture sur la vallée de la Moselle (Gérard, 2009). Ce site de Vitry-sur-Orne « ZAC de la Plaine » a été découvert lors d’une fouille préventive confiée à l’Inrap Grand Est nord sous la direction de Jean-Marie Blaising (fouille 2002) et Franck Gérard (fouilles 2004 et 2009) dans le cadre de la création de nouveaux lotissements. Un diagnostic préalable mené en 2001 a révélé des vestiges compris entre le Néolithique et le bas Moyen Âge. Les fouilles réalisées en 2002, 2004 et 2007 ont permis la découverte de nombreux vestiges gallo-romains et du Moyen Âge. Douze bâtiments gallo-romains ont été révélés, constitués de matériaux périssables. Six étaient composés de quatre poteaux, quatre possédaient une nef et deux présentaient deux nefs. Leur datation s’échelonne du ier au ve siècle apr. J.-C. L’archéologue propose d’interpréter cet ensemble de bâtiments gallo-romains comme la pars rustica d’une villa gallo-romaine (Gérard, 2009, p. 92). Cependant la disposition des bâtiments peut également laisser penser à une occupation rurale gallo-romaine. À partir du vie siècle, l’espace gallo-romain fut abandonné : une communauté mérovingienne s’installa au-delà des limites ouest de l’espace gallo-romain. L’occupation était divisée en deux parties : au nord le quartier artisanal et au sud l’habitat, qui ne fut pas touché par les investigations archéologiques. Des cabanes excavées étaient réparties autour d’une cour de 400 m2 au sein de laquelle deux fours ont été repérés. Un bâtiment au sud a été interprété comme un grenier. Une cinquantaine de fours et foyers complètent cet ensemble. De surcroît, un autre bâtiment au nord a été découvert. Aux viiie et ixe siècles (époque carolingienne), un processus de déplacement de la population et de l’activité humaine vers un espace de 8 000 m2 où un habitat composé de six îlots séparés par de petites ruelles a été mis en évidence. Chacune des unités possédait un bâtiment d’habitation ainsi qu’un ou deux bâtiments à vocation agricole. Cette période est marquée par le passage d’une exploitation du minerai de fer à une activité agro-pastorale. À partir de 900 apr. J.-C., les fouilles ont révélé une « fondation planifiée » (Gérard, 2009, p. 485) avec un schéma de « village rue », c’est-à-dire des unités d’exploitation réparties le long d’une rue unique élargie d’usoirs et bordées de puits. À l’arrière des habitations, des jardins puis des champs organisés en zone de culture regroupant des parcelles lanièrées perpendiculaires à la rue se dessinent. Cet ensemble a été interprété comme le village disparu de Vallange (Gérard, 2007, 2008a et 2008b).
2L’analyse spatiale des données carpologiques issues de ce site se concentre sur quelques vestiges gallo-romains et mérovingiens. Pour chacune de ces périodes, l’objectif est de comparer les ensembles carpologiques pour des structures similaires afin de mettre en évidence des fonctions distinctes. En d’autres termes, en quoi l’analyse spatiale des données carpologiques permet-elle de déceler les fonctions de certaines structures archéologiques ?
Matériel et méthodes
3Sur l’ensemble de la fouille, 157 prélèvements correspondant à 1 280 litres de sédiments bruts ont été étudiés par Julian Wiethold2 dans le cadre de la post-fouille (Wiethold, 2009 ; Bonnaire et Wiethold, 2010) et par Geneviève Daoulas dans le cadre du master 2 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Daoulas, 2012). Dans le cadre de l’analyse spatiale, l’objectif était de porter une attention particulière à des types de structures similaires pour une même période chronologique. Ainsi, ont été sélectionnés les échantillons appartenant aux bâtiments pour la période gallo-romaine, soit treize échantillons appartenant à cinq bâtiments. Concernant la période mérovingienne, il a été décidé d’axer l’analyse sur les cabanes excavées dont le statut reste encore actuellement en débat (Blaising, 1998 ; Peytremann, 2003). Ce sont ainsi cinq échantillons datés de l’époque mérovingienne qui ont été retenus. Au total, dix-huit échantillons de 8,33 litres de sédiments en moyenne provenant de dix-huit structures (treize trous de poteaux issus de cinq bâtiments et cinq fonds de cabane) ont été intégrés à l’analyse spatiale. L’intégralité des échantillons était « sec », c’est-à-dire non submergés sous l’eau. Leur traitement a été réalisé à la base Inrap Grand Est nord (Metz) suivant la technique de la flottation manuelle (Jacomet et Kreuz, 1999) à l’aide de tamis de 1 mm et 0,315 mm. L’ensemble des macrorestes découverts se sont tous révélés carbonisés. Les densités sont très variables mais, de façon générale, elles se sont avérées faibles pour l’ensemble des prélèvements (6,3 restes par litre de sédiment en moyenne). La qualité de conservation du matériel carbonisé est assez mauvaise dans l’ensemble. On constate en effet une fragmentation notable des semences (36,1 % des semences). Ces dix-huit prélèvements ont permis de recueillir 1 325 macrorestes carbonisés, donnant lieu à l’identification de 71 taxons. La nomenclature scientifique se conforme à celle de la flore de Lambinon et Verloove (Lambinon et Verloove, 2012). Le nombre de macrorestes a été calculé selon la technique du NMI (nombre minimum d’individus).
Résultats de l’étude carpologique
4L’ensemble des données carpologiques recueillies sur le site, à la fois lors de la post-fouille et dans le cadre du master 2, a permis d’obtenir des informations sur les espèces en présence sur le site de l’époque gallo-romaine au Moyen Âge. Les espèces étaient principalement des céréales avec de l’orge polystique vêtue, du blé nu (probablement blé tendre/froment), de l’avoine, de l’engrain, de l’épeautre, de l’amidonnier, du seigle et du millet commun. Cette diversité céréalière s’accompagne de quelques légumineuses (pois, lentille, féverole, vesce cultivée, ers). Des plantes oléagineuses (lin, chanvre, navette d’été) et condimentaires (fenouil, coriandre) sont présentes dans des proportions plus restreintes. Concernant les fruits, treize taxons ont pu être mis en avant (vigne cultivée, prunelle, noisetier, prunier, poirier, cerisier, etc.), notamment grâce à l’étude d’un puits. Enfin, le corpus global comporte de nombreuses mauvaises herbes, dont la plupart correspondent à des mauvaises herbes des cultures d’hiver et d’été. L’ensemble de ces résultats a permis de mettre en avant que les spectres céréaliers de l’Antiquité étaient dominés par l’orge polystique vêtue Hordeum vulgare sbsp. vulgare alors que les spectres mérovingiens étaient dominés par le blé nu, très probablement le blé tendre Triticum aestivum s.l. Ainsi, l’alimentation s’est modifiée avec le passage d’une économie fondée sur l’orge à l’Antiquité à une économie basée sur le blé nu à l’époque mérovingienne, témoignant d’une modification des modes de consommation. Cela illustre le passage d’une alimentation sous forme de bouillie ou gruaux à une consommation sous forme de pain (Daoulas, 2012).
5Concernant les dix-huit prélèvements sélectionnés pour l’analyse spatiale, six taxons de céréales y ont été identifiés, représentant 72 % du corpus carpologique (Fig. 2). En raison de la plus forte proportion d’échantillons datés de l’Antiquité, l’orge polystique vêtue est l’espèce dominante. Elle est suivie par le blé nu Triticum aestivum s.l./durum/turgium puis l’épeautre Triticum spelta. Les trois autres espèces – épeautre, amidonnier et avoine – ne sont présentes que dans des quantités plus restreintes. Il est à noter que l’épeautre et l’engrain sont représentés non seulement par des caryopses mais aussi par des bases de glume et bases d’épillet, témoignant de leur décorticage lors du traitement post-récolte. Cinq taxons de légumineuses sont présents (4 %) avec une prédominance des lentilles Lens culinaris. Dans ce corpus sélectionné, seul le lin cultivé Linum usitissimum a été repéré comme plante oléagineuse. Les fruits ne sont représentés que par cinq taxons (noyer Juglans regia, noisetier Corylus avellana, vigne cultivée Vitis viniferis ssp. viniferis, prunellier Prunus spinosa et l’yèble Sambucus ebulus), représentant moins de 1 % du corpus (Fig. 2). Cette faible représentativité est explicable par la taphonomie des prélèvements (la carbonisation ne permet pas une bonne conservation des fruits, des plantes oléagineuses et textiles). En ce qui concerne les mauvaises herbes, les dix-huit prélèvements ont fourni 38 taxons, représentant 24 % du corpus (Fig. 2). Les espèces représentées sont principalement des mauvaises herbes accompagnant les cultures d’été et d’hiver. Les autres espèces ont une amplitude plus large et ne peuvent donc pas être rattachées à un groupement spécifique. Mais elles se retrouvent fréquemment dans les zones herbeuses anthropiques telles que les prairies, les friches et les cultures.
Analyse spatiale appliquée aux bâtiments gallo-romains
6L’échantillonnage carpologique effectué sur le site gallo-romain a permis l’analyse de cinq bâtiments. Pour la réalisation de l’analyse spatiale, la première étape fut la réalisation des spectres généraux de chacun de ces bâtiments, c’est-à-dire la proportion de chaque catégorie de plantes (céréales, légumineuses, fruits, plantes oléagineuses, mauvaises herbes, etc.). Deux bâtiments, les bâtiments B et E, se distinguent par le nombre important de macrorestes qu’ils contiennent. A contrario, les bâtiments A, D et F présentent un nombre de macrorestes inférieur à 40, ce qui ne permet pas de leur attribuer une fonction en lien avec des macrorestes végétaux (Fig. 3).
7Le bâtiment E a présenté un spectre de 186 macrorestes, soit une densité globale de onze restes par litre de sédiment. Ce bâtiment présente des dimensions de 8 m sur 8 m et est constitué de deux nefs matérialisées au sol par deux parois porteuses et une série de poteaux porteurs de panne faîtière. Aucun matériel archéologique n’a été découvert (Gérard, 2009, p. 101). Le spectre carpologique de cet ensemble présente une très large domination (à hauteur de 45 %) des plantes adventices et des mauvaises herbes. Le quart restant est constitué de céréales (Fig. 3). L’association de ces deux catégories de plantes laisse envisager deux hypothèses quant à l’utilisation du bâtiment E. La première serait l’utilisation de ce bâtiment pour du stockage des récoltes non traitées, c’est-à-dire accompagnées de leurs mauvaises herbes. La seconde consisterait en du stockage de foin. En effet, la récolte du foin engendre à la fois la coupe des céréales mais aussi des mauvaises herbes qui les entourent.
8Le bâtiment B présente des dimensions de 18 m sur 5 m. Il est constitué d’une nef matérialisée par deux parois porteuses constituées chacune de sept poteaux. Elles soutiennent une série de fermes à entraits renforcées par deux sablières hautes. Les pignons est et ouest sont renforcés par deux poteaux supplémentaires. Un grand nombre de restes anthropiques ont été découverts au cours de la fouille de ces trous de poteaux : charbon de bois, terre rubéfiée, céramique, des nodules de bronze ainsi que quelques fragments de verre (Gérard, 2009, p. 99). Une fonction résidentielle pour ce bâtiment a été envisagée par le responsable d’opération et son équipe. 680 macrorestes ont été découverts correspondant à des céréales (88 %), des mauvaises herbes (10 %) et des légumineuses (2 %) (Fig. 3). Au regard de ce corpus et du pourcentage de céréales, on peut émettre l’hypothèse que ce bâtiment a servi à entreposer des céréales.
9Afin de mieux comprendre sa fonction, il a été choisi de mener une analyse spatiale plus ciblée sur les céréales au sein de ce bâtiment B. L’orge polystique vêtue domine très largement le corpus céréalier du bâtiment. Cinq autres taxons ont pu être identifiés mais dans des proportions plus restreintes tels que le blé nu, l’amidonnier, l’épeautre, l’avoine et l’engrain. Afin d’obtenir une meilleure visibilité du corpus céréalier, il a été choisi de regrouper amidonnier, épeautre et engrain, qui ne présentaient qu’un très faible pourcentage, sous l’appellation blés vêtus. L’échantillonnage carpologique effectué au sein du bâtiment permet l’analyse plus précise de six trous de poteaux. Pour réaliser cela, les spectres céréaliers de chacun de ces trous de poteaux ont été réalisés (Fig. 4). L’analyse de la répartition des céréales au sein du bâtiment a permis d’observer que les trous de poteaux st. 4082, 4090, 4092 ont fourni très peu de macrorestes végétaux (densités respectives de 5, 2 et 3) mais la diversité taxonomique découverte y est importante car les quatre catégories de céréales (orge polystique, avoine, blé nu et blés vêtus) y ont été découvertes. Les trois autres trous de poteaux st. 4095, 4098 et 4102 présentent un nombre de macrorestes beaucoup plus élevé avec des densités respectives de 11, 4 et 28 restes par litre de sédiment. L’observation des spectres carpologiques montre une très nette prédominance de l’orge polystique vêtue. De plus, ces trois trous de poteaux se situent dans la partie ouest du bâtiment. L’hypothèse d’un entrepôt d’orge dans cette partie du bâtiment peut être envisagée. Concernant les trois autres trous de poteaux pauvres en macrorestes, ils se situent tous dans la partie est de la structure. Les macrorestes retrouvés pourraient donc correspondre à un bruit de fond des espèces présentes et de ce fait se situer à proximité d’une zone de passage au sein du bâtiment. Ainsi, l’analyse spatiale a permis de comprendre la structuration interne de ce bâtiment à vocation plutôt résidentielle avec une zone de stockage d’orge dans sa partie ouest. L’orge y était certainement entreposée de manière temporaire en vue d’une consommation immédiate ou quasi immédiate.
Des cabanes excavées mérovingiennes à vocation agricole ?
10Au sein du quartier artisanal mérovingien, différentes cabanes excavées ont été découvertes autour d’une cour. De ce fait, il a été choisi de réaliser une analyse spatiale des macrorestes découverts au sein de ces structures afin de s’interroger sur leur fonction. Cinq de ces fonds de cabane ont fait l’objet de prélèvements en vue d’une étude carpologique. La répartition du nombre de macrorestes végétaux découverts montre que les cabanes excavées 489 et 1149 se sont révélées pauvres en macrorestes : le nombre de macrorestes est inférieur à 20, correspondant à une densité d’un reste par litre de sédiment (Fig. 5).
11La cabane excavée 481 était constituée de deux poteaux axiaux et quatre poteaux corniers. Ses dimensions étaient de 3 m sur 2 m et elle présentait un profil à fond plat. Quelques rares inclusions charbonneuses et éléments de céramique (fragment de coupelle, pot globulaire à fond plat) y ont été découverts (Gérard, 2009, p. 176). Le remplissage a livré 125 macrorestes, dont la majorité est constituée de mauvaises herbes caractérisant à la fois les cultures mais aussi les zones rudérales très fréquentées. Les autres carporestes correspondent à des céréales et des légumineuses. En raison des artefacts archéologiques découverts, de la présence de quelques céréales, légumineuses et semences d’herbes formant un groupe hétérogène, on peut émettre l’hypothèse que cette cabane excavée servait d’abris aux artisans qui venaient travailler dans le quartier artisanal.
12La cabane excavée 665 était constituée de deux poteaux axiaux et présentait un fond plat aux parois verticales. Ses dimensions étaient de 2 m sur 1,80 m. Des éléments charbonneux, des nodules de terre cuite ainsi que des fragments de tuile y ont été repérés (Gérard, 2009, p. 181). Dans ce fond de cabane, 166 macrorestes ont été découverts, identifiés à 60 % comme des céréales et à 30 % comme des mauvaises herbes (Fig. 5). Cette cabane excavée se situe à proximité d’une structure interprétée par le responsable d’opération comme un grenier (bâtiment no 21). Ainsi, elle aurait pu servir de lieu d’entrepôt de la récolte non traitée, c’est-à-dire non débarrassée de ses mauvaises herbes, avant que celle-ci ne soit stockée dans le grenier.
13Deux poteaux axiaux, quatre poteaux corniers, un profil à fond plat aux parois évasées caractérisent la cabane excavée 480. Ses dimensions sont de 3 m sur 2,5 m. De nombreuses inclusions charbonneuses et de terre rubéfiée y ont été repérées (Gérard, 2009, p. 175). 53 macrorestes ont été identifiés provenant de son comblement. Son spectre carpologique présente l’intérêt de se distinguer des autres spectres par une très large prédominance des légumineuses, particulièrement des lentilles (Fig. 5). À noter que les céréales et les mauvaises herbes sont quasi inexistantes (trois caryopses de céréales et deux semences de mauvaises herbes). On peut ainsi émettre l’hypothèse que cette cabane excavée ait pu servir de lieu de stockage des légumineuses déjà nettoyées de leurs mauvaises herbes dans le but d’une consommation immédiate par les artisans sur le lieu de travail.
Conclusion
14L’échantillonnage réalisé pour l’étude carpologique a permis de proposer une étude spatiale des macrorestes au sein de structures similaires pour quelques phases d’occupation du site de Vitry-sur-Orne « ZAC de la Plaine » (époques gallo-romaine et mérovingienne). D’une part, elle a permis de mettre en évidence des bâtiments gallo-romains dont la fonction est en lien avec des activités agricoles. L’échantillonnage des trous de poteaux au sein d’un même bâtiment à caractéristique architecturale résidentielle nous a donné l’opportunité d’envisager une étude de la répartition des céréales. La compréhension de la structuration interne de ce bâtiment a ainsi pu être approchée avec la mise en lumière d’une zone de passage dans sa partie est et d’une zone d’entrepôt d’orge vêtue en vue d’une consommation immédiate dans sa partie ouest. D’autre part, l’échantillonnage et l’analyse spatiale des groupes écologiques de macrorestes végétaux issus de fonds de cabane ont permis de révéler que les structures similaires que sont les cabanes excavées ont pu être utilisées différemment : abris, zone de stocke de récoltes non traitées, stockage de légumineuses.
15Afin de pouvoir mener des analyses spatiales de données carpologiques, il semble nécessaire de renforcer la pratique des prélèvements systématiques des structures. Cela peut permettre de mettre en évidence des ensembles carpologiques différents pour des structures archéologiques similaires, témoignant de ce fait de fonctions divergentes et permettant de nouvelles interprétations.
Bibliographie
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Notes de bas de page
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041 : Archéologies et Sciences de l’Antiquité. Titre de la thèse : Apport de la carpologie à la compréhension des systèmes agraires du Nord-Est de la Gaule de l’Antiquité au haut Moyen Âge.
Directeurs : Christophe Petit et Pierre Ouzoulias (Chercheur, CNRS). Tuteur scientifique : Julian Wiethold. Soutenance prévue fin 2016.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
Antoine Bourrouilh, Paris Pierre-Emmanuel et Nairusz Haidar Vela (dir.)
2016
Des vestiges aux sociétés
Regards croisés sur le passage des données archéologiques à la société sous-jacente
Jeanne Brancier, Caroline Rémeaud et Thibault Vallette (dir.)
2015
Matières premières et gestion des ressources
Sarra Ferjani, Amélie Le Bihan, Marylise Onfray et al. (dir.)
2014
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Théophane Nicolas, Aurélie Salavert et Charlotte Leduc (dir.)
2011
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De la culture matérielle à l’espace culturel
Laurent Dhennequin, Guillaume Gernez et Jessica Giraud (dir.)
2009
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L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
Clara Filet, Svenja Höltkemeier, Capucine Perriot et al. (dir.)
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