IV. « Ici Julius »
p. 32-34
Texte intégral
La voix au téléphone
1Élisabeth Bentley témoigne que lorsqu’elle travaillait avec Jacob Golos, il lui arriva une fois de l’accompagner non loin de Knickerbocker Village1. C’était peut-être en 1942, au début ou à la fin de l’automne. Elle savait que Golos devait y prendre des documents qu’un ingénieur lui confierait. Voici le récit de cette mission : Golos gare la voiture, Élisabeth reste à l’intérieur. Son compagnon traverse la rue et attend au coin. L’homme survient. Ensemble, ils marchent sur le trottoir et s’arrêtent quelques portes plus loin pour régler leurs affaires. Puis Golos revient à la voiture, muni d’une enveloppe de documents. Depuis cette journée et jusqu’à la mort de Golos, en novembre 1943, Élisabeth Bentley affirme qu’elle reçut, à intervalles réguliers, des appels téléphoniques d’un correspondant qui commençait toujours la conversation par ces mots : « Ici Julius ». Ces appels, donnés à l’aube, eurent lieu à cinq ou six reprises, tirant chaque fois Élisabeth du sommeil. Il lui fallait alors quitter son appartement et souvent « parcourir plusieurs blocs, dans le froid, pour aller à un téléphone public appeler M. Golos ». Celui-ci estimait, en effet, qu’il était imprudent que la jeune femme appelât de son propre domicile. Elle se souvient qu’au moins une fois, elle n’eut pas à se déplacer car Golos, dont elle dit qu’il était son amant, était chez elle. Quoi qu’il en soit, son rôle était de le prévenir que « Julius » voulait le voir. Elle servait d’intermédiaire entre les deux hommes. Elle ne savait de « Julius » que ce que Golos lui en avait appris, qu’il vivait à Knickerbocker Village. Mais jamais, dit-elle, elle ne rencontra quelqu’un dont la voix lui permît de déterminer qu’il s’agissait de « Julius ».
Max Elitcher confirme le témoignage d’Élisabeth Bentley
2À la fin de juin 1948, Max Elitcher, selon son témoignage, se rend à New York. Il va chez son ami Sobell et dit à son hôte qu’il a l’impression d’avoir été suivi par une ou deux voitures de Washington à New York »2. Elitcher décrit ainsi les réactions de Sobell : « Sobell prend peur et aussitôt, il me demande de l’accompagner jusqu’à la porte de Rosenberg. Il doit lui remettre des documents importants ». Elitcher l’attend dans la voiture. À son retour, Sobell remarque que Rosenberg lui a dit : « J’ai parlé une fois à Élisabeth Bentley au téléphone, mais je suis pratiquement sûr qu’elle ne savait pas qui j’étais, par conséquent il n’y a rien à craindre ». Cet épisode a dû avoir lieu le soir même du 30 juillet 1948, alors que Miss Bentley comparaissait devant une commission du Congrès et révélait ses activités d’espionnage. Il est à noter que dans les deux déclarations faites au FBI en juillet 1950, Elitcher n’a mentionné ni cette visite à Sobell ni les propos de Rosenberg. Le nom de Bentley lui fut suggéré pour la première fois par un agent du FBI et il fut incorporé à une troisième déclaration qu’Elitcher signa vers la fin de 1950, après avoir comparu devant le Grand Jury d’accusation.
3Greenglass a aussi son mot à dire. En mai 1950, d’après David, Julius Rosenberg essaye de le persuader de quitter le pays. Lui-même aurait probablement à quitter le pays. David lui demande : « Pourquoi toi ? » et Julius répond « qu’il était un ami de cet homme – qu’il connaissait Jacob Golos, et que probablement Bentley connaissait Golos ».
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4Ces deux témoignages sont étonnants. Pour le premier, Sobell apparaît bien imprudent de faire ainsi de dangereuses confidences à Elitcher en qui il n’avait pas confiance. Pour le second, il semble qu’en 1950, Julius n’aurait dû être préoccupé que par l’arrestation de Gold. Les deux témoignages de Max Elitcher et de David Greenglass ne concordent pas tout à fait. Mais ils étaient juridiquement nécessaires à l’accusation pour que le témoignage d’Élisabeth Bentley contre « Julius » fût recevable en droit. Le Juge eut d’ailleurs à se prononcer expressément sur ce point de l’admissibilité du témoignage d’Élisabeth Bentley.
5De son côté, Julius Rosenberg affirma sous serment qu’il n’avait jamais connu Jacob Golos ni Élisabeth Bentley, ni qu’il eut jamais téléphoné à Élisabeth Bentley.
Pourquoi « Julius » n’a-t-il pas été recherché dès 1945 ?
6Que cet incident fût vrai ou faux, il ne révèle en rien que des secrets appartenant à la défense nationale eussent été communiqués de « Julius » à Golos. Aucun chef d’accusation ne fut donc retenu quant au contenu des documents ou des renseignements ainsi reçus. Malgré cela, dans son réquisitoire final, le procureur fit état d’activités d’espionnage liant Rosenberg à Golos.
7D’autres faits paraissent encore plus surprenants. Élisabeth Bentley était allée se confier au FBI dès l’été 1945 et elle poursuivit ensuite ses activités d’espionnage sous leurs directives. Le FBI connaissant son histoire dans sa totalité, était donc informé de l’existence de « Julius » et des coups de téléphone qu’il donnait. Disposant d’indices aussi décisifs que le prénom, la profession, la résidence de ce mystérieux « Julius », il est surprenant que la FBI ne l’ait pas retrouvé.
8Sans cette carence, le secret de la Bombe Atomique n’aurait peut-être pas été volé et livré à l’Union Soviétique. C’est seulement en septembre 1945 que David Greenglass, à l’en croire, transmet à son beau-frère un croquis de la bombe atomique accompagné de douze pages d’explication.
Notes de bas de page
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