Chapitre II. Les choix du Cabinet anglais, de la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez à la fin de la mission Menzies (26 juillet-10 septembre 1956)
p. 67-102
Texte intégral
Prélude diplomatique à la crise
Les contradictions de la politique égyptienne d’Eden au printemps et à l’été 1956
1En 1952, Anthony Eden, alors secrétaire au Foreign Office, observait dans un rapport au Cabinet, que la faiblesse des ressources du Royaume-Uni le contraindrait à les utiliser à l’extérieur avec parcimonie, surtout pour satisfaire les « besoins stratégiques vitaux » de son économie. Ce réalisme devait fonder en 1954 sa décision d’évacuer la base militaire de Suez conformément au désir des Égyptiens1.
2Les installations militaires de Suez, que doivent quitter les derniers soldats anglais en juin 1956, représentent plus un souci qu’un atout pour le Foreign Office. En février, les chefs de l’armée anglaise considèrent cette grande base comme un avantage contestable au plan stratégique et douteux en raison de l’opposition de principe du Caire à la présence britannique dans le monde arabe, même si la coopération entre les deux pays dans le cadre de l’Accord de 1954 reste « excellente ». Dès l’origine, en 1954, on pouvait être sceptique sur le bien-fondé du maintien de la base de Suez jusqu’en 1961, malgré le retrait des forces armées britanniques, mais ne s’agissait-il pas de rendre plus acceptable l’abandon de ce site à une certaine partie de l’opinion conservatrice ?
3En 1956, les Britanniques voient dans la libre utilisation du canal de Suez leur intérêt principal en Égypte2. L’important groupe interministériel de hauts fonctionnaires concernés par les problèmes du Moyen-Orient, le Middle East Official Committee, craint que l’Égypte ne ferme la voie maritime pour sa défense en cas de guerre, mesure prévue par la Convention de 1888. La position anglaise apparaît « fondamentalement faible » et le comité suggère de rechercher une nouvelle convention internationale3. Plus pragmatiques, les diplomates se préoccupent surtout de l’exploitation future de cette grande artère par l’État égyptien en 1968, après la fin de la concession. Ils recommandent l’association des usagers à la future organisation qui succédera à la vieille Compagnie de Suez, en échange du concours technique et financier nécessaire à l’Égypte pour l’agrandissement du canal4. Cependant le gouvernement britannique reçoit des industriels des avis contradictoires sur l’importance future du canal : les pétroliers géants pourraient à long terme fournir le moyen de transport le plus économique et le plus sûr, alternative mise en avant aussi par le Trésor5.
4Comme le rapportera Humphrey Trevelyan, ambassadeur britannique au Caire, les relations anglo-égyptiennes se détériorent en 1955. D’abord, le succès obtenu par son pays dans la création d’un Soudan indépendant a érodé la confiance des Égyptiens. L’antagonisme a encore crû à la suite du refus des Anglais d’octroyer des fournitures militaires6. Puis, en avril 1955, l’adhésion du Royaume-Uni au METO, alliance qui a pour pivot l’Irak, le grand rival de l’Égypte dans le monde arabe, a avivé considérablement l’hostilité du Caire à l’egard de l’ancienne métropole. Ce regroupement heurte le « neutralisme » et l’anti-impérialisme des Égyptiens, qui redoutent l’isolement au plan régional. Au printemps 1955, le gouvernement anglais leur a donc fait donner par voie officielle l’assurance qu’il n’y aurait pas de tentative en vue d’inclure d’autres États arabes dans le Pacte de Bagdad. L’envoi de la Mission Templer à Amman, « changement de politique » désapprouvé par Trevelyan, marque le début d’un second mouvement de la politique britannique à l’égard de l’Égypte. Puis, l’affaire Glubb accentue encore le durcissement de l’attitude anglaise à l’endroit de Nasser et le Premier ministre se prononce à plusieurs reprises pour son élimination7. Malgré son aversion manifeste pour le Raïs et son régime, Eden maintient pourtant une orientation modérée. Sans doute réalise-t-il, à l’instar de William Clark, que ne plus accorder aucune confiance à Nasser équivaut à changer toute la base de la politique menée au Moyen-Orient, et que l’on n’arrivera à rien dans cette voie sans le concours des Américains8. Or ces derniers ne l’accorderont ni avant ni pendant la crise de Suez. La révision nécessaire de la diplomatie conduite dans le monde arabe n’a pas lieu et le mémoire en faveur d’un changement de cap dans la conduite des affaires moyen-orientales présenté en mars par A. Nutting en mars 1956 est rejeté. Le chef du Cabinet anglais prétexte de la nécessité de « détruire » Nasser pour écarter ce projet de politique fondé sur la « neutralisation » de l’Égypte, comme adversaire, et sur le désengagement relatif du Royaume-Uni dans le monde arabe9. Nul doute que ce programme de repli politique et militaire n’apparaisse à ce moment très inopportun à Eden, en raison du contexte intérieur10.
5L’offre d’aide financière pour la réalisation du barrage d’Assouan, faite par la Grande-Bretagne à l’automne 1955, conjointement avec les États-Unis, constitue la deuxième question centrale dans les relations entre Londres et Le Caire. La manière dont le Foreign Office la traite illustre l’ambivalence de la politique égyptienne du Cabinet anglais : la proposition d’assistance économique demeure valide jusqu’au désistement américain le 19 juillet 1956. Aussi tard que le 12 juin, tant les diplomates anglais que le Middle East Official Committee s’interrogent sur la suite à donner aux tractations avec l’Égypte au sujet du financement de la construction du barrage11. Harold Macmillan lui-même, l’un des partisans déclarés d’une attitude énergique dans le monde arabe, rappellera qu’il défendait encore le 5 juillet l’idée que l’on ne devait ni « abandonner [l’offre de financement pour le barrage] sur un mouvement d’humeur » ni « s’en laisser évincer »12. Au moment même où le roi de Jordanie remerciait le général Glubb, Selwyn Lloyd recevait au Caire des conseils de modération de l’ambassadeur Trevelyan. Faute de moyens adéquats et en raison des conséquences dangereuses d’une politique « dure » envers l’Égypte, Trevelyan conseillait de revenir à un accord avec l’Égypte sur le Pacte de Bagdad. En échange de la renonciation à rallier au METO d’autres États arabes, on demanderait aux Égyptiens de tolérer la participation irakienne à cette alliance et d’arrêter leur propagande anti-britannique. Il convenait de maintenir cette position conciliante même sans coopération réelle en retour13.
6Si, d’un côté, le Foreign Office met en application à la fin de mai 1956 un plan de mesures destinées à combattre ouvertement ou secrètement l’influence de Nasser dans le monde arabe, d’un autre côté, il entreprend des démarches en vue d’assainir les rapports entre les deux pays14. À la fin d’avril et le mois suivant, les Anglais réclament avec insistance, comme gage de bonne volonté, la cessation des attaques verbales radiodiffusées dirigées contre la Grande-Bretagne et ses intérêts pétroliers. Les Égyptiens se défendent naturellement d’être hostiles aux intérêts occidentaux, en particulier en ce qui concerne le pétrole. Trevelyan obtient enfin le 27 mai un entretien avec Nasser, qui lui propose l’arrêt de la propagande dirigée contre le Pacte de Bagdad à condition qu’on le « gèle ». À l’ambassadeur, qui lui demande de montrer, à l’occasion des célébrations du 18 juin 1956, sa bienveillance par des paroles amicales à l’égard du Royaume-Uni, le Raïs déclare craindre que cela ne soit vu comme une réponse à des pressions15. Le 6 juin, l’ambassadeur égyptien à Londres répond de façon conciliante à Selwyn Lloyd, qui, non seulement se plaint de la propagande égyptienne, mais en souligne l’effet dans la presse et au Parlement anglais. Le secrétaire d’État est invité aux festivités du 18 juin16.
7Le 12 juin, les diplomates britanniques, qui étudient à nouveau, dans un mémoire destiné au Middle East Official Committee, la question du barrage d’Assouan, affirment la nécessité de choisir : laisser traîner les discussions avec les Égyptiens en vue d’un refus final ou rechercher encore un accord. Parmi les raisons d’aller en avant se trouve le fait que l’Égypte a le pouvoir de causer un tort considérable à l’Angleterre, dans le golfe Persique comme sur le canal de Suez. Par contre, ne pas donner suite à l’offre de financement s’avérerait conforme à la « majorité de l’opinion » anglaise17. Il faut ici entendre, en premier lieu, l’opinion conservatrice dont on a retracé l’évolution de plus en plus défavorable à toute aide financière à l’Égypte à partir du début de 1956.
8Les démarches effectuées par les Britanniques vont être couronnées de succès. Le 5 juillet, Trevelyan informe le Foreign Office de l’amélioration du ton de la presse et de la radio, et note la bonne volonté montrée par les Égyptiens pour résoudre plusieurs questions qui empoisonnent les rapports entre Le Caire et Londres. Et surtout, l’ambassadeur met en relief les références faites par Nasser à l’amitié anglo-égyptienne dans son discours du 18 juin, puis dans une interview publiée par le Daily Herald et le 26 juin18. Entre-temps, le général Robertson a représenté Selwyn Lloyd aux cérémonies du Caire, et ce dernier a proposé de « construire grâce au respect mutuel des intérêts légitimes de chacun une nouvelle amitié » entre l’Égypte et la Grande-Bretagne dans une lettre au journal cairote Al Akbar19. On assiste donc en juin à l’ébauche d’un rapprochement remarquable qui, du côté anglais, peut difficilement être interprété comme une diversion temporaire, prélude à une épreuve de force. Il s’agirait là d’un effort considérable en vue d’un résultat peu durable et qui expose de surcroît Eden et Lloyd à de vigoureuses attaques « des anti-nassériens » en Angleterre. Les Américains mettent finalement un terme à cette phase de détente entre Le Caire et Londres quand ils refusent le 19 juillet leur concours financier pour le projet d’Assouan. Pourtant avertis à plusieurs reprises de l’évolution de l’orientation américaine, les dirigeants anglais semblent pris au dépourvu par la soudaineté de son annonce20. Ils n’ont pas d’ailleurs établi de solution de rechange, bien que le Foreign Office se soit soucié non seulement de l’hostilité engendrée chez les Égyptiens par un éventuel abandon des propositions d’aide pour le financement de la construction du barrage, mais aussi de la possibilité qu’ils s’adressent ensuite aux pays communistes pour obtenir les crédits nécessaires. Le Middle East Official Committee suggérait qu’à tout le moins on revienne à un plan plus modeste que pourrait proposer au gouvernement égyptien un consortium privé anglo-germano-français21.
Les divergences franco-anglaises sur le Moyen-Orient
9En quête de riposte au moment de l’affaire Glubb, Anthony Eden, en plus d’inviter les Américains à adhérer au Pacte de Bagdad, convie le chef du gouvernement français, Guy Mollet, à des consultations en vue de concerter des politiques des deux États au Moyen-Orient. Ces entretiens, qui se déroulent le 11 mars 1956, aux Chequers, résidence officielle à la campagne, concernent essentiellement l’Égypte22. Mollet sollicite l’appui du Royaume-Uni à sa politique en Afrique du Nord, où, selon lui, l’Égypte, sous influence soviétique, attaque l’Occident. Il propose en particulier d’établir par des fournitures d’armement à Israël un « équilibre militaire » régional. Son collègue anglais objecte que l’on risque de déclencher une course aux armements, avec l’URSS comme fournisseur des Arabes ; et que les experts britanniques estiment l’État hébreu déjà plus fort que ses voisins23. Mollet aborde enfin la question de la contrebande d’armes effectuée en Libye au profit des rebelles algériens, mais la qualifie de chose d’importance mineure.
10Loin de consacrer une convergence entre les deux pays, le sommet anglo-français de mars accuse les différences entre leurs politiques moyen-orientales. Guy Mollet échoue dans sa tentative d’obtenir d’Eden une attitude plus favorable à Israël et plus hostile, ou du moins plus rigide, à l’égard de l’Égypte. Les deux dirigeants s’opposent en plus sur le bien-fondé du Pacte de Bagdad, condamné dès sa création par le Quai d’Orsay. Eden ne relève même pas les arguments outranciers de Mollet sur le panislamisme et le panslavisme ou sur la menace russe en Afrique. On pouvait prédire avec certitude le bilan négatif de cette réunion. Le chef du Cabinet britannique n’a-t-il pas pour but principal de créer l’illusion d’une action réelle, d’un réajustement de sa politique égyptienne en concertation avec les Français ? Et puis, un rapprochement réel avec la France sur les affaires du Moyen-Orient desservirait assurément la Grande-Bretagne auprès des pays arabes, en raison de la guerre d’Algérie. Tout au plus ce rapprochement apparent peut-il ennuyer les Américains et leur faire considérer plus attentivement la nouvelle invitation d’entrer dans le METO faite par Eden24. Le gain le plus considérable pour ce dernier se situe indubitablement au plan domestique : les impérialistes conservateurs y trouvent leur compte25.
11Jusqu’à la crise de Suez, la coopération anglo-française sur le Moyen-Orient demeurera peu satisfaisante, comme l’attestent plusieurs signes de désaccord26. Du moins, Christian Pineau, ministre français des Affaires étrangères, s’engage-t-il le 6 mai, comme le demandent Anglais et Américains, à interrompre la livraison de chasseurs Mystères IV après avoir porté à 24 le nombre de ces avions modernes livrés à Israël27. Par la suite les Français continuent de rechercher l’appui anglais pour la révision de l’action du NEACC (Near East Armament Control Committee) en faveur d’Israël28. En outre, le Quai d’Orsay exclut l’entrée du Maroc et de la Tunisie dans le Comité économique du Pacte de Bagdad, mais propose un accord de sécurité en Méditerranée, façon indirecte d’associer les Anglais à la conservation des bases militaires françaises en Afrique du Nord. Les Français obtiendront pour la fin de juillet une consultation entre ministres des Affaires étrangères pour examiner à nouveau la situation au Moyen-Orient et, surtout, pour harmoniser les politiques des deux pays envers l’Égypte29. Loin de songer à accéder aux requêtes françaises sur le Moyen-Orient, le Foreign Office envisage alors seulement d’accorder à une France isolée un appui officiel à sa politique nord-africaine, en échange de concessions majeures : l’abandon de l’intérêt porté par Paris à la Syrie ; l’arrêt de son opposition au projet de « croissant fertile », idée d’union entre Syrie et Irak longtemps caressée à Londres ; et enfin, la cessation des fournitures militaires françaises à Israël30. L’opposition de fond entre Anglais et Français sur les affaires moyen-orientales subsiste donc jusqu’au déclenchement de l’affaire de Suez. Cette crise va effacer, tout au moins en apparence, les divergences profondes qui séparent les deux puissances, et leur permettre la réalisation d’une alliance de circonstance contre l’Égypte.
Les premières réactions britanniques
12Le gouvernement anglais réagit vigoureusement à l’expropriation de la Compagnie de Suez. Le Cabinet accepte les vues extrêmes du Premier ministre sur ses conséquences désastreuses : si les puissances occidentales ne reprennent pas le contrôle du canal, elles perdront au Moyen-Orient leurs intérêts et leurs avoirs ainsi que leur prestige et leur influence. Toutefois la légalité de cette saisie d’un « actif international » ne peut être mise en question, car il s’agit d’un « simple achat d’actions ». Les ministres décident donc de fonder leur opposition à la nationalisation sur l’idée qu’un organisme international doit administrer le canal, « d’intérêt international ». De plus, on mettra en doute non seulement les capacités financières, techniques et administratives de l’État égyptien, mais aussi sa volonté de respecter ses obligations internationales. La préservation de ce « lien vital entre l’Est et l’Ouest », de cette artère du pétrole, exige donc que l’on place le canal sous l’autorité des pays intéressés, en raison soit de leur commerce, soit de leur utilisation. Pour obtenir ce résultat, on mettra en œuvre tous les moyens, y compris, « en dernier ressort la menace d’un recours à la force, voire son emploi ». Pour l’application de cette politique, le Cabinet institue l’Egypt Committee qui comprendra, sous la direction du Premier ministre, les titulaires des ministères les plus concernés par l’affaire de Suez : Finances, Affaires étrangères, Défense, Relations avec le Commonwealth et Transports. Pour l’instant, d’une part, ordre est donné aux chefs d’état-major de préparer une hypothétique réoccupation de la zone du canal et, d’autre part, comme une action coercitive à caractère économique paraît irréalisable, les gouvernants optent pour une concertation avec les Américains et les Français en vue de susciter « une pression politique maximale » contre l’Égypte31.
13Dès le commencement donc, l’élaboration de la politique britannique dans la crise de Suez devient l’affaire d’une poignée de dirigeants regroupés dans l’Egypt Committee, au sein duquel Eden exerce une influence prépondérante. Dans une certaine mesure, ce dernier imposera ses décisions personnelles. L’Egypt Committee va beaucoup plus loin que l’ensemble du Cabinet lorsque, le 30 juillet, il se donne pour but immédiat le renversement du gouvernement Nasser, et fait du contrôle international du canal un objectif à long terme. Cependant l’énoncé de la position officielle, adopté sur la proposition d’Eden, reste vague : « nulle solution pour l’avenir de cette grande voie maritime internationale, qui laisserait sa gestion ou son contrôle au pouvoir illimité (unfettered control) d’une seule puissance, n’aurait l’agrément du gouvernement de Sa Majesté ». Le comité ordonne également le rappel des réservistes, fixé au 2 août32. Ainsi montrera-t-on aux alliés, aux Égyptiens et à l’opinion nationale, la détermination anglaise.
14Du 29 juillet au 2 août ont lieu à Londres, entre les Français, les Britanniques et les Américains, des consultations en vue de définir une position commune sur la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez. Pour des motifs différents, Français et Américains s’accordent sur la nécessité d’un congrès durant lequel les États intéressés se prononceront sur cette question33. Devant l’orientation radicale adoptée à Londres et à Paris, les représentants des États-Unis manifestent des réserves notables. Lors des premiers contacts entre trois gouvernements, Robert Murphy, dépêché en hâte par le Président Eisenhower, insiste pour que l’on laisse « à l’arrière-plan » la question d’un recours à la force, en raison de « l’impréparation de l’opinion publique américaine ». Le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires étrangères réfute aussi l’argument selon lequel la nationalisation découle de l’annulation de l’offre de crédit pour l’édification du barrage d’Assouan, dans le but de dégager toute responsabilité de son pays dans le différend avec l’Égypte34. D’emblée des divergences importantes apparaissent, qui inquiètent l’Egypt Committee35. Il y a désaccord sur la plupart des points importants, entre Américains et Européens : sur les préparatifs militaires, jugés indispensables par les Britanniques et les Français ; sur la présence de l’URSS à la future conférence internationale sur le canal, exigée par Washington ; sur le futur communiqué tripartite pour lequel les Américains ont présenté une ébauche au contenu et à la forme très modérés ; enfin, sur les mesures financières à appliquer contre l’Égypte36.
15La participation de J.F. Dulles aux discussions de Londres, à partir du 1er août, ne permet aucunement de parvenir à une réelle harmonisation des positions des trois États sur la question du canal. Français et Anglais ne finissent par consentir à inviter l’Union soviétique à la réunion internationale projetée, qu’en échange de l’aide diplomatique des États-Unis, qui, en plus de souscrire dans l’immédiat à une déclaration tripartite énergique, doivent promettre leur concours pour une convocation rapide des puissances concernées par l’avenir du canal. Il leur faut en outre s’engager à favoriser l’adoption par le plus grand nombre possible de pays de la résolution franco-britannique pour l’instauration d’un régime international pour la voie maritime de Suez37. Sur le fond cependant, Dulles maintient une ligne modérée. Il met en garde les Britanniques contre les effets, désastreux, au plan de l’opinion mondiale, de l’utilisation de la force sans d’abord épuiser toutes les méthodes pacifiques pour trouver un règlement38. Il avertit même les ministres français et anglais que, si la circulation dans le canal, en particulier celle des pétroliers, se trouvait compromise à la suite de directives données par leurs gouvernements aux employés de l’ancienne Compagnie de Suez réquisitionnés par l’Égypte, les États-Unis « trouveraient difficile » de fournir à leurs pays « les approvisionnements de secours [en pétrole] »39. Enfin, outre son insistance à inviter les Soviétiques à la conférence de Londres et ses tentatives pour en reculer la tenue à la fin d’août, le responsable américain refuse d’aller au-delà du gel des avoirs égyptiens, dans la voie des sanctions économiques, et, notamment, de priver les Égyptiens des péages dus pour le passage des navires sous pavillon américain40. Comme l’indique le protocole final, les États-Unis ne promettent leur soutien aux initiatives franco-anglaises en faveur de la « gestion internationale » du canal, que dans le cadre du congrès à venir. Au cas où les pays assemblés ne se rallient pas aux vues avancées par Londres et Paris, ou si les Égyptiens refusent les propositions de la conférence, les trois gouvernements auront chacun toute liberté d’agir dans le sens qui leur paraîtra nécessaire41. Le seul changement notable dans l’attitude de Dulles se situe au niveau du discours, privé et public. Dans ses échanges bilatéraux avec Lloyd, le secrétaire d’État parle de la recherche d’une voie pour faire « rendre gorge (disgorge) à Nasser de ce qu’il tente d’avaler », et il n’exclut pas l’utilisation de la force comme moyen ultime42. De surcroît, il consent au communiqué tripartite dur du 3 août, dans lequel on accuse l’Égypte d’avoir saisi « arbitrairement et unilatéralement une agence internationale » et d’avoir astreint ses employés au travail obligatoire43. Ce raffermissement verbal découle assurément du désir d’éviter une rupture avec les Français et les Britanniques, et de promouvoir une coopération limitée pour, sinon influencer les deux partenaires, du moins gagner du temps. Il répond ainsi aux fortes pressions exercées par les deux gouvernements européens. Dès le 27 juillet, Eden a avisé le Président Eisenhower de la résolution anglaise de s’opposer à la nationalisation de la Compagnie de Suez et de recourir en dernière extrémité à la force si nécessaire, parce que l’influence occidentale au Moyen-Orient et l’approvisionnement en pétrole de l’Europe de l’Ouest constituent l’enjeu de la crise. Le Premier ministre a requis, dans un premier temps, une concertation en vue de susciter une pression politique maximale contre l’Égypte44. Dans une conversation privée, rapportée à la Maison Blanche, le Chancelier de l’Échiquier affirme à Robert Murphy, que le Royaume-Uni se prépare à relever militairement le défi égyptien et que, déterminé à ne pas devenir une « nouvelle Hollande », il entend replacer le canal sous le contrôle international45. Il s’agissait alors d’effrayer les Américains46. Le même ton excessif sert d’ailleurs à conditionner les opinions publiques britannique et française. Dans une lettre du 31 juillet au Premier ministre anglais, Eisenhower se prononce nettement contre une solution militaire avant l’épuisement de tous les moyens pacifiques, car elle aurait des conséquences considérables (far-reaching), dont une réaction américaine sévère, partagée par un large segment de l’opinion mondiale. Enfin le Président, qui fonde des espoirs sur le résultat de la conférence des puissances maritimes, indique que l’on pourrait amener (marshall) l’opinion américaine à soutenir une « position conciliante mais absolument forte »47. Eden renouvelle son appel au chef de l’État américain dans un télégramme, le 5 août. Il le prévient que, durant les discussions tripartites, les Britanniques ont fait les ultimes concessions possibles. Il compare Nasser à Hitler et lui attribue des ambitions impériales à l’égard du monde arabe. « Le déposer et installer un régime moins hostile au Caire doit figurer au premier rang de nos objectifs », suggère-t-il48. Français et Anglais tiennent des propos analogues lors des entretiens tripartites49. Pineau brandit en particulier la menace d’une campagne de Nasser, aidé par l’Union soviétique, contre les intérêts pétroliers occidentaux, et déclare emphatiquement que la défaite du leader égyptien importe plus à son gouvernement que « dix victoires en Algérie »50. Enfin, sans doute dans le but d’accroître la pression sur ses partenaires américains, Lloyd raidit considérablement, lors des derniers entretiens tripartites, l’attitude anglaise quant à l’éventuelle utilisation des moyens militaires. Le 1er août encore, il réserve leur emploi, « si nécessaire », au cas où les « efforts pacifiques pour un règlement international n’aboutiraient pas et que le passage des navires par le canal soit bloqué »51. Le lendemain, cependant, le secrétaire d’État dit à son homologue américain son espoir « de ne pas avoir à user de la force pour faire accepter la résolution de la conférence » à venir, mais il indique aussi qu’en cas d’échec, la Grande-Bretagne y recourra52.
16À l’objection anglo-française contre l’invitation des Soviétiques à la réunion internationale sur le canal, Dulles réplique que ces derniers mènent au plan mondial un jeu prudent et qu’ils ne contrôlent certainement pas complètement Nasser. On peut même croire, ajoute-t-il, que ni l’URSS ni l’Égypte ne rejetteraient des « propositions internationales raisonnables », si un tel refus pouvait entraîner l’usage de la force53. Au reste, la menace d’une offensive politique de l’URSS dans le monde arabe, par Égypte interposée, ne compte pas parmi les considérations exprimées au sein du Cabinet anglais, pour lequel la nationalisation représente essentiellement un défi de l’Égypte nationaliste. Déjà en janvier 1956, le Foreign Office avait, en vue de la rencontre entre Eden et Eisenhower, classé Nasser parmi les « anti-communistes déclarés », regrettant cependant son neutralisme54. Le 3 août, Lloyd affirme au Prince couronné irakien et à son Premier ministre, Noury Saïd, qu’il ne croit pas que Nasser « ait nationalisé le canal sur le conseil des Russes »55. De façon significative, dans leurs discussions bilatérales, tant les Français que les Britanniques s’accorderont à estimer « qu’avec la chute du Raïs, protéger le Moyen-Orient contre une pénétration soviétique, intérieure ou extérieure, sera même plus nécessaire qu’auparavant »56.
17Publiquement, les dirigeants américains prennent une position nuancée, même si dans un second temps, à la suite des pourparlers tripartites, ils haussent le ton57. Dulles fait en particulier, le 3 août 1956, écho aux thèses anglo-françaises sur le caractère international de la Compagnie de Suez et sur les mobiles politiques de la nationalisation, assimilée à une vengeance motivée par le retrait du projet d’Assouan (idée pourtant exclue en privé). Mais en même temps, il reconnaît le droit de l’Égypte, « pays indépendant », à rechercher le bien-être de son peuple et précise que « le colonel Nasser a fait beaucoup pour cela ». Surtout, le secrétaire d’État repousse l’idée d’une intervention militaire qui, « contraire aux principes de la Charte de l’ONU, causerait sans doute, sur une grande échelle des violences dangereuses pour la paix mondiale ». Enfin, le ministre donne pour but à la Conférence de Londres l’élaboration d’un accord sur une administration internationale du canal, dans des conditions « qui respectent, et respectent généreusement tous les droits légitimes de l’Égypte »58. Eisenhower réaffirme le 8 août dans une conférence de presse son désir d’une solution pacifique au différend avec les Égyptiens. Il exprime également à cette occasion son espoir de voir le bon sens prévaloir « chez les différentes parties »59. Il répond ainsi indirectement au télégramme envoyé par Eden le 5 août.
18Britanniques et Français n’ignorent pas que, malgré sa décision de retirer l’offre de financement pour la construction du barrage d’Assouan, le gouvernement américain ne considère pas Nasser comme un ennemi60. Ni à Londres ni à Paris, on ne se méprend sur la véritable position des États-Unis, en dépit des propos complaisants tenus en public ou en privé par Dulles. Le département d’État l’a laissé entendre sans détour dès le début de la crise : dans le cas seulement où les Égyptiens agiraient de façon inconsidérée, principalement dans l’hypothèse d’une interruption de la circulation dans le canal de Suez, on approuverait à Washington une solution militaire limitée géographiquement et avec pour seul objet le rétablissement du libre passage61. Officiellement, les Américains vont jouer, notamment lors de la future réunion internationale à Londres, le jeu de la solidarité occidentale, mais, en fait, ils misent fondamentalement sur la possibilité d’une entente, et donc d’un compromis avec l’Égypte, même hors du cadre étroit de l’internationalisation du canal voulue par les Anglais et les Français62. Si l’on peut, lorsqu’il s’agit de diplomatie, parler de « double-langage », accusation lancée à l’époque contre Dulles et reprise plus tard par ses censeurs, il faut en noter les limites63. Certes, comme le racontera Winthrop Aldrich, alors ambassadeur des États-Unis à Londres, Dulles donne au début d’août à ses partenaires « l’impression que son pays serait également disposé à employer la force si les autres mesures échouaient ». Mais il entend aussi « empêcher, par tous les moyens possibles, la situation de se dégrader au point que l’on n’aurait pas d’autre alternative que l’action militaire »64. Dirigeants britanniques et français ne peuvent se méprendre sur le sens de sa mise en garde au sujet d’un refus éventuel de Washington de remédier à la rupture des approvisionnements pétroliers de l’Europe de l’Ouest. Dans le même esprit, son exigence de voir associer l’Union soviétique aux travaux de la Conférence de Londres trahit bien la recherche d’un « consensus maximal » sur un règlement avec Nasser, ainsi que l’amorce d’une coopération indirecte entre les deux superpuissances, qui ne peut que favoriser les Égyptiens65.
19Au contraire des Américains, les Français offrent aux Britanniques un appui « sans réserve » dans l’épreuve de force avec l’Égypte. Les deux nations ne doivent pas, souligne Pineau, laisser « les hésitations et les réticences » des États-Unis freiner leur action66. Dès le 30 juillet, le gouvernement Mollet se déclare prêt à apporter le concours d’une division blindée légère et d’une brigade de parachutistes, qui peuvent rallier Tobrouk en dix ou onze jours pour effectuer une « démonstration continue de force »67.
La naissance de « l’entente cordiale de 1 956 »
20Avant d’accepter la coopération française, l’Egypt Committee doit définir les conditions qui devraient, le cas échéant, présider à une action militaire commune. Il délègue cette tâche à deux membres importants, Harold Macmillan et Lord Salisbury, autour desquels se réunissent des représentants des Affaires étrangères et Sir Leslie Rowan, l’un des hauts fonctionnaires du Trésor. Ce petit groupe d’étude, puis l’Egypt Committee, vont en fait reprendre l’essentiel des idées contenues dans un mémoire préparé par le Foreign Office et soumis le 3 août 1956 à l’approbation d’Eden. Manifestement, les Anglais ne croient nullement l’explication française selon laquelle le ministère Mollet a résolu « d’aller jusqu’au bout pour s’occuper de Nasser » à cause du problème algérien68. Ils attribuent plutôt l’enthousiasme des Français devant la perspective d’une déposition du Raïs égyptien, à leur « espoir de rétablir [leur] position traditionnelle [...] au Levant ». Il faut donc la concertation préalable des politiques des deux nations dans le monde arabe, notamment sur les sujets habituels de divergence : Israël, Pacte de Bagdad et projet anglais d’union entre la Syrie et l’Irak. Au reste, comme le note Macmillan, la crise de Suez constitue à cet égard une opportunité exceptionnelle69.
21Impossible à écarter d’une solution finale du différend du canal de Suez, en raison de la part considérable d’actions détenues par ses nationaux, la France doit, selon les diplomates britanniques, être maintenue hors du Levant, sans que cela ne paraisse70. Ces derniers prévoient la constitution d’un nouveau gouvernement égyptien prêt à souscrire à un règlement international pour le canal, que l’on occupera tant que cette obligation n’aura pas été remplie. L’équipe chargée par l’Egypt Committee d’élaborer les propositions aux Français endosse cet objectif et écarte tout concept de zone internationale le long de la voie maritime de Suez, intolérable pour tout régime en place au Caire : après les opérations militaires, les alliés administreront le canal provisoirement, puis le replaceront sous la souveraineté égyptienne, mais après en avoir confié la gestion à une Autorité internationale71. Les politiques se rangent également à l’avis des spécialistes des affaires extérieures sur l’attitude à prendre devant l’associé français à propos d’Israël, et des pays arabes. Il faut tenir l’État hébreu à l’écart du conflit armé, par la force au besoin, car son aide, quoique militairement utile, interdirait toute coopération avec n’importe quel gouvernement égyptien et aurait des répercussions négatives considérables dans tout le monde arabe. Il faut en plus obtenir des Français la réduction de leur aide militaire à Israël et, en fait, leur alignement sur la politique anglaise « du filet » (trickle) d’armement pour les États de la région. Optimistes, le Cabinet et le Foreign Office veulent tirer profit de la crise de Suez pour la réalisation de plusieurs objectifs de politique moyen-orientale. D’une part, ils envisagent un réaménagement des frontières israéliennes au profit de la future Égypte pro-occidentale. D’autre part, ils espèrent amener la France à cesser son opposition au METO et peut-être même à s’y associer directement ou indirectement. Enfin, pour le cas où la chute de Nasser provoquerait à Damas un changement de régime propice à la réalisation du vieux projet anglais d’union entre l’Irak et la Syrie, les Britanniques entendent que le gouvernement français reconnaisse que la création du « croissant fertile » ne procurerait pas à la Grande-Bretagne « une position privilégiée », forme de consentement par avance72.
22Lors des discussions des 11 et 13 août 1956, à Paris, les représentants des deux gouvernements s’efforcent, sans grand succès, de trouver une unité de vues, pas uniquement sur la question égyptienne, mais aussi sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Aucune résolution n’est encore prise sur l’emploi de la force, note le Foreign Office dans ses directives du 5 août à l’ambassadeur britannique à Paris, Sir Gladwyn Jebb. Ce dernier doit donc éviter de donner aux Français l’impression que le Cabinet anglais a opté pour une solution militaire ou, même, qu’il donne une base bilatérale à sa politique égyptienne. Il ne s’agit pas d’en arriver à une « décision anglo-française ferme », mais de limiter ces entretiens à un examen des positions de chacun73. L’Egypt Committee, qui a approuvé ces instructions, a insisté sur le caractère exploratoire à donner aux pourparlers : la réalisation d’une action militaire conjointe demeure subordonnée à l’incapacité de la Conférence de Londres à déboucher sur un règlement satisfaisant74.
23Les Français reprennent volontiers, en principe, les objectifs politiques et les modalités du projet d’intervention militaire dans la zone du canal de Suez, fixés a priori par les Britanniques. Ils admettent aussi la participation, souhaitée à Londres, d’autres États à cette entreprise contre l’Égypte. Mais alors que les Anglais font de l’occupation de tout ce pays une nécessité éventuelle, les dirigeants français l’estiment indispensable pour la sécurité des colonies européennes du Caire et d’Alexandrie, et en raison des risques d’une probable guérilla, difficultés qu’ils soulignent dès le début des entretiens, le 11 août75. En outre, tandis que Jebb observe à plusieurs occasions que le Cabinet britannique « ne considère pas la Conférence de Londres comme une formalité et recherche sincèrement une solution pacifique », Christian Pineau, présent durant la seconde et dernière rencontre avec l’ambassadeur d’Angleterre, fonde tout son discours sur l’inéluctabilité du recours aux armes76. Conscients de la détermination anglaise sur ce point, les Français consentent aussi à dissocier Israël de toute opération militaire contre les Égyptiens, et s’engagent même à respecter « les principes établis » pour le contrôle des fournitures militaires au Proche-Orient par le NEACC77. Cependant, les deux parties divergent totalement sur le concept d’une modification des frontières israéliennes au profit de l’Égypte, préconisé à Londres. Le ministre français se prononce pour la consécration du statu quo, voire, en dernière extrémité, pour un échange territorial auquel Tel-Aviv agréerait78. Globalement, il y a mésentente sur la politique arabe. Comme auparavant, on condamne du côté français le Pacte de Bagdad, vu comme cause principale du rapprochement entre Le Caire et Moscou, et l’on s’oppose à son extension au Liban ou à l’Afrique du Nord, ainsi même qu’à l’Égypte79. Il faut plutôt, disent les Français, encourager, contre le panarabisme, les nationalismes locaux et prévenir la montée « d’un autre Nasser ». Dans le même sens, même si l’on ne voit pas d’inconvénient à la mise en place d’un nouveau régime en Syrie, on rejette l’idée anglaise d’un « croissant fertile », qui consacrerait l’émergence d’un « calife irakien »80.
24Le protocole des conversations anglo-françaises des 11 et 13 juillet 1956 montre bien la base très restreinte de l’entente entre les deux pays. Essentiellement, ils conviennent que l’intervention armée conjointe, dont Sir Gladwyn Jebb fait reconnaître le caractère conditionnel, aura pour but « d’assurer le libre passage dans le canal », d’en prendre donc le contrôle jusqu’à ce qu’intervienne un accord satisfaisant avec l’Égypte du point de vue de l’internationalisation de cette voie maritime. Dans le cas où tomberait le gouvernement actuel, les deux puissances soutiendraient un nouveau pouvoir égyptien, « démocratique », « non militaire » et disposé à traiter dans le sens voulu sur le statut du canal. Les Français acceptent les propositions britanniques sur les objectifs et modalités de l’action militaire, restreinte géographiquement et dans le temps au « strict minimum nécessaire », ainsi que la mise à l’écart d’Israël. Pour le reste, sauf pour le Liban, qui devra rester mixte (chrétien et musulman), équilibré et tourné vers la Méditerranée plutôt que l’Orient, les deux associés doivent se contenter d’enregistrer leurs positions respectives, car il y a désaccord sur un éventuel règlement du problème israélo-arabe, sur l’avenir du Pacte de Bagdad ou sur le projet de « croissant fertile ». Si les Anglais ne se montrent pas hostiles aux développements de la politique nord-africaine de la France, ils sollicitent un « geste libéral » en Algérie, bénéfique dans la perspective d’une expédition en Égypte, mais que Christian Pineau ne peut promettre. Ce dernier a par ailleurs clairement tenu l’adhésion du Maroc et de la Tunisie au METO pour incompatible avec les liens privilégiés entre les deux ex-protectorats et l’Occident81. Les espoirs de chacun des deux alliés d’infléchir la politique de l’autre au Moyen-Orient, s’avèrent vains. Au reste, si devant l’intention anglaise, notifiée sans ambages, de poursuivre la consolidation voire l’élargissement du Pacte de Bagdad, les Français donnent l’assurance de cesser leurs attaques contre cette organisation, on peut croire qu’il s’agit là d’une concession de pure forme. Il en va de même pour leur engagement de suspendre l’approvisionnement, sur une grande échelle, d’armement à Israël. Mais surtout, on remarque qu’en dépit de l’apparente unité de vues atteinte lors des discussions anglo-françaises des 11 et 13 août en ce qui concerne l’Égypte et le canal de Suez, la Grande-Bretagne et la France ont des orientations bien différentes dans leur politique égyptienne. Au demeurant, depuis le début de la crise, le ministère Mollet a un comportement agressif et peu soucieux de l’opinion internationale ou américaine, qui contraste avec l’attitude du Cabinet Eden. Seul l’isolement des deux gouvernements et leur hostilité commune au régime nassérien les rapprochent.
25Conscients de la relative modération des Anglais, les Français se félicitent déjà à la fin des pourparlers tripartites du début d’août, du « durcissement » de la position britannique pour lequel ils ont oeuvré. Par exemple, ils ont contraint leur allié d’outre-Manche, préoccupé de préserver devant les Américains un front uni, à agréer leur proposition de priver l’Égypte des revenus du canal82. Au lieu de laisser leurs armateurs verser les péages à l’Autorité égyptienne, comme ils le souhaitaient, les Britanniques acceptent finalement que l’ancienne compagnie concessionnaire du canal continue à percevoir les droits de passage. On réclame même à Paris, sans succès toutefois, des signes de fermeté jugés inopportuns à Londres. En particulier, le gouvernement français dépêche le 8 août dans la capitale anglaise, les amiraux Nomy et Barjot, pour requérir des « mouvements militaires immédiats et visibles », gestes exclus à Londres, de crainte de sembler belliciste83. Le Cabinet britannique s’oppose même à la demande française d’un communiqué officiel au terme des réunions des 11 et 13 août à Paris84. Mais, fait capital, malgré la prudence observée au plan diplomatique avec les Français, l’Egypt Committee consent, dès le 5 août, à ce qu’ils participent pleinement à la planification militaire. À la demande du secrétaire d’État au Foreign Office, on annule la directive, donnée le 3 août à l’armée, de ne les informer que dans les grandes lignes sur les projets d’opérations contre l’Égypte85. Devant la tiédeur manifeste des Américains et l’impatience, voire la suspicion, des Français, il apparaît certainement nécessaire d’octroyer aux seconds le statut de partenaire, d’autant que le Royaume-Uni garde l’initiative dans tous les domaines. Mais la coopération militaire donne maintenant à ces derniers un champ d’action considérable pour surveiller et influencer la politique menée par l’Angleterre. À Paris, où l’on préconise le déclenchement d’une intervention militaire sitôt après la Conférence de Londres, on apprend avec mécontentement que les planificateurs britanniques fixent un délai de trois semaines entre la réunion internationale et le commencement des hostilités. L’ambassadeur français rencontre Selwyn Lloyd pour transmettre l’offre de son gouvernement d’aider au maximum pour le transport terrestre, maritime et même aérien, des troupes anglaises, afin de hâter les échéances. Chauvel conclut cet entretien par la remarque, sans doute dictée par Paris, qu’il « fait tout ce qui est possible pour infirmer l’idée [selon laquelle la Grande-Bretagne] traîne les pieds (drags her feet) »86.
Les avatars de la politique de fermeté engagée contre l’Égypte
26Les ministres britanniques constatent à partir de la deuxième semaine d’août 1956 que la situation intérieure évolue dans un sens défavorable à la politique égyptienne du Cabinet. Dès le 9 août, l’Egypt Committee juge qu’en raison de l’état de l’opinion internationale et parlementaire anglaise, « toute opération militaire contre l’Égypte doit représenter une riposte à un acte agressif ou provocateur des Égyptiens »87. Paradoxalement pourtant, le comité accepte le 10 août les vues des chefs de l’état-major, qui remplacent Port-Saïd par Alexandrie, comme lieu de débarquement, et prévoient, en plus de l’occupation de la zone du canal, la prise du Caire. Ce plan, dit Plan Mousquetaire, avalisé officiellement le 14 août, concrétise le concept, défendu par Harold Macmillan, d’une marche sur la capitale égyptienne et d’un renversement du régime nassérien par les armes88. Quand il approuve ce changement géographique, important au plan politique, Eden semble céder, dans l’espérance peut-être d’un casus belli pourtant improbable que fourniraient les Égyptiens, aux pressions des « faucons » de son gouvernement et de son parti, en même temps qu’il se rend aux arguments techniques avancés par les responsables de l’armée britannique. Nul doute aussi que pèse sur ce choix l’influence française, qui déjà joue au niveau de la planification.
27Lorsqu’ils considèrent le lancement d’une éventuelle expédition contre l’Égypte, le 9 août, les ministres anglais ont à tenir compte de délicates contraintes de calendrier. Il faut impartir un délai convenable à la réunion internationale, décidée lors des pourparlers entre Anglais, Français et Américains, qui ont suivi la nationalisation de la Compagnie de Suez. Les Égyptiens doivent ensuite disposer d’un temps de réponse. Le cas échéant, on examinera leur contre-proposition, et ensuite, il faudra de convoquer le Parlement. Mais alors, notent les membres de l’Egypt Committee, il pourrait être « à tout le moins embarrassant de solliciter l’approbation des Chambres pour une action militaire », d’autant plus que leurs divisions, déjà apparentes, « s’accentueraient dès lors »89. Aussi le Premier ministre suggère-t-il au comité, le 14 août, le report de toute décision sur le déclenchement d’une intervention contre l’Égypte à la fin du mois. Le comité statuera dans ce sens deux jours plus tard, bien que les chefs militaires britanniques aient établi à deux semaines le préavis nécessaire avant le début des opérations. Sans doute les Égyptiens rejetteront-ils le projet d’administration internationale du canal, qu’à l’instigation des Anglais et des Américains, les délégués des puissances invitées pour le 16 août à Londres vont adopter. Auquel cas, indique Eden, si ses dernières se prononcent pour le refus général des droits dus pour le passage par le canal ou pour l’application de sanctions financières sévères à l’égard de l’Égypte, il faudra allouer encore du temps avant de mettre en œuvre les moyens militaires. En effet, le choix d’une date pour le début d’une action guerrière doit attendre le résultat des futures discussions anglo-américaines sur les suites de la conférence, et sur la coopération qu’accorderaient les États-Unis, afin de faire pression sur l’Égypte. En outre, remarque le Premier ministre, le gouvernement devra obtenir l’assentiment du Parlement avant toute opération militaire90.
28La première Conférence de Londres regroupe, du 16 au 23 août, vingt-deux États choisis selon des critères, arbitrairement appliqués, de volume, soit du commerce, soit du tonnage des flottes commerciales qui empruntent la route de Suez. Dans cette assemblée, seules l’URSS et l’Inde défendent l’Égypte, volontairement absente. Pour la Grande-Bretagne comme pour la France, cette réunion n’a qu’un but : rallier le plus grand nombre au principe de la gestion internationale du canal de Suez91. Les États-Unis accordent loyalement le soutien actif et officiel promis, et 18 nations sur 22 acceptent la résolution anglo-franco-américaine, série de propositions en vue d établir un système international pour l’administration de la voie maritime de Suez. L’Égypte doit souscrire à une convention internationale qui instituerait une Agence du canal de Suez où siégeraient plusieurs États usagers, plus elle même. Cet organisme assurerait principalement le respect du droit au libre passage pour tous, garanti déjà par la Convention de 1888, ainsi que la gestion, l’entretien et le développement du canal92. Ce projet, qui selon les termes voulus par ses auteurs vise à « isoler le canal de la politique de tout pays », et donc de l’Égypte, est inacceptable pour le régime nationaliste du Caire. L’adhésion de la grande majorité des puissances représentées à la conférence de Londres constitue pour le tandem franco-anglais un succès de façade, stérile. En vérité, les deux associés se retrouveraient isolés s’ils tentaient d’imposer par la force aux Égyptiens ce règlement. Par exemple, on sait à Whitehall que même les Dominions n’appuieraient sans doute pas une action militaire de la mère patrie si les États-Unis n’y prenaient pas part ou ne l’approuvaient pas sans réserve. Quant aux autres membres du Commonwealth, comme l’Inde ou Ceylan, ils prendraient, à l’exception de l’Afrique du Sud, parti pour l’Égypte93.
29Après la réunion de Londres, le Royaume-Uni et la France n’ont pas d’autre choix que d’attendre la réaction égyptienne aux décisions de la conférence ou de constituer un comité international pour des discussions avec Le Caire. Dans les deux cas, l’opposition égyptienne prévisible aux exigences des Dix-huit laissera les deux puissances européennes devant trois alternatives : faire des contre-propositions à d’éventuelles offres égyptiennes, ce qui équivaudrait à négocier ; agir militairement dès que possible ; mettre sur pied hors d’Égypte, immédiatement, une autorité internationale pour la gestion du canal de Suez, en vue de coordonner l’action des pays usagers94. Dès le 20 août, Français et Anglais optent pour l’envoi dans la capitale égyptienne d’une équipe chargée de « présenter » aux Égyptiens les propositions des Dix-huit. Dulles en accepte l’idée, mais, prudent, ne consent pas à présider la délégation, dont Robert Menzies, Premier ministre australien, prendra la tête95. Évidemment, faute de mandat pour une négociation réelle, qui lui permettrait d’abandonner le principe de l’administration internationale du canal, la Mission Menzies, vouée à l’échec, ne pourra que constater le désaccord fondamental entre les deux parties au cours des pourparlers qui ont lieu du 6 au 9 septembre dans la capitale égyptienne96.
30En fait, à partir de la mi-août, Britanniques et Français se préoccupent moins de la Conférence de Londres et de ses suites au Caire que des possibilités d’une action économique contre l’Égypte et d’un recours devant le Conseil de Sécurité de l’ONU. Dès le 14 août, devant l’Egypt Committee et le Cabinet, Eden préconise la rétention générale des péages dus pour l’usage du canal, disposition déjà prise par son pays et la France. Si la Conférence de Londres se prononce pour des mesures financières sévères, il conviendra de retarder l’intervention armée, affirme le Premier ministre, qui note en plus l’opposition du Labour à l’imposition par la force à l’Égypte de toute solution que pourrait adopter le congrès des puissances. L’attitude des travaillistes, conjuguée à la modération américaine, explique l’attrait grandissant présenté par la mise en œuvre de moyens économiques, d’ailleurs de nature à susciter une riposte égyptienne, par exemple la fermeture du canal, casus belli par excellence97. Au cours des consultations tripartites tenues en marge de la Conférence de Londres, les dirigeants anglais se font les promoteurs, auprès des Français et des Américains, de sanctions économiques généralisées contre l’Égypte, appliquées par les principales puissances maritimes, dont, en premier lieu, les États-Unis, qui se sont contentés jusqu’alors de geler les avoirs égyptiens. Il s’agit surtout ici de priver les Égyptiens des revenus du canal qu’ils perçoivent encore, soit près de 40 à 50 % des droits de passage, surtout grâce aux armateurs américains98. Les Américains repoussent tout engagement quant à leur action future si l’Égypte rejette les propositions des Dix-huit99. Pressé par les Britanniques et les Français de bloquer les recettes courantes en dollars de l’Égypte et d’empêcher qu’elle n’encaisse des péages pour les navires sous pavillon ou sous contrôle américains, Dulles s’y refuse vigoureusement lors d’une rencontre tripartite, le 23 août. Il s’agirait là d’un « acte de guerre », exclu. À propos de la cessation du versement à l’Égypte, par les intérêts maritimes de son pays, des droits pour l’utilisation du canal, le secrétaire d’État américain prévoit qu’il provoquera l’arrêt par Nasser des bateaux qui se soustraient au paiement. Les Européens devraient alors en supporter le contrecoup économique : le coût du contournement de l’Afrique par les pétroliers. Dulles s’efforce manifestement de décourager toute initiative extrême, mais laisse habilement espérer une coopération future sur le plan économique « quand l’opinion publique américaine y sera suffisamment préparée »100. La remarque la plus importante du dirigeant américain réside dans son affirmation que, si les Égyptiens s’opposent au passage des navires dont les armateurs ne leur versent pas directement le péage, il faudra emprunter la route du Cap : il reconnaît ainsi le droit de l’Égypte de percevoir les revenus du canal et surtout, au contraire de ses partenaires européens, il ne considère pas l’arrêt des navires en infraction comme un motif valable de guerre. Quant aux Français, dans les échanges bilatéraux, ils montrent leur scepticisme à l’égard des dispositions commerciales et financières avancées par les Anglais, même s’ils acceptent volontiers que l’on détourne le trafic maritime par le sud de l’Afrique. Lloyd exprime clairement la répugnance compréhensible de son gouvernement à renoncer à l’usage du canal, initiative plus coûteuse pour ses auteurs que pour l’Égypte101.
31Le 14 août déjà, au sein de l’Egypt Committee, le Premier ministre britannique avait soulevé la question d’un appel éventuel au Conseil de Sécurité des Nations unies, si l’Égypte, privée des recettes du canal par les principaux pays utilisateurs, leur en interdisait l’accès. Cette démarche, précisait Eden, pouvait occuper avantageusement le délai de quinze jours préalable au déclenchement des opérations militaires102. À la fin de la Conférence de Londres, l’Egypt Committee se penche plus à fond sur cette possibilité. On observe notamment qu’une action militaire sans autre étape préliminaire pourrait apparaître comme un manquement à la Charte des Nations unies, qui prohibe l’emploi de la force, sauf dans des circonstances particulières. Ne pas tenir compte des obligations du Royaume-Uni sur ce plan aurait de plus des « effets considérables » dans le pays comme à l’étranger. En dépit des inconvénients relatifs au calendrier militaire et des risques de dérapage diplomatique, et bien qu’on ne puisse pas atteindre les objectifs fixés à la politique britannique devant le Conseil de Sécurité, l’Egypt Committee conclut que cela permettrait du moins « de plaider la cause [franco-anglaise] devant l’opinion mondiale »103. En réalité, les préoccupations domestiques, plus que les impératifs de la politique internationale, incitent le comité à opter pour l’appel au Conseil de Sécurité et cela à tel point qu’il subordonne directement la convocation du Parlement à l’annonce que l’on saisit le Conseil du différend avec l’Égypte104.
32Devant le refus américain de définir à l’avance la conduite à tenir en cas de rejet par Nasser des propositions des Dix-huit, Français et Britanniques explorent ensemble les avenues offertes à une action commune. Lloyd obtient l’accord de Pineau pour un recours conjoint au Conseil de Sécurité, malgré la probabilité d’y essuyer le veto soviétique. D’ailleurs, souligne le ministre anglais, il conviendrait, par ce mouvement, de devancer l’Égypte, que les préparatifs militaires en cours peuvent inciter à porter plainte devant le Conseil contre la France et la Grande-Bretagne. Toutefois le ministre français des Affaires étrangères n’entend pas modifier sa politique : il faudra que la résolution introduite devant le Conseil de Sécurité reprenne les demandes de la majorité des puissances de la Conférence de Londres, et enjoigne à l’Égypte d’y donner satisfaction105.
33À cause de la menace qui pèse sur les approvisionnements pétroliers du Royaume-Uni et sur sa position au Moyen-Orient, le Cabinet reconnaît unanimement le 28 août qu’il est vital pour l’intérêt national de faire échec au colonel Nasser, au besoin, en dernier ressort, par la force. Cependant les ministres s’accordent aussi sur la nécessité d’épuiser à cette fin tous les moyens pacifiques106. Ce même jour, Selwyn Lloyd avertit son vis-à-vis américain de l’intention de son gouvernement de suivre ses plans si Nasser, lors de ses échanges avec la Mission Menzies, ne semble pas avoir clairement « cédé » aux exigences des Dix-huit. Le secrétaire d’État au Foreign Office réclame l’aide américaine pour la prochaine étape, le recours au Conseil de Sécurité, dont « l’objectif principal » consistera à obtenir une meilleure position au plan international en vue de l’action « violente » (forcible) que l’on pourrait avoir à accomplir107. Par ces mots, le responsable de la politique extérieure anglaise ressert à Dulles son propre argument, qu’il avait avancé au début de la crise, sur l’obligation de rallier l’opinion internationale avant tout usage des moyens militaires. Mais aussi, il exerce une pression sur le département d’État américain pour qu’il coopère dans le cadre d’une démarche anglo-française aux Nations unies, en laissant entendre que la Grande-Bretagne se prépare à employer la force. L’annonce du regroupement de troupes françaises à Chypre et le conseil officiel de quitter l’Égypte aux ressortissants britanniques donnent du poids au message de Lloyd108.
34La réaction américaine se fait en deux temps. D’abord, Dulles met en relief les difficultés que créera le vote des membres du Conseil de Sécurité, avec le veto assuré de l’URSS aux propositions de la Conférence de Londres. Plutôt, suggère-t-il, on devrait présenter « quelque chose de plus général, tel qu’un appel aux gouvernements concernés, à conclure des arrangements internationaux effectifs en vue de garantir le respect de la liberté de navigation » dans la voie maritime de Suez109. Par la suite, le 3 septembre, le Président Eisenhower réitère, dans une lettre au Premier ministre anglais, son opposition à l’usage de la force et son désir d’un règlement négocié : il faut amener pacifiquement Nasser à accepter les offres des Dix-huit. Selon le chef du gouvernement américain, les mesures militaires et l’évacuation des citoyens britanniques consolident le soutien à Nasser et, de plus, « l’opinion publique américaine rejette catégoriquement (flatly) l’idée du recours à la force ». On peut envisager, précise Eisenhower, « une situation qui, plus tard, requière la considération des Nations unies et, naturellement, on ne devrait pas penser à une action militaire avant d’avoir laissé s’exercer pleinement [leurs] influences ». Le Président décrit aussi le rassemblement des pays usagers intervenu lors de la conférence d’août, comme une « force très utile », ce qui revient indirectement à favoriser, contre une initiative anglo-française, l’action du concert des nations110. La position ferme et nette prise par Eisenhower provoque de vives réactions à Londres. William Clark assimile à l’époque ce message à une « interdiction (ban) presque absolue » d’agir militairement, et note le sentiment de quasi-désespoir d’Eden111. Lorsqu’à nouveau, le 6 septembre, les Britanniques réclament l’assistance des États-Unis pour leur démarche au Conseil de Sécurité, Dulles refuse tout engagement à ne pas supporter une résolution qui s’écarterait des propositions des Dix-huit puissances ou qui interdirait l’emploi de la force112. Deux jours plus tard, il fait encore à Sir Roger Makins, l’observation significative que, de toute façon, un amendement à la motion présentée au Conseil de Sécurité par les Français et les Britanniques, qui prohiberait le recours aux armes, ne limiterait pas plus la liberté d’action du Royaume-Uni que la Charte des Nations unies113. Au même moment, le chef de la Délégation anglaise à l’ONU confirme le danger de désunion avec les Américains et met son gouvernement en garde contre les divergences susceptibles de se manifester si l’on saisit le Conseil sans leur accord préalable. Ils pourraient en effet voter une résolution qui, par exemple, prescrirait un appel ultérieur au Conseil de Sécurité avant toute action militaire114.
35Simultanément avec le durcissement marqué de leur attitude quant à l’éventualité d’une solution militaire à l’affaire de Suez, et pour écarter le recours franco-britannique aux Nations unies, les gouvernants américains ébauchent à l’intention de leur allié anglais l’idée d’une voie alternative pour résoudre le conflit : la création d’une association des pays usagers du canal. Ceci constituerait, de l’avis de Dulles, une réponse meilleure que la menace d’utiliser la force, qui place la Grande-Bretagne « dans une position juridiquement faible ». En effet, la Convention de 1888 donne tous les droits requis pour l’établissement d’une telle organisation, qui emploierait le personnel du canal et assurerait sa gestion technique115. Le 7 septembre encore, quand il repousse la deuxième demande anglaise d’assurances sur le soutien américain devant le Conseil de Sécurité, Dulles vante les avantages juridiques (superior merits) de l’institution d’une association des usagers aux attributions plus vastes que la seule perception des droits de passage dans le canal116. Dans sa réponse du 6 septembre au message présidentiel du 3, Eden remercie le chef de l’État américain de sa « franchise », puis il brosse un tableau excessivement sombre des conséquences d’une victoire de Nasser, comparé à Hitler. Toutefois, il relève aussi le concept avancé par Dulles de la gestion du canal par les usagers117. Le 8 septembre, dans une nouvelle lettre, Eisenhower réfute « l’image trop sombre et considérablement déformée » fournie de Nasser par le Premier ministre et il lui réitère son objection à l’usage de la force, inacceptable pour l’opinion publique américaine et qui pourrait « causer une mésentente grave » entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Entre l’action militaire et la capitulation devant Nasser, la création proposée par Dulles, d’une organisation des usagers fournit un moyen « plus lent, moins dramatique », d’atteindre le but recherché. Peut-être semi-permanente, selon le Président, l’institution envisagée résoudrait les difficultés techniques relatives au fonctionnement du canal, assurerait le pilotage des navires et leur circulation, et collecterait les péages. De cette façon, se développerait « sur le terrain », au contact de l’Égypte, « une coexistence de facto » qui procurerait aux usagers les droits revendiqués. Quant au problème politique posé par l’Égypte nassérienne, différentes possibilités demeureront ouvertes : pression économique, exploitation des rivalités interarabes, réduction de la dépendance à l’égard de la voie maritime de Suez et des pipelines existants par la construction de pétroliers et de nouveaux oléoducs. Et puis on isolerait Nasser graduellement. Il faudra peut-être finalement se servir de la force, mais, conclut Eisenhower, on ne devra pas y recourir tant que « le monde croira qu’il y a d’autres manières de régler ce différend »118. De cette seconde lettre présidentielle de septembre au leader du Cabinet britannique, deux points importants se dégagent : d’une part, Eisenhower sépare la question du canal de celle du régime nassérien, et rejette le tableau outrancier, tracé par Eden, de la menace nassérienne ; d’autre part, le Président cautionne le projet d’association des pays utilisateurs du canal de Dulles. Toutefois, s’il confirme bien au Premier ministre anglais que la future institution devrait collecter les péages, le chef du gouvernement américain spécifie également qu’elle devra « coexister » avec l’Égypte. Or cette situation ne peut être atteinte sans que l’on traite avec l’autorité égyptienne du canal et avec le pouvoir central au Caire. À l’évidence, le « Club des usagers », aux yeux de ses promoteurs, loin de viser à accentuer l’épreuve de force entre l’Égypte et les puissances maritimes, doit permettre de créer les conditions d’un règlement acceptable pour tous.
36Le 10 septembre, l’Egypt Committee renonce à porter le litige devant le Conseil de Sécurité, en raison de l’opposition américaine, et opte pour l’acceptation du plan de Dulles, choix avalisé le lendemain par le Cabinet119. Les membres du comité éprouvent cependant certaines appréhensions à l’égard des propositions, jugées vagues, du secrétaire d’État américain. Ils craignent qu’il n’emploie une tactique dilatoire afin de gagner du temps pour plus de réflexion et de négociation dans une année d’élection présidentielle120. Aux yeux des dirigeants anglais, l’attrait principal du projet d’association des usagers réside dans la perception des droits de passage par l’organisation : ils échapperaient enfin en quasi-totalité à l’Égypte. On disposerait ainsi du moyen de pression et de contrôle recherché depuis le début de la crise de Suez. Au moment où il se résout à suivre la ligne de conduite définie par les Américains, l’Egypt Committee a soin de leur demander, dans un message au ton très ferme, l’assurance qu’eux-mêmes feront verser les péages à la nouvelle institution et appelleront les autres pays à les imiter121. Dulles satisfait le 11 septembre à cette requête, mais ajoute que, hormis le remboursement des frais encourus par l’association, les sommes recueillies devront servir à une rémunération appropriée de l’Égypte pour sa contribution122. On remarque ici que parallèlement au changement d’orientation diplomatique effectué sous l’influence américaine, l’Egypt Committee modifie aussi son projet d’action militaire contre l’Égypte. Différents impératifs incitent le comité à revenir au concept initial d’une intervention dans la zone du canal : la dégradation de la position gouvernementale aux plans international et domestique ; les difficultés croissantes dues aux contretemps répétés imposés au calendrier militaire par les nécessités de la politique étrangère ; et enfin, une transformation considérable des vues du Premier ministre et de l’Egypt Committee sur le caractère et l’objet d’une éventuelle expédition militaire123.
37La volonté anglaise d’agir de concert avec les États-Unis n’a pas pour unique motif de faire contrepoids à la puissance soviétique et de décourager son implication directe dans le conflit avec l’Égypte. Plus encore, il s’agit de parer au danger économique d’un blocage du canal de Suez, voire des oléoducs qui relient le golfe Persique à la Méditerranée. Très tôt, malgré la menace brandie par Dulles le 2 août de ne pas accorder de secours pétroliers à la France et au Royaume-Uni s’ils désorganisent le trafic dans la voie maritime de Suez, le gouvernement américain s’engage à aider l’Europe occidentale, au cas où elle se trouverait coupée de ses sources habituelles124. À Washington, on choisit habilement de jouer sur le sérieux problème que poserait aux deux nations l’achat des hydrocarbures en provenance de « l’hémisphère-ouest », plus chers et surtout, acquittables en dollars. Le 28 août, le Cabinet anglais s’inquiète des conclusions pessimistes d’un mémoire du Trésor sur les conséquences d’une interruption de l’approvisionnement de l’Angleterre en pétrole moyen-oriental125. L’importation indispensable de pétrole américain créerait alors un grave fardeau pour la balance des paiements et les réserves d’or et de dollars du pays ainsi que de la zone sterling et encouragerait la spéculation contre la livre. Le coût d’opérations militaires « courtes » ne devrait pas élever de beaucoup le niveau actuel des dépenses pour la défense nationale. Si à la fermeture du canal s’ajoutait celle des pipelines, la Grande-Bretagne, prévoit-on, ne pourrait faire face à la dislocation industrielle, à la charge financière représentée par l’achat d’hydrocarbures américains et à la possible pression contre le sterling, que pendant une « période très limitée »126. À Paris, le ministre des Affaires économiques, Paul Ramadier, éprouve la même préoccupation, car la Direction des Finances estime à la fin d’août que si les approvisionnements par le canal et les oléoducs cessent, on devra obtenir une « aide spéciale » des États-Unis, une aide en dollars, c’est-à-dire : « la livraison gratuite de pétrole brut »127. De leur côté, les dirigeants britanniques doivent, le 6 septembre, constater que les Américains n’entendent prendre en ce sens aucun engagement, « au moins jusqu’à ce que les choses aient progressé considérablement »128. Néanmoins, l’Egypt Committee essaie, à la faveur des échanges avec le département d’État sur le projet de « club des usagers », d’obtenir, en plus de l’élaboration d’un plan concret d’approvisionnement d’urgence en hydrocarbures, « la reconnaissance que [le Royaume-Uni] devra requérir une assistance financière pour couvrir le coût [de ces importations] »129. Adroitement, les autorités américaines se borneront à offrir l’ouverture d’un crédit par l’Import-Export Bank, à laquelle il faudrait rembourser en dollars capital et intérêts130.
38La décision de retirer les agents de l’ancienne Compagnie de Suez encore en service, prise le 7 septembre par l’Egypt Committee, a une signification politique sans rapport avec ses effets pratiques, limités. Depuis le début de la crise, les ministres anglais refusent de laisser la société nationalisée rappeler ses employés. Dès le 2 août, Selwyn Lloyd s’oppose à ses directives, de nature à désorganiser du trafic dans le canal, ce dont on rendrait la France et la Grande-Bretagne responsables131. Le 24 août encore, il répond à une suggestion de Pineau que le départ des pilotes serait une « bonne chose, mais à condition que [leurs] deux gouvernements n’en portent pas la responsabilité apparente »132. Ceci constitue le fondement principal de la position britannique sur cette question. Toutefois, contrairement à l’idée avancée à l’époque et reprise par la suite, il y a tout lieu de penser qu’à Londres comme à Paris, on n’ignore pas que la main d’œuvre européenne n’est pas indispensable au fonctionnement de la voie maritime. Dans son récit personnel sur la crise de Suez, Lloyd fera état de son scepticisme, partagé par Pineau, au sujet de l’incapacité prétendue des Égyptiens à assurer seuls l’opération du canal133. Dès le 28 août, l’Agent supérieur de la Compagnie universelle a informé l’ambassadeur de France au Caire, Armand du Chayla, que le retrait des pilotes français et anglais ne poserait de problème pour la circulation des navires qu’en cas de brouillard, inconvénient limité en fréquence à une ou deux heures par mois134 ! On a transmis au Quai d’Orsay ce renseignement, et cela par deux fois au moins135.
39L’Egypt Committee a probablement reçu successivement des avis divergents sur les conséquences du rappel des pilotes, car, après avoir d’abord conclu, le 14 août, que ceci ne paralyserait pas inévitablement le trafic, il avance l’opinion contraire deux jours plus tard136. Pourtant les membres du comité ont évoqué la probabilité de l’envoi par le bloc communiste de nautoniers pour prêter assistance aux Égyptiens137. Deux facteurs ont assurément favorisé ce curieux revirement. D’une part, Pineau, venu participer à la Conférence de Londres, a sans doute sciemment cautionné les allégations fallacieuses de la Compagnie de Suez sur le rôle essentiel de son personnel, afin d’encourager les Britanniques à conserver une attitude énergique. D’autre part, au sein de l’Egypt Committee, certains, conscients de l’inanité du retrait des agents européens en service sur le canal, ont certainement choisi de se taire pour des motifs politiques. Dans une note du 27 août pour le comité, le secrétaire d’État au Foreign Office fait état de la position de la Compagnie qui, après avoir d’abord prétendu ne pas pouvoir maintenir à leur poste ses employés après la fin d’août, propose leur rapatriement dès la fin de la Mission Menzies138. Cette mesure aura des conséquences négatives, prévoient les diplomates : une forte diminution de l’efficience du canal avec des effets importants sur le commerce, notamment celui des pétroles, mais pas d’arrêt du trafic ; l’Égypte accusera la France et le Royaume-Uni de « sabotage », et elle obtiendra probablement des techniciens « d’au-delà du rideau de fer ». Les avantages qu’on pourrait en tirer résideraient dans la démonstration de l’incompétence de l’Autorité égyptienne du canal, dans la préservation du contrôle de l’ancienne compagnie sur son personnel et dans la détermination ainsi affichée. À l’inverse, le maintien des pilotes apparaîtrait comme « un signe de retraite ou d’incertitude ». Les responsables du Foreign Office recommandent donc qu’on ne demande pas aux travailleurs européens de « rester en poste contre leur volonté » après la réponse des Égyptiens à la Mission Menzies139. Ils observent aussi que le départ des travailleurs européens pourrait « ajouter à l’atmosphère de crise », susciter peut-être des incidents et donc justifier jusqu’à un certain point l’usage de la force. Cette considération fonde le 7 septembre la décision de l’Egypt Committee de rappeler les pilotes. D’autant, que si le canal cessait de fonctionner, la position de la Grande-Bretagne devant le Conseil de Sécurité serait renforcée140.
40En réalité, la signification politique de ce choix, déjà soulignée dans la note du 27 août de Selwyn Lloyd, tient une place essentielle parmi les raisons qui incitent les dirigeants anglais à opter pour le retrait du personnel français et anglais de la Compagnie de Suez. L’opinion intérieure reçoit un gage de résolution alors même que l’on saisit les Nations unies, véritable reculade. En outre, on contente les Français, qui avaient d’emblée voulu que l’on privât l’Égypte des pilotes européens, mais avaient consenti à prendre l’attitude modérée préconisée par le Cabinet Eden, comme sur la question des démonstrations de force. Ensuite, ces derniers ont accepté le 5 septembre, non sans réticence, que l’on porte le différend sur la gestion du canal devant le Conseil de Sécurité141. Dès le 23 août, Sir Harold Caccia, sous-secrétaire adjoint au Foreign Office pour le Moyen-Orient, remarquait qu’il s’avérerait « très impolitique » de faire pression sur la Compagnie de Suez contrairement aux vœux des Français. Or Pineau venait alors de l’avertir de la difficulté d’empêcher pendant plus de quinze jours encore les employés de l’ancienne société concessionnaire du canal de Suez de quitter leur poste142. On n’ignore pas à Londres que l’alignement de la France sur la politique égyptienne de la Grande-Bretagne engendre à Paris une contrariété croissante. Déjà le 28 août, Eden a précisé devant les ministres que les efforts de règlement de la crise par des moyens pacifiques ne devaient pas causer de délais indus, car l’allié français pourrait « rapidement donner un sens défavorable à tout ce qui pourrait être interprété comme une hésitation de la part [des Britanniques] »143. Le Premier ministre évoquera à nouveau, devant l’Egypt Committee, le lendemain du sommet anglo-français des 10 et 11 septembre, le poids grandissant de l’influence française qui s’exerce, à côté de celle des États-Unis, sur les choix du gouvernement anglais dans la crise de Suez. Décider à quel moment recourir à la force constitue un « exercice de jugement ardu », déclare Eden, car il faut tenir compte non seulement de l’état de l’opinion publique américaine, mais aussi des vues des Français, « avides » (eager) de mener une action ferme pour redresser la situation et qui « s’impatientent de plus en plus du délai »144.
41Le retrait des pilotes constitue en outre un geste révélateur d’indépendance à l’égard des Américains. Pourtant, le 9 septembre, de Washington, Sir Roger Makins a mis en garde le Cabinet contre un geste perçu outre-Atlantique comme un essai délibéré d’entraver la libre circulation dans le canal. Il faut, insiste l’ambassadeur, s’assurer que l’arrêt du trafic relève de la responsabilité de l’Égypte145. D’ailleurs, le concept de « club des usagers », avec l’accent placé par Eisenhower sur la coexistence entre cette organisation et les Égyptiens, suppose que les employés européens conservent leurs fonctions. Or leur rappel supprime le principal objet d’une coopération « sur le terrain » et accentue le caractère coercitif de l’association future, qui devient essentiellement le moyen de pression désiré par les Britanniques et les Français. Toutefois, les choix radicaux de l’Egypt Committee, à savoir placer le canal de Suez sous le contrôle international et déposer Nasser, contrastent avec la faiblesse de ses moyens politiques, économiques et militaires. En conséquence, malgré leur attitude intransigeante, les dirigeants anglais agissent avec mesure et prudence. S’engager dans la recherche d’une « pression politique maximum [sur l’Égypte] » suppose la poursuite, au moins publiquement, des objectifs propres à rallier la majorité des autres nations concernées par l’avenir du canal, pour lesquelles l’essentiel consiste à préserver le libre passage et à en garantir le fonctionnement optimal. L’institution de l’Association des usagers, voulue par les Américains, s’inscrit parfaitement dans ce cadre en tant que suite naturelle à la Conférence de Londres. Le 10 septembre, le Cabinet anglais n’a du reste pas d’autre avenue possible que d’adhérer au plan de Dulles. Dans leur offensive diplomatique contre l’Égypte, les Britanniques remportent un succès notable, mais sans lendemain, quand ils convainquent les Américains de leur accorder un appui officiel qui masque momentanément de profondes divergences. Graduellement, lorsque les États-Unis manifesteront leur volonté d’orienter les efforts communs vers un règlement de compromis, les relations se tendront. Le refus de promettre l’aide financière demandée par la Grande-Bretagne et la France pour d’éventuels d’approvisionnements d’urgence en pétrole de la zone dollar, puis la menace directe de ne pas appuyer les deux pays, voire d’agir contre eux à l’ONU, traduisent un raidissement important de la politique américaine. Ce divorce croissant avec les États-Unis rend plus précieuse la collaboration française : l’Angleterre évite ainsi l’isolement total dans son épreuve de force avec l’Égypte et bénéficie d’un concours militaire considérable. Cependant, si le gouvernement britannique parvient à imposer sa direction de fait à son belliqueux associé, les concessions multiples obtenues des Français constituent autant de dettes contractées à leur égard146. Les dirigeants anglais porteront donc la responsabilité première dans l’issue de la lutte conjointe contre l’Égypte nassérienne. Parmi les facteurs qui poussent le comité à rappeler, en dépit de l’opposition américaine, les pilotes de l’ancienne Compagnie du Canal, la nécessité de satisfaire l’allié français tient une place éminente, à côté des préoccupations domestiques. À ce moment d’ailleurs, les Américains eux-mêmes se rendent compte de l’influence grandissante et contraire à la leur qu’exercent les Français sur les choix anglais. Ainsi Dulles leur demande-t-il, mais en vain, de ne pas informer Paris du projet d’association des usagers du canal, avant qu’intervienne un accord anglo-américain à ce sujet147.
42Devant l’ambassadeur français, Selwyn Lloyd observait le 27 juillet que « ce n’était pas la peine de s’engager dans cette affaire [le conflit avec l’Égypte] si l’on n’était pas sûr d’aller jusqu’au bout », ce qui pour les Britanniques, notait Chauvel, dépendait essentiellement de la position des États-Unis148. Cette incertitude originelle empreint la politique égyptienne du Royaume-Uni durant la majeure partie de la crise justement en raison des contraintes suscitées par la diplomatie américaine, auxquelles très tôt s’ajoutent celles que crée une évolution défavorable des opinions mondiale et nationale. Les différents mouvements des dirigeants anglais sur la scène internationale semblent des atermoiements, voire des reculs successifs, par rapport au but énergiquement proclamé de ne pas laisser le canal au pouvoir des Égyptiens. Quant à l’intention secrète de l’Egypt Committee, renverser le régime nassérien, plus le temps s’écoule et plus elle semble irréaliste. Malgré l’achèvement des préparatifs militaires, on annule les dispositions prises au niveau de la planification en vue d’une marche sur le Caire pour revenir au principe d’une intervention dans la zone du canal, au demeurant problématique en l’absence de casus belli valable. Non seulement les gouvernants anglais ne peuvent-ils poursuivre leur desseins majeurs, mais ils doivent prendre en compte la fin de la courte période d’unanimité nationale provoquée par la nationalisation. Le problème du recours au Conseil de Sécurité va illustrer le jeu puissant d’impératifs diplomatiques et de forces internes antagonistes. De Washington, Sir Roger Makins met en garde le Cabinet contre toute initiative de nature à provoquer une rupture avec les Américains, mais affirme comprendre « les pressions politiques et autres » qui s’exercent sur les ministres149. La compréhension de l’influence des facteurs domestiques sur les choix du Cabinet, de l’Egypt Committee et du Premier ministre, exige maintenant l’examen de la politique intérieure anglaise depuis le 27 juillet, lendemain de l’expropriation de la Compagnie de Suez.
Notes de bas de page
1 Adamthwaite, « Suez Revisited », op. cit., p. 284-285. Eden affirmait en 1953 à ses collègues du gouvernement que, pour conserver les installations militaires situées dans la zone du canal, il faudrait réoccuper l’Égypte.
2 FO 371/118983 JE 11912/4g, note de D. Dodds-Parker, 23 février 1956. FO 371/118983 JE 11912/18, note de S. Lloyd au Premier ministre, esquisse commentée par Sir Ivone Kirkpatrick, sous-secrétaire permanent au FO, et A. Watson (African Dept.), 5 juin 1956. La base de Suez représente un intérêt transitoire en 1956 : un avantage stratégique et politique douteux pour l’armée et un souci pour les diplomates. On note les doutes de Shuckburgh sur les positions anglaises au Moyen-Orient (op. cit., p. 341).
3 CAB 134/1298 ME(O) C [Middle East Official Committee] 56, 25th Meeting, 30 mai 1956, Minute : « Suez Canal : Future Policy ».
4 FO 371/119072 JE 1424/134, note de M. Shepherd du FO sur l’avenir du canal, 30 mai 1956 ; FO 371/119045 JE 1421/2, « Draft Paper », esquisse du mémoire devant guider les délibérations du Comité sur le canal de Suez, par M.E. Johnston du Trésor, 9 mars 1956 ; FO 371/119068 JE 1421/34, note sur le développement futur du canal de Suez, 15 février 1956.
5 FO 371/119072 JE 1424/154, « The Oil Industry », rapport au FO sur la conférence de la Compagnie Shell sur l’industrie pétrolière, 26 et 27 juin, daté du 30 juin 1956. CAB 134/1298 ME(O) C 56, 8th Paper, « Minute on a Meeting between Sir Harold Caccia and Mr. Gibson, Managing Director of the Irak Petroleum Co., 29 février 1956 ». FO 371/119045 JE 1421/2, « Draft Paper », esquisse du mémoire devant guider les délibérations du Comité sur le canal de Suez, par M.E. Johnston du Trésor, 9 mars 1956 (note 9). CAB 134/1298, ME(O) C 56, 34th Revised, note sur l’avenir du canal de Suez, 16 juin 1956.
6 Trevelyan, op. cit., p. 25-27.
7 Nutting, op. cit., p. 34-35. Shuckburgh, op. cit., p. 341 et p. 345-346.
8 Clark, op. cit., p. 163.
9 A. Nutting, entretien du 14 juin 1988. L’ancien ministre d’État rappelle que ce mémorandum traçait les grandes lignes d’une politique « positive » au Moyen-Orient et non pas basée sur l’opposition à Nasser.
10 Nutting, op. cit., p. 30-31.
11 CAB 134/1298, ME(O) C 56, 35th Paper, mémoire du FO sur le projet de financement du barrage d’Assouan, pour le Middle East Official Committee, 12 juin 1956.
12 Macmillan, Riding the Storm, op. cit., p. 97-98.
13 Trevelyan, op. cit., p. 65.
14 FO 800/723, « Egypt », note de A. Watson, African Dept., FO, 2 mai 1956. FO 371/118862 JE 1053/34, directives aux représentants britanniques dans les capitales du Moyen-Orient, 28 mai 1956, selon les conclusions de la discussion du 18 mai sur l’attitude publique de la Grande-Bretagne à l’égard de l’Égypte (18 mai 1956).
15 FO 371/118863 JE 1053/40, télégramme (tél.) n° 906, de Sir Humphrey Trevelyan, ambassadeur de Grande-Bretagne au Caire, au secrétaire d’État au FO, 27 mai 1956.
16 FO 371/118863 JE 1053/51, rapport sur une rencontre entre le secrétaire d’État et l’ambassadeur d’Égypte. FO 371/118863 JE 1053/48, rapport sur une rencontre entre le sous-secrétaire permanent au FO, Sir Ivone Kirkpatrick, et l’ambassadeur d’Égypte, le 24 mai 1956.
17 CAB 134/1298, ME(O) C 56, 35th Paper, 12 juin 1956. CAB 134/1298, ME(O) C 56, 21th Paper, note sur Assouan par les secrétaires du comité, 23 mai 1956.
18 FO 371/118864 JE 1053/70, tél. n° 1181 de Sir Humphrey Trevelyan au secrétaire d’État au FO. Les responsables du ministère des Affaires étrangères ont commenté favorablement l’attitude des Égyptiens et les ouvertures de Nasser.
19 Trevelyan, op. cit., p. 75 et 77. FO 371/118863 JE 1053/51, Letter to Sir Thomas Moore, Member of Parliament, June 18th 1956. Moore avait été averti par l’attaché militaire égyptien que Nasser était disposé à tenir des propos amicaux à l’égard de la Grande-Bretagne, à l’occasion de son discours du 18 juin, mais qu’il ne ferait ce geste qu’avec l’assurance d’un bon accueil de la part du gouvernement britannique. En conséquence, S. Lloyd donna instruction à Trevelyan de vérifier la bonne disposition égyptienne et d’exprimer la même bonne volonté, signe manifeste du désir d’une détente, partagé par Londres et Le Caire. The Daily Telegraph, 27 juin 1956.
20 Par exemple, le 1er juin, l’ambassadeur américain à Londres avertissait le FO qu’en raison de la reconnaissance par l’Égypte de la Chine communiste, le Congrès lui refuserait sans doute les fonds sollicités (CAB 132/1298, ME(O) C 56, 35th Paper, 12 juin 1956). Cf. aussi Nutting, op. cit., p. 44. Il est étrange qu’Eden n’ait pas demandé que l’on étudie, dans le sens d’un affrontement ou d’un compromis avec l’Égypte, les initiatives rendues nécessaires par ce développement majeur. Selon R.R. James (op. cit., p. 197), instruction est donnée en juillet à Makins de faire savoir que la Grande-Bretagne, défavorable au retrait du projet d’Assouan, « veut conserver la possibilité d’une aide future à l’Égypte ». Pourtant, R. Lamb fait état de l’opposition d’Eden au plan de remplacement, mis en avant par le Trésor, qui propose l’édification du barrage par un consortium anglo-franco-allemand (op. cit., p. 197). L’incapacité du (suite note 20)
Premier ministre à choisir quelque option de politique égyptienne pourrait bien résulter de ses difficultés domestiques, qui redeviennent aiguës (cf. chapitre II). Selon The Economist, l’insistance des hauts fonctionnaires britanniques à promouvoir l’aide occidentale pour le projet d’Assouan s’explique par le fait que cela constitue le seul objet possible de rapprochement avec l’Égypte (vol. CLXXX, n° 5892, 28 juillet 1956).
21 CAB 134/1298, ME(O) C 56, 35th Paper, 12 juin 1956. Aussi, ME(O) C 56, 43rd Meeting, 21 juillet 1956.
22 FO 371/124441 WF 1051/19. Procès verbal des deux réunions du 11 mars 1956 aux Chequers entre le Premier ministre et Mr. Guy Mollet.
23 Documents diplomatiques français (DDF), Nouvelle série, t. II : 1955-1958, ministère des Affaires étrangères, Commission de publication des documents diplomatiques, Paris, Imprimerie nationale, 1988, doc. n° 161, I. Compte rendu des conversations franco-britanniques aux Chequers, le 11 mars, 1re réunion.
24 Shuckburgh, op. cit., p. 342 et 347.
25 Chapitre I, p. 55-56.
26 FO 371/124430, tél. n° 410, 25 mars 1956, du Premier ministre à l’ambassadeur britannique à Paris. Eden proteste personnellement contre la critique publique du Pacte de Bagdad par Guy Mollet peu après la rencontre aux Chequers, en contradiction avec les assurances de modération prodiguées.
27 DDF, doc. n° 297, compte rendu de la réunion tenue le 6 mai 1956 entre MM. Pineau, Dulles et Lloyd à Paris.
28 FO 371/124443 WF 1051/67, tél. n° 276, 13 juillet 1956, de l’ambassadeur britannique à Paris au FO.
29 FO 371/124443 WF 1051/83, procès-verbal d’une conversation entre le secrétaire d’État et l’ambassadeur de France, jeudi 26 juillet 1956.
30 FO 371/124445 WF 1052/1, notes du FO : discussions sur l’attitude à observer à l’égard de la politique coloniale de la France, 24, 26 et 27 juillet 1956.
31 CAB 128/30, CM(56) 54th Conclusions (Conseil des ministres), 27 juillet 1956, p. 469-470. Les ministres savent qu’ils n’ont pas les moyens d’appliquer des sanctions économiques adéquates. Eden, déjà, avance l’idée d’une commission internationale pour contrôler le canal. Enfin, il faut remarquer que le Cabinet accepte l’éventualité d’un recours à la force même sans le concours américain ou français. Les membres de l’Egypt Committee sont : Eden ; Macmillan ; Lloyd ; Walter Monckton, ministre de la Défense ; Lord Home, secrétaire d’État aux Relations avec le Commonwealth ; H. Watkinson, le ministre des Transports. De façon informelle, d’autres ministres importants, notamment Butler et Salisbury, participeront aux réunions du comité.
32 CAB 134/1216, EC (Egypt Committee) (56) 3th Meeting, 30 juillet 1956, p. 23. On notera que, pour le comité, cette déclaration écarte la possibilité d’une gestion égyptienne du canal même après la fin de la concession de la Compagnie de Suez en 1968.
33 CAB 134/1216, EC(56) 4th Meeting, 30 juillet 1956, p. 31-33. Pour le comité, il apparaît clairement que tant les Américains que les Français sont « très désireux (anxious) qu’ait lieu une conférence des puissances maritimes ».
34 DDF, doc. n° 94, tél. n° 3132-3140, de C. Pineau, Londres au ministère des Affaires étrangères (MAE), 30 juillet 1956. Conversations tripartites du 29 juillet 1956 entre Messieurs Lloyd, Murphy et Pineau. CAB 21/3092, Record of a Meeting between Messrs. Pineau, Lloyd and Murphy on July 30th 1956.
35 CAB 134/1216, EC(56) 6th Meeting, 31 juillet 1956, p. 47.
36 DDF, doc. n° 99, tél. n° 3188-92, 31 juillet 1956, de Christian Pineau, Londres au MAE, Entretien tripartite à Londres, 31 juillet 1956. Pineau émet de « graves réserves » sur le projet de communiqué américain tandis que S. Lloyd le juge d’une « faiblesse redoutable », d’autant qu’il ne mentionne pas la nécessité du contrôle international. CAB 21/3092, Summary Record of the Tripartite Conférence Held in London from July 29th to August 2nd 1956, 2nd Meeting, July 30th.
37 Ibid., 11e rencontre, 1er août et 12e rencontre, 2 août 1956.
38 PREM 11/1098, p. 183-185, Record of a Meeting between the Secretary of State and M. Dulles on August 1st 1956, p. 183-185.
39 CAB 21/3092, Summary Record of the Tripartite Conférence, 7th Meeting, August 2nd 1956. PREM 11/1098, note du FO au Premier ministre, « Suez Canal Company : Instructions to Employees », 2 août 1956, p. 154. Visiblement, les Britanniques prennent très au sérieux la menace de Dulles et s’opposent au retrait de son personnel par la Compagnie de Suez.
40 DDF, doc. n° 107, tél. n° 3259-68,2 août 1956, C. Pineau au MAE, conversations tripartites du 2 août 1956. Droit de transit : Dulles affirme ne pas pouvoir obliger les compagnies privées américaines à verser les droits dans un compte bloqué.
41 CAB 21/3092, Final Protocol of the Tripartite Conference Held in London from July 29th to August 2nd 1956, 2 juillet 1956.
42 PREM 11/1098, Record of a Meeting between the Foreign Secretary and Mr. Dulles on August 1st 1956, p. 184.
43 DDF, doc. n° 106, tél. n° 3257-58, 2 août 1956. Note sur les discussions tenues au cours d’un repas entre M.M. Lloyd, Pineau, Dulles et le Premier ministre britannique.
44 PREM 11/1098, tél. n° 3358, de Sir Anthony Eden au Président Eisenhower, 27 juillet 1956, p. 371.
45 Ibid., lettre du Président Eisenhower au Premier ministre, 31 juillet 1956, p. 218-219.
46 Macmillan, op. cit., p. 105.
47 PREM 11/1098, lettre du Président Eisenhower au Premier ministre, 31 juillet 1956, p. 218-219.
48 Ibid., tél. n° 3568, du Premier ministre au Président Eisenhower, 5 août 1956.
49 Ibid., Record of a Meeting between the Secretary of State and Mr. Dulles on August 1st 1956 in London, p. 183.
50 DDF, doc. n° 94, tél. n° 3132-40, C. Pineau au MAE, Conversations tripartites du 30 juillet 1956, à Londres. PREM 11/1098, Summary record..., entretiens tripartites du 29 juillet 1956, p. 231. Ibid., doc. n° 105, compte rendu d’une visite de Monsieur Dulles à Monsieur Pineau, à Londres, le 16 août 1956. Le ministre français note durant cet entretien que l’indemnisation de la Compagnie du Canal et de ses actionnaires, d’ordre juridique, ne rencontrerait sans doute pas de grande difficulté.
51 PREM 11/1098, Record of a Meeting between the Secretary of State and Mr. Dulles on August 1st 1956 in London, p. 183 (mot souligné par l’auteur).
52 CAB 21/3092, Summary Record..., 12th meeting, August 2nd 1956. Ce durcissement, qui a lieu en présence des Français, répond sans doute à la nécessité de présenter avec eux un front uni devant les Américains.
53 PREM 11/1098, Record of a Meeting between the Secretary of State and Mr. Dulles on August 1st 1956, p. 185.
54 FO 371/118861 JE 1053/1, A, Brief for Mr. Shuckburgh for his Talks in Washington with the Americans, Beginning January 12th, 1956. Date inconnue.
55 CAB 134/1217, EC(56) 31th Paper, conversation du 3 août 1956 entre S. Lloyd, Nouri Pasha et le Prince couronné d’Irak, note du 8 août 1956.
56 FO 371/118871 JE 1073/15. « The Suez Crisis », « Anglo-French Talks on the Political Aspects of Possible Intervention in Egypt », Record of a meeting between Mr. Pineau and Sir Gladwyn Jebb, on August 13th 1956.
57 The New York Times, 30 juillet 1956, déclaration publique de Dulles le 29 juillet 1956.
58 Ibid., 4 août 1956, « Eisenhower’s Remarks and Secretary Dulles’ Report on the Suez Situation », le 3 août 1956.
59 Ibid., 9 août 1956, conférence de presse du Président Eisenhower, réponse à la question « How do you feel about the use of force or threat of military force in the Suez dispute ? »
60 Français et Britanniques savent très bien que le retrait des États-Unis du projet d’Assouan, un choix tactique, ne signifie pas qu’ils renoncent à entretenir des rapports de bonne intelligence avec l’Égypte nassérienne. FO 371/124436 WF1034/55, tél. n° 277, 13 juillet 1956, rapport de Sir Gladwyn Jebb au FO sur le récent voyage de M. Pineau à Washington. DDF, doc. n° 87, tél. n° 4576-92, de l’Ambassadeur au MAE, conversation entre MM. Couve de Murville, ambassadeur de France, et Hoover, sous-secrétaire d’État adjoint aux Affaires étrangères américain, le 27 juillet 1956.
61 Ibid., doc. n° 91, tél. n° 4618-29, 28 juillet 1956, de l’ambassadeur au MAE, « Entretiens entre MM. Couve de Murville et G. Allen, sous-secrétaire d’État adjoint aux Affaires étrangères, le 28 juillet 1956 ».
62 The Washington Post, 13 août 1956, cité par The Daily Telegraph, 14 août 1956. Le journal publie le 13 août une « fuite » très révélatrice sur un entretien, le jour précédent, entre le Président Eisenhower et les leaders du Congrès : il y aurait été question du soutien des États-Unis, non pas à l’idée d’une administration internationale du canal, mais plutôt à un projet d’institution internationale qui « surveillerait la bonne marche du canal et entendrait les plaintes des nations maritimes sur les questions de péage, de gestion, de développement de la voie de navigation et de liberté de passage ».
63 Herman Finer, Dulles over Suez, Chicago, Quadrangle Books, 1964, p. 118.
64 Winthrop W. Aldrich, « The Suez Crisis : A Footnote to History », Foreign Affairs, vol. 45, n° 3, April 1967, p. 543.
65 Finer, op. cit., p. 142.
66 CAB 21/3092, Record of a meeting between Mr. Lloyd and Mr. Pineau held in the Secretary of State’s room in the House of Commons, July 30th, 1956.
67 CAB 134/1216, EC(56) 4th meeting, 30 juillet 1956, p. 33.
68 CAB 21/3092, Summary Record of the Tripartite Conférence..., Record of a conversation between the Secretary of State and Mr. Pineau, juillet 1956, rapport de Sir Gladwyn Jebb, 29 juillet 1956 (avant la première réunion tripartite).
69 CAB 134/1216, EC(56) 4th Meeting, 30 juillet 1956 ; FO 371/118871 JE 1073/1, « France and the Middle East », note du FO pour le Cabinet, August 3rd 1956 ; ibid., Record of a meeting at n° 11 Downing Street, August 3rd 1956.
70 La Compagnie Universelle du Canal de Suez et la décision du gouvernement égyptien du 26 juillet 1956 (26juillet – 15 septembre 1956), Paris, Cie. de Suez, 1956. Selon la « Lettre de la fédération des porteurs de valeurs mobilières au Président du Conseil français », citée en annexe (C4), la part des actions détenues par des Français se situe autour de 44 %, soit 79 % des actions de la Compagnie de Suez en circulation. Le gouvernement britannique en détient 44,15 %.
71 Ibid.
72 FO 371/118871 JE 1073/1, « France and the Middle East », Memorandum...
73 FO 371/118871 JE 1043, note de Sir Anthony Nutting pour l’élaboration des instructions à l’ambassadeur en France. FO 371/118871 JE 1043/2, « Draft Instructions to Sir Gladwyn Jebb », 5 août 1956 ; JE 1073/3, tél. n° 1364 du FO à Sir Gladwyn Jebb, 10 août 1956.
74 CAB 134/1216, EC(56) 10th Meeting, 4th Minute, 7 août 1956.
75 FO 371/118871 JE 1073/14, « The Suez Canal Crisis », « Anglo-French talks on the political aspects of possible intervention in Egypt », rencontre du 11 août 1956 à Paris, entre l’ambassadeur Jebb et Louis Joxe, secrétaire-général du MAE.
76 FO 371/118871 JE 1073/4, tél. n° 224, 11 août 1956, Report on the meeting with the French held on August 11th 1956 in Paris. Jebb again emphasized that we [the British] did not regard the London Conférence as a formality [...] (souligné dans le télégramme). FO 371/118996/34, tél. n° 240, Sir Gladwyn Jebb au FO, « Report on the meeting with the French held on August 13th 1956 in Paris ». Jebb remarque que Pineau a exprimé sa préoccupation à propos du délai qui pourrait précéder le début des opérations militaires.
77 FO 371/118871/15, « The Suez Canal Crisis, « Anglo-French talks... », réunion du 13 août 1956, avec, du côté français, C. Pineau. « Compte rendu de la troisième séance des discussions anglo-françaises à Paris » fait par le Quai d’Orsay (DDF, op. cit., doc. n° 125,), le 14 août 1956. Pineau, observe « que Sir Anthony Eden ne lui avait pas paru hostile à toute livraison d’armes à Israël, à condition qu’elles fussent faites secrètement sans passer par le NEACC ». Déjà, on perçoit ici une différence d’attitude entre Eden et le Foreign Office, qui ira s’aggravant.
78 Ibid.
79 Ibid.
80 Ibid, et JE 1073/14, rencontre du 11 août 1956 entre Jebb et Joxe.
81 FO 371/118871 JE 1073/7, tél. n° 229, 11 août 1956, de Sir Gladwyn Jebb au FO, Report on the meeting with the French (rencontre du même jour). FO 371/118871 JE 1073/16, « The Suez Canal Crisis ». « Conclusions reached at the Anglo-French talks held at the Quai d’Orsay on August 11th and 13th on the political aspects of possible intervention in Egypt », 14 ou 15 août 1956 (date non précisée).
82 52 J/117, Fonds Paul Ramadier, tél. n° 832 PLB/SH, 3 août 1956, de l’Attaché financier à l’ambassade de France à Londres au ministre des Affaires économiques et financières, « Paiement des droits de transit à travers le Canal de Suez ». L’attaché note que « la décision franco-britannique [de continuer le versement des péages à l’ancienne Compagnie concessionnaire] représente [pour les Français] un succès puisque les Anglais ont retiré la proposition assez étonnante de laisser les armateurs payer à la nouvelle autorité, au besoin, en devise tierce si leurs bateaux étaient arrêtés ».
83 FO 371/118996 JE 11924/G, note du 8 août 1956, requête de l’amiral Nomy au nom du gouvernement français.
84 FO 371/118871 JE 1073/3, tél. n° 216, de Sir Gladwyn Jebb au FO, 9 août 1956. Rencontre préparatoire aux discussions des 11 et 13 août 1956, entre l’ambassadeur anglais et Louis Joxe.
85 FO 371/118996 JE 11924/9. Directives données au Major général W.G. Stirling, par le Major général J.H.N. Poett, Directeur des opérations militaires, 5 août 1956. The Foreign Office has represented as a personal intervention of the Foreign Secretary that the French Planners should be put completely in the picture with Force Commanders Plans. – Directive précédente : Ministerial instructions (COS [Chiefs of Staff]. 1090, August 3rd 1956).
86 PREM 11/1099, PM/56/166, Minute on a meeting between the Secretary of State and Mr. Chauvel, August 8th 1956, p. 226. PREM 11/1126, lettre du 14 août 1956 au FO, Report on a discussion during a diner between Sir Gladwyn Jebb, Patrick Dean and Maurice Bourgès-Maunoury, p. 15. Le ministre français de la Défense demande aux diplomates anglais s’il y a « fléchissement » de la part de leur gouvernement, et reçoit l’assurance que non.
87 CAB 134/1216, EC(56) 13th Meeting, 9 août 1956, p. 101-102.
88 PREM 11/1099, EC(56) 15th Meeting, Annex : Outline plan by the COS, 10 août 1956, p. 20. CAB 134/1217, EC(56) 8th Meeting, 27th Paper, 7 août 1956, « Action against Egypt », Note by the Chancelier of the Exchequer.
89 CAB 134/1216, EC(56) 13th Meeting, 9 août 1956, p. 101.
90 Ibid., EC(56) 15th Meeting, 14 août 1956, p. 116 – 118 et EC(56) 16th meeting, 16 août 1956, p. 125.
91 CAB 134/1217, EC(56), p. 86. « Egypt Committee brief for the British Delegation », Note by the Secretary (Sir Norman Brook), August 14th 1956. DDF, doc. n° 125, « Note de la Direction générale des affaires politiques du MAE : Position française à la Conférence de Londres », 14 août 1956.
92 Nutting, op. cit., p. 182, annexe.
93 PREM 11/1094, p. 211-213, « The use of force over Suez : possible Commonwealth attitudes », mémorandum du Commonwealth Relations Office, 9 août 1956. Les responsables des relations avec le Commonwealth ne voient d’appui possible que de la Nouvelle-Zélande, et encore est-il subordonné aux réactions américaines et australiennes. Ibid., p. 86-87.
94 CAB 134/1217, EC(56), p. 90-94. « Brief to the British Délégation to the London Conférence », August 14th 1956.
95 CAB 134/1216, EC(56) 18th Meeting, Annex, August 20th 1956, p. 141. Finer, op. cit., p. 174.
96 CAB 124/1210, lettre de Sir Robert G. Menzies à Sir Anthony Eden, 9 septembre 1956. Menzies dit s’être abstenu de discuter toute contre-proposition « qui se serait [forcément] écartée des principes pour lesquels [la Mission Menzies] devait plaider, préférant un refus net à des discussions interminables » pour lesquelles il n’était pas mandaté, et qui auraient « affaibli la position [des Dix-huit puissances] en indiquant un esprit de compromis ». CAB 21/3093, Note du gouvernement égyptien, du 9 septembre 1956. Le gouvernement égyptien s’oppose à l’établissement d’un contrôle international sur le canal et à tout accord stipulant des sanctions. Il offre de réviser la Convention de 1888 et veut négocier avec les usagers pour trouver une solution aux problèmes de la liberté de passage, du développement du canal et de l’établissement de justes péages.
97 CAB 134/1217, EC(56), p. 94, « Brief to the British Délégation to the London Conférence », point 24. Les diplomates anglais espèrent que les nations maritimes pourront être amenées à adhérer à une autorité intérimaire du canal et à coopérer dans la rétention des droits de passage, jusqu’au règlement du litige. CAB 21/3092, Suez, Document 33, « Note on a meeting of the British Délégation to the London Conference », by H. Caccia. On remarque que, dans un document intitulé « Measures which may be required if Colonel Nasser rejects the invitation to negotiate », les diplomates anglais envisagent essentiellement des pressions économiques, retenue des péages et gel des balances courantes, par les États-Unis, et embargo commercial le plus généralisé possible. CAB 134/1216, EC(56) 15th Meeting, Annex, August 14th 1956, p. 116-117. CAB 128/30, CM(56) 59th Conclusions, Min. 3, August 14th 1956, p. 500- 502.
98 CAB 21/3092, note du ministère des Transports et de l’Aviation civile, 17 août 1956. Selon les informations du ministère, la Compagnie universelle du canal a déclaré percevoir encore entre 50 et 60 % des droits de passage. Devant le Cabinet, Eden évaluera la part des péages recueillie par la nouvelle autorité du canal à 30 ou 35 %, d’origine principalement américaine (PREM 11 1099, CM(56) 59th Conclusions, Minute 2,14 août 1956, p. 116).
99 CAB 21/3092, Suez, Document 26, « Record of a meeting between the Secretary of State and M. Dulles and their advisers at Lancaster House, August 21st 1956. Questionné par les Britanniques sur les mesures qu’il envisage en cas d’échec de la Mission Menzies, Dulles fait état de l’avantage de tenir alors des rencontres officielles pour examiner les possibilités d’action future, sans engagement dans ce cas, « quoiqu’il doute que quelque décision puisse être arrêtée en raison de la complexité des problèmes économiques ».
100 DDF, document n° 143, « Compte rendu de la réunion tripartite du 23 août 1956 après la clôture de la Première Conférence de Londres ». Il s’agit de discussions entre Lloyd, Pineau et Dulles.
101 Ibid., doc. n° 147, compte rendu de l’entretien franco-britannique du 24 août 1956 à Londres.
102 CAB 134/1216, EC(56) 15th Meeting, Annex, August 14th 1956, p. 116-117.
103 Ibid., 20th Meeting, Annex, August 23rd 1956, p. 155-156. Le comité conclut que le recours est souhaitable tant que le Royaume-Uni conserve « sa pleine liberté d’action ».
104 Ibid., EC(56) 21st Meeting, August 24th 1956, p. 160.
105 DDF, doc. n° 147. Compte rendu de l’entretien franco-britannique du 24 août 1956 à Londres.
106 CAB 128/30, CM(56) 62nd Conclusions, August 28th 1956, p. 526 et 528.
107 PREM 11/1100, tel. n° 3931, 28 août 1956, message du secrétaire d’État au FO pour J.F. Dulles, p. 253-254. Lloyd fixe comme but au recours au Conseil de Sécurité, la recherche du soutien de cette institution aux propositions des Dix-huit.
108 The Daily Telegraph, 30 août et 3 septembre 1956.
109 PREM 11/1100, tél. n° 633, 29 août 1956, de Sir Roger Makins, ambassadeur à Washington au FO, rapport sur un entretien avec Dulles au sujet de la demande britannique de soutien devant le Conseil de Sécurité, p. 222. On observe qu’ici Dulles propose sans détour l’abandon des propositions de la Conférence de Londres.
110 Ibid., lettre du Président des États-Unis au Premier ministre, 3 septembre 1956, p. 190. Ainsi que le remarque Nicole Deney dans son étude de la politique américaine dans la crise de Suez, l’abstention démocrate par rapport à l’affaire de Suez, durant la campagne électorale, renforce la liberté de Dulles (« Les États-Unis face à la crise de Suez », thèse de lettre dactylographiée, Université de Paris, 1956).
111 Clark, op. cit., p. 185-186.
112 PREM 11/1100, tél. n° 1828, 7 septembre 1956, de Sir Roger Makins (Washington) au FO ; rapport sur un entretien entre l’ambassadeur britannique et Dulles, p. 66-64. Ibid., tél. n° 4063, 6 septembre 1956. Le ministre des Affaires étrangères anglais fait savoir au secrétaire d’État américain que l’appel anglo-français au Conseil de Sécurité constitue un effort réel pour trouver une solution pacifique à la crise, et a pour but d’amener Nasser à se conformer à la résolution de la Conférence de Londres sous la pression internationale. Lloyd dit présumer enfin qu’Américains et Britanniques sont « d’accord n’accepter ni résolution ni amendement qui limiteraient [leur] liberté d’action ».
113 Ibid., tél. n° 1833, 8 septembre 1956, de Sir Roger Makins au FO, rapport sur une discussion entre Makins et Dulles, p. 52. L’ambassadeur anglais observait que cette remarque du ministre américain, « prononcée presque en aparté (slipped in almost as an aside), [représente] le fondement de son jugement global sur ce problème [de l’usage de la force] ».
114 Ibid., tél. n° 650, 8 septembre 1956, de Sir Pierson Dixon, chef de la Délégation britannique à l’ONU, au FO. Nul doute que les représentants américains aux Nations unies n’aient également mis en garde Dixon contre les aléas d’un appel au Conseil de Sécurité sans l’assentiment du département d’État (p. 47).
115 CAB 21/3093, tél. n° 1804, 4 septembre 1956, « Dulles’ ideas about the user’s club », rapport sur une discussion entre Makins et Dulles à Washington.
116 PREM 11/1100, tél. n° 1826, 7 septembre 1956, de Sir Roger Makins au FO, rapport sur une conversation entre l’ambassadeur et Dulles.
117 CAB 124/1210, tél. n° 4061, 6 septembre 1956, du Premier ministre anglais au Président Eisenhower.
118 PREM 11/1100, lettre du 8 septembre 1956, du Président Eisenhower à Sir Anthony Eden, p. 27-30.
119 CAB 134/1216, EC(56) 26th Meeting, 10 septembre 1956, p. 203. CAB 128/30, CM(56) 64th Conclusions, Min. 4, 11 septembre 1956, p. 539 ; 63rd Conclusions, 6 septembre 1956, p. 530.
120 CAB 134/1216, EC(56) 26th Meeting, 10 septembre 1956, p. 203.
121 PREM 11/1101, tél. n° 4136, 10 septembre 1956, du FO à l’ambassadeur britannique à Washington, Sir Roger Makins, p. 609-610. Le gouvernement anglais y faisait état de la nécessité pour le Premier ministre d’être en mesure de pouvoir faire un énoncé de politique « clair et résolu [... faute de quoi il ne pourrait] soutenir la pression [parlementaire] pour un débat au Conseil de Sécurité ».
122 PREM 11/1175, note du FO sur l’évolution de la position américaine au sujet du projet d’association des usagers du Canal de Suez, 26 septembre 1956, point n° 1 et 6.
123 CAB 134/1216, EC(56) 25th Meeting, 7 septembre 1956, p. 190 et 26th Meeting, 10 septembre 1956, p. 200-201. Les considérations des chefs de l’armée anglaise et de l’Egypt Committee, quant aux buts de guerre et aux projets d’intervention militaire, feront l’objet d’un examen ultérieur dans le chapitre VIII.
124 CAB 21/3092, « Summary Record... », 11e rencontre tripartite, 2 août 1956. DDF, doc. n° 143, « Compte rendu de la réunion tripartite du 23 août 1956, après la clôture de la Conférence de Londres ». Dans cet entretien avec Pineau et Lloyd, Dulles observait que si, par suite de la généralisation de la rétention des droits de passage, l’Égypte arrêtait la circulation dans le canal, la France et la Grande-Bretagne devraient transférer leurs achats de pétrole dans la zone dollar et que « [...] tout cela serait très avantageux pour les États-Unis ». Cf. M. Venkataramani, « Oil and U.S. Foreign Policy during the Suez Crisis, 1956-1957 », International Studies, vol. II, n° 2, October 1960, p. 107-108, 111 et 132. L’auteur explique avec justesse que les États-Unis, tout autant que les Européens, s’opposent à la mainmise de l’URSS sur les pétroles du Moyen-Orient, car elle altérerait l’équilibre mondial en faveur de cette dernière. Toutefois, Venkataramani se méprend lorsqu’il voit dans la promesse d’un approvisionnement en hydrocarbures un encouragement à l’action militaire des Européens : c’est oublier le problème crucial du paiement de ces stocks en provenance de la zone dollar, dont se sert le département d’État américain
125 CAB 128/30, CM(56) 62nd Conclusions, Min. 2, August 28th 1956, p. 526. CAB 134/1217, EC(56) 35th Paper, « The Egyptian Crisis and the British Economy », Memorandum by the Chancellor of the Exchequer, August 27th 1956.
126 Ibid, p. 11-12. Il est significatif que l’on n’évoque pas la possibilité d’opérations militaires prolongées ni celle d’une occupation de l’Égypte sur une longue période.
127 52 J/l 17, Fonds Paul Ramadier. « Note pour le Ministre », 31 août 1956, Direction des Finances extérieures, AL/JM, 4ème Bureau, n° 358 CD. Il s’agit d’une réponse à la question posée le 25 août par Ramadier sur les possibilités de solution à « l’important problème de change » que poserait la fermeture du canal et des pipelines.
128 PREM11/1100, CM(56) 63rd Conclusions, confidential annex, 6 septembre 1956, p. 130.
129 CAB 134/1216, EC(56) 26th Meeting, 10 septembre 1956, p. 204.
130 Ibid., EC(56) 27th Meeting, 12 September 1956, p. 209.
131 PREM 11/1098, « Suez Canal : Company’s Instructions to Employees », note du 2 août, rédigée par le FO pour le Premier ministre, p. 154. DDF, doc. n° 107, tél. n° 3259-68, compte rendu des discussions triparties du 2 août à 16 heures, point n° 2 sur la « situation des agents de la Compagnie maritime de Suez ».
132 Ibid., doc n° 147, compte rendu des entretiens franco-britanniques du 24 août 1956 à Londres. CAB 134/1216, EC(56) 12th Meeting, 9 août 1956, p. 97. L’Egypt Committee décide à cette date de s’opposer aux manœuvres de la Compagnie, qui conseille à ses employés de faire enregistrer à leur consulat leur demande en vue de quitter l’Égypte.
133 Lloyd, op. cit., p. 88. Dwight D. Eisenhower, Batailles pour la paix, 1956-1961, Paris, Éditions de Trévise, 1968, p. 48. Le Président affirmera avoir su que les capacités techniques nécessaires au fonctionnement du canal étaient peu élevées. Comment croire qu’Anglais et Français, à la fois utilisateurs et gestionnaires, aient pu s’illusionner à ce sujet !
134 Témoignage d’Armand du Chayla, entrevue du 7 février 1990. Christian Pineau, pourtant, maintenait toujours avoir cru aux allégations trompeuses de la Compagnie.
135 Bernard Destremau, Le Cinquième set. Du tennis à la diplomatie, 1930-1983, Paris, France-Empire, 1986, p. 198. En 1956, l’auteur était Premier conseiller à l’ambassade de France au Caire.
136 CAB 134/1216, EC(56) 15th Meeting, 14 août 1956, p. 117, et EC(56) 16th Meeting, 16 août 1956, p. 124.
137 Ibid., EC(56) 15th Meeting, 14 août 1956, p. 117, point i. PREM 11/1100, tél. n° 1814, 31 août 1956, de Sir Humphrey Trevelyan, ambassadeur en Égypte, au FO, rapport sur une conversation entre Nasser et Byroade, ambassadeur américain au Caire, p. 209.
138 CAB 134/1217, EC(56) 37th paper, note du secrétaire d’État au FO, pour l’Egypt Committee, sur le problème des employés de la Compagnie de Suez, 27 août 1956, p. 173.
139 Ibid., p. 175.
140 CAB 134/1216, EC(56) 25th Meeting, 7 septembre 1956, p. 190. On note qu’à ce moment on réaffirme que, sans les pilotes européens, les Égyptiens seraient incapables d’assurer le fonctionnement de la voie maritime de Suez.
141 PREM 11/1100, FO, JE 14 214/58g, dépêche du 10 septembre 1956, du FO à l’Ambassadeur Jebb (à Paris), « Record of the decision taken at a meeting held in Paris on the evening of September 5th 1956 between the Secretary of State (Lloyd), Mr. Mollet and Mr. Pineau ». À la demande des Français, il n’était pas question d’accepter une résolution en retrait des propositions des Dix-huit.
142 CAB 21/3092, Suez, doc. n° 33, « Note of a meeting of the British Délégation to the London Conference in Sir Harold Caccia Room at the FO on August 23rd.
143 CAB 128/30, CM(56) 62nd Conclusions, Minute 2, 28 août 1956, p. 528.
144 PREM 11/1101, EC(56) 27th Meeting, 12 septembre 1956, p. 443.
145 FO 800/740, tél. n° 1849, de Sir Roger Makins, ambassadeur aux États-Unis, au secrétaire d’État au FO.
146 PREM 11/1100, tél. n° 294, 9 septembre 1956, p. 23, de Sir Gladwyn Jebb, ambassadeur à Paris, au FO. Informé par Jebb de la reculade anglaise au sujet du recours au Conseil de Sécurité, Pineau rappelle, non sans ironie, que son gouvernement avait toujours été « plutôt opposé » à cette démarche et n’y avait consenti que pour satisfaire au besoin évoqué par le secrétaire d’État au FO de consolider la position de Cabinet britannique devant l’opposition parlementaire. Le gouvernement français, conclut Pineau, accepte l’idée d’informer seulement le Conseil de Sécurité si cela satisfait les autorités anglaises, « pour autant que cela n’écarte pas [les deux partenaires] de leur objectif commun, amener Nasser à la raison (provided thatsuch action does not deflect us from our chosen course in inducing Nasser to reason) ». Voici un exemple clair d’une concession française faite en des termes qui obligent le partenaire anglais.
147 CAB 21/3093, tél. n° 1844, de Sir Roger Makins au FO, 9 septembre 1956, rapport sur une conversation entre l’ambassadeur anglais et J.F. Dulles sur le projet de « Club des Usagers ».
148 DDF, doc. n° 90, tél. n° 3106-3112,28 juillet 1956, rapport de l’ambassadeur Jean Chauvel sur la première réunion tripartite tenue ce même jour. Dans ses mémoires, Commentaires, vol. III, De Berne à Paris, Paris, Fayard, 1973, le diplomate notera que le but anglais a d’abord consisté à préserver le libre usage du canal grâce à l’institution du contrôle international et ce n’est qu’au moment des conversations tripartites que les Britanniques se rallient à l’objectif des Français, abattre Nasser. Il est vrai que c’est seulement le 30 juillet que l’Egypt Committee fixe l’objectif du renversement de Nasser.
149 DDF, doc. n° 164, tél. n° 3820-3825,4 septembre 1956 de Jean Chauvel, ambassadeur de France à Londres, au MAE « Propositions britanniques pour des consultations régulières à tenir à l’égard de la Compagnie maritime de Suez et des initiatives qu’elle peut prendre, notamment à l’égard des pilotes ».
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