Chapitre 5. Après Newport (novembre 1839-janvier 1840)
p. 171-209
Texte intégral
1À Newport, lenormité des événements fut bientôt évidente pour tous les intéressés. Le Monmouthshire Merlin reflétait l’avis général lorsqu’il supposa que, sans les pluies torrentielles du dimanche soir, « l’attaque aurait eu lieu dans la nuit, et non au matin : elle aurait été couronnée de succès, et des maisons en flammes signaleraient le sort funeste de la ville ». C’est sans triomphalisme aucun que fut saluée la dispersion des insurgés. On craignait partout que les bandes chartistes ne se regroupent dans les montagnes pour lancer un nouvel assaut. Le lundi, vers midi, le maire blessé envoya une dépêche à Bristol, prédisant une nouvelle attaque que la ville serait incapable de repousser. Le mardi soir, et à plusieurs reprises durant les semaines qui suivirent, des foules nombreuses se réunirent dans Ebbw Vale, menaçant de descendre sur Newport. « Je suis ravi et reconnaissant de vous faire savoir que nous sommes tous en vie. Je ne m’attendais pas à ce que nous soyons vivants à cette heure-ci et en ce lieu, écrivit le mercredi un habitant, nous n’osions ni sortir, ni tenter de nous échapper, car on pensait que la ville entière allait tomber1. » C’est seulement le mardi que les nouvelles de Newport atteignirent les autres grands centres de la région, où l’on vit d’importants groupes d’ouvriers traîner dans les rues ou se rassembler dans les collines environnantes. Le samedi, sous le titre « Révolution au pays de Galles », le Western Vindicator commenta ce qui s’était produit à Newport ; le reporter affirmait que « Brecon doit maintenant être assiégée, je n’en doute pas », et que Monmouth était désormais « le principal objectif ». Dans tout le sud du pays de Galles, la crainte était tangible. Elle mit des semaines à disparaître.
2Les leaders de l’insurrection n’étaient pourtant que trop conscients de l’ampleur de leur défaite. Les combats n’étaient pas terminés que l’on aperçut la silhouette nerveuse de Frost, en larmes, fuyant Newport. Il fut arrêté cette nuit-là dans la maison d’un imprimeur chartiste, chez qui il s’était glissé pour se nourrir et se changer, trempé et épuisé après une journée passée à se cacher dans un camion de charbon. Avec l’imprimeur, ils possédaient à eux deux sept pistolets, des poires à poudre « et une immense quantité de balles ». Dans les champs autour de Newport et en haut des vallées, les manifestants affligés, parfois blessés, regagnaient leur domicile. Les plus chanceux se firent ramener par les trains des charbonnages, dont ils avaient emprunté les voies pour se rendre à Newport douze heures auparavant. William Jones fut arrêté alors qu’il brandissait un pistolet, dans un bois d’Ebbw Vale, plusieurs jours après. Dans sa poche, il avait une brochure célébrant les émeutiers de Llandiloes. Zephaniah Williams fut découvert le 23 novembre dans la baie de Cardiff, à bord d’un navire en partance pour le Portugal. Il n’était pas armé mais avait sur lui plus de cent livres sterling, essentiellement en pièces d’or. Au total, 125 personnes furent poursuivies en justice, mais on en avait initialement arrêté bien davantage, sans que le chiffre exact puisse être précisé. Beaucoup furent emprisonnés quelques jours, puis relâchés sans être accusés. Ces arrestations relevaient en partie de la précaution, en partie de l’intimidation ; beaucoup d’individus soupçonnés d’avoir été impliqués ou simplement d’avoir quitté leur domicile le 4 novembre furent appréhendés. William Roberts, avocat chartiste de Bath (et conseiller juridique de Frost), fut arrêté et incarcéré pendant quarante-huit heures parce qu’il avait été vu à Blackwood en compagnie des filles de Frost2.
3Les autorités étaient néanmoins confrontées à un grave manque de cellules pour tous ces prisonniers. Le workhouse de Newport fut transformé en geôle improvisée, symbole qui nechappa à aucun partisan chartiste. Le problème fut simplifié quand le gouvernement décida de faire juger tous les cas sérieux par une commission spéciale, au lieu d’attendre les assises de printemps. Quand la justice informelle et sommaire eut accompli son œuvre, et qu’eurent été prononcées diverses sentences pour crimes contre l’ordre public, le nombre de prisonniers à comparaître devant la commission fut réduit à environ 60. Le 11 décembre, au tribunal de Monmouth, 16 détenus furent accusés de haute trahison. Divers autres chefs d’accusation furent retenus contre 24 prisonniers. Les procès devaient commencer le 31 décembre, les premiers pour haute trahison depuis 1820. À l’époque, les auteurs de la conspiration de Cato Street avaient été condamnés à mort par pendaison, après quoi leur corps avait été décapité – vestige du châtiment jadis prescrit : pendaison et écartèlement3.
4Une torpeur incrédule s’empara alors des chartistes. La plupart d’entre eux furent totalement pris au dépourvu par les nouvelles venant de Newport ; pour ceux qui étaient au courant du complot, elles étaient « très extraordinaires et inexplicables, pour citer un chartiste londonien, elles dépassaient l’entendement de tous, ici, puisque le succès semblait si certain4 ». Peu de journaux étaient en position de relater rapidement la tragédie ; l’un d’eux prétendit que les chartistes avaient pris Newport. O’Connor, dont le bateau parti de Dublin jeta l’ancre à Liverpool le 3 novembre, passa le 4 à Manchester et le 5 à Oldham, où il apprit les premières informations au sujet du pays de Galles. En arrivant à Leeds le lendemain, il alla directement aux bureaux du Northern Star. C’est seulement alors qu’il découvrit la terrible vérité : le rédacteur en chef, William Hill, avait eu vent de la conspiration plusieurs semaines auparavant, mais il n’avait pas agi. Désespoir, incrédulité et panique s’ensuivirent.
5C’est ce qu’indique notamment le Northern Star du 9 novembre, par son silence assourdissant. La une incluait trois articles : la visite d’O’Connor à Oldham, le projet de créer une maison des syndicats à Londres, et un « thé radical » à Manchester pour fêter l’anniversaire de la naissance de Henry Hunt. À l’intérieur du journal, Newport n’était mentionné que dans le second éditorial, rendant le gouvernement responsable du « cri farouche d’hommes désespérés par la tyrannie », et dans un bref reportage, en page 6, concocté à partir d’autres journaux. En dernière page, d’autres récits de seconde main figuraient sous cette annonce laconique : « On parle d’un mouvement d’hostilité apparemment fou et mal organisé au pays de Galles. » O’Connor pataugeait et le journal aussi. Le True Scotsman et The Charter proposèrent une couverture nettement plus complète. Le samedi suivant, le Northern Star limita l’ampleur des événements à Newport, affirmant qu’il s’agissait d’une émeute impliquant tout au plus 2000 protestataires ; O’Connor reprit sa rubrique régulière avec un appel de fonds afin d’obtenir les meilleurs avocats possibles pour défendre les accusés5.
6Pour bien comprendre les ramifications de Newport et des événements qui suivirent, il est nécessaire d’examiner ce que Hill savait vraiment. L’insurrection dans le sud du pays de Galles devait initialement coïncider avec au moins deux autres soulèvements, dans le Yorkshire et le Tyneside. Le manque d’audace du Yorkshire amena cependant les Gallois à agir seuls. Comme on l’a vu au chapitre 4, Hill l’avait appris d’Ashton qui, à Barnsley, avait participé aux discussions entre certains membres de la convention, à la fin septembre. Hill ne connaissait peut-être pas le projet concernant le Tyneside. Pourtant, le docteur John Taylor dit par la suite à Lovett qu’il se trouvait alors à Newcastle, « préparant mes hommes pour quelque mesure sans leur dire laquelle ». À William Burns, délégué de la convention écossaise informé du vaste complot, Taylor demanda aussi de le rejoindre dans le Tyneside où plusieurs centaines de chartistes armés attendaient un signal de Newport. Le mardi matin, ravis par les informations erronées du Times, selon lesquelles Frost était « en possession du sud du pays de Galles, à la tête de 30 000 hommes », les chartistes de Newcastle « se retrouvèrent en groupes enthousiastes » et publièrent cette proclamation : « L’heure de la liberté britannique a sonné. » Une femme très proche de Taylor lui écrivit la semaine suivante que sa maison était « assiégée par des gens qui vous cherchent, et ils se disent tous surpris que votre nom ne figure pas de manière plus visible dans le récent mouvement6 ».
7Lorsqu’il parla à Hill, Ashton était en route pour la France, car il soupçonnait (à raison) que Peter Bussey ne serait pas capable de coordonner l’action dans le Yorkshire. Ashton demanda à Hill d’avertir O’Connor pour qu’à son tour il prévienne Frost. Peut-être Bussey manqua-t-il de courage pour le combat – c’est l’hypothèse d’Ashton – ou pensait-il que l’on manquait de temps pour agir efficacement. En 1845, Ashton prétendit que, par jalousie, O’Connor avait délibérément orchestré l’humiliation de Frost en ne lui signalant pas la perfidie de Bussey, et en envoyant George White mettre un terme aux préparatifs dans le West Riding. En 1876, quand Lovett publia son récit de troisième main, l’histoire était devenue si confuse qu’il blâma O’Connor à la fois pour avoir encouragé le complot et pour s’en être retiré, en envoyant White dans le Yorkshire et Charles Jones au pays de Galles afin de tout annuler. Lovett n’était pas l’ami d’O’Connor, et l’on ne peut guère se fier à cette version des faits : Jones était presque certainement à Londres et O’Connor assurément en Irlande7.
8Néanmoins, l’absence d’O’Connor à ce moment crucial parut suspecte et nécessite une explication. Peut-être prévoyait-il qu’après l’échec du mois sacré et le discrédit de la convention, la frustration chartiste déboucherait quelque part sur un affrontement avec les autorités ; auquel cas, il jugea peut-être préférable de s’absenter. Pourtant, en juillet, il avait été jugé coupable d’avoir publié dans le Star un libelle criminel contre certains responsables de la Poor Law, mais la condamnation avait été repoussée. S’il se rendit en Irlande – où il conservait une maison et ce qu’il restait de son domaine ancestral –, ce fut peut-être pour régler ses finances en prévision d’une amende sévère. O’Connor était un homme d’une générosité impétueuse, il devait entretenir la réputation de gentleman dont dépendait en partie son autorité au sein du chartisme, mais il était loin d’être riche. Il devait aussi de l’argent à un banquier et avait besoin d’un ensemble complexe de prêts garantis et réhypothèques. Le voyage irlandais devait se faire rapidement car, avant le 20 septembre, il ne pouvait prévoir quand la convention se terminerait. Une fois en Irlande – où il n’était pas retourné depuis 1836 –, il était logique de prolonger son séjour. O’Connor était d’une sensibilité curieuse, très conscient de son statut et de sa réputation. Outre le besoin de consolider ses finances précaires, il souhaitait vivement infliger un démenti à O’Connell, qui avait récemment affirmé qu’il était tellement dénué d’influence dans son pays natal qu’il n’osait pas y revenir8.
9L’absence d’O’Connor en Grande-Bretagne en octobre 1839 aggrava le vide causé par les arrestations nombreuses et la fin de la convention. La principale force de communication et d’unification du chartisme était absente au moment précis où son autorité personnelle aurait été le plus nécessaire. La version de Burns, pour qui le cercle de conspirateurs au sein de la convention ne faisait pas confiance à O’Connor, est assez plausible : des projets d’insurrections concertées auraient sans doute été formés même s’il était resté en Angleterre9. Contrairement à Hill, O’Connor n’aurait pourtant jamais accepté l’idée que Frost s’expose seul à mener un soulèvement gallois. Ses relations avec Frost seraient désormais toujours marquées par ce fait : O’Connor savait qu’il avait à son insu contribué au désastre de Newport. Jamais il ne pourrait expliquer la situation sans compromettre des collègues, sans risquer d’attirer sur le chartisme l’étiquette nuisible de mouvement insurrectionnel.
10O’Connor dut puiser dans ses réserves d’énergie et de résistance. Son interprétation – celle du Northern Star – était donc que le gouvernement whig était complice du soulèvement de Newport. Il avait pour le moins ignoré les avertissements signalant que son intransigeance face aux exigences légitimes du chartisme déboucherait sur des violences. En outre, laissait-on entendre, les whigs étaient « les auteurs proches autant que lointains [...] la confiance innocente de patriotes a été abusée à leurs dépens par les limiers experts et mercenaires d’une faction meurtrière10 ». On ne dispose d’absolument aucune preuve indiquant que Newport pourrait avoir été le résultat d’un complot du gouvernement ; mais des informateurs payés avaient déjà franchi la ligne trouble séparant le statut d’espion de celui d’agent provocateur. La position d’O’Connor, parfaitement compatible avec sa condamnation de la violence à des fins politiques, était largement partagée. Le True Scotsman formula de manière particulièrement convaincante l’argument des « auteurs lointains » :
Pour découvrir la cause des récentes convulsions, il faut regarder sous la surface agitée. Nous disons aux Whigs et aux Tories qu’ils en sont la cause. Ils se sont montrés sourds à la voix du peuple et, puisqu’ils ont semé le vent, ils doivent maintenant récolter la tempête. Ils ont bafoué la justice, et les vengeurs sont maintenant à leur porte [...] si nous admettons que le peuple n’a pas agi sagement en se laissant aller aux troubles civils, il ne serait jamais devenu coupable d’une telle conduite s’il avait été justement traité ; c’est donc les Whigs et les Tories, ennemis de la liberté, que nous accusons directement du terrible crime d’avoir poussé le peuple à la révolution en le rendant fou. La faute du peuple n’est que secondaire, alors que celle de ses ennemis est première11.
Les procès de Newport prirent donc une importance immense : « Regardez les procès gallois comme un combat entre le gouvernement et le peuple. » O’Connor savait qu’un avocat de haut vol était nécessaire. Il organisa rapidement un appel pour réunir la somme, offrant même les bénéfices réalisés par le Star le 21 décembre – le prix du numéro étant majoré de 5 pence et demi. Sans la convention, le journal était le seul support possible pour gérer une campagne nationale. Après les difficiles éditions des 9 et 16 novembre, le Northern Star reprit son assurance. O’Connor parcourut tout le nord de l’Angleterre afin de collecter des fonds, expérience qui le confirma dans la certitude qu’il fallait un secrétariat permanent pour soutenir le chartisme. L’objectif immédiat était cependant une agitation massive et coordonnée lorsque – ce n’était plus une hypothèse – Frost et ses collègues seraient jugés coupables. Dans le Star du 23, O’Connor évoquait avec passion « l’absolue nécessité de réunir sans attendre une nouvelle convention », appel qui fut également lancé en Écosse12. Les chartistes réalistes savaient qu’ils devaient faire basculer en leur faveur l’opinion publique ainsi que l’opinion officielle pour que les appels à la clémence soient écoutés.
11Au pays de Galles, le sombre hiver succédant à un mois de novembre plein d’inquiétudes, l’humeur de l’establishment politique s’éclaircit. Remis des blessures subies lors des combats au Westgate Hôtel, Thomas Phillips, le maire de Newport, fut largement complimenté. Une bourse de 2 000 souverains lui fut offerte par ses concitoyens reconnaissants, tandis que l’État lui accorda des félicitations nationales. Il fut nommé citoyen honorifique (Freeman) de la ville de Londres et, le 9 décembre, anobli par la reine. Élément presque aussi important, on passa outre à letiquette rigide de la Cour et Phillips fut invité à dîner en privé avec Victoria et les membres de son Conseil privé13.
12L’appel d’O’Connor à une nouvelle Convention fut entendu quand un corps semblable se réunit à Londres le 19 décembre, précédé en début de mois par une Convention des frontières – incluant des délégués du pays de Galles, d’Édimbourg et du West Yorkshire. La Convention de Londres manquait de prestige et d’autorité et sa tâche était simplement d’organiser une campagne de soutien pour les prisonniers gallois. Ses membres furent recrutés un peu au hasard, à Bolton, à Bradford, à Hull, à Newcastle, à Nottingham, dans le Surrey, à Sheffield et à Marylebone14. O’Connor consentit d’abord à être délégué de Dewsbury mais il ne participa jamais aux séances, alors qu’il était à Londres durant les trois premières semaines où elle siégea. En fait, cette nouvelle Convention n’était pas ce qu’elle semblait être. C’est là que Beniowski, jusqu’ici « particulièrement désireux de savoir quand ses services seront requis », joua un rôle clé dans le complot chartiste, en tant que délégué de Marylebone, ce qui montre bien que les récits des événements de Newport rédigés par Ashton, Urquhart et Lovett mélangent les événements survenus en décembre et en janvier suivant15.
Les soulèvements de janvier
13Face aux procès des rebelles de Newport, tous les chartistes n’adoptèrent pas l’approche d’O’Connor. « Pourquoi ne se sont-ils pas réfugiés dans les montagnes pour résister comme des hommes ? » : tel était, selon Lovett, le sentiment alors exprimé par les stratèges de comptoir. La semaine qui suivit le soulèvement, une réunion secrète eut lieu chez un chartiste de Halifax, au cours de laquelle un délégué fut élu pour assurer la liaison avec les autres localités, dans le but de « se mettre au travail, et de le faire mieux qu’on ne l’a fait au pays de Galles ». Le 15 novembre, William Cardo, personnage central du récit d’Urquhart, fut arrêté à Newport, devant le Westgate Hotel. Il prétendit qu’il était là simplement pour « essayer de connaître toute la vérité sur les récentes émeutes ». « On ne peut pas se fier à ce que publient les journaux menteurs », déclara-t-il au gérant de l’hôtel. Les soupçons furent alimentés par la rumeur selon laquelle Beniowski et Taylor avaient été vus à Newport vers la même époque. Les autorités ne purent pourtant prouver qu’il y ait eu intention malfaisante, et Cardo fut simplement placé à bord du coche de Londres dès le lendemain – quelques jours après, il avait rejoint Taylor dans le Cumberland.
14La présence de Beniowski au pays de Galles est confirmée par les renseignements reçus à Londres le 16 novembre : « Le major Beniwisk est allé observer le pays. » La principale information était cependant qu’un boulanger de Brick Lane, nommé Joseph Williams, recevait de province du courrier au nom d’un « conseil des trois », dirigeant un complot dont « le but est de mettre le feu aux propriétés, aux navires du fleuve et des docks, et d’enlever les principaux hommes d’État ». Le rapport expliquait ensuite que Williams, Cardo, Beniowski et Neesom avaient récemment pris la parole lors d’un meeting au Trades’ Hall de Bethnal Green, lieu de rassemblement habituel de la LDA. Un soulèvement simultané à Londres, Manchester et Newcastle la veille du jour où Frost pourrait être exécuté était ouvertement discuté et des fonds étaient collectés à cette fin. Peu après, Neesom se rendit dans le Yorkshire, officiellement pour voir « à quel point la classe ouvrière est disposée, quant au nombre, à s’unir pour la Charte du Peuple16 ».
15O’Connor avait plus que de simples soupçons, car il dénonça publiquement les intentions de Neesom. Il inséra aussi une annonce plus cryptique dans la rubrique destinée « aux lecteurs et correspondants » dans le Northern Star du 23 novembre :
Aux habitants de Dewsbury : je n’en sais pas plus à ce sujet que si j’habitais la lune. Je n’en avais même jamais entendu parler jusqu’à lundi dernier. Cela fait plus de deux mois que je n’avais pas vu George White. Je n’ai joué aucun rôle dans le mauvais tour que l’on a joué au peuple. Il ne sera pas difficile de mettre la selle sur le bon cheval.
La référence à White évoque le rôle qu’Ashton devait plus tard prêter à tort à O’Connor. C’est en fait Bussey qui avait envoyé White annuler l’insurrection du Yorkshire prévue pour coïncider avec celle de Newport. « Le bon cheval » ne peut être que Bussey, alors en partance pour l’Amérique, et sujet d’une ballade grivoise chantée dans les rues de Bradford, où l’on prétendait, pour faire bonne mesure, qu’un certain « Equality Peter » (« Peter Égalité ») avait décampé avec l’argent des chartistes locaux17. Les preuves impliquant O’Connor dans un réseau de conspirateurs sont maigres et peu fiables – il aurait promis 500 livres sterling à un « Conseil de guerre » chartiste, selon un informateur londonien anonyme –, mais il était certainement au courant des projets et se tint donc à distance respectueuse des réunions de délégués de Newcastle, de Manchester et du Yorkshire, début décembre, quand les plans furent débattus. Il y eut néanmoins un dialogue entre O’Connor et les principaux conspirateurs, car le 8 décembre John Taylor écrivit à une amie proche :
La crise approche, et à grands pas [...] on dit que votre ami irlandais O’Connor a montré la couardise dont ses ennemis l’accusent depuis toujours, et qu’après avoir trahi les hommes d’Angleterre sur la question des grèves, il refuse à présent de prendre le parti des hommes de son propre pays (le Yorkshire) ; il cherche de l’argent pour payer les avocats, comme si l’argent pouvait sauver Frost lorsqu’il sait que chaque avocat donnerait dix années d’honoraires pour le pendre ; si cela peut se faire, d’autres moyens doivent être employés et les chartistes ne méritent pas le nom d’hommes s’ils ne les essayent pas18.
Taylor ajoutait que « le Polonais n’est pas allé au pays de Galles » et laissait entendre qu’une date proche de Noël serait choisie pour le soulèvement. Tout cela était plausible. Le 17 décembre, les magistrats de Bradford furent informés que l’insurrection était prévue pour le 27 et que la Convention de Londres donnerait le signal final. Les filatures seraient incendiées à des points stratégiques pour détourner l’attention de l’armée. À Manchester, une source suggérait que le Yorkshire et le Lancashire se soulèveraient à la fin du mois, situation que Napier estima assez sérieuse pour qu’il se rende en personne à Bradford peu avant Noël19.
16Tout cela se déroulait dans une atmosphère clairement belliqueuse. Une nouvelle édition des Défensive Instructions de Macerone fut publiée. Napier reçut par courrier anonyme un projet visant à mettre le feu à la caserne de Nottingham – « une ruse pour nous inquiéter », conclut-il. À Sheffield, on fabriquait des chausse-trappes et des explosifs, ces derniers étant testés sur une église de Bramhall Lane le 25 novembre. On fabriquait aussi des explosifs à Nottingham, où la poudre à canon était ouvertement en vente. Newport n’avait rien fait pour calmer les nerfs des juges de paix anglais et Napier remarqua qu’à Birmingham, Bolton, Bradford et Carliste, « les magistrats [...] ont décidé que leur ville était le quartier général du chartisme, ce qui n’était pas vrai. C’est à Manchester que tout se joue ». Cette dernière affirmation est fort douteuse, mais c’est là que les délégués du Nord se réunirent secrètement dans la deuxième semaine de décembre. Taylor détailla ses préparatifs dans le Cumberland : il avait « 900 hommes prêts à se lever, bien armés, bien équipés à tous points de vue, et il avait apporté 1 000 chemises pour ses hommes à 2 shillings 6 pence pièce, avec deux poches pour les munitions sur la poitrine et une ceinture pour les pistolets ou l’épée ». Début janvier, au cours de plusieurs incidents, des soldats ou sentinelles isolés essuyèrent des coups de feu. Selon la rumeur, les chartistes de Londres s’étaient ligués avec les radicaux français, et les juges seraient assassinés alors qu’ils se rendraient au procès de Frost20.
17O’Connor avait du mal à vivre calmement dans la perspective d’un Newport anglais. Lorsqu’il rédigea le commentaire cité ci-dessus à propos de ce dernier, Taylor avait peut-être vu le Northern Star de la veille, où O’Connor mettait en garde « contre ceux qui exagèrent l’enthousiasme d’une localité quand ils s’adressent aux habitants d’une autre localité [...] Nos ennemis ne peuvent nous battre ouvertement, mais nos amis peuvent le faire secrètement21 ». Cependant, vers Noël, une délégation de la Convention de Londres se présenta à l’hôtel où O’Connor préparait la défense de Frost. Ils lui reprochèrent son absentéisme et demandèrent ce qu’il ferait si Frost était condamné. O’Connor aurait alors répondu qu’il « se placerait à la tête du peuple d’Angleterre et qu’il y aurait une f... e r...... n22 » pour sauver Frost. Quatre ans plus tard, quand cette histoire fut au centre d’un débat public, O’Connor affirma avoir simplement dit qu’il risquerait sa vie plutôt que de laisser pendre Frost.
18Quoi qu’il ait dit, la délégation repartit avec la nette impression qu’il était prêt à se battre : telle fut l’information transmise aux émissaires du West Yorkshire à la fin du mois, quand le soulèvement fut fixé au 12 janvier. O’Connor se trouvait alors à Monmouth – il assista à l’intégralité des procès de Newport. Henry Ross, membre de la LWMA, bien connu d’O’Connor depuis le temps où ils étaient ensemble à la CNA, fut envoyé pour lui communiquer les dernières dispositions. Ross lui apprit que Beniowski serait « commandant en chef » des chartistes, à cause de son expérience et de ses compétences sur le terrain, mais une fois le soulèvement terminé, il serait fusillé puisque ses collègues le considéraient comme « un homme dangereux et ambitieux ». O’Connor nia par la suite avoir donné à Ross l’impression qu’il se joindrait à l’aventure ; Lowery, délégué de Newcastle à la Convention de décembre, affirma quant à lui que la visite de Ross avait simplement pour but de demander à O’Connor de payer les frais de déplacement des délégués23.
19Le mardi 31 décembre, date prévue pour le procès de Frost, approchait à grands pas. Si O’Connor avait indiqué qu’il conduirait un soulèvement, c’était peut-être parce qu’il comptait en fait sur l’acquittement de Frost. La notion de haute trahison, zone juridique controversée et rarement mise à l’épreuve, résume toute une série de délits. Quatre chefs d’accusation avaient été retenus contre Frost : deux pour avoir « fomenté la guerre contre Sa Majesté dans son royaume », l’un pour « complot visant à priver la Reine de ses statut et dignité royaux » et l’un pour « complot visant à fomenter la guerre contre la Reine dans l’intention de l’obliger à changer de politique ». Cela laissait une marge considérable pour le doute raisonnable, stratégie inlassablement poursuivie par les avocats de Frost durant ce procès long de neuf jours. En privé, ils avaient confié à O’Connor leur conviction que Frost ne serait pas condamné. Ils discréditèrent certains témoins à charge, forcèrent l’accusation à en abandonner d’autres et bâtirent un argumentaire technique important sur des détails de procédure concernant les témoins qui n’avaient pas été communiqués à la défense. Le principal magistrat, le procureur général sir John Campbell, n’était guère éloquent. Le mercredi 8 janvier, quand le juge résuma le dossier, tout le monde pensa qu’il orientait le jury vers le verdict « non coupable ». Ce soir-là, Campbell écrivit : « À mon total désarroi, Tindal suggéra un acquittement. » Quand les jurés se retirèrent, Campbell réunit en hâte son équipe « pour réfléchir à ce qu’il faudrait faire après l’acquittement, et nous décidâmes qu’il serait vain de poursuivre les autres pour trahison ». Soudain, ils furent interrompus par un messager. Il avait fallu à peine une demi-heure au jury pour parvenir à un verdict unanime24.
20Coupable, en recommandant la clémence, tel fut le verdict. La condamnation était repoussée jusqu’à ce que tous les procès soient terminés. Dans les jours qui suivirent, les procès de Williams et de Jones parvinrent à la même conclusion. D’autres insurgés décidèrent de plaider coupable dans l’espoir de s’attirer des sentences moins sévères. Des cas mineurs d’émeute et de conspiration furent expédiés en quelques heures par le tribunal, et contre toute attente Campbell renonça à toute accusation pour certains dossiers. Cela suscita inévitablement des soupçons : après avoir obtenu les verdicts qu’il souhaitait pour les principaux cas, le gouvernement était disposé à se montrer plus indulgent, aveu tacite de l’ambiguïté des preuves. On pouvait donc à raison espérer que la clémence l’emporterait quand la cour se réunirait pour prononcer les sentences. Dans toute la Grande-Bretagne, les chartistes s’activèrent pour garantir leur liberté. La majorité d’entre eux, coordonnée par O’Connor et le Northern Star, opta pour une pétition.
21Une minorité, en revanche, choisit ce moment pour mettre en place les projets d’insurrection anglaise. L’insurrection prévue le 12 janvier fut apparemment confirmée quand des délégués du nord de l’Angleterre se rassemblèrent à Dewsbury le 28 décembre. O’Connor affirma par la suite que James Arran, de Bradford, et Richardson, de Manchester, lui avaient peu après demandé de se rendre à Dewsbury pour « prendre les commandes » : mais cela ne cadre pas du tout avec les déplacements d’O’Connor, à moins qu’ils ne l’aient rencontré à Monmouth – O’Connor prétendit avoir répondu qu’il ne prendrait jamais « les commandes d’une armée que je n’avais pas moi-même réunie ». Un autre récit quasi contemporain évoque la « trahison des chartistes de Dewsbury » par O’Connor, mais la situe dans les jours qui précédèrent immédiatement Newport, nouvel indice du pêle-mêle que constituèrent dans l’esprit des contemporains les soulèvements gallois et anglais25.
22O’Connor resta à Monmouth pour le procès des autres prisonniers de Newport. Néanmoins, l’on s’attendait dans le Yorkshire à ce que, le samedi 11 janvier, le Northern Star paraisse avec une section imprimée en rouge, en guise de signal pour l’insurrection. Ce ne fut pas le cas, mais le journal incluait un éditorial dénonçant tous les complots et un appel à « ne pas nuire à la cause de Frost et de ses associés [...] par une éruption de violence physique ». Cela explique en partie pourquoi les soulèvements qui se produisirent en Angleterre aux premières heures du 12 janvier manquèrent singulièrement de vigueur. Pourtant, il existait une différence très nette entre les attitudes anglaise et galloise en matière de projets d’insurrection. Dans le Lancashire, il n’y avait qu’une légère étincelle, sensible surtout à travers les actes de modérés influents qui veillèrent à ce que leur région reste calme. À Nottingham, Napier multiplia les patrouilles en réponse aux rumeurs ; dans les rues, il croisait des « sentinelles chartistes » armées mais qui « ne manifestaient aucune violence ». À Newcastle, ne se présentèrent qu’à peine un dixième des 700 chartistes armés attendus. Ils furent aussitôt renvoyés chez eux par Devyr, reporter du Northern Star, lequel fut néanmoins menacé de mort par l’un d’eux, qui aurait voulu incendier la château d’Alnwick, faute de mieux. Cette tête brûlée était Robert Peddie, fabricant de corsets à Édimbourg, récemment arrivé dans le Tyneside au cours de son éphémère carrière d’agitateur chartiste.
23À Dewsbury, on tira des coups de feu et des ballons furent lancés en guise de signal, auxquels répondirent deux villages voisins. Les troubles cessèrent lorsque l’un des ballons prit feu. À Bradford, on entendit des tirs et, selon un témoignage, la route reliant la ville à Halifax était « complètement remplie d’hommes munis de torches et de lances ». Les magistrats de Bradford s’attendaient à un soulèvement cette nuit-là, mais rien ne se produisit. À Barnsley, une foule de chartistes armés se rassembla mais, comme la cavalerie du Yorkshire patrouillait, et comme ils n’avaient eu vent d’aucun soulèvement à Sheffield, ils se dispersèrent26.
24Sheffield fut pourtant le cadre de troubles sérieux cette nuit-là. Le principal chartiste militant de la ville, Samuel Holberry, était en contact étroit avec divers centres depuis quelques semaines, dont Barnsley, Bradford, Dewsbury et Nottingham. Des meetings de classe, bien gardés, eurent lieu dans plusieurs maisons de Sheffield. Si l’on peut se fier à la déposition de chartistes arrêtés qui témoignèrent pour l’accusation, Sheffield était plutôt bien équipé dans le cadre du complot du West Riding. Outre les chausse-trappes, poignards et piques omniprésents, « Boardman dit avoir un millier de cartouches, James Marshall dit en avoir environ 400, je dis en avoir environ 400, Birks dit qu’il n’en avait que quelques-unes, Holberry dit qu’il avait beaucoup de grenades à main et, si je ne me trompe, il dit douze douzaines, et quantité d’explosifs », se rappelait Samuel Thompson, tourneur de fer, d’après une conversation entre les principaux conspirateurs, le vendredi précédent.
25Thompson, Boardman, Marshall et Birks étaient les leaders de quatre des huit sections entre lesquelles étaient répartis les conspirateurs de Sheffield, avec Holberry à leur tête – il y avait en outre des contingents à Attercliffe et Rotherham. Cinq leaders de sections prétendaient pouvoir rassembler en tout 224 insurgés : si ce chiffre est exact et reflète la taille des autres groupes – rien n’est moins sûr –, on peut évaluer à 450 personnes leur force totale. Des chiffres assez semblables sont mentionnés pour Dewsbury, Bradford et Barnsley. Même selon les estimations les plus audacieuses, la mobilisation du West Riding du 12 janvier 1840 n’aurait de toute manière jamais égalé celle de Newport27.
26Si le complot s’effondra, c’est à cause de James Allen, tenancier du pub de Rotherham où se retrouvaient les leaders. « Ardent chartiste », Allen avait été mis dans le secret par ces derniers, lesquels ne soupçonnaient pas que ses sympathies n’allaient pas jusqu’à l’insurrection. Allen fit part de ce qu’il savait au chef de la police de Rotherham, qui l’encouragea à prendre pleinement part au soulèvement projeté. Le 11 janvier en début d’après-midi, Allen se rendit à Sheffield pour recevoir les ultimes instructions. À son retour, il les transmit directement à un magistrat qui les attendait. Holberry fut arrêté chez lui vers minuit. Ce fut une fin prosaïque pour la carrière de l’un des rares chartistes anglais à avoir mis son expérience militaire au service du mouvement. Son objectif était de prendre le contrôle de Paradise Square, vaste espace ouvert au centre de Sheffield, autour duquel étaient regroupés l’hôtel de ville, le commissariat, d’importants bâtiments commerciaux et des relais de poste. Pour faciliter la manœuvre, des détachements devaient faire diversion en attaquant le domicile des magistrats, la caserne de Sheffield et d’autres sites à Rotherham. Quand Holberry ne se présenta pas à l’heure dite, la plupart des participants s’en alarmèrent : moins de cinquante personnes surgirent de l’ombre, luttèrent brièvement contre la police et les gardes de nuit avant de disparaître. Une poignée d’éminents chartistes furent pourchassés et arrêtés. Parmi ceux qui réussirent à s’enfuir figurait Ashton, revenu de France avec un Français anonyme. Peut-être les liens putatifs entre chartistes anglais et révolutionnaires français avaient-ils porté leurs fruits ; à moins qu’il ne se soit agi du major Beniowski – qui parlait mal l’anglais mais qui, en Polonais instruit, devait maîtriser le français28.
27L’insurrection avortée de Sheffield passa au second plan car on attendait les nouvelles de Monmouth, où les sentences devaient être prononcées le jeudi 16 janvier. On en oublia également l’unique indice témoignant de la possible dimension métropolitaine du complot chartiste. Le mardi 14, une rumeur se propagea dans les quartiers est de Londres : « Le soulèvement des chartistes, prévu depuis longtemps, devait avoir lieu ce soir-là à minuit. » On prédisait en particulier que les docks seraient incendiés. Le mercredi, au réveil, les Londoniens virent des messagers à cheval qui reliaient constamment les commissariats à Whitehall ; les camions de pompiers, appartenant aux paroisses ou aux compagnies d’assurances, étaient prêts à intervenir, tout comme les « engins flottants » sur la Tamise. L’armée était en état d’alerte. Rien ne se produisit. La nuit suivante, la LDA se réunit dans le Trades’ Hall de Bethnal Green. 600 personnes se pressaient dans la salle (« principalement des ouvriers ») et une centaine d’autres, surtout des femmes, sur la galerie. Beniowski, Neesom et Williams étaient à la tribune.
28La séance s’ouvrit, comme d’habitude, par un hymne chartiste. Selon les témoins et les espions de la police, Beniowski enflamma l’auditoire par une déclaration passionnée : seul « le sang, le sang, le sang, rien que le sang » pourrait conquérir la liberté. Puis Williams prédit que cette liberté serait gagnée en moins de quatre semaines, après quoi Neesom promit : « Nous brandirons dans quatre jours le glaive de la liberté. » Richard Spurr, membre de la LWMA, conseillait à ses auditeurs : « Placez votre confiance en Dieu, et laissez votre poudre sèche », quand la police fit irruption dans la salle, sabres au clair. Dans le tumulte qui s’ensuivit, plusieurs militants de la LDA furent arrêtés, dont Neesom. Beniowski prit rapidement la fuite par une porte latérale, abandonnant « un redoutable gourdin ». La police découvrit deux pistolets chargés, une épée et une pique. Le sol était jonché de balles, de cartouches et de couteaux29.
29On l’a vu, la possession d’armes, même d’armes à feu chargées, n’avait rien d’inhabituel lors des meetings chartistes ; et à cette époque, la détention n’était pas un délit en soi. Il paraît probable que cette descente de police ait été préventive, au cas où la condamnation de Frost se serait accompagnée de violentes manifestations à Londres. En tout cas, il ne faut pas surestimer la conspiration : la grande majorité des chartistes attendait les nouvelles de Monmouth non pas les armes à la main, mais en espérant simplement que la sentence refléterait l’appel du jury à la clémence. Ces espoirs furent pourtant anéantis le 16 janvier, quand Frost, Williams et Jones furent condamnés. Ils seraient traînés à la potence, pendus jusqu’à ce que mort s’ensuive, puis leur corps serait publiquement décapité et leur torse équarri. Leur dépouille reviendrait à la Couronne, et non à leur famille. La simple lecture de ce verdict peut encore donner la nausée : en 1839, l’effet fut accablant. La campagne en faveur de la clémence, déjà importante, se transforma du jour au lendemain en mouvement de masse pour implorer le pardon royal. La soif d’insurrection des chartistes était sans doute inégalement répartie, mais il existait un soutien implicite et quasi universel pour le principe de résistance légitime au gouvernement antidémocratique, principe que Frost incarnait désormais.
30Il y eut néanmoins une ultime étincelle insurrectionnelle, prévue pour la veille du jour où l’on fit appel de la condamnation de Frost. Le 26 janvier au soir, quelques centaines de chartistes de Bradford orchestrèrent un soulèvement dans l’espoir de provoquer un effet dominos à travers le pays. « Ils s’empareraient de toutes les villes jusqu’à Londres », après quoi « ils renverseraient le gouvernement ». Peddie, dont la volonté de poursuivre malgré le fiasco du 12 janvier était si remarquable lorsqu’il était à Newcastle, était le leader, avec un certain James Harrison. Ce dernier, prétendument peigneur de laine mais en fait informateur professionnel, était employé pour espionner le chartisme. Dans cet épisode, Harrison faillit jouer le rôle d’agent provocateur, mais c’est Peddie qui servit de catalyseur, avec sa connaissance apparemment solide des intentions insurrectionnelles à Carlisle et à Newcastle. Il n’était arrivé dans le West Yorkshire que le 22 janvier – il ne révéla jamais où et avec qui il avait passé les dix jours précédents – et faisait grand cas de ses relations avec le docteur Taylor. C’est vers cette époque que Taylor publia son extraordinaire pamphlet, La Révolution à venir, vision quasi apocalyptique d’une « puissante convulsion [...] qui allait secouer jusqu’en leur centre toutes les institutions du monde » ; « Dans les villes, des incendies ravageant chaque quartier, et le pillage en cours dans chaque rue ». Cinq ans après, O’Connor se souvenait que, « vers l’époque du soulèvement de Bradford », Taylor lui avait rendu visite et lui avait dévoilé le projet de rébellions à Carlisle, Durham, Édimbourg et Newcastle : pour des raisons qui deviendront bientôt claires, cette visite ne put avoir lieu qu’après le 1er février, et non avant. Par son association avec Taylor, Peddie avait accès à un riche courant d’hypothèses conspiratrices. Hélas, il ne partagea pas avec O’Connor ce qu’il avait compris : Taylor était en train de perdre le contrôle de ses facultés mentales30.
31Le soulèvement de Bradford peut être résumé en quelques mots31. L’intention n’était pas de tenir la ville indéfiniment, mais de prendre le contrôle de la zone du marché juste assez longtemps pour la piller afin d’équiper un train de bagages pour accompagner l’armée chartiste. Celle-ci se rendrait alors à Dewsbury et s’emparerait en chemin des canons des forges de Low Moor. Des renforts devaient arriver de Halifax et peut-être de Leeds. Mais cette nuit-là, les seuls renforts se limitèrent à quelque 300 hommes, rassemblés sur un terrain de cricket à l’extérieur de Bradford. Ils disparurent dès que fut dispersée l’impuissante force présente dans le centre-ville. Peddie partit pour Leeds où il fut arrêté quatre jours plus tard. Cette nuit fut bien résumée par un Emmanuel Hutton extrêmement contrit :
Vers deux heures du matin, quelqu’un est venu taper à la fenêtre [...] Je me suis levé et une personne m’a dit de venir dans la rue. J’ai trouvé là quantité de gens avant d’arriver au bout de la rue, et j’ignore dans quel but ils étaient rassemblés. Ils ont dit : « Viens, tu iras au marché avec nous, n’est-ce pas » [...] Un homme m’a donné un gros morceau de bois aussi long que moi ; il a dit : « Porte ça au marché pour moi ». Il m’a donné un paquet de cartouches, j’en ai ouvert plusieurs et j’ai mis la poudre dans ma poche. Ils ont dit : « Viens, nous sommes prêts à partir », et ils m’ont incité à les accompagner, alors je les ai accompagnés. Dès que je suis arrivé sur la place du marché, je les ai vus partir en courant, je n’ai pas compris ce qu’ils faisaient. Le premier que j’ai reconnu, c’est Briggs l’agent de police. Je suis rentré chez moi en courant aussi vite que je le pouvais32.
Le « morceau de bois », découvrit-on lors du procès de Hutton, était un fusil. « Je ne sais pas qui me l’a donné. J’aimerais bien le savoir, dit-il plus tard à un inspecteur des prisons, apparemment personne n’avait été désigné pour nous guider33. »
32Le mardi 28 janvier, l’appel de Frost fut rejeté. Une majorité de quinze juges d’appel décida que l’accusation avait manqué à ses devoirs en ne fournissant pas à temps la liste de ses témoins aux avocats de la défense, mais une autre majorité déclara que la défense n’avait pas protesté à temps. La question ne relevait désormais plus des tribunaux, mais du gouvernement. Pour la première fois, O’Connor exprima publiquement l’idée que Frost serait exécuté à la demande du gouvernement. Le lendemain, le cabinet acquiesça : Frost, Williams et Jones seraient exécutés. Cette décision, bien qu’unanime, ne fut atteinte qu’après « une très pénible délibération », se rappelait l’un des participants, Macaulay et Palmerston se montrant un peu hésitants34. Melbourne, le Premier ministre, et Normanby, le secrétaire au Home Office, étaient plus catégoriques. Normanby écrivit aussitôt à la prison de Monmouth que la sentence devrait être appliquée le mardi suivant, 6 février35.
33La confirmation de la condamnation ne fit que renforcer l’immense sympathie que Frost éveillait parmi les chartistes. Par exemple, Wade, qui avait démissionné à cause de son hostilité à la force physique, présenta personnellement « plusieurs pétitions volumineuses » pour que la reine accorde sa grâce. Cette sympathie se manifesta à travers un gigantesque programme de pétitions et de meetings, pour obtenir la liberté des prisonniers de Newport. L’ampleur du phénomène donne à réfléchir, car il révèle l’attrait durable du chartisme à une époque où le mouvement aurait pu se flétrir, après les événements de l’année précédente, ou perdre tout soutien alors que les complots de janvier étaient dévoilés. Le sort de Frost en particulier devint un point de ralliement qui unifia le mouvement, sa sentence étant l’incarnation symbolique de tous les éléments répréhensibles de la politique des whigs. On a vu au chapitre 3 que la collecte de signatures pour la pétition nationale avait été très lente. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Des dizaines de milliers de signatures furent recueillies en quelques jours : 17 000 à Sunderland en trois jours, 18 000 à Oldham en tout juste deux jours, et 30 000 à Birmingham en six jours. Même chose en Écosse : les chartistes d’Aberdeen réunirent 15 000 signatures, et à Édimbourg, où 17 000 personnes avaient signé la pétition de 1839, 22000 signèrent pour Frost. Dundee rassembla aussi plus de 20 000 signatures, et à Paisley, où le conseil municipal se chargea d’organiser la collecte, 14784 signatures furent réunies en quatorze heures36.
34Alors qu’approchaient les noces de la reine Victoria avec le prince Albert, le 10 février, beaucoup de chartistes attendaient une grâce, comme geste magnanime pour accompagner le mariage ou comme concession pragmatique pour décourager les manifestations. Le gouvernement avait été très critiqué pour son attitude face au chartisme. En octobre, Campbell s’était vanté de l’extinction du chartisme. Cette déclaration revint le hanter, ainsi que le gouvernement, « montrant que les Ministres avaient été pris au dépourvu, sans parler de son triomphalisme, qui n’était guère propice à la réconciliation », pour citer un critique perspicace37.
35Le jour où l’appel de Frost fut rejeté, les reproches adressés au gouvernement quant à sa gestion du chartisme provoquèrent à la Chambre des communes un débat sur une motion de défiance. Cela permet d’expliquer pourquoi le cabinet se montra résolument opposé à la clémence lorsqu’il évoqua les condamnations de Newport, le lendemain. Les nouvelles de Bradford ne durent pas non plus aider les choses. Pourtant, la pression montait alors que pétitions et mémoires affluaient, et que les avocats de Frost tentaient d’obtenir un sursis. Puis, le 31 janvier, le Lord Chief Justice dit à Normanby que le gouvernement devrait songer à épargner les trois prisonniers. « Cette opinion produisit un grand effet, et même lord Melbourne avoua qu’il serait difficile d’exécuter les hommes après une telle suggestion38 ». Les sentences prononcées contre Frost, Williams et Jones furent commuées en déportations à vie.
36Ce fut sans doute peu après cela que Taylor alla voir O’Connor, car il annonça son intention d’armer et d’équiper un bateau afin d’intercepter le navire qui emmènerait les prisonniers de Newport. « Ma réponse fut : “Taylor, j’ai toujours soupçonné que vous étiez fou, mais à présent j’en ai la certitude”, et il conclut en éclatant de rire et en me demandant dix livres pour rentrer chez lui39. » Peut-être la vie de Frost fut-elle sauvée grâce à l’intervention du Lord Chief Justice, mais tout indiquait que la campagne de pétition massive – avec O’Connor à sa tête – avait réussi là où l’insurrection avait connu un échec insigne. Tournons-nous à présent vers la culture et l’éthique organisationnelle qui avaient rendu cette campagne possible.
Au-delà du complot : les activités des localités chartistes
37Dans tout récit historique bâti autour d’événements clés, on risque toujours de négliger la vie intérieure et la culture de ce qui est décrit. Le mouvement de pétition mené par O’Connor reposait largement sur la culture et la solidarité propres au chartisme. Il y avait bien sûr l’influence dominante d’O’Connor, et la puissance du Northern Star dans un mouvement encore dénué de coordination centrale ; mais par-dessus tout le chartisme était soutenu par la solidarité qui unissait ses adhérents à travers leur engagement en faveur d’une entreprise politique commune. L’insécurité économique fut clairement un stimulus important de l’action politique, mais on vit aussi apparaître peu à peu au sein du chartisme un élan collectif vers l’éducation.
38Comme on l’a remarqué dans les précédents chapitres, les localités chartistes se développèrent souvent en parallèle avec les syndicats et mutuelles préexistants et les campagnes anti-Poor Law. Avec des variations considérables d’un endroit à l’autre, le chartisme se superposait souvent aux lieux de travail, aux groupements professionnels, aux congrégations religieuses dissidentes, aux tavernes ou (en Écosse surtout) à l’anti-alcoolisme. En janvier 1840, la plupart des sections locales chartistes existaient depuis au moins dix-huit mois – souvent davantage là où une association avait adopté la Charte dès sa publication : « Nous nous sentions unis par un lien réel », se rappelait John Bates, de Queensbury (West Yorkshire), « et nous transformâmes nos Associations radicales en centres chartistes locaux40 ». Mais indépendamment de leur longévité, les localités virent apparaître toute une gamme d’activités dépassant le strictement politique41.
39Nous avons déjà fait référence à l’aspect religieux (voir la « Vie chartiste » de Brewster). C était particulièrement flagrant dans la cinquantaine d’églises chartistes distinctes, surtout en Écosse. Les congrégations chartistes anglaises penchaient vers l’humanisme religieux, les écossaises vers l’orthodoxie théologique. « Orthodoxie » est bien sûr un terme relatif. Il existait des liens étroits entre les deux églises chartistes de Glasgow et la congrégation unitarienne de la ville – qui offrit le résultat de la quête d’un dimanche pour aider à établir « l’Assemblée du culte chartiste de Glasgow »–, tandis que l’Église universaliste de Glasgow joua un rôle décisif dans l’évolution du chartisme écossais – elle accueillit aussi le congrès d’août 1839 qui fonda l’USCCS42. Plus généralement – à Bromsgrove et à Oldham par exemple –, des offices religieux avaient lieu dans des salles chartistes, sans qu’une église spécifiquement chartiste soit formée.
40Très peu de localités chartistes séparaient entièrement les idéaux politiques de l’évangile social radical. « Le génie du christianisme » stimule le chartisme, déclara le True Scotsman, « La Charte jaillit de la colline de Sion », chantaient les chartistes du South Yorkshire. Beaucoup de localités organisèrent des camps sur le modèle méthodiste. Quand O’Connor se rendit à Sheffield en septembre 1839, les chartistes de la région organisèrent un camp la veille à Hood Hall, « une profonde cuvette, en forme de croissant, les collines environnantes formaient une galerie romantique, où l’auditoire ravi pouvait s’asseoir, se rappelait un chartiste de Barnsley. C’était un spectacle magnifique, de voir cinq à dix mille personnes entonner ensemble un chant d’adoration du Grand Créateur ; et nous ne pouvions nous empêcher de comparer cela aux courageux Covenantaires d’autrefois ». Des hymnes furent interprétés, où les chartistes étaient dépeints comme un peuple élu, lié à Dieu par une alliance, et où l’on vantait la résistance légitime à la tyrannie, sans oublier une parodie de l’hymne national (« O Seigneur Dieu, parais, / Disperse nos ennemis, / Et provoque leur chute »)43.
41Une forte affinité avec le non-conformisme était aussi évidente parmi les lieux de réunion utilisés pour les rassemblements chartistes. Bien que le chartisme ait parfois eu des relations difficiles avec les sectes non-conformistes – le méthodisme wesleyen en particulier –, des adhérents communs et une méfiance partagée envers l’Église établie unissaient souvent les chartistes et les dissidents religieux. Des locaux étaient loués par toutes sortes de confessions – méthodistes indépendants ou primitifs, baptistes, congrégationalistes, mormons et, en Écosse, l’Église sécessionnaire – ainsi que par des congrégations autonomes – l’on peut citer la « Salle du révérend Browning » à Tillicoultry, la « Chapelle du Dr Thorburn » à South Shields, et les diverses églises alliées à Stephens. Symboliquement, quand les méthodistes primitifs de Huddersfield s’installèrent dans un local plus vaste en 1840, leur ancienne église devint la salle des chartistes. Les villes susceptibles d’avoir leurs propres locaux les appelaient souvent « chapelles » sans en limiter l’usage au culte (par exemple, les Reformers’ Chapels de Leeds et de Middleton, les Démocratic Chapels de Nottingham et de Trowbridge, la Chartist Chapel de Mansfield). Cependant, beaucoup de locaux contrôlés par les chartistes portaient des noms laïques : le vigoureux Chartist Institute de Hyde, le Working Men’s Hall de Keighley, les Chartist Halls d’East Wemyss et de Campsie (Fifeshire), le People’s Hall d’Édimbourg, ainsi que des « salles chartistes », salles de la RA ou de la WMA trop nombreuses pour qu’on les mentionne. Dans quelques villes, les chartistes utilisaient le local des socialistes (Birmingham, Bradford, Leeds et notamment le Hall of Science à Manchester).
42Tout cela pourrait indiquer que le ton des meetings chartistes était essentiellement poli, ou même pieux. Il faut donc préciser qu’en Angleterre les réunions chartistes avaient très souvent lieu dans des tavernes ; dans certains cas, le lien était étroit et durable, notamment à la Wellington Tavern de Dewsbury et au Brewers’ Arms de Brighton – même si les tenanciers des deux établissements furent menacés de se voir retirer leur licence par les magistrats locaux s’ils persistaient à accueillir des réunions chartistes. Parmi les autres sites habituels figuraient les salles syndicales – souvent rattachées à un débit de bière – et, dans le Yorkshire, les locaux de l’Oddfellows’ Friendly Society. En Écosse, les salles maçonniques étaient souvent utilisées, moins en Angleterre (à l’exception notable de Hull) où la franc-maçonnerie était devenue socialement plus conservatrice. Un exemple qui souligne l’enracinement du chartisme dans les communautés locales : à Sunderland, les chartistes se réunissaient dans le hangar à canot de sauvetage de la ville. L’orientation politique des autorités locales interdisait souvent aux chartistes l’usage des mairies, à quelques exceptions près, surtout en Écosse (Pollockshaw, Bannockburn et Dunfermline, par exemple). En général, l’histoire des lieux de réunion chartistes est celle d’espaces publics disputés44.
43Ce n’est pas simplement à cause de leur taille que les rassemblements chartistes avaient si souvent lieu en plein air. On connaît de très nombreux exemples de petites réunions à ciel ouvert, dans des granges, sur des plages, dans des terrains vagues ou – on devine un plaisir non dissimulé – « à l’endroit où Oliver Cromwell avait pilonné le château de Stockton45 ». Bien que le soutien avoué au mouvement ait décliné au pays de Galles et dans l’Angleterre rurale, le chartisme continuait à exercer son attrait sur une très vaste étendue géographique : en 1840, des meetings se déroulèrent dans des lieux aussi distants l’un de l’autre que Kirkwall, dans les Orcades, et Amiens – des tisseurs de lin écossais avaient émigré vers la France avec leur famille46.
44Même si les chartistes se prenaient au sérieux, leur culture associative était loin d’être rigide et dénuée d’humour. À mesure que les soutiens se consolidèrent, l’on vit apparaître un riche éventail d’activités récréatives. Celles-ci renforçaient la solidarité et avaient une immense valeur symbolique, soulignant les racines historiques et les revendications morales du mouvement : tel était notamment le cas des repas partagés et des toasts portés à la santé de personnalités emblématiques du chartisme. De toute évidence, on s’y amusait beaucoup. Entourés de plantes grasses, de portraits et de banderoles, les orateurs proposaient solennellement chaque toast, auquel on répondait par un autre toast, le tout entremêlé de déclamations de poèmes et de chants. En 1839, quand les chartistes d’Ashton-under-Lyne commémorèrent l’anniversaire de Hunt, on porta un toast « à la classe ouvrière, source réelle et légitime de tout pouvoir » ; « à la mémoire immortelle de Henry Hunt, l’homme qui ne trompa jamais le peuple » ; « à l’éducation du peuple, et puisse l’État rapidement contribuer à son amélioration morale et intellectuelle » ; « à McDouall, Higgins, Lovett, Collins, Stephens, et tous les vrais patriotes qui subissent l’incarcération pour la cause de la liberté » ; « à Feargus O’Connor, et à cette lumière qui éclaire l’hémisphère britannique, le Northern Star » ; « à Richard Carlisle, Henry Hetherington, et la liberté de la presse » ; « à la mémoire immortelle » de Paine, Cobbett, Cartwright, Emmett, Knight, Hibbert, Hampden, Tyler, Sidney, Hardy, Horne Tooke, Volney, Voltaire, Palmer, Mirabeau, Robespierre, Tell, Hofer, Washington, Wallace, Burns « et tous les morts illustres de toutes les nations, qui par leurs actes ont contribué à la cause de la liberté ». Entre deux toasts, l’on interprétait des chansons, solennelles ou comiques, et l’on récitait des textes – notamment « le manifeste de la Convention, écrit par Monsieur Lovett47 ».
45D’autres événements relatés dans le même numéro du Northern Star incluent le « concert instrumental et vocal » donné à Brighton pour aider le Southern Star, et un « spectacle théâtral » monté pour Halloween à Kilbarchan (Renfrewshire) par « de jeunes amateurs du village » sous la direction de la WMA locale – six livres sterling furent collectées pour le fonds d’aide aux pauvres de Glasgow. Le théâtre amateur était un bon moyen de réunir des sommes pour les prisonniers et leur famille, avec cet avantage que les sympathisants pouvaient discrètement soutenir la cause sans y être directement identifiés. Citons par exemple « La Pièce patriotique de Guillaume Tell », jouée à Sutton-in-Ashfield, et de nombreux spectacles inspirés du procès et des derniers jours du rebelle irlandais Robert Emmett (1778-1803). D’autres pièces furent rédigées selon l’occasion, brouillant souvent les frontières entre théâtre et protestation. En 1838, les responsables de la RA de Barnsley interprétaient les principaux rôles dans le « procès » de l’effigie d’un boulanger local, accusé d’escroquer ses clients, et les spectateurs formaient le jury ; jugée coupable, l’effigie fut pendue, puis brûlée sur le seuil de la boulangerie concernée48. En 1840, les chartistes de Dundee louèrent un bateau à vapeur pour aller assister à une après-midi de divertissement, présentée par leurs compatriotes de Perth, avec notamment un faux procès du député whig local. Le Chartist Institute de Hyde montait régulièrement des pièces de théâtre. Les chartistes de Keighley organisèrent un « divertissement radical » présenté lors de la foire de la ville.
46La musique était une autre base de la culture récréative chartiste. Tandis que les chartistes d’Aberdeen et de Manchester obtinrent respectivement les services de la fanfare des tisseurs de tapis et de l’amicale des forestiers pour fêter la libération de Lovett et de Collins, Rochdale avait sa propre fanfare radicale en uniforme, Salford avait sa fanfare chartiste et, dans le West Yorkshire, les chartistes de Chickenley avaient une « fanfare patriotique et scientifique ». Plusieurs localités avaient créé leur propre chorale, comme les Démocratie Harmonie Societies, de Sutton-in-Ashfield et de Bristol. Chaque localité enrichissait ses réunions en faisant chanter et danser les participants, et en invitant des chanteurs comiques.
47Les initiatives éducatives conféraient une autre dimension à la vie associative chartiste. Nous avons vu que les chartistes d’Elland étaient « résolus à s’instruire eux-mêmes, sans attendre que le gouvernement décide de leur octroyer une éducation nationale49 ». C’était une réaction typique, mais l’étendue et le sérieux de l’activité éducative variaient beaucoup d’un endroit à l’autre. Certaines localités, comme Derby, avaient des cabinets de lecture ouverts à tous, « qu’ils appartiennent ou non à la Société chartiste ». À Nottingham, les bibliothèques ouvrières fonctionnaient dans les pubs qui étaient aussi des centres d’activité chartiste50. La plupart des localités proposaient régulièrement des cours de débat, comme dans « l’école politique » bi-hebdomadaire de la WMA de Trowbridge, ouverte aux hommes et aux femmes. Nommés pour six mois par le comité de l’association, ses six enseignants étaient passibles d’une amende en cas d’absence. Le programme semble avoir été entièrement tiré du contenu de la presse chartiste. Mais beaucoup de localités, plus ambitieuses, avaient leurs « clubs éducatifs », « écoles pour adultes » et cours du dimanche pour les enfants. Tous les témoignages soulignent l’autonomie de ces institutions : par exemple, la Démocratie Sunday School de Thwaites (West Yorkshire) affirmait n’appartenir « qu’au peuple », comme une « petite république » dépendant « entièrement de la classe ouvrière ».
48C’était un véritable atout, même en Écosse, où l’éduction était plus généreusement financée par les autorités. « Envoyons donc tous nos jeunes gens dans leurs écoles, conseillait le True Scotsman, et non à celles de ce vieux régime pourri51. » Les occasions de s’instruire étaient perçues comme un facteur important dans la lutte pour réformer la société. Un tel abîme politique et social séparait les chartistes de la classe supérieure qu’ils se méfiaient beaucoup des autres initiatives visant à « améliorer » les travailleurs. Cette attitude fut résumée avec une véhémence remarquable par « un Radical de la vieille école » qui écrivait dans le People’s Magazine de Stephens :
Les « Institutions ouvrières », avec toutes les autres « institutions » visant la « diffusion du savoir », où les riches et les pauvres siègent ensemble ( !) dans les mêmes comités sont autant de pièges pour attraper le peuple ; et, par les conférences, les expériences, les journaux, les livres et tous les tours de saltimbanques prétendument scientifiques, mêlés peut-être à un peu de cajolerie et de flatterie, pour leur fausser le jugement et les empêcher d’atteindre la connaissance de la véritable cause de leur avilissement et de leur misère. Nous recommandons au peuple d’éviter tout cela comme la peste52.
49Dans son éditorial, Stephens vantait « la saine sagesse et le bon sens pratique » de cet article. Cette attitude existait surtout dans les régions de filatures, où se trouvaient les instituts chartistes les plus ambitieux, qui imitaient la diversité des cours, mais pas la culture patronale, des Mechanics’ Institutes. En 1839, les chartistes fondèrent le People’s Institute de Stalybridge comme rival direct du Mechanics’ Institute de la ville ; il était ouvert tous les jours, pour des réunions politiques, des offices religieux, des cours en journée et le dimanche pour les enfants, des cours du soir pour adultes, des bals et des « récitals dramatiques53 ».
50Une pratique courante dans toutes ces localités consistait à donner aux enfants des prénoms inspirés des principales figures du mouvement, O’Connor étant le favori. À Elland, les Hanson furent parmi les tout premiers à prénommer leur enfant Feargus. Le choix de prénoms d’après des héros radicaux n’était pas une nouveauté – en 1822, John et Mary Frost avait baptisé leur fils Henry Hunt – mais il fallait souvent un certain aplomb pour l’obtenir. « J’imagine qu’ils veulent faire pendre leur enfant », déclara à ses ouailles le pasteur de Selby, au sud de York, lors du baptême du petit Feargus O’Connor Mabbot. Le pasteur de Sowerby, près de Halifax, contesta le prénom de Feargus O’Connor Vincent Bronterre, choisi pour un enfant : face à l’opiniâtreté des parents, il garda le bébé après le baptême afin de dire des prières supplémentaires pour lui. Même les officiers d’état-civil discutaient parfois avec les parents qui venaient déclarer la naissance d’un « jeune patriote ». Et la vie n’était pas toujours facile pour les enfants en question. À l’école, Feargus O’Connor Holmes, fils de peigneurs de laine à Keighley, était simplement appelé « F » par un maître qui refusait de laisser un tel prénom souiller ses lèvres54.
51Ces incidents renforçaient la conviction chartiste qu’il fallait se méfier des institutions civiles et religieuses de la société. Début 1838, O’Brien avait écrit que « la chaire, la presse, la scène, les universités et les séminaires publics, la littérature du pays, bref, toutes les voies d’accès à la connaissance, tous les supports de l’information [...] sont guidés et modelés par les intérêts des classes moyenne et supérieure ». Cette perception s’étendait à d’autres domaines de la vie publique : en politique, bien entendu, mais les antagonismes sociaux étaient aussi flagrants dans le cadre du secours aux pauvres ou de son alternative infamante, la charité. L’hostilité à la New Poor Law fut un puissant stimulant pour l’essor du mutualisme ouvrier, déjà bien établi. Inévitablement, bon nombre de chartistes étaient aussi membres d’amicales, et d’innombrables sections chartistes recevaient l’appui des antennes locales de sociétés nationales comme les Druids, les Foresters et les Oddfellows. Un soutien financier direct était plus rare ; il venait surtout de petites sociétés locales. Exception à cette règle, Dundee avait une Odd Fellows Démocratie Society qui nommait des missionnaires pour « prononcer des conférences chartistes » dans le Fife.
52L’implication directe des chartistes pour aider les familles en cas de maladie, de décès ou de chômage était faible, ce qui montre l’ampleur qu’avaient prise les mutuelles à la fin des années 1830. Quelques sections chartistes offraient pourtant des allocations de ce genre. Le Chartist Institute de Hyde, par exemple, gérait un « Bureau de la Santé » grâce auquel, moyennant une cotisation hebdomadaire d’un demi-penny, les membres avaient accès à une assistance médicale. Stockport avait une Radical Chartist Burial Society pour éviter à ses membres l’indignité suprême de la fosse commune ; Sunderland et Newcastle eurent toutes deux une éphémère société de secours. La WMA de Cirencester et les chartistes chrétiens de Manchester envisagèrent de créer des sociétés agraires pour faciliter l’acquisition de petites propriétés par leurs membres55.
53Au début du mouvement, les coopératives de vente furent le principal moyen (en dehors de la religion et de l’éducation) par lequel les chartistes tentèrent de s’affranchir du « vieux régime pourri ». La nourriture était le premier poste budgétaire des familles ouvrières, et le manque de moyens les obligeait souvent à acheter des aliments de mauvaise qualité, en quantité insuffisante. Les coopératives existaient avant le chartisme, mais elles étaient un prolongement logique du boycott des commerçants hostiles, élément central de la tactique chartiste en 1839. Certaines coopératives préexistantes nouèrent des rapports étroits avec le chartisme, comme celle de Ripponden, dans le West Riding, fondée en 1832 et plus tard administrée depuis le Chartist Hall, ou celle de Huddersfield, dont les fêtes célébraient les héros chartistes et qui finançait l’organisation de rassemblements chartistes. La première coopérative qui naquit de l’activité chartiste fut celle de Hull en avril 1839, présentée comme « le moyen de ramener la boutiquocratie à la raison ». À partir de là, les coopératives chartistes se mirent à proliférer. Leur adoption devait « élever les partisans à cette position d’indépendance en société qui leur permettra de traiter avec mépris toute la malveillance de la tyrannie aristocratique et boutiquocratique », affirmait The Charter. L’ouverture en décembre d’un deuxième magasin à Hull fut saluée comme la preuve que « la classe ouvrière commence à voir qu’elle a les moyens de s’arracher aux griffes de la boutiquocratie et de la classe moyenne ». Il est impossible de déterminer le nombre exact des coopératives chartistes : dans de nombreuses localités, une collecte occasionnelle permettait parfois d’acheter quelques sacs de farine au prix de gros pour les distribuer aux membres. Pourtant, une quarantaine de villes établirent leurs propres magasins durant ces premières années, en prenant en général le nom de « Joint Stock Provision Company » (ou « Store »). Elles se situaient très majoritairement dans le nord de l’Angleterre. Il y en eut peut-être quatre ou cinq en Écosse ; seules deux (à Bristol et à Bridgend, Glamorganshire) se trouvaient au sud des Pennines56.
54Les Joint Stock Provision Compagnies offraient en outre l’avantage de fournir un espace autonome aux meetings chartistes et un moyen supplémentaire de réunir des fonds. Les sommes ainsi récoltées étaient parfois substantielles. Le Patriots’ Store de Stockport, par exemple, consacrait la moitié de ses bénéfices à aider les prisonniers – bénéfices qui auraient pu être redistribués aux membres comme dividendes à l’achat ; et quand George Binns, missionnaire du comté de Durham, dut choisir entre la prison et une amende de 5 livres sterling pour avoir organisé un rassemblement sur la place du marché, la coopérative locale paya la totalité de la somme. Quand les magistrats de Dewsbury intervinrent pour interdire aux chartistes l’usage de la Wellington Inn, la coopérative devint le cadre d’une large gamme d’activités, dont les réunions de délégués du West Riding. La « salle vaste et commode » de la coopérative de Stockton fut durant tout l’été 1839 le théâtre de bals hebdomadaires pour collecter des fonds pour les prisonniers ; lors d’un thé, on chanta et on dansa jusqu’à 4h30 du matin. Comme le boycott, les coopératives étaient un cadre où les femmes chartistes jouèrent un rôle essentiel. Pourtant, même si certains leaders y virent « la forme la plus pratique de boycott » et « le moyen le plus rapide d’accomplir notre régénération politique », la participation se limitait inévitablement à ceux qui n’avaient pas besoin qu’on leur fasse crédit, soit une minorité des familles ouvrières à l’époque. La dépense initiale pour devenir membre d’une coopérative était en général de dix shillings. En développant trop la coopération, le chartisme risquait de s’aliéner les nombreux foyers dont l’existence était trop précaire pour se joindre à ces entreprises57. Faciliter la participation des hommes qui ne pouvaient pas se payer davantage qu’un numéro du Northern Star – ou une pinte de bière pour écouter lorsque l’on en faisait la lecture – était une préoccupation constante pour les militants chartistes.
55Beaucoup de chartistes actifs voyaient cette pinte – et toutes les autres qui pouvaient suivre – comme la cause principale des problèmes des ouvriers. La consommation d’alcool dans l’Angleterre victorienne était extraordinaire. Beaucoup de chartistes préconisaient la modération ou l’abstinence totale. La plupart des Joint Stock Provision Companies reflétaient cette attitude : à la coopérative d’Edimbourg, « aucune boisson alcoolisée ne peut être vendue dans le magasin, et l’activité de la société ne peut se dérouler dans aucun lieu où l’on en boit ». Limiter la consommation d’alcool s’inscrivait dans la vieille tactique radicale consistant à s’abstenir d’acheter des biens taxés et, on l’a vu au chapitre 3, la convention générale avait recommandé une abstinence totale pendant toute la durée du mois sacré. Mais la boisson, la bière en particulier, était partie intégrante de la culture ouvrière, surtout pour ceux qui travaillaient dans les conditions les plus physiquement pénibles, dans la chaleur ou la poussière. La bière représentait aussi un apport calorique non négligeable, et la contamination fréquente des points d’eaux dans les centres urbains en pleine expansion rendait souvent plus prudent de boire de la bière. Les pubs et débits de bière étaient depuis longtemps des lieux fréquentés par les ouvriers et leurs syndicats, et étaient souvent le seul lieu de réunion disponible pour les chartistes, sans autres frais que leurs consommations sur place. Dans quelques localités seulement, il était possible de se réunir dans des cafés plutôt que dans des pubs, en partie parce que le mouvement pour la tempérance – qui allait prendre une grande importance dans la société victorienne – n’en était encore qu’a ses balbutiements58.
56O’Connor lui-même ne préconisait pas la tempérance, ce qui reflète peut-être ses goûts personnels et certainement son désir de rendre le chartisme le plus accueillant possible. Mais au début de l’histoire du mouvement, les chartistes anti-alcooliques n’hésitaient pas à se placer sous son autorité. À Leeds, par exemple, le secrétaire de la Total Abstinence Charter Association écrivit des poèmes à la gloire d’O’Connor et d’autres déplorant les ravages de la boisson. Le Northern Star évoquait régulièrement la lutte contre l’alcoolisme à travers ses reportages et ses éditoriaux. O’Connor envisagea sérieusement d’ajouter à sa galerie de portraits le grand réformateur irlandais Father Matthew, faisant prêter le serment d’abstinence59. Comme le syndicalisme et les amicales, le mouvement pour la tempérance était étroitement lié à cette culture du progrès personnel qui était au cœur du chartisme. Une relation de soutien réciproque existait donc dans de nombreuses localités. « Les classes laborieuses, qui se réunissent pour leur instruction mutuelle, ne sont plus influencées par l’ivrognerie », déclara en février 1838 un chartiste de Colchester, plein d’optimisme. Les événements de 1839 poussèrent de nombreuses villes à créer des sociétés chartistes de tempérance : notamment Leeds – où la société fit aussi campagne pour les candidats chartistes aux élections municipales –, Burnley, Newcastle, Leicester, Bradford – la Chartist Tempérance Co-operative Society y était assez importante pour élire son propre délégué aux meetings régionaux. L’East London Chartist Tempérance Society avait son homologue féminine. Parmi les nombreuses associations chartistes de tempérance écossaises, on peut citer celles d’Alva, Cumnock, Strathaven, Tillicoultry et Glasgow – qui gérait une école coopérative60.
57D’autres localités chartistes partageaient cette tendance dans leur ton, sinon dans leur constitution officielle : la WMA de Bolton se réunissait à « l’hôtel de tempérance » de la ville, que gérait son secrétaire, et la fanfare anti-alcoolique de Bolton jouait régulièrement aux rassemblements chartistes ; les chartistes de Wooton-under-Edge interdisaient absolument la consommation d’alcool lors de leurs réunions ; la CA du County Durham imposait à ses missionnaires à plein temps de signer un serment d’abstinence ; à Paddock, près de Huddersfield, l’hôtel de tempérance était dirigé par des chartistes et accueillait les réunions de la CA locale. Comme dans beaucoup d’endroits, les chartistes de Paddock se divisaient en sous-groupes, mais on distinguait entre ceux qui s’abstenaient entièrement de boire et de fumer, et ceux dont la consommation était simplement « modérée ». La CA de Brown Street, à Manchester, organisait le week-end des fêtes sans alcools où l’on dansait et chantait – le droit d’entrée était de 4 pence pour les hommes, 2 pour les femmes. Les « joyeux chartistes » de Brown Street dispensaient aussi des cours de danse chaque semaine61.
58Si diverses qu’aient été ces activités, ce qui les rassemblait comptait bien plus que ce qui les séparait. Elles reposaient sur un engagement commun non seulement en faveur des objectifs politiques de la Charte, mais sur une éthique d’ensemble, et étaient unies par des liens politiques au sens large mais aussi intimes et personnels. Leurs membres signaient leur courrier « chartistement vôtre » (« Yours in Chartism »), « pour la bonne cause », « pour la grande cause », « pour la meilleure des causes », « Votre frère dans la cause du droit contre la force », « de la vérité et de la justice », « de la démocratie réelle », « pour la cause jusqu’à la mort62 ». Les chartistes convaincus habitaient le chartisme : ils ornaient leur maison de gravures publiées dans le Northern Star, ils achetaient leur nourriture dans un magasin chartiste, ils envoyaient leurs enfants s’instruire dans des écoles chartistes, et s’instruisaient eux-mêmes lors des meetings et dans les journaux chartistes. Ceux qui n’avaient pas accès à un magasin chartiste pouvaient commander par correspondance du cirage, de l’encre, de l’ersatz de café ou du tissu chartiste, dont ils avaient vu la réclame dans la presse chartiste63. La solidarité personnelle était aussi manifeste dans la manière dont les localités chartistes étaient gouvernées.
59À l’automne 1839, le système méthodiste des « classes » avait été presque universellement adopté. C’était en partie une réponse pragmatique à la difficulté qu’il y avait à trouver des lieux de réunions, et un moyen d’éviter la répression officielle. Ces « classes », souvent concentrées dans une rue ou un lieu de travail particulier, pouvaient se réunir de façon quasi invisible chez l’un des membres ou dans une taverne, où il était plus facile de participer que dans une assemblée plus importante. Chaque classe désignait l’un de ses membres pour assister aux réunions du comité exécutif – ou conseil chartiste – de la localité. Les grandes villes étaient souvent divisées en districts (quatre pour Newcastle) ou se répartissaient naturellement en fédération souple (douze localités à Manchester).
60Les comtés industrialisés, comme Durham et le West Riding, avaient aussi leurs conseils. Une constitution longue et détaillée était souvent rédigée, pour veiller à ce que les responsables tournent régulièrement ou soient du moins soumis à des réélections fréquentes. Par exemple, la constitution de la Chartist Tempérance Association de Tillicoultry, en Écosse, affirmait qu’elle devait « être dissoute et reconstituée tous les trois mois » ; à Leeds, la moitié du comité exécutif devait être réélu chaque mois, et à Brighton, les dirigeants et la moitié du comité étaient renouvelés chaque trimestre. C’était principalement les conseils chartistes qui se chargeaient des collectes pour les prisonniers et leur famille, qui nommaient les missionnaires et organisaient les tournées de conférences (là encore, selon la pratique méthodiste). Mais dans toutes les questions de politique, une réunion générale, trimestrielle la plupart du temps, était souveraine, souvent présidée par un membre sans autre responsabilité, élu pour cette seule occasion64.
Compter les coûts
61Il est nécessaire de se placer à l’échelle des villes plutôt que des sections du mouvement parce qu’avant août 1840, le chartisme n’eut aucune coordination centrale en dehors de celle qu’apportaient O’Connor et le Northern Star – en Écosse, par le biais du Chartist Circular, l’USCCS contribua beaucoup à compenser ce manque. La fin de la convention générale en septembre 1839 rendait impératif de créer une structure nationale, tandis que la campagne visant à obtenir le pardon des prisonniers de Newport offrait un point de convergence national qui aurait pu s’avérer insaisissable, après les vicissitudes récentes. La culture spécifique qu’ils avaient créée était pourtant un succès manifeste, tout comme l’infrastructure organisationnelle qui soutenait le chartisme au niveau local et souvent régional. C’était d’autant plus important que l’une des conséquences de 1839 fut les défections considérables que subit le mouvement.
62Il y avait ceux pour qui le droit de résistance armée était essentiellement un concept abstrait, central pour la persuasion morale mais à ne pas mettre en pratique – il s’agissait surtout de vétérans de la politique radicale, souvent de petits commerçants relativement prospères. Parmi les délégués de la convention, Matthew Fletcher, Sankey, Wade et tout le contingent de la BPU (à l’exception notoire de John Collins, le seul salarié) étaient des personnalités nationales se rangeant dans cette catégorie. Presque toutes les localités connurent des pertes semblables. À Stockton-upon-Tees, par exemple, Henry Heavisides, « imprimeur, radical et poète », qui avait pris localement la défense de la reine Caroline et avait soutenu la réforme de 1830-1832, renonça au chartisme à cause du mois sacré65. À la fin de sa vie, Fletcher évoqua « les misérables groupes d’une ou deux douzaines de personnes dans chaque ville, qui se réunissaient généralement dans quelque débit de bière, et qui s’intitulaient sections de la National Charter Association ». Comme le montre notre étude de la culture chartiste locale, c’est une caricature, mais elle souligne le glissement « vers le bas » de la composition sociale du chartisme à partir de la fin 183966.
63L’émigration fut cause d’autres défections, le Tyneside et le West Riding étant particulièrement affectés67. Pourtant, les pertes les plus considérables résultèrent de l’incarcération d’un grand nombre de chartistes actifs (environ 500). Il s’agissait en majorité de membres de base, comme Emmanuel Hutton, de Bradford, « chartiste parce qu’il lisait le Star68 ». Sur les 476 chartistes arrêtés que mentionne un rapport officiel, 160 étaient ouvriers dans le textile, 120 étaient artisans (dont un quart cordonniers), 49 ouvriers non qualifiés et 39 mineurs69. Un nombre substantiel de prisonniers avaient été des leaders locaux importants, comme Higgins, secrétaire de la RA d’Ashton-under-Lyne, Binns et Williams, piliers de la CA du comté de Durham, White, de Leeds (secrétaire de la GNU), Roberts, de Bath, et Carrier, de Trowbridge, dans le Wiltshire. Le chartisme souffrit aussi au sommet de sa hiérarchie. Collins, Harney, Lovett, McDouall, O’Brien, Richardson, Stephens et Vincent passèrent tous le plus clair de l’année 1840 en prison. Parmi ce groupe, seul Stephens répudia le chartisme, ce qui lui valut, en dehors de son fief d’Ashton, le mépris éternel de presque tous les chartistes : « En fait, beaucoup étaient ravis qu’il ait écopé d’une sentence plus dure que le Dr McDouall », se rappelait un chartiste du Cheshire. L’apostasie de Stephens, renforcée par son refus de partager avec d’autres prisonniers la somme considérable réunie par le mouvement, poussa les chartistes de certaines localités à organiser des feux de joie pour brûler son portrait gravé paru dans le Star, ainsi qu’à d’obscures allégations d’inconduite sexuelle70.
64Avec des succès divers, les autres poursuivirent leur carrière politique d’une manière ou d’une autre. À la prison de Warwick, Collins et Lovett écrivirent leur livre Le Chartisme, un nouveau mouvement du peuple (Chartism : À New Movement of the People), dont on évaluera l’impact au chapitre 6. Les neuf mois qu’il passa dans une cellule donnèrent à Richardson le temps de produire notamment son remarquable ouvrage sur Les Droits des femmes (Rights of Womeri). En mai 1840, les chartistes incarcérés furent rejoints par O’Connor en personne. Comme on le verra au chapitre 6, ce séjour en prison fut pour lui un nouveau départ plutôt qu’un déclin.
65Peu de prisonniers eurent néanmoins cette chance, même si Binns et Williams furent bien traités, ce dernier épousant une amie du directeur de la prison. Les détenus ouvriers, incapable de se procurer le moindre réconfort, connurent un sort peu enviable, surtout ceux qui avaient été condamnés aux travaux forcés. Le traitement réservé à Samuel Holberry devint une cause nationale, comme on le verra bientôt. À la prison de Beverley, Peddie passa six semaines de silence total, à faire tourner une meule sous les yeux de spectateurs assemblés à l’extérieur. Pendant trois mois, il cassa des pierres jusqu’à ce que sa peine soit réduite de moitié pour raisons de santé. Finalement, au bout de seize mois, on lui fit fabriquer des vêtements. Au château de Chester, les prisonniers chartistes étaient placés dans des cellules souterraines ; « à l’époque où nous écrivons, l’eau coule le long des murs », signalèrent-ils au Star en septembre 1840. À Monmouth, les prisonniers dormaient à trois par lit ; à Warwick, Lovett et Collins étaient constamment malades, à cause de la soupe et du porridge qu’on leur servait, selon eux ; au château de York, les conditions de vie étaient telles que Peter Hoey, chartiste de Barnsley, y perdit l’usage d’une jambe71.
66Les chartistes accomplirent des efforts prodigieux pour venir en aide aux prisonniers et à leur famille. Pourtant, dans l’imagination populaire, nul ne pouvait rivaliser avec John Frost. Dès que sa sentence fut commuée en déportation, la campagne se concentra sur l’obtention de son pardon et de son retour d’exil. Mais il n’y eut plus d’autre concession. Le lundi 24 février, Frost, Williams et Jones partirent à bord du navire-prison Mandarin, sans même avoir pu dire adieu à leur femme et à leurs enfants. Un dernier incident retarda leur traversée : le mercredi, une rafale arracha le grand mât et le mât de misaine du Mandarin, qui dut revenir au port de Falmouth, en Cornouailles, pour des réparations. Barclay Fox, industriel quaker de la ville, au-dessus de tout soupçon, décida sur un coup de tête qu’il devait voir Frost. Se déguisant en « missionnaire et distributeur de tracts », Fox obtint la permission de monter à bord et de s’adresser aux prisonniers. Il demanda « s’il pouvait leur remettre des brochures et livres religieux. Frost s’avança et répondit avec le plus souverain mépris pour tous les livres d’enfants et de vieilles femmes. Il serait “cependant reconnaissant si on lui offrait Le Voyage du pèlerin ou quelque lecture consistante” ». Ce soir-là, Fox nota dans son journal :
Le visage de Frost est difficile à oublier, pâle, hagard, creusé de rides profondes, l’œil gris, petit et perçant, le front en saillie surmonté d’une masse de cheveux gris. Beaucoup de tempérament mais aucun don précis sur ce visage. Toute la témérité effrontée, sans rien du sublime d’un Révolutionnaire.
Fox trouva un exemplaire du Voyage du pèlerin, de John Bunyan, et l’envoya au Gallois. Frost adressa une ultime lettre émouvante à « ma très chère Mary ». Puis, le vendredi soir, le Mandarin leva l’ancre, emportant Frost vers la Tasmanie et vers un avenir incertain72.
Vies chartistes. Samuel Holberry
67Né en 1814 dans le Nottinghamshire, Samuel Holberry était le benjamin des neuf enfants d’un couple d’ouvriers agricoles73. Il fut brièvement scolarisé mais, destiné à une vie semblable à celle de ses parents, il connut très tôt les travaux des champs ; on confiait alors aux enfants le soin d’effrayer les oiseaux, d’arracher les mauvaises herbes, de ramasser les pierres et de surveiller le bétail. Il travailla un moment dans une filature de coton à Gamston, sa ville natale, mais devint bientôt ouvrier agricole dès le début de son adolescence et son existence semblait devoir être liée à la terre. À 17 ans, cependant, il prit une décision qui allait changer sa vie : en mentant sur son âge, il s’enrôla dans le 33e régiment d’infanterie. Holberry servit dans l’armée en Irlande et à Northampton. C’est là qu’il se radicalisa, car la ville et les villages alentour étaient un centre important d’activité politique radicale et l’une des zones des Midlands où Cleave et Hetherington créèrent des antennes de la NUWC en octobre 1833.
68Durant la crise de la réforme – comme on l’a vu au chapitre 1 –, la NUWC mobilisa les radicaux hostiles à une réforme fragmentaire et donc à la loi de 1832. À la même époque, les cordonniers de Northampton tissèrent aussi des liens très forts avec le syndicalisme, s’alliant au GNCTU, syndicat éphémère mais remarquable, étroitement associé à Owen, aux « martyrs de Tolpuddle » et à une foule de futurs chartistes. Le crime pour lequel les syndicalistes de Tolpuddle avaient été déportés en 1834 était d’avoir prêté des serments secrets. La sentence était d’autant plus étonnante que le cas n’avait rien d’inhabituel : la même année, des poursuites furent entreprises dans au moins cinq autres villes, dont Northampton. Holberry déclara plus tard aux chartistes de Sheffield « que lorsqu’il était dans l’armée les soldats réprimaient les réunions secrètes où on prêtait serment74 ».
69Holberry établit pourtant des relations positives avec les cordonniers de Northampton et assistait aux cours du soir. Sa décision de quitter l’armée en avril 1835 fut presque certainement liée à son expérience à Northampton. Il s’installa à Sheffield où il travailla d’abord comme tonnelier, puis comme bouilleur de cru ; il fit la connaissance et s’éprit de Mary Cooper, fille d’un ouvrier non qualifié. Au chômage en 1837, il travailla dans les quartiers est de Londres, mais revint en octobre pour épouser Mary, alors âgée de 19 ans. Fin 1838, Holberry devint membre de la WMA de Sheffield, mais il semble n’être devenu un chartiste actif que lors des manifestations massives dans les églises, à l’automne suivant. Il joua un rôle important dans leur organisation. « Un bel homme ; il mesurait au moins un mètre quatre-vingt-cinq » et avait « des cheveux d’un noir de jais », se remémorait un contemporain. « C’était un des principaux orateurs » lors des réunions des chartistes de Sheffield dans les locaux de Fig Tree Lane, rappelait un autre75. Mais en novembre 1839, il se retrouva à nouveau sans emploi et Mary était enceinte.
70Dans ces circonstances, alors que les événements de Newport venaient de se produire et que l’hiver approchait, Samuel Holberry aurait peut-être participé de toutes façons aux projets d’insurrection ; mais ses récents contacts avec les radicaux de Northampton et (probablement) de Londres faisaient de lui un émissaire tout désigné pour les chartistes de Sheffield. Il parcourut le Nottinghamshire, le Derbyshire et d’autres centres du West Riding (Barnsley, Bradford et Dewsbury) impliqués dans le soulèvement prévu cet hiver. Comme on l’a vu au chapitre 5, seule l’intervention du tenancier, dans le pub où se réunissaient Holberry et d’autres conspirateurs éminents, empêcha une insurrection dans le Yorkshire dans la nuit du 11 au 12 janvier. Juste avant ce samedi soir, Holberry avait passé en revue les chartistes et leurs armes ; « il dit que chaque homme devait enfiler deux chemises et tous les habits qu’ils pouvaient pour se tenir chaud, il dit qu’ils devaient prendre pour 6 pence d’eau-de-vie pour chasser le froid ».
71On l’a vu, le complot ne mobilisa au mieux que quelques centaines de personnes. Même si tout s’était déroulé sans encombre, il n’aurait jamais égalé Newport. Holberry reconnut sur le tard que leurs chances étaient bien maigres. Le vendredi, en fin de soirée, il dit aux leaders de section : « Nous n’avons pourtant rien dit de ce qu’il faudrait faire si nous étions repoussés, et il déclara qu’il donnerait l’ordre de traiter la ville comme les Russes avaient traité Moscou. » Un vaste incendie serait une ultime tentative désespérée pour inspirer une réaction ailleurs : « Tout ça pourrait finir en fumée mais il y avait quantité d’autres villes », ajouta-t-il, d’après les souvenirs de son cousin76. Tout fut interrompu par son arrestation à minuit, Mary à ses côtés, un poignard dans la poche et des grenades posées à terre – Mary fut elle aussi arrêtée et retenue pendant deux jours, mais aucune accusation ne fut portée contre elle.
72Holberry était cependant destiné à occuper une place semblable à celle de Frost au sein du panthéon chartiste, non à cause de l’importance intrinsèque de la tentative de soulèvement – « les actes délirants d’une bande d’imbéciles », commenta d’abord le Northern Star –, mais à cause de sa situation pathétique. Jeune, idéaliste, sans emploi, marié quinze mois auparavant, bientôt père de son premier enfant, Holberry suscitait la sympathie. Quand le policier qui l’arrêta lui demanda : « Vous n’oseriez sûrement tuer personne ? », il riposta : « Mais si, pour défendre la liberté et la charte. Je ne suis ni un voleur ni un cambrioleur, mais je me battrai pour la charte et je n’aurai pas de repos tant que nous ne l’aurons pas obtenue, ce à quoi je suis résolu77 ». Il affirma n’avoir été ni trahi ni dupé par un agent provocateur.
73Après le verdict précaire prononcé lors du procès de Frost et la réaction populaire qu’il suscita, le gouvernement eut la sagesse de n’accuser Holberry que de complot séditieux, lors des assises de printemps à York. On prit bien soin de prévoir « beaucoup de place pour accueillir tous les journalistes », afin que l’issue du procès soit connue de tous. L’accusation eut l’habileté de couvrir sa table de grenades à mains, d’obus, de balles et de cartouches apportées de Sheffield. Holberry écopa de quatre ans de prison, et les huit autres conspirateurs de peines moins longues. Tous furent emmenés à la maison de correction de Northallerton, ville du North Riding, choisie par le juge qu’avait discrètement conseillé John Bayly, membre de l’équipe d’accusation. Comme Bayly dit à un haut fonctionnaire de Whitehall qui supervisait les poursuites contre les chartistes, de toutes les prisons situées dans la juridiction de York, celle de Northallerton « était la plus éloignée de leur maison » et celle où les détenus « sont le plus mal nourris et où le travail est le plus dur78 ».
74Prédicateur chartiste itinérant arrêté à Sheffield en septembre et accusé de libelle séditieux, William Martin fut incarcéré avec Holberry. Tous deux se virent infliger le « système silencieux » : ils pouvaient être punis s’ils parlaient aux autres détenus durant les heures de travail. Martin décrivit leur premier soir à Northallerton :
À cinq heures, un des gardiens jeta un pain noir sur le lit et un prisonnier posa à terre un bol de gruau. C’était le pire repas que j’aie fait de ma vie, et en matière de nourritures abjectes, personne n’est meilleur juge qu’un Irlandais. La faim, ce monstre, m’obligea à avaler cette dose de poison [...] Le lendemain matin, le directeur fit le tour des cellules pour informer ceux qui n’avaient pas été condamnés aux travaux forcés qu’ils devraient pousser la meule. J’émis une objection, disant que selon le juge, la loi n’autorisait pas qu’on me condamne aux travaux forcés, mais il répliqua qu’il devait obéir aux ordres des magistrats. Je songeai que j’essaierais avant de résister. Je fis un essai, mais la souffrance fut si grande que j’éprouvai ce que je n’avais encore jamais éprouvé79.
Holberry fut traité exactement de la même façon. La prison de Northallerton était gérée avec une parcimonie exceptionnelle même pour l’époque : tous les prisonniers dispensés de travaux forcés devaient travailler pour payer leurs repas. Quatre heures par jour à la meule, tel était le seul emploi proposé. Holberry découvrit bientôt que la mise au secret était la seule alternative s’il refusait. Il n’était pas rare que les détenus « mis à la meule » en tombent, « apparemment sans vie, étendus à terre », comme le fit un autre chartiste, William Brooke, de Bradford, âgé de 55 ans. Du moins leur situation était-elle meilleure que celle de quatre autres hommes de Sheffield, arrêtés en pleine émeute et condamnés aux travaux forcés : l’interprétation locale se traduisait par huit heures quotidiennes à la meule. L’aîné des quatre était John Clayton, 52 ans, et il mourut au bout de dix mois. Clayton était souvent malade et incapable de pousser la meule : l’enquête sur sa mort établit qu’il souffrait « d’un ensemble de maladies, rhumatisme, gravelle et asthme, depuis le début de son incarcération ». Mais le régime de la prison de Northallerton ne dut rien arranger. Annoncée à la une du Northern Star par un article à liseré noir, sa mort fut dès lors attribuée « au traitement qu’il subit à la prison de Northallerton80 ».
75La mort de Clayton provoqua un examen des prisonniers chartistes à Northallerton. Aucun d’eux n’était riche avant son arrestation. Cinq des neuf étaient au chômage. Clayton avait perdu son emploi de coutelier l’année précédente et, avec sa femme, il s’était fait revendeur de fruits et légumes pour échapper au workhouse. Thomas Booker, autre ex-coutelier âgé de 55 ans, avait vu ses revenus passer de cinquante à sept shillings par semaine en deux ans. Thomas Penthorpe, cordonnier, estimait ses revenus à entre cinq et neuf shillings par semaine. Des problèmes de santé avaient contraint James Duffy à renoncer à son métier à tisser pour une existence précaire en ouvrant un petit débit de bière dans une ruelle.
76Après des retards – les magistrats venus visiter la prison avaient tenu à obtenir l’approbation du Home Office –, c’est en mai qu’avait été acceptée la requête par laquelle Holberry et Martin demandaient à être exemptés de la meule. Ils étaient maintenant « employés à mettre en lambeaux de vieilles cordes », neuf heures par jour, leur temps libre se limitant à trente ou soixante minutes. Un an après, Duffy, Booker et son fils William furent libérés à la moitié de leur sentence. « Mes persécuteurs n’ont pu effacer de mon cœur et de mon esprit une seule lettre de la glorieuse Charte ! » dit Duffy à son fils ; sa santé était néanmoins détruite et il mourut deux ans après. Certains furent transférés vers d’autres prisons, mais Holberry resta à Northallerton. Son état physique était de plus en plus inquiétant et, en septembre, il finit par être transféré au château de York. Il souffrait de la bile et, selon le chirurgien qui l’examina peu après son arrivée, il était « faible ; sa peau et ses yeux sont encore emplis de bile ; son pouls est rapide, son appétit mauvais81 ».
77Holberry refusa d’abord une place à l’hôpital de la prison. Peut-être se laissa-t-il abuser par le changement de régime – il était désormais autorisé à écrire des lettres et à recevoir des visiteurs –, peut-être était-il victime des illusions et de l’euphorie communes aux derniers degrés de la tuberculose. Edward Burley, plâtrier et chartiste de York qui lui rendait souvent visite, le trouva incapable d’exercice physique, même de marcher. En mars, il ne pouvait plus tenir une plume. Les chartistes de York lancèrent une agitation qui devient bientôt nationale pour que Holberry soit libéré par pitié. Le 17 juin, sa libération fut proposée moyennant deux garanties de 100 livres sterling chacune. Ses partisans essayaient encore désespérément de rassembler la somme quand Holberry mourut à 27 ans, quatre jours plus tard. Un jury décida que la tuberculose était la cause du décès. Les chartistes de York affirmèrent que les conditions de détention étaient responsables de sa mort, mais le tribunal lava les autorités de toute accusation.
78Mary Holberry – qui n’avait vu son mari qu’une fois depuis son incarcération – n’avait plus ni mari ni enfant, leur fils Samuel étant mort en octobre 1840, âgé de 18 semaines82. Le décès de Holberry fut annoncé au milieu d’une conférence dans les locaux de la WMA de Sheffield : il y eut d’abord un silence hébété, puis des sanglots, et enfin « des jurons profonds et sonores ». « J’étais muet de stupeur, écrivit le conférencier, je titubais, la tête me tournait comme si j’avais bu. Je me sentais comme fou. Je parlai pendant plus de deux heures – le meeting bondé semblait prêt à exploser – jamais je n’avais vu pareil sentiment ». La Sheffield Association organisa des funérailles qui en disent long sur Holberry et sur le chartisme. Un masque mortuaire fut commandé à un sculpteur local, ainsi qu’un cercueil de chêne pour le corps de Holberry. Le cortège incluait une fanfare, des croquemorts en livrée, des pleureurs, un corbillard richement paré, tiré par des chevaux et plusieurs voitures, tout le décorum d’un enterrement bourgeois. Mais ce n’était pas tout. Plusieurs banderoles furent confectionnées pour l’occasion : « La vengeance m’appartient, dit le Seigneur, et je me charge de punir » ; « Clayton et Holberry, les martyrs de la Charte du Peuple » ; « Tu ne tueras point » ; « Dieu hait les mains qui versent le sang innocent. » L’enterrement attira des milliers de personnes. Même le Sheffield Iris, journal whig implacablement opposé au chartisme, parla de 20 000 participants. Le Northern Star les estimait plutôt à 50 000. L’oraison prononcée par Harney ne fut entendue que d’une petite partie de la foule, mais elle fut très vite imprimée et devint bientôt un texte classique à réciter lors des meetings83.
79En public, les chartistes déclaraient que l’implication de Holberry dans le soulèvement de Sheffield était l’œuvre de « sots bavards, terrifiés par la puissance qu’ils avaient fait se lever, et de traîtres qui incitaient les autres à commettre des actes dont ils s’abstenaient soigneusement et qui avaient sans doute été bien récompensés pour leur vilénie ». Mais le soutien apporté au chartisme était tel à l’été 1842, et le dégoût populaire face au traitement réservé aux prisonniers dans « l’enfer » de Northallerton, que cette justification élaborée fut sans doute superflue.
80L’idée que Holberry et d’autres chartistes étaient des prisonniers politiques se maintint. Dans les années 1860, Normanby, secrétaire au Home Office à l’époque de l’incarcération de Holberry, était encore attaqué pour avoir encouragé « des magistrats vils et serviles » à traiter les chartistes « plus mal que des voleurs, des cambrioleurs et même des meurtriers », allégations non dénués de fondement puisque, en tant qu’aristocrate du North Riding, Normanby devait avoir une connaissance directe du régime en vigueur à Northallerton84. Non seulement le Home Office ne se souciait guère de limiter le zèle du directeur de la prison, mais la lettre que Bayly adressa à Whitehall aussitôt après les procès de Sheffield montre que le gouvernement fut directement complice de son mauvais traitement. Presque autant que Frost, Holberry incarnait le patriote martyrisé, et le respect de sa mémoire devint l’une des caractéristiques du chartisme. « Père ! Qui sont les chartistes ? » demandait un poète du Northern Star :
Ils sont des millions qui travaillent dur, mon enfant,
Dans les champs, au métier, à l’usine, mon enfant,
[...]
Et ils ont juré sur la tombe de Holberry, mon enfant
(Ce martyr si noble et si courageux, mon enfant)
Que contre vents et marées
Ils iraient de l’avant
Jusqu’à ce que l’esclave soit libéré, mon enfant85 !
Notes de bas de page
1 [E. Dowling], Rise and Fall of Chartism in Monmouthshire, Londres, Bailey, 1840, p. 46 ; HO 40/47, Brewer à Bristol, 4 novembre 1839 ; un résident anonyme cité dans D.J.V. Jones, The Last Rising : The Newport Insurrection of 1839, Oxford, Clarendon, 1985, p. 159.
2 D. Williams, John Frost, Cardiff, University of Wales, 1839, p. 232-234 ; Jones, Last Rising, op. cit., p. 169-186 ; Monmouthshire Merlin, 5 novembre 1839 ; R. Challinor, A Radical Lawyer in Victorian England, Londres, Tauris, 1990, p. 43 ; NS, 30 novembre 1839.
3 Jones, Last Rising, op. cit., p. 185-187 ; Newport Muséum and Art Gallery, affiche Montmouthshire Spécial Commission, January, 1840. Sentences of the Prisoners, Monmouth, Heath, 1840.
4 Lettre à Taylor, Londres, 13 novembre 1839), Bibliothèque de l’université de Durham, documents Grey, GRE/B102/7/4, reproduit dans W.H. Fraser, Dr John Taylor, Ayr, Ayrshire Archaeological & Natural History Society, 2006, p. 93.
5 NS et True Scotsman, 9 et 16 novembre ; Charter, 10 et 17 novembre.
6 BCL, collection Lovett, vol. 2, f0 5 ; T.A. Devyr, Odd Book of the Nineteenth Century, New York, Greenpoint, 1882, p. 194-196 ; « Yours devotedly » (13 novembre 1839) à Taylor, reproduit dans Fraser, Taylor, op. cit., p. 93.
7 W. Lovett, Life and Struggles of William Lovett, Londres, Trübner, 1876, p. 239-240.
8 NS, 5 octobre 1839 et, pour le récit rétrospectif d’O’Connor, 3 mai 1845. Voir aussi J.A. Epstein, The Lion of Freedom : Feargus O’Connor and the Chartist Movement, 1832-42, Londres, Croom Helm, 1982, p. 198-200. Le procès fut le point culminant de l’examen officiel auquel fut soumis le NS, voir par exemple HO 73/42/61, 9 décembre 1837 ; et documents relatifs à R. contre O’Connor dans TS 11/813, fos 81-96,11/814, fos 52-57 et 65-76,11/817 NO. 2694.
9 B. Harrison et P. Hollis (éd.j, Robert Lowery, Londres, Europa, 1979, p. 155 et voir plus haut, chapitre 4.
10 NS, 30 novembre 1839.
11 True Scotsman, 16 novembre 1839.
12 NS et True Scotsman, 23 novembre 1839.
13 C.C.F. Greville, Greville Memoirs, 1814-60, L. Strachey et R. Fulford (éd.), Londres, Macmillan, 1938, vol. 4, p. 221.
14 NS, 7,14 et 28 décembre 1839.
15 Lettre à Taylor (13 novembre 1839), reproduit dans Fraser, Taylor, op. cit., p. 93.
16 Harrison et Hollis, Lowery, op. cit., p. 156 ; HO 40/43, Wemyss au Home Office, 12 novembre 1839, HO 40/45, Phillips au Home Office, 16-19 novembre, HO 40/44, 16 novembre 1839 et HO 65/10, fo 23-24 (13 novembre 1839) ; J.C.F. Barnes, Popular Protest and Radical Politics : Carliste, 1790-1850, thèse, université du Lancashire, 1981, p. 346 ; NS, 2, 30 novembre, 7 et 14 décembre 1839.
17 WYAS, Bradford, DB3 C4/1, R. Holder, Lines on Busy Peter’s Escapefrom Bradford. Bussey partit pour New York où il ouvrit une pension de famille. Il resta en contact régulier avec les chartistes du Yorkshire, suggérant qu’il n’avait ni volé le mouvement ni peut-être joué le rôle d’un lâche. Il revint tenir un pub près de Leeds en 1854. Voir aussi Yorkshire Daily Observer, 12 février 1902 et A. Peacock, Bradford Chartism, York, St Anthony’s Press, 1969.
18 Taylor à « Ma chère Mary Anne » [Graves], 8 décembre 1839, publié dans « The Chartist Correspondence », Free Press Sériais, 13 (janvier 1856), p. 3-4. L’original est conservé à la bibliothèque de Balliol College à Oxford, legs Urquhart, 1E1, fos 15-16.
19 HO 40/51, 17 décembre, voir aussi WYAS, Leeds, documents Harewood, Lieutenancy Box 2, dans une lettre du 19 décembre 1839 au HO ; HO 40/43,12 novembre 1839 ; W. Napier, Life and Opinions of General Sir Charles James Napier, Londres, Murray, 1857, p. 101-102.
20 Regenerator, 2 novembre 1839 ; Napier à Huband, [27] novembre 1839, au HO, 28 novembre, et entrées du journal pour décembre et pour les 1er, 2 et 4 janvier, cité dans Napier, Life, op. cit., p. 92-93,101 et 107 ; J. Baxter, « Early Chartism and labour class struggle », dans S. Pollard et C. Holmes (éd.), Essays in the Economic and Social History of South Yorkshire, Sheffield, South Yorkshire County Council, 1976 ; documents Harewood, Lieutenancy Box 2, dans une lettre du 19 décembre.
21 NS, 7 décembre 1839.
22 C’est-à-dire une « foutue révolution », l’original étant « a b : y r : n » (NdT).
23 NS, 3 mai 1845 ; Harrison et Hollis, Lowery, op. cit., p. 159.
24 J. Campbell, Speeches of Lord John Campbell, Édimbourg, Black, 1842, p. 485 ; M.S. Hardcastle, Life of Lord Campbell, Édimbourg, Murray, 1881, vol. 2, p. 127 ; NS, 3 mai 1845. Voir aussi Epstein, Lion of Freedom, op. cit., p. 208.
25 NS, 6 mai 1848 ; National Instructor, 25 mai 1850 ; W. Thomasson, O’Connorism and Democracy Inconsistent, Newcastle, Tyne Mercury, 1844, p. 8.
26 NS, 11 janvier 1840 ; R. Sykes, « Physical-force Chartism : the cotton district and the Chartist crisis of 1839 », International Review of Social History, 30 (1985), p. 234 ; Napier, Life, op. cit., p. 109 ; Devyr, Odd Book, op. cit., p. 204-207 ; Leeds Mercury et Leeds Times, 18 janvier 1840 ; Halifax Guardian, 18 janvier 1840.
27 Citation tirée de l’interrogatoire de Samuel Thompson, TS 11/816/2688, également reproduite dans D. Thompson, Early Chartists, Londres, Macmillan, 1971, p. 270-279.
28 « Sexagenarian », « Sheffield as it was : the Chartists and their attempt at révolution », article non daté [1872] découpé dans le Sheffield Daily Telegraph, Université de Leeds, Brotherton Library, collections spéciales ; J. Baxter, « The life and struggle of Samuel Holberry, physical force Chartist », dans Samuel Holberry, Sheffield, Holberry Society, [1978], p. 7-21 ; Baxter, « Early Chartism », art. cité, p. 149-152 ; TS 11/816/2688, interrogatoires de Foxhall et Thompson, reproduits dans Thompson, Early Chartists, op. cit., p. 264-279 ; HO 40/44, f° 545.
29 Morning Herald et Morning Post, 16 janvier 1840 ; The Charter, 19 et 26 janvier 1840.
30 TS 11/18/2678 ; MS, 3 mai 1845 ; J. Taylor, The Corning Révolution, Carlisle, Arthur, 1840, p. 3 et 11.
31 Pour un récit qui fait autorité, voir Peacock, Bradford Chartism, op. cit., p. 39-43.
32 Audience du procès, Leeds Times, 15 février 1840.
33 Entretien avec W.J. Williams, HO 20/10.
34 L’historien homme politique whig Thomas Macaulay (1800-1859) était secrétaire d’État à la Guerre ; l’homme politique whig, le vicomte Palmerston (1784-1865) était secrétaire d’État aux Affaires étrangères (F.B.).
35 Williams, John Frost, op. cit., p. 286 ; Lord Broughton (J.C. Hobhouse), Recollections of a Long Life, Londres, Murray, 1911, vol. 5, p. 244 ; Greville Memoirs, vol. 4, p. 233-235.
36 NS, 29 février 1840 ; Epstein, Lion of Freedom, op. cit., p. 208-209 ; A. Wilson, The Chartist Movement in Scotland, Manchester, Manchester University Press, 1970, p. 106-107.
37 H. Martineau, Afistory of England during the Thirty Years’Peace, 1816-46, Londres, Knight, 1850, vol. 2, p. 413.
38 Hobhouse, Recollections, vol. 5, p. 244.
39 NS, 3 mai 1845.
40 John Bâtes of Queensbury : The Vétéran Reformer. A Sketch of his Life, Queensbury, Feather, 1895, p. 5-6.
41 Dans les paragraphes qui suivent, toutes les informations sans source précisée viennent de NS, 28 septembre 1839 au 26 décembre 1840.
42 NS, 23 mai 1840 ; J. Christodoulou, « The Glasgow Universalist Church and Scottish Radicalism », Journal of Ecclesiastical History, 43/4 (octobre 1992), p. 608-623.
43 True Scotsman, 9 novembre 1839 ; J.H. Burland, « Annals of Barnsley and its Environs », vol. 2 (1881), f° 117, manuscrit inédit conservé à la Bibliothèque centrale de Barnsley, Archives & Local Studies Section ; Hymns to be Sung at the Bradford and Barnsley Chartist Camp Meeting, Sheffield, Smith, 1839.
44 À ce sujet, voir E. Yeo, « Culture and constraint in working-class movements, 1830-1855 », dans E. et S. Yeo (éd.), Popular Culture and Class Conflict, Brighton, Harvester, 1981, p. 155-186.
45 NS, 20 juin 1840. Cromwell n’était jamais allé à Stockton mais cette légende avait un attrait compréhensible.
46 True Scotsman, 22 février 1840 ; NS, 19 décembre 1840. Pour les ventes du Chartist Circular en France, voir le numéro du 18 septembre 1841.
47 NS, 16 novembre 1839. Voir aussi J.A. Epstein, Radical Expression, New York, Oxford University Press, 1994, p. 147-165.
48 Sutton-in-Ashfield, voir TS 11/601, lettre à T. Cooper, 16 mai 1842 ; Barnsley, voir Burland, « Annals », vol. 2, p. 82. Voir aussi Wilson, Chartist Movement in Scotland, op. cit., p. 201. Le théâtre amateur chartiste mérite une étude plus approfondie, mais voir P. Pickering, Chartism and the Chartists in Manchester and Salford, Londres, Macmillan, 1995,p. 186-187, et C. Barker, « The Chartists, theatre reform and research », Theatre Quarterly, 1/4 (décembre 1971), p. 3-10.
49 Leeds Times, 3 mars 1838.
50 McDouall’s Chartist and Republican Journal, 17 (24 juillet 1841) ; voir aussi C. Turner, Politics in Mechanics Institutes, 1820-50 : A Study in Conflict, thèse, université de Leicester, 1980, en particulier p. 78.
51 NS, 9 mai et 8 août 1840 ; True Scotsman, 29 février 1840.
52 « Reform, by a Radical of the old school », People’s Magazine, mars 1841, p. 88-89.
53 M. Tylecote, Mechanics’ Institutes of Lancashire and Yorkshire before 1851, Manchester, Manchester University Press, 1957, p. 241.
54 NS, 3 octobre et 12 décembre 1840,17 juillet 1841 ; A. Briggs, « Industry and politics in early nineteenth-century Keighley », Bradford Antiquary, 9 (1952), p. 314 ; HO 107/2278, fos 495-496.
55 B. O’Brien, Life and Character of Maximilian Robespierre, vol. I, Londres, Watson, [1838], p. 284 ; True Scotsman, 22 février 1840 ; NS, 12 septembre, 29 août et 16 mai 1840. Au sujet du mutualisme à cette époque, voir S. Cordery, British Friendly Societies, 1750-1914, Londres, Palgrave, 2003.
56 NS, 5 janvier et 6 avril 1839 ; Charter, 8 septembre 1839. Voir aussi M. Purvis, « Co-operative retailing in England, 1835-50 : developments beyond Rochdale », Northern History, 22 (1986), p. 198-215 ; R.C.N. Thornes, « Change and continuity in the development of co-operation, 1827-44 », dans S. Yeo (éd.), New Views of Co-operation, Londres, Routledge, 1988.
57 NS, 21 décembre et 1er août ; Northern Liberator, 7 septembre 1839.
58 True Scotsman, 22 février 1840.
59 Pour un homme au traitement de l’anti-alcoolisme par NS, voir W. Farish, Autobiography of William Farish, Liverpool, J.R. Williams, 1890, p. 41 ; W. Hick, Chartist Songs and Other Pièces, Leeds, Hobson, 1840 ; NS, 3 avril 1841.
60 EssexSuffolk Times, 2 février 1838, cité dans A.F.J. Brown, Colchester, 1815-1914, Chelmsford, Essex County Council, 1980, p. 112.
61 Pickering, Chartism, op. cit., p. 186.
62 Ce sont là quelques formules tirées de lettres personnelles à Thomas Cooper, saisies par la police lorsqu’il fut arrêté en 1842, et conservées dans TS 11/600 et 601.
63 P. Pickering, « Chartism and the "trade of agitation" in early Victorian Britain », History, 247 (juin 1991), p. 222-237.
64 NS, 25 juillet 1840. Pour un plan du « circuit » chartiste sur le modèle méthodiste, voir HO 45/46, f° 3. Voir aussi E. Yeo, « Practices and problems of Chartist democracy », dans J. Epstein et D. Thompson (éd.), Chartist Expérience, Londres, Macmillan, 1982, p. 345-380.
65 En 1820, la défense de la reine Caroline, dont l’époux impopulaire, nouveau roi George IV voulait à tout prix divorcer, fit l’objet d’un vaste soutien public, en particulier par quelque 800 pétitions rassemblant un million de signatures (F.B.).
66 H. Heavisides, Centennial Edition of the Works of Henry Heavisides, Londres, J.A.H. Simpson, 1895 et Gateshead Observer, 27 juillet 1839 ; M. Fletcher, Letters to the Inhabitants of Bury, Bury, 1852, cité dans Thompson, Early Chartists, op. cit., p. 27-28.
67 Cette « émigration politique » (formule de Harney dans le Newcastle Weekly Chronicle, 6 mai 1882) incluait Devry, de Newcastle, Thornton, de Halifax, et une dizaine de chartistes de Sheffield, dont James Wolstenholme, délégué à la convention.
68 HO 20/10, entretien avec Hutton, par W.J. Williams.
69 Parliamentary Papers, 1840 (600), vol. XXXVIII, analysé dans C. Godfrey, « Chartist prisoners, 1839-41 », International Review of Social History, 24 (1979), p. 231-232. Les professions libérales (dont l’édition) représentaient 21 personnes, les boutiquiers et gérants de pubs 18. Le métier de 58 prisonniers n’est pas indiqué.
70 « The reminiscences of Thomas Dunning », Transaction of the LancashireCheshire Antiquarian Society, vol. LIX (1947), p. 119 ; Bradford Observer, 19 décembre, et Halifax Guardian, 21 décembre 1839. Voir le chapitre 8 pour les allégations d’ordre sexuel.
71 « James Williams », dans G. Batho (éd.), Durham Biographies : Volume 2, Durham County Local History Society, 2002, p. 126 ; R. Peddie, The Dungeon Harp, Édimbourg, imprimé à compte d’auteur, 1844, p. 17 ; NS, septembre 1840 ; Godfrey, « Chartist prisoners », art. cité, p. 217-221.
72 R.L. Brett (éd.), Barclay Fox’s Journal, Londres, Bell & Hyman, 1979, p. 181 ; la lettre de Frost fut reproduite en entier dans R.G. Gammage, History of the Chartist Movement, 1837-54, Newcastle upon Tyne, Browne, 1894, p. 171-172.
73 Le récit le plus complet de la vie de Holberry se trouve dans ECC, 118-122 [mai-juin 1843] (« communiqué par un ami à Sheffield » et en partie d’après des informations fournies par l’épouse de Holberry) et dans DLB, vol. 4.
74 I. Prothero, Artisans and Politics in Early Nineteenth-century London, Folkestone, Dawson, 1979, p. 293. M. Chase, Early Trade Unionism, Aldershot, Ashgate, 2000, p. 149 et 165. Les extraits de l’interrogatoire de Samuel Thompson, TS 11/816/2688, sont aussi reproduites dans D. Thompson, Early Chartists, Londres, Macmillan, 1971, p. 270-279.
75 ECC, 122 ; interrogatoire de Thompson.
76 HO 20/10, W.J. Williams, entretien avec William Wells.
77 Cité dans DLB.
78 NS, 15 janvier et 21 mars 1840 ; £CC, 119 ; DLB ; TS 11/813, fo 2, J. Bayly à G. Maule (21 mars 1840).
79 NS, 6 mars 1841.
80 York Courant, 4 février 1841 ; NS, 6 février 1841. Voir aussi H.L. Fairburn, « Chartist prisoners in Northallerton », North Yorkshire County Record Office Review for 1999, Northallerton, NYCC, 2000, p. 41-47.
81 NS, 13 juin, 25 juillet 1840 ; C. Godfrey, « The Chartist prisoners, 1839-41 », IRSH, 24 (1979) ; ECC, 119.
82 NS, 17 octobre 1840.
83 NS, 2 juillet 1842 ; ECC, 121 ; TS 11/601, J. Bairstow à T. Cooper, 22 juin 1842. Voir aussi T. Laqueur, « Bodies, death and pauper funerals », Représentations, 1 (1983), p. 118. R. Fyson, Chartism in North Staffordshire, thèse, université de Lancaster, 1999, p. 129.
84 Reynolds’s Newspaper, 17 mai 1863, cité dans Godfrey, « Chartist prisoners », art. cité, p. 215.
85 J.M. Owen, « Father ! Who are the Chartists ? », NS, 10 février 1844.
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