Chapitre 4. « Enthousiasme et appréhension extrêmes » (juillet-novembre 1839)
p. 133-170
Texte intégral
L’approche du 1 2 août
1L’annulation du mois sacré, remplacé par trois jours de meetings de protestation, marqua un recul considérable pour le chartisme. Cela ne fut pourtant pas tout à fait évident à l’époque, surtout pour les adversaires du mouvement. Les semaines écoulées depuis l’arrestation de Lovett avaient vu monter les troubles, non seulement à Birmingham – la nuit la plus agitée étant celle du 15 juillet –, mais aussi à Bury, Newcastle, Monmouth et Stockport. La tension fut exacerbée par une série d’occupations d’églises par des chartistes, par quelques-unes des publications chartistes les plus virulentes et par l’adoption au Parlement d’une loi qui faillit rivaliser avec la New Poor Law en termes en termes de haine populaire, le Rural Constabulary Bill. Il faut comprendre ces événements pour resituer dans leur contexte les événements survenus du 12 au 14 août.
2Les circonstances locales expliquent chacune des émeutes, mais le résultat global fut de renforcer la peur que les chartistes ne préparent un vaste soulèvement. À Birmingham, le mécontentement était retombé, mais il s’affirma de nouveau le lundi 15 juillet, quand une foule réunie pour saluer Collins, enfin libéré de prison, entendit parler d’une bagarre impliquant des policiers. Cela déclencha une chaîne d’événements qui culmina avec l’incendie de plusieurs boutiques du Bull Ring ; toute la marchandise alimenta un grand feu de joie à l’endroit où les chartistes se réunissaient habituellement, devant la statue de Nelson. Les magasins visés appartenaient à des commerçants que la rumeur disait vigoureusement anti-chartistes ; avant de les attaquer, la foule en colère assiégea le Public Office où les policiers s’étaient barricadés. Si satisfaisant que cet épisode ait pu paraître à court terme, humiliant la police et les magistrats et réglant les comptes avec des boutiquiers tout-puissants, le véritable effet fut de présenter le chartisme de Birmingham sous une lumière peu attrayante. La presse couvrit l’événement en termes alarmistes, si excessifs que le duc de Wellington déclara au Parlement n’avoir « jamais connu une ville prise d’assaut traitée de la manière que décrivent les récits venant de Birmingham ». Ce dernier était tellement outré qu’un observateur bien informé trouva que son ton « trahissait un déclin inquiétant des facultés mentales ». Trois des émeutiers furent condamnés à mort pour avoir détruit une maison – la peine capitale fut ensuite commuée en déportation. Pourtant, les visiteurs qui surmontèrent la panique pour se rendre à Birmingham en revinrent presque déçus par l’étendue limitée des dégâts1.
3Les autres émeutes firent moins de ravages, mais aggravèrent aussi la tension, alors que le 12 août approchait. À Bury, le 17 juillet, comme une rumeur prétendait que la police allait faire une descente sur le Radical Hall, « un grand nombre d’hommes, de femmes et de robustes garçons se déversèrent en ville » ; beaucoup étaient armés et tirèrent à plusieurs reprises des coups de feu en l’air. Trois jours après, à Newcastle, la police eut bien du mal à restaurer l’ordre après que l’évasion d’un prisonnier – arrêté pour un délit sans lien avec le chartisme – eut entraîné des courses-poursuites et des dégâts dans une banque et dans les bureaux du Tyne Mercury anti-chartiste. Dix jours plus tard, la « bataille de la Forth » vit une intervention militaire de grande ampleur pour empêcher la tenue d’un meeting chartiste en plein air, dans le centre de Newcastle. Le vendredi 2 août, il fallut donner lecture du Riot Act, loi sur les émeutes, devant la Cour d’assises de Monmouth où Vincent allait être jugé. Le 7 août, à Stockport, quand les magistrats voulurent interdire tous les meetings et imposer un couvre-feu dans les débits de bière, les soldats furent envoyés fouiller un pub chartiste, à la recherche d’armes. Il s’ensuivit une nuit d’escarmouches dans les rues2.
4Ces événements se produisaient dans un contexte mêlant « enthousiasme et appréhension extrêmes », pour citer le correspondant de The Charter. Les peines capitales prononcées à Birmingham propagèrent le désarroi. À Lye, dans le Black Country, la cavalerie essuya des jets de pierres alors qu’elle se rendait à Birmingham. Le peuple s’armait, comme l’indiquait des preuves toujours plus abondantes, et les armes étaient fabriquées au mépris des interdictions. À Bolton, « on ne tente même pas d’en dissimuler la production car deux des ateliers donnent sur la rue et tous les passants peuvent y voir les hommes travailler ». Près de Stourbridge, « même des enfants » étaient employés à fabriquer des chausse-trappes. À Manchester, on racontait que l’on fabriquait des machines pour projeter des obus et des balles. À Stockport, une descente de police dans six maisons livra des pistolets, des mousquets, des carabines, des piques, des baïonnettes, des épées, des poignards, des moules à balle et des amorces3. « J’ai reçu plus de demandes que jamais au cours des quinze derniers jours », déclara un armurier de Bradford aux magistrats le 26 juillet, dont « des demandes presque quotidiennes de fusils militaires » et pour des travaux permettant « d’éloigner le viseur du mousquet du bout du canon pour que la baïonnette tienne mieux ». Non loin de là, à Shipley, un forgeron et ses deux assistants travaillaient à plein temps à « fabriquer des lances pour les chartistes ». Ces armes avaient la forme distinctive – avec des crochets pour couper les brides des chevaux – recommandée par Macerone et adoptée par les chartistes dans de nombreux centres4.
5La participation massive des chartistes à des offices religieux était une nouveauté. Cette tactique fut élaborée alors que les autorités locales avaient de plus en plus tendance à déclarer illégaux les rassemblements chartistes5. Ce phénomène, qu’il ne faut pas confondre avec les Églises chartistes, se produisait surtout dans les villes où les élites locales se méfiaient le plus du mouvement. Les chartistes de Birmingham furent les premiers à user de cette tactique, le lendemain du jour où Lovett et Collins furent arrêtés. Ces manifestations étaient pourtant majoritairement liées au 12 août et aux dimanches qui précédèrent ou suivirent cette date. Elles eurent lieu dans moins d’un dixième des quelque quatre cents centres où existaient officiellement des associations chartistes. Il n’y en eut aucune en Écosse et seulement trois au pays de Galles6. Là où elles se produisirent, les tensions sociales ainsi créées furent extraordinaires.
6Les chartistes annonçaient parfois leurs intentions, combinées à la demande d’un sermon sur un texte spécifique – en général l’épître de saint Jacques, « Mais vous, riches, pleurez ; poussez des cris et comme des hurlements dans la vue des misères qui doivent fondre sur vous » (5, 1). Les chartistes se rassemblaient près de l’église et s’y rendaient en masse, accaparant les premiers rangs et les bancs privés – qui représentaient encore la majorité des sièges dans les églises anglicanes. Les occupants habituels étaient obligés de sortir ou ne pouvaient pas même entrer, et cela entraînait parfois des bousculades. La plupart des chartistes tenaient à venir en tenue de travail, revêtant même parfois spécialement un tablier ou, comme à Merthyr Tydfil, « l’uniforme chartiste, un costume particulier en flanelle galloise », tissé dans la filature locale. Cela suscita des plaintes, comme les cas relativement rares de tabagie et d’ivrognerie. Aucun office ne fut pourtant véritablement perturbé : l’incident qui s’en approcha le plus se produisit lors d’une messe en plein air, à Ashton-under-Lyne, où le prédicateur annonça qu’il s’était inspiré de la phrase : « Ma maison est une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs » (Luc 19,46). Les occupations d’églises étaient néanmoins des provocations délibérées, non à l’encontre du culte en soi, mais de l’élitisme social de l’Église d’Angleterre – symbolisé par les bancs privés, les messes d’ouverture des Assises, et la classe sociale du clergé – et de ses liens très forts avec l’establishment politique7.
7Quelques occupations d’églises éveillèrent la sympathie du clergé, mais jamais une approbation inconditionnelle. Le Dr Whittaker de Blackburn accepta de prêcher sur le texte de l’épître de saint Jacques, mais souligna que « nulle nation n’a jamais atteint la liberté civile par de simples chartes ou actes de législation [...] mes frères, soyez patients jusqu’à l’avènement du Seigneur ». Dans l’unique exemple connu d’occupation d’une église catholique, le prêtre développa un argument bien connu de Cobbett : le secours aux pauvres n’avait pas survécu à la Réforme. Mais lorsqu’il « affirma que les pauvres de ce pays ne reçoivent à présent aucune protection des lois, et que la charité divine avait quitté le pays quand la religion catholique avait été remplacée par le protestantisme », ses 1500 ouailles le huèrent. La plupart des prédicateurs profitaient néanmoins de l’occasion pour prononcer des sermons pesants sur le devoir et l’obéissance, ou pour attaquer le chartisme à ce qu’ils croyaient être sa source, le désir de richesse et le mépris du monde à venir. Plusieurs choisirent comme texte l’epître de saint Paul aux Philippiens, « Car j’ai appris à me contenter de l’état où je me trouve » (4,11). Le révérend Close, de Cheltenham, voulut les détromper : « Vous qui vous bercez d’illusions, le chartisme, c’est la rébellion contre l’homme. » À Preston, le pasteur reprocha aux chartistes de ne pas attribuer « les maux de leur condition à leur propre inconduite », ajoutant qu’ils « n’avaient que trop tendance à en rendre responsables les gens vertueux et pieux8. »
8Ces manifestations dans les églises projetaient le chartisme au cœur même de l’establishment local. Les élites locales étaient paniquées par la proximité soudaine de « personnes dont l’apparence n’honorait en rien le repos dominical, ni par leur propreté ni par leurs habits », et qui s’exprimaient dans un dialecte « brutal ». Comme Napier le nota à propos de Nottingham : « On s’inquiète beaucoup en ville à ce sujet, dans une certaine classe9 ». Ces manifestations se déroulaient dans une atmosphère de turbulence disciplinée plutôt que de rébellion.
9À mesure que le 12 août approchait, les publications chartistes prirent malgré tout un ton ouvertement insurrectionnel. La diffusion du Northern Star dépassait maintenant les 40 000 exemplaires par semaine, surpassant même le Times, avec des ventes qui comptent probablement parmi les plus fortes qu’aucun périodique ait alors connu10. Ce chiffre est éloquent : il reflète l’influence d’O’Connor et l’importance de la presse imprimée pour aider le chartisme à devenir un mouvement national cohérent. Visant un public plus large que les fidèles du mouvement, les affiches et les discours imprimés avaient pourtant un plus grand impact à court terme. Depuis sa base de Newcastle, la Northern PU était particulièrement active. Son Addresse à la classe moyenne du nord de l’Angleterre comptait parmi les plus intransigeantes de toutes les déclarations d’hostilité sociale publiées par les chartistes :
C’est probablement la toute dernière fois que nous nous adressons à vous dans le langage de la fraternité [...] C’est votre intense et aveugle égoïsme qui rend presque inévitable une convulsion civile. On s’en souviendra le jour du Jugement. Vous n’êtes pas avec nous, vous êtes donc contre nous. Si le peuple doit l’emporter – et ce serait folie que d’en douter – il ne vous témoignera aucune gratitude ; s’il échoue, vous serez entraîné dans sa ruine [...] il se disperserà en un million d’incendiaires, vos entrepôts, vos maisons, seront livrés aux flammes, et l’Angleterre ne sera plus qu’un vaste champ de ruines noircies11 !
10C’est à cause de la publication de cette Adresse par la CA de Durham que Williams et Binns furent arrêtés et accusés de sédition. Cela n’eut pourtant guère d’impact sur le chartisme du Nord-Est, comme l’indique une adresse tout aussi belliqueuse, « À la classe moyenne de Darlington, et ses environs », publiée quelques jours plus tard. « Vous êtes maintenant au bord d’une guerre civile chez vous [...] Oh hommes stupides et orgueilleux12 ! » Les chartistes de Bradford diffusèrent parmi les commerçants locaux un appel imprimé « pour le Fonds de Défense » contenant cette mise en garde : « En cas de refus de cette requête raisonnable nous saurons comment reconnaître nos Amis et nos Ennemis13. » D’autres circulaires étaient adressées aux sociétés professionnelles : Richardson invoquait la Magna Carta et les héros radicaux du xviie siècle, Hampden et Sydney ; les chartistes de Bolton signalaient l’« intrusion tyrannique » d’un gouvernement qui voulait anéantir le syndicalisme14.
11Toutes ces publications mettaient l’accent sur un nouvel élément du contexte politique, le County and District Constabulary Bill, projet de loi sur la police présenté à la Chambre des communes le 24 juillet. Ce n’était pas particulièrement une mesure anti-chartiste : elle résultait de l’inquiétude croissante face aux crimes contre la propriété privée que, pensait-on, le manque de ressources policières encourageait. Quand les fonctions de la police se bornaient aux limites de la paroisse, les petits délinquants n’avaient qu’à migrer d’un comté à un autre. Le Home Secretary avait laissé entendre que l’existence du chartisme avait influencé sa décision, mais vu le climat d’anxiété qui régnait, la fin juillet était un bon moment pour introduire une mesure susceptible de se heurter à l’opposition farouche de députés hostiles à l’expansion du gouvernement central aux dépens de l’autonomie locale.
12Ce débat était en cours depuis qu’avait été mise en place une Commission royale en début d’année, laquelle avait alimenté le sentiment anti-police, ingrédient essentiel des troubles survenus à Birmingham, Hanley et Llanidloes15. La nouvelle loi conférait une urgence supplémentaire à la Charte, aiguisait l’appétit pour le mois sacré et augmentait les craintes au cas où la pétition échouerait. Selon les chartistes de Bolton, lord John Russell voulait créer une force de police « explicitement vouée à réprimer les grèves ». « C’en était désormais fini des lois dans ce pays », déclara O’Connor. « Le petit bâton doré des agents d’autrefois est devenu une matraque meurtrière », affirma Richardson16. Une affiche publiée le 8 août par la Northern PU, appelant à la grève générale, proclamait : « Anglais ! Vous avez demandé qu’on redresse vos torts, et l’on vous répond par une police digne des Bourbons17. »
13Le spectre d’une « immense force de police » contrôlée par le gouvernement dans les zones rurales aida le chartisme à s’imposer davantage dans l’Angleterre rurale en juillet et début août, par exemple dans les bourgades jusque-là politiquement inertes de Thirsk et Northallerton, dans le North Riding18. Sous sa forme définitive, le Rural Constabulary Act de 1839 était un texte médiocre, qui autorisait mais n’obligeait à rien, et la notion de contrôle centralisé y était réduite à un petit corps d’inspecteurs dénués de réel pouvoir. Mais cela ne fut pas aussitôt visible, alors que l’accumulation des mesures locales ad hoc, en prévision du 12 août, continuait à entretenir les craintes chartistes. Stockton-on-Tees, dans la circonscription de South Durham, fournit un bon exemple de la manière dont, vers la fin de l’été, l’activité chartiste répondit à l’inquiétude officielle croissante. À Pâques, une équipe de la CA de Durham s était rendue à Stockton pour la première fois, et une association locale avait été aussitôt créée. Les chartistes locaux affrontaient régulièrement les autorités. Les taverniers et tous ceux qui mettaient un lieu de réunion à leur disposition faisaient l’objet de menaces. Le courrier des chartistes était retardé et examiné. Le 17 juillet, quand un informateur signala qu’il avait été ouvertement question de prendre les armes au cours d’un meeting « surtout d’ouvriers et des classes laborieuses, quelques femmes étant aussi présentes », le maire de Stockton demanda immédiatement au Home Office qu’une « force militaire [...] soit envoyée dans cette ville »– ce qu’il obtint, contre l’avis de Napier. De la ville voisine de Hartlepool, un autre correspondant prédit que « chaque maison sera pillée et chaque vie humaine sacrifiée ». Les magistrats de Stockton enrôlèrent 235 agents spéciaux : membres des professions libérales, détaillants, commerçants, 22 « gentlemen », douaniers de la Tees et le Poor Law Relieving Officer local. Un noyau central d’une centaine d’hommes formèrent alors une « association pour la protection de la vie et des biens des sujets de Sa Majesté », que la ville de Stockton voulut équiper de fusils et de coutelas. De l’autre côté de la Tees, dans le North Yorkshire, la rumeur prétendait qu’il « y avait 11000 chartistes » à Stockton – dont la population totalisait à peine 9 000 personnes –, et quelques habitants altruistes de Yarm tentèrent de dissuader les voyageurs de s’y rendre. Ces réactions au chartisme à l’été 1839 en disent long sur la terreur dans laquelle la menace d’une grève générale plongeait les autorités locales et la bonne société du nord de l’Angleterre. Dans ces conditions, pourquoi le mois sacré fut-il annulé19 ?
Une grande démonstration morale
14Stockton montre à quel point le mois sacré était une stratégie politique fragile, voire illusoire. Seule une cache d’armes assez dérisoire y fut découverte. La mesure qu’O’Connor avait choisi de substituer au mois sacré, la « grande démonstration morale » du 12 au 14 août, se déroula sans pratiquement susciter aucune réaction dans les rues. Pourtant, deux semaines auparavant, le Northern Liberator se vantait que « le peuple de Stockton est prêt à jouer son rôle, et si le nombre des travailleurs rend la tâche facile, alors l’œuvre de régénération nationale ne posera guère de difficulté ». Les dirigeants de la CA de Durham en conclurent qu’en dehors de Sunderland, la région était mal préparée au mois sacré. Ce n’est pas l’efficacité des autorités locales qui étouffait toute initiative : au contraire, l’association paramilitaire fondée à Stockton acquit rapidement une réputation presque loufoque, tandis que l’infanterie envoyée dans le Teessside passait le plus clair de son temps dans des wagons de marchandises bondés, allant et venant sur la ligne de chemin de fer reliant Stockton et Darlington dans l’espoir de protéger simultanément les deux villes20. En fait, la notion même de grève générale, même pour un ou deux jours – et plus encore pour un mois entier – appelait un soutien massif et des préparatifs détaillés.
15Le manque de préparation pouvait en partie être attribué à la convention, qui n’avait pas su donner des instructions claires à temps. D’un autre côté, son indécision était compréhensible, faute d’informations précises sur la situation du pays. La diffusion massive du Northern Star et le flux de journaux dans son sillage étaient trompeurs : la communication interne était un problème récurrent pour les dirigeants chartistes, à tous les niveaux. L’histoire du chartisme était pleine de meetings qui avaient échoué parce qu’ils avaient été annoncés trop tard, auxquels les orateurs n’avaient pu participer parce qu’ils parlaient ailleurs au même moment, parce que des courriers s’étaient égarés, ou à cause de l’état des routes, des liaisons ferroviaires incertaines et (dans les localités côtières) des marées et du temps.
16C’est pour surmonter ces difficultés de communication que des orateurs réputés comme O’Connor et Vincent s’imposaient un programme de discours aussi éprouvant. De plus, le militantisme politique soutenu exige un optimisme sans faille. Quand des organisateurs locaux comme Bussey déclaraient : « Le travail progresse ici magnifiquement » et « le succès ne fait aucun doute », la frontière était bien mince, et perceptible surtout après coup, entre direction encourageante et bellicosité irresponsable.
17Enfin, bien sûr, la convention était prise dans un jeu de bluff avec l’establishment politique. Très peu de délégués s’attendaient à ce que le Parlement concède quoi que ce soit en réponse à la pétition nationale, et il est peu probable que beaucoup aient pensé qu’une grève obtiendrait davantage. Le sentiment était cependant très répandu que l’action répressive du gouvernement susciterait une crise générale : l’émeute du Bull Ring du 4 juillet semblait en être un signe avant-coureur. Quand la convention quitta Birmingham pour le débat parlementaire sur la pétition, les délégués s’attendaient à être arrêtés sous peu. Certains voyageaient même « dans l’espoir que le Gouvnt va les mettre en détention », comme un observateur l’écrivit à propos de Bussey21.
18Pourtant, comme on l’a vu au chapitre 3, la convention perdit des membres non pas à cause des arrestations massives, mais à la suite d’une lente usure, processus dans lequel les démissions jouèrent un grand rôle. Le 6 août, c’est un corps amenuisé et démoralisé qui prit finalement le taureau par les cornes. Tout indiquait que le mois sacré était voué à l’échec. Doncaster, Rotherham et Sheffield n’étaient pas « à la hauteur ». Les chartistes de Belper exigeait qu’un « autre programme soit adopté », Derby n’était « pas prêt » et Loughborough était déçu « que d’autres lieux plus renommés » ne prennent pas l’initiative. Hyde était « entièrement préparé, mais nous croyons que le pays ne l’est pas » et ordonna à son délégué de ne pas voter contre la grève. La plupart des syndicats de Preston étaient « résolument contre ». À Middleton, « ceux qui sont décidément pour le Congé sont en minorité ». Des Potteries, Richards signala : « Je ne trouve guère de provisions en vue de la grève [...] Mon opinion est donc que le Mois Sacré ne peut être tenté ici, selon toute prudence. » Selon ce que Lowery affirma par la suite, McDouall concéda que « s’il nommait 400 hommes armés pour son voisinage [Ashton-under-Lyne] il surestimerait probablement le nombre ». Les délégués n’avaient qu’une médiocre connaissance de la situation en Écosse – région à présent sérieusement sous-représentée à la convention –, mais à en juger d’après les rapports présentés à un congrès de délégués écossais la semaine suivante, elle ne différait guère : il existait une opposition limitée au concept de mois sacré, mais un consensus quant au caractère prématuré de son application immédiate22.
19Quelques localités se déclarèrent prêtes, mais ce ne furent que des voix isolées. La vallée de la Colne était « prête à tout moment » ; à Bath, « on redoute surtout que la grève n’ait pas lieu ». À Shepshed, « dix-sept hommes sur vingt » se mettraient en grève. Les préparatifs étaient bien avancés à Bradford, prétendait Bussey, même si le Northern Star « leur avait fait un tort infini ». De l’autre côté des Pennines, certains chartistes de l’est du Lancashire suggérèrent même de brûler le journal23. Il est donc concevable que, s’il avait été décidé plus tôt de mettre en place une grève brève et exemplaire, cette mesure aurait remporté un soutien bien plus large. Au lieu de quoi, la caractéristique la plus remarquable de l’événement fut peut-être les manifestations des églises qui le précédèrent. Une grève générale atténuée se produisit pourtant, principalement à Manchester et dans ses environs, mais aussi à Barnsley, Carlisle, la circonscription de Dewsbury, Macclesfield, Mansfield, Nottingham, Sheffield, le sud du pays de Galles, le bassin minier de Durham et, de façon plus limitée, dans le Tyneside.
20Ailleurs, les activités chartistes se bornèrent surtout à des défilés et rassemblements nocturnes sans grande importance. Le meeting de Bristol « attira peu de monde » ; 2000 à 3 000 personnes se réunirent de façon pacifique à Norwich, et seulement entre 200 et 400 à Halifax. À Dukestown, dans le Montmouthshire, les chartistes se rassemblèrent « afin de demander à la Reine de renvoyer le ministère actuel, de prendre dans son conseil des hommes plus avisés, et de dissoudre le Parlement », en ajoutant cette coda menaçante : « Dans l’état d’excitation inquiétante où se trouve le pays, quand nul ne peut dire ce qu’apportera le lendemain, il suffira de dire aux hommes des montagnes que le pays de Galles compte sur chacun pour qu’il fasse son devoir24. » Les chartistes d’Oldham votèrent une résolution qui déclarait superflu le congé national. « Il n’y a eu ici ni procession, ni réunion, ni grève », rapporta de Birmingham le correspondant du Charter : là comme ailleurs, la condamnation de Lovett et Collins à un an de prison la semaine précédente étouffa peut-être toute activité. La cavalerie dispersa quelque 150 personnes rassemblées dans Trowbridge Common. À Londres, les meetings formés dans quatre lieux différents convergèrent vers Kennington Common, au sud de la Tamise, où une foule de 12 000 individus écouta O’Brien, O’Connor et Taylor, essentiellement à propos d’une pétition à adresser à la reine pour qu elle annule la peine capitale infligée aux émeutiers du Bull Ring25. La présence de ces trois orateurs (O’Connor en particulier) dans la capitale et non dans le nord du pays suggère qu’ils se désintéressaient désormais des événements, ou qu’ils en éprouvaient quelque embarras.
21Là où des débrayages importants se produisirent, ils s’accompagnèrent de troubles liés aux divers degrés d’efficacité des autorités locales pour imposer l’ordre. Dans le Lancashire, les tensions sociales furent aggravées par le vingtième anniversaire de Peterloo, le 16 août. À Charlestown, près d’Ashton-under-Lyne, la police aidée par l’armée fit une descente chez les Clayton, qui avaient tous deux été blessés en 1819. Le but était d’empêcher « la Vieille Nancy » d’exposer en public le jupon noir qu’elle portait à Peterloo, ainsi qu’un bonnet phrygien vert. Le jupon fut saisi, mais le bonnet phrygien s’avéra introuvable – « il est où vous n’oserez pas le chercher », lança Nancy au chef de la police d’Ashton26. À Newcastle, où la Northern PU publia un appel à la grève générale le 12 août, il y eut une timide manifestation dans l’après-midi, reflétant en partie le sentiment que le Tyneside avait été abandonné par la convention : tandis que Harney attendait d’être jugé à Warwick, O’Brien était à Londres et Lowery avait été envoyé en Irlande sous prétexte de rallier les partisans d’O’Connell à la cause et d’obtenir l’envoi d’une délégation de Dublin à la convention27.
22À l’extérieur de Newcastle, il se produisit néanmoins des affrontements mineurs entre soldats et grévistes dans plusieurs villages industriels, dont Winlaton. Dans le bassin minier de Durham, la grève fut quasi totale. Le débrayage résultait avant tout d’une vieille rancœur contre les propriétaires des houillères, mais la Charte fut incorporée aux objectifs de nombreuses mines. Il s’ensuivit ce que James Williams décrivit comme une « guerre d’extermination des charbonniers », le licenciement de mineurs politiquement actifs s’étendant, selon d’aucuns, jusqu’à ceux que l’on avait simplement trouvés en possession de textes chartistes28. Il y eut des combats de rue, et 70 arrestations, à Sheffield après la dispersion (aidée par les dragons) d’un meeting nocturne qui rassembla peut-être 7 000 personnes devant l’hôtel de ville. À Dewsbury – où un bonnet phrygien fut planté au sommet de la croix du marché –, les défilés se formèrent à 5 heures du matin et traversèrent les communautés de la vallée de la Spen, au nord, pendant les trois jours suivants. L’intervention des magistrats se limita pourtant à ordonner la fermeture des pubs et débits de bière. Dans le sud du pays de Galles, des actes de sabotage et d’indiscipline précédèrent le 12 août, mais les autorités s’abstinrent d’imposer la reprise du travail. À Nottingham, le Riot Act fut lu lors d’un meeting qui se dispersa pacifiquement. Les autorités eurent plus de mal à empêcher les rassemblements à Bury, situation envenimée par la présence de la Metropolitan Police. Les chartistes de Manchester s’égaillèrent sur les routes principales au petit matin du 12 août, visitant chaque usine pour inciter les ouvriers à la grève (avec succès), au mépris de la police et de l’armée29.
23Dans l’essentiel du Lancashire, Manchester inclus, la grève ne dépassa pas la journée du lundi. À Bury et Heywood, en revanche, neuf filatures sur dix étaient encore à l’arrêt le mercredi, de même qu’à Bolton. C’est là que se produisirent les pires troubles liés au « congé30 ». Comme à Birmingham en juillet, la responsabilité en incombe surtout à des fonctionnaires locaux inexpérimentés, par trop soucieux de prendre leurs distances par rapport à un mouvement pour lequel ils avaient jusque-là eu de la sympathie – le maire, par exemple, avait été membre du comité de la RA de Boton. La situation était encore compliquée par le refus des tories locaux de reconnaître le conseil libéral – la municipalité de Bolton avait été fondée en 1838 –, sous prétexte que le Boroughreeve, institution antérieure, exerçait encore son autorité. C’est ce dernier qui, avec l’aide des gardes de la ville, tenta de réguler les églises chartistes, et non la municipalité toute récente et sa propre force de police. La paix fut néanmoins conclue en prévision du 12 août, et 1500 gardes spéciaux furent assermentés d’avance. Les boutiques fermèrent et toute activité fut suspendue alors que les défilés et meetings de plein air occupaient le centre-ville. Le lendemain matin, le maire et les magistrats de la ville ordonnèrent l’arrestation des principaux orateurs de la veille, dont John Warden, délégué de Bolton à la convention. Peu après leur arrestation, ils furent cependant libérés par une foule en colère. De sérieux combats s’ensuivirent avant qu’ils ne soient à nouveau arrêtés. Quand la foule envahit le tribunal, le Riot Act fut lu et l’on sonna les cloches de l’église comme signal pour que les gardes spéciaux se rassemblent.
24Il était alors 16 heures, et l’anarchie s’installa durablement. Peu après 18 heures, trente gardes spéciaux furent pourchassés dans les rues par la foule, et forcés de se réfugier dans l’hôtel de ville de Little Bolton. Après avoir brisé les vitres, les manifestants déracinèrent un réverbère et s’en servirent pour enfoncer les portes principales. Se défendant avec des barres de fer arrachées aux sièges de la salle de concert du rez-de-chaussée, les agents se retirèrent dans une pièce de l’étage où ils se barricadèrent. Selon un témoin, on tenta d’incendier le bâtiment. Après une attente invraisemblable – due aux mauvaises relations et au manque de communication entre la municipalité et l’armée –, les soldats arrivèrent enfin vers 21 heures. Ils libérèrent les agents, mais seulement après avoir tiré une première fois sur les manifestants rassemblés dans la salle de concert, puis à nouveau alors que la foule paniquée se dispersait.
25Fait remarquable, il n’y eut aucun mort et seul un manifestant fut blessé. Mais les chartistes ne purent plus longtemps croire au mythe des « hommes de l’Armée, nos frères, dont les intérêts sont les mêmes que les nôtres ». On avait généralement supposé que « les soldats ne se battraient pas contre le peuple », ou que, s’ils le faisaient, la force du peuple serait telle que « les soldats ne nous donnerait pas grand mal31 ». Les chartistes de Newcastle et ceux du sud du pays de Galles réussirent à susciter des désertions, mais le nombre de soldats concernés (prétendument « plus d’une douzaine » à Newport) était faible32. De plus, les grèves coïncidèrent avec une nouvelle vague d’arrestations. Certaines ont déjà été évoquées. Parmi les autres, on peut citer O’Brien, alors qu’il rentrait du meeting du Kennington Common, quatorze militants à Stockport, cinq membres du conseil chartiste de Manchester, plusieurs chartistes de Norwich pour détention d’armes, les dirigeants locaux d’Ashton et de Stalybridge, et l’architecte initial de la grande grève nationale, William Benbow en personne. Après trois arrestations à Barnsley, la branche locale de la GNU envisagea sérieusement de brûler ses archives pour éviter d’incriminer d’autres membres – elle préféra les dissimuler, et c’est seulement en mars 1840 qu’elle jugea sans danger de les récupérer33. En outre, le procès longtemps attendu de Joseph Rayner Stephens commença alors que se terminait ce mois sacré tronqué, tandis qu’une année de prison démarrait pour Collins, Lovett et Vincent.
26Le moral était en déclin, ainsi que, pour la toute première fois, l’autorité personnelle d’O’Connor auprès de la base chartiste. Jusque-là considéré comme l’un des « plus ardents admirateurs » d’O’Connor, John Jackson, cordonnier à Bradford, exprima l’avis de beaucoup lorsqu’il décrivit le Northern Star du 10 août, annonçant l’annulation de la grève par la convention, comme « écœurant » pour ceux qui « attendaient impatiemment de voir arriver le jour de la délivrance » tel un soudain orage. Fin août, à Carlisle, le soir même où O’Connor était en ville, Taylor s’adressa à un meeting pour l’accuser de l’échec du mois sacré, en des termes si virulents que les magistrats locaux voulurent le faire arrêter34. Sans surprise, c’est de Bolton qu’émanèrent les critiques les plus véhémentes, et la réaction d’O’Connor fut de se protéger. Il nia avoir lui-même affirmé que « la résistance du peuple devrait consister à s’abstenir de travailler », et déclara s’être chargé de convaincre la convention de renoncer au mois sacré pour permettre aux autres délégués de sauver la face :
Personne n’a autant d’ennemis que moi ; en faisant mon devoir, je comptais sur l’occasion que j’offrais à plus d’un de sortir du trou [...] Je suis toujours parmi vous, et je resterai parmi vous jusqu’à ce que l’œuvre soit accomplie ; mais jamais je ne vous mettrai dans une fausse position par un désir de fausse popularité. Depuis sept longues années, je suis à mon poste, je ne cherche pas l’autorité, je fais mon devoir ; je revendique le crédit de chacun de mes actes, mais surtout je revendique celui pour lequel vous voudriez me condamner trop vite, et pour lequel vous me remercierez un jour. Même si j’avais tort, à vos yeux, ne croyez-vous pas qu’on puisse accorder une faute à un si vieil ami35 ?
Jackson ne vit là que « fadaises, tortillements et gémissements36 ». Quatre mois s’écoulèrent avant qu’O’Connor aille affronter ses détracteurs à Bolton. Le contexte du chartisme avait alors changé du tout au tout. La déception était tangible. Avant la fin août, le Premier ministre, lord Melbourne, se sentit assez en confiance pour nommer lord Russell secrétaire aux Colonies. Il fut remplacé au Home Office par lord Normanby, personnage haut en couleurs mais superficiel : cette nomination indiquait que la crise était terminée, car même Melbourne doutait des compétences de Normanby. Un autre membre du Cabinet, le procureur général, devait bientôt se vanter ouvertement de la quasi-extinction du chartisme37.
27Les derniers jours de la convention, qui reprit à Londres le 2 septembre, furent sombres et sans éclat. Cette morosité avait été renforcée par le vote du Rural Constabulary Act la semaine précédente, en même temps que trois autres lois, augmentant les effectifs de la police à Birmingham, Bolton et Manchester. La première avait été présentée après les émeutes du Bull Ring, et les deux autres après la « grande manifestation morale » d’août. Les délégués eurent aussi à digérer les nouvelles des assises de Chester, où six chartistes avaient été condamnés, avec notamment dix-huit mois de prison pour Stephens et douze pour McDouall. Aggravant le sentiment de confusion, et même de trahison, Stephens avait bruyamment renié le chartisme durant son procès. Alors qu’il s’y était rattaché autant par l’intermédiaire d’O’Connor que par sa propre volonté, la plupart des chartistes furent du même avis que le procureur général : Stephens cherchait désespérément à « se débarrasser des chartistes38 ».
28Le troisième jour, Taylor insista pour que la convention soit aussitôt dissoute. Il se heurta à O’Connor, qui proposa d’attendre le 7 septembre. Ni l’un ni l’autre ne l’emporta, et l’assemblée se maintint tant bien que mal jusqu’au 14, avant tout accaparée par des ratiocinations peu édifiantes sur les frais des membres. O’Connor connut une nouvelle défaite lorsqu’il tenta d’empêcher la convention d’adopter une « Déclaration des droits du peuple » – selon lui, ce texte renversait les libertés accumulées depuis la Magna Carta. Entre autres choses, son adoption engageait la convention à une magistrature élue, une Chambre des lords non héréditaire, l’abolition de l’armée de métier, et à la confiscation par le Parlement de toute terre ayant été « appropriée pour l’usage public et général »– détail intéressant, il n’y était pas question des pouvoirs de la monarchie. On mesure à quel point la convention avait touché le fond en septembre 1839, puisque l’approbation qu’elle accorda à ce vaste programme fut ensuite systématiquement ignorée. Cela reflète également le déclin de l’influence personnelle d’O’Connor39.
29Tout aussi éloquent, et plus significatif dans l’immédiat, fut l’accueil très froid que reçut ce dernier lorsqu’il affirma qu’une organisation différente était nécessaire « pour superviser et faire avancer la cause du peuple ». Sur ce point, O’Connor était clairement influencé par le congrès des délégués écossais auquel il avait assisté à la mi-août. Presque tous les grands centres écossais y étaient représentés. Le congrès s’était surtout consacré à débattre des mesures ultérieures – répudiant le mois sacré comme impraticable –, mais il avait aussi établi un Comité central du suffrage uni pour l’Ecosse (USCCS), financé par chaque localité proportionnellement aux nombres de membres et chargé de promouvoir et organiser le chartisme dans tout le pays40.
30O’Connor avait perdu tout désir d’affrontement direct avec l’establishment. Reconnaissant qu’un travail de longue haleine attendait le chartisme, il voulait que la convention pose les bases d’une structure similaire à celle de l’Ecosse. Par contraste, Taylor – qui brillait par son absence lors du congrès écossais comme à l’USCCS – et ses principaux alliés, Harney et Bussey, avaient hâte de quitter Londres pour se rendre dans « le pays où la lutte devra finalement prendre place [...] au lieu de rester ici à ne rien faire41 ». Beaucoup se demandaient dans combien de temps cette lutte aurait lieu. Les événements de la mi-août indiquaient que l’attente serait longue. C’est alors, et seulement alors, que certains éléments essentiels du chartisme prirent un caractère de conspiration.
L’insurrection
31Par nature, un complot ne laisse guère de traces. Malgré la sophistication avec laquelle il réunissait des informations sur les activités courantes du chartisme, l’État avait bien plus de mal à connaître ses intentions futures. Il est également difficile de distinguer les propos vagues des préparatifs réels. En mars, près de Blackwood, le grand lieu de rassemblement du chartisme dans le sud du pays de Galles, quand Vincent affirma que « quelques milliers d’hommes armés dans les collines pourraient les défendre avec succès. Le pays de Galles ferait une excellent république », il s’agissait clairement de propos oiseux. De même, en avril, il suggéra de prendre en otages des magistrats et même des membres du Cabinet. Mais cette tactique mérite que l’on s’y arrête, lorsqu’elle fut préconisée par John Frost quelques semaines après – lors d’un meeting où parlèrent aussi Bussey, Lowery et O’Brien ; même chose pour une affiche publiée par Frost après l’arrestation de Vincent, selon laquelle « un puits de mine est pour un bourreau tyrannique un lieu aussi sûr qu’une prison pour un chartiste innocent ». Des déclarations postérieures, par des chartistes « de base », pour qui les dignitaires locaux devaient être tenus au secret jusqu’à ce qu’ils « obtiennent ce qu’ils voulaient », renforcent l’impression qu’il ne s’agissait pas que de menaces en l’air. Il faut pourtant se borner à des hypothèses42.
32Alors que la convention touchait à sa fin, l’on discerne pourtant des signes de préparatifs plus précis. La principale preuve n’apparut pourtant qu’après coup. Il s’agit des propos tenus par William Ashton, vétéran radical de Barnsley que nous avons déjà rencontré au chapitre 2. En mars 1840, il fut condamné à deux ans de prison pour sa participation aux événements du 12 août à Barnsley. Une fois libéré, il formula diverses allégations concernant O’Connor lors d’un meeting à Barnsley, mais il fut réduit au silence. En mars 1845, néanmoins, il détailla ses accusations dans une correspondance privée qui finit par être publiée par la presse chartiste. Ashton affirmait surtout que, le jour où la convention s’était dissoute, un meeting secret avait choisi la nuit du 3 novembre pour un soulèvement coordonné. Plusieurs délégués de la convention étaient présents, dont Frost, Taylor, Bussey et Cardo. Les principaux foyers de l’insurrection devaient être le sud du pays de Galles et le West Yorkshire, avec respectivement à leur tête Frost et Bussey. Ashton et Bussey regagnèrent ensuite le Yorkshire ensemble. Durant le voyage, Ashton conclut que Bussey ne pouvait ou ne voulait pas remplir son rôle. Peu après, Ashton partit très vite pour la France, pour des raisons qui restent mystérieuses, mais juste avant son départ, il communiqua ses soupçons concernant Bussey au rédacteur en chef du Northern Star, William Hill, qui se chargea de prévenir O’Connor afin que Frost soit mis en garde. Mais O’Connor resta en Irlande du 6 octobre au 2 novembre, et Hill ne l’informa qu’à son retour, bien trop tard pour influencer la tragédie en cours43.
33Quelles autres preuves viennent étayer l’idée qu’un soulèvement général fut fixé vers le moment où la convention se dispersa ? Premièrement, en décembre 1840, Crabtree, de Barnsley, dit à un inspecteur des prisons : « J’ai entendu parler du soulèvement attendu à Newport, et il devait y en avoir un autre ailleurs. J’ai préféré m’éloigner et je suis allé à Glasgow. » Dans son autobiographie, publiée en 1889, un tisserand de Carlisle se souvient que les événements de novembre 1839 « ne furent pas les incidents isolés et insignifiants que beaucoup ont cru. À Carlisle, ils étaient certainement bien connus à l’avance, et s’ils avaient été couronnés de succès, ils auraient pu être imités d’une certaine manière, mais en plus grand, le long de la Tyne et de la Wear44 ». En 1856, Robert Lowery se rappelait que « peu après la dissolution de la Convention », le délégué de Dundee, Burns, lui avait dit que « certains de nos dirigeants [...] s’étaient réunis pour concocter un soulèvement » sous prétexte de participer à un souper (officiellement en l’honneur du délégué de Bury, Matthew Fletcher). « J’ai fait remarquer que ce devait être l’idée de F. O’Connor, et qu’il les laisserait tomber. Il m’a répondu qu’ils ne l’avaient pas mis dans le secret, parce qu’ils ne le jugeaient pas digne de confiance45. »
34Deuxièmement, dix ans plus tard, Alexander Somerville, journaliste patriote mais opportuniste, qui avait un don pour les demi-vérités, prétendit avoir été présenté au « Comité de guerre secret » des chartistes à l’été 1839. Après avoir servi dans la légion anglaise lors de la guerre civile espagnole de 1835-1837, Somerville fut sollicité pour écrire sur les questions militaires mais il refusa. Selon lui, ses écrits postérieurs contre le recours à la force physique auraient joué un rôle décisif pour éviter la révolution. Plus tard encore, Somerville précisa que le comité secret incluait McDouall, Richardson, Taylor et un émigré polonais et membre de la LDA, Bartolomiej Beniowski46. Taylor et Beniowski (officier dans l’armée rebelle polonaise de 1831) étaient associés comme conspirateurs dans les rapports du renseignement en août 1839, mais le complot se bornait à la capitale et, comme l’essentiel de l’activité de la LDA, il semble avoir été plus bruyant que substantiel47.
35Troisièmement, témoignage plus fiable que celui Somerville parce qu’il est en partie corroboré, les revendications énoncées en 1856 au nom de David Urquhart, tory russophobe. À la fin de l’été 1839, celui-ci cherchait à devenir candidat parlementaire pour Marylebone. À la suite des interruptions chartistes lors de ses meetings publics, Urquhart rencontra le délégué de Marylebone à la convention, William Cardo. Ce dernier fut extrêmement impressionné par Urquhart et le présenta à quelques autres délégués – dont Warden, de Bolton ; Lowery et O’Brien furent peut-être du nombre. Ils lui firent alors part d’un « plan de soulèvement simultané dans les longues nuits précédant Noël », où « un émigré polonais » dirigeait « l’organisation militaire [...] et devait prendre le commandement dans les montagnes du pays de Galles48 ». Bien que cette histoire n’ait fait surface que dans les années 1850, une entrevue entre des chartistes et Urquhart est mentionnée dans une lettre du 22 septembre 1839, écrite par son ami Pringle Taylor49. Urquhart affirma avoir fait rapidement le tour des principaux centres chartistes, avec une poignée d’hommes de confiance, et avoir réussi à dissuader les dirigeants locaux de participer à l’aventure. « Je me suis avancé seul parmi les villes d’Angleterre contre l’insurrection chartiste, et je l’ai domptée », prétendait-il avec orgueil, mais « j’ai manqué Frost à une demi-heure près50 ». Il paraît plus probable que ces meetings locaux aient eu pour but de promouvoir les idées spécifiques d’Urquhart en matière de politique étrangère – qui jouissaient d’une certaine popularité parmi les chartistes en 1839 ; toute référence aux projets d’insurrection dut se limiter à de vagues hypothèses après le mois sacré. L’insurrection et la politique étrangère se mélangèrent dans l’esprit d’Urquhart parce qu’il était persuadé que des agents russes – parmi lesquels il plaçait Beniowski – étaient constamment à l’œuvre pour saper les fondements de la Grande-Bretagne51.
36Quatrièmement, nous avons le témoignage de William Lovett, publié en 1876 mais rédigé peu après sa libération de prison en août 1840, à partir de plusieurs sources non précisées (dont Taylor). Dans la version de Lovett, Frost et « deux ou trois autres membres de la convention » étaient tombés d’accord sur des soulèvements coordonnés au pays de Galles et dans le Nord. Les Gallois devaient libérer Vincent de prison et les Anglais se lèveraient pour la Charte. Ce programme fut partagé avec une quarantaine d’autres dirigeants de l’ouest du Yorkshire lors d’un meeting à Heckmondwike, entre Huddersfield et Bradford. L’un des présents accepta, une semaine avant le début de l’insurrection, de recruter O’Connor pour en prendre la tête. Selon la source anonyme de Lovett, O’Connor donna l’impression qu’il le ferait volontiers. Cependant, il envoya peu après George White (secrétaire de la GNU) dissuader les localités du Nord de se soulever parce que le pays de Galles n’agirait pas ; et O’Connor envoya Charles Jones, délégué du Montgomeryshire, « assurer les Gallois qu’il n’y aurait pas de soulèvement dans le Yorkshire, et que tout cela n était qu’un complot du gouvernement ».
37Ce récit fut accepté par certains historiens, mais il présente de sérieux défauts : O’Connor était hors du pays et, si les précisions concernant le meeting à Heckmondwike semblent convaincantes, la ville était un lieu de rassemblements fréquents pour les délégués du West Yorkshire, en général le troisième ou le quatrième lundi de chaque mois. La réunion du 21 octobre ne fut que l’une de ces séances, et elle n’attira que treize délégués, pas quarante52. Peut-être la décision d’envoyer à Robert Blakey de Newcastle la copie d’une résolution non précisée évoque-t-elle une correspondance secrète : celui-ci était propriétaire et co-rédacteur en chef du Northern Liberator et Taylor était alors dans le Tyneside – pour donner des conférences, selon lui, « sur la chimie, en expliquant la nature des forces explosives ». De plus, la volonté d’agir de concert avec le pays de Galles apparaît clairement dans les mémoires rédigés en 1882 par Thomas Devyr, reporter pour le Liberator. Cela dit, cette correspondance aurait également pu être tout à fait innocente53.
38Voici finalement ce que l’on peut dire à propos du projet de soulèvement général prévu en novembre 1839 : la question fut débattue vers la fin de l’été par un petit groupe autoproclamé, principalement composé de délégués à la convention, mais on ignore si les plans furent très détaillés. Dans le West Yorkshire, et un peu moins dans le Tyneside et la région de Carlisle (et peut-être dans le Lancashire), on était au courant du projet d’insurrection galloise, et beaucoup étaient prêts à agir de concert. Mais on ne dispose à ce sujet que de témoignages postérieurs, souvent inspirés par le désir de régler des comptes personnels (l’une des caractéristiques les moins attrayantes du chartisme à partir de 1840). Les chartistes achetaient des armes et employaient la rhétorique de la résistance, mais cela ne suffit pas à prouver une volonté d’insurrection. Plus significative fut peut-être la réorganisation des localités chartistes en sous-divisions, documentée dans le Tyneside, le Lancashire et le sud du pays de Galles, évolution qui facilita le secret et qui créait la structure nécessaire à la guérilla qui suivrait une insurrection réussie. C’est au pays de Galles que cette évolution fut la plus frappante et qu’elle est la plus pertinente, car les intentions insurrectionnelles étaient abondantes et sans équivoque à Newport le 4 novembre. Les événements y culminèrent tragiquement avec le plus grand nombre de victimes qu’aient causé des troubles civils dans l’histoire contemporaine de la Grande-Bretagne. Pour cette raison, et à cause de son rôle de pivot dans l’histoire du chartisme, le soulèvement de Newport mérite que l’on s’y intéresse de près54.
Newport, 3-4 novembre 1 839
39Tout au long de l’automne, le sud du pays de Galles connut une effervescence chartiste. Début octobre, les délégués de toute la région nommèrent sept « missionnaires » pour promouvoir la Charte ; en septembre et octobre, des personnalités influentes quadrillèrent la région, et firent sans raison officielle quelques voyages au-delà. Isaac Tippins, par exemple, tailleur de Nantyglo, fut absent pendant presque tout le mois d’octobre ; le Dr William Price, de Pontypridd, se serait rendu dans le Staffordhisre et le nord de l’Angleterre, alors qu’il avait annoncé qu’il serait à Londres ; Frost quitta Newport pour les montagnes, du 3 au 8 octobre, il était dans le Lancashire le 14, de retour dans le Monmouthshire le 19, et une annonce le présentait comme devant parler à Halifax le 21 – il n’y était pas. Il passa la dernière semaine d’octobre essentiellement à Blackwood, où il resta quelque temps enfermé avec un visiteur inconnu, « un grand ouvrier » du nord de l’Angleterre. Il est possible que ce visiteur soit venu demander un délai supplémentaire pour préparer un soulèvement anglais. Selon Lovett, Frost déclara à ce visiteur que les Gallois ne toléreraient aucun retard et qu’il « pourrait aussi bien se faire sauter la cervelle que de tenter de s’opposer à eux ou de reculer55 ». Il a déjà été question de prendre des otages et de libérer Vincent ; et même s’il n’existait pas de projet national, beaucoup de chartistes savaient qu’il se préparait quelque chose d’extraordinaire pour Newport. Moins de vingt-quatre heures après la tragédie de Newport, un ancien employé de Henry Hetherington informa le Home Office de ce que Charles Jones lui avait dit quelques semaines auparavant : « On savait en général parmi les dirigeants chartistes qu’un soulèvement aurait lieu. » Un chartiste londonien inconnu écrivit à Taylor : « L’échec est au-delà de la compréhension de tous ici, le succès semblait si certain56. » Ce qui se produisit à Newport ne fut pas un assaut spontané de fureur ou de désespoir, ni une manifestation pacifique qui tourna mal : ce fut le point culminant de préparatifs minutieux.
40La géographie compte beaucoup pour comprendre les événements des 3 et 4 novembre à Newport. La ville était un port important, desservant les forges et les mines des vallées du Monmouthshire. Les débuts de l’industrialisation dans le sud-est du pays de Galles eurent surtout lieu dans les villes du Glamorganshire comme Merthyr Tydfil et Dowlais, près de de la Taff qui coule vers Cardiff au sud. Peu après, l’industrie se développa dans les vallées du Monmouthshire, à lest : la Rhymney, la Sirhowy et l’Ebbw – qui se rencontrent à Risca et se jettent dans la mer juste au sud de Newport – et l’Afon Lwyd, qui rencontre l’Usk juste à l’extérieur de Newport et coule à travers la ville. Les vallées imposaient une dure logique à la région, dictant le tracé des routes, canaux et voies de chemin de fer – tout devait converger vers Newport – pour desservir le « noir domaine » des mines et des forges. Ces vallées et les flancs des collines les séparant étaient couverts de communautés en rapide expansion. Selon les estimations, 29 000 personnes dépendaient du charbon et du fer rien que dans l’Afon Lwyd et dans la vallée de la Clydach voisine, 27 000 dans Ebbw Vale (divisée en Ebbw Fach et Fawr à son extrémité nord), au moins 20 000 le long de la Sirhowy et 11 000 dans la vallée de la Rhymney. La vallée de la Taff et ses affluents représentaient 60 000 personnes. Sur ce total d’environ 150 000 personnes, environ un quart étaient salariées dans l’industrie, dont quelque 9 000 partirent pour Newport le 3 novembre, un dimanche particulièrement pluvieux57.
41La grande majorité venait du Monmouthshire plutôt que du Glamorganshire. Tous ne se mirent pas en route aussi volontiers, ni même spontanément. La coercition joua un rôle important. D’autres se joignirent au mouvement parce qu’ils risquaient d’être ostracisés s’ils restaient à l’écart, quelle que soit l’issue. L’objectif précis n’était connu que d’un petit groupe. Ce noyau incluait Frost, seule personnalité nationale impliquée et magistrat il y a encore peu – le Home Office l’avait révoqué pour chartisme déclaré ; Zephaniah Williams, ex-propriétaire d’une petite houillère qui avait fait faillite, et qui tenait un débit de bière près de Blaina, dans la vallée de l’Ebbw Fach ; et William Jones, tenancier du pub Bristol House à Pontypool, principale ville de la vallée de l’Afon Llwyd. Leur étaient étroitement associés une vingtaine de dirigeants locaux, parmi lesquels : Henry, le fils de Frost ; le Dr Price, de Pontypridd, dans le Glamorganshire ; John Rees, alias Jack le Fifre, maçon sans attaches, originaire de Tredegar, dans le haut de la vallée de la Sirhowy, qui s’était battu à El Alamo avec l’Armée du peuple texan en 1835 ; et quatre « capitaines », les frères Edward et Isaac Tippins, William Shellard, cordonnier à Pontypool ; et George Shell, également de Pontypool, apprenti ébéniste dont le père était l’un des fondateurs de la WMA de la ville58.
42On ne connaîtra jamais toutes les ramifications du complot ni sa chaîne de commandement. Le projet initial semble avoir prévu trois marches coordonnées : l’une partant du haut des vallées du Monmouthsire pour s’emparer d’Abergavenny, centre du commerce et des communications, à quarante kilomètres au nord de Newport ; une autre de la zone de Merthyr, traversant les Beacons pour prendre Brecon ; et une troisième partant du reste de la région pour se diriger vers Newport. Si cette manoeuvre avait réussi, les armées chartistes auraient été en position d’infliger d’énormes dégâts dans l’un des coeurs de l’économie britannique, contrôlant les communications entre le sud du pays de Galles et l’Angleterre, et offrant un exemple aux chartistes anglais pour qu’ils entreprennent leurs propres soulèvements locaux.
43Cet ambitieux projet fut pourtant abandonné vers le dernier week-end d’octobre, apparemment sur l’initiative personnelle de Frost. À ce moment, Price et la plupart des participants dans le Glamorganshire renoncèrent. Williams et Jones redoublèrent d’efforts pour agiter les loges chartistes du Monmouthshire, tandis que Frost s’installait à Blackwood, à mi-chemin de la vallée de la Sirhowy. Il y reçut des messages et des visiteurs de toute la région et au-delà, dont, on l’a vu, un agent venu du nord de l’Angleterre qui était peut-être Charles Jones. Le lundi 28 octobre, un meeting de délégués des mines à Dukestown, à la tête de la Sirhowy, semble avoir affiné le plan de marche sur Newport. Néanmoins, durant la semaine qui suivit, les milliers de conversations sur les lieux de travail, dans les pubs et les tavernes furent formulées dans les termes généraux de « la politique de Frost », avec sa promesse d’obtenir la Charte en moins d’un mois.
44Le mercredi 30 octobre, lors d’une réunion de loge au pub Coach & Horses, à Blackwood, William Jones dit à l’assemblée d’apporter des torches et des chandelles le dimanche suivant pour un grand meeting dans les montagnes ; quelques jours plus tard, à la Navigation Inn de Crumlin, il parla de libérer Vincent et d’enfermer lord John Russell à sa place. Le jeudi, les mineurs affluèrent au Colliers Arms, pub situé à Nelson, près de la Rhymney, pour apprendre de Williams que Frost avait promis la Charte d’ici trois semaines s’ils acceptaient ses ordres. Une carte serait délivrée à chaque partisan, indiquant son numéro et sa division : cette semaine-là, des centaines de cartes furent vendues dans les mines, les forges et lors des réunions désormais quotidiennes de la loge chartiste. Tous ne l’achetèrent pas de bon cœur : Richard Arnold, puddleur de Blaina, entendit dire que « si un homme était chez lui et ne pouvait leur présenter sa carte à leur retour de Newport [...] ils les détruiraient comme on écrase des crapauds ». Fusils et piques étaient vendus ouvertement dans les pubs et les loges chartistes ; des fabriques de piques furent improvisées en hâte à Beaufort, sur l’Ebbw Fawr, à la gare de triage de Pillgwenlly à Newport, et dans au moins une grotte des montagnes surplombant le haut des vallées59.
45Ce mercredi-là, le chef de la police de Tredegar fit part aux magistrats de renseignements qu’il avait recueillis à propos des armes et d’un « soulèvement simultané dans tout le royaume cette semaine », mais cela n’eut guère d’impact. « Voici venir le triomphe des radicaux ! » proclamait un poème dû au secrétaire de la WMA de Newport, dans le Western Vindicator du samedi 2 novembre : « Puisse le bien l’emporter bientôt – puisse le mal toujours échouer [...] Voici la cause radicale des travailleurs ! / Voici le triomphe de tous ceux – qui s’opposeront au mal / Malgré tout le pouvoir et toutes les LOIS ! » Dans le même numéro, on pouvait lire un article intitulé « La question de la résistance à un gouvernement », qui détaillait « le droit et les moyens de résister à l’oppression des autorités constituées ». Un maître de forges local nota, non sans embarras, que « dans la région les gens respectables [...] sont complètement terrorisés », un calme étrange régnait dans les pubs et au marché, l’absentéisme était de règle sur le lieu de travail, une famille de chefs d’entreprise avait fui le district et, ajoutait-il dans un post-scriptum, il venait d’apprendre que « demain soir ou lundi sera le grand jour ». Cela reflétait presque certainement les décisions d’une réunion de délégués qui avait eu lieu la veille à Blackwood, où les ultimes questions avaient été tranchées. Des rassemblements auraient lieu le dimanche soir à Blackwood, à Dukestown et sur le champ de courses de Pontypool. L’objectif était Newport. À la faveur de la nuit, les chartistes entreraient dans la ville aux premières heures du lundi. Les soldats, dit Frost, seraient soit endormis, soit trop effrayés ou trop compatissants pour s’opposer à eux. Des messages annonçant des événements spectaculaires furent envoyés en Angleterre, peut-être dans le Nord et certainement dans le Gloucestershire, le Somerset et le Wiltshire. Puis les délégués prirent le thé et se séparèrent. Il n’était plus possible de revenir en arrière60.
46Ce week-end là, la famille Sanger était de passage à Newport : ces forains parcouraient les bourgs gallois pour proposer des spectacles comiques ou en rapport avec l’actualité. Ils prévoyaient de rester une semaine à Newport, mais le dimanche soir apporta son lot de rumeurs et d’inquiétudes. James Sanger, vétéran de Trafalgar, avait eu assez d’émotions fortes pour une vie entière. Il attela en hâte la caravane familiale et partit camper sur le bord de la route à plusieurs kilomètres de Newport pour ce qu’il restait de nuit à dormir. Mais il était impossible de dormir, si denses étaient les foules qui défilaient près du véhicule. Pour son fils George, qui avait alors 14 ans, les deux heures suivantes devaient rester l’un de ses souvenirs les plus inoubliables : tandis que le père barrait l’entrée, armé d’un tromblon, la mère avait rassemblé ses enfants autour d’elle. « Ils arrivaient, à moitié ivres pour la plupart, hurlant, jurant et agitant de gros gourdins, une terrible masse d’hommes. »
47En haut des vallées, la migration avait commencé le dimanche de bonne heure. À Tredegar, le jeune Henry Hughes fut emmené sur le dos de son père à la sortie de l’église : « C’était une nuit noire, brumeuse et pluvieuse, et nous rencontrions troupe après troupe de chartistes armés, la pique ou le fusil à l’épaule, et chaque groupe l’un après l’autre demandait à mon père s’il en avait rencontré d’autres [...] Le lundi matin, on ne voyait plus nulle part un seul homme, jeune ou vieux, rien que des femmes et des filles, terrorisées et en larmes. » Mary Ferriday, femme d’un mineur de Blackwood, remarqua que son mari était exceptionnellement calme. Deux hommes vinrent le chercher vers 18h30. William dit à son épouse qu’il ne savait ni où il allait ni quand il reviendrait. « J’ai pleuré bien fort et les enfants aussi. Certains ont couru après lui. Il les a embrassés sur la route, puis a dit au revoir61. » William Ferriday n’avait plus que quinze heures à vivre.
48De même pour George Shell, âgé de 19 ans, qui quitta son domicile à Pontypool vers 16 heures. « Je vais m’employer ce soir dans un combat pour la liberté, écrivit-il à ses parents, et s’il plaît à Dieu d’épargner ma vie, je vous reverrai bientôt ; sinon, ne vous affligez pas pour moi. Je tomberai pour une noble cause. » Le contingent venu de la vallée de la Lwyd devait se rassembler sur le champ de courses de Pontypool où un millier de piques avaient été stockées. Un détachement avancé, incluant Shell, partit très tôt pour Newport mais 2000 personnes attendaient encore quand William Jones apparut à cheval, à 22 heures, et les emmena. L’objectif des hommes de la vallée de la Lwyd reste mystérieux. Devaient-il marcher sur Newport par le nord ? Si c’est le cas, leur départ retardé les mettait en danger. Ou bien certains devaient-ils aller vers Abergavenny au nord, ou même vers Monmouth, pour libérer Vincent ? Il est certain que l’intimidation et le sabotage industriel furent largement pratiqués le dimanche soir et dans les premières heures du lundi, ce qui signifie que les hommes n’auraient pu être à Newport à l’aube. En un geste spectaculaire, les gigantesques hauts-fourneaux de la vallée furent arrêtés, enveloppant les villages dans une obscurité inhabituelle et causant d’énormes dégâts dans l’usine alors que le contenu refroidissait. Les responsables se dirigèrent alors vers Pontypool, où beaucoup n’arrivèrent qu’après le lever du soleil. Il fut question d’attaquer le commissariat et la maison du Lord Lieutenant pour le prendre en otage, puis de marcher sur Monmouth dès qu’il serait confirmé que Newport avait été pris. William Jones et Zephaniah Williams avaient tous deux mentionné les banderoles que l’on préparait, pour annoncer la création d’un « Gouvernement exécutif » présidé par Frost. De toute évidence, la vision initiale de la mi-octobre avait en partie survécu : les ambitions de ceux qui dirigèrent l’insurrection dépassaient de loin la prise de Newport62.
49Cette nuit-là, le grand rendez-vous se situait à Welsh Oak, en aval du point où la Sirhowy et l’Ebbw se rencontrent. Dès 1 heure du matin, 2000 personnes y attendaient, leur nombre toujours accru par les foules qui arrivaient d’autres points de ralliement dans les vallées. La plus importante provenait des montagnes séparant Nantyglo de la ville d’Ebbw Vale, où quelque 4 000 personnes s’étaient assemblées sous la supervision personnelle de Williams, le dimanche soir. Bien entendu, beaucoup burent en chemin pour affermir leur résolution et pour résister à la pluie persistante. À mesure que la véritable nature de leur objectif devenait connue, beaucoup durent sentir qu’ils n’étaient absolument pas prêts pour une telle aventure.
50Tout au long de la nuit, c’est une armée trempée qui se réunit à Welsh Oak. Certains étaient engourdis par le froid et les nerfs, d’autres, hyper-actifs, tiraient des coups de feu en l’air ; d’autres encore priaient sans doute. Ils attendaient Frost qui contemplait Newport depuis Cefn, à trois kilomètres de la ville. Lui-même attendait apparemment Jones et un contingent substantiel parti de Pontypool. Un peu avant 6 heures, il repartit vers Welsh Oak et rencontra Williams. Vers 7 heures, pensant qu’ils pourraient prendre la ville sans l’aide de la force venue de Pontypool, Frost conduisit finalement sur la route de Newport son armée à présent forte de 5 000 hommes.
51Il commençait déjà à faire jour quand ils s’arrêtèrent, vers 8 heures, au pub Waterloo, du côté ouest de la ville. Frost y discuta en hâte avec ses lieutenants. Sous les acclamations, « Jack le Fifre » réunit les manifestants en formation militaire, marchant à six de front, chaque rangée étant terminée par un homme armé d’un fusil. À Malpas, du côté nord, Jones attendait avec environ 2000 hommes. Partis de Pontypool, des détachements avancés, plus petits, dont l’un incluait George Shell, avaient rejoint la force principale à Cefn.
52C’est la colonne de Frost qui essuya le gros des combats qui suivirent. L’intention initiale était d’entrer dans Newport par l’ouest, en pillant au passage le workhouse. L’approche par l’ouest avait cependant été choisie parce que les colonnes de Welsh Oak et de Pontypool pourraient s’y retrouver. Sans le contingent de Pontypool, il était plus logique pour Frost d’entrer par le sud, car le workhouse était devenu une caserne pour un détachement du 45e régiment d’infanterie. Le but de Frost était d’affronter les autorités locales et leur police spéciale, sentiment sans doute renforcé par l’animosité personnelle que lui inspiraient le maire et le conseil municipal à cause du traitement qu’ils lui avaient réservé en début d’année. D’un point de vue tactique, cela prenait du sens dès lors qu’il avait appris qu’un certain nombre de chartistes de Newport, arrêtés durant la nuit, étaient détenus dans l’un des principaux hôtels de la ville.
53Newport avait connu un dimanche hors du commun. Pour chaque famille qui s’enfuyait, comme les Sanger, une autre arrivait dans un état d’inquiétude comparable, venant d’une communauté minière voisine. Ce soir-là, après avoir demandé de l’aide à Londres et à Bristol, et prévenu les villes voisines du danger imminent, le maire, Thomas Phillips, choisit le Westgate Hotel comme quartier général provisoire. Les 500 gardes spéciaux de Newport étaient en alerte et certaines descentes de police réussirent à appréhender des chartistes connus, soit chez eux, soit alors qu’ils quittaient la ville pour rejoindre Frost. Le Riot Act en poche, Phillips réunit son adjoint, la petite force de police régulière de Newport et certains gardes spéciaux à l’hôtel où les chartistes arrêtés étaient détenus. Phillips ne recherchait pas la confrontation violente et semble avoir pensé que les chartistes ne voulaient que manifester. C’est seulement vers 8 heures du matin, quand la présence de milliers d’hommes armés devint évidente aux alentours de la ville, que Phillips envoya un messager au workhouse pour qu’un détachement armé le rejoigne.
54La plupart des chartistes qui entrèrent dans le centre-ville peu avant 9 heures ne savaient donc peut-être pas que le Westgate Hotel abritait 31 fantassins. On a l’habitude de présenter ces soldats comme jeunes et expérimentés, mais c’est le 45e régiment d’infanterie qui avait sauvagement réprimé le modeste soulèvement des ouvriers agricoles du Kent, l’année précédente (la « bataille de Bosenden Wood »). On ignore s’il s’agissait des mêmes soldats, mais le lieutenant Basil Gray, qui commandait la troupe réunie dans l’hôtel, se souvenait sans doute que l’un de ses confrères officiers avait été tué lors de l’insurrection dans le Kent63.
55La colonne de Frost descendait la colline et allait arriver à l’arrière du Westgate Hotel. Après avoir vainement tenté d’ouvrir le portail de la cour, la tête de la colonne contourna le bâtiment pour atteindre la façade, dans High Street. On vit alors s’enfuir plusieurs gardes spéciaux. Piques et crosses de fusils furent utilisés pour briser les volets et les vitres. Les chartistes continuèrent à se déverser dans la rue, tandis que le groupe de tête se massait près du portique de l’hôtel. Au milieu des cris et des chants, ils exigèrent la libération des prisonniers et la reddition du maire. Un coup de feu fut tiré, peut-être en direction des gardes en fuite ; mais selon la déclaration d’un autre garde spécial, resté à l’intérieur du bâtiment, lorsqu’il avait essayé de fermer la porte de l’hôtel, l’un des battants avait percuté l’arme d’un chartiste qui s’était déchargée par accident.
56On ne connaîtra jamais la vérité, mais la détonation, entendue au moment où la foule en colère comprenait que des chartistes armés pénétraient dans le vestibule de l’hôtel, gagnant ensuite le couloir reliant les principales pièces, incita le lieutenant Gray à donner l’ordre de tirer. Phillips et les soldats s’étaient enfermés dans la grande salle située à l’extrémité gauche de l’hôtel. Sa fenêtre en saillie offrait une vue dégagée surplombant High Street. Alors qu’ils ouvraient les volets intérieurs, le maire et un sergent furent blessés par balle. Les soldats s’avancèrent vers la fenêtre, deux ou trois à la fois, tirèrent sur la foule, puis se reculèrent pour recharger tandis que d’autres les remplaçaient. Les chartistes du milieu et du bout de la colonne, ne sachant trop ce qui se passait, continuaient à descendre dans High Street où ils furent exposés à un feu roulant. Quand la foule prit enfin la fuite, les tirs cessèrent. À l’intérieur de l’hôtel désormais rempli de fumée, les chartistes furieux se mirent à détruire le bâtiment. Les soldats ouvrirent donc la porte donnant sur le couloir arrière. De manière systématique et répétée, ils tirèrent dans la fumée.
57« Ce fut une scène atroce, écrivit un garde spécial resté à l’intérieur de l’hôtel, au-delà de ce qu’on peut dire : les gémissements des mourants, les hurlements des blessés, le visage pâle, fantomatique, des morts et leurs yeux injectés de sang, en plus des vitres brisées et des passages où l’on avait du sang jusqu’aux chevilles. » À l’extérieur, l’arrière de la colonne chartiste se réfugia dans la campagne, le reste chercha un abri n’importe où. Les rues étaient jonchées d’armes abandonnées : « Beaucoup qui avaient souffert dans la fuite, partirent en rampant, certains présentant des plaies terrifiantes, l’œil hagard, implorant pitié par leurs cris, nota le rédacteur en chef d’un journal local ; d’autres, désespérément estropiés, furent emportés dans les bras de personnes charitables qui voulaient leur offrir une aide médicale ; et quelques-uns des malheureux qui étaient mortellement blessés, au-delà de tout soin, continuèrent pendant plusieurs minutes à se tordre de douleur, pleurant pour qu’on leur apporte de l’eau64. »
58Une cinquantaine de chartistes furent grièvement blessés et jusqu’à vingt-deux furent tués. Les chiffres exacts sont difficiles à établir car beaucoup regagnèrent péniblement leur domicile pour panser leurs plaies en privé. Quantité de morts furent inhumés discrètement par leur famille ; mais trois jours plus tard, sous couvert de la nuit, les autorités enterrèrent dix corps dans des tombes anonymes. Parmi eux se trouvaient William Ferriday, dont l’épouse Mary arriva ensuite, « un bébé dans les bras, en proie à la plus affreuse douleur », pour tâcher de récupérer le corps, ou du moins de le voir ; Shell, qui avait réussi à affronter Phillips dans l’hôtel, reçut plusieurs coups de feu et son agonie dura trois heures ; Williams, déserteur du 29e régiment d’infanterie – que le 45e avait remplacé quelques semaines auparavant – ; et un quatrième, William Griffiths, dans les poches duquel se trouvaient un carton avec l’inscription : « N° 5 de la Division H », ainsi qu’une carte de membre de la WMA d’Aberdare65.
Vies chartistes. John Watkins
Qui lutta pour la liberté, plus que la vie ?
Qui renonça à tout pour mourir au combat ?
Le jeune, le brave, non plus esclave,
L’immortel Shell !
Qui mourut si bien ;
Tombé, il dort dans une tombe de héros.
Ils le tuèrent, le fils du père,
Sa race honnête périt trop tôt.
L’uniforme rouge tira, le pauvre Shell expira.
Liberté ! cria-t-il.
Il parla et mourut.
Ayant gagné la liberté qu’il voulait.
[…]
Ils le couchèrent dans sa tombe éternelle.
Ne pleurez pas car son sort fut heureux :
À genoux sur la terre, prions Dieu
Et puissent nos cœurs hériter
De sa vigueur
Pour briser la férule du despote.
(John Watkins, « Vers dédiés à Shell, tué à Newport », Northern Star, 26 septembre 1840)
59La mort des figures dirigeantes du soulèvement de Newport déclencha de la part des chartistes un gigantesque élan de colère, d’émotion et d’indignation. Ces sentiments trouvèrent souvent une expression poétique : élégies pour les défunts, hommages aux déportés et éloges des incarcérés. En 1840, le Northern Star publia une série de huit « Sonnets consacrés au chartisme » par « Iota », pseudonyme de l’un des rebelles de Newport. L’un deux préfigurait le poème ci-dessus :
Un barde quelque jour chantera ton triomphe,
SHELL, et proclamera tes vertus, ta valeur !
Ton nom sera glorieux pour tes compatriotes,
Et ton trépas vaudra à tes vils ennemis
Une honte que n’effaceront pas les siècles.
60Tous ces poèmes avaient en commun une note de défi. C’est particulièrement vrai des textes anonymes, accompagnés de fleurs, qui furent placés sur les tombes de rebelles au cimetière de Newport, le dimanche des Rameaux 1840 :
Puisse ne plus fleurir la rose d’Angleterre,
Puisse ne plus couler en Écosse la Clyde,
Puisse ne plus jouer en Irlande la harpe
Tant que n’aura pas lieu le triomphe chartiste.
61Les vers composés pour le dimanche des Rameaux 1841 étaient plus provocateurs :
Ci-gisent les vaillants, les braves,
Qui pour sauver leurs droits luttèrent ;
Mais les tyrans les empêchèrent
De libérer les prisonniers !
Ils ne seront pas oubliés,
Même s’ils pourrissent dans la tombe ;
La Charte sera notre mot d’ordre,
Vienne mort, gloire ou liberté66 !
62La poésie comptait pour les chartistes, surtout depuis novembre 1839. De préférence à la tribune ou dans les journaux, la poésie était l’espace public le plus sûr où proclamer des sentiments révolutionnaires. Écrire, lire (surtout à haute voix) ou chanter des poèmes était aussi un moyen de s’opposer à la culture policée. La poésie situait le chartisme dans une tradition intellectuelle et politique remontant à la Révolution anglaise des années 1640 : John Milton et Andrew Marvell comptaient parmi les modèles les plus appréciés des poètes chartistes – ce dernier était d’ailleurs le seul personnage historique dans le panthéon illustré du Northern Star. La poésie situait aussi le mouvement dans un présent vital. Selon un contemporain, « ce sont les ouvriers qui connaissent le mieux la poésie de Shelley ou de Byron ». La poésie chartiste se voulait consolatrice, mais aussi éducative et stimulante. Pour citer Benjamin Stott, relieur et chartiste de Manchester :
Son refrain réjouit le triste, l’opprimé,
En promettant des jours meilleurs.
Elle révèle aussi sa misère à l’esclave,
Qui en goûte la mélodie ;
Elle montre ses droits au pauvre homme enchaîné
Et lui apprend la liberté67.
63Les poètes chartistes aspiraient à une sophistication plus grande que les ballades que l’on vendait alors dans les rues, et y parvinrent. Là où lesdites ballades mettaient l’accent sur le pathétique et le sensationnel68, la poésie chartiste véhiculait « le Savoir, grand Libérateur »– la formule est de Thomas Cooper, le plus éminent poète du chartisme ; c’était moins un refuge consolateur qu’un lieu de débat, où représenter ce que pourrait être un avenir chartiste69. Le mouvement produisit un grand nombre de poètes, et ils furent près de quatre-vingts à écrire pour la seule rubrique poétique hebdomadaire du Northern Star70. Certains méritent encore l’attention de la critique (Cooper, Allan Davenport, Ernest Jones, J.B. Leno, W.J. Linton, Gerald Massey71).
64John Watkins, auteur de l’éloge à Shell sur lequel s’ouvre cette « Vie chartiste », n’appartient pas à ce groupe prestigieux. Ses efforts imitaient de façon plus flagrante les formes poétiques et les auteurs établis, ses vers sont moins souples et moins adroits que ceux des meilleurs de ses pairs. Mais avant 1845, aucun poète ne fut prolifique au service du chartisme. On lui doit aussi d’abondants écrits en prose – signés de son nom ou des pseudonymes « Junius Rusticus » et « Chartius »– et sans doute la rubrique « Shakespeare chartiste » du Northern Star72. Il écrivit aussi John Frost, a Political Play, drame en cinq actes et en pentamètres iambiques musclés. Soucieux d’effets théâtraux, Watkins imagine que l’épouse de Frost était hostile au chartisme, ce qui était très loin de la vérité, et fait tomber Vincent amoureux de l’une des filles de Frost, autre invention, mais plus plausible. La pièce inclut des passages d’une rare amertume, où Watkins formule ce qui ressemble fort à une invitation ouverte à la révolution. Là encore, c’est Shell qui captiva son imagination :
Si tu vaincs ta peur, tu vaincs tous tes ennemis,
Tel le courageux Shell, qui sut braver la mort.
Pour conquérir ses droits, il se battit en homme,
Par le simple et direct argument de la force !
Vengeance est notre cri, en mémoire de Shell !
Comme lui nous vivrons, comme lui nous mourrons73.
65Les principaux poètes chartistes (Jones excepté) étaient tous des ouvriers. Watkins n’en était pas un. Chartiste de la première heure, il y trouvait le moyen de donner une cohérence politique aux frustrations que lui inspirait la petite ville côtière de Whitby, fief conservateur où il vivait. Par la suite, il pratiqua l’agitation en tant que conférencier chartiste à plein temps, auteur et marchand de journaux à Londres. C’était une version radicalisée de la carrière littéraire que Watkins souhaitait mener depuis l’adolescence.
66Né en 1808, il était le fils du seigneur du manoir d’Aislaby, près de Whitby, sur la côte nord du Yorkshire. On connaît mal le détail de ses études, tout comme les raisons pour lesquelles il renonça au métier de juriste. Il gagnait chichement sa vie grâce à l’aide paternelle et par des publications touristiques comme A Stranger’s Guide through Whitby and the Vicinity (1828). En 1838, Watkins publia deux Lettres adressées aux habitants de Whitby « les appelant à libérer la ville de la tyrannie des Tories ». « Rien n’est aussi anti-chrétien que le Torysme », qu’il comparait au « diabolisme ». Il était attiré par le message radical du christianisme, mais c’est la Charte du Peuple qui cristallisa ses idées politiques, fait remarquable dans la mesure où il était loin du berceau du mouvement. Watkins évoqua la Charte dans une Troisième Lettre, publiée à la fin de l’été 1838 :
Whitby compte environ 10 000 habitants, dont 350 ont le droit de vote, tandis qu’une oligarchie de 70 personnes gouverne les autres contre leur gré, c’est-à-dire, les réduit en esclavage [...] La main d’œuvre dépend du capital pour son emploi, et le capitaliste n’emploie le travailleur que s’il renonce à son droit naturel : le pauvre doit choisir entre l’esclavage et la famine [...] Les réformateurs devraient s’unir pour former une communion séparée [...] Soumettez-vous aux lois, mais ne soyez pas les esclaves des tyrans tories qui font ces lois. Formez une association locale avec les travailleurs d’autres villes, faites en sorte que la Charte du Peuple soit accordée, et vous pourrez abroger les mauvaises lois afin de les remplacer par de bonnes74.
67Watkins développa ses arguments au début du printemps suivant, dans Cinq points cardinaux de la Charte du Peuple, brochure de quarante pages, d’une clarté et d’une force frappantes. Il y réunit tous les éléments en faveur du chartisme qui circulaient alors, à l’exception fréquente de l’égalité des circonscriptions électorales. Cela tenait peut-être moins à la peur d’inonder Westminster de députés irlandais qu’à la certitude de voir supprimer de petites circonscriptions comme Whitby. Watkins présentait la Charte comme l’achèvement d’un processus politique inauguré par la Magna Carta, créant un parlement démocratique et responsable qui allait purifier le pays de la corruption et éliminer « les gouvernements factieux ou la législation de classe ». De plus, affirmait-il, la main-d’œuvre est la source de toute richesse ; elle est donc une forme de propriété, au même titre que la terre, et devrait jouir de droits équivalents. Le suffrage universel repose sur cette base éthique et sociale, autant que sur l’argument abstrait des droits politiques innés. Il y avait néanmoins aussi un impératif religieux : « Le chartisme est un second christianisme, les chrétiens doivent être chartistes75. »
68Il n’existait pas à Whitby de tradition politique radicale, et Watkins n’y fut jamais qu’une voix minoritaire. Seules treize personnes assistèrent au premier meeting de la WMA locale, fondée par lui en février 1839. Il persévéra malgré tout, et en juin l’association avait sur la jetée sa base permanente qui servait aussi de Chapelle des ouvriers. Watkins y prêchait tous les dimanches et conduisait le culte à l’aide d’un petit livre de cantiques qu’il avait écrit dans ce but. Les offices étaient « menés avec autant de respectabilité et de décorum que si les fidèles avaient eu l’habitude de se réunir là depuis des années », signala le Northern Star. Mais à Whitby, l’attrait du chartisme fut surtout celui de la nouveauté, et à la mi-septembre, Watkins s’en plaignait amèrement : « Les ouvriers de Whitby sont très timides pour défendre leurs intérêts, et très actifs en faveur des intérêts de leurs ennemis. L’association risque ici d’être suspendue faute de soutien76. » Il concentra donc ses efforts à cinquante kilomètres de là, sur le Teesside, et fut presque aussitôt arrêté pour un discours prononcé à Stockton, dans lequel il avait invité son auditoire à lutter pour la Charte « comme des héros [et] à mourir comme des martyrs ». Les autorités locales, à Stockton, redoutaient particulièrement le chartisme. Comme Watkins le dit à un ami : « Le fait est que les magistrats de Stockton [...] étaient paniqués et avaient de violents préjugés contre tous les chartistes. »
69Cet incident consolida sa réputation et fut largement rapporté dans la presse. Quand il fut acquitté, il engagea une correspondance publique avec lord Normanby – récemment nommé secrétaire au Home Office – pour exiger son intervention afin que lui soient restitués les biens confisqués lors de son arrestation. Normanby, dont la circonscription était proche de Whitby, pouvait presque être perçu comme son égal sur le plan social. La popularité de Watkins venait en grande partie de ce qu’il se présentait comme un gentleman « ami du peuple », converti à la cause ouvrière par la force des arguments et prêts à souffrir avec les ouvriers. « Héritier des distinctions de classe à la naissance, j’ai néanmoins renoncé à tous les privilèges non acquis et me suis jeté dans les rangs pour lutter en compagnie du peuple », déclara Watkins aux lecteurs du Northern Star. Il existait bien sûr divers précédents, notamment O’Connor – à qui Watkins dédia ses Cinq Points cardinaux-, et comme pour celui-ci, les activités politiques de Watkins relevaient largement de l’auto-promotion. Son incarcération, malgré sa brièveté, fut le sujet d’un récit en cinq parties, publié tant dans le Northern Star que dans le Northern Liberator. Les lecteurs purent aussi découvrir ses « Vers écrits en prison77 ».
70L’ambition personnelle était pour Watkins une très forte motivation :
Tu semblés t’étonner que je sois chartiste [écrivit-il à un ami proche en janvier 1840] mais si tu étais dans le nord, nous t’apprendrions bientôt à en être un toi aussi. N’est-il pas naturel que des hommes qui font de leur mieux pour mériter le succès, mais qui voient tous leurs efforts contrecarrés par un maudit système qui ne récompense que les non-méritants, n’est-il pas raisonnable que ces hommes soient mécontents et aspirent à un changement ? Voilà ce qui a fait de moi un chartiste.
Les étapes suivantes dans sa carrière chartiste furent toutes soigneusement calculées. Il adopta la cause de la tempérance, dont il avait évoqué la pertinence pour le chartisme dans Cinq Points cardinaux, et fut parmi les 68 signataires initiaux d’une adresse sur le chartisme anti-alcoolique dans l’English Chartist Circular de mars 184278. Quand cela lui valut les foudres d’O’Connor – pour qui le chartisme anti-alcoolique admettait que les hommes, dans leur situation présente, n’étaient pas tous en état d’exercer leur droit de vote –, Watkins sut rectifier le tir. Il s’installa à Londres en 1842 pour y établir un « dépôt pour la propagation du vrai chartisme ». Il avait été un gros poisson dans le petit lac du chartisme du North Riding et du Teesside, et avait su exploiter son bref emprisonnement pour se tailler une réputation nationale. Mais dans la capitale, il n’y avait pas pénurie de martyrs chartistes plus plausibles, dont certains avaient une carrière radicale remontant à l’époque de la Révolution française, et dont beaucoup avaient subi la détention pendant des durées autrement substantielles. Watkins décida bientôt que la seule voie pouvant le mener à l’eminence consistait à promouvoir la vision qu’O’Connor avait du chartisme : « Offenser O’Connor, c’est offenser le peuple », déclara-t-il. Mais il alla aussi beaucoup plus loin, comme devait plus tard se le rappeler Lovett :
Parmi nos principaux assaillants à Londres figurait un certain Mr J. Watkins, personne de quelque talent [...] qui prêcha et publia un sermon pour montrer qu’il était juste de nous assassiner. Un extrait de ce discours très apprécié (car il fut prononcé plusieurs fois dans différents quartiers de Londres) servira à en refléter l’esprit : [...] « Les traîtres au peuple, les pires des traîtres, seront-ils traités avec tendresse, ou même courtisés, caressés ? Non, qu’ils soient dénoncés et abandonnés à la guillotine [...] Nous sommes en guerre, il nous faut la loi martiale : un procès rapide et une corde solide79 ».
La violence du langage employé par Watkins n’avait rien de gratuit ; elle l’associait clairement aux principes jacobins. Pourtant, alors que sa carrière s’articulait désormais autour du soutien qu’il apportait au leader du mouvement, il ne comprit jamais vraiment qu’O’Connor n’était pas un des jacobins du chartisme. Pour l’heure, tout allait bien.
71Watikins épousa la fille d’un maçon londonien dont il soutint le syndicat par une aide financière et par sa rubrique régulière dans le Northern Star. Fort de sa réputation d’orateur combattif, il fut nommé en août 1841 conférencier à plein temps par les délégués chartistes de la capitale. Ses discours formaient la base de sa rubrique quasi hebdomadaire dans le Star et de ses sermons politiques intermittents. O’Connor payait généreusement Watkins pour ce travail, même si le journal dut démentir la rumeur selon laquelle il touchait jusqu’à une livre sterling par semaine. Intellectuellement, c’est avec son « Adresse aux femmes d’Angleterre » que Watkins eut le plus d’impact, exposé complet de la vision (masculine) des relations entre sexes qui fut d’abord publié dans l’English Chartist Circular. Seul un homme dévoué au chartisme était digne de l’amour d’une femme. La sphère naturelle de celle-ci était le foyer, et non le monde du travail à l’extérieur de la maison, et elle devait créer un lieu de contentement où son mari trouverait réconfort et repos après les rigueurs endurées lorsqu’il devait gagner de quoi nourrir sa famille. Peu de chartistes étaient prêts à concéder que les femmes méritaient le droit de vote autant que les hommes. Selon Watkins, le vote devait être accordé aux femmes adultes célibataires mais pas aux épouses, car elles ne faisaient qu’un avec leur mari – dans Cinq Points cardinaux, il affirmait que l’épouse était la propriété du mari. Bien que sa condescendance fût dénoncée par les femmes chartistes, l’Adresse eut une grande influence et fut rapidement réimprimée sous forme de brochure. En 1842, on put mesurer l’estime dont jouissait ce texte, quand les chartistes de Sheffield réunirent des brochures à envoyer à l’Irish Universal Suffrage Association. Ils choisirent 250 exemplaires de Qu’est-ce qu’un chartiste ? et de Quelques idées au sujet de l’armée, mais pas moins de 1 000 exemplaires de l’ Adresse de Watkins80.
72Autres signes de la popularité de ce dernier, il fut élu par les chartistes londoniens comme secrétaire du comité d’appel (1841-1842) qui devait aider O’Brien, alors en prison, et une quête fut organisée en juillet 1842 par les chartistes de la City parce qu’il était malade – O’Connor fut le premier des donateurs, offrant dix shillings. Cependant, Watkins n’emportait pas l’adhésion là où il en aurait eu le plus besoin, parmi les chartistes du Nord industriel, et l’action qu’il entreprit ensuite – s’opposer publiquement à O’Connor – fut un désastre. Nous verrons au chapitre 8 que les années 1842-1843 furent pleines des difficultés pour la National Charter Association (NCA), fondée en 1840 pour conférer au chartisme une base organisationnelle plus sûre. L’opposition de Watkins démarra timidement en novembre 1842, lorsqu’il déclara que le bureau exécutif provisoire nommé pour diriger la NCA était antidémocratique. Au début de l’année suivante, il « enjoignit sincèrement » O’Connor à « ne pas peiner les chartistes en les appelant “son parti” » et critiqua vigoureusement les partisans de celui-ci au sein du bureau exécutif, appelant même Peter McDouall « un escroc ».
73Les comptes de la NCA étaient très confus, nul ne le nia jamais. O’Connor s’empressa pourtant de disculper le bureau exécutif et, de manière inhabituelle – car en tant que propriétaire, il intervenait rarement dans les décisions éditoriales –, il reprocha au rédacteur en chef du Northern Star d’avoir publié l’attaque de Watkins. Il réserva ses critiques les plus acerbes à l’attitude qu’avait eue Watkins envers John Leach, chartiste de Manchester et président de la NCA. Ex-tisserand au métier, ce dernier fut ouvrier en usine jusqu’à ce qu’il soit renvoyé en 1839, pour s’être opposé aux réductions de salaire. O’Connor affirma que Leach, malgré une pauvreté persistante, avait à plusieurs reprises fait don à des fonds chartistes « de l’argent librement donné à lui ». Le sens de cette remarque était clair : Watkins s’en prenait injustement à des chartistes économiquement et socialement moins favorisés81.
74Watkins était loin d’être le seul à attaquer O’Connor. Si le soulèvement de Newport put être perçu comme s’inscrivant dans un complot national, ce fut en grande partie à cause des allégations formulées en 1845, selon lesquelles O’Connor en était complice. Si Watkins détenait des informations qui auraient pu compromettre son adversaire, il ne les utilisa pas. Ses allégations portaient sur des questions de confiance personnelle et de dettes morales et financières qu’O’Connor auraient contractées envers lui. Watkins apprit bientôt, à ses dépens, que dans le monde du chartisme personne n’était supérieur à O’Connor. Il fut compromis par ses assauts exagérés contre les ennemis de ce dernier, dont il ne put se défendre qu’en prétextant qu’il l’avait « considéré comme l’incarnation de la Cause82 ».
75Brouillé avec Lovett, pôle d’attraction des chartistes non partisans d’O’Connor dans la capitale, Watkins fut contraint de se frayer son propre chemin. Il choisit pour cela une revue, le London Chartist Monthly Magazine, dont le premier numéro parut en juin 1843. Le moment était néanmoins mal venu pour lancer un nouveau périodique chartiste, et le mensuel était un format relativement inédit dans le monde de la presse radicale. Le magazine fit faillite au bout de quatre numéros. Ailleurs, Watkins décrivit O’Connor comme « le principal obstacle sur la voie qui doit nous mener à la Charte », ajoutant qu’il « se retranche derrière le N-– S-– où, comme la seiche, il se dissimule derrière un nuage d’encre ». Deux pamphlets suivirent, The Impeachment of Feargus O’Connor (1843), puis John Watkins to the People (1844), dont la page de titre s’ornait d’une citation tirée de Macbeth : « Ce tyran, dont le nom seul nous écorche la langue, fut un jour cru honnête. » Watkins poursuivit avec une série d’articles pour le Lloyd’s Weekly Newspaper, où il dénonçait l’ensemble des dirigeants chartistes et O’Connor en particulier. Ses apparitions lors de meetings politiques devinrent sporadiques, la dernière ayant lieu en avril 1848, lorsqu’il dirigea son venin sur O’Brien83.
76Ce fut une fin peu édifiante pour une carrière chartiste qui avait commencé avec un enthousiasme si convaincant dix ans auparavant. Watkins continua à évoluer dans les cercles radicaux et littéraires mais, conformément à son statut d’homme vivant de ses rentes, il dériva politiquement vers le centre. En 1849 (après le décès de sa première épouse), il se remaria avec la fille d’Ebenezer Elliott, homme d’affaires de Sheffield qui avait très tôt soutenu le chartisme mais s’en était détourné à cause de sa position sur les Corn Laws. Watkins rédigea une biographie de son nouveau beaupère, dédiée à l’homme d’État tory Robert Peel. Le couple avait une maison confortable à Clapham Rise d’où, se présentant comme « Gentleman », Watkins fit son testament en août 1850. Il mourut en 185984.
77Watkins n’est pas une personnalité très séduisante. Son goût excessif pour la controverse et l’auto-promotion, sans parler de son intolérance envers ceux avec qui il était en désaccord, a tellement fait oublier sa réputation d’écrivain capable et parfois même talentueux que les histoires du chartisme ne lui prêtent guère d’attention. Même Gammage, qui ne laissait passer pratiquement aucune occasion de discréditer O’Connor, n’a que quelques mots pour Watkins85. Le chartisme était cependant une Église très accueillante, ouverte aux conspirateurs et aux carriéristes, autant qu’aux idéalistes et aux romantiques. Watkins est important pour la contribution intellectuelle qu’il apporta au chartisme jusqu’au début des années 1840, surtout à travers ses poèmes. « Vers dédiés à Shell, tué à Newport » est typique des réactions des chartistes convaincus face aux événements de novembre 1839. Et les critiques adressées à O’Connor par Watkins préparèrent le terrain à ceux qui avaient des accusations plus graves à porter contre lui.
Notes de bas de page
1 Ce paragraphe suit C. Behagg, Politics and Production in the Early Nineteenth Century, Londres, Routledge, 1990, p. 206-218, Wellington cité p. 217 ; C.C.F. Greville, The Greville Memoirs, 1814-60, L. Strachey et R. Fulford (éd.), Londres, Macmillan, 1938, vol. 4, p. 189.
2 « State of the country », Charter, 28 juillet 1839 ; The Times, 22 juillet 1839 ; « Henry Vincent », ODNB-, W.H. Maehl, « Chartist disturbances in northeastern England, 1839 », International Review of Social History, 8 (1963), p. 402-403.
3 Charter, 28 juillet 1839.
4 WYAS, Leeds, documents Harewood, Lieutenancy Box 2, dépositions de W. Egan et J. Glover, 26 juillet 1839.
5 Les rassemblements de « grand nombre de personnes » étaient considérés comme illégaux selon le droit coutumier s’ils présentaient « des signes de terreur susceptibles de susciter l’inquiétude et de troubler la paix publique », point souligné par le Home Office dans une circulaire du 3 juin, voir F.C. Mather, Public Order in the Age of the Chartists, Manchester, Manchester University Press, 1959, p. 188.
6 pays de Galles : Dowlais, Merthyr Tydfil et Pontypool ; Angleterre : Ashton, Barnsley, Bath, Birmingham, Blackburn, Bolton, Bradford, Bristol, Bury, Cheltenham, Chester, Chorley, Cirencester, Darlington, Dewsbury, Halifax, Hull, Hyde, Leigh, Londres (St Paul et Spitalfields), Loughborough, Manchester, Mansfield, Newcastle, Norwich (quatre localités différentes), Nottingham, Preston, Rochdale, Sheffield, Stockport, Stroud et Wigton.
7 C. Wilkins, History of Merthyr Tydfil, Merthyr Tydfil, s. n., 1867, p. 307. Pour une analyse complète des relations entre chartisme et pratique religieuse, voir E.J. Yeo, « Christianity in Chartist struggle, 1838-42 », Past & Présent, 91 (1981), p. 109-139.
8 J.W. Whittaker, Dr Whitaker’s Sermon to the Chartists, 2e éd., Blackburn, s. n., 1839, p. 16-17 ; I. Collingridge, Outline of an Address to the Chartists, East Dereham, H.C. Wigg, 1839, p. 4, voir aussi The Times, 9 septembre 1839 et W. Cobbett, History of the Protestant Reformation, Londres, Charles Clement, 1824 ; E. Stanley, Sermon Preached in Norwich Cathédral, on Sunday, August 18th, 1839, Londres, Limbard, 1839, p. 7 ; D.J.V. Jones, The Last Rising : The Newport Insurrection of 1839, Oxford, Clarendon, 1985, p. 95 ; E Close, The Chartists’ Visit to the Parish Church, Londres, Hamilton, 1839, p. 17 ; Preston Chronicle, 17 août 1839, cité dans Yeo, « Christianity », art. cité, p. 134.
9 W. Brimelow, Political and Parliamentary History of Bolton, Bolton, Tillotson, 1882, p. 367 ; W. Napier, Life and Opinions of General Sir Charles James Napier, Londres, Murray, 1857, vol. 2, p. 61.
10 Certains estiment les records de vente à 60 000 exemplaires. Les ventes hebdomadaires en 1839 se situaient autour de 36 000, mais cela dissimule évidemment d’importantes variations. NS, 17 août 1839, revendiquait une diffusion de 42 000 exemplaires pour le trimestre d’avril à juin. En septembre, O’Connor signalait une diffusion hebdomadaire de 48 000 exemplaires (NS, 14 septembre 1839). En privé, il parlait de 43 000 exemplaires (lettre à Frank O’Connor, 28 septembre 1843, documents O’Connor d’Arlach). Voir aussi J.A. Epstein, « Feargus O’Connor and the Northern Star », International Review of Social History, 21 (1976), p. 69-70 et 96-97.
11 Affiche, 7b the Middle-classes of the North of England, Sunderland, Williams & Binns, [1839], HO 40/42, fo 249, également reproduit dans Northern Liberator, 21 juillet 1839. Voir aussi T.A. Devyr, The Odd Book of the Nineteenth Century, New York, Greenpoint, 1882, p. 182-186 (Devyr prétendit ne pas avoir rédigé ce discours).
12 Brochure, To the Middle Classes of Darlington, and its Neighbourhood, Darlington, Oliver, [1839], HO 40/42, f° 361.
13 WYAS, Leeds, documents Harewood, Lieutenancy Box 2, déposition de Marsden, 26 juillet 1839, et « Address of the Working Men to the Shopkeepers, Butchers, & c. of the Town of and neighbourhood of Bradford ».
14 R.J. Richardson, To The Officers and Members of Trades’ Unions, Manchester, Willis, 1839 ; Bolton WMA, Appeal to the Trade Societies of Bolton (affiche dans HO 40/43,29 juillet 1839).
15 Hansard, vol. XLIX, 1839, col. 727-739. Voir aussi D. Foster, Rural Constabulary Act 1839, Londres, Bedford Square Press, 1982.
16 Bolton WMA, Appeal, op. cit. ; Charter, 28 juillet 1839 ; Richardson, To the Officers and Members of Trades’ Unions, op. cit.
17 Affiche, General Strike !, Newcastle, Bell, 7 août 1839, Working-class Movement Library, Salford : voir son Bulletin, 3 (1993), p. 26.
18 R.P. Hastings, Chartism in the North Riding of Yorkshire and south Durham, 1838-48, York, University of York, 2004, p. 7.
19 Voir M. Chase, « Chartism, 1838-58 : responses in two Teesside towns », Northern History, 24 (1988), p. 149-152. Citations tirées de HO 40/42,fos 229 et 241, Gateshead Observer, 27 juillet 1839.
20 Charter, 28 juillet 1839, citant le Northern Liberator ; BL Add. MSS 34245B, fo 126, Knox à la convention.
21 BL Add. MSS34245B, fo 103, Bussey à la convention, 5 août 1839 ; WYAS, Leeds, documents Harewood, Lieutenancy Box 2, Thompson à Harewood, 9 juillet 1839.
22 BLAdd. MSS 342458,fo 103-126 ; B. Harrison et P. Hollis (éd.), Robert Lowery : Radical and Chartist, Londres, Europa, 1979, p. 143 ; T. Clarke, « Early Chartism in Scotland : a "moral force” movement ? », dans T.M. Devine (éd.), Conflict and Stability in Scottish Society, 1700-1850, Édimbourg, Donald, 1990, p. 106-121.
23 BL Add. MSS 34245B, fos 114,116-117 et 124.
24 Allusion explicite aux termes tenus par Nelson avant la bataille de Trafalgar : « L’Angleterre compte sur chacun pour qu’il fasse son devoir » (F.B.).
25 Charter, 18 août, NS, 17, 24 et 31 août, The Times, 14 août 1839. Affiche de Dukestown, Newport Muséum and Art Gallery.
26 Ashton Reporter, 30 janvier 1869, qui place par erreur l’incident en 1838.
27 NS, 3 août 1839 ; Harrison et Hollis, Lowery, op. cit., p. 144-148.
28 The Times, 14 août 1839 ; MS, 3 avril et 6 novembre 1841 ; K. Wilson, « Chartism and the north-east miners », dans R.W. Sturgess (éd.), Pitmen, Viewers and Coalmasters, Newcastle, Northeast Labour History Society, 1986, p. 96.
29 Charter, 18 août 1839 ; The Times, 14 août 1839 ; J. Baxter, « Early Chartism and labour class struggle, South Yorkshire, 1837-40 », dans S. Pollard et C. Holmes (éd.), Essays in the Economie and Social History of South Yorkshire, Sheffield, South Yorkshire County Council, 1976, p. 135-172.
30 Ce récit s’appuie sur Bibliothèque centrale de Bolton, Local Studies Library, documents Heywood, ZHE 35/61 – « récit authentique » de l’Alderman Heywood ; Bolton Chronicle et Bolton Free Press, 17 août 1839 ; Bolton Evening News, 23 juin 1874.
31 « Un homme du people », écrivant dans le National, 29 juin 1839 ; Lowery, Carlisle Journal, 13 juillet 1839, cité dans B. Harrison et P. Hollis, « Chartism, Liberalism and the life of Robert Lowery », English Historical Review, 82 (1967), p. 514 ; O’Connor, lettre dans Northern Star, 15 septembre 1838.
32 Charter, 28 juillet 1839 ; Jones, Last Rising, op. cit., p. 82, 93-94.
33 Burland, vol. 2,fo113.
34 J. Jackson, Démagogue Done Up : An Exposure of the Extrême Inconsistencies of Mr Feargus O’Connor, Bradford, Wilkinson, 1844 p. 3, 16 ; J.C.F. Barnes, Popular Protest and Radical Politics : Carlisle, 1790-1850, thèse de doctorat, University of Lancaster, 1981, p. 342.
35 Discours d’O’Connor à la convention, cité dans Charter, 28 avril 1839 ; « To the working men of Bolton », NS, 17 août 1839.
36 Jackson, Démagogue, op. cit., p. 18.
37 W.M. Yorrens, Memoirs of the Rt Hon. William, Second Lord Melbourne, Londres, Macmillan, 1878, vol. 2, p. 311-312 ; H. Martineau, History ofEngland during the Thirty Years Peace, 1816-46, Londres, Knight, 1850, vol. 2, p. 413.
38 Cette loi et les trois projets sur la police reçurent l’assentiment royal les 26 et 27 août. L’issue du procès de Stephens et de McDouall fut principalement connue grâce au NS du 24 août 1839.
39 NS, 14 septembre, Charter, 15 septembre 1839. La Délcaration fut rédigée par un juriste allemand émigré, ami de Hetherington, nommé Schrôder (London Dispatch, 18 août 1839).
40 NS, 24 août 1839 ; W. Thomson, « Préfacé », Chartist Circular, 23 octobre 1841. Voir aussi Clarke, « Early Chartism in Scotland », art. cité ; A. Wilson, The Chartist Movement in Scotland, Manchester, Manchester University Press, 1970, p. 85-88.
41 HO 40/44, fo 860.
42 Western Vindicator, 6 avril 1839 ; Monmouthshire Merlin, 27 avril 1839, cité dans Jones, Last Rising, op. cit., p. 73, voir p. 93-94 et 118 ; Charter, 16 juin 1839 ; affiche, cité dans D. Williams, John Frost : A Study in Chartism, Cardiff, University of Wales, 1939, p. 169.
43 NS, 3 mai 1845, reproduisant un article paru dans le National Reformer, 30 mars 1845 (dont aucun exemplaire n’a survécu). Selon Ashton, Hill et O’Connor prirent la parole avant le 6 octobre, au Bull & Mouth Hotel, à Leeds, ce que Hill nia par la suite ; National Reformer, 19 avril et 10 mai 1845.
44 HO 20/10, interviewé par W.J. Williams, 23 décembre 1840 ; W. Farish, The Autobiography of William Farish, Liverpool, J.R. Williams, 1890, p. 40.
45 Harrison et Hollis, Lowery, op. cit., p. 155. Dans une version antérieure, Ashton prétendait qu’un soulèvement s’était tramé par un groupe de délégués, dont Taylor, hostiles à O’Connor, voir NS, 29 février 1840.
46 [A. Somerville], Autobiography of a WorkingMan, Londres, Gilpin, 1848, p. 423-424 et 441-442, et Cobdenic Policy : the Internai Enemy of England, Londres, Hardwicke, 1854, p. 28-30. Pour les écrits de Somerville contre le recours à la force physique, voir ses Warnings to the People on Street Warfare, Londres, 1839, et dans NS, 25 mai et 1er juin 1839.
47 Voir HO 40/44 et MEPO 2/43. Pour Beniowski, voir P. Brock, « Polish democrats and English radicals, 1832-62 », Journal of Modem History, 25/2 (juin 1953), p. 146-147, et J. Bennett, « The London Démocratie Association », dans J. Epstein et D. Thompson (éd.), Chartist Expérience, Londres, Macmillan, 1982, p. 87-119 passim. Aussi NS, 30 août 1845, pour les litiges avec d’autres émigrés polonais et l’affirmation selon laquelle « il avait renoncé à ses opinions démocratiques pour passer dans le camp adverse ».
48 Publié par George Crawshay sous le nom de « The Chartist Correspondence », dans Free Press Sériais 13 (janvier 1856) – désormais « Chartist Correspondence » –, citation d’une lettre anonyme du 22 septembre 139, p. 1. Deux lettres de cette collection (p. 3-4) furent envoyées par Taylor à la secrétaire de la FPU de Birmingham Mary Ann Groves, future partisane d’Urquhart. Selon Ashton, Taylor eut avec elle pendant cinq semaines « une liaison puérile, criminelle (pas charnelle) », NS, 29 février 1840.
49 Bibliothèque de Balliol College, documents David Urquhart, boîte 8, IEI, P. Taylor à anon. [H. Cameron], 22 septembre 1839, cité dans R. Fyson, Chartism in North Staffordshire, thèse, université de Lancaster, 1999, p. 114.
50 Urquhart à Willis, 19 décembre [1855 ?], « Chartist Correspondence », p. 19 ; D. Urquhart, Recent Events in the East, cité dans Northern Tribune, 1/12 (décembre 1854), p. 390 ; Urquhart cité dans Gertrude Robinson, David Urquhart, Oxford, Blackwell, 1920, p. 89.
51 À propos des soupçons de Urquhart à l’encontre de Beniowski, voir « Chartist Correspondence », p. 1-4 et D. Urquhart, « Chartism : A Historical Retrospect », Diplomatie Review, 31/3 (juillet 1873), p. 222-224.
52 W. Lovett, Life and Struggles of William Lovett, Londres, Trübner, 1876, p. 239-240. Taylor donna sa version à Lovett dans une lettre datée du 10 juin 1841, à présent BCL, documents Lovett, vol. II, P 5.
53 NS, 2 novembre 1839 ; Harrison et Hollis, Lowery, op. cit., p. 155 ; Devyr, Odd Book, op. cit., p. 194-197. Pour un récit qui accorde du poids à la correspondence de Blakey, voir A. Peacock, Bradford Chartism, 1838-40, York, St Anthony’s Press, 1969, p. 31.
54 Il y avait eu 75 morts lors des Gordon Riots de 1780. Au moins 22 personnes furent tuées à Newport, voir Jones, Last Rising, op. cit., p. 154-156. La section qui suit doit beaucoup à l’ouvrage de Jones.
55 NS, 19 octobre 1839 : annonce du discours de Frost au théâtre de Halifax (avec Bussey, O’Connor, Pitkethley et Taylor) le 21 octobre. Peacock, Bradford Chartism, op. cit., p. 32, suggère qu’il s’agissait d’une ruse visant délibérément à tromper les autorités ; Lovett, The Life and Struggles, op. cit., p. 240.
56 HO 40/44, fos 958-959, R.J. Edwards à Normanby, 6 novembre 1839 ; lettre à Taylor (13 novembre 1839), Bibliothèque de l’université de Durham, documents Grey, GRE/B102/7/4, reproduit dans W.H. Fraser, Dr John Taylor, Ayr, Ayrshire Archaeological & Naturel History Society, 2006, p. 93.
57 Jones, Last Rising, op. cit., p. 12.
58 J. Humphries, The Man from the Alamo, St Athan, Glyndŵr, 2004 recrée de façon plausible la vie de Rees, en qui il voit le quatrième leader clé du soulèvement. À propos de Samuel Shell, voir BCL, documents Lovett, vol. II, f° 160.
59 Jones, Last Rising, op. cit., p. 98,104-109, citation p. 108.
60 Jones, Last Rising, op. cit., p. 109-113 ; TS 11/503, Homfray à Phillips, 2 novembre 1839.
61 George Sanger, Sixty Years a Showman, Londres, Pearson, 1910, p. 27 ; Hughes cité dans O. Jones, Early Days of Sirhowy and Tredegar, Tredegar Local History Society, 1969, p. 102 ; M. Ferriday cité dans Jones, Last Rising, op. cit., p. 123.
62 Jones, Last Rising, op. cit., p. 136-140 ; lettre de Shell, « Sunday night, November 4th », publiée dans le Monmouthshire Merlin, 23 novembre 1839, puis largement reproduite, par exemple dans NS, 30 novembre 1839. Williams (Frost, op. cit., p. 230) suggère qu’il s’agit d’un faux à cause d’erreurs de date et du langage utilisé. Mais Shell était le fils instruit d’un père radical qui l’avait récemment persuadé de renoncer au chartisme ; le style est cohérent par rapport au contexte.
63 B. Reay, Last Rising of the Agricultural Labourers, Oxford, Clarendon, 1990.
64 Thomas Watkins, cité dans Jones, Last Rising, op. cit., p. 153 ; [E. Dowling], Rise and Fall of Chartism in Monmouthshire, Londres, Bailey, 1840, p. 43.
65 Monmouthshire Merlin, 16 novembre 1839, cité dans I. Wilks, South Wales and the Rising of 1839, Londres, Croom Helm, 1984, p. 65 ; Jones, Last Rising, op. cit., p. 154-156, offre l’analyse la plus fiable et la plus fine du bilan humain.
66 NS, 27 juin 1840 ; affiches citées dans [W. Johns], The Chartist Riots at Newport, 2e éd., Newport, Johns, 1889, p. 68-69, et Midland Counties Illuminator, 1er mai 1841. (C’était une coutume galloise que de décorer les tombes lors du dimanche des Rameaux.)
67 F. Engels, The Condition of the Working Class in England, W.O. Henderson et W.H. Chaloner (éd.), Oxford, Blackwell, 1958, p. 273 [1845] ; B. Stott, « A Song of Freedom », Songs for the Millions and Other Poems, Middleton, Horsman, 1843, p. 83.
68 Voir par exemple The Last Farewell to England of Frost, Williams and Jones, Shrewsbury, France, 1840 : « Plus d’un cœur battra tristement, / Plus d’un œil versera une larme, / Plus d’un orphelin et sa mère / Pleureront dans le Monmouthshire, / Pour le 3 de novembre dernier, / Quand les pères s’en sont allés, / Des dizaines de milliers se souviendront / Des tristes désastres de ce jour ». Cité en entier dans R. Palmer, A Ballad History of England, Londres, Batsford, 1979, p. 118.
69 T. Cooper, Purgatory of Suicides, Londres, How, 1845, livre 2, strophe lxxiv, p. 75.
70 Voir S. Roberts, « Who wrote to the Northern Star ? », dans O. Ashton et al. (éd.), The Duty of Discontent, Londres, Mansell, 1995, p. 68-70.
71 Pour tous, sauf Davenport, voir par exemple I. Armstrong, Victorian Poetry, Londres, Routledge, 1993, passim ; et pour tous sauf Leno, voir A. Janowitz, Lyric and Labour in the Romantic Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. Aussi T. Randall, « Chartist poetry and song », dans O. Ashton et al., The Chartist Legacy, Woodbridge, Merlin, 1999 et « Poetics of the Working Classes », numéro special de Victorian Poetry, 39/2 (été 2001).
72 Biographie et bibliographie détaillées dans DLB, vol. 12 ; aussi Roberts, « Who wrote to the Northern Star ? », art. cité, p. 57-58 et Janowitz, Lyric and Labour, op. cit., p. 155.
73 NS, 2 janvier 1841.
74 J. Watkins, Letter to the Inhabitants of Whitby, Whitby, Forth, 1838 ; Second Letter..., Whitby, Forth, 1838, citations aux p. 28 et 45 ; Third Letter.... Whitby, Forth, 1838, p. 10 et 27.
75 J. Watkins, Five Cardinal Points of the People’s Charter, Whitby, Forth, 1839, p. 3 et 30.
76 Yorkshire Gazette, 2 février 1839 ; NS, 1er juin et 14 septembre 1839.
77 Watkins à Chambers, 1er avril 1840, cité dans J. Watkins, Life and Career of George Chambers, Londres, Watkins, 1841, p. 147 ; NS, 25 avril 1840 et 5 juin 1841.
78 Watkins, Life and Career, op. cit., p. 146-147 ; ECC, 9 (mars 1841).
79 W. Lovett, Life and Struggles of William Lovett, in his Pursuit of Bread, Knowledge, and Freedom, Londres, Trübner, 1876, p. 251 ; NS, 1er mai 1841.
80 NS, 21 août 1841,29 janvier, 9 juillet, 17 et 24 septembre 1842 ; ECC, 1/13 (avril 1841).
81 NS, 12 novembre 1842, 28 janvier et 4 février 1843.
82 John Watkins to the People, in Answer to Feargus O’Connor, Londres, Watkins, 1844, p. 4.
83 Lifeboat, 16 décembre 1843 ; NS, 15 avril 1848 ; DLB, vol. 12.
84 J. Watkins, Life, Poetry, and Letters of Ebenezer Elliott, the Corn-Law Rhymer, Londres, Mortimer, 1850 ; National Archives, Kew, PROB 11/2263/228, John Watkins.
85 R.G. Gammage, History of the Chartist Movement, 1837-54, Newcastle upon Tyne, Browne, 1894, p. 261 et 267.
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