Chapitre 3. « Le Parlement du Peuple » (janvier-juillet 1839)
p. 87-131
Texte intégral
1Quand l’année nouvelle s’ouvrit, le chartisme se portait bien. Par exemple, le 26 janvier 1839, les ventes du Northern Star atteignirent un sommet, avec 17 640 exemplaires. Soulignant encore l’importance de la presse pour le chartisme, un nouveau journal parut le lendemain : The Charter. Publié par Robert Hartwell au nom d’un comité d’ouvriers (tous membres de la LWMA), il avait William Carpenter pour rédacteur en chef. Ce dernier était encore un de ces journalistes radicaux entrés en politique – et emprisonnés – par le biais de la presse illégale1. La vente au numéro de The Charter démarra autour de 6 000 exemplaires, chiffre très encourageant étant donné l’objectif implicite de contrebalancer l’influence du Northern Star et d’O’Connor. Pourtant, sa vision de l’Angleterre de l’époque n’était pas moins sinistre que celle de son puissant rival :
Partout la société présente des phénomènes aussi stupéfiants que nouveaux [...] De fait, qui peut porter son regard sur la face actuelle des choses, en s’identifiant avec le sort de son pays et de son prochain, sans être ému par la situation critique et précaire de tout ce qui constitue le bonheur social ? Les éléments de la société sont plongés dans un état d’exaltation artificielle et de conflit violent [...] on ne voit rien que la lutte des factions, le conflit des intérêts opposés, les récriminations amères des pauvres et les protestations véhémentes des mécontents. La classe d’ouvriers la plus pauvre – et elle est fort nombreuse – gémit sous une accumulation de souffrances physiques sans parallèle dans l’histoire, et presque au-delà des capacités d’endurance humaine ; les artisans et ouvriers plus prospères et plus intelligents sont agités, mécontents, et au bord du soulèvement, aigris de se sentir dégradés et exclus de la vie politique2.
2Au sein du chartisme, tous étaient d’accord : la convention générale qui allait bientôt se tenir à Londres jouerait un rôle central pour remédier à cette situation. La pétition nationale était soutenue avec ferveur, mais beaucoup prédisaient qu’elle serait rejetée par le Parlement. Un peu partout en Grande-Bretagne, les dirigeants locaux mettaient en garde contre l’optimisme excessif. S’adressant à la WMA de Putney, Edmund Stallwood, élu à la tête du syndicat des jardiniers cinq ans auparavant, lors de l’explosion d’intérêt pour le syndicalisme, « montra la misère et le désarroi auxquels le peuple a été réduit par une législation exclusive, et souligna la nécessité de souscrire au Loyer national ». Stallwood « les implora de ne pas faire trop confiance en le parlement actuel [...] leur pétition risquait de ne pas être reçue ». Dans ces conditions, il était essentiel que la convention guide le mouvement à travers sa confrontation avec le Parlement : « N’ayez pas peur, conseilla Stallwood à son auditoire qui l’acclama, que le peuple soit uni et ferme, et nous finirons par triompher de toute opposition3. » Certains chartistes pensaient que la convention devait uniquement gérer la collecte de signatures et la présentation de la pétition, mais la grande majorité attendait qu’elle définisse comment le chartisme allait vaincre l’establishment. Le loyer national était donc nécessaire non seulement pour payer les frais des délégués, mais aussi pour financer une campagne de grande ampleur.
3La stratégie de la convention incluait un élément de risque. Personne ne pouvait savoir comment le gouvernement réagirait face à un corps élu, siégeant à Londres, qui prétendait parler au nom de tout le pays. On avait pris soin d’élire les délégués lors de meetings publics ouverts, et d’en limiter le nombre à quarante-neuf, pour se conformer à la loi de 1817 sur les assemblées séditieuses. Techniquement, soixante-deux délégués furent élus, mais neuf d’entre eux ne se présentèrent pas une seule fois. Après les dépenses encourues pour défendre les participants aux émeutes contre la New Poor Law, les chartistes de Todmorden n’avaient plus les moyens d’envoyer un délégué. George Loveless avait été élu représentant du Dorset à son insu : une propriété lui avait été achetée par souscription publique lorsqu’il revint d’Australie mais pour aller à la convention « je dois louer un homme pour me remplacer, ce que je ne puis me permettre en ce moment ». De même, Edward Nightingale ne pouvait quitter le pub dont il était le tenancier à Manchester. Une absence bien plus significative était celle des trois délégués de Birmingham, dont les deux frères Muntz. La fragilité du rapprochement opéré par O’Connor avec la BPU en décembre précédent était ainsi révélée. Il est néanmoins difficile de ne pas en conclure que, aussitôt après avoir obtenu le statut de circonscription électorale pour Birmingham et après avoir été élu à son premier conseil, les réformateurs de la classe moyenne avaient perdu leur intérêt pour le chartisme. Le dégoût de Birmingham pour la tactique, le langage et le leadership chartistes n’était guère qu’un écran de fumée. Comme le commenta sèchement le docteur John Taylor, la constitution en circonscription était à Birmingham « la tombe du radicalisme4 ».
4Malgré ces défections, on a sans doute trop mis l’accent sur la prépondérance des délégués issus de la classe moyenne par rapport aux délégués ouvriers. Si l’on tient compte des démissions précoces et des absents, les ouvriers (plus quelques journalistes et autres ex-ouvriers travaillant dans le monde de l’imprimé) formaient pratiquement les deux tiers des membres. De plus, les délégués de la classe moyenne présents à la convention incluaient un certain nombre d’ultra-radicaux confirmés. Nous avons déjà rencontré Arthur Wade et John Taylor. Peter McDouall, chirurgien écossais habitant le Lancashire, était un réformateur des usines qui avait pris la place de J.R. Stephens comme délégué d’Ashton-under-Lyne, sur la recommandation de ce dernier. Lawrence Pitkethly, drapier à Huddersfield, était l’un des plus vigoureux partisans d’Oastler et un proche collaborateur d’O’Connor. Un autre drapier, John Frost, de Newport, dans le Montmouthshire, était une figure éminente de la politique locale depuis la fin des années 1820. Son franc-parler avait déjà incité le secrétaire au Home Office à vouloir l’exclure de la magistrature.
5L’appellation de « convention générale des classes industrieuses » n’était donc pas trompeuse. Des règles détaillées furent adoptées, preuve que l’assemblée se prenait très au sérieux5. Le Northern Star et The Charter en présentèrent les séances avec une gravité comparable à celles du Parlement, tandis que la date de la réunion inaugurale, le 4 février, coïncidait avec l’ouverture d’une nouvelle session parlementaire. L’investissement affectif des chartistes dans cette convention était immense.
6À Bradford, un rapport quotidien du délégué local, Peter Bussey, était lu à haute voix par son épouse, dans le débit de bière que tenait le couple. Chaque soir « était comme un théâtre ; on se précipitait pour avoir les meilleures places, et tous payaient pour être admis ». Comme le déclara Duncan lors du Female Démocratie Festival de Tyneside, vivement applaudi, la convention était « le canot de sauvetage de la démocratie ». « Une vague lueur d’espoir les empêchait de désespérer, déclarèrent les chartistes de Barnsley, et cet espoir repose désormais sur vous et vos collègues. »« À quoi songent ceux qui nous dirigent ? » demandait Vincent dans le discours d’ouverture d’un autre journal chartiste, son propre Western Vindicator.
Où sont les hommes d’État dont l’esprit serait capable de comprendre combien est alarmante la situation d’aujourd’hui ? Assurément pas dans l’administration actuelle [...] La Grande-Bretagne n’a pas de gouvernement ! [...] il nous faut une Délégation conventionnelle de la volonté du peuple, et cette délégation se trouve dans la « Convention nationale » à présent à Londres6.
7Les premiers jours de la convention furent pourtant perturbés. En un instant de quasi-farce, les délégués qui s’étaient rendus comme prévu au Brown’s Hôtel, dans Westminster Palace Yard, trouvèrent que la salle avait fait l’objet d’une double réservation et qu’elle était déjà occupée par le congrès inaugural de l’Anti-Corn Law League (ACLL). La collision de ces deux mouvements réformateurs, aussi indésirable qu’on pouvait s’y attendre, avait quelque chose de symbolique7. Quelques journées inconfortables se déroulèrent dans un café. Puis, le 6 février, les délégués partirent s’installer dans ce que la féministe française Flora Tristan – l’un des nombreux visiteurs reçus par la convention – décrivit comme « un cabaret de mesquine apparence », « dans un des petits passages sales et étroits de Fleet-street ». Ils étaient hébergés par « the Honourable and Ancient Lumber Troop », club de buveurs aux penchants radicaux dont les membres incluaient le peintre William Hogarth autrefois, et Arthur Wade à présent. Ce cadre était lui aussi très symbolique, car il situait littéralement la convention dans la culture londonienne des clubs de débat radicaux, culture riche mais en déclin, où les rituels burlesques et la convivialité comptaient presque autant que la discussion politique. Dans le Troop Hall, « superbement décoré de divers insignes militaires », les délégués finirent par se mettre à l’ouvrage8.
8Les observateurs étaient impressionnés par la conduite générale de la convention. Flora Tristan notait : « Point d’interruption, de chuchotements, ni de causeries particulières comme dans la chambre de leurs seigneuries. Chacun prêtait une attention soutenue, suivait le débat avec intérêt. » Un autre critique, par ailleurs impitoyable envers les délégués qui « jouaient au Parlement », concéda que ces « hommes austères, à la mine sombre » montraient que « la classe ouvrière de ce pays était aussi qualifiée pour élire des représentants au parlement que beaucoup qui possèdent ce privilège [...] car les délégués chartistes comptaient parmi leurs rangs bien des individus très supérieurs par l’intelligence et par les capacités [...] et beaucoup plus sérieux » que quantité de députés. Matthew Fletcher, qui prit ensuite ses distances par rapport au chartisme, déclarait pourtant, se rappelant ses collègues délégués : « Nul n’aurait eu à rougir de leur être associé9. »
9L’unanimité était pourtant loin de régner. Cela n’était guère étonnant, parmi des individus d’origines sociales aussi diverses, représentant des localités aussi distantes que le Wiltshire et l’Aberdeenshire. Il y avait aussi prépondérance de Londoniens : aux côtés de dix membres de la LWMA, trois membres éminents de LDA siégeaient à la convention : Harney, pour Derby, Newcastle et Norwich, Charles Neesom pour Bristol et le cordonnier William Cardo pour Marylebone. Malgré la réputation de la LWMA, ses membres n’étaient pas les plus circonspects. Ce mérite revenait à James Cobbett. Ayant échoué dès le deuxième jour à définir précisément le rôle de la convention, Cobbett revint à la charge la semaine suivante. Sa motion proposait que la seule fonction de la convention soit de gérer la compilation et la présentation de la pétition nationale. C’était exactement le point de vue qu’avait exprimé le secrétaire au Home Office, lord John Russell, à la Chambre des communes trois jours auparavant10. Ce mythe avait de quoi réconforter les délégués qui craignaient d’être arrêtés, tout comme le gouvernement qui tentait de calmer un Parlement alarmé. Mais Cobbett était en très nette minorité – la résolution fut repoussée à 36 voix contre 6 – et il démissionna bientôt.
Mesures ultérieures
10Russell, pour sa part, n’avait pas dit toute la vérité en anticipant malgré lui la motion de Cobbett. Comme le pensait The Charter, « Les éléments de la société » se trouvaient « plongés dans un état d’exaltation artificielle », l’une des conséquences étant que les déclarations ouvertes d’opposition au gouvernement parlementaire étaient légion, de même que les appels à s’y opposer par la force. Il était souvent question, et en public, de ce qu’on appelait « mesures ultérieures », les démarches à adopter – prendre les armes, entre autres – si la pétition échouait. Ces mesures étaient détaillées tant dans les journaux non chartistes que dans une abondante correspondance adressée au Home Office par les autorités provinciales. En outre, le Home Office avait systématiquement accès à l’information et à l’opinion par tout un réseau d’espions et d’informateurs : les détails de l’imbroglio lié à la réservation d’une salle le 4 février sont principalement connus grâce à une lettre privée envoyée par James Mills, délégué d’Oldham, à un ami dans le Lancashire, qui s’empressa de la transmettre au secrétaire au Home Office11. À partir du 8 février, le gouvernement intercepta directement le courrier de divers délégués.
11Les rumeurs d’insurrection abondaient dans certains centres urbains. « Leur objectif, au plus noir de la nuit, est de mettre le feu d’un côté de la ville, écrivit un informateur de Bolton, de prendre possession de la ville et de brûler la caserne. » Un autre écrivit à un juge local : « Vous ainsi que certains des magistrats du district sont marqués comme Whigs, votre vie est menacée et vos biens sont voués à la destruction. » Les leaders chartistes l’affirmaient régulièrement, leur stratégie ne se bornerait pas aux pétitions. O’Connor était loin d’être le seul à utiliser un langage de sinistre présage pour l’establishment. Thomas Attwood, dans l’une des nombreuses déclarations qui démentent l’idée d’un BPU constamment pacifique, avait ouvert l’année nouvelle en partageant avec un auditoire réuni à l’hôtel de ville de Birmingham sa vision de « deux millions d’hommes, encadrés par des meneurs prudents et circonspects, qui agissent comme un seul cœur et un seul esprit et, si la terrible nécessité le rendait impératif, d’une seule main ». Le même jour, George Harney dit lors d’un rassemblement à Carlisle que « trois mois apporteront le changement que nous désirons ; et 1839 sera aussi mémorable dans les annales de l’Angleterre que 1793 dans les annales de la France ». Quelques jours auparavant, Bussey avait encouragé l’achat d’armes à feu et la formation de sociétés de tir. Quand les délégués du nord du pays se réunirent le 7 janvier, William Gill, fabricant de manches de couteau en ivoire, de Sheffield, eut ce commentaire : « Le recours à la force serait requis pour soulager les souffrances de la classe ouvrière [...] seule une démonstration de ce genre pourrait opérer sur leurs tyrans impitoyables et au cœur dur. »« Faites comme les gens biens », incitait John Markham, cordonnier à Leicester et prédicateur méthodiste primitif, « ornez le dessus de vos cheminées d’ARMES, d’ARMES et d’ARMES12 ».
12Ces propos étaient peut-être du bluff, mais cela paraît plus clair aujourd’hui qu’a l’époque. À Whitehall, les esprits informés étaient pessimistes : « Il n’y a dans le pays aucune force militaire qui soit de taille à affronter ces manifestations menaçantes », écrivit Charles Greville, Clerk to the Privy Council – c’est-à-dire le plus haut fonctionnaire du conseil privé du souverain –, dans son journal à la date du 1er janvier, ajoutant : « Les Magistrats sont pires qu’inutiles, sans considération, ni résolution, ni jugement. » Le général sir Charles Napier, commandant militaire du Northern District, nota que « le gouvernement semble inquiet ». Après avoir rencontré le Home Secretary et divers fonctionnaires pour parler de son nouveau poste, Napier observait que « selon eux les magistrats forment un piètre ensemble, sur lequel on ne peut aucunement se fier ». Une fois en fonctions, à partir du 4 avril, Napier émit sur la magistrature du Nord un avis plus succinct : « La trouille, voilà l’ordre du jour ». Et il ajoutait toutefois : « Non sans excuse, car le peuple paraît assez féroce13. »
13On aurait pourtant tort de supposer que cette apparente férocité traduisait une volonté insurrectionnelle concertée. Napier le comprit, comme le montre sa gestion avisée et humaine des événements dans le centre et le nord de l’Angleterre au cours de l’année 1839. Tandis que la convention siégeait, il était clair que de nombreuses localités se procuraient des armes et s’entraînaient à s’en servir. Coutelas et piques étaient ouvertement échangés sur les marchés, dans les rues du Lancashire industriel. Des renseignements depuis Ashton-under-Lyne, Leigh, Middleton et Rochdale étaient parvenus au Home Office dès décembre 1838. L’activité était plus fortement concentrée dans le Lancashire, mais elle ne se bornait pas à ce comté. La nuit, dans Bradford, on rencontrait parfois des groupes armés de piques. Lances, piques, grenades à main et « pattes de corbeau »– ou chausse-trappes, boules de fer hérissées de pointes que l’on lançait à terre pour arrêter la cavalerie – étaient produites clandestinement par centaines dans les forges de Winlaton, dans le Tyneside. Début mars, dans le Norfolk, on découvrit que les forgerons de Norwich et de Little Snoring fabriquaient des fers de pique, pendant que les chartistes du Staffordshire achetaient dix shillings pièce des fusils venant apparemment de Sheffield14. Ces signes ne sont pas négligeables, d’autant qu’ils s’accumulaient de mois en mois. La stratégie s’articulait néanmoins alors autour des « mesures ultérieures » et non de l’insurrection. L’affirmation du droit de porter des armes et sa démonstration publique avaient pour but d’accroître la pression sur le Parlement, à mesure qu’approchait la présentation de la pétition nationale.
14Si on laisse de côté l’argument de James Cobbett, pour qui elles n’avaient pas leur place dans le chartisme, il existait en gros deux positions quant aux mesures ultérieures, selon que l’on souhaitait les appliquer aussitôt pour renforcer la pétition ou les réserver pour la prochaine étape du combat. De toute évidence, certaines des mesures proposées n’auraient eu qu’une efficacité limitée. Le boycott des produits taxés (alcool, sucre, thé, café) était une mesure morale plus que pratique pour réduire les revenus du gouvernement, surtout attrayante parce qu’elle rappelait la Révolution américaine. Une « ruée vers l’or », c’est-à-dire le retrait massif des économies placées dans les banques pour entraîner une crise financière, était encore moins plausible, à moins que les syndicats et les amicales n’aient pu être persuadés de s’y joindre. Les sociétés mutuelles locales plus petites y étaient souvent favorables, mais les grands syndicats et les associations nationales (les Oddfellows, principalement) devaient se montrer financièrement prudents malgré leur sympathie politique.
15Le boycott des commerçants hostiles au chartisme était plus riche de potentialités. Il pouvait cibler des notables ou, plus généralement, des détaillants qui jouissaient du droit de vote. Cette pratique, déjà bien établie dans certaines communautés, avait presque valu à Oastler le siège parlementaire de Huddersfield en 1837. « La voie menant à leur cerveau passe par leurs poches, trouvez-la », déclara Joshua Hobson, appelant à intensifier la campagne contre ceux qui n’avaient pas voté pour Oastler. En novembre, les chartistes de Colne distribuèrent à chaque commerçant un tract imprimé disant : « Nous vous demandons de prêter attention au Loyer national, qui doit financer les délégués nommés par la Nation pour se réunir en convention à Londres, afin d’exiger des mains du Gouvernement la justice pour des millions d’individus ! » À partir de janvier, les chartistes de Barnsley ouvrirent chaque meeting par un « index du boycott », énumérant tous les boutiquiers qui avaient apporté leur contribution au fonds de défense de Stephens et au loyer national15.
16La quatrième mesure, présentée à la convention à partir de mi-février, était la grève générale. D’ordinaire, les chartistes parlaient de congé national, de semaine ou de mois saint ou sacré, ou de grève universelle – comme l’avait fait Attwood à Glasgow, en mai de l’année précédente. Comme le boycott, le concept de mois sacré faisait partie de l’héritage radical des chartistes. William Benbow, chartiste londonien et ultra-radical de longue date, avait développé cet argument pour la première fois dans son livre Grand National Holiday and Congress of the Productive Classes (1832), en proposant à la fois une grève générale et une convention « pour réformer la société ». Benbow s’appuyait fortement sur la pensée de Thomas Spence et sur cette même tradition antiparlementaire qui servait de base à la convention générale ; mais ses invectives anti-establishment étaient remarquables de verve et son livre connut trois éditions importantes16. Le concept de grève générale était étroitement associé à la prise d’armes, pas nécessairement dans un but offensif, mais afin de se défendre contre le recours à la coercition pour imposer une reprise du travail. À partir de la mi-février, rares furent les chartistes à s’opposer au congé national, mais les opinions divergeaient quant aux dates où la grève devrait être annoncée et prendre effet. Bronterre O’Brien, par exemple, estimait qu’il faudrait obtenir entre deux et trois millions de signatures pour la pétition nationale avant qu’une grève, ou des mesures ultérieures, ne puissent avoir une véritable autorité. O’Connor, à l’inverse, pensaient que ces mesures devaient, sans aller jusqu’à la grève, être appliquées en parallèle avec la collecte de signatures. Richard Marsden, tisserand de Preston, alla plus loin, demandant à la convention de s’engager à une grève générale et de nommer aussitôt la date où elle démarrerait :
Les ouvriers du nord avaient signé la pétition pour la Charte, croyant que les hommes qui parlaient de semaine sainte en leur nom étaient sincères. Dans la classe industrieuse, aucun de ceux qui avaient signé la pétition n’a jamais pensé un instant que la législature accorderait la Charte. Le peuple n’attendait rien des mains du gouvernement, il compte sur la détermination de cette Convention [...] tout ce qu’elle avait à faire, c’était d’indiquer au pays quand devait commencer la semaine sacrée17.
17La position d’O’Brien était logique, compte tenu du retard que prenait la collecte de signatures et du loyer national. Le 9 février, le Northern Star signalait que seules 967 livres avaient été réunies, et un demi-million de signatures. Pour mobiliser les esprits, la convention excluait les délégués dont la circonscription n’avait pas encore fourni le loyer ou les signatures : Harney et Taylor se trouvèrent ainsi tous deux empêchés d’assister aux premières séances. Le problème était aussi administratif que politique, car la convention devait aussi remplir les fonctions de secrétariat du chartisme. Le fardeau en incombait à l’infatigable William Lovett, qui recevait les signatures, gérait toute la correspondance et les questions financières, en tant qu’historien de la convention. En moins d’une semaine, 100 000 signatures supplémentaires arrivèrent, mais l’heure n était pas à l’autosatisfaction. « Nous ne pouvons plus parler de Pétition nationale, écrivit à Lovett un Thomas Salt inquiet, notre hypothèse de base se révélant fausse. » La réaction d’O’Connor fut de mettre plus que jamais l’accent sur le statut emblématique de la pétition : « C’est la fin, la toute fin [...] réduisez-les au silence, donnez-la-leur : que chaque homme, femme et enfant signe la Pétition ; désarmez d’un coup tous vos ennemis18. »
18L’optimisme vigoureux d’O’Connor était une qualité essentielle chez un leader national. Elle devait néanmoins s’accompagner d’efficacité logistique. Présenter la pétition fin février, comme prévu jusque-là, n’aurait évidemment pas été judicieux. Même dans des centres connus pour leur vieille adhésion aux causes radicales, la collecte des signatures était difficile à opérer dans le peu d’heures de jour en dehors du temps de travail. De plus, voulant fermement obtenir le nombre maximal de signatures, des chartistes convaincus associaient l’invitation à signer et la collecte du loyer national ; ils répugnaient à renvoyer les formulaires tant qu’ils n’étaient pas sûrs d’avoir épuisé toutes les sources de soutien possible.
19Tavistock, dans le Devon, offre un bon exemple de ce mode de fonctionnement. Sa WMA parcourut toute la ville avec les pétitions à signer et les listes de souscription, « sans guère manquer une seule porte ». Seules 1 366 signatures furent pourtant collectées, soit environ 22 % de la population de la circonscription, chiffre pourtant raisonnable par rapport au nombre de bénéficiaires du droit de vote (247 en 1832). Selon le secrétaire, « Beaucoup de libéraux déclarés avaient les mains si crispées qu’ils ne pouvaient pas écrire leur nom, ni déboutonner les poches de leur culotte ». Il fallut ensuite attendre que quelqu’un puisse porter les signatures à Plymouth et les expédier à bord d’une diligence pour Londres. Dans les localités sans vraie tradition d’organisation radicale, les obstacles pouvaient être considérables. « Le comté de Gloucester est tellement réduit en esclavage que le peuple n’ose pas y signer une Pétition », écrivit un chartiste déçu, de la forêt de Dean, au « Président de la Convention nationale ». Les chartistes de Boston pensaient que « beaucoup plus [de signatures] auraient pu être obtenues sans l’opposition de ce qu’on appelle le monde religieux, les Wesleyens en particulier ». Même dans le Warwickshire, Salt calcula que, Birmingham excepté, moins de 6 000 signatures avaient été collectées auprès d’une population de 77 000 habitants. « Je ne suis pas du tout à la hauteur de la tâche », écrivit-il désespéré à Lovett, en expliquant qu’il n’avait pu arranger aucun meeting public dans de grands centres comme Bromwich ou Kenilworth19.
20La convention rassemblait systématiquement les renseignements fournis par chaque organisation chartiste sur l’état de sa localité, distribuant de longs questionnaires imprimés pour aider le processus20. La convention était donc bien informée et loin d’être coupée du monde. Fin février, elle envoya des « missionnaires », un sous-comité « pour la propagation de l’information politique » ayant recommandé que les membres de la convention soient autorisés à partir en tournée dans les régions « insuffisamment instruites du mouvement chartiste ».
21Au départ, ces régions se situaient surtout dans le sud de l’Angleterre, mais on comprit bientôt que l’instruction insuffisante était un problème général. Par ailleurs, les solides centres chartistes devaient être alimentés à la lumière de la décision de repousser la pétition. Sans la visite d’un membre de la convention, « il est inutile pour nous de vouloir soulever ici la classe ouvrière », écrivit le secrétaire de la WMA de Sheffield. « Notre ville exige un puissant effort pour la pousser à l’action », expliquait une requête similaire émanant de Darlington21. Les rangs de la convention se vidèrent donc à mesure que de nombreux membres partaient instruire la province. Il n’y avait pas grand-chose pour les retenir à Londres et, vu la réputation de la convention et les talents très réels de la plupart de ses membres, ces mesures étaient les plus efficaces qui aient pu être prises à ce moment. Le printemps 1839 vit un remarquable épanouissement de la conscience politique populaire, sans précédent à aucune époque d’agitation radicale. « Il existe à présent dans ce pays un sentiment politique plus fort qu’il n’y en a peut-être jamais eu dans aucune nation au monde, déclara le Western Vindicator, et chaque homme semble être devenu homme politique. »
22Au pays de Galles, dans les comtés industriels du Glamorganshire et du Monmouthshire, peut-être un habitant sur cinq était un chartiste convaincu22. En Écosse, plus de cinquante nouvelles organisations locales apparurent durant cette campagne de printemps. La diffusion du chartisme dans des zones jusque-là largement ou totalement dépourvues de présence politique radicale fut particulièrement remarquable. Peter Bussey regagna sa région natale du North Riding pour parler à Whitby, petite ville fidèle aux tories, dans la circonscription stagnante de Thirsk, et aux tisseurs de lin de Cleveland et de la vallée d’York – électorat semblable aux communautés textiles des Pennines, mais dans un état de déclin encore plus avancé. « Les gens d’ici n’ont jamais entendu parler politique, il n’y a jamais eu la moindre agitation à ce sujet », notaient Duncan et Lowery à propos de l’ouest des Cornouailles. « J’ai trouvé les habitants entièrement convaincus que tout allait de travers, mais ignorants des moyens de remédier au mal », signalait Richards au sujet de Sandbach et Leek ; j’ai souligné que les privations des Fils du Travail venaient du manque de représentation électorale. Ce fut pour eux une grande nouveauté, et jamais je n’ai vu plus d’enthousiasme ». En décembre, « il n’existait ici pas une seule association chartiste », écrivait un correspondant à propos du County Durham, mais en mars, on comptait dix-huit sociétés rien qu’à Sunderland. Pourtant, ajoutait-il, « le sol est bon mais les laboureurs pour la cultiver sont rares, trop rares23 ».
23Henry Vincent repartit vers l’ouest, pour un périple intensif, quadrillant le sud du pays de Galles, le Herefordshire, le Gloucestershire, le nord du Wiltshire et le nord du Somerset24. Il revisita les centres chartistes bien établis – Bath, Bristol, Newport, Pontypool, Trowbridge – mais aussi de plus petites communautés comme les villages textiles de Bromham et Holt, dans le Wiltshire. À Ledbury, ville de gantiers située dans le Herefordshire, il ne put « trouver personne qui comprenait les principes de la Charte, mais [...] le nom de Joseph Rayner Stephens est idolâtré par le peuple ; même s’ils voient rarement un journal, ils semblent bien connaître les persécutions dont il a fait l’objet ». Si Vincent laissa derrière lui une WMA petite mais vivace, le contraste spectaculaire entre la pauvreté de la ville et l’aisance avec laquelle il la politisa lui inspira un optimisme infondé, fréquent en ce printemps parmi les missionnaires de la convention :
J’ai alors parlé au peuple, en leur expliquant et en leur simplifiant le sujet du gouvernement, je leur ai parlé de la Convention, et je leur ai demandé s’ils approuvaient ce que nous disions, et s’ils se joindraient à nous : ils ont crié leur assentiment, et juré qu’ils se battraient pour nous si le Gouvernement nous attaquait. Nous avons eu droit à un vigoureux déploiement d’enthousiasme populaire. Quand le meeting s’est terminé, nous avons été acclamés jusqu’à notre auberge [...] Une chose dont je suis à présent convaincu, c’est que si nous n’obtenons pas un changement quasi immédiat d’ordre politique et social, une révolution sanglante aura lieu. Le peuple ne se laissera pas affamer plus longtemps. Que leurs tyranniques dirigeants prennent garde25 !
24Détail révélateur, Vincent fut de même ravi par la réaction de Holt où, selon lui, « la Pétition nationale a été signée il y a quelques semaines par presque tous les habitants du village ». En fait, comme devait le relater plus tard le Northern Star, 180 signatures furent reçues de Holt, soit un peu plus de 17 % de la population du village. Ce chiffre était impressionnant – projeté sur toute l’Angleterre, il aurait produit environ 2,7 millions de signatures –, mais l’enthousiasme excessif de Vincent risquait de susciter de néfastes illusions quant à l’appui dont jouissait le mouvement26.
25Cette inflation presque habituelle du soutien au chartisme eut deux effets délétères. D’abord, elle poussait les délégués de la convention à espérer un triomphe rapide. Ensuite, elle exacerbait les craintes des plus prudents : à leurs yeux, le pays était entré dans une spirale échappant à tout contrôle, et il appartenait à la convention de l’enrayer. Au sein de la convention, ce point de vue dominait chez la plupart des membres de la BPU, sans oublier Arthur Wade qui, bien qu’habitant Londres et représentant le Nottinghamshire, était un ex-membre du conseil de la BPU. Paradoxalement, ils s’inquiétaient aussi des témoignages venant des West Midlands, indiquant que le soutien pour le chartisme diminuait. Cela en révèle sans doute plus au sujet de l’engagement faiblissant du contingent de Birmingham que sur le potentiel politique de la région, facteur négligé par O’Connor lorsqu’il reprocha aux ouvriers de Birmingham d’être « paresseux, morts et indifférents27 ».
26Le 4 mars, la convention fut le théâtre de litiges quant à l’emploi de la violence et des mesures ultérieures, au lendemain de résolutions votées lors d’un meeting de la LDA, la semaine précédente. Wade y trouvait particulièrement à redire. « Il refusait de s’associer à une ligne de conduite qui ne ferait que précipiter les mesures, déclara-t-il à la convention, et qui déboucherait sur l’anéantissement de tous. » Les résolutions en question étaient celles-ci : « Il est essentiellement juste et absolument nécessaire d’opposer une résistance immédiate à tous les actes d’oppression [et] nous soutenons que le devoir de la convention est de faire comprendre au peuple la nécessité de préparatifs immédiats pour les mesures ultérieures. » Durant cette séance, Harney avait présidé la séance, Marsden et William Rider (de la WMA de Leeds) avaient prononcé des discours. Ces trois hommes, soutenus par Neesom et Sankey, d’Edimbourg, affirmaient maintenant avec véhémence que la convention devait les soutenir. Ce fut un moment crucial dans l’histoire de la convention. Le cercle de la LDA fut vaincu. O’Connor, alors « en mauvaise santé » et incapable d’assister au débat, garda son opinion pour lui. Ensuite, par le biais du Northern Star, il tenta de maintenir une apparence d’unité : « Tout va bien à la convention. Rider, Marsden et Harney comptent parmi nos meilleurs éléments, et qu’il nous soit permis le privilège des époux, celui de nous quereller entre nous, du moment que nous sommes prêts à nous unir contre les intrus et les indiscrets28. »
27Le même jour, le 16 mars, où furent publiés ces propos apaisants d’O’Connor, la polémique se ralluma lors d’un meeting public organisé par la convention afin de justifier sa décision de retarder la présentation de la pétition nationale – repoussée au 6 mai. Cette fois, O’Connor était présent et il développa en détail la stratégie à suivre. Il commença par réitérer le slogan chartiste bien connu, « par la paix s’il se peut, par la force s’il le faut ». Puis il entreprit de lier la convention à la mise en place d’une politique de résistance active :
Ils étaient déterminés, par la force morale, si possible, mais en tout cas à obtenir le Suffrage universel. (Les acclamations qui suivirent cette déclaration se poursuivirent pendant plusieurs minutes) [...] Mais si les gens croyaient que leur pétition, parce qu’elle avait été signée par un, deux, trois ou dix millions de personnes, obtiendrait le Suffrage universel, ils se trompaient ; et il allait dire aux membres de la Convention [...] que le peuple leur imposerait un devoir très vite après la présentation de la pétition (acclamations) [...] Il devrait y avoir des martyrs avant que le Suffrage universel soit atteint. Il était maintenant contraire à la nature des choses que la convention se dissolve sans tenter quoi que ce soit pour obtenir la Charte ; sinon, le peuple saurait lui faire son affaire [...] Ils présenteraient une telle phalange que ceux qui auraient refusé la Charte après leur pétition devraient l’accorder dans d’autres conditions. Le peuple devait se rappeler qu’un million de pétitions ne délogerait pas un seul régiment de dragons.
28Plusieurs délégués qui avaient voté contre les résolutions de la LDA la semaine précédente exprimaient désormais des sentiments très proches de ceux qu’ils avaient condamnés. Harney résuma l’humeur du moment dans un discours de conclusion qui rappelait la prédiction selon laquelle le Parlement rejetterait la Charte, ajoutant que « le peuple devrait alors affirmer ses droits pour de bon, et obtenir avant la fin de l’année le suffrage universel ou la mort. (Vives acclamations) ». C’en était trop pour Wade, qui écrivit aussitôt dans un journal non chartiste : « L’appel aux armes, sans opinion morale préalable et sans union avec la classe moyenne, ne causerait que misère, sang et ruine. » La discussion se poursuivit et, quand les délégués reprirent la question de la force physique, la semaine suivante, Wade échappa de justesse à une motion de censure proposée par O’Connor29.
29Le consensus était impossible. Le mercredi précédant Pâques, la convention fut ajournée, officiellement pour que les délégués aient le temps de regagner leurs localités et de participer à des meetings durant le week-end pascal. Avec trois autres membres du conseil de la BPU – Douglas, Hadley et Salt –, Wade démissionna le lendemain. Cela eut plus de retentissement que les précédentes démissions de membres de la BPU. Hadley était moins connu parmi les chartistes. Rédacteur en chef du Birmingham Journal, Douglas avait rédigé la pétition nationale et présidé la séance inaugurale de la convention – lors de laquelle Wade avait dirigé les prières dédicatoires. Salt jouait un rôle important en encourageant le chartisme des femmes. Wade reliait le chartisme au mouvement trade-unioniste général du début des années 1830. Tous trois avaient pris la parole lors du rassemblement de Glasgow Green en mai 1838, et Wade l’avait fait pour présenter la Charte du Peuple pour la première fois en public.
30D’autres difficultés encore se posaient au chartisme. Le 9 mars 1839, Edward Nightingale était devenu le premier candidat chartiste à participer à une campagne électorale. S’il avait pu aller jusqu’au scrutin – procédure potentiellement coûteuse même pour un candidat ordinaire –, Nightingale aurait pu peser sur l’issue de l’élection de manière décisive, car les libéraux ne gardèrent leur siège que par trois voix. De tels épisodes devinrent bientôt monnaie courante : Hugh Craig participa à la campagne et au vote lors d’élections partielles dans l’Ayrshire le mois suivant, tandis que O’Connor participait à la campagne à Glasgow trois mois plus tard. Les chartistes accueillaient cependant ces occasions comme des moments théâtraux leur permettant de prouver la nature profondément anti-démocratique de la réforme de 1832 : Craig, par exemple, remporta le vote à mains levées dans l’Ayrshire le 27 avril, pour subir une défaite écrasante lors de l’élection quatre jours plus tard30.
31La première manifestation majeure de violence anti-chartiste fut beaucoup moins bien accueillie. À Devizes, le 22 mars, Vincent, Roberts et Carrier, délégué du Wiltshire, furent attaqués à coups de pierres et autres projectiles, dans le cadre d’un assaut prémédité par « un groupe d’émeutiers destructeurs, qui s’enorgueillissent du nom de Conservateurs », mené par l’under-sheriff, selon le Times. Les chartistes et leur auditoire furent chassés de la place du marché et se barricadèrent dans une auberge que les émeutiers, dont certains munis d’armes à feu, menacèrent d’incendier, jusqu’à l’arrivée de la police et des magistrats. Le pire restait à venir, huit jours après, lorsqu’ils revinrent en ville pour se venger des indignités infligées le lundi de Pâques. Malgré la présence de quatre bataillons d’infanterie et d’un autre de cavalerie, Vincent fut délogé de la tribune et, lors d’une course-poursuite, fut plusieurs fois précipité à terre et roué de coups. Il lui fallut quinze jours pour se remettre tout à fait31.
Le spectre de l’insurrection
32L’épisode de Devizes fut largement couvert par la presse. Ce ne fut pas un moment décisif dans l’histoire du chartisme, mais il ajouta au malaise des autorités locales dans l’ensemble du pays face à l’essor de l’activité chartiste. Il renforça aussi la volonté chartiste d’affirmer le droit de recourir à la force physique si nécessaire. William Edwards, principal soutien du chartisme à Newport, aurait jeté son journal à terre en y découvrant l’incident de Devizes, et aurait déclaré : « On devrait planter un clou dans le f-–-u cœur de chaque Whig et de chaque Tory », ajoutant qu’il ne pouvait répondre des conséquences « si la Charte n’était pas accordée le 6 mai ». Feargus O’Connor appela aussitôt à la constitution d’une armée défensive, « prompte à riposter en cas d’agression, et celui qui bourrerait le premier canon pour tirer sur le peuple déclencherait soudain l’incendie de toutes les propriétés du pays ». La vente publique d’armes dans les centres chartistes se propagea, alors qu’elle avait jusque-là été surtout limitée aux régions de filatures de coton. Un marchand de piques en acier aurait fourni un échantillon au conseil de la LDA, qui lui aurait passé une commande substantielle. Appliquant le principe d’entraide qui caractérisait depuis longtemps les ouvriers britanniques, les chartistes de Loughborough créèrent un club d’armement moyennant une cotisation d’un penny par semaine. De villes aussi distantes que Preston, Trowbridge et Truro provenaient les mêmes nouvelles : partout on retirait des sommes considérables économisées par les associations et les amicales afin de financer l’armement. Les chartistes du sud du pays de Galles créèrent des clubs pour faciliter le paiement à crédit des armes à feu, que vendaient des colporteurs dans les vallées32. Des exemplaires du livre de Francis Macerone, Défensive Instructions for the People, auraient été diffusés. Cette brochure peu coûteuse sur le combat de rue avait d’abord été publiée lors de la crise de la réforme, puis rééditée en grande quantité dans un numéro spécial du PoorMan’s Guardian33.
33À nouveau réunie après Pâques, la convention discuta longuement sur le droit constitutionnel de prendre les armes. L’issue de ce débat-spectacle ne faisait aucun doute, mais il permit de rassurer les localités chartistes quant à la légalité du principe. Avec sa soif insatiable de recherches juridiques, Richardson fournit les détails, reproduits dans un pamphlet pour une diffusion maximale34. Seuls les délégués de Sankey, jusque-là les plus militants, exprimèrent de fortes réticences.
34À la fin du printemps et au cours de l’été 1839, la possibilité d’un conflit social armé put paraître réaliste, mais le danger était loin d’être uniformément réparti. Il était quasi inexistant en Écosse, situation bientôt reflétée par les démissions de la convention et, en juillet, par une tentative concertée visant à envoyer en Écosse la plupart de ses personnalités les plus éloquentes, non pour promouvoir l’insurrection mais pour renforcer la volonté de prendre les armes si nécessaire. Là où le conflit violent était envisageable, cela tenait souvent autant à l’inquiétude de l’administration qu’aux chartistes eux-mêmes. La médiocrité des magistrats locaux et leur recours fréquent à la protection de l’armée (parfois explicitement pour leur résidence particulière) sont des thèmes récurrents dans la correspondance et le journal intime du général Napier35. Celui-ci reprochait au gouvernement d’accéder trop volontiers à ces requêtes, et il était particulièrement exaspéré par la pratique courante – mais absurde d’un point de vue militaire – de disperser les soldats cantonnés dans une ville. À Halifax, par exemple, quarante-deux cavaliers furent logés à vingt et une adresses distinctes : « Cinquante chartistes résolus pourraient les désarmer et les anéantir tous en dix minutes », signala Napier aux magistrats locaux36. En l’occurrence, Napier réussit à concentrer le détachement, mais son désir de l’installer à Leeds ou à Sheffield, où il voyait un avantage militaire, fut contré par le secrétaire au Home Office.
35Comme nous l’avons vu, au printemps 1839 l’achat d’armes était devenu une pratique courante parmi les chartistes anglais et gallois. L’entraînement militaire, dispensé par d’anciens soldats, était tout aussi répandu. À plusieurs reprises, durant ses premières semaines en fonctions, Napier crut devoir s’attendre à « des turbulences », peut-être un soulèvement concerté, dans un avenir proche. En prévision, trois régiments furent rappelés d’Irlande à sa demande. Début mai, alors que la convention en était à ses derniers préparatifs avant de présenter la pétition, Napier nourrissait assez d’appréhensions pour noter dans son journal : « Les choses paraissent bien sombres... Le Ciel protège ma famille ! » et « la semaine prochaine risque d’être très fertile en événements ». Cependant, ce temps s’étant écoulé sans incident, il conclut : « Toutes les sources parlent maintenant d’un soulèvement pour le lundi de Pentecôte [20 mai]. » Un plan spécial fut élaboré pour intercepter toute marche sur Londres partant du nord, le Derbyshire étant choisi comme le meilleur terrain pour l’infanterie et l’artillerie. Pourtant, à mesure que la Pentecôte approchait, Napier en vint à penser que les chartistes n’envisageaient pas une insurrection concertée, mais une gigantesque éruption de violence lors d’un rassemblement de masse, probablement à Manchester, durant la semaine de Pentecôte37.
36Si Napier était sûr de rapidement écraser les insurgés chartistes grâce à la supériorité de l’armée en matière de discipline et d’armes à feu, il redoutait qu’un succès isolé contre un petit détachement de soldats n’encourage une insurrection générale, avec des conséquences désastreuses :
Si la garde d’un caporal était simplement mise en déroute, la rumeur en ferait une « défaite complète de l’armée » avant même d’atteindre Londres, Édimbourg et Dublin ; et avant qu’un démenti n’arrive, les pauvres, dans toute l’exaltation de leur victoire supposée, auraient déjà pris les armes. C’est particulièrement à craindre en Irlande, où couleraient des fleuves de sang38.
37Dans ces circonstances, même en Angleterre, on s’attendait à des victimes civiles très nombreuses. Bien que parfaitement prêt à la tolérer si nécessaire, Napier n’appréciait guère cette perspective, en partie pour des raisons humanitaires, en partie parce qu’il éprouvait une sympathie sincère pour les principaux objectifs de la Charte. À son commandant d’artillerie il raconta avoir assisté incognito à un meeting chartiste, où il avait entendu « des opinions ordonnées, légales, à peu près – ne le répétez pas – les miennes ! » En privé, il notait « que le peuple d’Angleterre a été et est encore maltraité et mal gouverné, telle est ma conviction39 ». Napier savait aussi, néanmoins, qu’il n’aurait pas trop des 4 700 soldats placés sous ses ordres, pour couvrir une zone allant de la frontière écossaise au Nottinghamshire, si des soulèvements se produisaient un peu partout à la fois, étroitement coordonnés ou non. Jusqu’aux rassemblements de masse de la Pentecôte, il eut donc recours à des subterfuges, faisant défiler dans les centres urbains des contingents impressionnants. Napier rencontra aussi en secret des sympathisants chartistes locaux, pour les assurer de son soutien en cas d’agitation pacifique, mais non sans leur prouver la puissance des forces qu’il commandait.
38Les ressources coercitives de l’État ne furent jamais mises à l’épreuve, et la confiance que Napier avait en la supériorité de ses soldats paraît rétrospectivement évidente. Le risque aurait été plus grand en début d’année. Les nerfs officiels étaient à vifs, surtout à la fin de l’été, mais dès que Napier prit ses fonctions, réformant le cantonnement et liant des accords efficaces avec les autorités locales, et dès que la division du Nord reçut des renforts d’Irlande, la possibilité d’un échec devint mince. Napier avait-il raison de craindre un recours à la violence ? Certes, les chartistes s’armèrent, mais prévoyaient-ils une action quasi militaire concertée, préparée ouvertement ou en secret ? La plupart des armes furent acquises par des particuliers, mais on a connaissance de plusieurs cas d’achat et de fabrication à grande échelle, comme à Winlaton dans le Tyneside, on l’a dit. Début mai, Peter McDouall commanda vingt mousquets à un armurier de Birmingham, à livrer chez un tavernier chartiste d’Ashton. Si la première livraison s’avérait satisfaisante, annonça-t-il, « entre cinq cents et mille autres seraient nécessaires40 ».
39On peut le comprendre, la convention se montra circonspecte. Lorsqu’elle reçut une lettre dans laquelle un prétendu chartiste londonien prônait une campagne systématique en faveur du recours à « la force contre la force », Lovett y apposa cette inscription cryptique : « Un espion de la police » – et l’on sut plus tard qu’il avait vu juste41. Dans son autobiographie, Lovett relate comment les délégués de la convention se réunirent en privé à l’Arundel Coffee House afin d’évoquer des questions jugées trop sensibles pour être abordées en session ouverte. Vers la fin avril, il rédigea un document d’après ces sessions in camera, consacré au problème des mesures ultérieures. Ce texte fut ensuite révisé pour devenir le Manifeste de la Convention générale des classes industrieuses, dont la convention autorisa la publication le 14 mai, date à laquelle – on le verra bientôt – elle s’était déplacée vers Birmingham. Le Manifeste fut donc imprimé à 10 000 exemplaires, avec un portrait gravé de Lovett en couverture. C’était un texte sans concession :
Sera-t-il dit, chers compatriotes, que quatre millions d’hommes capables de porter les armes et de défendre leur pays contre tous les assaillants étrangers ont laissé quelques oppresseurs internes les réduire en esclavage et les humilier ?[...] Nous avons juré, avec votre aide, d’obtenir nos libertés ou de mourir [...] Soyez-en assurés, s’il n’est pas rapidement exaucé, le joyeux espoir de liberté qui inspire à présent des millions d’individus se transformera en folle revanche [...] les manufactures dont s’enorgueillissait l’Angleterre périront par une main contre laquelle l’armée ne pourra lutter et que la police ne saura détourner [...] Nous sommes du moins sûrs que vous ne commencerez pas le conflit. Nous avons résolu d’obtenir nos droits, « par la paix s’il se peut, par la force s’il le faut » : mais malheur à ceux qui ouvrent le combat contre les millions d’hommes, ou qui les empêchent par la force de demander paisiblement la justice ; il suffira d’un signe pour que leur erreur leur soit révélée, et d’un bref affrontement pour que leur puissance soit anéantie42.
40Le Manifeste proposait ensuite huit questions à soumettre à des meetings publics simultanés, avant le 1er juillet. O’Connor avait déjà évoqué dans le Northern Star la nécessité de ces meetings, prédisant qu’ils rassembleraient un million et demi de personnes. Ce ne devait pourtant pas être le prétexte à un soulèvement, mais une ultime démonstration spectaculaire de l’ampleur du soutien apporté à la Charte. Les participants étaient-ils prêts à se ruer vers les banques pour retirer tout l’or qui s’y trouvait ? Étaient-ils prêts à « n’acheter qu’à des commercants chartistes » ? À observer un mois sacré, pendant lequel ils s’abstiendraient de boire de l’alcool ? S’étaient-ils armés ? Étaient-ils résolus à s’opposer à toute contre-agitation pour un objectif moins élevé que la Charte ? Enfin, étaient-ils prêts à « obéir aux exigences justes et constitutionnelles de la majorité de la convention43 ? »
41Le Manifeste présentait la convention comme n’approuvant que la violence défensive, mais la distinction était subtile. Après des semaines de débat, de désaccord et de prévarication, la Convention approuvait ouvertement une politique qui devait l’amener au bord du conflit avec l’État, voire pire encore. L’humeur était à l’assurance : la décision d’envoyer des délégués promouvoir la Charte dans tout le pays s’était avérée payante et la pétition était prête pour le 6 mai, comme prévu. Les circonstances s’étaient pourtant combinées pour entraver l’action de la convention. Apparemment, et non sans naïveté, elle supposait que la pétition pourrait être aussitôt présentée à la Chambre des communes. Hélas, la semaine du lundi 6 mai coïncida avec l’un des épisodes les plus absurdes de la vie politique britannique, la « crise de la chambre à coucher ». Le lundi, la majorité whig fut divisée par un vote sur le projet de loi sur la Jamaïque. Le lendemain, le gouvernement démissionna. C’était un moment potentiellement périlleux pour le pays. L’une des toutes dernières démarches de lord Russell en tant que secrétaire au Home Office fut d’approuver les instructions concernant les villes jugées les plus dangereuses : des policiers spéciaux devaient être armés, des associations volontaires seraient formées pour le maintien de la paix, et pour la première fois, l’arrestation immédiate des orateurs chartistes lors de meetings illégaux était encouragée « à l’instant où ils commettent leur forfait ». Une proclamation royale interdisant la prise d’armes et l’entraînement militaire accompagnait cette lettre, destinée aux villes où existaient effectivement les plus solides noyaux chartistes44.
42Le mercredi, la reine invita sir Robert Peel, dirigeant du parti conservateur, à former un gouvernement. Peel s’y attela, mais découvrit dès le lendemain que Victoria ne le laisserait pas intervenir dans le choix de ses « dames de la chambre à coucher », dames de compagnie issues de l’aristocratie qui risquaient censément d’influencer le jugement de la jeune reine. Surtout, aux yeux de Peel, un refus sur ce point pourrait être interprété comme un manque de confiance royale en son administration. Il s’abstint donc de former un nouveau gouvernement. Le vendredi, les whigs revinrent au pouvoir et, le mercredi suivant, le Parlement partit en congé de Pentecôte.
43Le jour où les whigs furent vaincus aux Communes, des membres de la convention avaient rendu visite à Attwood à son adresse londonienne pour discuter de la présentation de la pétition nationale au Parlement, et pour lui demander d’annoncer en même temps son intention de proposer un projet de loi fondé sur la Charte. Attwood se montra réticent : la rumeur disait déjà que le gouvernement était à deux doigts de démissionner. Au grand désarroi des chartistes, Attwood déclara par ailleurs qu’il n’acceptait pas toutes les exigences de la pétition, notamment en ce qui concernait l’égalité des circonscriptions électorales, et qu’il ne parrainerait donc aucun projet de loi lié à ce texte. Fielden, député d’Oldham, se montra plus accommodant, même si, comme Attwood, il affirma que la présentation de la pétition devait s’accompagner de la garantie explicite que la convention n’avait pas approuvé les « “mesures ultérieures” de nature violente45 ». Elle ne l’avait pas fait stricto sensu, car les délibérations secrètes décrites par Lovett étaient encore en cours. C’est donc le mardi 7 mai que la pétition fut chargée à bord d’une carriole parée de drapeaux nationaux, décorée de fanions et de banderoles, et escortée par cinquante-deux délégués « distingués par des rubans » qui marchaient deux par deux. Elle fut apportée non pas au Parlement mais chez Fielden, dans Panton Square, non loin de Piccadilly. De la fenêtre de sa chambre au premier étage, Attwood prononça un discours bref et anodin. Les délégués repartirent ensuite pour Fleet Street, laissant aux bons soins de Fielden près de cinq kilomètres de papier, pesant plus de trois cents kilos, roulés en un cylindre gros comme une roue de charrette. Y étaient apposées 1 280 959 signatures46.
44Ce chiffre était assez inférieur aux deux millions de signatures généralement attendus. D’un autre côté, il dépassait nettement le résultat de toutes les pétitions précédentes. Les délais qui s’étaient accumulés avant sa présentation au Parlement mettaient néanmoins la convention dans l’embarras. Il fallait conserver l’élan du mouvement alors que l’un des objectifs cruciaux de la campagne chartiste allait être atteint. Plus encore qu’en février ou en mars, les attentes – et les craintes du gouvernement – étaient fortes.
45Vers l’époque où la pétition était sur le point d’être présentée, plusieurs incidents vinrent accroître la crainte d’un affrontement. Il y eut d’abord les troubles, étroitement liés aux chartistes locaux, dans la ville de Llanidloes, productrice de flanelle, dans le comté de Montgomery. Les émeutes du mardi 30 avril firent des dégâts sérieux dans un hôtel où logeaient cinq policiers étrangers à la ville – dont trois venus de Londres. Ces agents avaient été envoyés pour arrêter des dirigeants chartistes locaux, à la suite des peurs suscitées par les achats d’armes. Il s’ensuivit un effondrement total de l’autorité locale : la ville resta pourtant remarquablement paisible, le pire incident étant le vol de tonneaux dans la cave de l’hôtel, tonneaux dont le contenu fut répandu dans le caniveau. L’ordre revint quand l’armée arriva, le samedi. Même s’il s’agissait au départ d’une émeute contre la police plus que de troubles chartistes, un adversaire local du chartisme y ayant joué un rôle décisif – peut-être pour discréditer le mouvement –, les chartistes en furent blâmés. « Llanidloes aux mains des révolutionnaires » et « Féroces agissements et pillage mené par les chartistes de Montgomery », titra le Times. Les trente condamnations qui suivirent imposèrent des sentences allant de deux mois de travaux forcés à quinze ans de déportation. Le principal chartiste du Montgomeryshire, Thomas Powell, fut condamné à un an de prison pour propos séditieux, alors même qu’il avait sauvé deux des agents prisonniers dans l’hôtel47.
46D’autres troubles civils se produisirent le jour même où la pétition fut portée chez Fielden. Longton, dans la région des Potteries, fut le théâtre de violences considérables – des barricades furent même dressées dans les rues. Ces émeutes émanaient, semble-t-il, d’une forte hostilité envers la police et étaient encore moins liées au chartisme que celles de Llanidloes, mais la couverture de la presse réussit à en faire un soulèvement chartiste. Même Napier, d’habitude bien informé, croyait qu’il en était ainsi, et écrivit à son frère que les chartistes « ont attaqué la police qui a tué et blessé plusieurs d’entre eux » alors qu’il n’y eut que deux victimes, un soldat qui se tira une balle par accident et un témoin d’un certain âge renversé par une charge de police48. Si Napier lui-même fut trompé – il crut aussi que les émeutes s’étaient produites à Stone, à une dizaine de kilomètres –, cela montre à quel point le gouvernement ne maîtrisait pas les ressources nécessaires en matière de renseignement.
47Le 12 mai fut également l’occasion de graves émeutes à Paris, qui firent une centaine de victimes49. Cela eut aussi un impact sur l’opinion britannique, car les événements passés et présents en France étaient l’arrière-plan quasi constant des débats contemporains sur le chartisme. Quelques jours plus tard, à Birmingham, lorsque O’Connor annonça avec un optimisme excessif que la révolution avait éclaté en France, il fut longuement acclamé. La semaine précédente, Sankey et Collins avait introduit à la convention une motion condamnant toute référence à la Révolution de 1789, mesure visant à gêner Harney et ses proches, et à affirmer le caractère constitutionnel de l’agitation chartiste. Incident plus inquiétant car plus proche, la police fit une descente le 10 mai dans les locaux de la LDA dans Ship Yard, près de Temple Bar. Il y eut treize arrestations, et des banderoles, des papiers et deux piques furent confisqués. Contrairement à Llanidloes, les magistrats réagirent avec indulgence, et les accusés durent simplement s’engager à ne plus troubler l’ordre public50.
48Pour la convention, l’incident le plus significatif fut l’arrestation de Vincent à Londres – il était brièvement revenu à la convention. Le mois précédent, à Newport, Vincent avait mis les magistrats locaux au défi de l’arrêter durant un discours de deux heures et demie, lors d’un meeting qu’ils avaient déclaré illégal. À défaut de le prendre au mot, ils publièrent le mandat qui permit son arrestation le 7 mai. Il fut le premier chartiste de renom à être arrêté depuis Stephens. Thomas Powell, arrêté après Llanidloes, n’était qu’un dirigeant local. Aucun des individus arrêtés à Ship Yard n’était un chartiste éminent, la plupart n’étaient même pas membres de la LDA, et ceux qui avaient été arrêtés à Longton n’avaient aucun lien apparent avec le chartisme. Vincent, en revanche, fut à la fois le premier membre de la convention à être appréhendé, et un chartiste de réputation nationale. Le 10 mai, il était de retour à Newport. Pendant son audience, une bataille rangée eut lieu à l’extérieur du tribunal entre les policiers et ses partisans – dont des mineurs habitant à quinze kilomètres de là. Il fallut l’appel personnel de Frost pour restaurer le calme. En attendant les prochaines assises, Vincent pourrait être libéré contre une caution de mille livres sterling, soit environ neuf mois de travail pour un ouvrier qualifié. N’ayant pu trouver personne d’assez riche pour se porter garant, Vincent fut incarcéré à la prison de Monmouth51.
La convention à Birmingham
49Vincent avait été arrêté à minuit hors de son domicile, quelques secondes après avoir souhaité bonne nuit à Frost, avec qui il avait dîné ce soir-là. La nouvelle durcit l’humeur de la convention lorsqu’elle se réunit à nouveau le lendemain matin, pour discuter de sa politique maintenant que la pétition était terminée. Depuis plusieurs semaines, la convention parlait de se déplacer vers la province, O’Connor ayant même suggéré qu’elle soit itinérante. Cette délocalisation était intimement liée aux discussions sur son rôle futur, elles-mêmes étroitement associées à la stratégie chartiste.
50Les arguments avancés sans succès par James Cobbett en février refirent alors surface. La convention était-elle simplement un corps pétitionnaire, ou était-elle plus intimement rattachée à ceux qui avaient envoyé et financé ses membres ? Était-ce même, comme l’avait prétendu O’Connor, « le seul corps représentatif constitutionnel du peuple » ? La plupart des chartistes le pensaient probablement. Ses correspondants employaient un langage approprié pour s’adresser à une assemblée législative. Certains lui demandaient spécifiquement d’intervenir dans des problèmes personnels, comme ils auraient pu le demander à un député. Conclusion d’O’Brien : « Le peuple est très désireux de voir la convention siéger à Birmingham, sous la protection des fusils qu’y fabrique le peuple, surtout quand viendra l’heure des mesures ultérieures. » Pourtant, quand la question fut soumise à un vote dans la première semaine de mai, le sentiment dominant – partagé même par O’Brien – était que la convention devrait rester à Londres. L’arrestation de Vincent changea la donne. La pétition nationale enfin compilée, la convention vota le 8 mai son installation à Birmingham à partir du 13 mai52.
51Ce lundi-là, les délégués se réunirent dans la chapelle des Owéniens de Birmingham. Le contraste n’aurait pu être plus grand entre une taverne située dans une ruelle d’une métropole largement indifférente au chartisme et un hall socialiste dans un grand centre industriel. L’air de Birmingham était chargé d’espoirs. Depuis les premiers jours, une foule nombreuse s’assemblait presque quotidiennement au Bull Ring pour connaître les nouvelles de la convention. Dernièrement, l’intérêt pour la pétition nationale s’était aiguisé, nourri par l’éloquence de John Fussell. Bijoutier, il était l’un des trois ouvriers qui avaient remplacé les délégués de la BPU à la convention après leur démission. Et il n’était pas fait autrement que ceux qu’il avait remplacés. Il n’avait aucun doute quant à l’orientation que devait prendre la stratégie chartiste. Comme il le déclara lors d’un meeting début avril, l’adoption de la « force morale » par Attwood et la BPU n’était que
Sophismes, pour nous endormir tous, qui se traduiraient inévitablement par leur perte et la perte de leur cause [...] Les hommes qui avaient rencontré Jean sans Terre à Runnymede avaient-ils obtenu leur charte grâce à la force morale ? Non, et ils n’obtiendraient jamais la leur à moins d’adopter le même mode d’action. Il fallait d’abord pétitionner, ensuite exiger, et lorsqu’ils exigeraient, ils devraient [...] exiger avec les armes à la main, et c’est alors qu’on leur prêterait attention53.
52Malgré son rôle central dans la formation du chartisme, la BPU n’avait jamais reflété la masse du soutien que la ville accordait aux chartistes ; les critiques formulées à l’encontre de la convention par Salt et ses collègues lors de leur démission étaient tout à fait atypiques de l’humeur de Birmingham. Priant pour « les bienfaits de cette Providence dont le souffle balaiera du pays tous les oppresseurs », une localité de Birmingham avait salué « avec une joie sincère et infinie l’heure favorable qui avait donné à des millions de nos frères jusque-là esclaves en politique un puissant Congrès, solennellement élu par le peuple, pour assister et conquérir nos droits et libertés naturels et imprescriptibles54 ».
53La publication du Manifeste, le lendemain du jour où la convention arriva à Birmingham, fut un moment décisif. Les meetings massifs de la Pentecôte adopteraient ce texte, nul n’en doutait réellement. Mais à cause du flou entourant son contenu et sa publication, et des trois jours ouvrés perdus lors du transfert depuis Londres, il restait très peu de temps pour organiser ces meetings. Avec seulement quatre jours d’avance, il était impossible d’arranger les assemblées simultanées que souhaitaient les délégués, O’Connor en particulier. S’il avait existé une véritable intention de fomenter un soulèvement pour la Pentecôte – et presque tous les indicateurs contredisent cette hypothèse –, un calendrier aussi serré l’aurait rendu impossible. Néanmoins, une certaine appréhension entourait le week-end à venir. Les dix derniers jours avaient vu les premières arrestations pour violation de l’interdit sur l’entraînement militaire, dans le sud du Lancashire55, tandis qu’à Birmingham même Fussell et son proche collaborateur Edward Brown furent arrêtés le jeudi et accusés d’incitation à la violence dans des discours prononcés lors des réunions antérieures, au Bull Ring. La circulaire adressée par lord Russell aux magistrats, la semaine précédente, avait encore durci les positions.
54C’était particulièrement vrai des militants de la BPU qui occupaient des postes municipaux, et qui avaient de bonnes raisons de vouloir prendre leurs distances par rapport au chartisme. En cet après-midi du 14 mai, la convention fut ajournée une fois de plus, pour permettre aux délégués de participer aux manifestations de la fin de la semaine, et d’en rapporter un témoignage sur l’humeur du pays. Ne plaisantant qu’à demi, les délégués se demandaient s’ils reviendraient. Marsden fut le seul à appeler à un grand déploiement d’armes, mais il fut admis qu’en cas d’arrestations massives de délégués de la convention, les mesures ultérieures devraient être aussitôt appliquées. Ce week-end-là, le Northern Star publia un éditorial enjoignant vigoureusement aux participants de laisser leurs armes chez eux, ainsi qu’une adresse à la convention, lui conseillant « de ne fournir à vos oppresseurs, en apportant des armes dans des lieux publics, aucun prétexte pour empiéter sur votre droit inviolable à vous réunir et à débattre de vos doléances ».
55Informé par le Home Office et par ses propres sources, Napier pensait que les manifestations seraient pacifiques, à l’exception peut-être du meeting prévu à Manchester, dans Kersal Moor – « Que sont cinq cents agents de police dans une ville qui enverrait cinquante mille personnes voir un combat de chiens ? » songeait-il. Napier estima pourtant que le meeting, auquel il assista lui-même sous un déguisement, avait attiré au maximum 35 000 personnes, dont pas plus de 500 ne « voulaient le bain de sang et le pillage56 ». Il aimait à souligner l’habileté avec laquelle il avait su négocier le problème du chartisme, et le chiffre qu’il avance ne doit pas être pris au pied de la lettre. L’estimation proposée par le Northern Star, 500 000 personnes, est tout aussi peu vraisemblable. La Pentecôte était habituellement une fête chômée, mais il n’y eut pas de jour férié payé avant 1871. C’est une des raisons pour lesquelles la manifestation de Manchester eut lieu le samedi suivant (25 mai), les autres étant que cela permettait de coïncider avec la course de chevaux de Kersal Moor et qu’O’Connor pourrait assister à plusieurs meetings importants.
56Des chiffres plus impressionnants, notamment parce qu’ils peuvent être confirmés par une comparaison avec les archives de la taxe sur les périodiques, concernent la diffusion du Northern Star à cette époque. Dans son numéro du 1er juin, le journal revendiquait des ventes hebdomadaires moyennes de 32 692 exemplaires en avril et en mai – les archives du Timbre indiquent une moyenne hebdomadaire de 36 000 exemplaires pour l’ensemble de l’année 183957. Dans toute la Grande-Bretagne, un climat avait été créé et l’opinion suivait avec attention les débats sur la réforme. Quelle qu’ait été leur capacité ou leur volonté de participer à des manifestations de masse, des centaines de milliers d’individus étaient donc régulièrement exposés aux arguments du Star et d’autres journaux chartistes, les arguments de la Charte leur servant d’outils de réflexion. Cela devint parfaitement clair durant la semaine de la Pentecôte. Dans sa « Vie chartiste », nous avons vu le cordonnier Abram Hanson prêchant « le Christ et un ventre plein [...] le Christ et le Suffrage universel » lors du meeting de Hartshead Moor. À Newcastle, dans Town Moor, Duncan reprit le thème de la résistance vertueuse à la tyrannie. « La prochaine fois que vous vous réunirez ici aussi nombreux, déclara-t-il à une foule estimée à 100 000 personnes, votre comportement sera celui d’un peuple uni dans sa solide détermination à voir son pays libre, ou à périr en une commune conflagration. » Des sentiments semblables furent exprimés dans tout le pays, les plus grands rassemblements ayant lieu à Bath, Birmingham, Blackwood (Monmouthshire), Bradford, Carlisle, Glasgow Green, Hull, Liverpool, Newcastle, Northampton, Nottingham, Preston, Sheffield, Sutton-in-Ashfield, South Shields et Sunderland58.
57Dans tous ces endroits, les autorités locales se préparaient au pire. Le Home Office avait proposé d’armer une police spéciale, et cette idée avait suscité l’enthousiasme que l’on peut imaginer. Rien que dans la modeste ville de Leigh, dans le Lancashire, les arsenaux royaux envoyèrent 150 sabres, 300 pistolets de marine, 300 pistolets à amadou et 6000 cartouches59. Les chartistes de Leigh s’étaient entraînés au combat, certes, mais le chiffre de 650 armes étonne pour une ville de 22 000 habitants – tout comme les 1800 policiers spéciaux recrutés à Bradford. La sagesse rétrospective est toujours facile, et la postérité ne mesure pas toujours à quel point les peurs de l’establishment semblaient fondées au début de l’été 1839, pas plus qu’elle ne comprend pourquoi les chartistes étaient si assurés de l’emporter. Pour la Pentecôte, dans quantité de petits centres, les rassemblements monstres furent reproduits avec une ampleur bien moindre, comme à Brighton, Dalston, Dudley, Heywood, Kendal, Leicester, Penrith, les Potteries, Southampton, Stockport, Wigton et à Kennington Common, à Londres.
58Les violences furent minimes et accidentelles plutôt que calculées et stratégiques. Le pire incident eu lieu à Manchester, le 2 juin, lorsque O’Connor entraîna un important contingent chartiste pour aller perturber un rassemblement « des classes laborieuses » organisé en plein air par l’Anti-Corn Law League. Lorsqu’ils agitèrent une gigantesque banderole « À bas les Whigs », rendant invisible la tribune de la ligue, des poings et des bâtons furent brandis. Cependant, dans le contexte de la politique populaire du début de l’époque victorienne, l’épisode fut bien léger, comme le montrent les incidents de Devizes quelques semaines auparavant ou lors d’innombrables campagnes électorales60. Pour l’heure, les tendances à la violence étaient contenues par l’imminence de la présentation de la pétition nationale au Parlement, et par l’effet dissuasif des arrestations. De son côté, le gouvernement s’en tint à sa politique de surveillance discrète et d’arrestations sélectives, le prisonnier le plus notoire étant McDoualL Ces mesures commençaient à peser sur le mouvement, comme l’indique le lancement, à la mi-juin, du « Fonds de défense nationale », géré par un sous-comité de la convention et soutenu par O’Connor – il prit aussi la tête de la liste des donateurs en offrant 20 livres. Parmi les chartistes – à supposer qu’ils l’aient même remarqué –, rares étaient ceux qui furent impressionnés par l’assouplissement des pénalités infligées aux publications politiques anonymes, mesure destinée à apaiser les députés radicaux avant que n’arrive la pétition, plutôt qu’à obtenir l’appui du chartisme61.
59La pétition fut finalement présentée à la Chambre des communes le vendredi 14 juin 1839. Bien peu de chartistes pensaient qu’elle changerait quoi que ce soit à l’attitude des parlementaires, et sur ce point ils ne furent pas déçus. Rien n’indiqua que les députés en débattraient officiellement, et quand le cylindre géant pénétra dans la Chambre, poussé par Attwood et Fielden en un geste spectaculaire, il fut accueilli par des rires. Le Northern Star y vit une preuve apte à persuader « tous les sots qui espèrent des faveurs ou des améliorations de la part des misérables qui nous gouvernent à présent [...] s’il existe encore un seul ouvrier assez bête pour espérer leur aide, cela devrait le détromper ». Toute l’entreprise prouvait la nécessité de « la grande lutte pour le suffrage universel qui adviendra, et vite62 ».
60L’humeur des chartistes avait été bien reflétée à Newcastle la semaine précédente, quand Duncan avait demandé à un auditoire composé de femmes chartistes « si elles étaient prêtes à observer un mois sacré, et à partir dans les collines ? », la réponse étant vigoureusement positive. La scène était enthousiasmante : un peuple élu uni dans la certitude de la bénédiction divine. En 1832, dans son Grand National Holiday, Benbow écrivait : « “Les bêtes qui sont répandues sur les montagnes” elles appartiennent au Seigneur, c’est-à-dire au peuple, et quand le peuple les voudra, les bergers qui les gardent depuis si longtemps les livreront au peuple. » Benbow faisait allusion au Psaume 50, qui parle aussi de rassembler « ceux qui font alliance avec Lui ». Détail notable, ce passage fut repris mot pour mot par Harney lors d’un meeting bondé, à Birmingham, un soir de mai. Pour Robert Lowery, partir dans les collines signifiait « se retirer du travail, comme jadis les plébéiens romains sur le mont Aventin ». O’Connor utilisa la même image ; si l’on rejetait leur juste requête, les chartistes « allumeraient leurs torches et partiraient dans les collines, où ils resteraient jusqu’à ce que la prière de leur pétition soit satisfaite63 ».
61Pourtant, alors que les délégués de la convention terminaient leur mission d’enquête, durant la deuxième quinzaine de juin, quelques doutes s’insinuèrent dans les esprits. O’Connor revint à Birmingham le 1er juillet, hésitant à engager le chartisme dans un mois sacré, et préférant tenter d’abord les autres mesures ultérieures. Même chose pour Taylor. Parmi les dirigeants chartistes, les plus réfléchis reconnaissaient que le succès de la stratégie de grève générale dépendait beaucoup des syndicats. Ils jouissaient non seulement de l’autorité pour imposer une grève dans des secteurs critiques de l’économie, mais beaucoup avaient aussi les ressources financières nécessaires. En 1838, ces sociétés avaient été un facteur clé dans l’essor du chartisme. Pour citer O’Connor, c’est « l’affirmation de leurs droits politiques par lesquels seuls peuvent être protégées les règles sociales [des syndicats] ». Rejoindre le chartisme était plus une question d’engagement général que d’adhésion officielle, et beaucoup de syndicats le soutenaient en bloc. Une « déclaration d’adhésion par corps » fut formulée par les syndicats de Birmingham, Bury, Newcastle et Oldham, par exemple. Les syndicats avaient une participation visible dans chacun des grands rassemblements de masse. Mais à en juger d’après la presse, ils furent moins visibles à Pâques et à la Pentecôte 1839 que l’année précédente : peut-être les souvenirs commençaient-ils à s’effacer, du retour de déportation des ouvriers de Tolpuddle et du traitement réservé aux tisseurs de Glasgow. Dans beaucoup de localités, les trade-unions refusèrent l’adhésion massive, et le soutien était plus fragmenté : les cordonniers étaient en général très favorables, les professions mieux rémunérées et formées par un apprentissage l’étaient beaucoup moins. Selon le Northern Star,
Même aujourd’hui, le peuple n’a pas encore avec lui la portion aristocratique de ces méprisables professions. Nous regardons avec dégoût et mépris ces métiers qui refusent de se joindre au peuple, en vertu de l’idée mesquine que leurs propres lois sont assez fortes pour défendre leurs propres droits. Nous verrons bientôt. Ces sales individus devraient prendre exemple sur les charpentiers de Birmingham, et sur l’ensemble des syndicats de Newcastle ; leur force les rend irrésistible. Le peuple doit imposer aux syndicats de s’aligner64.
62Pourtant, même si tous les métiers organisés avaient activement soutenu le chartisme, environ 90 % des hommes actifs auraient encore dû être recrutés par d’autres voies, car le syndicalisme ne touchait qu’une très faible partie de la population, au début de l’ère victorienne ; et hors des syndicats, les ressources financières étaient rares pour envisager une grève. Une question fondamentale pesait sur la viabilité du mois sacré ; et le mercredi 3 juillet, les délégués à nouveau réunis, au Golden Lion Hôtel, en débattirent en détail. La convention ne s’inquiétait pas trop de savoir que si peu d’ouvriers pouvaient compter sur un syndicat pour les aider en cas de grève. Dans la mesure où de très nombreuses localités réagissaient au chartisme par l’implication de la communauté tout entière, on pouvait supposer raisonnablement que toute grève serait menée par la communauté. Et il existait une certitude quasi universelle selon laquelle l’État obligerait bien vite les grévistes à reprendre le travail. « En se retirant du travail, estimait par exemple Lowery, ils perturberaient tant l’ensemble du pays que les autorités tenteraient de les obliger à reprendre [...] ils résisteraient aux autorités tant que leurs droits ne leur seraient pas accordés, pour mener le combat à son terme. »
63Le mois sacré n’était donc pas un dernier recours avant l’insurrection, c’en était bel et bien une. Depuis la publication du Manifeste, Taylor en avait évoqué les recommandations lors de vingt-six rassemblements chartistes en Écosse : « En ce qui concerne le mois sacré, ils sentaient que cela ne causerait rien moins qu’une révolution. » Pour certains délégués (notamment Bussey, Brown, Cardo, McDouall, Marsden et Neesom), cet aspect était tout à fait attractif. La majorité était néanmoins plus circonspecte, pensant avec O’Connor et Lovett que, pour citer ce dernier, même si « un congé ou mois sacré s’avérait le seul remède efficace aux souffrances du peuple », il ne fallait pas compromettre prématurément la cause face à un gouvernement puissant65.
64Pourquoi alors avoir soumis la pétition – dont O’Connor avait toujours dit qu’elle serait rejetée – si les moyens de l’imposer par des mesures ultérieures n’étaient pas en place ? Au sein de la convention, certains envisageaient peut-être le recours à des mesures secrètes plutôt qu’ouvertes. En public, la convention accepta de repousser toute décision sur l’appel à une grève générale, en attendant le 12 juillet, date à laquelle la réponse du Parlement devait être officiellement reçue. Seul Richardson menaça de démissionner, parce qu’il souhaitait exclure l’idée de mois sacré au profit d’autres mesures ultérieures, en particulier la ruée vers les banques. Cependant, comme il était en litige avec le conseil de la PU de Manchester au sujet du non-paiement des dépenses, peut-être accueillit-il favorablement cette occasion de démissionner sans perdre la face.
65Moins de vingt-quatre heures après ce débat, les événements prirent à Birmingham un tour dramatique, avec un impact irréversible sur la façon dont les contemporains – sans parler de la postérité – verraient le chartisme. L’arrestation de Brown et de Fussell en mai n’avait pas calmé l’exubérance des chartistes de Birmingham : le dossier contre Fussell était plus que mince et il avait repris ses oraisons nocturnes au Bull Ring. Le jeudi 4 juillet, pour la première fois, la police londonienne fut envoyée assurer l’ordre à Birmingham. Plus précisément, elle fut déployée avec des instructions très claires : arrêter tout orateur chartiste en train de parler à une foule. Les soixante agents arrivèrent à 20 heures. Hâtivement intronisés comme agents spéciaux alors qu’ils étaient encore à la gare, ils marchèrent droit vers le Bull Ring.
66Comme venaient de le démontrer les événements de Llanidloes et de Longton, il existait en 1839 une virulente hostilité envers la police. À Birmingham, où presque toute mesure contre l’activité chartiste risquait d’être perçue comme une attaque contre la convention elle-même, l’intervention de la police métropolitaine eut des conséquences catastrophiques. Employés par les magistrats sans le soutien des policiers locaux, des gardes locaux ou de l’armée, les agents londoniens furent mis en déroute dans une bataille rangée qui dura vingt minutes. Plusieurs furent blessés, trois grièvement, à coups de poignard. Il fallut une intervention militaire pour restaurer l’ordre et sauver les gardes abasourdis des bâtiments et des cours où ils s’étaient réfugiés. Taylor invita aussitôt les hommes en colère massés devant le Golden Lion à regagner leur domicile, Fussell lui ayant confié que « le but des magistrats était sans doute d’exciter le peuple pour qu’il se soulève, par l’introduction de la police londonienne, plutôt que de protéger la paix de la ville66 ».
67C’est une interprétation plausible, mais il faut se rappeler que les chartistes locaux ne voyaient pas d’un très bon œil leurs ex-délégués à la convention, en particulier Philip Muntz qui était à présent l’un des magistrats de Birmingham. Les conseillers de la BPU qui détenaient des positions d’autorité et d’influence avaient néanmoins tout à gagner en prenant leurs distances par rapport au mouvement qu’ils avaient porté sur les fonds baptismaux. Ils étaient responsables envers un électorat composé non de chartistes mais de riches propriétaires, cependant que la municipalité de Birmingham était soumise au regard critique du gouvernement, de même que tout projet visant à l’étendre – et l’impérialisme local était monnaie courante parmi les municipalités victoriennes67.
68Un nombre non négligeable de militants chartistes se réjouirent discrètement de voir éclater l’émeute du Bull Ring. Cela renforçait leur argument selon lequel l’administration était hostile non seulement à la démocratie mais aussi à la simple expression publique du désir de démocratie. Ils pouvaient sur ce point invoquer Peterloo et l’incident de Cold Bath Fields en 1833, à Londres – où la Metropolitan Police avait également été impliquée –, où un jury avait qualifié d’homicides justifiables la mort de deux policiers ayant participé à la dispersion tumultueuse d’un meeting radical. « Il semblait exister une volonté d’assassiner le peuple, comme à Peterloo », s’indignait un chartiste de Bolton.
69D’après le Northern Star, la convention « avait maintenant été attaquée de manière insolente, violente et illégale ». Un chartiste du Nord-Est compara Birmingham le 4 juillet à l’épisode de la Boston Tea Party : deux moments cruciaux lors desquels le gouvernement s’était cru à tort autorisé à réprimer la rébellion. Du moins l’incident de Boston en 1776 avait-il été spontané ; celui de Birmingham en 1839 avait été orchestré par « le ministère actuel », en quête d’un prétexte « pour entamer le règne de la terreur, son seul espoir d’échapper à une prise de conscience montante et à l’indignation croissante du peuple68 ».
70Au sein de la convention, la réaction fut une indignation prévisible. Quatre-vingts arrestations nocturnes, dont Taylor et McDouall (le seul autre délégué présent au Golden Lion durant l’émeute). Cela suffit à persuader les délégués que l’attaque de la veille n’était pas seulement un assaut prémédité contre une foule sans défense, mais contre la convention elle-même. Bien que McDouall ait été libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui, Taylor avait été envoyé à la prison de Warwick, accompagné par une extraordinaire procession militaire, « avec toute la pompe et l’apparence de la guerre69 ». Trois résolutions, rédigées en hâte par Lovett, furent unanimement adoptées, et Collins courut chez un imprimeur pour faire fabriquer des affiches à placarder en ville :
1° Cette convention pense qu’un affront délibéré, flagrant et injuste a été infligé au peuple de Birmingham par une force sanguinaire et anticonstitutionnelle venue de Londres, agissant sous l’autorité d’hommes qui, avant d’être au pouvoir, approuvaient les rassemblements du peuple et y participaient et qui, maintenant qu’ils ont leur part du butin public, cherchent à maintenir le peuple dans un état de dégradation politique et sociale.
2° Le peuple de Birmingham est le meilleur juge de son propre droit à se réunir au Bull Ring ou ailleurs, à consulter ses propres sentiments quant à l’affront infligé, et qu’il est le meilleur juge de ses propres ressources pour obtenir justice.
3° L’arrestation sommaire et despotique du Dr Taylor, notre respecté collègue, offre une autre preuve convaincante de l’absence de toute justice en Angleterre, et montre clairement qu’il n’y aura pas de sécurité pour la vie, la liberté ou la propriété, tant que le peuple n’exercera pas un certain contrôle sur les lois auxquelles il est censé obéir.
Par décret, W. Lovett, Secrétaire. Vendredi 5 juillet 183970.
71Ce soir-là, une protestation publique fut distribuée dans le calme, avec l’aide des dragons irlandais, soutenus par un gros canon, mais les échauffourées avec la police – encore renforcée par quarante autres agents londoniens – entraînèrent de nombreuses arrestations. Le lendemain matin, Lovett fut appréhendé au Golden Lion, et bientôt rejoint en captivité par Collins. Tous deux furent accusés d’incitation à la violence, Lovett comme signataire des résolutions et Collins pour les avoir fait imprimer. Il semble clair que les autorités auraient arrêté toute la convention si elles l’avaient pu : durant l’audience qui eut lieu en fin de soirée, on demanda plusieurs fois à Lovett de nommer les délégués présents quand les résolutions avaient été votées. « Je refuse de répondre à cette question », répondit-il. De même, Collins ne voulut pas identifier ceux qui l’avaient accompagné chez l’imprimeur. Mais Lovett alla plus loin, affirmant qu’il avait écrit seul les résolutions et proposé leur adoption.
Je pensais que le peuple avait raison d’abroger un pouvoir aussi sanguinaire et despotique par tous les moyens à sa disposition, parce que je crois que l’institution de la police est une violation des libertés constitutionnelles que détenaient nos ancêtres [...] Si le peuple se soumet aux injustices les unes après les autres, imposées par des autorités autoproclamées, il finira par être réduit en poussière sans avoir aucun moyen de résister71.
72Dans son autobiographie de 1876, Lovett déclara simplement avoir « éprouvé le très vif sentiment qu’une grande injustice avait été commise ». Non sans ironie, en cherchant à se dépeindre comme un modéré de toujours, il dut taire la conviction et le courage avec lesquels il avait affronté les magistrats de Birmingham. Gammage – on ignore d’après quelles sources – prétendit même que les délégués avaient voulu signer collectivement les résolutions, mais que Lovett avait tenu à signer seul, parce qu’il « y avait déjà eu bien assez de victimes ». La caution fut fixée à la somme prohibitive de mille livres : neuf jours s’écoulèrent avant que l’on puisse trouver des garants dont les magistrats acceptent la probité et la solvabilité72.
73Quelques jours auparavant, O’Connor avait dit à la convention qu’ils « en étaient à la dernière étape de l’agitation ». Ce commentaire prenait désormais un sens troublant. « À moins que le peuple anglais ne soit voué à sombrer plus bas que le plus vil reptile de la Création, un tel état de choses ne peut ni ne doit durer », déclara un chartiste de Newcastle ; l’affront du Bull Ring « exaspéra la démocratie dans tout le pays », se rappelait un autre, « puis commença le travail de “préparation” ». « Plus de piques ont été fabriquées et vendues ces dix derniers jours qu’à aucune autre époque », remarquait le commandant de la garnison de Manchester, le 15 juillet. Henry Vincent, une fois des garants trouvés pour sa libération sous caution, proclama : « Une crise est maintenant toute proche [...] Amis esclaves ! Faites tinter vos chaînes ! » En privé, il avouait qu’un « sentiment de désespoir règne à présent, dont vous ne pouvez imaginer l’intensité ; même dans cette ville aristocratique de Cheltenham, le peuple est mûr et prêt73 ».
74La gravité de la situation fut renforcée le mardi suivant, quand Harney revint à Birmingham escorté par la police, ayant été arrêté à Newcastle pour des propos tenus en juillet sur la campagne à mener « un mousquet dans une main et une pétition dans l’autre ». Quand son dossier fut examiné, la convention avait regagné Londres pour le débat parlementaire sur la pétition nationale. Harney chercha à persuader les magistrats de Birmingham – dont un Thomas Salt très mal à l’aise – que, vantant la valeur des galettes d’avoine pour nourrir les chartistes durant le mois sacré, il n’avait pas dit « mousquet » mais « biscuit », soupçon d’humour bien isolé dans une atmosphère de plus en plus sombre74. Libéré sous caution, Harney devrait attendre les prochaines assises de Warwick.
L’espoir différé
75Le soir du vendredi 12 juillet, le Parlement débattit finalement de la proposition de Thomas Attwood, pour qu’une commission réunissant des membres de toute la Chambre prenne en considération la pétition nationale. La convention s’était préparée de son mieux pour l’occasion. Chaque député susceptible de sympathie avait reçu une lettre personnelle « dans le vif espoir que vous estimerez de votre devoir de soutenir cette motion », et réitérant que les pétitionnaires attribuaient leur « lamentable détresse [...] entièrement à la mauvaise représentation de leurs intérêts à la Chambre des communes ». La trentaine de délégués qui n’avaient ni démissionné ni été incarcérés se réunirent dans la galerie publique pour écouter le débat. Alors qu’elle avait été accueillie par des rires, la pétition fut traitée avec respect mais la Chambre était moins qu’à moitié pleine et la qualité du débat fut déplorable. Lowery devait par la suite se rappeler le « manque d’éloquence et de facilité d’expression » de la contribution de lord Russell, tandis que sir Robert Peel « n’aurait pas retenu l’attention d’un meeting ouvrier ». Benjamin Disraeli avait « la plus misérable élocution que j’ai jamais entendu », pensa le tailleur de Newcastle, ponctuée d’hésitations fréquentes, de tripotage de papiers et de pauses intermittentes pour sucer des oranges75. La pétition fut largement ignorée : Disraeli profita de l’occasion pour reprocher aux whigs d’avoir introduit la New Poor Law, et Russell pour ridiculiser les théories monétaires d’Attwood. La motion d’Attwood fut rejetée à 235 voix contre 46.
76La convention reprit son travail le lundi 15 juillet, avec encore un débat sur le mois sacré. Mais elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Collins, Harney, Lovett, Taylor et Vincent étaient soit incarcérés, soit en liberté sous caution. Frost était à Newport où il se défendait contre une accusation de malversations financières, procès malveillant intenté par le conseil de la circonscription ; O’Connor était à York pour répondre d’une accusation contre le Northern Star qui avait publié des remarques calomnieuses sur la Poor Law. O’Brien était en tournée dans le Tyneside. McDouall était présent, mais libéré sous caution après avoir été accusé de propos séditieux à Hyde en avril. Depuis que la convention s’était installée à Birmingham, sept délégués avaient démissionné, le comble étant atteint lorsque Hugh Craig, exaspéré, s’en était tout simplement retourné à son commerce de drapier à Kilmarnock.
77Quelles qu’en soient les raisons, cet absentéisme commença à susciter des commentaires acerbes. Les événements des dernières semaines pesaient sur le mouvement. John Fussell ne comptait pas parmi ceux qui avaient été arrêtés à Birmingham le 4 juillet, et on le soupçonnait donc à présent d’être un espion ou un agent provocateur. Ce n’était qu’une hypothèse, mais le doute continua à planer, même après qu’il se fut établi à Londres au début des années 1840. Dans tout le pays, les arrestations continuaient, dans le cadre d’une politique tacite consistant à empêtrer un maximum de militants dans des procédures juridiques longues et démoralisantes, même s’il était peu probable qu’elles débouchent sur des condamnations. Les cas les plus notables incluaient W.P. Roberts, William Carter et William Potts à Trowbridge (pour complot) ; Timothy Higgins, secrétaire de la RA d’Ashton, pour détention d’armes (un exemplaire des Défensive Instructions de Macerone fut également découvert lors d’une descente de police à son domicile) ; Sam Cook, de Dudley, pour sédition ; George Binns et James Williams, de Sunderland, eux aussi pour sédition ; et à Leeds, deux chartistes, dont George White, secrétaire de la GNU, pour extorsion de fonds – ils avaient collecté le loyer national76.
78Sans se laisser abattre, Lowery proposa une résolution : le mois sacré démarrerait le 12 août. Même si son autobiographie de 1856-1857 le passe quasiment sous silence, Lowery était l’un des plus militants parmi les délégués, soutenu par une étroite connaissance de son Tyneside natal, où l’on s’était beaucoup armé et où l’enthousiasme pour la grève était manifeste77. Quelques-uns étaient plus combattifs encore. Neesom, par exemple, proposa un amendement visant à avancer la grève au 5 août, bien que l’atmosphère dans les quartiers est de Londres n’ait guère justifié l’idée même de grève. Il fut secondé par James Osbourne, corroyeur de Brighton, qui était partisan d’un appel à la grève immédiate. L’amendement de Neesom ne fut cependant soutenu que par trois autres délégués. Face à la résolution Lowery, la dissidence était menée par Bussey, fermement engagé en faveur de la grève mais désireux de créer un sous-comité pour vérifier l’étendue du soutien avant de recommander une date de départ. Un amendement en ce sens tomba à l’eau à cause du vote du président, Richard Tilley, maçon, membre de la LDA et délégué de Lambeth, qui avait auparavant défendu l’amendement de Neesom. La présidence de la convention était renouvelée chaque jour et, à bien d’autres moments, le vote décisif du président de séance aurait fait basculer le verdict en sens opposé. On ne peut savoir quelles auraient été les conclusions du sous-comité proposé par Bussey, mais elles n’auraient pu être plus sévères que celles de ce débat : le mardi 16 juillet, en fin de journée, il fut décidé que le pays était prêt à faire démarrer le mois sacré le 12 août.
79La série d’événements qui suivit ne fit rien pour sauver la réputation de la convention en termes de stratégie et de leadership. Le 22 juillet, les délégués se réunirent à nouveau, cette fois avec O’Brien et O’Connor. Alors qu’il avait récemment pris la mesure de l’humeur électrique des chartistes du Tyneside, O’Brien estimait que la convention ne pouvait imposer la date d’une grève générale. Sa solution était de publier une adresse qui en réaffirmait la nécessité, texte que les rassemblements de masse devraient approuver. McDouall, pour sa part, voulait aller de l’avant : « Près d’un million d’hommes agiraient si on leur recommandait la grève. » Lowery condamna la lâcheté pusillanime de ceux qui n’avaient pas le courage de se mettre en grève. Neesom déclara que « le peuple était mieux préparé au congé que ses meneurs ». O’Connor fut équivoque : « Si nous jouions cette carte et la perdions, en aurions-nous une autre à jouer ? » Mais il manquait d’autorité personnelle au sein de la convention pour emporter une nette majorité en faveur de la révocation de la résolution du 16 juillet, tout en s’opposant à la suggestion d’O’Brien parce qu’elle allait à l’encontre de l’autorité de la convention. O’Connor aurait préféré renvoyer les délégués dans leurs circonscriptions pour évaluer la situation, afin qu’ils se retrouvent à la fin du mois pour prendre une décision informée. Son avis ne fut pas écouté, la résolution d’O’Brien fut adoptée, mais pas par une majorité écrasante.
80Il n’était donc pas du tout certain que le mois sacré allait bel et bien commencer le 12 août (moins de trois semaines plus tard). Le lendemain, O’Connor élabora une résolution qui mêlait tous les points débattus au cours des huit derniers jours. Le 12 août était confirmé comme « provisoirement fixé [...] en tant que jour de cessation générale du Travail ». Un conseil de la convention recevrait les rapports des délégués qui allaient regagner leurs circonscriptions et juger si la grève était envisageable ; le lundi 5 août, la convention se réunirait et examinerait la situation. Tous sauf Harney acceptèrent la résolution d’O’Connor : elle semblait décisive, à condition de ne pas tenir compte de son calendrier irréaliste, et elle préservait une apparence d’autorité pour la convention.
81Ce vernis s’écailla pourtant le samedi 3 août, quand le Northern Star publia un article où O’Connor expliquait avec force qu’il fallait renoncer au mois sacré et le remplacer par trois jours de grèves et de manifestations. Selon un éditorial, « le pays n’y est pas favorable ; les préparatifs requis n’ont pas été faits ; il n’existe aucune organisation réelle parmi la population ; les hommes sont incapables d’agir de concert ; il n’y en a pas un dixième qui possède les moyens de l’autodéfense ; ils ne sont d’accord ni sur la faisabilité ni sur la nécessité de cette mesure ». Et pour renforcer cet argument, les questions chartistes furent exclues de la une au profit d’informations générales. Le lundi, la convention reprit, pour débattre une fois encore du mois sacré. Le lendemain, elle décida d’abandonner cette mesure et plutôt de « cesser le travail le 12, pour un, deux ou trois jours, afin de consacrer tout ce temps à des meetings et des processions solennelles ».
82C’était le mardi 6 août ; dans les collines, où l’enthousiasme prévalait quelques mois auparavant, l’horizon s’obscurcissait.
Vies chartistes. Thomas Powell
83Thomas Powell ne sut probablement rien des événements d’août 1839 car il venait alors de passer trois semaines en prison, où il purgeait une peine de douze mois. Son rôle dans les émeutes de Llanidloes, on l’a vu au chapitre précédent, fut entièrement pacifique mais il avait le malheur d’être aisément identifiable en tant que dirigeant chartiste de la région par les magistrats locaux désireux d’éliminer le mouvement. En l’arrêtant, ils neutralisèrent quasiment le chartisme dans la vallée de la haute Severn, et lancèrent Powell dans une voie qui devait le conduire, vingt ans après, à une mort solitaire dans un paysage aussi éloigné que possible des collines galloises.
84Thomas Powell était né (sans doute en 1802) à Newtown, centre du tissage de flanelle dans le Montgomeryshire, ville natale du bien plus illustre Robert Owen, socialiste et philanthrope. Après une brève scolarité, il devint apprenti auprès d’un quincailler de Shrewsbury. Une fois son apprentissage terminé, il partit travailler à Londres comme vendeur chez un quincailler de la City. C’est là que démarra son apprentissage politique, au sein d’un trio d’artisans et commerçants, tous nouveaux venus à Londres, particulièrement intéressés par l’idée, alors en plein essor, de commerce coopératif.
85Les autres membres de ce groupe étaient William Lovett, arrivé des Cornouailles en 1821, qui travaillait chez un ébéniste installé tout près de l’employeur de Powell, et James Watson, imprimeur qui était arrivé du Yorkshire en 1822, et avait aussitôt été employé par Richard Carlile, célèbre républicain et disciple de Thomas Paine. Tous trois étaient en grande partie autodidactes, sérieux et idéalistes. Ils devinrent membres de la London Cooperative Trading Association, fondée en novembre 1827. L’objectif était d’utiliser les bénéfices de la coopérative de vente afin d’employer les membres, et de générer des fonds suffisants pour acheter des terres où tous les membres pourraient s’établir. « Pourquoi la pauvreté devrait-elle exister ? demandait l’une des réclames de l’association. Ceux qui peuvent et veulent travailler devraient-ils vivre dans le besoin ? La terre est assez grande. » L’association avait sa propre bibliothèque et organisait des cours réguliers « sur le progrès mental et moral ». Lovett et Watson travaillèrent tous deux comme magasiniers pour l’association78.
86Tous trois devinrent encore plus engagés à partir du printemps 1829, en tant que membres fondateurs de l’Association britannique pour la promotion du savoir coopératif (British Association for Promotion of Cooperative Knowledge). Lovett était magasinier et, à partir d’octobre 1830, Powell fut secrétaire. Cette nouvelle association espérait elle aussi offrir une terre à ses membres, mais elle gérait également une « bourse du travail » (plus précisément une bourse des denrées), avec en guise de monnaie des billets représentant la quantité de travail nécessaire pour produire les biens échangés79. Powell vivait dans un monde enthousiasmant, où les travailleurs organisés semblaient prêts non à renverser l’économie capitaliste mais plutôt à en sortir au profit d’une alternative de leur propre création. Il n’était pourtant pas un utopiste idéaliste. Il entra en conflit publiquement avec Robert Owen au sujet de leurs billets comme monnaie d’usage général, et à cause du mépris hautain d’Owen pour les principes démocratiques. Pour la National Union of the Working Classes – qui concentra l’opposition populaire au Reform Act de 1832 –, Powell remplit des fonctions en coulisses, collectant les cotisations et examinant les comptes. Il donnait aussi des conférences sur les questions monétaires aux groupes radicaux de la capitale80.
87À l’automne 1832, Powell quitta pourtant Londres et la coopération pour regagner son Montgomeryshire natal. En partenariat avec son frère, il acheta une quincaillerie à Welshpool. Le contraste avec l’univers qu’il avait quitté n’aurait pu être plus grand. Welshpool était une bourgade de 3000 âmes. Elle était dominée – politiquement et physiquement – par le château de Powis et son propriétaire, le vicomte Clive, magnat tory possédant des terres en Inde et Lord Lieutenant du comté. Sur le plan électoral, Welshpool était rattachée à cinq autres villes pour former la circonscription parlementaire du district du Montgomeryshire. De l’avis général, Welshpool était la plus conservatrice de toutes, mais Powell joua un rôle clé au sein du comité qui mena le candidat libéral – le colonel John Edwards – à quatorze voix de la victoire lors de l’élection générale de décembre 1832. Après avoir présenté une pétition contre l’élection qu’il affirmait truquée, Edwards fut élu député au mois d’avril suivant.
88D’après l’unique discours électoral connu de Powell, il est clair que son immersion dans la politique d’une petite ville avait été un choc pour le coopérateur qui s’était initié à la politique parmi les artisans londoniens. « Je regrette beaucoup que nous soyons si peu », dit-il à un auditoire de Newtown qui, selon lui, ne pouvait « avoir la moindre idée des difficultés contre lesquelles doivent lutter nos électeurs. Des menaces de toutes sortes ont été tentées et, lorsqu’elles ont échoué, d’autres mesures plus fortes ont été employées ; la ruine et la perte de tout ce qui nous était cher devait être la conséquence si nous agissions contrairement à leur désir ». Il conclut avec un appel passionné au vote secret et à la « liberté d’exprimer nos opinions sans laquelle nous ne pourrons jamais être heureux81 ».
89Powell ne se contenta pas longtemps de rester dans le petit bocal politique qu’était Welshpool. Sa réputation d’orateur éloquent et indépendant se répandit bientôt dans tout le pays. La PU de Llanidloes nota que « le feu couvait partout dans la ville et M. Powell est le mieux placé pour déclencher l’incendie82 ». Powell concentra son énergie sur Llandiloes et Newtown, deux villes où cohabitaient ouvriers à domicile et ouvriers en usine. Il renoua aussi ses liens avec Henry Hetherington, qu’il avait connu dans le cadre de la British Association for Promotion of Co-operative Knowledge, et prit la parole à ses côtés lorsqu’il se rendit dans le pays de Galles comme émissaire de la LWMA en novembre 1837.
90La vie privée de Powell était moins réussie. Son frère était mort en 1835, et sans lui, Thomas n’était guère doué pour les affaires. Il est également possible que son engagement politique lui ait fait perdre des clients, ce qui expliquerait pourquoi il fut rayé du testament d’un riche cousin, la même année. En juin 1838, il fit faillite, sa maison et sa boutique furent vendues, ainsi que tout son fonds de quincaillerie.
91C’est donc peut-être avec un frisson d’appréhension personnelle, ainsi que de vertueuse indignation, que Powell guida les chartistes du Montgomeryshire lors d’un rassemblement sur le site où l’on construisait le workhouse de Caersws, le jour de Noël 1838. Le Shrewsbury Chronicle qualifia son discours de « convenable et ordonné », mais pas un des orateurs n’était « respectable par ses biens ou son caractère », selon le clergyman local qui envoya au Home Office une paraphrase de tout ce qui s’y était dit83. Powell était désormais un homme marqué, comme des douzaines de militants chartistes en Grande-Bretagne, ses déclarations politiques publiques faisaient l’objet de rapports clandestins et étaient souvent déformés. Le 9 avril 1839, le jour où la convention générale débattait à Londres sur le recours aux armes, Powell aurait dit à une foule de plus de 2 000 personnes, à Newtown :
J’ai toujours été votre dirigeant dans le conflit et j’espère que vous ne m’abandonnerez pas maintenant dans le besoin, mais que vous opposerez la force à la force si nécessaire – certains d’entre vous veulent que nous employions la force morale – que fera pour nous la force morale, qu’a-t-elle fait pour nous ? Vous gémissez déjà assez sous la tyrannie et vous savez qu’elle ne vous servirait à rien. Soyez déterminés et vos adversaires ne pourront vous résister, vous êtes assez nombreux. Soyez unis et vous marcherez sur toutes les villes du royaume84.
Une fois encore, Powell était à la tribune avec Hetherington, et au cours des jours qui suivirent, le tandem s’exprima lors de meetings chartistes à Llanidloes, Rhayader et Welshpool. Le pays de Galles était fébrile mais le chartisme n’en était pas seul responsable. Comme on l’a vu au chapitre 3, les émeutes du 30 avril causèrent de sérieux dégâts dans un hôtel de Llanidloes. Cinq policiers étrangers à la ville furent retenus prisonniers et les troubles durèrent quatre jours.
92L’incident déclencheur fut une émeute anti-police plus qu’un soulèvement chartiste et c’est Powell qui, arrivant à Llanidloes quelque temps après le début de l’émeute, sauva lui-même deux des policiers concernés, alors qu’ils étaient venus arrêter les leaders chartistes locaux. Powell fut appréhendé chez lui, à Welshpool, le dimanche suivant85. Son arrestation le brisa financièrement, sinon psychologiquement. En moins de deux semaines, tous ses meubles et effets personnels furent vendus aux enchères, pendant qu’il se débattait pour réunir le montant de la caution. Il fallut près de huit semaines avant de trouver des garants acceptables pour les magistrats, exemple particulièrement flagrant de la manipulation de la procédure, tactique communément employée pour emprisonner les chartistes sans les juger. L’un des garants fut un vieil ami de Powell, James Watson, membre de la LWMA et désormais l’un des principaux éditeurs et imprimeurs radicaux de la capitale86.
93Jugé pendant les assises d’été, le 18 juillet, Powell fut accusé d’avoir usé de langage séditieux à Newtown le 9 avril. Son dossier fut examiné juste après celui d’un tisserand adolescent de Llanidloes, condamné à quinze ans de déportation pour avoir poignardé un agent spécial. En programmant le procès de Powell aussitôt après celui des émeutiers, le procureur semble avoir espéré persuader le jury que Powell avait joué un rôle essentiel dans les émeutes. Les preuves de langage séditieux étaient pourtant des plus ténues. Et selon un témoignage incontesté, peu après être arrivé à Llanidloes, Powell avait publiquement incité la foule à ne pas s’opposer à la police et à reprendre le travail. Malgré tout, il fut jugé coupable, condamné à un an de prison et tenu de respecter l’ordre pendant cinq ans, moyennant une caution de 800 livres dont il devrait verser lui-même la moitié. Selon une amère plaisanterie chartiste, Powell avait commis un nouveau crime, « l’inaction séditieuse ». Les termes de sa libération étaient exceptionnellement sévères et, grâce à l’intervention du colonel Edwards au Home Office, ils furent abandonnés à la fin de sa sentence87.
94Au grand dam d’Edwards, une fois libéré de prison, Powell se rendit directement à Newton et contacta les chartistes locaux. Il trouvait néanmoins étouffantes ces petites villes galloises : il était sans foyer, endetté et n’avait plus aucune relation avec ce qu’il lui restait de famille. Il repartit donc pour Londres travailler comme vendeur pour la maison d’édition de Hetherington. Il avait encore un certain poids politique dans le Montgomeryshire, mais comme il le souligna dans une lettre à Edwards, vers l’époque de l’élection générale de 1841, « ceux sur lesquels je suis le plus susceptible d’avoir de l’influence n’ont pas le droit de vote ». Edwards avait demandé à Powell d’écrire à ses contacts pour qu’ils soutiennent sa ré-élection. La réponse de Powell illustre bien ce que les chartistes, malgré leur idéalisme, voyaient comme la realpolitik des élections : « Il faut se montrer un peu généreux, quand ils sont excités les hommes ont très soif et un verre de bière fait parfois des miracles [...] Si nécessaire, il faut recourir un peu à la violence. Si j’étais sur place, je ne ferais pas le difficile sur ce point. » Les sentiments de Powell offrent un contraste instructif avec l’atmosphère régnant deux ans plus tard, lorsqu’il fit un bref retour à Newtown à l’occasion d’un dîner donné en son honneur. « Plusieurs discours furent prononcés, on porta des toasts démocratiques, on chanta et l’on récita des poèmes. La soirée se déroula dans une hilarité franche et rationnelle88. »
95Powell était un membre indispensable de l’équipe de Hetherington : il devint notamment le propriétaire légal de l’entreprise pour empêcher la saisie pour dettes durant l’une des périodes où Hetherington se retrouva en délicatesse avec la justice. Il fut aussi secrétaire de la Société athée de Londres (London Atheistical Society) et il aida George Holyoake – personnalité énergique à cheval sur le chartisme, la libre-pensée et le coopératisme – à gérer l’Anti-Persecution Union89. À partir d’octobre 1844, Powell consacra cependant l’essentiel de ses efforts à l’une des initiatives radicales les moins connues du début de l’époque victorienne, la Tropical Emigration Society. Il en était le secrétaire fondateur et le rédacteur en chef de la revue intitulée – l’imitation étant la forme la plus sincère de flatterie – Morning Star. Ladite société prônait le retour à la terre, composante centrale de la politique populaire des années 1840, mais la terre à laquelle elle aspirait se situait au Venezuela et non au milieu des brumes britanniques. Attirées par la perspective d’une agriculture facile sous les tropiques, quelque 1 600 personnes en achetèrent des actions, dans ses 48 antennes. Un attrait supplémentaire était la participation active de John Etzler, personnage extraordinaire en marge du socialisme et du chartisme londoniens, inventeur, visionnaire et prophète d’une utopie mécanisée90. Le côté concrètement irréalisable de ses inventions était compensé par leur nouveauté et leur audace – l’énergie solaire et éolienne était centrale dans l’utopie technologique d’Etzler91.
96Fin 1845, le premier de deux groupes partit pour Trinidad, où une base temporaire devait être établie avant la dernière partie du voyage, la courte traversée du golfe de Paria qui les mènerait au Venezuela92. Powell prit la tête du second groupe, de 193 colons, qui quitta l’Angleterre en mars 1846 et arriva deux mois plus tard à Port-of-Spain, à Trinidad. C’est seulement à leur arrivée qu’ils apprirent la triste nouvelle : presque tous les membres du détachement avancé étaient morts de fièvre tropicale ou d’épuisement lié à la chaleur. Non sans ironie, leur résidence censément temporaire s’appelait Erthig, anglicisation d’Erdigg, palais du xviiie siècle construit dans le nord du pays de Galles.
97Les rapports que Powell envoyait régulièrement en Angleterre sont une chronique quasi ininterrompue de décès, de disputes et de désespoir. Il y eut 30 morts la première année et près de 75 désertions, dont le médecin de la communauté qui disparut avec tout son matériel médical. Le reste du groupe était irrémédiablement divisé entre ceux qui voulaient partir vers l’ouest des États-Unis et ceux qui voulaient s’accrocher ; leur sloop ne tenait pas la mer ; les communications étaient complètement rompues avec la société en Grande-Bretagne ; et, détail le plus amer, « Notre dirigeant, M. Etzler, s’est enfui en Amérique, craignant d’affronter ceux qu’il a dupés. Ses comptes n’ont pas été réglés, il n’a donné aucune explication, aucun motif93. » Il y eut une brève période d’optimisme, en août, quand un groupe nombreux finit par partir pour le Venezuela. Powell leur rendit visite et raconta avec étonnement sa traversée « réellement délicieuse », « entouré d’oiseaux aquatiques de toutes les couleurs et de toutes les tailles, et de poissons [...] qui jouaient par centaines autour de nous ». Mais en décembre, seuls cinq colons étaient encore en vie au Venezuela. Le reste de la Tropical Emigration Society se regroupa donc à Erthig94.
98Si Powell limitait l’expression de son désespoir dans ses rapports, ses écrits se distinguaient parfois par une noblesse et un optimisme qui contredisaient les désastres dont il avait été victime d’abord au pays de Galles, puis à Trinidad. Racontant qu’un membre mécontent de la communauté divisée avait signalé au gouverneur de l’île qu’il avait goûté à la prison, Powell formula ce simple commentaire : « C’est l’animosité ainsi manifestée qui me fait gémir et grogner, et peu m’importe qui le saura, car je m’enorgueillis de l’acte qui me valut d’être emprisonné, qui n’était autre que la défense des droits de mes frères humains. » Il demanda à plusieurs reprises l’aide des sympathisants britanniques de la société, mais en mai 1847 elle fut dissoute sans que la communauté de Trinidad en soit avertie95. Faute de compétences professionnelles grâce auxquelles ils auraient pu gagner de quoi se rendre sous un climat plus clément, les colons restants étaient littéralement abandonnés. Powell réussit à gagner sa vie à Erthig pendant onze ans encore, puis il devint l’unique marchand de journaux et libraire de Trinidad. « Si ma situation me le permettait, je tenterais de gagner ma vie à Londres », écrivit-il en 1862 à Holyoake ; « hélas, j’ai eu la sottise d’engendrer une famille et je suis lié à l’île à moins de pouvoir laisser de quoi vivre à ces pauvres créatures96 ».
99On peut supposer que ce ne fut pas seulement la pauvreté qui empêcha Powell d’emmener sa famille en Grande-Bretagne – en 1862, il était le père de cinq enfants, tous âgés de moins de 12 ans, et cela devait néanmoins être une considération majeure. Même si Powell n’en dit rien dans sa lettre, Holyoake griffonna, dans un autre document, par-dessus son nom : « A épousé une femme de couleur97 ». Le dédain de Powell envers les « pauvres créatures » reflète le racisme ordinaire typique des hommes blancs aux Antilles – dont beaucoup eurent des enfants noirs, sans toujours admettre les responsabilités que cela leur imposait, comme le fit au moins Powell sans ambiguïté. Une certaine haine de soi filtre à travers cette brève allusion à sa famille, en harmonie avec la tristesse de cette ultime lettre. Il se plaint du prix de la nourriture à Trinidad, des impôts élevés, de la population blanche déracinée et politiquement inactive, des effets de l’immigration africaine, indienne et chinoise sur la main d’œuvre « indigène » (issue des esclaves), et de l’indifférence de ses anciens amis britanniques : « Je n’ai pas reçu une seule lettre en six ou sept ans alors que j’en ai écrit plusieurs, mais aucune réponse ne m’étant parvenue, après des tentatives répétées pour avoir de leurs nouvelles, j’ai perdu espoir et j’ai renoncé. » Lorsqu’il eut démissionné, dégoûté par la paresse de son employeur, Powell eut de petits emplois de comptable. Moins de huit mois après, il était mort.
100Dans son recueil Un arpent de terre, le grand poète gallois R.S. Thomas évoque la diaspora galloise : « Nous étions un peuple qui se consumait / En vains combats [...] dans des terres sur lesquelles nous n’avions aucun droit98. » Thomas pensait au rôle joué par les Gallois dans l’expansion impériale britannique, mais il est difficile de ne pas songer à Powell en lisant ces vers. La terre sur laquelle Powell lutta pour survivre se trouve à présent sous le tarmac de l’aéroport de Trinidad, Earthrigg.
101Seul de ceux dont les brèves biographies ponctuent ce livre, Powell a son monument : une plaque, apposée en 1992 dans le vieux cimetière St Mary de Newtown. Owen est enterré non loin de lui. Pèlerins et curieux s’arrêtent devant la tombe de ce dernier ; on soupçonne que bien peu d’entre eux ont une pensée pour Thomas Powell.
Notes de bas de page
1 NS, 2 février 1839 ; « William Carpenter », ODNB ; Charter, 15 mars 1840.
2 « Our position, principles and prospects », Charter, 27 janvier 1839.
3 Operative, 27 janvier 1839.
4 BL, Add. MSS 34245A, fo11 et 240 ; C. Behagg, « An alliance with the middle class : the BPU and early Chartism », dans J. Epstein et D. Thompson (éd.), The Chartist Expérience, Londres, Macmillan, 1982, en particulier p. 73-79 ; MS, 30 avril 1839.
5 Rules and Régulations of the General convention of the Industrious Classes, Londres, Northcott, 1839.
6 National Instructor, 14 septembre 1850 ; Charter, 3 mars 1839 ; NS, 15 juin 1839 ; Western Vindicator, 23 février 1839.
7 Voir en particulier le chapitre 6, à propos de l’hostilité entre le chartisme et l’ACLL.
8 H040/37, 3 février 1839 ; NS, 19 février 1839 ; F. Tristan, Promenades dans Londres, Paris, Delloye, 1840, p. 74-75 ; I. McCalman, « Ultra-radicalism and convivial debating clubs in London, 1795-1838 », English Historical Review, 102 (1987), p. 309-333. À propos du Lumber Troop, voir J. Grant, Sketches in London, Londres, Tegg, 1838, p. 89-128.
9 Anon., The Critic in Parliament and in Public..., Londres, Bell, 1841, p. 186-187 ; Tristan, Promenades dans Londres, op. cit., p. 76 ; Fletcher, cité dans J. Epstein, The Lion of Freedom : Feargus O’Connor and the Chartist Movement, Londres, Croom Helm, 1982, p. 140.
10 Charter, 17 février 1839 ; Hansard, vol. XLV, 11 février 1839, col. 220.
11 H040/37, fo’ 72sq (T.J. Mills au Home Office, 16 février 1839).
12 H040/37, 4 février 1839 ; Bibliothèque centrale de Bolton, bibliothèque d’études locales, documents Heywood, ZHE 35/43,20 janvier 1839, et ZHE 35/47, sans date ; Attwood, cité dans G.J. Holyoake, Life of Joseph Ray ner Stephens, Londres, Williams & Norgate, 1881, p. 103 ; London Dispatch, 13 janvier 1839 ; NS, 5 janvier 1839 ; Manchester and Salford Advertiser, 12 janvier 1839, cité dans J. Baxter, « Armed résistance and insurrection », Our History, 76 (1984), p. 14 ; Leicestershire Mercury, 9 février 1839, cité dans A. Little, Chartism and liberalism : popular politics in Leicestershire, 1842-74, thèse de doctorat, université de Manchester, 1991, p. 47.
13 The Times, 18 mars, 2 avril 1839 ; C.C.E Greville, The Greville Memoirs, 1814-60, L. Strachey et R. Fulford (éd.), Londres, Macmillan, 1938, vol. IV, p. 117 ; W. Napier, Life and Opinions of General Sir Charles James Napier, Londres, Murray, 1857, vol. 2, p. 5, 6 et 8.
14 R. Sykes, « Physical-force Chartism : the cotton district and the Chartist crisis of 1839 », International Review of Social History, 30 (1985), p. 214-215 ; W. Cudworth, Rambles Round Great Horton, Bradford, Brear, 1886, p. 27 ; R.O. Heslop, « A Chartist spear », Monthly Chronicle of North-Country Lore and Legend, 3 (1889), p. 148-150 ; J.E. Archer, “By a Flash and a Scare” : Arson, Animal Maiming and Poaching in East Anglia, 1815-1870, Oxford, Clarendon, 1990, p. 106 ; H040/48, fo 5.
15 [J. Hobson], « Nowthen -heads of familles !! », A Copy of the Poll..., Huddersfield, Hobson, 1837, p. 23 ; Address of the Radical Association of Colne, 26 novembre 1838, reproduit dans D. Thompson, Early Chartists, Londres, Macmillan, 1971, p. 193-194 ; NS, 3 février 1839.
16 W. Benbow, Grand National Holiday and Congress of the Productive Classes, Londres, Benbow, 1832, p. 13 ; DLB, vol. 6, et ODNB.
17 Charter, 17 février 1839.
18 BL Add. MSS 34245A, vol. 41 ; NS, 23 février.
19 BL Add. MSS 34245A, f » 24,102, 320 et 323.
20 On a suggéré que le taux de réponse à ces questionnaires avait été faible, mais ce n’est qu’une conjecture ; voir D.J. Rowe, « The Chartist Convention and the regions », Economie History Review, 2e série, 20 (1969).
21 Charter, 26 février 1839 ; BL Add. MSS 34245A, f“61, 74 et suiv., 175 et 388, 34245B, f0 276 et suiv.
22 Western Vindicator, 30 mars 1839 ; D.J.V. Jones, The Last Rising : The Newport Insurrection of 1839, Oxford, Clarendon, 1985, p. 65.
23 A. Wilson, The Chartist Movement in Scotland, Manchester, Manchester University Press, 1970, p. 70-71 ; NS, 16 et 30 mars 1839 ; BL Add. MSS, fos 101,145,148,162-163.
24 Vincent relatait chaque semaine ses voyages dans le Western Vindicator. On peut aussi les lire sur le site « Vision of Britain » (http://www.visionofbritain.org.uk/Travelers).
25 Western Vindicator, 23 mars 1839.
26 Western Vindicator, 9 mars 1839 ; NS, 22 juin 1839.
27 Au sujet des jérémiades de Salt, voir BL Add. MSS 33245, fos 41 (17 février) et 102-110 (9 mars) ; NS, 30 mars 1839.
28 NS, 9 et 16 mars 1839.
29 Charter, 24 mars 1839 ; NS, 27 mars 1839 ; Morning Chronicle, 19 mars 1839.
30 W.A. Munford, William Ewart MP, 1798-1865, Londres, Grafton, 1960, p. 98 ; Wilson, Chartist Movement in Scotland, op. cit., p. 74 ; NS, 29 juin 1839. Craig obtint 46 voix, le candidat conservateur 1758, et le whig-libéral 1296. L’usage était que, lors d’un vote à mains levées (show of hands), les présents pouvaient se prononcer, même s’ils ne bénéficiaient pas du droit de vote aux termes de la loi. S’il était patent que l’issue de ce vote était différente de celle attendue lors du scrutin (poll), celui-ci était organisé, et réservé aux seuls électeurs « légaux » (F.B.).
31 Western Vindicator, 30 mars, 6 et 13 avril 1839 ; The Times, 28 mars et 3 avril 1839.
32 Monmouthshire Merlin, 13 avril 1839, cité dans Jones, Last Rising, op. cit., p. 70 ; NS, 6 avril 1839, voir aussi p. 83 ; HO 40/44, f° 260 (20 mars 1839) ; The Times, 10, 29 avril et 8 mai 1839.
33 Poor Man’s Guardian, 11 avril 1831. Macerone, natif de Manchester (jadis aide-de-camp du roi de Naples, fantoche de Napoléon) habitait alors Londres, voir ODNB.
34 R.J. Richardson, The Right of Englishmen to have Arms, Londres, Clevae, 1839.
35 Pour les commentaires sur la magistrature en avril-mai 1839, voir Napier, Life, op. cit., p. 7, 8,11,14,15,24,28,36 et 45 ; voir aussi HO 40/43, f° 342,15 juillet 1839, et le rapport de Napier sur la garnison, daté du 23 mai 1840, HO 50/451.
36 Lettre du 24 avril 1839, citée dans Napier, Life, op. cit., p. 16 ; voir aussi p. 8,10,13,15,17, 18, 21, 22, 24, 26 et 32.
37 Napier à Ross, 22 avril, à Fitzroy, 12 mai, et entrées de son journal pour les 5, 6 et 8 mai, citées dans ibid., p. 15, 24, 25, 26 et 33.
38 Napier à Wemyss (commandant à Manchester), 22 avril 1839, cité dans ibid., p. 14.
39 Napier à Ross, 25 mai 1839, et entrée du journal pour le 27 avril, cité dans ibid., p. 39 et 23.
40 HO 40/50, fo40, Scolefield à Russell, 9 mai 1839 ; Sykes, « Physical-force Chartism », art. cité, p. 216.
41 BL Add. MSS 34245B, fo 31, lettre non datée (juin ?) de Joseph Goulding, CA de Shoreditch. À propos de Goulding, voir D. Goodway, London Chartism, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 245, n. 77.
42 W. Lovett, Life and Struggles of William Lovett, Londres, Trübner, 1876, p. 206-208 ; [W. Lovett], Manifesto of the General convention of the Industrious Classes, Londres, Dyson, 1839, p. 4-6.
43 Manifesta, p. 7 et 8.
44 Barnsley, Bradford, Dewsbury, Halifax, Huddersfield, Leeds, Todmorden, Wakefield (dans le West Yorkshire), Ashton, Blackburn, Bolton, Bury, Colne, Manchester, Oldham, Rochdale, Wigan (Lancashire), Congleton, Hyde, Stockport (Cheshire), Bristol, Cirencester et Stroud (Gloucestershire), Bradford-on-Avon, Devizes, Trowbridge et Warminster (Wiltshire), plus Birmingham, Derby, Mansfield, Nottingham et Newcastle upon Tyne. Les villes galloises couvertes étaient Monmouth, Newtown, Newport, Merthyr Tydfil et Pontypool. L’Écosse fut négligée. Une version édulcorée (sans instructions concernant les arrestations immédiates) fut envoyée à Bath, Coventry, Leicester et Northampton. Voir l’exemplaire de la circulaire dans HO 41/13, f° 260 (7 mai 1839).
45 Fielden à la convention, 1er mai 1839, BL Add. MSS 34245 fo 365.
46 Western Vindicator, 18 mai 1839 ; Charter, 12 mai 1839 ; NS, 11 mai.
47 The Times, 3 et 6 mai 1839 ; D. Williams, John Frost : A Study in Chartism, Cardiff, University of Wales, 1939, p. 158-159 ; O. Ashton, « Chartism in mid-Wales », Montgomeryshire Collections, 62/1 (1971), p. 25-33.
48 The Times, 14 mai 1839 ; Napier, Life, op. cit., p. 27-28 ; R. Fyson, Chartism in North Staffbrdshire, thèse, université du Lancaster, 1999, p. 106-107.
49 Il s’agit de l’insurrection lancée par la Société des saisons dirigée par Auguste Blanqui, Armand Barbés et Martin Bernard (F.B.).
50 The Times, 13 mai 1839 ; NS, 18 mai 1839 ; A.R. Schoyen, Chartist Challenge : A Portrait of George Julian Harvey, Londres, Heinemann, 1958, p. 67-68.
51 Western Vindicator, 4 et 18 mai 1839 ; Jones, Last Rising, op. cit., p. 80.
52 NS, 4 mai 1839 ; O’Brien cité par Epstein, Lion of Freedom, op. cit., p. 157.
53 Birmingham Journal, 6 avril 1839.
54 Duddeston-cum-Nechells, adresse à la convention, 13 mai 1839, BL Add. MSS 34245A, f0 442.
55 NS, 11 mai 1839 ; Sykes, « Physical-force Chartism », art. cité, p. 214 et 216.
56 NS, 18 mai 1839 ; Napier, lettres au Home Office et à sir Hew Ross, 25 mai 1839, reproduit dans Napier, Life, op. cit., p. 39 ; voir aussi p. 35 et 37.
57 J.A. Epstein, « Feargus O’Connor and the Northern Star », International Review of Social History, 21 (1976), p. 69 et 96-97.
58 Halifax Guardian, 25 mai 1839 ; NS, 25 mai 1839 ; R.G. Gammage, History of the Chartist Movement, 1837-54, Newcastle, Browne, 1894, p. 113-122.
59 HO 45/249A, fo 120, dépêche au Tower Armoury, 25 mai 1839.
60 A. Prentice, History of the Anti-Corn Law League, Londres, Cash, 1853, vol. 1, p. 214-218.
61 Le Seditious Societies Amendment Act réduisait de 20 à 5 livres l’amende pour toute publication parue sans le nom et l’adresse de l’imprimeur ; désormais, seul le gouvernement pouvait entreprendre des poursuites. D’aucuns ont prétendu y trouver la preuve d’une attitude quasiment permissive envers le chartisme, de la part du gouvernement ; voir K. Judge, « Early Chartist organization and the convention of 1839 », International Review of Social History, 20 (1975), p. 396 ; L. Radzinowicz, A History of English Criminal Law, Londres, Stevens, 1968, vol. 4, p. 247.
62 NS, 22 juin 1839.
63 NS, 15 juin 1839 ; Benbow, Grand National Holiday, op. cit., p. 14, cf. p. 12 ; Charter, 14 juillet 1839, voir Schoyen, Chartist Challenge, op. cit., p. 70 ; B. Harrison et P. Hollis (éd.), Robert Lowery : Radical and Chartist, Londres, Europa, 1979, p. 142 ; Operative, 28 avril 1839.
64 NS, 18 mai 1839. À propos des relations entre chartistes et syndicats, voir M. Chase, Early Trade Unionism, Aldershot, Ashgate, 2000, p. 184-190.
65 Harrison et Hollis, Lowery, op. cit., p. 142 ; NS, 6 et 27 juillet 1839 ; Epstein, Lion of Freedom, op. cit., p. 167-168 ; BL, Add. MSS 34245B, 0 53-54.
66 Birmingham Journal, 21 septembre 1839.
67 C. Behagg, Politics and Production in the Early Nineteenth Century, Londres, Routledge, 1990, p. 201, 211-214.
68 Bolton Free Press, 13 juillet 1839, p. 170 ; « A member of the Northern Political Union », State of the Question between the Peop le, the Middle Classes, and the Aristocracy, Newcastle, Northern Liberator Office, 1839, p. 19 ; voir aussi NS, 13 et 20 juillet 1839. Pour Cold Bath Fields, voir M. Chase, “The People’s Farm”. English Radical Agrarianism 1775-1840, Oxford, Clarendon, 1988, p. 161-162.
69 Taylor à Arthur, cité dans W.H. Fraser, John Taylor, Chartist : Ayrshire Revolutionary, Ayr, Ayrshire Archaeological & Natural Society, 2006, p. 60.
70 Cité dans J.A. Langford, Staffordshire and Warwickshire Past and Present, Londres, Mackenzie, [1870 ?], vol. 2, p. 585.
71 Charter, 14 juillet 1839 ; TS 11/816, F 114.
72 Lovett, Life, op. cit., p. 220 ; TS 11/816, fo 116-118 ; Gammage, History, op. cit., p. 133.
73 NS, 6 juillet 1839 ; State of the Question, p. 22 ; T.A. Devyr, Odd Book of the Nineteenth Century, Greenpoint (N.Y.), imprimé à compte d’auteur, 1882, p. 177 ; HO 40/43, f° 342 (15 juillet 1839) ; Western Vindicator, 13 juillet 1838 ; LHASC, Vincent MSS 1/1/19, Vincent à J. Miniken, 19 juillet 1839.
74 The Times, 18 juillet 1839.
75 Hansard, vol. XLIX, 12 juillet 1839, col. 219-277 ; BCL, collection Lovett, vol. 2, f° 52 ; Harrison et Hollis, Lowery, op. cit., p. 140.
76 BL Add. MSS 34245B, fo 53 ; Goodway, London Chartism, op. cit., p. 262 ; R. Challinor, A Radical Lawyer in Victorian England, Londres, Tauris, 1990, p. 26-27 ; poursuites contre Higgins, TS 11/1030/4424 ; « The Binns family » et « Samuel Cook », ODNB ; P. Storey, « James Williams », Biographical Dictionary of Modem British Radicals, Hassocks, Harvester, 1979, p. 544-558 ; S. Roberts, Radical Politicians and Poets in Early Victorian Britain, Lampeter, Mellen, 1993, p. 14-15.
77 L’autobiographie de Lowery est reproduite dans Harrison et Hollis, Robert Lowery, op. cit., p. 37-194. Voir aussi Epstein, Lion of Freedom, op. cit., p. 171 et suiv. Les citations qui suivent sont tirées de Charter, 28 juillet 1839.
78 Weekly Free Press, 14 mars 1829 ; voir aussi Lion, 16 octobre 1829, W. Lovett, Life and Struggles of William Lovett, Londres, Trübner, 1876, p. 40-42 ; LJ. Prothero, Artisans and Politics in Early Nineteenth-Century London, Folkestone, Dawson, 1979, p. 241 et 379, note 8.
79 BL Add. MSS 27 822, fo 17 ; Magazine of Useful Knowledge and Co-operative Miscellany, 30 octobre 1830 ; Prothero, Artisans, op. cit., p. 242.
80 Crisis, 25 août 1835 ; Poor Man’s Guardian, 11 février, 21 avril, 14 juillet et 15 septembre 1832.
81 Cité dans E.R. Morris, « Thomas Powell », Montgomeryshire Collections, 80/2 (1992), p. 104-105.
82 Lettre, 3 décembre 1838, documents Powis, Bibliothèque nationale du pays de Galles, Aberystwyth, cité dans Morris, « Powell », art. cité, p. 106.
83 Shrewsbury Chronicle, 4 janvier 1839 ; HO 40/40, J. Davies au HO, 29 décembre 1838.
84 HO 40/46,6 mai 1839, dossier d’accusion R. v. Powell’, Morris, « Powell », art. cité, p. 113. Voir aussi NS, 20 avril 1839 ; O. Ashton, « Chartism in mid-Wales », Montgomeryshire Collections, 61/1 (1971), p. 23-24.
85 The Times, 3 et 6 mai 1839 ; D. Williams, John Frost, Cardiff, University of Wales, 1939, p. 158-159 ; Ashton, « Chartism in mid-Wales », art. cité, p. 25-33.
86 HO 40/46, 25 mai 1839 ; Morris, « Powell », art. cité, p. 111.
87 W.J. Linton, « Who Were The Chartists ? », Century Magazine, novembre 1881- avril 1882, disponible en ligne sur www.gerald-massey.org.uk/dop_linton_the_century_1882.htm ; Ashton, « Chartism in mid-Wales », art. cité, p. 28 ; Morris, « Powell », art. cité, p. 114-115.
88 Powell à Edwards, 26 juin 1841, Glansevern Collection n° 7702, Bibliothèque nationale du pays de Galles, Aberystwyth, cité dans Morris, « Powell », art. cité, p. 115 ; NS, 28 octobre 1843.
89 W.J. Linton, Memories, Londres, Lawrence, 1895, p. 85-87 ; E. Royle, Victorian Infidels, Manchester, Manchester University Press, 1974, p. 87-88, 315.
90 ECC, 128 [juillet 1843] ; Etzler écrivit régulièrement pour NS d’août 1843 à décembre 1844.
91 G. Claeys, « John Adolphus Etzler, technological determinism and British socialism », English Historical Review, 101 (1986), p. 351-375 ; W.H.G. Armytage, Heavens Below, Londres, RKP, 1961, p. 184-194.
92 New Moral World, 26 octobre, 30 novembre, 14 décembre 1844, 3 mai 1845 ; Morning Star, 11 octobre 1845,10 janvier 1846.
93 Morning Star, 28 mars, 20 juin, 1er août et 12 septembre 1846 ; National Reformer, 13 et 20 mars, 10 avril, 29 mai 1847.
94 Morning Star, 26 septembre 1846, 27 janvier 1847.
95 Citation tirée du Morning Star, 20 juin et 12 septembre 1846 ; National Reformer, 19 mai 1847.
96 Cooperative College, Manchester, documents Holyoake n° 1415, Powell à Holyoake, 24 mars 1862 ; Secular World, 1er février 1863.
97 Powell à Holyoake, 24 mars 1862 ; Bishopsgate Institute, Londres, G.J. Holyoake Collection, livre de comptes de la London Atheistical Society (1845-1848).
98 R.S. Thomas, « Welsh History », Collected Poems, 1945-1990, Londres, Phoenix, 1998, p. 36.
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