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Les religieux dans la diplomatie française

p. 213-214


Texte intégral

1« C’est le génie de la paix personnifié qui semble envoyé par le Dieu qui aime les hommes, pour balancer le génie de la guerre et pour consoler le monde. » Dans son Traité complet de diplomatie, ou théorie générale des relations extérieures des puissances de l’Europe (Paris, 1833), le comte de Garden trace, comme d’autres avant et après lui, le portrait du diplomate idéal nimbé d’une indéniable aura religieuse. Au pape, que sa titulature traditionnelle consacre comme le vicaire du « prince de la paix », semble correspondre le diplomate, « génie de la paix », et qui plus est, génie consolateur, « envoyé par Dieu ». On peut donc se demander si, dans les qualités requises pour faire un parfait diplomate, figure la foi, voire le sacerdoce, et inversement, si un clerc est susceptible de faire un bon diplomate. C’est là la question posée par cette troisième partie, qui suit le parcours de quelques prélats – deux cardinaux, Baudrillard et Villeneuve, et un religieux, l’amiral-carme d’Argenlieu – engagés dans une diplomatie officieuse ou officielle. Personnage singulier, le religieux diplomate suscite le trouble en raison, non sans équivoque, de sa double mission pastorale et diplomatique. Mais il faut bien le constater, il a des prédispositions pour la diplomatie officieuse. Peut-on alors servir avec une même constance l’Église et la patrie, être, comme l’Arlequin de Goldoni, « valet de deux maîtres », un serviteur au temporel comme au spirituel ? Et dans le même ordre d’idée, fait-on, comme ecclésiastique, de la diplomatie à la manière de M. Jourdain, « sans le savoir », en représentant, avec ou sans lettres de créance, une institution – l’Église – autant qu’un État, le Saint-Siège ? Il ne s’agit pas là, bien sûr, d’une diplomatie religieuse officielle, portée par les nonces, mais plutôt d’un éthos diplomatique, ontologiquement lié au sacerdoce. Les évêques, « préfets violets » du régime concordataire, feraient-ils également figure de « diplomates violets » ? La France de 1905, celle qui avait rompu ses relations avec le Saint-Siège avant de déchirer, par un acte unilatéral, son traité concordataire, s’est essayée à cette diplomatie discrète au nom du protectorat catholique en Orient... un essai peu concluant, mais qui permet de poser l’hypothèse évoquée ici.

2Personnification de l’État à l’extérieur, le diplomate a, comme l’ecclésiastique, une fonction de représentation, qui suppose la conscience de ce qu’il incarne – la majesté de l’État ou la grandeur de l’Église – et du prestige qui est attaché à cette charge. Un esprit de corps également, et à ce titre, l’Église vaut bien la Carrière, telle que la décrit Guizot dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (Paris, 1858) : « Les diplomates de profession forment dans la société européenne une société à part qui a ses mœurs, ses maximes, ses lumières, ses désirs propres, et qui conserve, au milieu des dissentiments ou même des conflits des États, qu’elle représente, une tranquille et permanente unité. » Restent les qualités intrinsèques : le diplomate, estime François Laurent dans son Histoire du droit des gens et des relations internationales (Paris, 1850) « ne doit être ni joueur, ni accessible aux beautés du corps de ballet, car on ne vit jamais impunément dans le demi-monde ». L’abstinence a ses utilités... Auguste Wilhelm Heffter, dans son ouvrage Le droit international public de l’Europe (Paris, 1857) recommande quant à lui « un certain naturel de conduite libre de toute affectation ; de la connaissance de soi et de l’empire sur soi-même ; un esprit d’observation délicat, de la réserve, non pas à l’excès et jusqu’au ridicule, de la finesse unie à de la dignité sans des dehors prétentieux, de la présence d’esprit et de la facilité d’improviser et d’agir promptement et enfin une éloquence précise et non surchargée ». Pour le comte de Saint-Aulaire, « intellectuellement et normalement, le diplomate digne de ce nom est l’archétype de l’honnête homme au sens du xviie siècle [...] honnête dans les deux sens du mot par l’accord en lui de l’éthique et de l’esthétique. » Le portrait du diplomate modèle rejoint souvent celui du modèle de prêtre. Observateurs avisés (ou du moins censés l’être) de la nature humaine, le prêtre et le diplomate sont voués à deux souverainetés différentes, celle de l’Église et celle de l’État : la conjonction des deux nous ramène à la dimension sacrée du pouvoir, incontournable même pour une France laïque.

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