Introduction générale
p. 7-21
Texte intégral
1La laïcité de la diplomatie française est-elle article de foi ? L’État français se définit depuis 1905 comme un régime laïque et tient la séparation des Églises et de l’État comme l’un des principes emblématiques de sa modernité politique. L’importance manifeste des problématiques religieuses dans les relations internationales pendant une bonne part du xxe siècle et au-delà1 incite cependant à se demander comment la diplomatie française a pu appréhender le fait religieux à l’intérieur même du cadre théorique de la laïcité. La diplomatie a-t-elle été tentée de « sauver son âme » en dépit de la séparation ? Laurent Fabius, dans son allocution du 6 novembre 2013, soulignait ainsi la nécessité de « prendre en compte le fait religieux » pour résoudre nombre de crises internationales, en même temps qu’il évoquait l’impossibilité pratique à exporter « le système juridique complexe » de la laïcité, qui « ne peut faire l’objet de formules incantatoires s’appliquant à n’importe quel contexte2 ».
2À la différence de la plupart des grands ministères régaliens comme la Justice ou l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères, analogue en cela au ministère de la Défense, semble avoir entretenu avec le christianisme des « affinités électives » – l’expression est à dessein équivoque –, au point que le Quai d’Orsay ait pu être désigné sous la formule pour le moins polémique et réductrice de « fief catholique3 ». Ce soupçon s’insère dans un procès plus vaste, celui de la « persistance de l’Ancien Régime » dont le Quai d’Orsay serait, à plusieurs égards, un chevau-léger. Pour les contempteurs de l’institution, les indices sont légion, à commencer par la confession religieuse des diplomates eux-mêmes, qui influerait sur leurs choix autant que sur leurs pratiques professionnelles. Si la religiosité – ostentatoire ou réservée – des diplomates peut sembler un indice, la confessionnalisation de la politique extérieure en est un plus sensible. La formule attribuée à Léon Gambetta – « l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation » – semble devenir une douce euphémisation, tant il est vrai que même après la séparation des Églises et de l’État un faisceau d’éléments éclaire les affinités persistantes de la diplomatie française avec le christianisme, et plus particulièrement avec le catholicisme. La réouverture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège en 1921, l’héritage historique du « protectorat » des missions catholiques, qui « arboraient le drapeau français aux jours de fête ou aux jours de périls4 », la culture vieille France des diplomates jusqu’au milieu du xxe siècle5, la francophonie dont les missions religieuses sont les avant-postes, l’image que la France, celle de saint Louis, entend diffuser dans la plupart de ses paroisses nationales et ses centres culturels à l’étranger, certaines pratiques diplomatiques, comme les messes pour la France, la visite aux missions, « bras sacré » de la diplomatie6, ou le financement des conférenciers de carême, mais également l’éloquente carrière de Paul Claudel7, l’existence de sodalités de diplomates chrétiens, autour de Jean Laloy et Jean-Marie Soutou, proches de la revue Esprit8, les nominations de Georges Bidault ou Robert Schuman comme ministres des Affaires étrangères, de Francisque Gay comme ambassadeur à Ottawa9, de Jacques Maritain, désigné par Charles de Gaulle comme ambassadeur auprès du Saint-Siège en 1945, et jusqu’à une certaine anthropologie du diplomate, voilà autant de signes d’une diplomatie qui sollicite le sacré ou mobilise les réseaux politiques ou culturels chrétiens.
3Héritage de l’âge classique de la diplomatie, nécessité en vue d’une réelle action culturelle, en un temps où religion et culture sont intimement liées, ou culture singulière d’un grand corps de l’État français qui semble résister jusque tard dans le xxe siècle à l’esprit séculier ? Les causes sont plurielles, et l’une des conséquences en tout cas est de proposer à la réflexion à la fois un contre-exemple du « désenchantement » de la République et une acception souple, voire paradoxale10, de la laïcité, entendue, de manière pragmatique, comme le cadre d’un consensus pluriconfessionnel.
4 L’historiographie n’a jamais négligé les enjeux religieux de la diplomatie française. Les historiens des relations internationales, sans lui accorder sans doute la place requise, n’ont pas exclu la religion de leurs analyses. Les bornes chronologiques sont repérées. La rupture franco-vaticane de 1904 inaugure ce « discordat » (Georges Clemenceau) dont un aboutissement est la loi de séparation de 1905, qui contraint à l’exil des milliers de religieux français11, déplace la question des congrégations enseignantes de l’intérieur du territoire national vers l’extérieur et renforce, paradoxalement, l’association entre les congrégations et la diplomatie française12. Le terminus ad quem de cette séquence historique est, quant à lui, plus flou, et correspond, selon des modalités et une chronologie à préciser, à un reflux et à une lente sortie des acteurs religieux du champ de la diplomatie culturelle au moment où les acteurs locaux parviennent à élaborer une culture étatique et nationale. On pourra ici et là en discuter la chronologie selon les aires géographiques considérées et dans une perspective comparatiste qui dépasse le seul cas français. Quand sonne le glas de l’alliance entre le diplomate et le goupillon ? Pour le Sud-Est européen on considère que ce type de diplomatie prend fin avant 194013. Cette date est-elle à retenir pour d’autres aires ?
5Sur cette base chronologique, les historiens ont ouvert des voies. À parcourir les volumes de la Revue d’histoire diplomatique sur la décennie écoulée, deux éléments caractérisent la production scientifique récente. Le champ de la diplomatie religieuse semble avoir été, tout d’abord, investi par les historiens de l’époque moderne : sous la conduite d’Alain Tallon et Lucien Bély14, une jeune génération d’historiens examine la pertinence et les limites de la diplomatie religieuse de l’Europe moderne15. Pour le xxe siècle, les études montrent un éclatement, chronologique et spatial, du champ de la diplomatie religieuse. Faute de points de comparaison, faute également d’un examen des principes directeurs dans une longue durée, on ne s’élève jamais véritablement au-dessus d’une étude de cas – étude nécessaire en soi, mais mal reliée encore à une histoire comparée et intégrée des sensibilités religieuses du personnel diplomatique ou des finalités religieuses poursuivies par le Quai. De la crise de la séparation à la seconde guerre en Irak en 2003, une histoire proprement religieuse de la diplomatie française, incluant le fait religieux, à la fois comme part de contexte, instrument politique et élément de causalité, serait à composer.
6La difficulté de l’analyse tient précisément en une forte dialectique entre un centre et des périphéries diverses, et à cet égard, l’institution diplomatique elle-même s’en remet parfois à une expertise extérieure. À partir de 1905, le religieux, délaissé par les instructions officielles, ne persiste qu’à l’état d’initiative individuelle ou de rituel, avec, à l’horizon, un protectorat catholique considéré comme patrimoine autant que comme « instrument efficace », selon la formule de Delcassé16, et éprouvé du rayonnement national. Il fait ou non débat, selon les convictions ou l’habitus du diplomate en poste : une étude qui dresserait des lendemains de la séparation un tableau diplomatique constituerait une bonne introduction à cette réflexion. En 1920, dans le contexte de la réouverture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège, le Quai d’Orsay se dote d’un conseiller pour les affaires religieuses : le poste est occupé jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par Louis Canet, ancien membre de l’École française de Rome, catholique de sensibilité gallicane et moderniste, proche du P. Laberthonnière ; les archives de Louis Canet témoignent de l’universalité des questions considérées – Rome et Jérusalem, mais également l’Europe centrale, l’Asie, les Amériques jusqu’aux confins de l’Alaska17. On mesure dans les années 1920 combien, selon la formule de Barrés, alors vice-président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, les « congrégations » sont « un des plus puissants instruments de notre prestige et de nos intérêts18 ». En 2009, alors que la Présidence de la République cherche à promouvoir une « laïcité positive » et que le ministre considère que la prise en compte du facteur religieux dans l’analyse des conflits est « insuffisante », le Quai d’Orsay fonde, sans renoncer au poste de conseiller pour les affaires religieuses, un « pôle religions » au sein de la direction de la prospective : c’est Joseph Maïla, intellectuel catholique, universitaire d’origine libanaise, recteur de l’Institut catholique de Paris pour une brève période, qui dirige ce nouveau pôle lors de sa création et qui prend ensuite la tête de la prospective jusqu’en 201219. De Louis Canet à Joseph Maïla, il est significatif de noter que dans le domaine religieux, le Quai d’Orsay se tourne parfois vers l’expertise universitaire, celle des chercheurs et des praticiens du fait religieux. On doit se demander ce qui motive ainsi le ministère à solliciter la société civile. Est-ce le manque de personnel en interne, ou la conscience d’une culture qui n’est plus contenue dans l’ADN de la fonction publique française, ne survivant qu’en l’état de discipline universitaire ? Signe d’une époque où la religion, musulmane notamment, occupe davantage l’actualité des relations internationales, ne peut-on se demander si la création du pôle religions en 2009, puis sa disparition en 2013 ne sont pas en soi le signe de la difficile appréhension intellectuelle et institutionnelle du fait religieux par les diplomates ?
La religion des diplomates
7Si le ministère affiche son respect de la laïcité, peut-être est-ce dans le secret des consciences qu’une culture religieuse persiste ? En effet, la culture catholique semble prévaloir au sein du MAE pendant un long segment du xxe siècle, même s’il ne s’agit pas de glisser dans le stéréotype d’un ministère « refuge » pour un peuple catholique ostracisé par la République. Raymond Brugère, ancien ambassadeur de France à Ottawa, Belgrade et Bruxelles, écrivait en ce sens :
La franc-maçonnerie, sous le proconsulat Chautemps-Leger, fut tout aussi insinuante. L’ascension, grâce à elle, d’Alexis Leger au secrétariat général du Ministère en février 1933 ne fut pas heureuse, d’autant moins heureuse que son origine guadeloupéenne excita sans aucun profit pour nous des réticences raciales qui se manifestèrent de façon fort déplaisante, lorsque Daladier eut la singulière idée de l’emmener avec lui à Munich. [...] Je dois d’ailleurs ajouter que le Grand Orient n’a jamais compté beaucoup d’adhérents parmi nous. Dans une étude récente de Serge Hutin, sur la franc-maçonnerie, le Quai d’Orsay est même qualifié de “fief catholique” ce qui est excessif quand on pense au nombre et à la qualité des protestants qui s’y trouvent en bonne place, ce qui assure un heureux contrepoids à ceux qui pourraient être tentés de suivre une attitude trop vaticane dans la conduite de notre politique extérieure20.
8Cette évocation, où christianisme et franc-maçonnerie sont sans doute trop vite mis en opposition, appelle plusieurs remarques. L’un des traits du renouveau de l’histoire diplomatique à l’époque contemporaine tient en effet à une approche biographique des gens de la Carrière. Les monographies publiées permettent d’apporter des réponses nuancées quant à la sensibilité religieuse des diplomates et invitent à conclure que l’on trouve au sein du MAE presque toute la palette des appartenances confessionnelles et idéologiques, pourvu qu’elles soient compatibles avec l’idée républicaine. Des diplomates catholiques, comme R. Brugère lui-même, y côtoient des protestants comme Jacques et François Seydoux21 ou René Massigli22, des incroyants d’éducation catholique, comme Henri Hoppenot23, des francs-maçons, tel Alexis Leger – dit-on – ou la dynastie des quatre Herbette24, etc. Seuls les juifs semblent moins présents au Quai – mais l’on manque d’études d’ensemble sur le sujet, puisque nous ne disposons que d’une estimation ponctuelle : quatorze agents du MAE sont frappés par l’application de la loi sur le statut des juifs du 3 octobre 194025. Parmi eux, on trouve Daniel Lévi, qui, avec le grade de consul général, est chef de section à la sous-direction Europe : il est le fils de Sylvain Lévi, l’un des présidents de l’Alliance Israélite universelle. Il y a également Jean Marx, le directeur du Service des œuvres françaises à l’étranger, ami de lycée de Jacques Maritain, converti et baptisé dans la foi catholique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale26.
9Il peut être alors tentant d’analyser la diplomatie selon une logique de chapelle, mais là encore, le détail appelle la nuance, y compris pour un adversaire déclaré comme la maçonnerie. En effet, quant à l’influence du Grand Orient sur le Quai, Raymond Brugère ne fait, dans le passage cité, que rapporter une rumeur. L’appartenance maçonnique d’Alexis Leger n’est pas avérée, selon Henriette et Philippe Levillain – « Franc-maçon ou pas, Alexis Leger n’obéit qu’aux ordres de ses convictions propres27 ». La mère d’Alexis Leger a, semble-t-il, « un cœur de chrétienne », selon la formule de son fils, qui, en poste à la légation de France à Pékin entre 1917 et 1921, a des « conversations intimes » avec le vicaire apostolique de Pékin, Mgr Jarlin28... On peut également se demander si le Quai d’Orsay eut, comme le ministère de la Guerre, un système de fiches, et si la confession des diplomates eut une influence sur le cours de leur carrière.
10Le réseau des diplomates protestants joue-t-il un rôle plus important ? Évalué à presque 8 % des effectifs du ministère, soit quatre fois le pourcentage national, il regroupe dans la première partie du siècle, outre Jacques Seydoux, son fils François et René Massigli déjà mentionnés, Émile Daeschner, Jean Goût, William Martin, Jean-Baptiste Boissonnas29, Robert Coulondre, Paul Bargeton, apparenté à la famille du pasteur Boegner, Victor de Lacroix, Gabriel Puaux, Albert Kammerer, Maurice de Coppet, etc. La biographie de René Massigli hésite à qualifier cet ensemble : il ne s’agit ni d’un lobby, ni d’un groupe, ni d’un clan à strictement parler. Il ne semble guère possible de lui attribuer l’octroi des importants subsides que le MAE accorde aux missions protestantes au lendemain de la Première Guerre mondiale30, ni d’évaluer son influence sur la conduite du Quai.
11Parmi les diplomates catholiques enfin, il ne faut pas négliger qu’à l’intérieur du même horizon culturel, l’écart peut être sérieux entre diverses sensibilités. Les catholiques modernistes qui semblent avoir perdu la foi, comme Raymond Boyer de Sainte-Suzanne ou Roland de Margerie31, se distinguent des catholiques à tendance gallicane, comme Louis Canet et Léon Noël, que son biographe taxe de « clérical républicain » et de « néo-gallican administratif32 ». Les catholiques confessant sont par définition observables par les historiens : Paul Claudel, Jean Doulcet, le comte de Saint-Aulaire, René Brouillet, Jean-Marie Soutou, Jacques de Bourbon-Busset, Pierre de Menthon33 ou le spirituel Jean Laloy, qui, pour mieux dénoncer « le primat de la force pure » et « une société redevenue imperméable au spirituel34 », a traduit dans le temps libre de ses missions diplomatiques les célèbres Récits d’un pèlerin russe. Il y a enfin tous ceux qui sont de culture catholique, sans zèle particulier, ni besoin identitaire. Les deux frères Jules et Paul Cambon sont un bon exemple de cette catégorie de catholiques que nul étendard ne signale dans leur vie professionnelle : « Sans être de fervents catholiques, les frères Cambon ont un oncle prêtre et sont hostiles à la séparation de l’Église et de l’État. Paul est même très attaché au respect des formes religieuses. [...] Paul est agacé par le zèle laïciste du recteur de Douai : “Dieu nous garde des fanatiques !”35 » Le devenir des enfants des diplomates catholiques peut être un indice : au moins deux d’entre eux ont donné des prêtres à l’Église de France. Roland de Margerie a un fils diplomate et un second qui fit profession chez les Jésuites. François Charles-Roux, ambassadeur de France près le Saint-Siège, successeur d’Alexis Leger pour quelques semaines en 1940, président du Secours catholique, a un fils prêtre. Et dans certains cas, tel Joseph Ollé-Laprune, fils du philosophe catholique notable et, à ce titre, réclamé par l’ambassade de Rome, la parenté vaut créance. Il faudrait également s’interroger sur le rôle des orientalistes catholiques, et nommément Louis Massignon, qui collabore avec le ministère des Affaires étrangères et qui diffuse auprès des diplomates une vision spirituelle et mystique de l’islam, au détriment de l’islam politique, que les diplomates français, à l’exception de ceux qui sont passés par le monde colonial, tels Eugène Régnault ou Georges Saint-René-Taillandier, ont du mal à appréhender.
12Il faudrait aussi se demander si les appartenances confessionnelles et idéologiques opèrent comme des marqueurs au sein du corps diplomatique. Intuitivement, on croit pouvoir répondre qu’il existe certes au sein du MAE des réseaux et des amitiés structurées autour de sensibilités religieuses, mais que ces dernières ne jouent pas comme des coteries ou des clans. Paul Claudel et Philippe Berthelot, l’agnostique et positiviste secrétaire général du Quai, fils du scientiste Marcellin Berthelot, offrent l’exemple d’une profonde amitié jamais altérée par des positions existentielles radicalement opposées : « Tandis que leur amitié s’affermissait, leurs conceptions de l’existence humaine restaient divergentes36. » Berthelot n’hésite pas du reste à manifester ses sympathies envers les missionnaires : « Il convient de les honorer, car ce sont des gens désintéressés37. »
13Cette réflexion, émanant d’une telle source, incite à se poser, sans doute à la marge, la question de l’image de l’Église et des ecclésiastiques au sein du corps diplomatique, voire de leur connivence. Car l’Église joue parfois un rôle de supplétif au service des affaires extérieures : la tradition – d’Ancien Régime – des « cardinaux protecteurs » survit sous forme de coutume au sein de la Curie, et l’implication des religieux dans la politique de rayonnement de la France, comme de bien d’autres nations, n’est plus à démontrer, notamment au temps d’un protectorat catholique agonisant.
La messe, un lieu de la diplomatie ?
14Au-delà de la culture personnelle des diplomates, on peut également problématiser le rapport entre la religion et la diplomatie en considérant la pratique diplomatique elle-même. La messe quotidienne était une obligation stricte pour les ambassadeurs de Louis XIV38. À l’ère contemporaine, la République française est moins pratiquante, mais pas moins intéressée. Car la messe est également un lieu public de la diplomatie : moment de haute visibilité sociale, elle est l’occasion de rassembler le personnel de l’ambassade, de croiser les diplomates catholiques des autres puissances autant que les hauts fonctionnaires locaux, de vivre selon l’étiquette de telle ou telle cour, de signifier les « honneurs liturgiques » dus à la France, puissance protectrice des missions, même dans la Chine dépecée39, de témoigner même de sa piété... ce qui suscite, dans les pays alliés, inquiets de la laïcité républicaine, comme la Russie ou le Canada, confiance et relations privilégiées avec le chef de l’État auprès duquel l’ambassadeur est envoyé. Si l’historien se plonge dans les mémoires, journaux et autobiographies des diplomates, il prend la mesure de cet espace religieux de la diplomatie que le silence des instructions officielles abandonne à la conscience.
15Cela tient parfois aux diplomates, dont la foi chrétienne est connue. Le marquis de Montebello, ambassadeur de France en Russie de 1891 à 1902, entretient des relations d’amitié avec le tsar Nicolas II, béatifié par l’Église orthodoxe. Nicolas II est le parrain du petit-fils du diplomate40, qui se rend à la messe de Noël à Notre-Dame de Kazan et qui craint que les lois laïques ne puissent amoindrir la force de l’alliance franco-russe : « Tout compte fait, me dit M. de Montebello [au moment de son rappel à Paris], j’aime mieux ne pas avoir à faire comprendre à M. Combes que pour le bien de l’alliance franco-russe, mieux vaudrait mettre une sourdine à l’anticléricalisme républicain41. » Sourdine fut mise, puisque c’est à la même époque, si l’on en croit les mémoires de Charles-Roux, que Notre-Dame de France est bâtie à Saint-Pétersbourg. La vie publique résonne aussi de la vie privée : il arrive aux diplomates de célébrer le mariage religieux de leurs enfants – Paul Suzor, consul général à Sydney, marie avec faste sa fille en février 1937, en présence de Mgr Panico, le délégué apostolique en Australie. Ce sont parfois des circonstances plus tragiques, comme en 1928 l’enterrement de Jean Doulcet, ambassadeur de France près le Saint-Siège, qui fut l’occasion de rendre un hommage républicain, diplomatique et religieux à celui qui avait contribué à la réconciliation entre la France et le Vatican : le gouvernement, le corps diplomatique, le nonce, le cardinal de Paris, l’ordinaire du lieu sont rassemblés dans une rare unanimité42. Les guerres sont des moments d’aspirations religieuses : dans le poste éloigné de Bucarest, on prie en juin 1940 « tous les saints de France » et « presque toute l’ambassade » se rend à la messe célébrée par le bienheureux Mgr Ghika, prince roumain francophile43.
16On pourrait multiplier les illustrations. Les capitales religieuses, Rome, Jérusalem ou Moscou, fournissent de bons exemples, mais tous les espaces sont en fait concernés dans une mesure variable, en particulier du fait de l’existence d’églises françaises à l’étranger – « Saint-Louis-des-Français » constituant un archétype. Liturgies pascales qui rassemblent, le vendredi saint à Moscou, tout le corps diplomatique catholique44, messes de minuit45, messes du 14 juillet, messes du 11 novembre46. « Vêpres diplomatiques du Premier de l’An » à Pékin, en 1917, où « la Légation au grand complet va en grande pompe s’agenouiller », et où, le représentant de la France dûment encensé, « la foule des fidèles entonne de son mieux le Domine, Salve rem publicam47 ». Messes au Caire pendant la période khédivale, au Canada au moment de l’ouverture des relations diplomatiques en 1928 ou pendant la guerre, en Turquie ou à Rome48 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, à Edmonton, à Shanghai ou en Éthiopie pendant la guerre, etc. Sans surprise, même les diplomates incroyants, qu’ils soient de tradition catholique comme Margerie, radicaux et athées comme Klobukowski, ou de tradition protestante comme Massigli, tous tiennent aux honneurs protocolaires à l’occasion des célébrations liturgiques et ne manquent pas de rappeler ce qui est « dû » à la France. Car la France revendique une mission historique, un legs de l’Ancien Régime qui dépasse ses conflits intimes : la protection des missions catholiques. Au sujet de l’Égypte et de Klobukowski, le gendre de Paul Bert et « républicain bon teint dégagé d’influence cléricale », il faut suivre encore le témoignage de Charles-Roux, jeune secrétaire au Caire en 1907 :
Nous étions encore en Orient les protecteurs attitrés du culte catholique, de ses églises et couvents, de ses desservants de toutes nationalités. [...] Les clergés orientaux nous invitaient à venir, une ou deux fois l’an, assister en uniformes à leurs offices, célébrés dans leurs rites particuliers. [...] Le délégué apostolique d’Alexandrie devait se reconnaître notre protégé et rendre les honneurs liturgiques à notre consul dans sa cathédrale Sainte-Catherine. [...] Nous nous rendions chez les Franciscains du Caire les jours de « messe consulaire », qui se célébrait aux grandes fêtes religieuses de l’année. Ministre en tête, tout le monde y allait en uniforme. [...] L’office fini, pendant lequel notre chef avait été encensé et liturgiquement honoré à l’Évangile, nous allions comme à Constantinople « tenir divan ». [...] Aucun de nos ministres au Caire – j’en ai connu trois en cinq ans – ne rechigna à tenir sa place dans cette cérémonie. Le Quai d’Orsay ne le lui aurait pas permis. Klobukowski, malgré son laïcisme, y participa fort dignement, et comme au retour, je le blaguais discrètement : « Mais, jeune homme, me répondit-il sur le même ton, l’on a un grand-oncle chanoine en Pologne ».49
17La biographie de Massigli précise que ce dernier, alors ambassadeur de France à Ankara, exige les « honneurs liturgiques » pendant les fêtes pascales de 1939 et va, « lui le calviniste », jusqu’à « suggérer à Mgr Roncalli que la France pourrait éventuellement reprendre le rôle de protecteur de l’Église50 ».
18L’ambassadeur de France ne communie pas toujours. Roland de Margerie ne communie pas, au témoignage de son fils – non de droit, mais de fait51. Pour les diplomates catholiques, il n’y a guère en effet de règles républicaines qui leur interdiraient de recevoir la communion quand ils représentent la France. Claudel ne s’en prive jamais : à peine arrivé, à Hawaï, Los Angeles, Chicago ou Washington, il se met à la recherche d’une église pour entendre la messe et communier52. Certains, tels Claudel, Maritain et sans doute quelques autres, servent parfois la messe53. Il y a dans le personnel diplomatique, à Rome et Jérusalem, des membres du clergé qui servent de « conseillers ecclésiastiques ». Au moins un ambassadeur ex officio, cas exceptionnel au xxe siècle, célèbre lui-même la messe : le R.P. Louis de la Trinité, carme de son état, amiral de la Marine française, plus connu sous le nom de l’amiral Thierry d’Argenlieu, plénipotentiaire du général de Gaulle au Canada en 1941, dit quotidiennement la messe chez le général Georges Vanier, le futur ambassadeur officieux du Canada auprès de la France libre à Alger et ambassadeur du Canada à Paris54.
Anthropologie religieuse du diplomate
19Le diplomate souligne parfois combien sa mission de médiation revêt aussi une dimension religieuse. Dès 1603, dans son opuscule sobrement intitulé L’ambassadeur, Jean Hotman de Villiers précise que la personne de l’ambassadeur est « sainte, sacrée et inviolable ». Ce n’est pas seulement en historien que Jules Cambon rappelle combien « il est singulier de voir le nombre d’agents remarquables que sous l’ancienne monarchie l’Église a fournis à la diplomatie » : « Les plus grands lui appartenaient », ajoute-t-il même55. La situation d’éloignement et de solitude du diplomate rappelle celle du missionnaire ; les rapports qu’il rédige offrent une analogie avec les « relations » des Jésuites ; le « protocole » diplomatique est en soi, selon Jules Cambon, « une sorte de religion », « avec ses pratiques et ses mystères56 ». Le lexique dont il use, et qu’il faudrait analyser avec plus de précision, invite à l’élaboration d’une anthropologie religieuse, véhicule inconscient de la théologie : ce n’est pas un pays calviniste – sola fides ! – qui aurait appelé son service d’action culturelle le « Service des œuvres », qui évoque les « Œuvres pontificales missionnaires », chères au monde catholique. Les « œuvres françaises à l’étranger » sont-elles nées d’une matrice héritée d’un système lexical et institutionnel catholique ? Jean-Jules Jusserand rappelle également les « vertus religieuses » du « bon ambassadeur », qui est « retenu à promettre et religieux à observer ce qu’une fois il a promis, car naturellement on s’offense moins d’un refus que d’une perfidie57 ». Paul Claudel rédige une prière à la Vierge pour les diplomates : « Qu’elle me donne la force de supporter avec patience tout l’ennui qui m’attend, les conversations vaines et sottes que je dois apprendre à endurer comme ma croix spéciale58. » Selon Saint-Aulaire, pour qui « la France est à la fois fille aînée de l’Église et mère des révolutions », « la spécialité de la diplomatie, si elle existe, l’apparente plutôt à une religion qu’à un métier59 ». « Prêtre » et « missionnaire », le diplomate a pour saint patron, ni plus ni moins, l’ange Gabriel, celui qui porta l’annonce à Marie : le bon mot est passé depuis Claudel dans les lieux communs de l’esprit diplomatique. Le nonce Roncalli, saint Jean XXIII, a pour sa part coutume de prier le discret saint Joseph, « patron des diplomates », pour qu’il ait « spécialement [s] a lumière et [s] a protection60 ».
20Certains auteurs abusent de la métaphore et du champ lexical de la religion. Ainsi Saint-Aulaire, vétéran nostalgique d’une diplomatie traditionnelle, associe, non sans œcuménisme, le travail du diplomate à l’œuvre du bénédictin : « La liturgie de la copie à la plume était une excellente école pour les jeunes clercs, je veux dire les jeunes attachés. Cette liturgie les familiarisait avec le dogme, affermissait leur foi, exaltait leur ferveur61. » Il se présente lui-même comme « un ancien élève des Jésuites, et sans dissimuler cette tare, je fus initié aux mystères du culte [celui du Quai] par deux excellents huguenots, tous les deux, circonstance aggravante, fils de pasteurs protestants, Jean Goût et Maurice de Coppet ». Le même souligne enfin, dans un chapitre intitulé « Ad lucem per crucem », le « caractère quasi sacerdotal du diplomate, médiateur entre son pays et le monde » et loue la matrice catholique, plus apte selon lui à communiquer « le sens de l’universel et un certain conformisme salutaire ». Saint-Aulaire évoque encore la « sainteté des traités62 ». Raymond Brugère, qui appartient à la génération suivante de diplomates, partage au fond les présupposés de Saint-Aulaire, empruntant au passage à Claudel : « Un ambassadeur est un missionnaire. [...] Les agents placés hors du périmètre d’urgence, où tout le monde, dans le désordre, leur donne ordres et contre-ordres, sont plus que jamais livrés à eux-mêmes avec juste pour ressource celle du missionnaire, perdu dans le Grand Nord, qui, son travail d’évangélisation poursuivi, en est réduit à écrire chaque semaine... à la Sainte Vierge63. » Brugère poursuit en rappelant le livre posthume de Jean-Jules Jusserand, L’école des ambassadeurs, où étaient analysés les multiples traités « sur la matière des ambassadeurs, depuis le premier d’entre eux, l’archange Gabriel. » Pour conclure à son tour : « L’écrivain italien Barbaro, du xvie siècle, va plus loin, il veut que l’ambassadeur ait les mains et les yeux aussi purs que ceux du prêtre officiant à l’autel. Il y a beau temps que l’on a balayé tout cela. » Mais l’auteur d’ajouter cependant, comme Saint-Aulaire, que la pensée catholique, qui n’est rien d’autre, dans l’étymologie du moins, qu’une pensée de l’universel, est la meilleure des écoles de la diplomatie : « Nous avons pour notre part, du fait de notre formation catholique pénétrante suffisamment d’universalisme dans l’esprit pour concilier sans effort ce qui est dû à la collectivité humaine et ce que nous devons à nous-mêmes. »
21En 1934, Jusserand concluait L’école des ambassadeurs par une citation de l’Institutio Principis Christiani qu’Érasme avait composé pour détourner le prince chrétien, le jeune Charles-Quint en l’occurrence, de la guerre et lui rappeler les vertus fécondes du droit, de l’équité et de la civilité. À la fin des années 1960, Léon Noël publie les Conseils à un diplomate partant en mission par saint Pierre Fourier (Paris, Le Temps, 1968). Sorte de manuel de l’ambassadeur chrétien, l’ouvrage fut édité pour la première fois en 1645. Léon Noël, qui avait déjà publié les Conseils à un jeune Français entrant dans la diplomatie en 1948, réédite l’ouvrage de saint Pierre Fourier, sur la suggestion du pape Jean XXIII : « Tel qu’il est, l’opuscule que nous rééditons offre à tout diplomate, si étranger qu’il puisse être aux pratiques de la religion, voire à tout sentiment religieux, matière à d’utiles réflexions et d’excellentes maximes de conduite. » Léon Noël rappelle les « vertus chrétiennes » que tout diplomate, chrétien ou non, doit pratiquer : la vertu de patience – « ne pas s’assujettir à la hâte d’autrui », la vertu de sobriété et de tempérance, la pratique de l’examen de conscience professionnelle, la discrétion, une forme de dignité et de gravité recueillie, le sens de l’hospitalité, etc.
22Cette réflexion sur l’anthroplogie religieuse de la diplomatie a pour contrepoint l’image classique, fondée sur l’étymologie grecque, du « prêtre », à la fois « respectable » et « ambassadeur » : le prêtre comme médiateur de la grâce et de la miséricorde entre Dieu et les hommes. Ces analogies inscrivent le diplomate et le religieux au service d’un même office, celui de la paix, de la réconciliation et de la concorde, éclairant la manière dont certains fonctionnaires du Quai d’Orsay ont pu concevoir leur mission comme un apostolat au service de la paix. Mais ces « arts de la paix », que revendiquent les diplomates, ne sont parfois que l’art des relations entre États et ne sauraient cacher une diplomatie parfois belliciste stigmatisée par le président Wilson en 1917. Il faudrait envisager une histoire des cas de conscience diplomatiques, confrontés à un conflit entre le devoir de croyant et celui du poste.
Une diplomatie religieuse ?
23Les liens entre la diplomatie et la question religieuse se construisent jusque tard dans le xxe siècle sur le triple nœud de la culture, de la pratique et de l’anthropologie des diplomates. Peut-on pour autant parler de « diplomatie religieuse » ? Le sens de la formule serait à définir pour le xxe siècle. Son emploi n’est pas classique en histoire diplomatique et ne correspond naturellement pas à ce que l’histoire moderne qualifie de « diplomatie confessionnelle ». Pour reprendre la formule de Bertrand Haan, au xxe siècle, pas plus que sous François Ier du reste, l’appartenance confessionnelle ne fonde les soutiens et alliances de la France64. Comme le rappelait Jusserand au milieu des années 1930, on exigeait en 1600 que l’ambassadeur soit « en premier lieu un observateur et un zélateur de sa religion65 ». Au xxe siècle, le sens de l’État et de la diplomatie – « Français d’abord »– prime cependant sur l’identité religieuse. Le Quai apporte une aide, symbolique ou considérable selon le contexte et le lieu, aux missions catholiques et protestantes, à l’Alliance Israélite universelle, à la « mission laïque », aux Alliances françaises, etc. Il n’hésite pas à inviter et à entourer de ses sollicitations les dignitaires religieux, qu’ils s’agissent ici de quelques oulémas ou là de cardinaux étrangers. Le Quai est officiellement partie prenante au moment de la fondation de la société catholique des « Amis des missions », créée en 1924 sous le patronage de Mgr Dubois et de Mgr Baudrillart, et de MM. Gabriel Hanoteaux et Jules Cambon66. Le religieux, s’il est, parmi d’autres, un « instrument efficace » au service de la diplomatie culturelle au nom de la « francophonie » et des « intérêts français », ne se réduit pas cependant à ce rôle instrumental : l’on voit bien que la diplomatie française a puisé dans la matrice catholique une partie de sa culture, de son vocabulaire, de son fonctionnement et peut-être même, un temps, de sa légitimité extérieure. Mais on voit bien également, si l’on en croit le témoignage de Jean-Marie Soutou, que la contrepartie est une réelle méconnaissance politique des questions islamiques jusqu’au milieu des années 197067.
24Que vaut l’adage diffusé par Raymond Brugère dans son plaidoyer du métier diplomatique qui voudrait que la pensée partisane et idéologique, entendre ici la laïcité offensive, « si dangereuse à l’intérieur », ne s’exporte pas à l’étranger, puisque « l’Ambassadeur représente la nation, pas une fraction de nation68 » ? Jusqu’où la diplomatie religieuse est-elle pour le xxe siècle un reliquat de la période moderne ? Jusqu’où est-elle un trait hérité de l’éducation reçue par les enfants de « bonne famille » que furent les diplomates ? Est-elle un signe de la « Realpolitik » nécessaire à l’action culturelle ? S’agit-il, à l’étranger, de réconcilier « les deux France » ? Comment « la crise catholique » de la société française, telle que Denis Pelletier a pu la définir pour la fin des années 196069, a-t-elle eu des effets sur le terrain diplomatique ? Comment la diplomatie française entend-elle être laïque dans un monde qui l’est rarement ? Il faudrait enfin prolonger les analyses dans une triple direction : la question israélienne, dont il faudrait évaluer le pouvoir de discorde au sein du MAE ; la diplomatie de l’Union européenne, dont l’approche semble plus laïcisée, notamment à l’égard des rives sud et est de la Méditerranée ; et plus largement le poids renouvelé du fait religieux dans la diplomatie actuelle du Canada, des États-Unis ou même de l’Angleterre. Car la dimension comparatiste s’impose pour saisir, au-delà du seul cas français et de sa laïcité, somme toute, singulière, l’étendue des liens entre le fait religieux et l’action diplomatique, puisque ces deux paradigmes, dans leurs principes et leurs finalités, sont au service d’un même « art de la paix ».
Notes de bas de page
1 Robert Frank (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 407-435 ; Florian Michel, « Histoire religieuse et histoire des relations internationales à l’époque contemporaine : inclusion, subalternation, intégration ? », Corinne Bonafoux et Matthieu Brejon de Lavergnée (dir.), Autour du fait religieux. Nouvelles recherches en histoire contemporaine, Paris, Beauchesne, 2013, p. 127-140.
2 Laurent Fabius, « Religions et politique étrangère », dans Denis Lacorne, Justin Vaïsse, Jean-Paul Willaime, La diplomatie au défi des religions. Tensions, guerres, médiations, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 13, p. 19.
3 Serge Hutin, Les francs-maçons, Paris, Seuil, 1960, p. 176.
4 Jules Cambon, Le diplomate, Paris, Hachette, 1926, p. 73.
5 Isabelle Dasque, « La diplomatie française au lendemain de la Grande Guerre. Bastion d’une aristocratie au service de l’État ? », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 3/99, 2008, p. 33-49.
6 Formule d’Anastassios Anastassiadis, « Finis Graecia ! L’inexorable sortie des acteurs religieux du domaine de la diplomatie culturelle. Le Sud-Est européen dans l’entre-deux-guerres », dans Anne Dulphy, Robert Frank, Marie-Anne Matard-Bonucci, Pascal Ory (dir.), Les relations culturelles internationales au xxe siècle. De la diplomatie culturelle à l’acculturation, Bruxelles, PIE-Peter Lang (Enjeux internationaux), 2010, p. 49-57, p. 50.
7 Lire notamment Pierre Renouvin, « Les horizons diplomatiques », Claudel diplomate, Cahiers Paul Claudel, 4, Paris, Gallimard, 1962, p. 31-47.
8 Voir ainsi la Notice sur la vie et les travaux de Jean Laloy (1912-1994), de Claude Dulong-Sainteny, Paris, Palais de l’Institut, 1996 ; Jean-Marie Soutou, Un diplomate engagé. Mémoires 1939-1979, Paris, De Fallois, 2011, p. 40-52, p. 210-211.
9 Jean-Michel Cadiot, Francisque Gay et les démocrates d’inspiration chrétienne, 1885-1963, Paris, Salvator, 2006.
10 Hervé Ladsous, ancien ambassadeur de France en Chine, « Préface », dans Corinne de Ménonville, Les aventuriers de Dieu et de la République : consuls et missionnaires en Chine (1844-1937), Paris, Les Indes savantes, 2007, p. 8 : « Ce travail met en avant l’un des paradoxes de notre propre histoire : alors qu’en métropole les religieux sont pourchassés, en Chine la République soutient ces mêmes religieux. »
11 Patrick Cabanel et Jean-Dominique Durand (dir.), Le grand exil des congrégations religieuses françaises, 1901-1914, Paris, Cerf, 2005.
12 Louis Dollot, Les relations culturelles internationales, Paris, PUF, 1968 [1964], p. 37.
13 Anastassios Anastassiadis, « Finis Graecia ! », art. cité, p. 53 : « Ce type de diplomatie culturelle, qui connut son apogée au lendemain de la Première Guerre mondiale, rentra alors dans un cercle de crise qui le conduisit à la quasi-disparition juste avant le début de la Seconde Guerre. » Cet article, remarquable par ses analyses et sa vigueur, a le mérite de poser de judicieuses questions. Le dépassement de « la diplomatie religieuse » par la « question universitaire » (p. 56) pourrait bien cependant négliger le fait que les universités, dans les Amériques comme au Moyen-Orient, sont également assez souvent religieuses, montrant seulement un déplacement et un affinement du procédé.
14 Voir notamment les journées d’études « Religions, Églises et diplomatie dans les mondes modernes », organisées en Sorbonne, au printemps 2012, sous la direction de Lucien Bély et Alain Talllon.
15 Bertrand Haan, « L’expérience d’une diplomatie confessionnelle. Les débuts de la politique française de Philippe II », Revue d’histoire diplomatique, 3, 2004, p. 205-222 ; Albane Pialoux, « Rome, théâtre des relations diplomatiques au xviiie siècle », Revue d’histoire diplomatique, 3, 2004, p. 251-280.
16 Albert Salon, L’action culturelle de la France, thèse de doctorat d’État, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1981, tome I, p. 140. L’auteur cite une formule du ministre Delcassé de 1905, où ce dernier défendait avec passion les congrégations missionnaires comme « instrument efficace de l’influence française. »
17 Voir ainsi aux archives du ministère des Affaires étrangères à La Courneuve, les « Papiers Louis Canet » (194PAAP). Le fonds de Louis Canet, conseiller d’État, conseiller technique pour les affaires religieuses auprès du ministère des Affaires étrangères (1921-1946), a été inventorié par Bruno Neveu en 1967.
18 Maurice Barrés, Faut-il autoriser les congrégations ?, Paris, Plon, 1924, p. 35.
19 Stéphanie Le Bars, « Bernard Kouchner vient de créer un pôle religions au Quai d’Orsay, une première en France », Le Monde, 25 juillet 2009 ; Jean-Marie Guénois, « Joseph Maïla, le “M. Religion” du Quai d’Orsay », Le Figaro, 10 octobre 2009.
20 Raymond Brugère, Noblesse et rigueur du métier diplomatique, Alfort, Manuscrit, 1962, p. 60.
21 Stanislas leannesson, Jacques Seydoux, diplomate (1870-1929), Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2012, p. 24, p. 29.
22 Raphaëlle Ulrich-Pier, René Massigli (1888-1988), une vie de diplomate, Bruxelles, Peter Lang, 2006.
23 Colette Barbier de Bonnay, Henri Hoppenot diplomate (1891-1977), Bruxelles, Peter Lang, 1999, p. XX-XXIII.
24 Yves Denechère, Jean Herbette (1878-1960), Journaliste et ambassadeur, Bruxelles, Peter Lang, 2003, p. 3 : « La dynastie Herbette est administrative et diplomatique : l’oncle de Jean, Jules, et ses cousins Maurice Herbette et Henri Alizé, sont tous trois ambassadeurs. » Le père de Jean Herbette, conseiller d’État, est franc-maçon et libre-penseur. Jean Herbette a lui-même une réputation de voltairianisme et d’anticléricalisme (p. 21).
25 David Bobin, « Pétain, Giraud ou de Gaulle ? Le personnel diplomatique face aux choix, 1940 et 1944 », Revue d’histoire diplomatique, 2, 2008, p. 97-115. Marc-Olivier Baruch, Servir l’Étatfrançais, L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997, annexe VII.
26 Voir la correspondance échangée entre Jacques Maritain et Jean Marx, publiée dans les Cahiers Jacques Maritain, 59, décembre 2009, p. 39-57.
27 Raymond de Sainte-Suzanne, Une politique étrangère. Le Quai d’Orsay et Saint-John Perse à l’épreuve d’un regard, novembre 1938-juin 1940, Paris, Viviane Hamy, 2000, p. 22.
28 Saint-John Perse, Lettres d’Asie, dans Œuvres complètes, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1972, p. 835.
29 Lire notamment sa notice nécrologique dans la Revue d’histoire des colonies, 1953,40/140- 141, p. 1-4.
30 Voir les Fonds du Service des œuvres françaises à l’étranger, 417Q059, MAE, La Courneuve.
31 Bertrand de Margerie s. j., Ambassadeur du Christ, autobiographie, Paris, François-Xavier de Guibert, 1997, p. 16 : « Je savais qu’il était incroyant, victime du modernisme de Loisy, avec lequel il s’était entretenu durant sa propre adolescence. [...] Venant d’une famille catholique, fils d’un père croyant, ce ne fut certainement pas sans quelque déchirement que mon père s’éloigna de la foi. »
32 Yves Beauvois, Léon Noël. De Laval à de Gaulle via Pétain, 1888-1987, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 37-61.
33 Pierre de Menthon, Je témoigne. Québec 1967, Chili 1973, Paris, Cerf, 1979. L’auteur, consul général à Québec, ambassadeur à Santiago du Chili, évoque (p. 10) les racines principales de sa vie de diplomate : « l’influence catholique, traditionnelle et profonde dans notre famille ; l’attirance de la politique, celle-ci républicaine et libérale chez mon père [...] ; mon frère aîné, l’un des fondateurs du MRP ». Lire aussi p. 39-40.
34 Claude Dulong-Sainteny, Notice sur la vie..., op. cit., p. 16.
35 Laurent Villate, La République des diplomates. Paul et Jules Cambon, 1843-1935, Science Infuse, Paris, 2002, p. 44-46.
36 André de Laboulaye, « Philippe Berthelot tel que je l’ai connu », Cahiers Paul Claudel, 4, op. cit., p. 332-342.
37 Ibid., p. 341.
38 Jean-Jules Jusserand, L’école des ambassadeurs, Paris, Plon, 1934, p. 55.
39 Élisée et Onésime Reclus, L’Empire du Milieu, Hachette, Paris, 1902, p. 103-104.
40 François Charles-Roux, Souvenirs diplomatiques d’un âge révolu, 1902-1914, Paris, Fayard, 1956, p. 8, p. 18.
41 Ibid., p. 49.
42 Édouard Clavery, Jean Doulcet, ambassadeur de France (1865-1928), Paris, Laborey, 1932 : « Le 27 février 1928, la paroisse de Palaiseau fit à Jean Doulcet – son bienfaiteur éprouvé – des funérailles simples et dignes. L’annonce, par les journaux, de l’inhumation de l’ambassadeur avait réuni à Palaiseau une assistance d’élite qui trouva place avec peine dans la nef de la petite église. La population avait envahi les bas-côtés et les chapelles. Autour de la famille se pressaient les représentants du Gouvernement et les membres du corps diplomatique. Tous les regards se portaient vers le chœur où se tenaient le cardinal de Paris, le nonce apostolique et l’évêque de Versailles qui avaient voulu, en prenant part à la cérémonie, témoigner de leur haute et affectueuse estime pour l’ambassadeur. »
43 Jean Mouton, Journal de Roumanie, 29 août 1939-19 mars 1946. La IIe Guerre mondiale vue de l’Est, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1991. Jean Mouton, alors directeur adjoint de l’Institut français de Bucarest, note dans son journal le 10 mai 1940 : « Je vois Mgr Ghika ; à sa messe, il invoque tous les saints de France (et ils sont nombreux, me dit-il). Je ne sais si ce n’est pas dans ces jours de mai 1940 que l’idée d’une France, considérée comme une nation privilégiée avec une vocation morale et religieuse toute particulière, s’est brisée » (p. 26). En date du 7 juin 1940, on lit : « Ce matin, Mgr Ghika a dit sa messe à 7 h 30 pour la France. Beaucoup était venus : presque toute l’Ambassade, les militaires, Edmond Bernard, les Lassaigne, Doïna, Mme Nasta, Madeleine, Mme Gafenco, etc. » (p. 29).
44 François Charles-Roux, Souvenirs diplomatiques..., op. cit., p. 66 : « Le Vendredi saint, il était de tradition que les chefs de missions diplomatiques et leur personnel, quand ils étaient catholiques, se rendissent en uniforme à l’office dans la chapelle de l’ordre de Malte et procédassent à l’adoration de la Croix. Un grand Crucifix était déposé à même le sol, dans le chœur, et chacun à tour de rôle allait mettre devant lui le genou en terre et baiser le Christ en cuivre. »
45 Gaston Palewski, Hier et aujourd’hui, 1974, Paris, Plon, 1975, p. 309-311. L’ancien ambassadeur de France à Rome évoque les « Noëls d’hier » : dans la chapelle de son château, avec le P. Fouquet, un père blanc, ancien FFL ; avant la guerre, la messe de minuit avec Paul Reynaud à Sainte-Clotilde ; pendant la guerre, la messe de minuit en Éthiopie, avec le capitaine Defosse, père du Saint-Esprit, qui dressait son autel portatif « sur je ne sais quel affût d’obusier » ; après la guerre, la messe de minuit à Rome : « Nous nous rendions à notre vieille église de Saint-Louis-des-Français pour entendre la parole ardente de Mgr Baron au milieu des marbres un peu tapageurs d’un chœur baroque. »
46 Bertrand de Margerie s.j., Ambassadeur du Christ, op. cit., p. 29 : « Il y avait périodiquement (le 11 novembre par exemple) des messes auxquelles étaient présentes toutes les autorités (mon père en tête) de la colonie française [de Shanghai où son père a été affecté comme consul en 1940], Nul, parmi elles, n’y communiait. Au début, je n’osais pas enfreindre ce tabou, non de droit, mais de fait. »
47 Saint-John Perse, Lettres d’Asie, op. cit., 1972, p. 835.
48 François Charles-Roux, Huit ans au Vatican, 1932-1940, Paris, Flammarion, 1947, p. 339- 340 : « Le dimanche suivant, à Saint-Louis-des-Français, mon collègue François-Poncet et moi, occupions nos places en tête de la nef, accompagnés chacun de tout notre personnel. »
49 François Charles-Roux, Souvenirs diplomatiques..., op. cit., 1956, p. 195-197.
50 Raphaële Ulrich-Pier, RenéMassigli..., op. cit., 2006, p. 529.
51 Bertrand de Margerie, Ambassadeur du Christ, op. cit., 1997, p. 29.
52 Paul Claudel, Journal, I, Cahier VI, mars-avril 1927, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1968, p. 762-769.
53 Ibid., p. 768. Bertrand de Margerie, Ambassadeur du Christ, op. cit., 1997, p. 39.
54 Élisabeth de Miribel, La liberté souffre violence, Paris, Plon, 1981, p. 73 : « Les journées commençaient par la messe célébrée par le père d’Argenlieu, Georges et Pauline Vanier y assistaient avec moi. »
55 Jules Cambon, Le diplomate, op. cit., p. 73.
56 Ibid., p. 82. Paul Claudel emploie le même vocabulaire : « Le vieux Quai d’Orsay », Claudel Diplomate, op. cit., p. 64-65.
57 Jean-Jules Jusserand, L’école des ambassadeurs, op. cit., p. 53.
58 Paul Claudel, Journal, I, op. cit., p. 764.
59 Comte de Saint-Aulaire, Confessions d’un vieux diplomate, Paris, Flammarion, 1953, p. 776- 777, p. 14.
60 Jean XXIII, Journal de l’âme. Dans le secret des jours d’un pape, Paris, Cerf, 2014, p. 420.
61 Comte de Saint-Aulaire, Je suis diplomate, Paris, Conquistador, 1954, p. 15.
62 Saint-Aulaire, Confessions..., op. cit., 1952, p. 776-777.
63 Raymond Brugère, Noblesse et rigueur, op. cit., p. 24. Claudel a des formules semblables pour qualifier le diplomate – « Quelques réflexions sur le métier diplomatique », dans Claudel Diplomate, op. cit., p. 76 : « Ainsi le missionnaire abandonné sur un îlot perdu du Pacifique qui écrit chaque semaine une lettre à la Sainte Vierge ! »
64 Bertrand Haan, « L’expérience d’une diplomatie... », art. cité. L’auteur cite en introduction de son article les recommandations d’un proche du cardinal de Lorraine : « Un prince catholique doit avoir pour amis tous les catholiques de tous les pays, comme ceux qui sont hérétiques ont pour amis et sujets tous les hérétiques, qu’ils soient ses vassaux ou ceux d’un autre. »
65 Jean-Jules Jusserand, L’école des ambassadeurs, op. cit., 1934, p. 54.
66 « Pour les missions françaises », Revue des deux mondes, Paris, mai-juin 1924. Voir encore « Les missionnaires français devant le Parlement », Revue des deux mondes, Paris, novembre-décembre 1928, p. 565-583 ; « Les missions en détresse », Revue des deux mondes, Paris, mars-avril 1929.
67 Jean-Marie Soutou, Un diplomate engagé, op. cit., p. 485-487 : « Je ne mesurais pas tellement, car, en fin de compte, m’étaient fermés des secteurs entiers de la société algérienne, l’importance de ce que les spécialistes appellent “la bourgeoisie pieuseï [...] Nous n’imaginions pas que la jeunesse fournirait aux oulémas et autres prédicateurs de mosquée les forces nécessaires à la tentative de conquête du pouvoir. [...] Nous ne décelions pas les dangers islamistes. » J.-M. Soutou est ambassadeur de France à Alger de 1971 à 1975. Une photographie – à hauteur de la page 209 –, qui représente la réception à l’ambassade de France le 12 avril 1975, montre assis côte à côte le président Boumediene, V. Giscard d’Estaing, le cardinal Duval, archevêque d’Alger, et Jean-Marie Soutou.
68 Raymond Brugère, Noblesse et rigueur, op. cit., p. 58 : « Du moment que l’on représente la France, on est tenu de s’abstenir de tout acte, de toute déclaration qui puisse être interprété comme relevant d’une pensée partisane. La puissance de l’esprit de parti a sur le plan intérieur été assez dangereusement révélée pour qu’il lui soit fait barrage à l’extérieur. L’idéologie n’est pas un article d’exportation. »
69 Denis Pelletier, La crise catholique, Paris, Payot, 2002.
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- (2018) Experts et expertises en diplomatie. DOI: 10.4000/books.pur.167946
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