L’imagerie politique dans les manuscrits supervisés par Laurent de Premierfait
Political Imagery in Manuscripts Supervised by Laurent de Premierfait
p. 191-207
Résumés
Laurent de Premierfait, secrétaire et clerc de Louis de Bourbon, Jean de Berry et Louis de Guyenne, était un humaniste et traducteur renommé, dont les traductions étaient dotées de cycles visuels, conçus comme guide à l’interprétation du texte. Cet article prend en considération l’interprétation visuelle suggérée par les images de la destruction de Jérusalem de la version française de Laurent du De casibus virorum illustrium de Boccace, intitulée Des cas des nobles hommes et femmes, terminée en 1409-1410. L’analyse de la mise en page des images et de leurs textes, et leur mise en relation avec la représentation littéraire et visuelle contemporaine de la destruction de Jérusalem suggèrent que les enluminures du manuscrit pris en considération – le Des cas – avaient été conçues de manière à encourager Jean de Berry à les contempler à la fois comme illustration de l’histoire du passé et comme commentaire sur les événements contemporains pendant la guerre civile française.
Laurent de Premierfait, secretary and clerk to Louis of Bourbon, John of Berry and Louis of Guienne, was a noted humanist and translator whose translations were densely illuminated with images designed to guide interpretation of the text. This article considers the visual interpretation fostered by images of the destruction of Jerusalem in Laurent’s revised translation of Boccaccio, Des cas des nobles hommes et femmes in 1409–1410. Examining the mise en page of the images and their texts in relation to contemporary literary and visual representations of Jerusalem’s destruction, it suggests that the illuminations in the Des cas were designed to encourage John of Berry to contemplate them both as illustrations of past history and as commentaries on contemporary events like the French civil war.
Texte intégral
1Laurent de Premierfait, déjà reconnu en son temps comme un poète latin de premier plan, a acquis plus récemment une autre dimension : il a trouvé toute sa place parmi les principaux représentants du mouvement humaniste français de l’époque de Charles VI. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il n’est pas inutile de rappeler très brièvement quelques étapes de la vie et de l’activité littéraire de ce personnage.
2Aux alentours de 1398, après un séjour de quelques années en Avignon, il s’établit à Paris. Son arrivée dans la capitale lui permet d’entrer dans un cercle d’humanistes qu’il avait connus grâce à ses amis avignonnais ou rencontrés personnellement au cours de missions diplomatiques dans la ville pontificale : les notaires et secrétaires Pierre et Gontier Col, Jean de Montreuil, et Nicolas de Clamanges. Vers 1400, on le trouve comme notaire publici auctoritate apostolica et imperiali. En 1402, il est membre de la maison de Jean Bertaut, l’un des secrétaires particuliers du roi Charles VI. Vers 1405, il dit être clerc du duc Louis de Bourbon ; il serait en même temps secrétaire du duc Jean de Berry et du dauphin Louis de Guyenne, fils et héritier du roi Charles VI, de 1408 à 1410 environ. Pendant plus de quatre ans, de 1411 à 1415, et en 1416 encore – tout en s’adonnant à son travail de traducteur pour le duc de Berry – il est pris en charge par Bureau de Dammartin, riche changeur et trésorier de France. Il meurt en 1418, probablement emporté par l’une de ces fréquentes épidémies qui sévissaient à Paris et dont avait été victime, deux ans auparavant, Jean de Berry.
3Grâce aux recherches – entre autres celles de Carla Bozzolo – sur ce poète traducteur, ses relations nous sont bien connues, tout comme les livres, offerts en cadeau par de riches commanditaires, qu’il avait préparés pour le duc de Berry, pour d’autres princes du sang et pour des personnalités parisiennes1. Laurent de Premierfait, qui était surtout connu comme traducteur de Boccace et de Cicéron, s’est révélé être l’auteur de commentaires en latin de Térence et de Stace, de remaniements et adaptations de Tite-Live et du Pseudo-Aristote2.
4Dans les tout premiers manuscrits des commentaires et des traductions de Laurent, on ne peut qu’être frappé par le grand nombre d’enluminures, ainsi que par le recours à des cycles nouveaux d’illustrations. De plus, comme tous ces manuscrits, très élégants sur le plan visuel, ont été produits entre 1405 et 1416/1418 par les scribes qui ont écrit les premiers exemplaires des textes de Laurent, il est probable que sa production en matière de livres de présentation a été dirigée par un libraire, ou par lui-même, ou par l’un de ses proches collaborateurs3. Tous ces manuscrits furent agencés avec soin dans le but d’encourager leurs lecteurs à étudier les images et à les interpréter grâce au texte qu’elles accompagnaient. Dans certains cas, les enluminures aidaient aussi à interpréter les textes, à la lumière des événements politiques parisiens de ce début du xve siècle.
5Comme exemple d’adaptation des données tant visuelles que politiques, je me propose de prendre le manuscrit de la traduction, révisée par Laurent, du De casibus virorum illustrium de Boccace, intitulée Des cas des nobles hommes et femmes (Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 190/1-2). Ce manuscrit fut présenté au duc Jean de Berry par Martin Gouge aux étrennes de 1411. Mon analyse – qui reprend un travail déjà publié – amène à penser que la réception de Boccace par le duc Jean de Berry pourrait avoir été conditionnée à la fois par le climat tendu de l’époque et par la culture visuelle contemporaine, comme en témoignent les autres manuscrits enluminés de la bibliothèque du duc4.
6La collaboration de Laurent au marché parisien du livre (à partir de 1405 environ et jusqu’à sa mort en 1418) paraît évidente pour les manuscrits, de plus en plus élaborés, qui utilisaient des procédés de « rhétorique » visuelle pour mieux transposer, à l’usage des lecteurs français du xve siècle, toute la signification de livres portant sur d’autres temps et d’autres lieux. L’une des pratiques les plus employées par Laurent a été l’amplification, pratique qu’il explique dans son prologue de traducteur du Des cas des nobles hommes et femmes. Pour rendre Boccace accessible à ses lecteurs, explique-t-il, il lui faut amplifier le texte en utilisant des données supplémentaires, tout en restant fidèle au sens donné par l’auteur5. L’amplification visuelle fonctionne de façon comparable : elle agrandit une histoire relatée dans un chapitre, mais associe également, dans les enluminures, les deux chapitres suivants. Il fait ici appel à diverses traditions artistiques ainsi qu’aux « divers historians » qu’il mentionne dans son prologue, en tant que sources textuelles. Une telle amplification visuelle reste rare pour le Des cas offert à Jean de Berry : huit fois seulement dans ce manuscrit de présentation6. Sept sur huit de ces amplifications visuelles se retrouvent dans d’autres livres du duc de Berry ainsi que dans un manuscrit jumeau réalisé pour le duc Jean sans Peur (Paris, bibliothèque de l’Arsenal, ms. 5193). Une seule amplification est répétée dans trois autres exemplaires contemporains du Des cas.
7En rallongeant l’histoire afin d’associer deux enluminures pour ainsi dire séquentielles, l’amplification visuelle invite le lecteur à faire une pause pour se concentrer sur chaque histoire et sur son enseignement moral. Ces amplifications visuelles vont souvent au-delà du texte de Boccace. Ainsi, on pourrait envisager que, regardant des enluminures dans d’autres manuscrits de sa collection, le duc de Berry ait été amené à mettre en « dialogue » des textes similaires avec le Des cas de Laurent. De plus, l’illustration de certains sujets des textes politiques français à la mode au xve siècle était susceptible d’évoquer, pour les lecteurs, les préoccupations du moment et leur permettait de surajouter leur vécu personnel aux sujets historiques narrés dans les textes.
8Les deux phénomènes décrits sont à l’œuvre dans l’amplification, par le texte et l’image, de la destruction de Jérusalem. Insérée dans les chapitres 8 et 9 du livre 7 du Des cas de Jean de Berry, cette amplification est la plus dramatique et la seule qui aura une postérité.
9Dans cet exemplaire, toutes les enluminures, sauf une, sont disposées sur la largeur d’une colonne. Ces images reproduisent un ensemble d’histoires – bibliques, anciennes et médiévales – retenues par Boccace : à partir d’Adam et Ève, elles vont jusqu’à Jean le Bon – père de Jean de Berry – représenté dans la dernière enluminure du manuscrit au moment où il fut conduit en Angleterre après sa capture à Poitiers en 1356 (figure 1).
Fig. 1 — « Jean le Bon, prisonnier des Anglais après Poitiers », livre 9, chapitre 27 de Boccace, Des cas des nobles hommes et femmes, Genève, Bibliothèque de Genève, ms. 190/2, fol. 188.

10La destruction de Jérusalem fait exception à cette règle : l’importance du récit et l’image qui l’accompagne rallongent l’histoire jusqu’au chapitre suivant, et l’amplifient. Dans le registre supérieur de la destruction (figure 2), l’empereur Titus et son armée abattent les murs de Jérusalem, renversent leurs adversaires juifs, mettent le feu à la ville et chassent la population juive, hommes, femmes et enfants, hors des portes de la ville. Dans le registre inférieur, Titus, trônant en majesté, surveille la vente des survivants juifs aux Sarrasins qui les conduisent à droite. Ce qui nous frappe dans les deux enluminures de la destruction de Jérusalem, c’est que les Romains et les Sarrasins portent certains éléments de costume – turbans, chapeaux pointus, écharpes nouées autour des bras ou de la taille – qui, dans les enluminures françaises du début du xve siècle, sont d’habitude associés à des personnages appartenant à des temps anciens ou des lieux éloignés7. Les juifs, en revanche, sont vêtus d’habits communément portés en France à l’époque. Il semblerait alors que les choix vestimentaires de la grande image initiale font ressembler les juifs aux Français contemporains plus qu’aux anciens Romains ou Sarrasins.
Fig. 2 — « Siège de Jérusalem par Titus. Les Juifs vendus aux Saracens », livre 7, chapitre 8 de Boccace, Des cas des nobles hommes et femmes, Genève, Bibliothèque de Genève, ms. 190/2, fol. 96v.

11La deuxième scène d’amplification visuelle (figure 3) complique cette lecture plutôt positive des juifs, en présentant un moment de l’histoire qui précéda la chute de Jérusalem. Il s’agit d’une noble dame juive appelée Marie qui, mourant de faim pendant le siège, fit cuire son enfant et le mangea. Quand ses compatriotes juifs apprirent ce qu’elle avait fait, ils perdirent courage et Jérusalem capitula devant Titus. L’enluminure représente la désolation que l’acte de Marie a semée : deux hommes, attirés par l’odeur de la viande cuite, reculent d’horreur en découvrant la femme qui rôtit et dévore son enfant. L’enluminure affiche aussi une inversion des rôles sociaux attribués à Marie : elle fait la cuisine assise près de la cheminée, mais elle est vêtue d’une robe doublée d’hermine.
Fig. 3 — « Marie, une femme juif, rôtis et mange son enfant », livre 7, chapitre 9 de Boccace, Des cas des nobles hommes et femmes, Genève, Bibliothèque de Genève, ms. 190/I2, fol. 101.

12Ces images de la destruction de Jérusalem et du cannibalisme de Marie rendent plus fort le texte de Boccace révisé par Laurent8. Son récit de la Destruction, au chapitre 8 de sa première traduction en 1400, est très fidèle au latin de Boccace, mais sa révision amplifiée de l’épisode en 1409-1410 développe certains aspects du texte. Par exemple, dans la section se rapportant à ces images, ses ajouts éditoriaux conduisent, de façon plus explicite, à identifier dans le cannibalisme de Marie le facteur qui a démoralisé les juifs et endurci les Romains, et qui, de ce fait, a accéléré la destruction de Jérusalem9. L’amplification de Laurent au chapitre 8 décrit en plus grand détail le châtiment ultime des juifs – la destruction de Jérusalem et la vente des survivants, réduits en servitude –, châtiment illustré dans l’enluminure de ce chapitre. Laurent ajoute aussi une nouvelle note morale à l’usage des lecteurs chrétiens contemporains. Il prévient que l’exemple de la chute des juifs bibliques doit leur inspirer la crainte de l’éventualité d’un tel revers de fortune. Les chrétiens se détourneraient de Dieu pour vénérer le monde, la chair, et le diable. Plutôt que de crucifier une seule fois le Christ, comme l’ont fait les juifs, ils le crucifieraient 100 000 fois par leurs péchés10.
13Même si le texte du chapitre 9, illustré par le cannibalisme de Marie, fut à peine remanié, la révision de Laurent aiguisa sans doute des associations et des inversions entre les juifs et le Christ, et entre Marie et Marie mère du Christ. Rappelant que les juifs furent punis à cause de leur complicité dans la mort du Christ, elle entrelace leurs souffrances au cours du siège avec celles de la Passion du Christ et explicite plus clairement les rapports inversés entre la matrone juive Marie et la vierge Marie11. À la fin du chapitre, Laurent introduit une nouvelle conclusion qui vient renforcer les toutes premières paroles des deux versions de sa traduction, en rappelant que c’est Dieu qui inspira à l’empereur Titus l’idée d’exercer sa vengeance sur les juifs12.
14Les deux représentations de la destruction de Jérusalem et du cannibalisme de Marie, peintes par les artistes dans le manuscrit de présentation du Des cas destiné à Jean de Berry, diffèrent sur des points précis de la plupart des enluminures historiques sur ce sujet, telles qu’elles sont contenues dans les manuscrits en traduction française disponibles à Paris dans les collections royales et ducales. Les enluminures relatives à ces deux sujets étaient contenues dans les traductions des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe par Jacques Daudet et dans les textes dérivés de Josephus, à savoir le Polycratique de Jean de Salisbury traduit par Denis Foulechat, la traduction par Jean de Vignay du Miroir historiale de Vincent de Beauvais et La Légende dorée de Jacques de Voragine13. Ces textes enluminés se focalisaient sur les événements de la destruction de Jérusalem, mais sans les inversions explicites des juifs au Christ, ou de Marie à la vierge Marie contenues dans les images du Des cas.
15Pour la plupart, ces manuscrits présentent des sections du texte consacrées aux événements de l’époque de la destruction de Jérusalem par une seule image. C’est le cas de l’exemplaire de Jean de Berry des Antiquités judaïques (figure 4), où l’illustration préliminaire au livre 2 représente un prisonnier conduit en présence de l’empereur Titus pendant que Jérusalem brûle, ou encore dans la première image du livre 2 de l’exemplaire de Charles V du Polycratique (figure 5), où les juifs fuient le massacre qui sévit à Jérusalem. Or, le chapitre des Antiquités judaïques qui constitue la source de l’histoire de Marie et le chapitre du Polycratique qui en dérive, ne sont pas illustrés dans ces manuscrits. En revanche, l’introduction au Livre 11 du Miroir historial suggère l’idée, développée plus tard et de façon plus explicite dans les traductions du De casibus par Laurent, que la destruction de la ville a puni la crucifixion du Christ. Le Livre 11 est présenté comme une série de récits sur les empereurs romains à partir de l’empereur Vespasien « sous lequel les iuifs de jerusalem furent destruiz en vengeance de la mort nostre seigneur14 ». Le texte du Miroir historial, comme d’autres qui se réfèrent à Josèphe, ne présente pas de gloses sur l’histoire, ne fait allusion ni au Christ ni à Marie, et ne comprend pas d’images venant appuyer de telles gloses.
Fig. 4 — « Un prisonnier presenté à l’Empereur pendant la destruction de Jérusalem », livre 2 de Flavius Josèphe, Les Antiquitiés judaïques, Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 6466, fol. 389.

Fig. 5 — « Les juifs fuient le massacre à Jérusalem », livre 2 de Jean de Salisbury, Policratique, Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 24287, fol. 31v.

16Alors que les manuscrits du Miroir historial comportent plusieurs enluminures sur Jérusalem, l’image du cannibalisme de Marie suit immédiatement celle où les soldats tuent les juifs qui avaient dévoré de l’or pour le cacher, comme dans l’exemplaire de Jean de Berry de 1370-1380 environ (figures 6-7). Cette séquence ressemble à celle du Des cas, mais elle apparaît dans un cadre visuel élargi qui comprend deux portraits, celui de l’empereur puis celui de l’auteur, et n’illustre pas la destruction15. Il est remarquable que la scène qui met en présence Marie et les deux hommes dans le Miroir historial appartenant à Jean de Berry paraît aussi dans le Des cas (figures 3 et 7). Cependant, l’image qui en est donnée souligne avec force l’identité de Marie, sa noblesse et sa déchéance. Elle porte un bourrelet sur la tête et une robe à manches doublées d’hermine, mais elle est assise près de la cheminée et fait la cuisine comme une servante. L’absence de causalité implicite dans ces enluminures tirées du Miroir historial contraste avec la destruction de Jérusalem, amplifiée dans le Des cas de Jean de Berry, qui contient la vente des juifs et le cannibalisme de Marie, deux scènes qui justement – nous l’avons dit – sont associées dans le texte au Christ et à la vierge Marie.
Fig. 6 — « Les Romains commence le siège de Jérusalem », Vincent de Beauvais, Miroir historial, Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. NAF 15941, fol. 1v.

Fig. 7 — « Les soldats tuent les hommes juifs pour récupérer l’or » ; « Marie offre les restes de son enfant à deux hommes », Vincent de Beauvais, Miroir historial, Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. NAF 15941, fol. 2.

17Ces comparaisons suggèrent que l’histoire de la destruction de Jérusalem et celle du cannibalisme de Marie reflètent un contexte et une vision « à la française » qui étaient presque aussi familiers à Jean de Berry et aux artistes parisiens qu’à Laurent lorsqu’il traduisait Boccace. Le Des cas se caractérise par la dimension énorme et unique que prend la destruction de Jérusalem, l’insistance sur la mise en vente des juifs, la juxtaposition exclusive avec le cannibalisme de Marie, et sa place, enfin, au cœur du manuscrit, invitant ainsi les lecteurs à considérer ces événements à la manière d’un frontispice qui aurait été placé à l’intérieur du volume. Cette fonction de frontispice assumée par une histoire visuellement amplifiée s’est révélée unique et elle ne fut imitée que brièvement, dans les exemplaires du Des cas produits entre 1410-1415 environ16.
18Le frontispice intérieur inhabituel du Des cas doit sans doute avoir attiré l’attention et incité ses lecteurs à repérer les images qui les intéressaient le plus, dans une version des histoires qui les présentaient, peut-être, dans un ordre différent. L’histoire de la destruction de Jérusalem, pour ce qui est de sa complémentarité avec l’histoire de Marie et sa moralité, pouvait fonctionner de manière autonome pour les chrétiens contemporains et, dans ce cas, ajouter un autre niveau à l’amplification textuelle de Laurent. Sous l’optique nouvelle de la politique contemporaine, elle pouvait aussi encourager les spectateurs à l’interpréter comme une référence à la guerre civile en France.
19La guerre civile qui opposa le parti des Armagnacs à celui des Bourguignons après l’assassinat de Louis d’Orléans en 1407, éclata au moment même où Laurent écrivait le prologue de sa traduction et alors qu’étaient en préparation les manuscrits jumeaux destinés aux deux adversaires, le duc de Berry et le duc de Bourgogne17. Tout autant que Jean de Berry, il est probable que, à l’instar de Laurent, de nobles Parisiens ressentaient les troubles politiques contemporains comme très comparables aux agitations qui secouèrent Jérusalem avant sa destruction. Dans ce climat, le grand intérêt porté à l’histoire romaine devint évident18.
20Pour prendre un exemple, Pierre Salmon, notaire royal et secrétaire, écrivit en 1410 une lettre au roi Charles VI, conservée dans Les dialogues de Salmon et Charles VI (Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 165). Rédigée au moment où Laurent révisait le Des cas, cette lettre nous fait voir de façon concise l’impact des vicissitudes de la ville de Jérusalem et de la politique de la France sur l’écriture à la cour. Salmon associe explicitement la lamentation de la chute de Jérusalem à la désolation du royaume en proie à la guerre civile19. Vers la fin de sa missive, Salmon change d’approche : s’étant d’abord adressé au roi, il interpelle directement les princes du sang, leur demandant de s’unir pour le bien de la maison royale20. Tout en étant destinée au roi et à sa cour, la lettre prend un ton plus acéré lorsqu’elle compare les malheurs de Jérusalem à ceux de la France du xve siècle, et la rubrique sert d’introduction aux « douleureux debas et piteables descors qui ia estoient meuz entre nos seigneurs du sang royal21 ». Ce noble public, divisé par la guerre civile, est probablement le même que celui auquel s’adressait le Des cas des nobles hommes et femmes, à commencer par Jean de Berry et Jean sans Peur.
21Le récit de la destruction de Jérusalem en tant qu’écho de la politique de la France du xve siècle a sûrement dû atteindre un public encore plus large que la lettre de Salmon. Avant 1415, Eustache Marcadé nous en offre un exemple. Ce personnage – rappelons-le – fut l’un des vingt-quatre ministres de la Cour amoureuse dite de Charles VI, institution politico-chevaleresque, où siégèrent au même moment en tant que conservateurs les ducs Jean de Berry et Jean sans Peur22. Dans La Vengeance Jhesucrist, mystère à jouer sur trois à quatre jours, écrit probablement avant 141523, Marcadé, d’une façon insolite, encadre les jours de jeu par des discours prononcés par un « meneur du jeu » et un « prescheur » : tandis que le « meneur de jeu » insère des événements bibliques dans un contexte historique, le « prescheur », lui, encourage le public à les considérer comme leur vécu24. Les sermons du « prescheur » au début et à la fin du premier jour nous fournissent un remarquable cadre pour situer les images de l’exemplaire du Des cas de Jean de Berry. Le « prescheur » commence par une lamentation sur la France :
Ainsi vient malediccïon
En toute place et en toute lieu
Ou il n’y a cremeur de Dieu.
Et pour tant a noz yeulx veons
Guerres et tribulacïons
Dedans le royaulme de France
[…]
Ne doubte point qu’em toute paÿs
Ou pechiet et divisïon
Regne par obstinacïon,
En la fin seront tout destruit25.
22Le « prescheur » termine la première journée en comparant explicitement les Parisiens contemporains aux juifs de la Jérusalem du premier siècle.
Proprement aux Juifz resamblent.
Contre Dieu s’assemblent et viennent
Ceulx qui les biens d’aultrui retiennent.
Comme larrons, pillars, brignans[brigans ?]
Qui sont maintes fois sur les champs.
[…]
Je voy l’estandart desploié
Que Cruaulté a envoyé
Pourtrait de noir et dardant flamme
Pour destruire tout ce royaulme,
Montee sur la fiere beste
D’orgueil qui lieve hault la teste,
Et si tresfort hennyst, ce samble,
Que de peur tout le monde tremble26.
23Les échos engendrés par le théâtre, l’illustration et la rhétorique politiques entre les juifs du premier siècle et la France du quinzième ont donc créé auprès des lecteurs de la nouvelle traduction de Boccace un climat favorable à sa réception, ainsi que Laurent avait dû l’espérer. Le manuscrit de présentation du Des cas utilisait une imagerie à l’unisson de la polémique contemporaine (le cas de la grande miniature de la destruction de Jérusalem), amplifiée par l’histoire déchirante, et par conséquent mémorable, du cannibalisme de Marie (la plus petite miniature associée), afin de rendre les lecteurs attentifs à la signification des amplifications visuelles qui ne paraissaient pas dans les autres manuscrits des ducs. Ancrées chronologiquement dans leurs textes, elles mettaient aussi l’accent sur d’autres préoccupations contemporaines. Le Des cas invitait ses lecteurs à une lecture sophistiquée : puiser ici et là dans le livre, sans souci chronologique, suivre les indices textuels et visuels associant les images – et leurs commentaires textuels – de manière inattendue, et trouver finalement dans le texte et l’image des résonances nouvelles relevant de la culture de l’époque. Cette pratique de lecture active avait pour but de fournir à ceux qui gouvernaient ou gouverneraient la France des exempla tout aussi puissants et résonants que ceux prodigués par les Miroirs des princes.
Notes de bas de page
1 Voir Ezio Ornato, Jean Muret et ses amis Nicolas de Clamanges et Jean de Montreuil, Genève, Droz, 1969 ; Richard Famiglietti, « Laurent de Premierfait: The Career of a Humanist in Early Fifteenth-Century Paris », Journal of Medieval History, 9, 1983, p. 25-42 ; Carla Bozzoo (dir.), Un traducteur et un humaniste de l’époque de Charles VI : Laurent de Premierfait, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004 ; Carla Bozzolo, « Un homme populaire et de petite science au service des hommes de pouvoir : l’humaniste Laurent de Premierfait », dans Karen Fresco (éd.), Authority of Images/Images of Authority: Shaping Political and Cultural Identities in the Pre-Modern World, Kalamazoo, Medieval Institute Publications (Studies in Medieval Culture, 53), 2016, p. 159-171.
2 Pour les traductions de Boccace, voir Carla Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises d’œuvres de Boccace, XVe siècle, Padoue, Antenore, 1973 ; Ezio Ornato, Jean Muret et ses amis…, op. cit. ; Patricia Gathercole (éd.), Laurent de Premierfait’s “Des cas des nobles hommes et femmes” book 1, translated from Boccaccio, Chapel Hill, University of North Carolina Press (Studies in Romance Languages and Literature, 74), 1968 ; Stefania Marzano, Édition critique du Des cas des nobles hommes et femmes par Laurent de Premierfait (1400), thèse de doctorat dirigée par Brian Merrilees, université de Toronto, 2008 ; Giuseppe Di Stefano (éd.), Jean Boccace, Decameron : traduction (1411-1414) de Laurent de Premierfait, Montréal, CERES (Bibliothèque du moyen français, 3), 2008. Pour les commentaires de Laurent sur Stace et Térence, voir Carla Bozzolo et Colette Jeudy, « Stace et Laurent de Premierfait », dans Un traducteur et un humaniste…, op. cit., p. 117-143 ; Carla Bozzolo, « Laurent de Premierfait et Térence », dans Vestigia: Studi in onore di Giuseppe Billanovich, 2 vol., Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1984, p. 93-129 ; Ead., Un traducteur et un humaniste…, op. cit., p. 145-179. Pour la traduction de Cicéron, voir Stefania Marzano (éd.), Laurent de Premierfait, Livre de vieillesse, Turnhout, Brepols, (Texte, codex et contexte, 6), 2009. Pour l’adaptation de Tite-Live, voir Marie-Hélène Tesnière, « Un remaniement du Tite-Live de Pierre Bersuire par Laurent de Premierfait (Manuscrit Paris, BnF fr. 264-265-266) », dans Un traducteur et un humaniste…, op. cit., p. 181-223. Pour la traduction du Pseudo-Aristote, voir Nicole Pons, « Un ‘Manuel’d’économie domestique bourgeoise : Laurent de Premierfait et les Économiques du Pseudo-Aristote », dans Authority of Images/Images of Authority…, op. cit., p. 173-90.
3 Olivier Delsaux a identifié deux scribes (mains T et S) qui ont collaboré dans les manuscrits. La main T a transcrit : Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 190 I/II ; Londres, British Library, ms. Burney 257 ; fol. 1r-30v de Paris, Arsenal, ms. 5193 ; Paris, BnF, ms. lat. 7907A ; Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, Pal. Lat. 1989 ; et Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Ser. n. 12776. La main S a transcrit du fol. 31 jusqu’à la fin de Paris, Arsenal, ms. 5193 ; et fol. 8-104 de Paris, BnF, ms. lat.7789. Voir Olivier Delsaux, « Textual and Material Investigation on the Autography of Laurent de Premierfait’s Original Manuscripts », Viator, 45/3, 2014, p. 299-338.
4 Pour les recherches sur l’illustration du Des cas des nobles hommes et femmes, voir Anne D. Hedeman, Translating the Past: Laurent de Premierfait and Boccaccio’s De casibus, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 2008 ; Ead., « Translating Power for the Princes of the Blood: Laurent de Premierfait’s Des cas des nobles hommes et femmes », dans Rosalind Brown-Grant, Anne D. Hedeman, et Bernard Ribémont (dir.), Textual and Visual Representations of Power and Justice in Medieval France: Manuscripts and Early Printed Books, Surrey/Burlington, Ashgate, 2015, p. 15-41.
5 Voir P. Gathercole (éd.), Laurent de Premierfait’s…, op. cit., p. 89-90 : « Il convient se me samble que les livres latin en leur translation soient muez et convertiz en tel langiage que les liseurs et escouteurs d’iceulx puissent comprendre l’effect de la sentence senz trop grant ou trop long traveil d’entendement […] Et par ainsi ce livre moult estroit et brief en paroles est entre tous aultres livres le plus ample et le plus long a le droit expliquer par sentences ramenables aux histoires. En faisant doncques ceste besoingne longue et espendue et recueillie de divers historians, par le moyen de la grace divine, je vueil principalment moy ficher en deux choses, c’est assavoir mettre en cler langaige les sentences du livre et les histoires qui par l’auteur sont si briévement touchees que il n’en met fors seulement les noms. Je les assomerai selon la verité des vieils historians qui au long les escriverent. »
6 Sur ces amplifiartions, voir A. D. Hedeman, Translating the Past…, op. cit., p. 85-127.
7 Pour la discussion des pratiques de l’amplification, voir Anne D. Hedeman, « Presenting the Past: Visual Translation in Thirteenth to Fifteenth-Century France », dans Elizabeth Morrison et Anne D. Hedeman, Imagining the Past in France: History in Manuscript Painting, 1250-1500, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 2010, p. 69-85.
8 Pour le texte latin original de Boccace, voir Vittore Branca (dir.) Tutte le opera di Giovanni Boccaccio, t. 9, Pier Giorgio Ricci et Vittorio Zaccaria (éd.), De casibus virorum illustrium, Venezia, Arnoldo Mondadori Editore, 1983. Pour la traduction de 1400 par Laurent, voir S. Marzano (éd.), Édition critique du Des cas des nobles hommes et femmes…, op. cit.
9 Par exemple, ibid., p. 279 sur la description des actions de la femme juive : « [U]ne noble femme fut trouvee constraint par faim mengier la char de son enfant occis. Ne ceste chose avoir veu les citoiens, fais non puissans a bataille pour leur foiblesse, ne avoir veu les Juifz de toute part cheans par mesaise, ne pot abatre leurs couraiges tombans en leur derrenier destruiement » ; et pour la vente de captifs juifs : « … toute lautre multitude qui pot ester prinse en sigrant tourbillon de choses fut soubzmise a ort et lait servaige des paiens ». Ces passages deviennent plus longs et plus précis en 1409-1410. Voir Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 190/II, fol. 99 pour l’histoire de Marie : « Et afin que je ne compte particulierement toutes les abhominables et ordes viands dont les mescheans iuifs furent constreints de user vrai est entre les aultres que une noble femme iuifve appellee marie fut en iherusalem trouvee si constreinte par faim que par disette daultre viande elle mangea la char de son enfant qu’elle mesme avoit occis. L’orreur qui les iuifs virent de ceste noble femme qui avoit occis et mangie son enfant et la floiblesse de maladie par quoy les iuifs estoient devenus non puissens a combater par mesaise et disette de tous biens ne pot abatre la durte ne lorgueil de leurs couraiges combine qu’ils cheissent en leur derrenier destruiement » ; et fol. 99v pour le vente des hommes juives : « Toute l’aultre multitude des juifs cestassavoir iiijxx et xm qui peurent ester trouvez et prins furent venduz en servaige et livrez aux payans sarrasins qui acheterent trente juifs pour ung dernier d’argent. »
10 Voir Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 190/II, fol. 100v : « Nous cristians qui par le tiltre du saint baptesme et de la foy catholique donnee par ihuscrist et approuvee par l’eglise devons avoir grant paour que nous et noz choses ne venions a plus grief et a plus soubdain trebuchet de fortune que ne vindrent les iuifs attendu que noz meffaits sont plus grans en nombre et en pois. Car au baptesme nous qui devenons chevaliers et vassaulx de ihuscrist promettons expressemant servir et obeir a lui et non a aultre. Mais en lieu d’un seul et bon seigneur contre le quel nous faulsons nostre foy et enfreignons noz promesses, nous servons a trois seigneurs mauvais et desloyaulx : au monde, a la char, et au deable. Et si crucifions ihuscrist non pas une seule fois comme les iuifs, mais le crucifions cent mille fois cestassavoir par aultretans comme nous peccchons contre lui mortelemant. Et ia soit que la benigue et souffrence de dieu ait este longue envers les iuifs pecchens, toutevoies par ordonnance divines ilz ont este par gens estranges puniz de leurs pecchiez a une foiz pour toutes, la quelle chose nous doit lancer grant fraiour en noz cuers obstinez et endurciz en pecchiez. »
11 Voir S. Marzano (éd.), Édition critique du Des cas des nobles hommes et femmes…, op. cit., p. 281, pour l’inversion que la traduction de 1400 a introduite : « Les juifz qui avoient feru le filz de Marie, iceulz ont veu ou derrenier de leur destruiement de leur cite une autre Marie, mengant son filz par faim publique amonnestant. » Ce passage devint (d’après Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 190/II fols. 101r-101v) : « Les iuifs qui fraperent et batirent ihesus le filz de la vierge marie extraicte de royale lignie. Ces mesmes iuifs ont veu ou derrenier iour de destruimant de leur cite une aultre noble femme nommee marie qui par constreincte de faim publique mangeoit son propre enfant quelle avoit et occis et rosti. » Cette juxtaposition de la Vierge Marie et Marie, la femme juive, est souvent considérée comme une inversion eucharistique. Pour cette interprétation, voir Merrall Llewelyn Price, Consuming Passions: The Uses of Cannibalism in Late Medieval and Early Modern Europe, New York/Londres, Routledge, 2003, p. 65-82.
12 Voir cette addition dans Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 190/II fols. 101v-102r : « Et dieu mist en courage a lempereur tytus quil prensist tele vengence des cruelz iuifs a fin quilz sentissent et congneussent que le sang de leur iuste roy ihesus estoit venu sur eulx et sur leurs enfans ainsi comme ilz crierent devant pylate qui ne vouloit prendre le sang ne le pecchie de la mort ihuscrist dont il lava si mauvaisemant ses mains devant les iuifs que il après par rage les mangea. »
13 Pour une enquête utile des manuscrits anglais, italien, néerlandais et allemand réalisés avant 1400 et illustrant les textes de Flavius Josèphe, voir Kathryn Smith « The Destruction of Jerusalem Miniatures in the Neville of Hornby Hours and their Visual, Literary, and Devotional Contexts », Journal of Jewish Art, 23/24, 1997/98, p. 179-202. La Légende dorée intègre l’histoire de la destruction de Jérusalem et d’une femme anonyme qui cuit et mange son enfant lors de la Saint-Jacques (1er mai). Ce texte est toujours illustré par une image de saint Jacques : Hilary Maddocks, The illuminated manuscripts of the Légende dorée: Jean de Vignay’s Translation of Jacobus de Voragine’s Legenda aurea, thèse dirigée par Margaret Manion et Vida Russell, The University of Melbourne, 1990.
14 Cité d’après Paris, BnF, ms. NAF 15940, fol. 171, l’un des trois volumes d’un Miroir historial qui appartenait à Jean de Berry.
15 Au commencement de livre 11 dans Paris, BnF, ms. NAF 15941, le fol. 1 contient deux images (Vespasien intronisé et Flavius Josèphe écrivant), le fol. 1v, une image (Les Romains commencent le siège de Jérusalem) et le fol. 2, deux images (Les soldats tuent les hommes juifs pour récupérer l’or ; Marie offre les restes de son enfant à deux hommes). La destruction de Jérusalem, qui est décrite au commencement du folio 2v, n’est pas enluminée, même si la rubrique du chapitre 6 suggère qu’il aurait dû y avoir une enluminure, parce que figure ici le mot « histoire » : « De la destruction du temple et de la cité, histoire. vj ».
16 L’amplification visuelle de la destruction de Jérusalem est la seule des Des cas de Jean de Berry à être incluse dans les manuscrits contemporains. Elle se trouve aussi dans le manuscrit jumeau de Jean sans Peur réalisé vers 1410/1411 (Paris, bibliothèque de l’Arsenal 5193) et dans deux livres contemporains des environs de 1412 (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, HS S. N. 12766) dont le mécène est inconnu, et dans un autre exemplaire de 1413/15 (Los Angeles, J. Paul Getty Museum, ms. 63) qui appartenait à Girard Blanchet, l’un des membres de l’administration qui devint maître des requêtes de Charles VII. Étant donné que le dernier manuscrit illustrant le cannibalisme de Marie, daté des environs de 1420 (Paris, BnF, ms. fr. 226), traduit l’amplification en deux images sur une colonne de large, cette présentation ne fonctionne plus ici à titre de frontispice intérieur. Il s’agit du dernier manuscrit du Des cas qui a été amplifié visuellement. Pour une analyse de ces manuscrits, voir A. D. Hedeman, Translating the Past…, op. cit., p. 194-99, et pour une description des manuscrits enluminés de Boccace, Vittore Branca (éd.), Boccaccio visualizzato: Narrare per parole e per immagini fra Medioevo e Rinascimento, t. 3, Opere d’arte d’origine francese, fiamminga, inglese, spagnola, tedesca, Turin, G. Einaudi, 1999.
17 Sur la guerre civile, voir Richard Famiglietti, Royal Intrigue: Crisis at the Court of Charles VI, 1392-1420, New York, AMS Press (AMS Studies in the Middle Ages, 9), 1986 ; Françoise Autrand, Charles VI : la folie du roi, Paris, Fayard, 1986 ; Bernard Guenée, Un meurtre, une société : l’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407, Paris, Gallimard, 1992.
18 Pour Laurent et autres auteurs qui ont décrit la guerre civile en utilisant des analogies bibliques ou historiques, voir Carla Bozzolo, « Familles éclatées, amis dispersés : échos des guerres civiles dans les écrits de Christine de Pizan et de ses contemporains », dans Angus Kennedy et al. (dir.), Contexts and Continuities: Proceedings of the IVth International Colloquium on Christine de Pizan (Glasgow 21-27 July 2000), Published in Honour of Liliane Dulac, 3 vol., Glasgow, University of Glasgow Press, 2002, t. 1, p. 191-205 ; Carla Bozzolo, « L’intérêt pour l’histoire romaine à l’époque de Charles VI : l’exemple de Laurent de Premierfait », dans Françoise Autrand, Claude Gauvard et Jean-Marie Moeglin (dir.), Saint Denis et la royauté : études offertes à Bernard Guenée, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 109-24.
19 Voir Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 165, fol. 98 : « [S]elon le sens de la lettre ainsy comme le dessus dit Jeremie le prophete plouroit et lamentoit moult piteusement et tendrement de tout son cuer comme dit est la destruction de la cité de Jherusalem et desolation du royaume d’Ysrael, moult grant pitié seroit aussy à oyr parler de la piteuse declinacion […] de vostre dicte maison royal de votre noble cité de Paris et en conclusion de votre royaume. »
20 Ibid., fol. 99v : « [P]remierement avoir pitié et compassion de la noble maison et hostel royal dont vous estes parties et issus afin que par vous ne soit pas dissipée et desolée la gloire d’icelle mais la soustenir et garder comme le propre chief dont vous estes tousjours ensemble le mesme et seul corps. »
21 Ibid., fol. 95.
22 Martin Gouge, qui a présenté le Des cas à Jean de Berry, était aussi l’un des membres de la Cour amoureuse. Voir Carla Bozzolo et Hélène Loyau, La cour amoureuse dite de Charles VI, 3 vol., Paris, Le Léopard d’or, 1982-1992. Même si Laurent de Premierfait n’a pas fait partie de cette institution, il aurait pu connaître les écrits de Marcadé. Quant à Marcadé, il était certainement au courant de la traduction amplifiée du Des cas, car il s’en est servi dans La vengeance Jhesucrist. Voir Florence Alice Smith, « Laurent de Premierfait’s French Version of the De casibus and Its Influence in France », Revue de littérature comparée, 14, 1934, p. 512-516.
23 Pour la pièce de Marcadé et particulièrement la discussion sur la date, voir Stephen K. Wright, The Vengeance of Our Lord: Medieval Dramatizations of the Destruction of Jerusalem, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1989, p. 97-109, 148-185 et 187. Pour une analyse de sa réception dans la seconde moitié du xve siècle, voir Laura Weigert, French Visual Culture and the Making of Medieval Theater, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2015.
24 S. K. Wright, The Vengeance of Our Lord…, op. cit., p. 161.
25 Ibid., p. 107.
26 Ibid.
Auteur
Anne D. Hedeman est la Judith Harris Murphy Distinguished Professor of Art History à The University of Kansas. Spécialiste de l’art du Moyen Âge et de la Renaissance du Nord et de l’histoire du livre, elle a écrit des ouvrages sur les enluminures des Grandes chroniques de France, des Dialogues de Pierre Salmon, et de la traduction par Laurent de Premierfait du De casibus de Boccace. Plus récemment : En collaboration avec Elizabeth Morrison, Imagining the Past in France. History in Manuscript Painting, 1250-1500, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2010. En collaboration avec Karen Fresco, Collections in Context: The Organization of Knowledge and Community in Europe (14th-17th Centuries), Columbus (Ohio), Ohio State University Press, 2011. En collaboration avec Rosalind Brown-Grant et Bernard Ribémont, Textual and Visual Representations of Power and Justice in Medieval France: Manuscripts and Early Printed Books, Farnham-Burlington (Vermont), Ashgate, 2015.
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