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Chapitre 9. Les incertitudes du nouveau régime : le règne du provisoire (mai 1911-février 1912)

p. 309-342


Texte intégral

Introduction

1Les mois qui vont de la chute du régime porfirien (fin mai 1911) — marquée aussi bien par les démissions de Díaz et de Corral que par l’écroulement du gouverneur du Jalisco, Manuel Cuesta Gallardo — au rétablissement dans Jalisco de l’ordre constitutionnel interrompu (février 1912) — avec la réalisation d’élections législatives, longtemps ajournées, méritent une analyse détaillée.

2Neuf mois de pouvoir provisoire, exercé en bonne partie en marge des normes établies par la Constitution de l’état, pendant lesquels il se produit un remaniement global de la scène politique, qui s’élargit pour faire place à de nouveaux acteurs et forces, et connaît une redéfinition, dans la pratique, du rôle des institutions politiques républicaines (Pouvoirs Législatif, Judiciaire, Exécutif), anesthésiées pendant plus de trois décennies de subordination à un Exécutif tout-puissant.

3Il s’agit en effet d’une période où le gouvernement du Jalisco est assuré par un Exécutif provisoire, en l’absence, la plupart du temps, d’un Législatif qui vienne donner, du moins dans les formes, une légitimité constitutionnelle à l’exercice du pouvoir. Deux gouverneurs provisoires, David Gutiérrez Allende et Alberto Robles Gil, l’un nommé par acclamations, l’autre désigné par le gouvernement fédéral, sont censés rétablir l’empire des lois, et plongeront tous les deux dans une lutte pour le pouvoir qui ne fera que prolonger l’état d’in-constitutionnalité du Jalisco.

4L’élargissement de la scène politique se manifeste non seulement par la création de nouveaux et nombreux groupes à vocation ouvertement politique, mais surtout parce que ces derniers bâtiront des ponts vers des populations jusqu’alors tenues plutôt à l’écart de cette sphère, notamment les ouvriers, mais aussi les artisans, ou encore les femmes. Les principaux bâtisseurs de ces ponts ont été l’anarcho-syndicalisme et l’action sociale catholique, mais il y a eu aussi des socialistes, des protestants et des libéraux1. Par ailleurs, dans certains cas, ces « nouveau-nés à la politique », allant au-delà des efforts et des objectifs de ces élites, prendront une entière indépendance. Bien que cet élargissement ne soit pas une conséquence de la chute du porfiriat, car il s’agit d’un phénomène entamé dès la fin du xixe siècle, il s’accentuera avec la promesse d’un univers politique ouvert et sans répression, incarnée par le madérisme. Il suffit de voir, pour le constater, le foisonnement d’associations de tous genres et de toutes origines sociales, à partir de l’annonce de la démission de Porfirio Dfaz.

5Nouveaux réseaux de sociabilité, dont la plupart ont une vie courte, naissant comme réponse presqu’immédiate à un événement (la signature de la paix) qui ouvrait la porte au renouvellement des autorités politiques. Créations éphémères à la tâche ponctuelle, ces organisations n’en remplissent pas moins un rôle de première importance dans la modification des pratiques politiques de l’époque.

6Par ailleurs, un certain nombre de ces nouveaux réseaux n’ont pas ce caractère éphémère, mais s’inscrivent dans un projet de société, qui se veut durable et national. Prenant pour forme d’organisation la structure des partis politiques modernes, ils participent aussi au changement des pratiques politiques, en introduisant un jeu parlementaire réel dans la vie mexicaine.

7La redéfinition des Pouvoirs est quant à elle marquée par une volonté de revitaliser le Législatif et le Judiciaire. Il s’agit, en somme, de faire une réalité des dispositions constitutionnelles en la matière, non appliquées pendant le porfiriat. En effet, tout au long de cette période, les différentes forces se disputant le pouvoir au Jalisco, prôneront l’indépendance et le renforcement de ces deux Pouvoirs, que ce soit par conviction ou bien comme une stratégie visant à limiter le pouvoir des forces rivales. Si cette revitalisation a lieu pour le Pouvoir Législatif, entraînant une modification des rapports entre le Congrès de l’état et le gouverneur, celle du Judiciaire ne fut que souhaitée. Assiste-t-on à une démolition de l’Exécutif ? Certainement pas, mais il est clair que la fonction de gouverneur, dans cette structure de pouvoir ébranlée, est une pièce à remodeler. Incarnation du pouvoir patriarcal porfirien, et la partie la plus en vue du système politique au niveau des états, le gouverneur est une image à refaire, un Pouvoir à reconstruire même si cela se fait à partir d’éléments qui caractérisaient déjà le gouverneur pré-révolutionnaire.

8Mais ce remaniement de la scène politique n’est pas dérivé directement de la seule chute de Porfirio Díaz, et ne s’est pas accompli de façon immédiate. Il s’agit, au contraire, d’un processus relativement long, où plusieurs forces interviennent et placent leurs cartes, s’avançant et essayant d’occuper le devant de la scène. Leurs positions, toujours fragiles, sont soumises à l’influence de plusieurs variables liées à la situation régionale tout comme à l’évolution de la politique nationale, et ne peuvent, pendant de longs mois, être tenues pour des acquis.

9A l’échelle nationale, le gouvernement intérimaire de León de la Barra, issu des accords de paix de Ciudad Juárez, contribua particulièrement à prolonger une telle situation, dans la mesure où il a représenté la coexistence de deux pouvoirs (Madero-De la Barra)2 et où il retarda l’installation du gouvernement révolutionnaire. Non pas que de la Barra ait repoussé la date de la remise du pouvoir, mais l’existence même, l’essence même, de ce gouvernement de transition, prolongeant le porfiriat plus qu’introduisant le madérisme, porta un coup à la force de ce dernier. Quant à l’arrivée de Madero lui-même, elle n’est pas non plus synonyme de stabilisation ; instabilité et tiraillements se prolongent, même si les forces qui interviennent sont de mieux en mieux définies. Le cas du Jalisco illustre bien cela : le provisoire dépasse ici largement (presque d’un an) l’intérim de León de la Barra3. Ce qui prouve par ailleurs la force et l’importance des dynamiques régionales vis-à-vis d’un processus global de consolidation d’un pouvoir national.

10Les mois qui vont de mai 1911 à février 1912, constituent une période d’instabilité et d’ouverture, où fleurissent et dépérissent les alliances les plus diverses. Il en résulte aussi que remaniements (qui dit remaniement dit lutte pour le pouvoir) et instabilités entretiennent le provisoire, et que ce provisoire alimente à sa façon l’instabilité, faisant apparaître une peur particulière de l’extra-légal identifié à l’arbitraire. C’est ici que l’on peut mesurer à quel point le légalisme porfirien avait été efficace en maintenant un cadre constitutionnel sécurisant pour les individus et les groupes. D’où la demande croissante de stabilisation par le retour à l’ordre légal, de « normalisation », au sens strict et large, et la quasi obsession du retour à la légalité constitutionnelle qui s’empare des élites et en particulier des intellectuels.

11Élargissement, dynamisation de la scène politique, qui ne cessent de poser la question de sa restructuration. Question à laquelle sont données les réponses les plus diverses, qui traduisent des projets de société faisant écho parfois, avec une intensité variable, à ceux qui sont présents à échelle nationale (notamment le projet libéral-démocratique axé sur le principe de la non-réélection et le projet démocrate-chrétien).

12D’avantage immergé dans les affaires de sa politique interne — tout comme d’autres régions4—, mais touché à n’en pas douter par les bouleversements nationaux, le Jalisco produit sa propre réponse aux angoisses de l’après-porfiriat. Ses particularités ? La présence des mêmes acteurs que ceux qui dominent la scène nationale, mais en proportion pratiquement inverse : le mouvement armé répondant au Plan de San Luis est toujours faible et désarticulé, les élites locales se sont investies dans le madérisme, mais tardivement et du bout du doigt, et le nouveau PCN a une présence forte, avec des bases solides. L’état devient ainsi un laboratoire, où la logique qui finit par s’imposer ne vise qu’à conjurer la révolution.

1. Le Jalisco dans la révolution

1.1. Panorama politique du Jalisco à la chute du porfiriat

13La dictature porfirienne se termine au Jalisco — comme dans l’ensemble du pays — par une dispersion accentuée du pouvoir, qui s’accompagne d’une ouverture de l’espace public et d’un élargissement de la scène politique. De nouvelles forces politiques viennent coexister avec celles, plus ou moins anciennes, qui occupaient déjà la scène : certaines étaient nées depuis la fin 1908, autour de la question du relais présidentiel, et d’autres (dont le mode de fonctionnement et la structure se modifient) avaient participé à l’exercice du pouvoir pendant le porfiriat.

14Ici prend vraiment forme une nouvelle façon de faire de la politique (paradoxalement rendue possible par le renversement violent d’un régime), qui consacre les partis modernes comme intermédiaires obligés entre les intérêts des particuliers et le gouvernement. Désormais, et sans que cela empêche la naissance ni le foisonnement d’autres formes plus ou moins modernes de collectivisation des volontés politiques (tel des syndicats ou des ligues agraires, des chambres d’agriculteurs ou de commerçants), par temps de paix, les énergies politiques seront fondamentalement et formellement canalisées à travers des partis politiques.

15Parmi les forces nouvelles, nous trouvons surtout des madéristes : des révolutionnaires avec leurs troupes, issus en général, quoique non exclusivement, du milieu rural, et des antiréélectionnistes civils ; des groupes urbains soudain proches théoriquement du nouveau pouvoir car proches idéologiquement d’un mouvement triomphant au niveau national (nombre d’entre eux, cependant, madéristes — au sens strict du terme — de la dernière minute). Nous trouvons également celui que Ceballos Ramirez a si bien nommé le Tercero en discordia, le Parti Catholique National 5

16Ces nouvelles forces vont pousser à la fois le monde politique dans deux sens apparemment contradictoires. D’une part vers la modernisation des pratiques, par la multiplication de ces intermédiaires entre les intérêts de la société civile et l’état que sont les clubs et les partis, et par l’élargissement du nombre de citoyens participant à la politique par leur biais. L’existence de ces intermédiaires établit graduellement une sorte de convention de participation politique de la société civile, amenée et invitée à utiliser ces canaux en priorité. La structure de participation politique devient ainsi plus complexe. D’autre part, ces nouveaux acteurs favorisent une remilitarisation de la politique et de la société, dans la mesure où les groupes armés ont un poids réel sur la vie politique. On reviendra sur ces deux points.

17Du côté des forces préexistantes, il faut distinguer deux grandes catégories : d’une part la classe politique porfirienne proprement dite, ayant occupé et occupant encore des postes aux différents niveaux de l’administration et à présent contrainte de s’adapter en s’organisant elle aussi en clubs politiques (comme le Partido Progresista Jalisciense) ; d’autre part, des groupes politiques (partis et clubs) nés au moment de l’ouverture des années 1909-1910, apparemment consolidés, notamment le parti Independiente et les clubs antiréélectionnistes, ces derniers regroupant les premiers madéristes organisés ouvertement comme tels dans le Jalisco porfirien.

18Dans un spectre assez large se retrouvent ainsi, confrontés à une situation d’ouverture politique inédite :

  1. Les différents chefs des groupes armés madéristes, parmi lesquels il faut distinguer au moins deux catégories différentes : ceux, comme Ramón Romero, acceptant de rendre les armes, en vertu des accords de Ciudad Juárez, et ceux, comme Cleofas Mota, refusant de le faire et exigeant que l’on réalise jusqu’à son terme le Plan de San Luis.
  2. Le parti Independiente, soudain placé à la tête du gouvernement de l’état, suite à la démission de Cuesta Gallardo. Madériste ? Très tardivement, même si certains de ses membres l’ont été ouvertement dès les premiers jours (d’autres seulement par la force du triomphe du mouvement de San Luis), et en tout cas sans participation à la lutte armée.
  3. Les antirréélectionnistes de la première heure, avec leur réseau jusqu’alors limité de clubs, notamment le Miguel Hidalgo et le Valentín Gómez Faras, investis à présent d’une certaine légitimité dérivée du triomphe du mouvement madériste. Certains, comme Salvador Gômez ou Benjamín Camacho, avaient participé directement au mouvement armé et nombre d’entre eux avaient subi la répression anti-madériste des gouvernements d’Ahumada et de Cuesta Gallardo (Eduardo J. de la Torre, les frères Monraz, Félix C. Vera, en sont des exemples notoires). Proches de ce groupe, de « nouveaux sujets politiques », que la presse de l’époque et l’historiographie6 identifient au « peuple » : des cheminots, des artisans et ouvriers en général, mais aussi des enseignants, avec un rôle important, qui reste encore à explorer, des femmes, tous madéristes.
  4. Le Parti Catholique National, force naissante mais appuyée sur un groupe d’élite apparu deux ans auparavant, les operarios guadalupanos.
  5. Des libéraux porfiriens, proches soit de Ahumada soit de Cuesta, dont certains se sont organisés rapidement au sein du parti Progresista Jalisciense.
  6. Les forces de l’armée fédérale commandées par Villaseñor, chef de la zone militaire.
  7. Les autorités politiques municipales ou cantonales de l’ensemble de l’état, les unes porfiriennes, les autres madéristes.
  8. Roque Estrada et sa camarilla.

19Comment se positionnent ces forces sur l’échiquier et quelle est leur image ? Quelle est leur marge de manœuvre ?

20Certaines peuvent être caractérisées comme des forces en déclin. C’est le cas, notamment, du parti Independiente. Placé à la tête du gouvernement par la désignation de David Gutiérrez Allende comme gouverneur provisoire puis intérimaire, ce parti a la position la plus inconfortable : reyiste en 1909, réunissant en son sein une partie de l’avant-garde intellectuelle de l’état, proche de l’anarchisme et de l’antiréélectionnisme, n’ayant que très tardivement adhéré au madérisme7, mais depuis sa naissance ouvertement opposé à la politique porfirienne, il paie cher son alliance avec le gouverneur déchu Manuel Cuesta Gallardo8. Celui-ci ayant été le dernier gouverneur porfirien, le P.I. se retrouve ainsi associé à son image.

21Disqualifié non pas pour être anti-révolutionnaire ou porfirien ou científico, mais pour ne pas être suffisamment révolutionnaire, le PI. se trouve confronté à la méfiance des madéristes (en particulier du Centre Antiréélectionniste National), qui doutent de sa fermeté pour appliquer les principes du Plan de San Luis Potosí, dans ce qui est sans doute une des premières concrétisations du binôme typologique identitaire révolutionnaire-non révolutionnaire, qui traverse tout le xxe siècle mexicain, après 19109 et qui met en question la légitimité du gouvernement bien avant ses premiers actes.

22Ces madéristes tardifs, jamais classés à part entière du côté des « révolutionnaires », légueront involontairement leur image à l’ensemble de l’état. Ils contribuent ainsi à leur façon à la construction de cette vision d’un Jalisco « peu révolutionnaire », amplifiée pendant les années constitutionnalistes et qui dépasse largement le cadre de l’historiographie de la révolution.

23Gutiérrez Allende doit ainsi affronter les attaques de Roque Estrada, représentant du C.A.N., pour qui le gouverneur « ne s’identifie pas à l’esprit révolutionnaire, pierre de touche dans les moments actuels »10. On ne saurait donc « laisser la chose publique entre des mains étrangères à l’esprit révolutionnaire »11.

24Par ailleurs, dans la mesure où Gutiérrez Allende est censé solder les restes du pouvoir porfirien, et assurer le démantèlement du système, il doit aussi combattre les résistances des porfiriens toujours en place, qui s’expriment par le biais de l’institution devenue le fief des ahumadistes à l’arrivée de Cuesta Gal-lardo et qui avait survécu à la chute de ce dernier, le Congrès de l’état. Ce conflit avec le Législatif est le premier et l’un des plus marquants de sa brève gestion.

25Si, au départ, la majorité de ces attaques concernent l’ensemble du parti Independiente, c’est Gutiérrez Allende qui, à la tête du gouvernement, devra affronter la plupart d’entre elles. La lutte ne durera que deux mois, au bout desquels le gouverneur provisoire quittera de lui-même le poste, s’avouant vaincu (piégé aussi par un hypothétique calendrier électoral et ses propres aspirations au pouvoir). Le parti lui-même ne sortira pas mieux loti que son représentant, empruntant désormais la voie du déclin et des divisions qui conduisent à sa dissolution en quelques mois. Une partie des militants suivront Tomás Rosales dans la formation du Partido Democrático, constitué le 1er juin, et quelques-uns suivront Ambrosio Ulloa dans son aventure du parti Efectivista.12 Les membres éminents de l’ancien PI. finiront même par plonger dans des querelles publiques où transpercent des différends personnels autour de la paternité intellectuelle du mouvement origine13

26Avec l’ Independiente, c’est tout un projet politique pluriel qui s’écroule, un projet à la fois réformiste et profondément civique, cristallisation de ce que l’opposition politique urbaine de tradition libérale et fédéraliste avait été capable de construire en marge de la classe politique porfirienne et à la fois expression de ses limites et de son dépassement par un mouvement (l’antirréélectionnisme) nourri de forces qu’elle n’avait pas ignorées mais qu’elle n’avait pas non plus vraiment cherché à incorporer. Par la suite, et pendant plusieurs décennies (pratiquement jusqu’aux années 1980), les forces politiques du Jalisco, prises dans la marée de la polarisation croissante des enjeux, et poussées vers la radicalisation, n’auront plus cette diversité et cette large ouverture caractéristiques du PI14.

27Une autre force en déclin est la classe politique porfirienne proprement dite : des fonctionnaires, des hommes proches des anciens gouverneurs Ahumada ou Cuesta. On peut les considérer en déclin temporairement, surtout parce que leur mode de fonctionnement est rompu : la participation à l’exercice du pouvoir à titre individuel en vertu d’un lien personnel et par des mécanismes relevant de ce seul lien (lien gouverneur-député, par exemple), sans disparaître, laisse place à un mode de fonctionnement appuyé sur l’existence de partis politiques au sens moderne du terme. Et c’est sous cette forme que l’on verra réapparaître ces libéraux « porfiriens », réorganisés en partis ou clubs, ayant restructuré leur mode de fonctionnement. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la culture politique basée sur des liens personnels a disparu, mais seulement qu’elle s’intègre désormais dans une structure plus complexe dont les pièces maîtresses sont précisément les partis et les clubs politiques.

28Symboliquement, le déclin de ce groupe est représenté par la dissolution du Congrès de l’état, qui était son fief, à l’issue d’une lutte frontale avec le gouverneur Gutiérrez Allende, poussé par les madéristes. Dans une certaine mesure, dans cette confrontation avec le Congrès, Gutiérrez Allende a joué le rôle d’intermédiaire entre la révolution et les groupes porfiriens dominants, sans que sa médiation ait été totale, car les antirréélectionnistes ont aussi exercé leur pression directement auprès des députés15.

29Un troisième groupe peut être inclus, non sans certaines réserves, parmi les forces en déclin, car il se situe à cheval entre ces dernières et celles que l’on peut appeler « intermédiaires » ou « de pression ». Il s’agit des madéristes qui ont accepté de rendre leurs armes et de s’intégrer partiellement dans les forces des rurales, notamment celles dirigées par Ramón Romero, ou bien celles commandées par Isidro Michel. On peut considérer que ces forces révolutionnaires sont en déclin, dans la mesure où cette logique a impliqué en premier lieu la perte de leur indépendance. Leur soumission se fit comme ailleurs, en les incorporant aux corps de rurales et en leur donnant une responsabilité dans les tâches de pacification. Ayant combattu le régime porfirien, ces forces sont paradoxalement mises au service d’un régime (celui de León de la Barra) très proche de celui qu’elles avaient combattu. Parallèlement, cela les pose en ennemies de ceux qui avaient lutté pour la même cause, mais qui se refusent à rendre les armes (expression extrême de ce paradoxe, c’est la persécution de Cleofas Mota par Ramón Romero, lorsque le premier s’était rebellé contre le gouvernement de l’état, début août 1911, exigeant l’application des principes du Plan de San Luis, et que le second était déjà très officiellement le commandant des forces madéristes du Jalisco)16.

30C’est ainsi que l’on voit se dessiner un panorama militaire paradoxal, où des révolutionnaires transformés en agents de pacification défendront les propriétés et les intérêts de ceux-là mêmes qu’ils venaient de combattre, face aux attaques des bandes armées refusant de s’institutionnaliser.

31Néanmoins, la perte d’indépendance de ces forces reste relative, dans la mesure où elles deviennent des interlocuteurs obligés du pouvoir ; plus que des interlocuteurs, des médiateurs, agents de la mise en œuvre de la politique du gouvernement ; en somme, les seuls par qui la paix peut arriver, puisque le gouvernement ne pouvait compter sur une force propre capable de prendre totalement en charge la pacification. Ces groupes conservent ainsi une marge de manœuvre non négligeable (assurée par le fait que leur attachement au gouvernement peut aussi être brisé). C’est à ce titre qu’on peut les considérer comme les premières forces de pression ou forces intermédiaires.

32En plus de ces groupes armés, il faut citer parmi ces forces de pression, les clubs antiréélectionnistes, eux aussi madéristes, qui constituent maintenant un des réceptacles civils possibles des « inquiétudes » du peuple. Leur succès peut se mesurer à leur multiplication : pendant plus de deux ans, les clubs antiréélectionnistes étaient peu nombreux, persécutés et parfois clandestins, cherchant d’abord à ne pas se noyer dans le reyisme, puis à survivre malgré la répression. Grâce au triomphe de la révolution, leur nombre s’accroît considérablement et cette fois au grand jour, disposant à la fin du mois de juillet d’au moins 14 nouveaux clubs, dont une partie se regroupe sous les drapeaux du parti Antirreeleccionista17. Ces clubs ont une force de mobilisation considérable et ils sont particulièrement actifs à Guadalajara, où on les voit très fréquemment descendre dans la rue pour peser de tout leur poids sur les décisions du gouvernement, réussissant à rassembler à chaque fois une population urbaine importante, et influençant ainsi les décisions d’un gouvernement fragile. Ils sont là à la chute de Cuesta Gallardo, poussant à la désignation de Gutiérrez Allende, qu’ils obtiennent ; ils sont là encore, et de façon plus ouverte, exigeant la démission des députés au Congrès de l’état, qu’ils obtiennent également18.

33Entre les antirréélectionnistes armés et civils, la communication existe ; leur pression s’exerce d’ailleurs conjointement dans les cas les plus graves, comme la recherche de la démission du Congrès de l’état. Il existe donc une articulation entre différents niveaux de l’antirréélectionnisme (militaire-civil ; régional-national). Cette articulation se fait surtout à travers le représentant de Madero au Jalisco, Roque Estrada, qui devient, de ce fait, lui aussi — et en apparence à lui seul — un important élément de pression.

34En effet, Roque Estrada est le médiateur (s’il y en a un) entre les madéristes de la première heure et le P.I., entre ceux-ci et le C.A.N. ; entre les sphères militaire et civile du madérisme. De surcroît, Estrada est, au lendemain de la signature des accords de Ciudad Juárez, et plus encore qu’en décembre 1910, le « vicaire » de Madero. Ainsi, le 27 mai au matin, lorsqu’il fait son entrée à Guadalajara, il est reçu à la gare par 3 000 personnes, dont de nombreux étudiants, des membres des clubs antiréélectionnistes et du parti Independiente, par « une immense et délirante ovation »19.

35Estrada est reçu et considéré comme l’incarnation même de la révolution et de ses promesses, et comme symbole de la transformation politique du pays, que l’on estime d’ailleurs déjà accomplie :

« Arrive aujourd’hui à Guadalajara celui-là même qui hier était persécuté [...], lui qui, tant de fois, a dû sortir de cette belle ville tapatía, sous le poids d’une pression restrictive et autoritaire. Mais les temps changent, et ceux qui furent bafoués auparavant se sentent à présent maîtres de toutes leurs libertés, rentrés dans leurs droits et prérogatives de citoyens d’un pays libre et civilisé20. »

36Chargé par le C.A.N. d’une mission politique, Estrada est aussi, officiellement, le représentant de Madero au Jalisco, chargé de veiller à l’application des accords de Ciudad Juárez :

« Le travail subséquent est de pacification et d’orientation politique, et c’est à cela que se limite, au fond, la mission dont je suis chargé21. »

37On peut aisément comprendre qu’Estrada, doté de tels pouvoirs, devienne un pouvoir parallèle à celui du gouverneur, d’autant plus que ce dernier est en position de faiblesse. Cela illustre à quel point le dédoublement du pouvoir de la période de la Barra est une réalité non seulement nationale mais aussi régionale. Toutefois, ce dédoublement se présente au Jalisco sous une logique inverse à celle observée nationalement en termes de légitimité et d’image. En effet, l’image de Madero est pendant la période de la Barra une image transparente (encore immaculée), dont la légitimité procède de la révolution et du renversement d’un gouvernement considéré à présent comme tyrannique et oppresseur. Le pouvoir de Madero découle « naturellement » de cette légitimité : il est même censé, dans le texte des accords de Ciudad Juárez, porter son conseil et son secours au président provisoire. Son influence sur le gouvernement intérimaire est la source même de l’acceptation de ce dernier ; c’est bien pour cela que de la Barra consacrera une bonne partie de son énergie à limiter l’influence de Madero sur les décisions officielles.

38Les rapports entre Gutiérrez Allende et Estrada ont une dimension différente, malgré les efforts du dernier pour avoir une légitimité comparable à celle du chef de la révolution. En effet, symboliquement, Gutiérrez Allende ayant été porté au pouvoir par acclamations populaires, il est investi d’une relative légitimité révolutionnaire ; il ne peut pas être considéré comme l’équivalent local de León de la Barra, malgré les similitudes de leurs situations (notamment le fait d’avoir fait partie du gouvernement déchu). Par ailleurs, Gutiérrez Allende et de la Barra ne sont pas de force comparable : le gouverneur du Jalisco est extrêmement fragile, attaqué par les porfiriens car il n’est pas des leurs, et attaqué par les madéristes car il ne l’est pas non plus. De la Barra est, quant à lui, soutenu par ces deux forces : porfiriste, il l’est lui-même et il est appuyé en conséquence par ce qui reste de la classe politique porfirienne ; révolutionnaire il ne l’est pas, mais en vue de légitimer son propre processus de prise du pouvoir, Madero lui accorde, du moins officiellement, son soutien22. Par ailleurs, Estrada est loin de réunir sur sa personne le consensus qui ferait de lui le Madero régional et le présenterait comme un candidat au pouvoir sûr.

1.2. La signature de la paix : réactions immédiates

39Après l’annonce officielle de la signature de la paix, le 23 mai, les réactions d’enthousiasme se multiplient. Il faut, à n’en pas douter, inclure parmi ces réactions celle des habitants de Guadalajara, inaugurée par une fête le 23 même, interrompue tragiquement par un bain de sang, et aboutissant à la démission du gouverneur Cuesta le lendemain. De la même façon que celle qui se déroule à Autlán, chef-lieu du sixième canton, où le 24 :

« Le peuple, plein d’enthousiasme, a parcouru les principales rues et places en lançant des vivats à Madero et en tirant en l’air avec ses armes à feu23 »

40L’annonce de la paix produit une interruption dans la vague des soulèvements, vient modifier son cours, sans l’arrêter pour autant. Elle ouvre une parenthèse peuplée d’hésitations, de sentiments et d’actions contradictoires. Une parenthèse qui est à la fois celle de la mise à l’épreuve du gouvernement provisoire, celui-là même que le triomphe du mouvement a instauré.

41Les acteurs principaux de cette parenthèse, ceux qui en déterminent la durée, sont, d’une part, des sympathisants madéristes ne s’étant pas manifestés jusqu’alors et qui, soudain, se décident à le faire, dont les manifestations vont du pur enthousiasme jusqu’aux revendications violentes, et dont la participation souvent en marge des organisations, donc a priori incontrôlable, a beaucoup effrayé les élites. D’autre part, les groupes madéristes armés, appelés à respecter le cessez-le-feu, ayant souvent à peine combattu et hésitant pourtant à abandonner la voie armée. Ce sont enfin les groupes au pouvoir qui hésitent sur l’attitude à prendre. Tous ces acteurs et leurs attitudes sont liés à deux des grands problèmes en jeu dans les accords de Ciudad Juárez : la démobilisation des troupes révolutionnaires et le changement des autorités politiques.

42Comme ailleurs dans le pays, la signature de la paix entre les forces madéristes et le gouvernement de Díaz, n’a pas été ici synonyme de pacification. Qui plus est, de nouveaux soulèvements se sont produits après l’annonce de la chute de Porfirio Díaz et paradoxalement, les traités de paix de Ciudad Juárez ont ainsi sonné, pour certains, l’heure de l’insurrection. C’est le cas notamment d’un groupe d’Indiens de Tonalá, localité voisine de Guadalajara, qui se sont soulevés dans les derniers jours du mois de mai24 ainsi que du jeune hacendado Manuel Alfonso Cortina qui se soulève à Ameca le 28 mai25

43D’autres faits d’armes ont lieu dans ces mêmes jours, mais il s’agit plus d’une prolongation d’actions de groupes déjà en armes que de nouveaux soulèvements. Ainsi, l’entrée violente de Isidro Michel dans Autlán26, ou encore celle d’une trentaine d’insurgés, aux ordres de Adolfo Jiménez, Juan Rosas et Elías Sedano, qui prennent Ayutla27. D’ailleurs, à partir de l’annonce des accords de Ciudad Juárez, les principales forces madéristes entrent de façon totalement pacifique dans plusieurs localités. Celles de Cleofas Mota prennent pacifiquement Etzatlán28 ; puis Ramón Romero passe par cette même ville et par Ahua-catlán, avant de faire son entrée dans Guadalajara29.

44Dans le cas particulier du Jalisco, plus que de nouveaux soulèvements, la démission de Díaz a suscité des explosions d’enthousiasme qui ne se sont pas toujours traduites par des mobilisations armées. A Encarnación de Díaz, par exemple, la paix fut fêtée le 28, avec le concours de « bien des vecinos importants et une partie du peuple »30.

45Les célébrations de la paix ont été nombreuses, que ce soit, comme à Tla-jomulco, avec le consentement des autorités31, ou bien, malgré leur opposition ouverte, comme à Atoyac32.

46On enregistre toutefois quelques actions revendicatives et symboliques, telles la libération des détenus — comme à San Diego de Alejandría33 et à Ten-zompa34—, ou bien l’incendie des archives publiques — comme à Ayutla35 —, faites en général par des groupes armés.

47Dans d’autres cas, les habitants ont essayé de mener par eux-mêmes de telles actions, sans succès. C’est le cas de Autlán où, avant l’arrivée de Isidro Michel, après plusieurs heures d’occupation enthousiaste des rues et des places, les manifestants ont essayé, vers deux heures du matin, de libérer les prisonniers, ce qui fut empêché par le chef politique36.

48A partir de la signature de la paix, militairement, la question la plus importante devient celle du licenciement des troupes madéristes et de leur démobilisation37 décision de Madero et qui a énormément contribué à semer la confusion dans la sphère militaire et politique du pays. L’exemple du Jalisco illustre cette situation même sans avoir été un foyer révolutionnaire de première importance. Des corps révolutionnaires sont réticents à obéir à une telle disposition ; les autorités hésitent sur la manière dont elles doivent se comporter à leur égard ; une tension se crée ainsi, qui ne cesse de s’accroître pendant toute la gestion de Gutiérrez Allende, pour enfin exploser le 29 juillet 1911, à la veille même de la démission du gouverneur, sous la forme d’un plan d’opposition au gouvernement de l’état et pour l’application du Plan de San Luis, qui se matérialise dans la Proclama de Zapotlanejo, signée par Mota, Martínez, Cama-cho et Moreno, et dans celle de Zapotlán.

49Au Jalisco, malgré la faiblesse et la désarticulation du mouvement armé, son contrôle est devenu un des enjeux importants de la lutte pour le pouvoir. Cuesta Gallardo avait essayé de les combattre sur leur propre terrain, mais il comptait pour cela avec des forces très limitées.

50Avant la chute de Díaz, en effet, les forces militaires à la disposition du gouvernement de l’état sont loin de pouvoir maîtriser la situation. On peut observer, par exemple, l’état de la gendarmerie à la fin 1908, qui ne comptait que « 2 supérieurs, 51 officiers, 785 [hommes] de troupe, 435 chevaux et 8 bêtes de somme »38, pour une population qui dépassait le million d’habitants39

Tableau 16. DES GENDARMES « MAL ARMÉS »

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Source : Gendarmería del Estado. Estada que manifiesta el armamento, correaje y municiones que tiene la expresada en la fecha, Guadalajara. 2 janvier 1909. AHJ. G-12-908, GUA/887.

51De surcroît, une très grande partie de l’armement dont la gendarmerie dispose est parfaitement inutilisable (cf. tableau 16). Ainsi, dans l’état des lieux dressé en décembre 1908, une note précisait que :

« 1. Il existe, au Dépôt, en état de marche, 23 carabines "Winchester", 100 sabres, 200 cartouches de fusil cal [ibre] 43, 6 000 de fusil cal. 50 et 10 000 de "Remington".
2. Le reste de l’armement qui existe est en réparation. Le système "Remington", buffleterie et munitions, sont inutilisables40. »

52Voilà donc comment sont armés au début de l’année 1909 ces 2 supérieurs, 51 officiers et 785 gendarmes. Ce qui explique pourquoi, au moment où la révolution éclate au Chihuahua et où quelques soulèvements surviennent au Jalisco, le gouvernement s’empresse d’acquérir 225 fusils de 7 mm, 520 carabines Remington, et 20000 cartouches. De leur côté, les chefs políticos de plusieurs cantons demandent urgemment de l’armement et du parc d’artillerie41.

53Par ailleurs, face aux soulèvements, il ne semble pas que ces forces aient été très utiles à la défense de la population civile. Le cas de Ciudad Guzmán illustre bien cette quasi inexistence d’une force de défense allant au-delà des simples fonctions de police. En effet, Ciudad Guzmán avec ses 17596 habitants, compte en 1908, pour le maintien de l’ordre, 30 gendarmes42. En mai 1911 il en reste 24, lesquels, à l’approche des forces madéristes, ne sont même pas sur place : ils étaient partis intempestivement vers Sayula, laissant la ville sans défense43.

54Un autre exemple qui illustre cette situation est celui de Zacoalco, qui compte, en juillet 1911, 14 gendarmes « mal armés »44.

55Qui plus est, ces gendarmes se distinguent souvent par leur cruauté et leur violence gratuites, qui échappent au contrôle des autorités. A Lagos de Moreno, notamment, le jour du passage de Madero, plusieurs gendarmes

« de manière sauvage et arbitraire ont frappé avec le plat de l’épée et renversé plusieurs individus du peuple qui acclamaient Monsieur le Chef politique [I. Calderón] devant sa demeure45 ».

56Calderón lui-même est obligé d’intervenir et arrête l’action, non sans difficultés.

57Pendant les premiers mois de la révolution, les rares « victoires » des forces du gouvernement contribuent, par leur cruauté, à développer une opinion qui leur est déjà adverse et qui est de plus en plus ouvertement sensible aux « raisons » des révolutionnaires. Ainsi le meurtre de Leopoldo Leal et de la majorité de ses hommes à Magdalena, pendant leur sommeil, devient l’archétype de la cruauté et de la traîtrise des rurales46.

58Gutiérrez Allende, quant à lui, n’a pas été plus avant dans la répression du soulèvement ; d’ailleurs, il ne semble pas avoir eu le moindre contrôle de la situation : les actions de l’armée sont sous les ordres du colonel Villaseñor, commandant de la zone militaire et, par ailleurs, le gouverneur ne paraît pas avoir établi de contacts avec les chefs rebelles. On peut voir en cela à quel point la révolution est un processus qui dépasse totalement son pouvoir et ses réseaux, car les révolutionnaires sont effectivement en liaison avec les milieux civils, mais avec les clubs antirréélectionnistes et avec la coordination nationale par le biais de l’envoyé de Madero, Roque Estrada. Dans le processus de paix, entre mai et août 1911, le gouvernement de l’état joue un rôle plutôt réduit.

59On comprend bien ainsi à quel point l’ordre donné par Roque Estrada, dès son retour à Guadalajara, aux principaux chefs de la révolte dans l’état, de se concentrer autour de la capitale, est une manifestation de pouvoir et un message très clair adressé au gouverneur Gutiérrez Allende47. En effet, Estrada avait pris cette décision en accord, non pas avec le gouverneur, mais avec le club Gómez Furias48.

60Ramón Romero arrive le 1er juin49, et les autres chefs — Bruno Moreno, Manuel Guzmán, Cleofas Mota et Benjamin Camacho — s’installent aux alentours de Guadalajara dans les jours qui suivent afin d’ « encercler » la ville50.

61Cette disposition peut être vue comme une façon de garantir le contrôle de cette ville, dont le caractère révolutionnaire est suspect, par la pression de la présence des troupes et comme une façon d’affirmer le pouvoir des antirréélectionnistes ; c’est un des meilleurs moyens que possèdent Estrada et le club Gómez Farías pour faire pression sur le gouverneur Gutiérrez Allende. Mais c’est aussi une façon de tenir ces mêmes révolutionnaires sous contrôle, les uns retenus par la présence des autres. Il est clair, en tout cas, que leur proximité facilitait leur communication avec les madéristes urbains et rendait envisageables des négociations qui autrement auraient été très difficiles. En accord avec les dispositions du Ministère de l’Intérieur, ces forces devaient être théoriquement engagées dans la pacification et être unifiées sous un seul commandement51.

62Par ailleurs, cet ordre a permis aux madéristes, en particulier à Ramón Romero, d’effectuer une avancée triomphale, depuis le Sud de l’état où il se trouvait, sorte de campagne victorieuse, en traversant les villes et villages et recevant partout l’hommage de la population. Romero passe ainsi d’abord par Etzatlán, où il est l’objet d’un accueil chaleureux52 A Etzatlán naissent les premières images d’un Romero sans tâche, stéréotype du madériste, par opposition au simple rebelle, au bandit, au latrofaccioso53.

« L’énergie et la prudence de Romero, ainsi que son honnêteté et son bon comportement, l’ont rendu digne de la gratitude de la population d’ici54. »

63Ses forces arrivent ensuite à Ahuacatlán, où il est également reçu avec enthousiasme et où l’on voit déjà s’esquisser le changement des madéristes. D’agents de la peur, ils se font agents de la paix :

« Les gens de Romero se sont promenés dans les rues, faisant preuve de correction et de discipline, et le seul des madéristes qui cherchait à scandaliser fut attaché et ramené à l’ordre55 »

64Romero étant parti rapidement, le passage d’Espinosa, chef madériste de Tepic, dont le comportement suit l’exemple du premier, suscite le commentaire suivant : « En ce qui concerne les garanties, les madéristes en donnent de larges56. »

1.3. Peurs et enthousiasmes

65La situation militaire est étroitement liée à un certain nombre de facteurs, non strictement militaires et cependant intimement liés aux faits d’armes. La peur est le premier d’entre eux, dans la mesure où elle détermina souvent l’opposition présentée ou non par les villes et villages aux forces madéristes. L’enthousiasme en est un autre, tout aussi important, car il a ouvert la voie à l’expression publique, massive, des sentiments et des avis politiques de larges couches de la population dont on n’entend pas la voix d’habitude. Peur et enthousiasme constituent les deux pôles — non exclusifs l’un de l’autre, plutôt combinés — entre lesquels se situent les réactions à la révolution madériste, d’une bonne partie de la population du Jalisco, et dont heureusement les correspondants de presse de différents journaux de l’époque nous ont transmis le témoignage57.

66Pendant le mois de mai 1911, surtout avant la signature de la paix, le rôle de la peur est déterminant dans l’avancée des forces révolutionnaires. Après les accords de Ciudad Juârez, l’enthousiasme semble provisoirement emboîter le pas à cette peur, sans l’éliminer complètement pour autant.

67L’intensification des faits d’armes en mai 1911, conjointement à l’incapacité de plus en plus marquée du gouvernement à leur faire face, fournit pendant ces jours, un éventail d’exemples qui donnent la mesure de cette peur, touchant autant les villes que la campagne, et qui oblige à se poser la question de savoir si elle ne fut pas, à la limite, aussi déterminante que les faits d’armes eux-mêmes dans la « victoire » — si on peut l’appeler ainsi — des madéristes au Jalisco.

68Face à la peur, les réactions se structurent en fonction des moyens matériels dont on dispose. Dans la pratique, chaque localité affronte les révolutionnaires ou négocie avec eux selon ses propres forces et ses moyens. Dans la plupart des exemples disponibles, les moyens de défense sont très limités, voire inexistants.

69Un des cas les plus intéressants est celui d’Ahualulco où la journée et la nuit du 11 mai se passent à attendre les madéristes. On craignait, en effet, une attaque de Leopoldo Leal qui s’était soulevé à Tequila la veille, en ouvrant la prison de la ville.

70« Eu égard au manque absolu de moyens de défense », les autorités et les principaux vecinos s’étaient mis d’accord pour les recevoir de façon amicale afin qu’ils respectent les familles58. Une nouvelle parvenue de Guadalajara, annonçant l’envoi imminent de forces de défense, a fait cependant changer d’avis le chef politique, qui décida de ne pas rendre la ville aux insurgés. En apprenant cette nouvelle,

« les vecinos se sont montrés visiblement contrariés, craignant des scènes sanglantes [...] et les conséquences que pourrait entraîner la résistance.
« Alors une grande quantité de personnes a résolu de mettre de la musique afin d’attendre les révolutionnaires avec une fête. C’est ainsi que s’est passée la nuit, et nous nous sommes trouvés ce matin, au milieu de beaucoup de joie, sans que, heureusement, les gens de Leal nous aient rendu visite, peut-être parce qu’ils avaient su qu’une force avait été envoyée à leur poursuite.
« Ce qui est curieux, c’est qu’en ce même moment [...], comme on a fait quelques libations pour calmer cette curieuse tension, j’entends de fréquents vivats à Madero59. »

71Peu de villes décident, comme Tecolotlán, de résister aux révolutionnaires60 Dans le meilleur des cas, on prépare une surveillance qui n’indique pas forcément que la ville est prête à se défendre militairement. C’est le cas de Guadalajara, où le général Villasenor dispose, « en prévision d’une attaque inattendue », des postes de surveillance depuis les hauteurs de deux églises, celle de San Francisco et la Cathédrale61.

72Il est évident, aux yeux de la population, que le gouvernement de l’état ne dispose pas des moyens pour défendre la ville d’une éventuelle attaque révolutionnaire. Les élites essaient par conséquent de se mobiliser pour pallier cette carence et la Chambre de Commerce de Guadalajara lance un appel à la formation « d’un corps de Garde Mutuelle »,

« un groupe de vecinos armés, sans exclure les étrangers prêts à veiller à l’ordre de la ville et à la sécurité des familles et de leurs intérêts, au cas où les autorités ne pourraient assurer les garanties nécessaires62 ».

73D’ailleurs, le vice-consul britannique en poste à Guadalajara à l’époque estimait, début 1911, que la ville aurait pu être prise par 300 hommes si seulement le madérisme y avait compté suffisamment de sympathisants63.

74L’alarme occasionnée par deux événements d’importance tout à fait relative, nous prouve à quel point la capitale de l’état ne disposait pas d’un dispositif de défense capable de rassurer la population.

« Une panique indescriptible fut occasionnée hier par la nouvelle [...] qu’une cinquantaine d’hommes bien armés et sur de bonnes montures, se dirigeaient vers cette ville du côté de Mezquitán64. »

75Un détachement de gendarmes et un bon nombre de rurales, tous à cheval, sont allés à leur rencontre. Ils n’ont fait

« qu’accroître l’alarme, en sortant à toute allure, les armes sous le bras [...]. Les gens couraient alarmés dans les rues, ayant su que plusieurs révolutionnaires allaient faire leur entrée par Mezquitân65 ».

76En fait, de révolutionnaires il n’y en avait aucun, puisqu’il ne s’agissait que de 18 garçons de l’hacienda Cuisillos qui amenaient des chevaux de leur patron, afin de les faire garder à Guadalajara. Ce fait a touché à tel point Mezquitán, l’usine d’Atemajac et les points voisins, que le gouvernement décida d’y envoyer un détachement de rurales, afin de tranquilliser la population66.

« Alarme » est aussi le mot qui convient pour qualifier la réaction des habitants de Guadalajara face à la nouvelle du soulèvement d’un groupe d’hommes du village voisin de Tateposco, auquel s’étaient unis « bon nombre d’indigènes »67.

77Certaines localités, comme Tamazula — où l’on attend des rebelles en provenance de Tecalitlán —, décident tout simplement de ne pas s’opposer aux madéristes68. D’autres encore ne semblent rien entreprendre et attendent dans la peur le déroulement des événements. C’est le cas de Cocula où les habitants, ayant appris que les révolutionnaires étaient passés à Palo Alto, localité située à une vingtaine de kilomètres de la première, « sont, pour cette raison, très alarmés, craignant que leur localité ne soit visitée incessamment par les insurgés69 »

78Dans certains cas, l’évaluation des possibilités de défense et de résistance face aux insurgés dévoile les sentiments de la population. Ainsi à Ciudad Guzmán, où le chef politique avait convoqué les Indiens, afin d’arrêter la meilleure façon de défendre la ville, en prévision d’une éventuelle attaque. La réponse qu’il reçoit ne saurait être plus claire : « Ils ont tous refusé de prêter leur contingent, en disant qu’ils étaient madéristes »70. Le chef politique s’était tourné, la veille, vers d’autres secteurs de la population ; ainsi avait eu lieu une réunion de vecinos, où quelques mesures avaient été prises pour se prémunir contre une attaque

« dans le cas où ceux qui viendraient à Zapotlán seraient de la racaille ; mais s’il s’agit de madéristes, alors on ne leur opposera aucune résistance, en les priant seulement de ne pas incendier les archives ni de se livrer aux déprédations. [...] 11 semble que la population, en général, sympathise avec les révolutionnaires71 ».

79Par ailleurs, les proportions atteintes par la peur sont considérables, montrant que les populations percevaient comme une évidence l’impossibilité totale des autorités à leur porter le moindre secours. Il est arrivé même, que les autorités en place contribuent à augmenter la peur de la population, prises elles-mêmes de panique.

80Ainsi, des familles entières avaient fui Tizapán el Alto, craignant les insurgés qui se cachaient dans la Sierra del Tigre et que l’on avait déjà vus à Concepción de Buenos Aires, la Manzanilla et Mazamitla.

« Nos informateurs, qui sont encore pris de panique et qui sont sortis immédiatement de Tizapán, nous disent ne pas savoir concrètement ce qui s’est passé à San Francisco, qui touche presque Tizapán ; mais ils nous disent en revanche que lorsqu’ils [les insurgés] sont entrés dans cette localité, les Autorités ont pris la fuite afin d’éviter les complications et aussi du fait du manque absolu de moyens de défense [...]. On nous dit que l’alarme est grande dans ces régions72. »

81La signature de la paix, et sa divulgation à partir du 23 mai, ouvrent une parenthèse dans cette chaîne de peurs et font place à des réactions d’enthousiasme, sentiment dans lequel se mêlent la conviction d’un acquis politique et l’espoir du rétablissement de la paix.

82Dans la presse indépendante, les sympathies envers le madérisme s’expriment ouvertement pendant les derniers jours du gouvernement de Díaz. Nous sommes loin du débat sur la légitimité du soulèvement contre le gouvernement constitué73.

83Dans ces mêmes derniers jours, les sentiments politiques s’expriment aussi plus facilement en public. A Guadalajara, on entend pour la première fois des « à mort » contre Porfirio Díaz, en parallèle aux vivats lancés au nom de Madero, lors d’une manifestation où le discours du jeune Luis Schiaffino échauffe les esprits74. De même, ce n’est que par l’affaiblissement évident du régime que des confrontations franches d’opinion, entre des groupes traditionnellement dominés et les représentants du pouvoir, peuvent avoir lieu sans conséquences majeures. Comment expliquer, sinon, que le refus des Indiens de Ciudad Guzmán de participer à la défense de la ville, argumentant qu’ils sont madéristes, n’a pas suscité de réaction significative de la part des autorités75 ?

84Il faut s’arrêter plus longuement sur la question de l’enthousiasme dans le cadre des réactions à la nouvelle de la signature de la paix au niveau municipal, car c’est là qu’il prend toute son importance.

2. Prendre le pouvoir

2.1. La rupture de l’ordre constitutionnel. Les institutions en crise

85La crise déclenchée par les victoires madéristes dans le nord du pays, à partir du début de 1911, touche l’ensemble de la fédération. Ainsi, tout comme le gouvernement de Cuesta Gallardo s’écroule, avant même la démission de Díaz, les gouvernements d’autres états mexicains subissent le même sort, bien qu’avec moins de fracas et quelques jours plus tard. Le Jalisco n’est pas à cet égard un cas exceptionnel, bien que Cuesta Gallardo soit le premier gouverneur porfirien déchu ; sa singularité réside dans le fait que la chute de Cuesta est antérieure à la signature de la paix76. Le Plan de San Luis stipulant l’illégitimité des élus porfiriens, Madero souhaitait qu’ils soient tous remplacés avant un mois, considérant que ce changement était essentiel au rétablissement de la paix77. Le 19 juin 1911, un journal de Guadalajara publiait la liste des gouverneurs qui avaient déjà été changés ; il n’y manque que les territorios de Baja California Sur et Norte et celui de Quintana Roo78.

86La désignation de Gutiérrez Allende, président du tribunal suprême du Jalisco, comme successeur de Cuesta Gallardo, a lieu dans des conditions qui ne sont qu’en partie institutionnelles : le Congrès revient sur sa décision originelle sous la pression des galeries et du rassemblement populaire qui se tient à l’extérieur de l’enceinte parlementaire :

« La Représentation était à ce point accablée, qu’elle s’est vue dans l’absolue nécessité de déclarer l’élection nulle, et de la refaire, vu que les rappels à l’ordre et les menaces de faire déloger la salle s’étaient avérés inutiles. Le résultat fut favorable à M. l’avocat Gutiérrez Allende, qui fut acclamé par le peuple que c’en était incroyable79. »

87Constitutionnellement défectueuse, cette désignation revêt toutefois une certaine légitimité populaire, dans la mesure où elle se présente comme répondant aux desseins du « peuple » qui la sanctionne par acclamation.

88Cette légitimité constitue un précédent dans l’ensemble de la gestion du nouveau gouverneur, car ses principaux actes seront empreints de la pression de la mobilisation de ce « peuple », dont le visage se définit graduellement. Il s’agit, en effet, des antirréélectionnistes organisés, notamment le club Gómez Fartas, mais aussi de milliers de personnes, provenant de milieux sociaux divers, mues par un grand enthousiasme et qui spontanément sont descendues dans la rue, comme l’illustre ce témoignage d’un collégien, qui se joint de son propre chef aux manifestants, lorsque la nouvelle de la paix se répand dans Guadalajara :

« [...] tu dois savoir maintenant que les accords de paix ont été signés. Don Porfi-rio est parti. Mardi de la semaine dernière, la paix a été signée et [...] en sortant du collège, j’ai vu [passer] une foule avec des drapeaux, que j’ai rejointe sans passer par la maison. Nous marchions en criant des vivats aux héros de la révolution et des mueras aux crapules, principalement à don Porfirio. Nous sommes passés par la plupart des rues du centre et dans chaque jardin où nous sommes passés, nous nous sommes munis de branches ; ainsi, tout le monde avait sa branche de deux mètres de long et c’était très beau, on aurait dit un jardin ambulant long de trois cents mètres. Nous sommes arrivés devant le Palais [du Gouvernement], Cuesta est sorti et un gamin a lancé un discours et demandé la musique de [l’orchestre de] l’école [...]80. »

89Tout comme Cuesta Gallardo, Gutiérrez Allende assume la charge de gouverneur deux mois seulement, puisque le 1er août il quitte ce poste qu’il exerçait provisoirement. Cependant, pendant sa brève gestion, un certain nombre de processus sont mis en œuvre, qui marquent l’ensemble de la période. Pour ce gouvernement, comme pour le gouvernement national de la Barra, les enjeux principaux sont la pacification, la stabilisation politique, le retour à l’ordre constitutionnel par la voie de la convocation aux élections.

90La pacification passe par l’acceptation des termes de la paix par l’ensemble des forces mobilisées, leur unification et leur incorporation aux forces des rurales. Sur cette partie du processus, Gutiérrez Allende a peu d’emprise, car les interlocuteurs civils des madéristes armés au Jalisco sont Roque Estrada, en tant qu’envoyé de Madero, et les clubs antiréélectionnistes, avec lesquels le gouverneur n’a pas de liens étroits. La paix est, à ce stade, un enjeu national davantage que régional.

91La stabilisation politique passe obligatoirement, quant à elle, par l’intégration des nouvelles forces à l’exercice du pouvoir, donc par une réponse institutionnelle à l’élargissement de la scène politique. Elle passe aussi par le renforcement du pouvoir du gouverneur lui-même, comme unique moyen, pour Gutiérrez Allende, de contrer sa dispersion accélérée et de s’affirmer comme La tête du gouvernement de l’état.

2.2. Le vicaire de l’apôtre

92Cependant, la présence de l’envoyé de Madero à Guadalajara est l’un des obstacles majeurs à la consolidation du pouvoir du gouverneur. Si Gutiérrez Allende assume le pouvoir le 24 mai, à Guadalajara81, Estrada fait son arrivée dans cette même ville le 2782.

93Investi de la légitimité que lui confère son statut de représentant de Madero, Estrada s’installe à Guadalajara en véritable « vicaire de l’apôtre », malgré les différends qui désormais l’opposent à ce dernier83. En cette qualité, il concentre en sa personne l’essentiel des négociations de pacification avec les principales forces armées se réclamant du madérisme, et il entre en contact très étroit avec les principaux noyaux madéristes urbains, pacification et politique étant les deux volets essentiels de sa mission84. C’est à lui qu’obéissent les forces de Ramón Romero, Cleofas Mota, Bruno Moreno, Manuel Guzmán et Benjamín Camacho, lorsqu’elles viennent « encercler » Guadalajara début juin. Ce premier message envoyé au gouverneur est clair, tout autant que le deuxième : la mobilisation intense du club Gómez Farías — dont nous savons à quel point il est proche alors d’Estrada — afin d’obtenir la dissolution du Congrès de l’état, conçu comme un fief des porfiristes.

94Estrada s’installe en qualité de Grand Censeur de la révolution dans l’état, ce qui signifie qu’il entend éventuellement sanctionner les actes du gouvernement provisoire. En tant que tel et très rapidement, il fait sentir sa méfiance vis-à-vis de Gutiérrez Allende : ce dernier est à ses yeux un homme honorable, mais qui ne s’identifie pas suffisamment avec les principes de la révolution. Il fonde cette affirmation sur l’attitude observée dans le passé par le parti Independiente, qui avait refusé de soutenir la candidature de Madero85.

95Estrada fait comprendre, en somme, que pacification et stabilisation politique sont plus entre ses mains qu’entre celles du gouverneur. Il est clair aussi, dans cette attitude, qu’entrent également en ligne de compte ses ambitions personnelles par rapport au gouvernement du Jalisco.

2.3. Le pouvoir parallèle

96Depuis l’arrivée de Roque Estrada à Guadalajara, le Pouvoir Exécutif du Jalisco a, de façon très claire, deux têtes et deux sièges. Qui plus est, les deux mois de sa gestion sont, pour Gutiérrez Allende, une lutte continuelle pour s’affirmer en tant qu’une de ces deux têtes — ne disons pas déjà la seule. En effet, le jour même de l’arrivée d’Estrada, ce dédoublement du pouvoir se fait sentir.

97Reçu aux sons de l’hymne national et par plusieurs milliers de personnes, Estrada se dirige de la gare vers l’hôtel Francés, occasionnant une confusion momentanée parmi ceux qui étaient venus à sa rencontre et qui, pour la plupart, s’étaient dirigés vers le Palais du Gouvernement, croyant qu’Estrada lui-même s’y rendait86. Confusion initiale qui ne tarde pas à être dissipée et marque symboliquement le début de ce dédoublement du lieu central du pouvoir au Jalisco. La résidence provisoire de l’envoyé de Madero, l’hôtel Francés — par ailleurs situé à très peu de distance du Palais du Gouvernement — devient Le Lieu où les principales décisions politiques sont prises. Elle devient aussi, très symboliquement, le lieu devant lequel la population se rassemble en grand nombre lors des moments critiques pour donner ou recevoir des nouvelles, dans l’attente de la ligne à suivre ou d’un discours de Roque Estrada, orateur d’une grande éloquence.

98Quelques exemples suffisent à montrer cette dynamique. Le premier survient lorsque deux commissions du club Gómez Farías se présentent au gouverneur et aux députés pour demander la démission de ces derniers. Dans l’attente du résultat, les manifestants, qui s’étaient d’abord réunis au théâtre Cuauhtémoc, se déplacent sans se dissoudre et s’installent devant l’hôtel Francis, sur ce trottoir transformé pour l’occasion en Plaza Mayor, délaissant ainsi la Plaza de Armas, située devant le Palais du Gouverneur et, par conséquent, tout éventuel discours du gouverneur lui-même. Les membres des différentes commissions s’y rendent à leur tour, afin de faire connaître les résultats de leurs missions respectives. Entre temps, Estrada s’adresse aux manifestants depuis son balcon87.

99Un deuxième exemple illustre comment ce double pouvoir était clairement perçu (et exercé) au-delà de Guadalajara même. Lorsque des troubles ont lieu à Tlajomulco, où la demande de démission du directeur politique a failli se régler dans la violence, une commission de vecinos, membres du club anti-réélectioniste local, se déplace à Guadalajara afin de s’entretenir avec le gouverneur Gutiérrez Allende ainsi qu’avec Roque Estrada88.

100L’hôtel Fiancés se transforme ainsi de plus en plus en « siège » du gouvernement. C’est bien le cas lorsqu’une quarantaine d’Indiens de Cuyutlán présentent à Estrada leurs griefs, demandant justice, comme, en d’autres temps, ils se seraient présentés devant le gouverneur89.

101L’affaire de la démission des députés du Congrès local nous offre un dernier exemple du pouvoir d’Estrada et correspond au moment où son influence est à son sommet. Gutiérrez Allende vient de prendre finalement la décision de déclarer le Congrès inexistant, suite à la démission d’une majorité de ses membres et afin de débloquer un conflit qui se prolonge dans le temps et qui commence à avoir des retentissements à Mexico90 Dans un rassemblement au théâtre Cuauhtémoc — organisé par les clubs antiréélectionnistes —, où l’on donne lecture du décret du gouverneur, se profile l’argument de l’illégitimité de Gutiérrez Allende et, avec lui, la possibilité, voire le besoin, d’une relégitimation de son pouvoir par le peuple :

« Il a été dit que le pouvoir qui avait conféré la charge de gouverneur par intérim à M. Gutiérez Allende ayant disparu (pouvoir qui n’était pas la représentation authentique du peuple, puisque celui-ci ne l’avait pas élu), le peuple qui était présent devait sanctionner cette nomination et le faire savoir à Monsieur Gutiérrez Allende91. »

102L’initiative fut approuvée et une commission fut désignée afin d’aller voir Gutiérrez Allende. En principe, ce groupe de citoyens réunis au Cuauhtémoc prétend réassumer la souveraineté du peuple du Jalisco en l’absence de sa représentation. Or, l’affaire prend un tour différent lorsque la commission « du peuple », après être allée s’entretenir avec Gutiérrez Allende, rencontre Estrada. Ce dernier s’adresse alors aux milliers de personnes, au « peuple » — rassemblées une fois de plus devant son hôtel — depuis son balcon, « lui signifiant la satisfaction [qu’il éprouvait de voir] qu’il reconnaissait la valeur de ses gouvernants »92.

103Le pouvoir de Roque Estrada est bien à son sommet, et son ostentation commence à en déranger plus d’un.

3. Prendre les Municipes

3.1. L’enjeu du renouvellement des ayuntamientos

104Au lendemain de la signature des accords de paix de Ciudad Juárez, un des enjeux majeurs est celui du renouvellement des autorités politiques. S’il est évident que la Présidence de la République focalise toute l’attention dans le cadre de cette rénovation, tout aussi important est le renouvellement des autorités municipales et des chefs et directeurs politiques, dans la mesure où il pose la question de la démocratie municipale93. On n’étudiera jamais assez la dimension municipale de la révolution, qui est, de surcroît, une des rares à pouvoir faire sortir l’historiographie de la révolution du cadre de l’étude des seules élites94.

105L’intérêt pour la démocratie municipale n’est pas une innovation du plan de San Luis, mais une vieille revendication dont Díaz lui-même s’était servi dans son plan de Tuxtepec qui le mena au pouvoir95.

106Si l’appel à la révolte en novembre 1910 ne suscita pas au Jalisco de soulèvements considérables, en revanche, les réactions à la signature de la paix, dans la mesure où elles entraînent la chute des autorités politiques dans l’ensemble du pays, déclenchent une mobilisation généralisée et massive.

107Les lettres des correspondants des journaux de Guadalajara, dans les différents villes et villages de l’intérieur de l’état, constituent une source riche pour l’étude de ces réactions. Ces correspondances sont particulièrement intéressantes parce qu’elles donnent le point de vue d’une personne résidant sur place, familiarisée avec les enjeux locaux, originaire probablement de la localité dont elle assure les communications et non censurée par la rédaction du journal.

108En effet, les correspondants confirment et souvent accentuent la ligne éditoriale du journal, en affichant ouvertement des positions politiques que ce dernier défend de manière plus discrète ou avec un discours plus recherché. Ainsi, par exemple, La Gaceta de Guadalajara affirme une position clairement opposée à l’existence du Parti Catholique National, employant les termes suivants :

« Au Mexique, la question des croyances religieuses n’a rien à voir avec les partis politiques, du moment qu’une loi a établi la séparation de l’Église et de l’état. Dans les principes républicains, peuvent exister tous les partis politiques ; en dehors de ces principes, il ne peut en exister aucun, puisque cela porte atteinte à la loi et à la dignité de la nation.
Ceux qui ont anathématisé cette loi [la Constitution de 1857], ceux qui ont insulté et calomnié les héros de la patrie, ne sont pas démocrates ; ils doivent, pour leur propre dignité, se présenter sans masque, à la face sereine de la République96. »

109Une lettre en provenance de Sayula exprime cette même idée de façon bien plus emphatique :

« Cette fois le peuple ne tombera pas dans le piège qu’on lui tend, d’autant moins que l’on prend le nom sacré de Jésus-Christ afin de fomenter la plus inique des révolutions97. »

110Dans d’autres circonstances, les correspondants trahissent le langage voilé des éditoriaux en matière d’engagements politiques, comme il a été constaté en ce qui concerne les sympathies du quotidien catholique El Regional pour des mouvements comme le reyisme et le madérisme98. Il arrive encore que le correspondant aille franchement à rencontre de la position affichée par la direction du journal, comme ce représentant de La Gaceta de Guadalajara à Ato-tonilco el Alto qui, sans se soucier de l’anticléricalisme du journal, affirme, en parlant du développement du PCN dans cette ville, où le parti compte déjà près de 200 adhérents :

« Il est probable qu’il élargisse encore plus le nombre de ses adhérents, vue la bonne cause qu’ils défendent, sous la devise : Dieu, Patrie et Liberté99  »

111Autant d’éléments qui nous permettent d’affirmer que ces correspondants ne sont pas censurés, qu’ils ne reçoivent pas une « ligne » éditoriale explicite.

112Par ailleurs, les correspondants affichent en général de façon très ouverte leur opinion personnelle, leurs engagements ou leur surprise ; ce sont des intermédiaires dont le filtrage sur les actions et réactions des sujets est moins serré, dans la mesure où ils ne semblent pas systématiquement vouloir insérer leurs témoignages dans des disputes séculaires et des dynamiques globales. Les récits restent souvent dans l’univers local qu’ils décrivent et analysent, non pas comme un univers clos, mais comme un univers aux dynamiques propres.

113Il est possible ainsi, à partir de ces lettres des correspondants de presse, de se faire une idée de la réception au niveau municipal du madérisme comme mouvement politique et militaire et, surtout, de la signature de la paix, de la chute du régime porfirien et du processus de renouvellement des autorités politiques.

114La remise en question des autorités politiques au niveau municipal n’a pas attendu la signature de la paix. Déjà pendant la gestion de Cuesta Gallardo (mars-mai 1911), les différentes forces rebelles actives dans l’état avaient fait de l’installation d’autorités provisoires une de leurs actions symboliques. Dans les localités aux mains des révolutionnaires, ceux-ci ont souvent déposé les autorités en place, lancé une consultation publique et installé des autorités provisoires en attendant les élections. C’est exactement ce qui s’est passé le 9 mai à Ayo el Chico100, ainsi qu’à Sayula101.

115La prise en charge du renouvellement des autorités par les chefs madéristes est loin de s’arrêter avec la signature de la paix. Ainsi à La Barca, le chef révolutionnaire Jesús Delgado fut nommé chef politique le 31 mai102.

116Ce genre de nominations n’est pas sans poser des problèmes au gouvernement provisoire de Gutiérrez Allende :

« L’alcalde de Degollado a fait savoir hier que le chef madériste Mariano Morales a nommé de nouvelles autorités politiques et judiciaires ; il demande s’il doit remettre le tribunal au nouvel alcalde, et a reçu la réponse de ne pas le faire103. »

117Par ailleurs, à Ayutla, Valcalde constitucional ne peut plus s’acquitter d’une tâche qui lui a été confiée par le Juge de District, car il a été destitué par les madéristes104.

118Le processus se voit de surcroît renforcé lorsque des antiréélectionnistes non armés, jusque-là silencieux, font irruption sur la scène et, en présence ou en l’absence de forces madéristes, commencent à exiger le changement des fonctionnaires. Les habitants d’Atoyac, par exemple, ont célébré la paix la nuit du 25 mai, en ordre parfait, mais contre la volonté du directeur politique, dont la multitude a par la suite demandé la démission105.

119La signature de la paix ouvre ce moment du renouvellement des autorités politiques à la participation, certes, de la population anonyme des villes et villages, mais aussi à toutes sortes d’intérêts privés. Le cas de la ville d’Ameca, chef-lieu du cinquième canton, en est un bon exemple :

120Le 28 mai, depuis le matin, plusieurs groupes armés sont entrés dans la ville, le plus important étant celui du jeune hacendado Manuel Alfonso Cortina.

« Près des dix heures du matin, il y avait déjà presque cinq cents hommes sur de bonnes montures qui réclamaient à grands cris la démission immédiate du chef politique [Adolfo E. Romero]106. »

121Le calme est obtenu grâce à l’intervention et au discours du juge local Victor Manuel Ruiz. Suit un échange télégraphique avec le gouverneur de l’état, qui ordonne que le président du conseil municipal prenne provisoirement en charge la jefatura política. « La joie a envahi les manifestants, qui étaient déjà plus de deux mille. »107. Nouveau discours de Ruiz et du chef politique provisoire J. Odilón Cañedo, afin de persuader les gens « que la manifestation devait prendre fin, puisque l’objectif poursuivi avait été atteint108 ». Selon le correspondant, « pas un seul coup de feu n’a été tiré » et Cortina patrouillait dans la ville et surveillait la prison afin qu’elle ne soit pas ouverte. De son côté, l’ancien chef politique, Romero, avait agi avec la plus grande prudence109.

122Dans certains cas, les autorités démissionnent de leur propre gré, soit parce qu’elles réalisent qu’elles n’ont plus aucun soutien, comme ce commissaire judiciaire de Tenzompa, qui dit n’avoir de soutien ni des vecinos ni des autorités110 ; soit considérant qu’elles ne détiennent aucune légitimité, comme l’ayun-tamiento de Tolimán, qui justifie sa démission en masse

« en vertu des dernières nécessités proclamées par le peuple et son désir véhément de désigner les personnes qui le représenteront dans le futur111 ».

3.2. Les « explorateurs de l’opinion »

123Ce qui ressort de l’ensemble de ces changements d’autorités politiques, que ce soit par l’intervention de forces armées ou par la pression des habitants d’une localité, c’est que, de toute évidence, le processus échappe de façon globale au contrôle du gouvernement et qu’il n’est centralisé par aucune force, car les madéristes eux-mêmes ne sont pas unifiés et sont loin d’avoir le contrôle de l’ensemble du territoire.

124C’est un processus dont l’issue dépend de chaque municipe, voire de chaque localité où des intérêts et des rivalités, présents sans doute depuis longtemps, ressurgissent à la faveur du bouleversement du système, éventuellement en présence d’un élément extérieur, lorsqu’il y a prise du lieu par un groupe armé. Ainsi, la révolution madériste se fait au niveau municipal, l’appareil politique du régime provisoire se met en place, dans un premier temps, sans qu’il puisse intervenir. Non seulement le gouvernement n’a pas le contrôle du processus, mais les madéristes urbains, « institutionnels » pour ainsi dire, ne l’ont pas non plus. Il s’agit peut-être, ici, d’un des rares moments où le changement des autorités échappait au contrôle des institutions ou d’un mouvement dominant, et dépendait plutôt des forces locales. Est-ce ici que la révolution populaire était possible ?

125Cette situation explique l’un des premiers actes du gouverneur Gutiérrez Allende, que nous pouvons considérer comme l’un des premiers actes des élites du Jalisco visant à conjurer cette révolution qui menaçait de prendre forme si le peuple prenait trop en main le changement des autorités politiques. Il s’agit d’essayer de concentrer et de contrôler, précisément, le processus de renouvellement des autorités politiques. Gutiérrez Allende adopte pour ce faire une solution novatrice, non prévue par la loi en vigueur, mais qui essaie d’être en accord avec le plan de San Luis, dans le but que :

« les autorités politiques des localités du Jalisco soient nommées parmi les personnes qui, par leurs qualités d’honnêteté, de justice et de culture, sont dignes d’occuper ces postes, prenant en compte l’opinion des vecinos de ces mêmes localités112 ».

126Il constitue officiellement, le 5 juin, une commission chargée d’une mission exceptionnelle, constituée par « plusieurs messieurs, reconnus pour leur culture »113, qui sont chargés de se rendre

« aux chefs-lieux des cantons de l’état, avec la mission d’explorer l’opinion publique et d’étudier les besoins et les aspirations des habitants de chacune des régions dont ils ont la charge114 ».

127Le gouvernement du Jalisco anticipait en cela l’ordre du nouveau ministre de l’Intérieur, Emilio Vázquez Gómez, aux gouvernements des états, émis le 12 juin, de pourvoir au changement des autorités municipales115.

128La figure de 1’« explorateur de l’opinion publique », comme on désignera chacun de ces hommes, est intéressante à plusieurs titres. En premier lieu, par un mécanisme parallèle à la Constitution, le gouvernement essaie de couper avec la tradition porfirienne de désignation-imposition d’une partie des autorités politiques (formellement, des chefs et directeurs politiques) et de donner une certaine légitimité à des autorités provisoires, par le biais d’une enquête d’opinion.

129D’autre part, le gouvernement, en alliance avec les antiréélectionnistes urbains, essaie de prendre le contrôle d’un processus jusqu’alors entre les mains des madéristes armés et des habitants de chaque localité. Ce faisant, il associe les antiréélectionnistes au processus, en leur ouvrant une porte de participation qui lui assure, en principe, leur collaboration.

130Vues l’ampleur de la tâche et son urgence — il commence en plus à recevoir des demandes concrètes de certains villes et villages pour le changement de fonctionnaires116 —, le gouvernement fera aussi appel aux autorités cantonales117.

131Les « explorateurs de l’opinion publique » sont, en réalité, dotés de pouvoirs qui dépassent largement la seule enquête : il leur incombe d’organiser, suite à leur sondage, l’élection d’autorités provisoires. On comprend bien qu’en peu de temps, ces explorateurs soient devenus des « interprètes » de l’opinion publique et qu’ils aient détenu un certain pouvoir.

132Quelques témoignages nous donnent une idée de la façon dont ils ont accompli leur tâche.

3.3. L’opinion, la voix, le vote

133L’organisation de cette exploration de l’opinion a donné lieu à plusieurs phénomènes intéressants du point de vue de l’étude des pratiques politiques. Elle est en premier lieu le symbole d’un droit politique récupéré : « Pour la première fois depuis plusieurs années s’est exercé à Ameca le droit de libre vote118. »

134Elle ouvre aussi un champ de participation assez vaste à l’exercice du droit de vote comme droit majeur de la citoyenneté, en établissant les formes de participation pour l’ensemble des hommes adultes. Le processus à Ameca est un des plus clairs à cet égard : ici, les envoyés du gouvernement ont appelé à l’élection pratiquement immédiate (pour le lendemain de leur arrivée) du chef politique et de l’ayuntamiento. Le jour venu, le lieu où devait avoir lieu l’élection s’est vu

« matériellement envahi par le peuple [...] le vote devait être direct pour les individus sachant lire et écrire et indirect pour les analphabètes, qui devaient nommer leurs délégués à raison d’un pour vingt119 ».

135Ce processus élargit par ailleurs le champ de l’élection elle-même, en y intégrant les postes de chef et de directeur politique, jusqu’alors désignés directement par le gouverneur120. En effet, la majorité des chefs politiques et une bonne partie des directeurs, ont été soumis à l’élection à l’issue des explorations de l’opinion publique. Au moins huit des douze cantons ont connu des élections de chefs politiques : Ameca, Autlán, Zapotlán, Mascota, Chapala, La Barca, Lagos et Sayula121. La grande exception à cet égard est le canton de Guadalajara, dont le chef politique a certes changé, mais sans que le poste soit soumis au vote.

136L’exploration de l’opinion replace cette dernière, et en théorie le vote, au cœur du renouvellement du personnel politique. Or, dans la pratique, l’exploration fait du vote un élément secondaire de l’élection. En effet, le plus important s’avère être la sanction du peuple donnée par acclamation, capable d’annuler le résultat d’une élection qui vient d’être faite. En effet, dans plusieurs endroits se reproduit ce qui était arrivé à Guadalajara au lendemain de la signature de la paix : on réclame et obtient la démission du gouverneur Cuesta Gallardo ; le Congrès de l’état élit comme gouverneur provisoire le député José Cuervo, cependant, impressionnés par les expressions de désaccord des manifestants rassemblés à l’extérieur du bâtiment et dans les galeries, les députés reviennent sur leur décision et élisent Gutiérrez Allende, qui se voit, lui, légitimé par l’acclamation de ces mêmes manifestants122.

137Le même phénomène se présente à Atotonilco, pour l’élection de Cayetano Romo. En effet, « lorsqu’il s’est présenté à une fenêtre et que l’on annonça son triomphe, le peuple cria non ! ! ! »123 Le poste échoit alors à Pablo Flores, l’ancien directeur politique, immédiatement acclamé124.

138C’est ainsi que le vote occupe une place tout à fait secondaire, loin derrière les acclamations et les applaudissements populaires qui légitiment 1’ « élu ». Dans le meilleur des cas, le vote est, comme à Totatiche, sanctionné par l’acclamation ; ici, « le peuple a reçu ce résultat des élections avec une tempête d’applaudissements »125.

139La ville qui illustre le mieux cette logique est Ameca, où trois listes de candidats concouraient pour l’élection du nouvel ayuntamiento. Lorsque l’on présenta la première, elle fut rejetée « à grands cris »126. En revanche,

« la deuxième a immédiatement obtenu l’approbation de tous ceux qui étaient présents, et ce ne fut plus une élection, au vrai sens du terme : ce fut un plébiscite (...]. Plus personne n’a voulu s’occuper de voter. A quoi bon ? Le peuple a couru en masse vers les églises et, grimpant aux tours, a fait sonner les cloches à toute volée127 ».

140Les fonctionnaires ainsi élus agissent entièrement sûrs d’une légitimité issue d’une acclamation populaire. Ainsi, le nouveau président de l’Ayuntamiento, le docteur Fernandez, adressa immédiatement un télégramme à Madero pour lui faire part de son élection,

« en faisant allusion au fait que c’était le premier Ayuntamiento de la République, ayant été élu pour le gouvernement révolutionnaire128 ».

141Vers la fin du mois de juillet, une quarantaine d’ayuntamientos avaient été changés ; même celui de Guadalajara avait présenté sa démission129. Ce processus se voit interrompu par la démission de Gutiérrez Allende et l’arrivée d’un nouveau gouverneur provisoire, Alberto Robles Gil, qui prend ses fonctions le 1er août. Le nouveau gouverneur est désigné par le Sénat, ce qui constitue une intervention obligée du centre, vu que Jalisco est à l’époque dépourvu de Congrès.

142Robles Gil est accueilli avec optimisme, notamment dans les milieux hostiles à Gutiérrez Allende, et, d’une manière générale, dans l’espoir qu’il rétablira l’ordre constitutionnel dans l’état, en convoquant rapidement des élections pour un prochain gouverneur.

« Étant donné son caractère de Gouverneur provisoire, M. Robles Gil sera exempt de tout engagement envers un parti, et par cette circonstance il sera une garantie d’ordre et de tranquillité pour l’état, dans la prochaine lutte électorale130. »

4. Sortir du provisoire

4.1. Le renouvellement de l’Exécutif

143Dans le cadre du renouvellement des autorités politiques, et dès la désignation du premier gouverneur provisoire, David Gutiérrez Allende, la lutte pour le contrôle du gouvernement de l’état devient l’un des enjeux majeurs de l’après-profiriat dans Jalisco. Les principales caractéristiques de cette lutte, qui a lieu dans des conditions d’ouverture politique exceptionnelle, sont l’apparition d’une quantité considérable de clubs et partis politiques, et la présence d’un nombre important d’aspirants au poste. En outre, le fait de donner lieu à des campagnes électorales extrêmement prolongées, car entamées sans qu’une date précise ait été fixée pour une élection dont l’ajournement devint le cauchemar des candidats et des partis. En effet, entre la chute de Manuel Cuesta Gallardo, le 24 mai 1911, et l’élection d’un nouveau gouverneur constitutionnel, à la fin du mois d’octobre 1912, 17 mois s’écoulent. Les campagnes s’étendent ainsi sur 15 ou 16 mois, selon les cas.

144Dès les premiers jours de la gestion de Gutiérrez Allende, cette lutte s’était déjà manifestée dans la rivalité entre le nouveau gouverneur et Roque Estrada. Les aspirants se multiplient très rapidement et plusieurs noms commencent à circuler de façon d’abord officieuse, avant qu’aucune candidature soit formellement lancée. Parmi ces noms il y a surtout ceux de José López-Portillo y Rojas, Rodolfo Reyes, bien entendu Roque Estrada et David Gutiérrez Allende lui-même ; mais on parle aussi d’Alberto Robles Gil, de Manuel Cuesta Gallardo, de Francisco Escudero, de Juan R. Zavala, d’Ambrosio Ulloa et de Celedonio Padilla, et même du général Bernardo Reyes.

145Les premiers candidats à entrer formellement en campagne ont en commun le fait d’avoir été étroitement liés au mouvement politique le plus important des dernières années du porfiriat au Jalisco : le reyisme131. Il s’agit de José López-Portillo y Rojas et du fils du général Reyes, Rodolfo132. L’image du premier, déjà bien apprécié, pendant le porfiriat, pour ses qualités intellectuelles et morales133, s’était enrichie du fait d’avoir subi la persécution politique.

146Ayant fait l’objet de l’acharnement de Díaz pour avoir été un inconditionnel de la cause reyiste bien au-delà de Reyes lui-même, López Portillo avait été déchu de son immunité parlementaire, afin d’être jugé pour fraude. Daniel Cosío Villegas signale toute la portée d’une telle accusation :

« On ne peut que qualifier d’extrême le procédé d’accuser López Portillo d’un délit de droit commun qui, en plus de l’annuler politiquement, le déshonorait en tant que professionnel et en tant qu’homme134. »

147Cependant, malgré tous les efforts de Díaz, toutes les tendances politiques présentes au Jalisco reconnaissaient en López Portillo un honnête homme, défenseur de ses convictions et ayant subi une incarcération injuste135. L’exemple le plus clair est celui du journal Jalisco Libre :

« Même si nos convictions sont contraires aux idées catholico-libérales de M. López-Portillo, nous ne cessons pas pour autant d’être de l’avis qu’il est une personne honorable et qu’il n’a pas commis le délit qu’on lui impute136. »

148Par ailleurs, López Portillo disposait de ce qu’on peut considérer comme un atout politique très porfirien : celui de personnifier un pont entre libéralisme et catholicité, ce qui lui permet de toucher un spectre politico-idéologique assez vaste.

149Un des premiers à lancer sa candidature est le club Aurora Libertad, fondé le 3 juin 1911137, à Cocula, mais c’est le club Jesús López Portillo (du nom du père du candidat et ancien gouverneur de l’état) qui concentrera à Guada-lajara les travaux les plus importants138.

150La candidature de Rodolfo Reyes est, quant à elle, organisée particulièrement par le club Pedro Ogazón (du nom du général libéral de la guerre de Réforme auquel le candidat était apparenté), fondé à Guadalajara le 18 juin139.

151De la proximité des deux candidats témoigne leur tentative de rassembler leurs sympathisants sous une seule candidature, exposée dans un manifeste commun140.

152Pendant les derniers jours du mois de juin sont lancées d’autres candidatures : Ambrosio Ulloa — l’ancien dirigeant du parti independiente, maintenant séparé de celui-ci —, Roque Estrada, Francisco Escudero — avocat et professeur, ancien reyiste, proche de Francisco León de la Barra et d’Emilio Madero. Le mois suivant apparaît aussi la candidature d’Ireneo Paz — avocat, écrivain et journaliste libéral, ancien colonel de la guerre d’intervention française — et, finalement, celle du madériste Salvador Gómez141.

153Notons qu’un nombre important de ces candidats sont des hommes domiciliés depuis plusieurs années à Mexico ; c’est le cas de López-Portillo y Rojas, Reyes, Escudero et Paz. Notons aussi que, de ce groupe, seuls Estrada et Gómez ont participé activement à la révolution madériste, et qu’eux seuls entretiennent des liens avec des groupes sociaux autres que les élites.

4.2. Les enjeux nationaux

154Au fur et à mesure qu’on avance dans l’année 1911, les différentes forces politiques présentes au Jalisco s’inscrivent de plus en plus dans le cadre politique national, dont les principaux enjeux sont les nouvelles élections présidentielles, l’affirmation ou mise en question du pouvoir de Madero, les particularités de la gestion de la Barra et la présence de nouvelles ambitions, notamment depuis le retour d’Europe de Bernardo Reyes, dont le regard est clairement posé sur la Présidence de la République. Les rumeurs d’un retour de Porfirio Díaz au pays circulent même142.

155Jalisco ne peut pas être indifférent à tous ces événements, et les forces politiques de l’état s’imbriquent clairement dans les enjeux nationaux. Un des indicateurs principaux de ce phénomène sont les élections présidentielles du 15 octobre 1911. Au Jalisco, le travail de propagande eut lieu surtout en faveur de deux formules : Madero-Vázquez Gómez, soutenue par la grande majorité des clubs et partis antiréélectionnistes et libéraux, et Madero-de la Barra, soutenue par le Parti Catholique National. La formule Madero-Pino Suárez eut quelques soutiens à Lagos, et la candidature de Bernardo Reyes (présentée sans candidat à la Vice-présidence) a été soutenue par deux clubs : le Soberanía Nacional et le Democrático Jalisciense143.

156Les résultats de ces élections présidentielles nous donnent une idée très claire du poids électoral réel des différentes forces politiques et préfigurent déjà le panorama politique des années 1912-13 : Madero triompha dans les 20 districts de l’état, de la Barra dans 19, Vázquez Gómez dans un seul ; tandis que Pino Suárez n’a eu un succès relatif qu’à Lagos — où il eut le même nombre de votes que de la Barra —, alors que dans certains districts il n’a obtenu aucun vote144.

157Comme on peut le voir, Jalisco est un état où les clivages internes du madérisme se sont manifestés avec force. C’est ainsi que, par exemple, Roque Estrada, dans ses divergences avec Madero, use de son influence pour appuyer la candidature de Vázquez Gómez contre celle de Pino Suárez. Par ailleurs, certains comme Ambrosio Ulloa chercheront à avoir le soutien du Partido Constitucional Progresista pour aider à leurs aspirations personnelles145.

158Au total, la diversité interne du madérisme se joint ainsi au bagage de conflictualité et de pluralisme politique avec lequel le Jalisco entre pleinement dans l’expérience démocratique que la période présidentielle de Francisco I. Madero représente dans l’histoire du Mexique.

Notes de bas de page

1 Cf. par exemple J.-P. Bastian, Los disidentes..., op. cit., et la collection dirigée par P. Gonzalez Casanova, La clase obrera en la historia de México, publiée par siglo xxi à partir de 1980 ; particulièrement les volumes 2, J. F. leal et J. Woldenberg, Del Estado liberal a los inicios de la dictadura porfirista, 1980 ; 3, C. F. S. Cardoso, F. G. Hermosillo et S. Hernandez, De la dictadura porfirista a los tiempos libertarios, 1980.

2 Sur la réalité et l’importance de ce partage du pouvoir pendant le gouvernement de la Barra, cf. A. Knight, op. cit., pp. 247 et suiv.

3 Le premier gouverneur constitutionnel post-porfirien, José López-Portillo y Rojas, n’est élu qu’en octobre 1912.

4 Cf. M. Blanco, op. cit., R. Falcon, op. cit., F. J. Ruiz cervantes, La Revolución en Oaxaca. El movimiento de la Soberanía ( 1915-1920). Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1986.

5 M. Ceballos Ramirez, El Catolicismo social..., op. cit.

6 Cf. J. G. Zuno, op. cit., M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., et les chroniques des journaux La Libenad et El Régional.

7 Le comité cantonal du parti Independiente à Guadalajara ne décida de soutenir la candidature présidentielle de Madero que lorsque la chute du régime porfirien était imminente : le 16 mai 1911. Un journal libéral local commentait le fait ironiquement en présentant la nouvelle au public sous le titre « notable previsión política ». La Gaceta de Guadalajara, 17 mai 1911.

8 Sur l’origine et le développement de ce parti ainsi que sur son alliance avec l’hacendado Cuesta Gallardo, cf. les chapitres 5 « Le reyisme, une opposition porfiriste », et 8 « Le madérisme. Du déclin du reyisme à la chute de Díaz ».

9 Sur l’importance de la révolution comme moment fondateur de l’identité mexicaine et cela dès ses premiers jours, cf. H. C. Schmidt, The Roots of Lo Mexicano Self and Society in Mexican Thought, 1900-1934, College Station, Texas A & M University Press, 1978. Schmidt montre à quel point la Révolution et lo mexicano sont devenus pratiquement synonymes entre 1910 et 1920 (p. 67).

10 La Libertad, 5 juillet 1911.

11 Ibid.

12 Aucun de ces partis n’a cependant réussi à concentrer la force de l’Independiente de 1909, qui réussit à garder pendant quelques mois un noyau de fidèles regroupés autour de Celedonio Padilla.

13 Ces querelles opposeront particulièrement Francisco l. Navarro, directeur de La Libertad à son ancien co-équipier Ambrosio Ulloa.

14 On peut consulter M. Aldana Rendón (éd.), Jalisco desde la revolución, Mexico, Gobierno del Estado de Jalisco-Universidad de Guadalajara, 1987, ainsi que J. M. Muria (éd.). Historia de Jalisco, op. cit., t. 4.

15 La Gaceta de Guadalajara, 6 juin 1911.

16 Ibid., 23 juillet, 1er août 1911.

17 Ibid. 24 juillet 1911.

18 El Régional, 26 mai 1911, La Gaceta de Guadalajara, 9, 17, 20 et 24 juin 1911.

19 El Régional, 28 mai 1911. Cf. aussi La Liberlad, 27 mai 1911

20 Entretien avec Roque Estrada, La Gaceta de Guadalajara, 28 mai 1911.

21 Ibid.

22 On peut voir A. Knight, op. cit. ; J. Wowack (Jr.), « La Revolución mexicana... », op. cit, pp. 78-145 ; Ch. C. Cumberland, Mexico, the struggle..., op. cit.

23 El Regional, 25 mai 1911.

24 El Regional, 28 et 30 mai 1911.

25 La Gaceta de Guadalajara, 30 mai 1911.

26 El Regional, 25 mai 1911.

27 Ibid.

28 La Gaceta de Guadalajara, 27 mai 1911.

29 El Regional, 1er juin 1911.

30 La Gaceta de Guadalajara, 30 mai 1911.

31 Ibid., 6 juin 1911.

32 Ibid, 31 mai 1911.

33 Ibid, 29 juin 1911.

34 Ibid, 1er juin 1911.

35 Ibid, 30 mai 1911.

36 El Regional, 25 mai 1911.

37 On peut voir P. J. Vanderwood, op. cit. ; A. Knight, op. cit. ; J. Womack (Jr.), « La revolución mexicana... », op. cit.

38 Revista de Comisario que pasó la Gendarmería del Estado intervenida por el Gral. Loreto Gutiérrez, 31 décembre 1908. AHJ. G-12-908, GUA/887.

39 Cf. supra chapitre 1.

40 Gendarmería del Estado. Estado que manifiesta..., Notas, Guadalajara, 2 janvier 1909. AHJ, G-12-908, GUA/887.

41 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit, pp. 108-109.

42 Gendarmería Municipal. Estado que manifiesta la fuerza que tiene la expresada con anotación de la alta y baja en el presente mes. Ciudad Guzmán, 12 novembre 1908. AHJ, G-12-6908, CIG/1558.

43 El Regional, 23 mai 1911.

44 La Gaceta de Guadalajara, 11 juillet 1911.

45 Ibid, 12 juin 1911.

46 El Regional, 14 mai 1911, La Gaceta de Guadalajara, 14 mai 1911.

47 Ibid., 2 juin 1911. M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., p. 131.

48 La Gaceta de Guadalajara, 31 mai 1911.

49 El Regional. 6 juin 1911.

50 Ibid.

51 AHJ, Gobernación, s.c, 1911.

52 El Regional, 1er juin 1911.

53 Le terme latrofaccioso est intraduisible ; il combine le voleur (du terme latrocinio : vol) et le factieux.

54 El Regional, 1er juin 1911.

55 Ibid, 2 juin 1911.

56 Ibid.

57 Les journaux les plus riches en correspondants pour l’année 1911 sont La Gaceta de Guadalajara et El Regional.

58 Correspondance datée le 12 mai à Ahualulco. El Regional, 13 mai 1911.

59 Ibid.

60 Ibid., 16 mai 1911.

61 Ibid., 13 mai 1911.

62 Ibid., 4 mai 1911.

63 Cité dans D. Ankerson, Some aspects of economie change and the origina of mexican revolution, 1876-1910, Cambridge, University of Cambridge Press, 1973, p. 40.

64 El Regional, 17 mai 1911.

65 Ibid.

66 Ibid.

67 Ibid., 23 mai 1911

68 Ibid., 16 mai 1911.

69 Ibid., 17 mai 1911.

70 Ibid.

71 Ibid.

72 Ibid.

73 Voir particulièrement La Libertad, El Régional, lui Gaceta de Guadalajara et El Globo, pendant les mois d’avril et mai 1911

74 El Regional, 9 mai 1911. La manifestation, qui a eu lieu le soir du 8 mai, a été dissoute par l’intervention de la police.

75 Ibid., 17 mai 1911.

76 La chute des autres gouverneurs survient en effet après la démission de Díaz : parmi les premiers, citons ceux du Zacatecas, Campeche, et Puebla. La Gaceta de Guadalajara, 30 et 31 mai 1911.

77 Ibid., 1er juin 1911.

78 Ibid., 19 juin 1911.

79 El Regional. 25 mai 1911. Voir aussi supra, chapitre 8, pp. 302-305. On peut en lire un récit très détaillé dans La Libertad des 24 et 25 mai 1911.

80 Gabriel Ayala à Antonio Ayala, Guadalajara, 28 mai 1911, Fondo Ayala y de Landero (dorénavant FAL).

81 El Regional, 24 mai 1911, Libertad, 24 mai 1911.

82 El Regional, 28 mai 1911, La Gaceta de Guadalajara, 28 mai 1911.

83 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., p. 130.

84 Selon ses propres déclarations à la presse. La Gaceta de Guadalajara, 28 mai 1911.

85 Sur cet épisode, voir supra, chapitre 8, pp. 279-283.

86 La Libertad. 27 mai 1911. Ce journal avance le chiffre de dix mille personnes, tandis que El Regional parle de trois mille. El Regional, 28 mai 1911.

87 El Regional, 6 juin 1911.

88 La Caceta de Guadalajara, 13 juin 1911.

89 Ibid.

90 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden... op. cit., pp. 121-124.

91 La Gaceta de Guadalajara, 19 juin 1911.

92 Ibid. La Libertad parle de cinq mille manifestants, 19 juin 1911.

93 Sur la question des chefs politiques, cf. M. Blanco, op. cit., pp. 39-54.

94 Il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici les mots par lesquels se termine une des œuvres majeures de Giovanni Levi : « Une aventure politique qui a duré pendant cinquante ans, qui a pris sous une forme très particulière mais si symptomatique des modes d’agir et de penser du monde paysan du xviie siècle, est définitivement achevée. Je veux imaginer que cette multitude confuse qui a défilé devant nous n’a pas eu d’importance qu’à ses propres yeux ; et que sa pauvre pratique quotidienne a contribué à façonner pour le meilleur et pour le pire les caractères originaux de l’état moderne, ainsi que les choix et les compromis de ses classes dominantes. », G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xvii siècle. Paris, Gallimard, 1989, p. 230.

95 F. Katz, « México : la restauración de la República... », op. cit., p. 28.

96 La Gaceta de Guadalajara, 28 juin 1911.

97 G. Dávila Ríos, « Guerra contra la Tiranía », Ciudad Guzmán. 4 juin 1911, La Gaceta de Guadalajara, 13 juin 1911.

98 Cf. supra, chapitre 7, pp. 245-250.

99 La Gacela de Guadulujara, 1er août 1911.

100 El Regional, 12 mai 1911.

101 « Correcta actitud de los revolucionarios del Sur », La Libertad, 27 mai 1911.

102 La Gaceta de Guadalajara, 1er juin 1911.

103 El Regional, 3 juin 1911.

104 La Gaceta de Guadalajara, 24 juin 1911.

105 La Gacetu de Guadalujaru, 31 mai 1911.

106 Ibid. 30 mai 1911.

107 Ibid.

108 Ibid.

109 Ibid.

110 Ibid.. 1er juin 1911.

111 Ibid., 4 juillet 1911.

112 Ibid, 6 juin 1911.

113 Ibid

114 Ibid

115 Cf. M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden.... op. cit., pp. 124-125.

116 Le nouveau gouvernement avait reçu plusieurs demandes de changement des autorités municipales de la part des habitants de localités comme Ahualulco, Unión de San Antonio, Purificación, Tepospizaloya, Lagos de Moreno et La Barca. M. Aldana Rendon, op. cit., pp. 124-125.

117 La Gaceta de Guadalajara, 23 juin 1911.

118 Ibid., 11 juin 1911.

119 Ibid.

120 Sur les modalités de désignation de ces fonctionnaires pendant le porfiriat cf. supra, chapitre 2.

121 La Gaceta de Guadalajara, 11, 15 et 17 juin, 1er et 11 juillet 1911.

122 Cf. supra, chapitre 8, p. 305.

123 La Gaceta de Guadalajara, 21 juin 1911.

124 Ibid.

125 Ibid, 7 juillet 1911.

126 Ibid., 11 juin 1911.

127 Ibid.

128 Ibid.

129 Cf. M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., pp. 124-125.

130 La Gaceta de Guadalajara, 27 juillet 1911.

131 Il est question ici du premier reyisme, celui qui se développa en 1908 et 1909, et non point du second, qui prit quelque importance en 1911 et opposa Bernardo Reyes à Madero, conduisant le premier à la rebellion (le 9 avril 1913) et à la mort (le 18 avril 1913). Sur le premier reyisme, cf. supra, chapitres 5 et 6, sur le second, cf. D. Arenas Guzman, Radiografia del cuartelazo 1912-1913, Mexico, INEHRM, 1969 ; M. Marquez Sterling, op. cit. ; J. Romero Flores, op. cit.

132 Il convient de préciser que, si Rodolfo Reyes a effectivement suivi son père dans toutes ses velléités de pouvoir, par contre, en 1911, José López-Portillo y Rojas n’est plus un reyiste.

133 Cf. E. Carballido, op. cit.

134 D. Cosio Villegas, op. cit., p. 837.

135 Le 14 mai le sénateur López Portillo y Rojas est remis en liberté, il était resté à la prison de Belén cinq mois et sept jours.

136 Jatisco Libre, 29 mai 1911.

137 El Regional, 4 juin 1911.

138 Ce club adopte formellement la candidature de López Portillo y Rojas le 20 juin en session solennelle ; ce dernier répond rapidement au club par un télégramme en acceptant sa postulation, la Gaceta de Guadalajara, 20 et 27 juin 1911.

139 Ibid., 19 juin 1911.

140 « Al pueblo de Jalisco », dans ibid., 22 juin 1911. Le manifeste est daté du 20 juin.

141 Ibid., 26, 28 et 29 juin et 12 et 29 juillet 1911.

142 La Libertad, 18 octobre 1911.

143 La Gaceta de Guadalajara, 2 et 11 août 1911.

144 La Libertad, 17 octobre 1911.

145 Ulloa prétendait être le représentant du PCP, ce qui fut démenti par plusieurs clubs du Jalisco proches de ce parti, et par le Constitucional Progresista lui-même. Cela valut à Ulloa notamment les attaques de Francisco L. Navarro et de ses anciens co-partisans au sein de l’Independiente. Pour l’ensemble de la querelle, cf. La Libertad, 18 octobre 1911, et El Correo de Jalisco, 26 novembre 1911.

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