Chapitre 8. Le madérisme, du déclin du reyisme à la chute de Díaz (fin 1909-mai 1911)
p. 271-305
Texte intégral
1Le madérisme est le mouvement qui, s’opposant ouvertement à la réélection présidentielle, deviendra le lieu de convergence des revendications d’une partie des élites, des classes moyennes urbaines et des ouvriers. Autour de Francisco I. Madero, à partir de mai 1909, sous la forme des clubs antiréélectionnistes, se tisse ainsi un vaste réseau d’opposition au régime de Porfirio Díaz, qui soutien la candidature de Madero à la Présidence de la République 1.
2Prenant le parti de passer aux armes face au refus de dialogue de la dictature elle-même, le madérisme transformé en mouvement armé, attire surtout les milieux ruraux, qui y apportent leurs propres revendications, et décidera en quelques mois de guerre (de la fin novembre 1910 à la fin mai 1911) de l’écroulement du régime de Porfirio Díaz2.
1. La recomposition des forces politiques autour du madérisme
1.1. Les premiers pas de l’antiréélectionnisme au Jalisco. Le club Valentίn Gómez Farίas
3A partir du printemps 1909 et dans les mois qui suivent, alors que dans d’autres régions du pays l’antiréélectionnisme se structure et réussit à acquérir une dimension nationale, au Jalisco, ce mouvement vit dans l’ombre presque totale et ne subsiste que grâce à la ténacité d’un club, le Valentίn Gómez Farías, fondé en milieu de l’année 1909 et affilié au Centro Antirreeleccionista National3. Les noms de Eduardo J. de la Torre, Zenón Campos et Roberto Monraz sont associés par la presse au premier acte public de ce club, prévu pour le 4 juillet, et pour lequel étaient invités des représentants du Centre national, Toribio Esquivel Obregón, Paulino Martínez et Roque Estrada4.
4Il reste peu de traces des actions du Gómez Farίas pendant le second semestre de 1909. On le retrouve dans les mémoires de Roque Estrada, homme très proche de Madero et de certains cercles intellectuels de Guadalajara, évoqué de manière imprécise, et plus proche de la littérature que de l’histoire : « Le Club Valentín Gómez Farías travaillait sans impatience, plein de foi et d’espoir dans l’avenir »5. José Ramírez Flores évoque directement la fondation du Gómez Farίas, autour du tailleur Enrique Calleros et de Roberto Monraz, son premier président, et présente ce club comme issu d’une ancienne organisation reyiste6, mais on ne trouve pas dans son récit d’autres informations concernant les activités de ces antiréélectionnistes pendant l’année 19097.
5Plus concrètement, on sait que ce club organisa une réunion avec le même Estrada, lorsque ce dernier visita Guadalajara le 3 avril 1910, à l’occasion de laquelle, accusé de proférer des insultes contre Porfirio Díaz pendant le rassemblement, Estrada fut convoqué à la Jefatura Política8. En dehors de cela, rien sur les activités du Gómez Farίas ; non pas qu’il n’en ait pas eu, mais sans doute que la presse régionale était bien plus occupée à suivre le reyisme et le corralisme, mouvements auxquels on accordait, d’une manière générale, bien plus d’importance.
6Cette situation est due, fondamentalement, à l’omniprésence du reyisme qui a, en effet, absorbé la plupart des énergies politiques de l’état pendant cette période, et focalisé l’attention. L’histoire des débuts du madérisme au Jalisco est de la sorte intimement liée à celle du reyisme. Et elle l’est à double titre car non seulement, dans un premier temps, sa capacité d’expansion en dépendait et se voyait de ce fait limitée, mais en outre, historiographiquement, après l’exil du général Reyes, l’antiréélectionnisme est vu comme l’héritier direct du reyisme.
7Si l’image du madérisme au Jalisco dépendait à ses débuts (milieu de l’année 1909) de la largeur de la voie qu’il pouvait se frayer dans un univers tout empreint de reyisme, l’image que nous en avons à présent est, quant à elle, dépendante d’un phénomène historiographique qui a restreint les perspectives d’analyse de son implantation et aussi, quoique dans des proportions moindres, de son développement. Il s’agit du poids pris par les mémoires de Roque Estrada dans l’élaboration d’une version historique de l’implantation du madérisme dans l’état9. En effet, les principaux auteurs qui ont traité la question reproduisent la version que Estrada lui-même en a laissé, en particulier pour ce qui concerne les séjours de Madero et le moment de la fondation du deuxième club anti-réélectionniste de Guadalajara, le Miguel Hidalgo (c’est-à-dire, entre décembre 1909 et mai 1910)10.
8Il est vrai par ailleurs qu’Estrada a une grande importance dans la structuration du madérisme au Jalisco. Il a fondamentalement assuré le lien entre les antiréélectionnistes de l’état et le Centre national, dont il faisait partie dès ses débuts11, et on ne peut douter que, dans la formation des premiers clubs antiréélectionnistes de l’état, intervint son réseau personnel d’accointances, tissé pendant ses années de formation à Guadalajara. Son rôle paraît ainsi comparable à celui joué par Alfredo Robles Domínguez au Guanajuato12. Dans les deux cas, en effet, les rapports entre le Centre Antiréélectionniste National et une personnalité d’influence locale, mais active à Mexico, seront déterminants dans la structuration du madérisme local. Jalisco fait ainsi partie des états où l’antiréélectionnisme arrive en quelque sorte de l’extérieur.
9En effet, dans Jalisco le madérisme semble s’être structuré, dans un premier temps, particulièrement autour de Estrada, dont les visites paraissent imprimer de la vigueur à un mouvement plutôt terne. Il est toutefois évident que d’autres réseaux s’incorporèrent au mouvement au fur et à mesure que ce dernier prenait un poids politique et social incontestable à l’échelle nationale.
10Ainsi, le madérisme s’impose-t-il à l’ensemble des acteurs de l’état lorsqu’il devient fort à l’échelle nationale, et de ce fait, incontournable. Ce chapitre essaie d’analyser ce processus à partir des travaux précédemment effectués sur la révolution madériste au Jalisco, et à partir également d’une étude de la presse locale de plus grande circulation à l’époque, à savoir : les quotidiens indépendants El Regional (catholique), La Libertad (libéral et ancien reyiste), Jalisco Libre (libéral-corraliste), et les officieux El Correo de Jalisco (ahumadiste) et La Gaceta de Guadalajara, devenue vers la fin 1910 Gaceta de Jalisco (científico)13.
1.2. Entre reyisme et madérisme. Liens de l’antiréélectionnisme national avec les mouvements locaux (décembre 1909, mai 1910)
11De manière générale, on tient pour un fait établi que la plupart des anciens reyistes déçus ont rallié le madérisme lorsqu’ils ont enfin compris que, suite au départ de Reyes pour l’Europe, leur mouvement n’avait plus de raison d’être tel qu’il était formulé. Peu d’auteurs s’attardent cependant sur cette transition, et ce n’est pas un hasard si un des rares à le faire est Mario Aldana Rendón, historien du Jalisco. Il faut bien dire que, dans cet état, le passage ne se fait pas automatiquement et sans ambiguïtés. Ici, encore, l’approche régionale permet de mieux comprendre une conjoncture précise, en contribuant à dévoiler la complexité d’un processus trop rapidement considéré comme simple. Peut-être permet-elle également de repenser le politique comme un phénomène régional voire essentiellement local dans certaines conjonctures.
12Sans vouloir généraliser les conclusions ainsi obtenues, il est possible de ramener à sa juste dimension un mouvement qui, ayant atteint une importance nationale, retombe et voit son champ d’action se réduire à l’échelle régionale voire locale ; car, vers la fin 1909, le reyisme (ou plutôt ce qu’il en reste) est redevenu un phénomène régional, ou plutôt un ensemble de phénomènes régionaux. Ce qui permet également de reposer la question de plusieurs reyismes, du reyisme en tant que phénomène géopolitique multiple. En effet, pas plus que dans leur période d’apogée, pendant celle de leur déclin les reyismes n’auront entre eux de liens importants. Ils se refondront pour la plupart dans des mouvements politiques régionaux dont dépendra leur adhésion à ou leur refus du madérisme.
13Qu’est donc ce reyisme jalisciense s’il en reste un et quels sont ses rapports avec le madérisme ? comment les restes du reyisme deviennent-ils le soutien principal du madérisme ? quelle est leur force ?
14Il faut comprendre en premier lieu que la frontière qui sépare le reyisme du madérisme est celle de la rupture avec le régime porfirien. Il faut donc se demander si vraiment le madérisme au Jalisco est une simple continuation du reyisme. Il est également nécessaire d’analyser ce que chacun des deux mouvements a représenté, au sens le plus large du terme, pour la société jalisciense et en particulier pour ses acteurs politiques.
15La chute du général Reyes laisse un mouvement nombreux, actif, bien structuré, dépourvu de sa raison d’être formelle, face à un vide politique. Ce mouvement avait, cependant, évolué et, comme on l’a vu, s’était constitué graduellement une base sociale large, dont le mobile dépassait la candidature du général Reyes et matérialisait l’opposition à la continuité du régime dans l’opposition à la réélection du vice-président Corral.
16Malgré la disparition de Reyes et la répression, le mouvement constitué au Jalisco ne s’anéantit pas, ni ne se dissout ; mais qu’en reste-t-il ? un parti politique regroupant une force importante : l’Independiente, en quête d’une nouvelle « cause ». Dans ce parti on retrouve l’ensemble des anciens reyistes (malgré leurs querelles internes), y compris ceux qui s’étaient lancés dans l’aventure du Club Jalisciense del Partido Democrático, comme Tomás Rosales ou José Ignacio Solórzano14.
17Dans le panorama politique du Jalisco, ce parti est la force indépendante la plus solide et, par conséquent, celle que Madero contadera, au mépris du Club Gómez Furías15. En effet, lors de son passage par Guadalajara, en décembre 1909, Madero s’entretient avec Celedonio Padilla, dirigeant du Partido Independiente16. Et plus tard, au mois d’avril, en vue de la Convention Nationale Antiréélectionniste, qui devait désigner des candidats à la présidence et vice-présidence de la république, c’est avec Padilla que Madero essaiera de négocier la participation du Partido Independiente, toujours par le biais d’Estrada17. Padilla, l’homme qui assurera le contact principal entre cette force politique et Madero, occupe dans la société tapatía une position intéressante : à son rôle de dirigeant de l’Independiente, il joint ses liens étroits avec les milieux les plus actifs du catholicisme ; c’est bien à l’étage de sa propre demeure que se trouve l’École Catholique de Jurisprudence, récemment réouverte, dont il est professeur18.
18Mais revenons aux séjours de Madero à Guadalajara, dont les enjeux vont au delà des négociations avec le P.I. En effet, trois visites scandent l’histoire de l’implantation du madérisme au Jalisco : celle de Madero accompagné d’Estrada en décembre 1909 ; celle d’Estrada seul en avril 1910 et celle de Madero (toujours suivi par Estrada) en mai 1910. De ces visites, au moins deux aspects sont essentiels pour l’étude du mouvement : le contact avec les organisations politiques existantes dans la région (le parti Independiente, mais aussi les clubs antiréélectionnistes) et le contact de Madero et d’Estrada avec la population et l’impact qu’ils laissèrent sur elle. Dans un premier temps, les deux aspects ne semblent pas dépendants l’un de l’autre, tant les organisations, et en particulier le P.I., sont prises dans leur propre dynamique ; cependant il n’est pas sûr que dans un deuxième temps, ces mêmes organisations aient pu se soustraire à l’influence de la popularité croissante du madérisme. Ces visites laissent voir par ailleurs l’existence latente de plusieurs madérismes, dont les points de contact sont plutôt faibles.
19La première visite de Madero à Guadalajara a lieu le 24 décembre 1909. Que les autorités n’étaient pas indifférentes à sa présence, est souligné par le fait que le président du Club Gómez Farías, Roberto Monraz, avait été emprisonné quelques jours avant l’arrivée de Madero dans la ville19.
20Cette visite est documentée par le témoignage d’Estrada, largement utilisé par les historiens : celui-ci décrit avec force détails les événements20 ; et il existe aussi le témoignage de la presse de l’époque, en général bien moins prolixe, et dont l’attitude reflète les tribulations de plusieurs forces politiques ou potentiellement politiques de l’époque.
21D’une part, le quotidien catholique El Regional, malgré ses sympathies mal dissimulées envers Madero, n’en dit mot, inexplicablement, ni le jour même ni les jours suivants, tandis que La Libertad, journal libéral indépendant, annonçait dès la veille l’arrivée des antiréélectionnistes21. L’attitude de El Regional est-elle une conséquence du principe de non-intervention en politique locale établi par l’épiscopat ? Est-elle plutôt le reflet d’une indétermination des catholiques militants sur la manière dont il convient de participer à la vie politique ? Elle est, en tout cas, une preuve supplémentaire de l’indécision encore persistante à cette date parmi les catholiques les plus engagés sur la voie de la participation politique.
22D’autre part, la presse officieuse n’a pas observé une attitude uniforme. En effet, de son côté, Jalisco Libre, journal proche du gouverneur Ahumada, sans accorder d’importance à l’événement, en parlait comme d’une supposition et prétendait ne pas avoir détaché de correspondant pour l’occasion :
« Hier a dû arriver dans cette ville un groupe de citoyens antiréélectionnistes qui vient de la capitale afin de faire la propagande de ses tendances politiques : il est composé par MM. Francisco I. Madero, Toribio Esquivel y Obregón et d’autres dont nous ignorons les noms22. »
23La Gaceta de Guadalajara, proche des científicos, donne quant à elle plus de détails, et permet de confirmer en partie la version donnée par Estrada. Il n’est pas inutile de reproduire quelques extraits :
« A l’arrivée du train, les quais de la gare se sont vus remplis de personnes de toutes les classes sociales [...]. En descendant du train, M. Madero et ceux qui l’accompagnaient, ont été salués par une salve d’applaudissements et de vivats qui ont profondément impressionné M. Madero [...]. Ils se sont logés à l’Hôtel Francés, et à peine étaient-ils installés dans leurs chambres, que l’hôtel fut envahi par une multitude avide d’entendre parler le chef des antiréélectionnistes23. »
24Ainsi, dans un journal qui ne peut pas être soupçonné d’une quelconque sympathie envers le madérisme, on retrouve bien les échos de cet accueil chaleureux réservé par une foule de tapatíos réunis à la gare, au chef des antiréélectionnistes, et dont parlent Estrada, de même que quelques témoignages individuels24.
25Ce premier contact direct entre Madero et la population du Jalisco se faisait sous des cieux plutôt optimistes : un accueil enthousiaste de la population et une première approche qui, sur le moment, a semblé fructueuse avec la plus importante organisation politique de l’état, les indépendants. En effet, au lendemain de cette rencontre, tout semble indiquer que ces derniers se joindront au madérisme ; ils ont présenté au leader antiréélectionniste un programme rédigé par Miguel Mendoza Lopez S., et signé par un bon nombre de personnalités de la société de Guadalajara. Pour certains auteurs, cela est le signe d’une intégration du parti Independiente au madérisme25. Cette affirmation ne tient pas compte de la suite des événements, car une telle alliance n’a en fait jamais été conclue.
26On pourrait plutôt parler d’une rencontre manquée entre Madero et les indépendants. Le programme rédigé par Mendoza López tient surtout dans un projet de réforme agraire que Madero trouve trop radical ; il écrit donc dès le 30 décembre à Celedonio Padilla en lui demandant d’exclure toute question agraire du programme26.
27Que Madero n’ait pas voulu d’un programme agraire réformateur, cela ne fait pas de doute, ni dans le moment étudié ici, ni plus tard, en tant que chef de la révolution, ni lorsqu’il fut président de la république27.
28De son côté, la trajectoire de Mendoza López peut donner une idée de la radicalité de ses idées en matière sociale : dans ses années de formation, il fut l’un des fondateurs du cercle Aurora Social, en 190428, plus tard il deviendra un des principaux idéologues du zapatisme29.
29Mais on aurait tort de ne concevoir cette affaire que comme celle d’un désaccord entre Madero et Mendoza Lopez, car s’il est vrai que c’est ce dernier qui a rédigé le programme, il est aussi vrai que ce programme a été signé par les dirigeants du Partido Independiente, dont on ne peut penser qu’ils aient été indifférents au contenu. D’ailleurs, ce sont précisément les signatures des souscrivants, au-delà de la radicalité du projet, qui semblent avoir étonné Madero30.
30Par ailleurs cette première visite de Madero permet aussi d’identifier un noyau important de l’antiréélectionnisme parmi les organisateurs de la tournée ; il s’agit de Miguel Mendoza López S., Ignacio Ramos Praslow, Atala Apodaca, Enrique Díaz de León, Francisco del Toro et le mineur Julián Medina31, tous des proches de Roque Estrada, non forcément liés au parti Independiente, et sans aucun doute bien plus proches du madérisme que ce dernier.
31Dans la presse, un dernier écho de cette visite se trouve dans les pages de La Gaceta de Guadalajara qui, voulant souligner « l’échec » du meeting convoqué par les madéristes, dévoile les craintes que ressentait le gouvernement vis-à-vis du fantasme du désordre public et suggère par là même la popularité du madérisme. A cette occasion, les autorités — dit La Gaceta — ont refusé le théâtre Principal aux antiréélectionnistes « dans leur désir de maintenir l’ordre le plus parfait et de prévoir les scandales »32. Le journal déduisait l’échec du rassemblement de la volonté même des autorités de le faire échouer et des difficultés rencontrées par les organisateurs pour établir un lieu d’accueil du meeting. Or, en dépit de tous les obstacles, ce dernier fut bel et bien tenu, en pleine rue, devant l’hôtel où Madero et Estrada habitaient :
« Par contre, le matin, d’un balcon de l’Hotel Francés [devant lequel] ils avaient fait rassembler quelques trois cents à quatre cents personnes, ils ont lu leur programme politique33. »
32Le deuxième contact entre Madero et les anciens reyistes a lieu en avril 1910, par l’intermédiaire de Roque Estrada. Ce dernier avait été envoyé par le Centre National à Guadalajara, afin d’obtenir le ralliement définitif de l’Independiente à l’antiréélectionnisme, sous la forme de sa participation à la Convention Nationale Antiréélectionniste, qui devait avoir lieu à Mexico en avril et dont le but principal était l’élection des candidats à la Présidence et Vice-présidence de la république.
33Mais, malgré ses efforts, l’envoyé de Madero n’obtient pas le ralliement de l’organisation au Centre Antiréélectionniste National34. Il retrouve par contre, à cette occasion, les antiréélectionnistes des premiers temps, membres des clubs et de quelques organisation secrètes.
34Mai 1910 est la date de la dernière visite de Madero à Guadalajara dans le cadre de sa campagne électorale ; les antiréélectionnistes convaincus se mobilisent afin de préparer la rencontre. Ils reçoivent cette fois l’attention de la presse, qui rapporte qu’une séance extraordinaire du club antiréélectionniste, préparatoire à la visite de Madero, a réuni près de 300 membres du club35.
35Une fois Madero parti, Estrada reste à Guadalajara pour assister à l’installation formelle de plusieurs clubs antiréélectionnistes, dont notamment le Miguel Hidalgo36, nouveau club structuré autour des mêmes personnes que le Gómez Farίas : Salvador Gómez, Benjamin Camacho et Roberto Monraz et qui compte par ailleurs avec un membre du P.I., José L. Suárez.
36A côté de cela, et malgré l’accueil chaleureux réservé à Madero par la population, le parti politique Independiente n’a toujours pas rallié le madérisme. Que se passe-t-il ?
1.3. Les anciens reyistes et le madérisme, une rencontre manquée
37En 1910, deux conjonctures s’offrent au P.I. pour une mobilisation politique : toujours — et malgré la disparition de Reyes de la scène politique — l’élection présidentielle de juillet 1910 et l’élection de gouverneur au Jalisco, prévue pour décembre 1910. Sur cette grille du calendrier électoral, vient se greffer le développement du madérisme, qui dans le pays gagne de plus en plus d’adhérents.
38Dans un premier temps (janvier), et peu après le départ de Reyes pour l’Europe, les indépendants passent une alliance avec Manuel Cuesta Gallardo37, dont le but est de mener ce dernier au gouvernement de l’état. Le parti se positionne ainsi rapidement vis-à-vis de la conjoncture régionale.
39Ensuite, au mois de mai, et sans avoir aucune position arrêtée par rapport aux présidentielles, le parti annonce qu’il se prépare aux élections, et qu’il mettra en place une centaine de clubs dans l’ensemble de l’état, en vue des élections de président, vice-président et de gouverneur38.
40Cette annonce est déjà révélatrice de l’inégale importance accordée aux deux événements : en termes de calendrier électoral, qui prévoit les présidentielles pour le mois de juillet et les gouvernementales pour décembre, il semble bien qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour organiser des clubs et se préparer en vue des premières échéances ; en revanche, il reste suffisamment de temps pour préparer la mobilisation électorale à l’échelon local. Si le P.I. essaie de tenir compte de ces deux conjonctures, afin de s’assurer une survie politique, une définition par rapport à la question présidentielle parait complexe, du fait du départ de Reyes qui avait privé ses partisans d’un candidat, tout comme de l’absence d’un véritable relais de l’image politique représentée par le général.
41Ainsi, l’Independiente va s’approcher de Madero et du Parti Antiréélectionniste, sans jamais se résoudre à soutenir ouvertement sa candidature. Madero n’est pas un simple substitut de Reyes. L’enjeu n’était pas mineur ; il ne s’agissait pas tout simplement d’adopter un nouveau candidat, dont l’image n’est pas du tout celle du précédent, mais il était question d’assumer ouvertement une position antiporfiriste. Or, la candidature de Reyes était toujours restée dans les limites mêmes du système politique porfirien, auquel celle de Madero s’opposait de front. L’indétermination fut donc la sortie qui parut la plus adéquate aux indépendants, qui n’ont soutenu en définitive aucune candidature à l’élection présidentielle. Ainsi, lors d’une séance tenue début juin, le parti décidait de ne pas participer aux présidentielles en tant qu’organisation39. La résolution intervint toutefois assez tard, ce qui en prouve la difficulté.
42Parallèlement, le parti se tournait nettement vers les enjeux locaux, en formalisant lors de cette même convention l’alliance passée avec Cuesta au début de l’année ; la convention décidait en effet à l’unanimité d’adopter et de lancer la candidature de ce dernier40.
43Un examen rapide de la chronologie particulière du P.I., entre décembre 1909 et juin 1910, montre à quel point s’entrecroisent, dans cette décision, les enjeux locaux et nationaux de la politique et comment la politique locale semble peser bien plus que la nationale :
44En effet, c’est l’alliance passée avec l’hacendado Manuel Cuesta Gallardo, qui semble s’interposer entre le P.I. et la convention nationale antiréélectionniste à laquelle le parti décide de ne pas participer, malgré les efforts de Roque Estrada41.
45Cette alliance des indépendants avec Cuesta peut paraître inconsistante et fut très critiquée à l’époque : du fait de leurs contacts avec Madero ils étaient assimilés aux antiréélectionnistes — certains d’entre eux l’étaient bien ouvertement ; or ils s’alliaient à un homme qui non seulement était un proche de Porfirio Díaz, mais dont l’engagement dans le corralisme était indéniable ; il avait même fait partie de la Convention Nationale Réélectionniste, en représentant des clubs du Jalisco42. Une des plus sévères critiques fut celle de El Correo de Jalisco, journal partisan de la réélection du gouverneur Ahumada. Plusieurs éditoriaux de ce journal ont été consacrés à la mise en question de cette alliance. En voici un exemple, au titre évocateur :
« Pandemónium politique »
« Nul ne sait où il va ni d’où il vient [...]. Nous voyons que de nombreux reyistes ont adhéré au parti antiréélectionniste, et soudain, ils signent des annonces cuestistes qui proclament M. Corral, pour ensuite se rendre aux séances des amis de Madero et là fulminer contre les actuels Président et Vice-président de la République. [...]
Certains proclament la non réélection et sont en même temps partisans de M. Cuesta. Comment les deux tendances peuvent-elles s’unir en un seul faisceau ? Sur tous les tons ils assurent que M. Cuesta compte avec le soutien moral de M. le Général Díaz, et ce sont les mêmes qui clament l’écroulement de Monsieur le Président, puisqu’ils se disent antiréélectionnistes convaincus43. »
46Le journal posait habilement l’incohérence de cette alliance, incohérence qui ne pouvait par ailleurs échapper à quiconque au courant de l’évolution de la question de la succession présidentielle au Jalisco pendant l’année 1909.
47Mais la filiation corraliste de Cuesta Gallardo est laissée dans l’oubli par les indépendants, bientôt il ne reste plus, pour en parler, que El Correo de Jalisco, tandis que le P.I., avec l’aide des clubs cuestistes, s’efforce de créer une atmosphère d’euphorie générale vis-à-vis de l’arrivée de Cuesta au pouvoir.
48Il y a de toute évidence dans l’alliance des indépendants avec Cuesta, et des deux côtés, la recherche d’une garantie d’accès au pouvoir.
49Cuesta Gallardo, hacendado moderne et entrepreneur, est un des hommes les plus puissants du Jalisco, position renforcée par son amitié de plusieurs années avec Porfirio Díaz, qu’il reçoit régulièrement au bord du lac de Chapala. Ainsi c’est chez lui que se donnent rendez-vous une fois par an les hommes politiques du Jalisco avec Porfirio Díaz, car ce dernier n’a pas l’habitude de se rendre à Guadalajara44. C’est sur « son » territoire, par exemple, qu’a lieu, en juin 1909, l’entretien entre Ramón Corral et le gouverneur Ahumada qui marque le début de la répression reyiste45. Médiateur, Cuesta ? pas vraiment, mais enfin, souvent intermédiaire entre différents niveaux de pouvoir.
50Étant aussi un des hommes les plus riches de l’état, il était souvent appelé à prendre part à des initiatives « civiles » ayant une répercussion sur l’ensemble de la société. Il fut un des premiers à adhérer, par exemple, en mai 1909, à l’initiative de Tomás Rosales (reyiste à l’époque) pour former un corps de « pompiers du commerce » de Guadalajara46. Rien d’étonnant à ce que, par ailleurs, Cuesta ait réussi à réunir autour de sa candidature d’autres hacendados, parmi les plus influents47.
51Lorsqu’il aspire au poste de gouverneur, Cuesta n’est pas un nouveau-né de la politique. Certes, il n’a pas jusque là occupé de poste dans l’administration, cependant il est bien clair que la politique n’est pas l’affaire exclusive de l’administration publique. Deux exemples au moins montrent cet homme, jouant ou essayant de jouer un rôle de médiateur. Le premier se produit durant le conflit entre les étudiants reyistes et le gouvernement de l’état, lorsque le gouverneur Ahumada avait décidé l’expulsion des étudiants reyistes des écoles professionnelles. Cuesta Gallardo s’est alors proposé comme médiateur, sans que l’échec de la négociation ôte un sens à sa démarche48.
52Le deuxième exemple est beaucoup plus significatif, mais il est aussi bien plus tardif et, cette fois, Cuesta Gallardo est déjà en pleine campagne et perçu dans plusieurs milieux comme le futur gouverneur. Le mexicain Antonio Rodríguez venait d’être lynché aux États-Unis et une réaction d’indignation populaire parcourut plusieurs villes mexicaines avec des manifestations anti-américaines plus ou moins violentes. A Guadalajara, et en l’absence du gouverneur Ahumada, Cuesta Gallardo s’est à nouveau proposé comme « médiateur ». Ainsi convoque-t-il les étudiants devant sa maison, le jour même où des manifestations sont prévues, afin d’essayer de les dissuader d’y participer49. Nouvel échec du point de vue du résultat, car les manifestations ont bel et bien eu lieu, impliquant un éventail de manifestants bien plus large que les seuls étudiants : on y trouve notamment des ouvriers, mais aussi une « foule » que la presse a du mal à définir, car non convoquée par quelque organisation que ce soit et qui, dans son emportement vindicatif, a effrayé la colonie américaine de Guadalajara ainsi que d’autres étrangers et les commerçants en général. Ce peuple urbain inclassable était hors de portée des efforts pacificateurs de Cuesta Gallardo, contrairement aux étudiants qui, eux, sont allés voir le candidat, répondant à son appel. Cette démarche du candidat prend tout son sens si l’on songe au fait qu’aucun des acteurs jouissant d’une quelconque audience, — le P.I., les autorités politiques ou religieuses —, n’avait pensé à un tel mouvement.
53Par ailleurs, l’alliance avec le P.I. était un acte politique très lucide de la part de Cuesta, puisqu’elle lui procurait le soutien d’un groupe vaste, actif, comprenant une partie de l’avant-garde intellectuelle de l’état et, surtout, d’un réseau parfaitement structuré50.
54En revanche, on peut se demander ce que le P.I. recherchait en échange. Il est certain que ce parti cherche à se consolider comme force politique par le biais de l’accès au pouvoir. Il obtient qu’un de ses principaux membres, David Gutiérrez Allende, soit soutenu comme candidat au poste de Président du Supremo Tribunal de Justicia del Estado, deuxième poste en théorie de l’administration de l’état, et le fonctionnaire que la Constitution locale prévoit comme suppléant éventuel du gouverneur.
55Reste à savoir pourquoi le P.I. n’a pas lancé ses propres candidatures. Si l’on songe à la logique du groupe dirigeant du parti, il est clair que son axe a toujours été de rester dans les limites du système. Dans un système où l’on sait bien que les gouverneurs sont presque littéralement choisis par le président de la république, le parti ne faisait dans un sens que se donner toutes les chances d’atteindre son but. Par ailleurs, les « personnalités » du parti ne correspondaient pas au profil du candidat porfirien typique ; Ambrosio Ulloa, Tomás Rosales, David Gutiérrez Allende, Adolfo Oliva ou encore plus Miguel Mendoza López S., étaient des intellectuels sans les « qualités » de type ancien requises normalement dans le système porfirien pour accéder au poste ; notamment, aucun d’entre eux n’avait des rapports personnels avec Díaz51. Ils n’ont pas, non plus, à ce point, une véritable clientèle politique. Ce groupe est en effet politiquement moderne ; les liens qui unissent ses membres sont de caractère intellectuel plus que de type personnel ; leur communauté d’intérêts est créée par eux mêmes, à partir d’un idéal et non pas forcément d’une situation matérielle commune spécifique qui les définisse. Cet élément a probablement pesé sur leur décision d’appuyer un homme qui correspondait, lui, au dit profil.
56Il faut dire par ailleurs que Cuesta Gallardo, à la différence de Madero, avait accepté et souscrit, moyennant quelques modifications, au programme de gouvernement que lui avait présenté le P.I. Il s’agit d’un programme réformiste, visant à améliorer les conditions de vie des « classes déshéritées » — terme cher à Mendoza López et qui montre entre autres son influence sur l’élaboration du texte —, par une législation qui tienne compte de leurs problèmes ; ce programme visait aussi à renforcer la souveraineté de l’état dans la fédération, de même que les libertés municipales, l’indépendance du Pouvoir Judiciaire et le rétablissement de la figure des insaculados, et du conseil de gouvernement52, ce qui allait de pair avec la suppression des chefs politiques. Le programme prévoyait aussi une série de mesures contre l’alcoolisme, pour l’amélioration de l’instruction publique, des réformes au code pénal, le respect de la liberté de la presse, ainsi que des visites régulières du gouverneur aux différents municipes53.
1.4. Un gouverneur en devenir. La campagne politique de Cuesta Gallardo
57Le fait le plus caractéristique de la campagne électorale de Cuesta Gallardo, répondant à un des points du programme souscrit, est qu’elle prend la forme d’une tournée à travers les différents cantons de l’état, afin de mieux en connaître les besoins54. Cette démarche revêt un caractère novateur, comparée à la façon dont les gouverneurs porfiriens s’installaient directement au pouvoir à Guadalajara, sans tournée préalable.
58Ainsi, entre octobre et décembre 1910, il se rend — en passant plusieurs fois par Guadalajara — à Lagos de Moreno et Teocaltiche ; Sayula, Ciudad Guzmán et La Barca ; Zacoalco, Chapala et Ocotlán ; Ahualulco et Ameca. Vers la fin octobre il interrompt sa campagne pour se rendre à Mexico et, une fois de retour, il visite Ameca, Jayamitla et Guachinango, Atenguillo, Mascota, Ayutla et Autlán55. En somme Colotlán est le seul canton qu’il ne visite pas, ce qui rappelle le manque de liens entre cette région et la capitale de l’état, son isolement géographique ainsi que les difficultés matérielles réelles pour s’y rendre, et finalement l’abandon dont il fait l’objet de la part de la classe politique.
59La campagne politique de cet hacendado devient, en peu de temps, celle d’un homme certain d’arriver au pouvoir et dont on est certain qu’il y parviendra. Ainsi, les organisateurs de la visite à Lagos de Moreno donnaient à l’avance le ton que l’événement devrait avoir. Un correspondant de presse rapporte que, en vue du passage du candidat,
« on voit une grande animation dans la ville. Les commissions travaillent sans relâche car elles souhaitent faire plaisir à l’honorable hôte. On croit que ce sera la réception la plus populaire organisée jusqu’à aujourd’hui56 ».
60Il est possible de faire, dès ce premier moment de la tournée, une constatation dont la portée n’est pas négligeable : il ne s’agit pas, pour les habitants du Jalisco, de rencontrer un homme et son programme, afin d’estimer si on le soutiendra ou pas ; il s’agit, bien au contraire, de le séduire. Premier indice de ce que deviendra cette campagne qui, à partir du 16 octobre, date du premier retour de Cuesta à Guadalajara, prend un tour de plus en plus victorieux57. La tournée électorale ressemble plus à celle d’un homme élu, accueilli triomphalement dans les localités (avec musique, haies d’honneur, discours et bals), auquel éventuellement des vecinos notables présentent une pétition portant sur les améliorations matérielles à introduire dans leur ville ou village. Ainsi, dès son passage par Zacoalco (passage éclair, puisque le train s’y arrête à peine quelques minutes, ralentit plutôt, pour permettre à tous ceux qui se sont rassemblés de voir de près le candidat), « Il y eut des volées de cloches, des vivats, des salves et des feux d’artifice »58.
61Ensuite, à Chapala, ce sont la musique et les haies d’honneur sur la place, qui succèdent au banquet59. C’est un banquet qui l’attend également à La Barca60, toujours sur le bord du lac, et dans ce que l’on peut considérer comme sa zone directe d’influence, vu l’emplacement de son hacienda. Lorsqu’il repasse par Guadalajara, le 19 octobre, Cuesta est à nouveau reçu dans l’enthousiasme61.
62Plus tard lorsque, après un voyage à Mexico, le candidat reprend sa tournée le 10 décembre, les manifestations deviennent de plus en plus somptueuses : ainsi entre-t-il dans Mascota escorté de mille cavaliers62. « Tout est enthousiasme »63, s’exclame un correspondant. A ce stade de sa campagne, Cuesta Gallardo est observé et se comporte lui-même plus comme un gouverneur en devenir que comme un candidat. A Mascota, on lui expose les besoins de la population, et il se rend à l’hôpital ; finalement, la fête ne pouvant manquer au rendez-vous, un bal est donné en son honneur le soir64.
63Les derniers jours de la campagne se déroulent dans une véritable atmosphère de fête : à Ayutla, on lui remet la « clef d’or » de la localité et les voyageurs sont toujours accompagnés de plus de mille cavaliers des haciendas de San Clemente, San Francisco et La Piñuela65. Enfin, à son arrivée à Autlán, plus de deux mille personnes, selon la presse, viennent à sa rencontre66. Toute cette tournée se réalise en compagnie de nombreux membres du P.I. Solennité en moins, cette tournée rappelle bien celles des autorités civiles d’Ancien Régime.
64Une deuxième attitude du candidat illustre bien, elle aussi, ce cheminement de Cuesta vers le pouvoir. Cuesta Gallardo a estimé que les élections des députés au Congrès de l’état et le renouvellement de l’ayuntamiento de Guadalajara et de la Suprema Corte de Justicia, pouvaient être l’occasion d’une « démocratisation » de la vie politique du Jalisco. Une conception paradoxale de la démocratisation, car elle devait entrer en pratique dans des temps différents de ceux des élections proprement dites et aussi parce qu’elle visait à établir la représentation de « groupes » de la société, et non pas une participation et une représentation citoyenne. La démocratisation est ici conçue comme un processus parallèle et extérieur au cadre institutionnel de renouvellement des autorités politiques.
65En effet, quelques mois avant les élections, presqu’au moment de commencer officiellement sa tournée dans les cantons, le 18 octobre, Cuesta Gallardo appela à une mobilisation « par groupes » de la population de Guadalajara afin d’élire des candidats qui les représentent.
« M. Manuel Cuesta Gallardo [...] en essayant de rendre les prochaines élections municipales le plus proches possible des pratiques démocratiques, a décidé que les différents groupes sociaux doivent nommer les personnes devant faire partie de l’Ayuntamiento de 1911. Les groupes sont sept et il revient donc à chacun de nommer deux Conseillers67. »
66Si la définition de ces « groupes » n’est jamais explicitée, les absences sont significatives ; de toute évidence, ouvriers et paysans ne font pas partie du projet « démocratique » du candidat Cuesta. En revanche, le parti Independiente est considéré comme un groupe ; ainsi, le 20 octobre, effectuait-il sa convention, réunissant les délégués des cantons,
« afin de désigner, selon l’idée de M. Cuesta Gallardo [...], six candidats : deux pour le poste de magistrats, deux pour ceux de députés et deux pour ceux de conseillers municipaux68 ».
67Les autres groupes dont parle clairement la presse sont le grand commerce, les professions libérales, les agriculteurs (dans ce cas des propriétaires fonciers) et les commerçants69.
68De toute évidence aussi, le but recherché était d’arriver aux élections mêmes avec une candidature de consensus, qui ne trouverait pas d’opposants majeurs ; pratique que le système politique mexicain post-révolutionnaire reproduira par la suite pendant trois quarts de siècle.
69Dans les faits, le résultat de cette recherche d’une candidature unique produisit l’effet inverse de celui escompté : la recherche d’un consensus qui élimine d’emblée les opposants virtuels, était pour le moins en contradiction avec le principe de démocratisation que l’on voulait suivre et fut ressenti comme tel par nombre de personnes et de groupes. Les candidatures ainsi structurées, furent d’abord et dans certains endroits — notamment dans Guadalajara — appelées « indépendantes », pour ensuite être qualifiées d’« officielles », au fur et à mesure que la candidature de Cuesta semblait devenir elle-même « officielle ».
70A travers ces contradictions et au-delà d’elles-mêmes, ce qui apparaît est bien un moment de transition de la culture politique ; une incertitude quant aux formes à adopter, aux procédures. Faut-il pousser la logique démocratique jusqu’au bout ? faut-il composer avec la tradition ? Ce sont précisément les questions que se pose un groupe de vecinos de Atotonilco el Alto, lors d’une réunion au salon de l’ayuntamiento70.
71Au cours de cette réunion, organisée par le Club Benito Juárez, les participants sont censés élire leurs candidats au conseil municipal, ainsi qu’une commission devant s’entretenir avec Cuesta Gallardo afin de lui demander son soutien pour ces mêmes candidatures. Un des présents s’élève contre ce dernier point, en arguant que, si l’on voulait commencer à utiliser les procédures démocratiques, c’était un contresens que d’aller chercher l’accord du « futur Exécutif de l’état » pour une élection de l’ayuntamiento71. La réponse du président de la réunion traduit bien le malaise de ce moment de reprise de la vie politique du pays, à cheval entre le déclin du régime autoritaire et un futur qui paraît s’ouvrir sur la démocratie. En effet, selon les mots du correspondant, le président signale que, même si cela est vrai, « on doit agir ainsi en vue du succès des candidatures, et conformément à ce qui est une coutume dans toute la république » ; ainsi, les participants approuvèrent à la majorité la présentation des candidatures à Cuesta en vue d’obtenir son approbation72.
72Il semble qu’il ait été souvent question de composer, et le cas du même Atotonilco est à cet égard très explicite et souligne le décalage qu’il y eut entre les propositions originelles de Cuesta Gallardo et ce qui s’est réellement produit lors des élections, municipales et autres :
« [Ici a triomphé] la candidature qui s’est toujours dite officielle et qui était soit disant la même que celle désignée par la voix populaire le 14 du mois dernier, mais la liste est en réalité assez altérée, car y figurent des personnes qui n’étaient pas mentionnées à cette occasion, pas même sur un ton de plaisanterie, et qui furent greffées comme par un tour de magie sur la candidature originelle. Est-ce de cette manière — concluait le correspondant de El Regional — que l’on commencera à pratiquer la démocratie dans Jalisco73 ? »
73Ce genre de situations ne fait que rappeler une chose : si Cuesta Gallardo est le dernier des gouverneurs porfiriens au Jalisco, il reste tout de même un gouverneur porfirien ; toute sa consultation de différents groupes de pression de la société restait donc assujettie à une négociation avec le pouvoir en place, c’est-à-dire avec son prédécesseur Ahumada. Selon cette logique, aucune rupture n’était intervenue qui le mît en position d’agir autrement. Cette situation a dû se reproduire aux différents niveaux de l’administration du pouvoir, notamment au niveau municipal.
74Ainsi la démarche de Cuesta doit-elle passer par cette négociation avec Ahumada, comme on peut le constater dans la candidature unique finalement décidée et lancée : entre les candidats choisis originellement par les « groupes », et ceux qui sont effectivement présentés dans la liste, il y a des différences importantes. Il semble en particulier que la négociation ait eu pour résultat l’inclusion de plusieurs proches du gouverneur sur la liste des candidats aux postes de députés locaux, ce qui explique le comportement des électeurs, qui ont boudé l’élection des députés.
« [...] il y eut des bureaux de vote où l’assistance fut rarissime ; de nombreuses personnes à qui l’on donnait des bulletins ne les rendaient pas sans doute parce que la candidature qui y figurait n’était pas populaire74. »
75Sur ce fond d’indifférence vient s’esquisser une forme de manipulation électorale, construite autour du refus de la liste contenant les candidats de Ahumada, et se présentant comme une abstention politisée, qui rejette les arrangements du système :
« Au début de nombreux votants ont rayé les noms des députés proposés par M. Ahumada, leur en substituant d’autres, et plus tard, des bulletins imprimés sont apparus sur lesquels, au lieu des noms de ces mêmes candidats, il fut inscrit “je ne vote pas”, [...] nous pouvons dire que l’élection, vu le peu que le peuple s’en est soucié, est passée inaperçue75. »
76Finalement, tout au long de cette campagne un phénomène émerge clairement : la perspective qui fait de Cuesta le gouverneur potentiel ôte effectivement à Ahumada une partie de son pouvoir, comme si à partir de son « officialisation », la passation du pouvoir commençait à se faire... C’est effectivement lui qui établit au départ les règles du jeu sur la question des candidatures (même si ensuite il doit négocier avec Ahumada) ; il gère ainsi, au préalable et dans une certaine mesure, les termes du renouvellement du personnel politique. Ce renouvellement se définit ainsi en tenant pour certain un futur théoriquement aléatoire. Dans la mesure où le point de repère de la certitude c’est ici le candidat, les négociations avec le pouvoir en place se font en considérant le présent comme un passé en devenir, un quasi-passé. Là où le présent est passé, le futur s’installe progressivement en présent, le candidat n’est pas un candidat, mais un quasi-gouverneur… De son côté le gouverneur est par conséquent de moins en moins gouverneur, de plus un plus un homme dont on négocie le legs...
77En ce sens, on ne peut que se demander jusqu’à quel point, des pratiques politiques très enracinées dans le système politique mexicain post-révolutionnaire et en vigueur pratiquement jusqu’à nos jours, ne sont pas redevables de la culture politique régionale de la pré-révolution.
1.5. La dernière réélection de Porfirio Díaz : « les pluies abondantes et les élections tranquilles »
78Nul doute que le phénomène le plus frappant de la vie politique du Jalisco dans cette année 1910 c’est la dévalorisation des élections présidentielles à la faveur du renouvellement des Pouvoirs locaux. Entre l’exil de Reyes et l’emprisonnement de Madero, l’événement se présente comme une simple date sur le calendrier politique, vidée de son contenu d’espoir, vidée d’enjeu. Résultat : l’abstention domine la journée électorale. Les mots d’un correspondant de presse à Lagos de Moreno, soulignant l’absence de partis concurrents, expriment parfaitement ce manque d’intérêt : « les pluies abondantes et les élections tranquilles76 ».
79Cette situation n’était pas exclusive du Jalisco, puisqu’à Mexico même, où quelques jours auparavant on craignait des désordres, la journée électorale se déroula finalement dans le calme77. Il y a toutefois quelques voix qui s’élèvent pour parler sans ambages de « farce électorale » :
« Nous, les catholiques, qui très sagement n’avons pas voulu prendre parti dans l’actuelle farce électorale, et qui nous sommes contentés, dès le départ, de prendre une loge pour nous amuser du vaudeville [...], nous nous sommes réjouis des péripéties de la “lutte” [...]78. »
80C’est ainsi que l’annonce d’un résultat parfaitement attendu ne peut occasionner aucun étonnement, et que la presse s’abstient même d’émettre tout commentaire : le 5 octobre, le Congrès rend public le ban national désignant Díaz et Corral comme président et vice-président de la république pour six ans de plus79.
2. Le pouvoir en place face à la montée du madérisme
2.1. La formation de clubs. Deux poids et deux mesures
L’épanouissement
81Les années 1909 et surtout 1910 constituent un moment d’intense formation de clubs politiques, reyistes d’abord, puis madéristes et « cuestistes ». La campagne politique de Cuesta Gallardo permet d’apprécier la formation et l’évolution de certains de ces clubs, dans la mesure où les clubs cuestistes n’ont été soumis à aucune pression de la part de l’état et pouvaient sans crainte afficher et leurs membres et leurs activités. Leur présence est plus facile à attester là où le candidat s’est rendu en campagne, du fait de leur participation à l’organisation de sa visite, et des quelques échos qu’en donne la presse ; leur nombre réel reste néanmoins impossible à estimer faute d’autres sources les concernant directement, qui permettraient d’établir un panorama plus large de leur existence et de leurs actions.
82On sait que le P.I. projetait d’organiser une centaine de clubs dans l’état pour s’occuper des élections aussi bien présidentielles que du gouverneur80. Ceux qui ont été effectivement organisés participèrent à la Convention du parti célébrée en juin 191081. Il est probable que le parti a réactivé en partie les clubs qui, originellement, s’étaient constitués tout au long de l’année 1909 pour soutenir la candidature du général Reyes à la Vice-présidence de la république. Cependant, parmi les anciens clubs reyistes, certains n’ont pas suivi l’exemple du parti et sont passés sans hésitation dans les rangs antiréélectionnistes. C’est le cas du club dirigé par Juan Bravo y Juárez, à Ocotlán, qui rallia le madérisme dès que le reyisme eut perdu sa raison d’être82.
83Dans la réalité, le mouvement de formation de clubs rattachés au P.I. s’avère davantage lié au renouvellement des Pouvoirs locaux qu’à l’élection présidentielle. En effet, à l’approche des élections locales, des clubs cuestistes se forment à Sayula83, à Autlán (le Democrático Autlense)84. à Guadalajara (le club Central Cuestista)85.
84Il n’est cependant pas dit que tous les clubs cuestistes soient nés en tant que tels. Il semble en effet probable que des clubs déjà existants aient adhéré à la candidature de Cuesta, que ce soit par l’intermédiaire de leurs rapports avec le P.I. ou non. On sait ainsi qu’à Chapala fonctionnait un Club Vallarta86, et un autre du même nom à San Juan de los Lagos, tous les deux cuestistes87.
85Dans cette dernière ville, des membres de la Liga Católica de Padres de Familia, formèrent le club Porfirio Díaz en soutien également à la candidature de Cuesta. Le club s’est formé à la hâte, à la suite de l’annonce de l’arrivée de Cuesta à la ville voisine de Lagos de Moreno, où ses membres se sont rendus afin de s’entretenir avec le candidat88. Il est significatif que ces hommes aient donné à leur club le nom de Porfirio Díaz, pour marquer leur distance par rapport au club Vallarta, Vallarta étant un symbole du libéral juariste mais aussi de l’opposition à Díaz. La formation de ce club permet de supposer que le club Vallarta ait réuni les « jacobins » de San Juan.
86De la même façon, il semble probable que le Club Benito Juárez de Atotonilco el Alto89 ait existé avant la campagne de Cuesta, tout comme le club cuestiste « Agustín Rivera » à Lagos90, ou bien le Club Obrero qui se présente à la tête du défilé le jour de la réception du candidat à Mascota91.
La clandestinité
87Mais les clubs cuestistes, qu’ils fussent de formation récente ou d’anciens clubs adhérant à une candidature, ont coexisté pendant un certain temps avec d’autres clubs, essentiellement différents, les antiréélectionnistes. Cuestistes et antiréélectionnistes différent non seulement par leurs principes, mais aussi par leur constitution et leurs conditions de développement.
88En premier lieu, le travail de constitution des clubs antiréélectionnistes semble plus laborieux : commencé en juin 1909 avec la formation du Gómez Farías, puis relancé par Roque Estrada en avril 1910, il est rapidement soumis à l’épreuve de la répression. Déjà, la stratégie adoptée par le Gómez Farías, illustre bien les contraintes de cette persécution : entre janvier et avril 1910, ce club change régulièrement de lieu de réunion, craignant une intervention de la police92. Ensuite, l’arrestation de Madero est accompagnée, dans tout le pays, par la persécution des clubs antiréélectionnistes, confirmant l’idée d’un mot d’ordre de répression du mouvement venu du haut93. Les clubs formés en mai eurent ainsi à peine un mois d’existence et de liberté politique ; les plus importants, ceux de Guadalajara et de El Salto de Juanacatlán94 ont vu leurs dirigeants partir vers la prison dès les premiers jours du mois de juin, menacés même d’être versés dans l’armée95.
89Contrairement aux détenus de El Salto, libérés au bout d’une dizaine de jours96, ceux de Guadalajara, Benjamín Camacho et José L. Tapia, accusés d’« outrages au président de la République »97, n’ont pas été relâchés. Bien au contraire, le gouvernement, ayant commencé par les organisations qui s’affichaient publiquement, se concentre ensuite sur le réseau clandestin du madérisme local.
90Ainsi, à peine un mois plus tard (le 14 juillet) était arrêté Enrique Calleros, dirigeant du principal groupe madériste clandestin, le Gómez Farías, et principal lien avec Roque Estrada et responsable de l’organisation de la rébellion98. Son arrestation, par la police secrète, est significative du suivi par le gouvernement des activités des antiréélectionnistes et de l’importance qu’il leur accordait. Ainsi, si l’on peut adhérer à la thèse que le gouvernement porfirien ne s’est pas méfié du madérisme à ses débuts, il est clair qu’à l’approche des élections, sa perception du mouvement était toute autre et qu’il ne se contenta pas de neutraliser le seul candidat, mais qu’il a tenu à démanteler les réseaux qui lui étaient liés.
91Avec l’arrestation de Calleros et des membres du club Miguel Hidalgo, le gouvernement mettait hors circuit le principal réseau madériste de l’état, en même temps qu’il acculait les membres restés en liberté à la clandestinité et à la rébellion. C’est le cas, notamment, de Salvador Gómez, qui participait aussi bien au groupe clandestin de Calleros qu’au club Miguel Hidalgo, et qui assuma la direction du mouvement pour préparer la rébellion.
92La clandestinité qui s’ensuit explique en bonne partie les difficultés que l’on a à suivre les traces de ces groupes à partir de cette date ; tout comme on doit à leur répression la discrétion extrême des autres clubs et notre impossibilité actuelle à les recenser.
2.2. Le Plan de San Luis et le mouvement armé.
Un état dans le calme ?
93Il est certain que Jalisco n’est pas une région où la révolution madériste a eu un large écho. Bien au contraire, les poussées révolutionnaires qui ont répondu à l’appel de Madero, formulé dans le Plan de San Luis, pour un soulèvement national le 20 novembre99, non seulement étaient peu nombreuses en nombre d’hommes mobilisés, mais elles manquaient d’articulation entre elles. Elles étaient, en plus, mal reliées à la direction nationale du mouvement et n’ont jamais reçu de soutien matériel de la part de celui-ci100. Ces soulèvements restent néanmoins significatifs, dans la mesure où ils montrent l’expansion des idées anti-réélectionnistes dans Jalisco et, vis-à-vis de l’histoire générale de la révolution dans l’état, puisqu’un certain nombre de ces groupes, même vaincus dans un premier temps, prolongeront leurs actions jusque dans les années 1920.
94Ce qui distingue l’antiréélectionnisme des autres mouvements politiques apparus à cette même époque au Jalisco, c’est d’abord la grande difficulté de ses initiateurs à lui donner un centre101 ; ensuite son implantation plutôt rurale et la présence, parmi ses dirigeants, d’ouvriers et paysans. Dans nombre de cas, par ailleurs, le soulèvement a été conduit par des hommes ayant une influence régionale ; c’est le cas de la famille Cedano, de Ramón Romero, de Francisco del Toro ou de Cresencio Amaral Meza102.
95Ainsi, entre novembre 1910 et mai 1911, Jalisco a connu, surtout en milieu rural, des soulèvements déclenchés sous la bannière du Plan de San Luis103 ; leur échec, imputable surtout à leur manque de coordination et à leur inexpérience, ne saurait pas être transformé en preuve de leur inexistence.
96Cette réalité d’un mouvement faible et non structuré a conduit plus d’un à croire que rien ne s’est passé et que, alors que les guérillas révolutionnaires embrasaient notamment le Chihuahua, un état comme le Jalisco est resté dans le calme104. Or, s’il est vrai que les soulèvements qui ont eu lieu se sont soldés dans de nombreux cas par un échec rapide, on voit bien qu’ils ont existé. De surcroît — et c’est un aspect sur lequel on n’a pas insisté jusqu’à présent, psychologiquement Jalisco a bel et bien perdu le calme.
97Considérons pour commencer les réactions du gouvernement de l’état et, plus généralement de la population, vis-à-vis du mouvement révolutionnaire. En ce qui concerne le premier, il est clair qu’il suivait les indications d’ordre général pour la répression du madérisme et que, méfiant, il prit une série de mesures préventives. Ainsi, le 19 novembre, une disposition relative aux attroupements révélait la nervosité des autorités de Guadalajara. En effet, afin de couper court à des réunions qui pourraient dégénérer et devenir tumultueuses, la jefatura politica imposait que
« si une fois ordonnée la dissolution d’un groupe, l’ordre n’est pas suivi d’effet, on annoncera par deux sonneries de clairon que la force sera employée pour dissoudre la réunion et, au bout d’une minute, on passera à l’exécution de l’ordre par la force des armes105 ».
98Peut-être cette nervosité était-elle en rapport avec la récente journée de manifestations anti-américaines (le 10 novembre) pendant laquelle la population urbaine, exaltée, s’était approprié une partie considérable de l’espace urbain, pendant de longues heures, sans que la présence de la police et de l’armée ne suffisent à rétablir le calme. La manifestation ne s’était en effet dissoute que d’elle-même, vers minuit106.
99Mais cette mesure de la jefatura política, à la veille du 20 novembre (le jour indiqué par Madero pour le soulèvement), n’est qu’une des mesures prises à l’approche de cette date, car l’appel de Madero s’était largement propagé de bouche à oreille, si bien que la presse avait évité soigneusement d’en parler afin de ne pas alimenter la peur de la population107.
100Tout comme en juin 1909, lorsque l’on a tissé des craintes et des espoirs autour d’un éventuel soulèvement de Bernardo Reyes, on est ici dans le royaume de la rumeur :
« Nous croyons qu’il n’y aura pas une seule personne à Guadalajara à qui ne seront pas parvenues les rumeurs qui, pendant cette semaine, ont été dans toutes les bouches, concernant un mouvement politique révolutionnaire contre le Gouvernement constitué, qui devrait éclater simultanément dans différents endroits du pays108. »
101Comme toutes les rumeurs, celle-ci se propage, ne connaissant pas de barrières sociales, tant et si bien que certains finissent par ne pas lui accorder de véracité, en particulier la presse officieuse, qui parle de cette révolution comme d’une « véritable révolution d’imaginations, qui se sont entièrement livrées à broder dans le vide »109. Mais cette impression d’irréalité touche aussi une partie de la presse indépendante, comme l’avoue El Regional :
« Le fait que ce qui devait se passer soit tombé dans le domaine public, d’une façon aussi générale, a fait que l’on n’accorde pas de crédit aux rumeurs qui courent, certaines vraiment inadmissibles110. »
102Or, comme le dit Ariette Farge — qui a montré combien la rumeur est loin d’être une banalité dans l’histoire —, « l’important est le bruit, la rumeur, la déambulation agitée de la nouvelle, transformée puis contredite »111. Ainsi, la presse officieuse, celle-là même qui parlait d’une « révolution d’imaginations », reconnaissait la portée du phénomène :
« La ville passe par une cruelle incertitude depuis deux ou trois jours, à la suite de rumeurs qui ont circulé concernant les débuts et la propagation d’un mouvement révolutionnaire qui a été découvert et qui était sur le point d’éclater112. »
103Par ailleurs, avec beaucoup plus de flair que ces journalistes locaux, le gouvernement fédéral a remonté le fil des mots et démonté des complots à Puebla et Orizaba, aussi implacable que lorsqu’il avait réprimé la révolte de Valladolid (Yucatán) quelques mois auparavant, montrant qu’à ses yeux la préparation d’une révolte méritait le même traitement qu’une révolte bien déclarée113.
104Seulement cette fois la rumeur met peu de temps à se traduire par des faits précis et la menace n’a pas le temps d’être totalement désamorcée. Sans avoir la force des mouvements qui embrasent le Chihuahua (et qui occupent largement l’attention de la presse), la nouvelle est bientôt confirmée que Jalisco connaît aussi l’insurrection ; la révolte prend des noms et des noms connus :
« Le groupe que l’on disait s’être soulevé du côté de San Marcos, se dirige vers Ahuacatlán, commandé par trois individus très connus, Ramón Romero, Salvador Gómez et Simon Domínguez114. »
105Une fois la rumeur confirmée, on pourrait croire qu’elle s’arrête, mais non : la rébellion se propage-t-elle ? Y a-t-il d’autres conspirations ? Ainsi, la police continue de suivre les mots, elle croise des indices, elle trouve au bout du compte des personnes (sont-elles vraiment impliquées, conduisent-elles à d’autres personnes ?). A Guadalajara, « la police continue à effectuer des perquisitions et des arrestations sans que le moindre désordre ait été enregistré115 ».
106Et, effectivement, dans cette ville, pas un mouvement ; le réseau semble avoir été démantelé. La surveillance continue, plus forte certainement que n’importe où dans Jalisco ; encore en février 1911, la police arrêtera le groupe conspirateur dirigé par Salvador Salcedo116. Nombre de madéristes ont quitté la ville dès l’été 1910 ; les plus décidés, comme Salvador Gómez, sont allés trouver des lieux plus propices pour prendre les armes.
107Ainsi, c’est toujours la rumeur, celle qui engendre nervosité et craintes, qui amène finalement la rupture de l’ordre, d’un autre ordre que « l’ordre public », mais public quand même, celui des traditions et des habitudes : on commence à dire, par exemple, qu’afin d’éviter tout désordre, la foire annuelle de San Juan de los Lagos n’aura pas lieu117.
108Enfin, lorsqu’elle est confirmée, elle s’avère partiellement fausse, du fait de sa propagation excessive et démesurée ; la presse en vient, elle, à se disputer sur la véracité de l’information. Ainsi, le correspondant de El Regional à Cocula réagit pour désavouer les propos de La Gaceta de Jalisco, qui prétendait que les antiréélectionnistes de cette ville s’étaient soulevés118. Le même journaliste se moque des affirmations de El País (quotidien catholique publié à Mexico) selon lequel Guadalajara est en proie à une « excitation terrible »119.
109On imagine bien l’état de tension de ceux qui ne se soulèvent pas et qui ont quelque chose à perdre, que ce soient des biens matériels ou du pouvoir politique ; la peur aussi d’éventuels actes de vandalisme qui saisit les familles. Ceux qui le peuvent s’arment : Mario Aldana a déjà montré l’empressement des cantons à solliciter du gouvernement central des armes et des munitions120. Par ailleurs, dans certaines localités les vecinos s’organisent pour faire la ronde afin d’assurer la surveillance, en particulier pendant la nuit du 19 au 20 novembre. C’est le cas de Sayula où, en prévision du soulèvement madériste, l’autorité politique et quelques vecinos se sont organisés en patrouilles, qui sont venues renforcer les piquets de gendarmerie de l’état, qui faisaient de même121.
110S’armer d’abord face à la rumeur, face aussi à l’anonyme et potentielle violence du peuple ; encore une fois, un comportement déjà testé le 10 novembre, où « tous ceux qui ont pu le faire se sont armés dans une certaine maison, dans la crainte que cette manifestation ne devienne menaçante »122.
111La peur de ceux qui détiennent le pouvoir se manifeste aussi envers ceux qui sont perçus comme des alliés des madéristes dans le domaine de l’opinion et qui seraient en mesure de transmettre la pensée insoumise au public : le journaliste Luis R. Alvarez, directeur de la revue Labor Nueva123. est accusé d’« outrages au gouverneur et à l’armée »124, accusation qui avait servi déjà de prétexte en février à l’irruption de l’armée dans les locaux de La Libertad, le journal dirigé par Francisco L. Navarro, et justifié son emprisonnement125.
112Mais on ne saurait oublier une autre sorte de peur, celle qui touche l’ensemble de la population ne jouissant ni d’influence ni de pouvoir ; pour eux la crainte est double : à celle de la violence révolutionnaire s’ajoute partout (et souvent plus forte) celle de la leva, cet enrôlement militaire en masse qui frappait de frayeur la population rurale pauvre.
« Les gens du peuple, spécialement les hommes — dit un correspondant de presse à Sayula — craignant peut-être la levée des troupes, se sont cachés au début et on ne les voyait même pas aux sérénades126. »
113C’est le même phénomène qui nuit aux fêtes de Poncitlán, où, craignant la levée des troupes, de nombreuses personnes se sont abstenues de participer aux fêtes127.
114Ainsi se passent donc les derniers mois du porfiriat au Jalisco, des soulèvements isolés et faibles, que l’on ne peut appeler révolution… Donc, pas de révolution, mais pas de calme non plus : des mouvements intempestifs de troupes, notamment depuis Guadalajara, sans que le public sache leur direction128 ; constitution de corps de volontaires en prévention de toute éventualité129, arrestations, craintes. Parmi cela, quelques voix contre le soulèvement qui rappellent leur fidélité soit à Porfirio Díaz (comme celle de l’ayuntamiento de Guadalajara au début du mois de décembre 1910130), soit tout simplement au gouvernement constitué, comme celle d’un groupe de catholiques de San Julián, localité de la région de Los Altos, s’élevant dès le 30 novembre contre la révolution, car la religion « interdit de se rebeller contre les autorités civiles »131.
115Finalement, une stabilité précaire, puisqu’à la chute de Porfirio Díaz, à laquelle pourtant personne ne semble s’attendre, les Pouvoirs locaux s’ébranleront aussi.
3. Le Jalisco, madériste ?
3.1. Évolution d’une image : le madérisme dans la presse locale
116Quelle était la place du madérisme dans l’imaginaire des jaliscienses ? La réponse à cette question est multiple et impossible à cerner dans sa totalité. Comme souvent en histoire, les sources qui permettent de reconstruire un imaginaire traduisent le plus souvent la pensée des élites et non pas celle (disons plutôt celles) de l’ensemble d’une société. D’autre part, la transmission même de la mémoire d’une génération à une autre (et à peine deux, trois générations nous séparent aujourd’hui de la révolution mexicaine) est parasitée par la construction plus ou moins institutionnelle (dans le cas mexicain fortement institutionnalisée) d’une mémoire nationale qui se complaît à gommer les nuances.
117Ainsi, l’image la plus généralisée du madérisme est celle qui ne concerne que son dirigeant, Francisco I. Madero, présenté comme un homme ingénu, idéaliste de bonne foi132 et — ici l’image se dédouble, transformée par ses détracteurs en l’image d’un individu à la limite du déséquilibre mental —, plongé dans des pratiques spiritistes (cette version cesse de se développer avec le meurtre de Madero président, mais ne cesse pas pour autant d’être transmise accomplissant à partir de ce moment-là le rôle de détractrice de ceux qui l’ont produite) ; ou bien transformée par ses hagiographes en celle de l’apôtre-martyr de la démocratie. Or, on ne saurait croire que ces deux caractérisations de Francisco I. Madero et de son mouvement n’aient pas connu une évolution dans le temps, n’aient pas été l’objet d’une construction nourrie de nuances, particulièrement avant que les crimes commis pendant la « décennie tragique » n’aient projeté l’image de Madero à l’échelle du mythe133.
118En ce sens, la presse reste un moyen privilégié de cerner un certain nombre d’éléments qui interviennent dans la construction de cette image, tout au moins les différences significatives au sein des élites et, parfois même, d’autres milieux sociaux. Ce qu’il importe de retenir ici est la construction parallèle de l’image de Madero dans des journaux de différentes tendances avant le triomphe du mouvement car, à défaut de pouvoir reconstruire la place que Madero et le madérisme occupaient dans l’imaginaire de l’ensemble de la société jalisciense, cela permet de reconstruire la mosaïque d’images de Madero dans la culture politique dominante vers la fin du porfiriat134.
119En effet, l’attitude des principaux journaux de l’époque résume bien les positions de la classe politique du Jalisco face au madérisme. On y retrouve ainsi la sympathie qui frôle de temps en temps l’enthousiasme, le mépris (qui s’accompagne parfois de la peur), tout comme l’indifférence (dont la durée est plutôt courte).
120D’un point de vue chronologique, on s’intéressera pour l’instant au temps de la montée du madérisme (entre mai 1909 et mai 1911), pendant lequel celui-ci s’ouvre graduellement une place dans une « opinion » qui ne connaît que reyisme et corralisme ; et plus particulièrement les mois qui vont de décembre 1909, moment où le madérisme se pose vraiment en option politique aux yeux de la classe politique de l’état, à mai 1911, moment où, suite à la chute de Díaz, il s’impose comme le « tronc » de la vie politique du pays.
121Lorsqu’on suit la presse, le madérisme apparaît, pendant toute l’année 1909 et du moins jusqu’en octobre 1910, comme un phénomène extérieur au Jalisco, voire complètement étranger. D’une manière générale, la période d’apogée du reyisme, si marquée au Jalisco, occulte non seulement les premiers pas du madérisme dans l’état, mais aussi les progrès et le succès du mouvement au niveau national. Ainsi, à l’extrême, dans les pages de l’hebdomadaire reyiste El Globo, pendant les mois d’apogée du reyisme — notamment entre mars et juillet 1909 —, le madérisme est totalement inexistant.
122A côté de cela, pour un journal indépendant, de tradition libérale et d’opposition, comme La Libertad, l’antiréélectionnisme est un phénomène digne d’intérêt, voire « prometteur ». Ainsi, lorsque le journal commente la constitution du Club Antiréélectionniste à Mexico, on peut lire à propos des membres de sa direction : « On attend beaucoup d’eux, autant à cause de leur sens patriotique et de leur indépendance à toute épreuve, qu’à cause de leur grande importance sociale et intellectuelle135. »
123Toutefois, le madérisme reste dans un premier temps noyé dans l’océan d’informations concernant le reyisme. Ainsi, la constitution ici et là de clubs antiréélectionnistes est régulièrement rapportée sans que place soit vraiment faite à un commentaire. On mentionne également, de temps à autre, les réunions des antiréélectionnistes locaux, comme celle organisée par le club Valentín Gómez Farías avec des invités du centre national, mais sans s’y attarder outre mesure136.
124L’identification entre la ligne du journal et les madéristes ressort toutefois à travers une publicité, parue régulièrement à partir du 24 mars 1909, annonçant la sortie du livre de Madero, La sucesión presidencial en 1910 ; puis dans quelques petits clins d’œil, comme cette reproduction d’un article de México Nuevo — signé Francisco de P. Sentíes — qui citait le livre de Madero à l’appui de ses critiques du principe de la réélection vice-présidentielle. Cette réélection, disait l’article,
« arrachera au peuple, comme le dit bien M. Madero dans son œuvre sensationnelle sur la succession présidentielle, le dernier espoir de réintégrer les fonctions démocratiques, de récupérer les droits et les libertés publiques137 ».
125Dans un deuxième temps — entrecoupé par la persécution subie par Francisco L. Navarro et son journal, qui occasionne plusieurs fois la fermeture de ce dernier — lorsque le reyisme a déjà perdu toute sa force et son importance, le madérisme est vu comme un espoir, mais il reste effacé par quelque chose d’autre, maintenant l’engouement suscité par la campagne cuestiste, vu les liens qui unissent le journal au parti Independiente.
126Du côté de ceux qui ont perçu le madérisme d’abord avec respect, puis avec enthousiasme, il faut compter aussi le quotidien catholique El Regional, à partir du moment où il fut acheté par Eduardo J. Correa (mai 1909). En effet, c’est ce quotidien qui transmet le plus d’informations relatives à l’antiréélectionnisme, qui suit de près les tournées de Madero à travers le pays, qui s’intéresse le plus aux mouvements régionaux liés au madérisme, même si pendant le second semestre de 1909, encore hésitant à donner une opinion sur les affaires politiques régionales, le journal accorde peu de place aux antiréélectionnistes locaux138. Cependant, et surtout à partir de 1910, on perçoit bien les sympathies de El Regional envers le madérisme, que ce soit pour commenter les propos du candidat antiréélectionniste en matière de liberté de l’enseignement139, ou bien pour suivre, même discrètement, l’itinéraire de la campagne140. Que le journal s’adressât à un public madériste, sinon de fait du moins potentiellement, est fortement suggéré par le contenu d’une annonce publicitaire apparue régulièrement à partir du 8 juin 1910 et dont le texte était le suivant :
« Francisco I. Madero
Considérant que le meilleur succès de son actuelle campagne dépendait en grande partie de sa bonne tenue vestimentaire, pendant son séjour dans cette ville, a commandé ses costumes à Felipe de J. Ramírez, Portal Aldama 388 n. »
127Paradoxalement, cette annonce apparaissait pour la première fois le jour même où le journal faisait part à ses lecteurs de l’interpellation de Madero à Monterrey141. Cette interpellation est en quelque sorte le moment à partir duquel commence à se construire une image particulière de Madero, touchant au mythe. Le lendemain même, elle faisait l’objet d’un commentaire dans lequel Madero était comparé à Don Quichotte142. Un peu plus tard, les lecteurs étaient mis au courant des détails de l’arrestation de Madero et de Roque Estrada143. A partir de ce moment, on peut estimer que la place de Madero dans les pages de El Regional est acquise, avec une connotation positive.
128Cette construction d’une image positive de Madero va de pair avec une position plus ouverte vis-à-vis du régime, dont l’image se noircit, et la démarche se voit franchement contestée. Ainsi, à propos du soulèvement de Valladolid (Yucatán) et de sa répression impitoyable144, ou bien de l’emprisonnement des madéristes145.
129Finalement, lorsque des soulèvements commencent à répondre à l’appel du Plan de San Luis146, la figure de Madero prend une dimension épique, bâtie à partir de ce 24 novembre, quand la première page tout entière est consacrée à son entrée en territoire mexicain, se dirigeant vers Torreón147. Parallèlement, à la suite des événements du Chihuahua, de nouvelles figures, celles de Francisco Villa et Pascual Orozco, viendront renforcer l’épopée, avec la reproduction en feuilleton d’un témoignage de la bataille de 20 novembre148.
130C’est ainsi qu’avec l’appel à la révolution la place du mouvement dans la presse est acquise. Dans El Regional, cela comprend non seulement les nouvelles sur les arrestations des madéristes ou sur le serment de Madero en tant que président provisoire de la république149, mais aussi l’emprisonnement de Silvestre Terrazas, directeur de El Correo de Chihuahua, madériste et catholique (membre des operarios guadalupanos, président de la prensa católica)150, l’augmentation des actions militaires se réclamant du madérisme151 ou leur succès152, ou la reproduction des commentaires ou de correspondances de la presse d’autres régions, en particulier du nord du pays, concernant les soulèvements et leurs conséquences.
131Finalement, il est nécessaire de signaler la lucidité — rare — de Correa et sa sincérité — encore plus rare — vis-à-vis de la faible position militaire du gouvernement et de l’hypocrisie des versions officielles :
« La seule manifestation du fait que l’ordre a été troublé, c’est la mobilisation de troupes vers Chihuahua [...]. On dit que les rebelles sont peu nombreux, mais les troupes que l’on y envoie sont nombreuses. [...] A chaque fois que les troupes fédérales atteignent les troupes rebelles, elles les battent. [...] Mais elles ne les délogent pas de leurs positions, et les troubles ne cessent pas non plus. Ceci est un mystère153. »
132Mais il convient de rappeler encore un des traits essentiels de la pensée véhiculée par El Regional, son catholicisme, et son inscription dans un débat qui dépasse les limites du politique et qui a lui-même une longue histoire. Ainsi, en guise d’épilogue de ces réflexions, le journal affiche sa conviction que la responsabilité des troubles revient au fond aux libéraux, à leur irresponsabilité, à leur travail de sape de la morale du peuple :
« Ils ont tellement prêché aux masses la souveraineté, ils leur ont tellement fait croire qu’elles ne doivent pas obéir, que maintenant elles veulent mettre en pratique toutes ces idées par la désobéissance. [...] Le gouvernement viendra à bout des foyers d’insurrection dans le Chihuahua. Mais il ne mettra pas un terme à l’anarchie dans les idées, à la véritable révolution que le peuple soutient.
Pour cette révolution il n’y a pas besoin de mitrailleuses, ni de pelotons d’exécution [...] ni d’aucune mesure de rigueur, qui produisent en général de plus profondes indignations. Il faut pour la vaincre un apostolat, l’apostolat de la Croix154. »
133A l’opposé, dans les pages des journaux officieux, une autre image se construit, de Francisco I. Madero d’abord, de la révolution ensuite, qui ridiculise la personnalité du premier pendant sa campagne présidentielle, qui essaie en permanence de minimiser le soutien populaire accordé au mouvement et qui condamne par la suite l’option de la prise des armes en la présentant non seulement comme indésirable mais aussi comme non désirée par la population.
134Quant à El Correo de Jalisco, son mépris pour l’homme et pour le mouvement se résume fort bien dans l’un des articles consacrés à la visite du candidat antiréélectionniste à Guadalajara au mois de mai 1910155, article qui essaie de ridiculiser et de réduire au minimum l’importance de cette réunion de Madero, qui fut pourtant l’un de ses plus grands succès au Jalisco. Tout est mépris dans le développement de cet article, à commencer par le lieu même de la réunion : « Hier il a fait [Madero] sa présentation dans cette ville et il joua son rôle dans une grande écurie à l’apparence de jardin potager »156. Sont aussi tout particulièrement visés ceux qui le suivent, car le candidat était, selon le journal,
« entouré d’une multitude formée de curieux pour la plupart, car ceux qui se disent partisans de Madero n’étaient même pas trois cents, dont il faut soustraire deux cent cinquante puisqu’ils sont vraiment inconscients. Le reste de la foule qui s’est formée hier sur ledit terrain vague, n’avait aucun principe à soutenir [...] elle y est allée comme au football, à la corrida ou au cirque157. »
135Comble du non-sens aux yeux du journal, et preuve de la déviation que constituait l’antiréélectionnisme, pendant la réunion une femme avait prononcé un discours ! Finalement, le jugement porté sur le candidat est donné très clairement, cet homme souffre de fragilité mentale et son programme est d’une naïveté flagrante :
« Nous croyons que don Pancho est un monsieur riche qui navigue sur la mer de la folie, poussé par quelques malins, tandis que lui se voit déjà Président du Mexique et il propose même de ne pas se faire réélire158. »
136Le journal n’hésitera pas par la suite à applaudir aux actions du gouvernement d’Ahumada à rencontre des madéristes et tracera la généalogie des anti-réélectionnistes locaux :
« Ces groupes se composent des dépités et des désabusés, des reyistes d’hier, des indépendants d’aujourd’hui et des désœuvrés et fainéants de toujours. Bien connus, il n’y a plus lieu d’avoir envers eux aucun ménagement, au risque de regretter demain des désordres dangereux159. »
137Aucune raison de s’étonner, alors, qu’après l’emprisonnement de Madero, le journal taxe, en première page, les antiréélectionnistes d’« ennemis du peuple »160. Peu à peu, El Correo de Jalisco essaie de construire une image des antiréélectionnistes comme celle d’« amateurs du désordre »161. Madero devient ainsi « cet élu des mécontents et des éléments pernicieux de la société »162, que ses efforts ont conduit en prison. Son prétendu déséquilibre mental est souligné avec insistance :
« comme il est en voie d’être examiné par les médecins, si ces derniers prouvent qu’il souffre de mégalomanie aiguë, il en résultera que d’autres, ceux qui l’exploitent, devront être punis, puisque Madero est certainement irresponsable, compte tenu de l’état d’aveuglement tenace qui le domine163. »
138Madero n’est ainsi qu’une marionnette : « Il y en a qui assurent qu’il parle seul dans sa geôle et qu’il est la proie de belles visions qui le font sourire164. »
139Mais à partir de l’appel au soulèvement, l’image de Madero et des madéristes commence à évoluer aussi dans la presse officieuse. Elle glisse progressivement vers l’idée de révolte ou révolution. Autour du 20 novembre, les idées qui lui sont associées sont celles d’incrédulité et de déstabilisation. Les madéristes sont coupables d’une déstabilisation par la rumeur, mais cette rumeur est tenue pour stérile ; c’est la « révolution des imaginations » de La Gaceta de Jalisco qui trouble la tranquillité de la vie quotidienne165. C’est enfin l’image du mouvement qui est construite plutôt que celle de l’homme.
140Un nouveau glissement, celui-ci beaucoup plus important, se produit au fur et à mesure que les madéristes consolident leurs positions ; ainsi, à la chute de Díaz, ils acquièrent une dimension plus qu’honorable. Exaltée pour sa modération et sa popularité, la révolution madériste est finalement élevée au rang de celle d’indépendance :
« Cette révolution que nous avons vue ne ressemble à aucune des autres révolutions et n’est comparable qu’à celle de Iturbide. Elle n’a pas démoli comme les autres révolutions ni n’a laissé des ruines fumantes ; les pueblos saluaient, pleins de joie, les madéristes, comme ils recevaient les trigarantes il y a quatre-vingt-dix ans166.
3.2. Chute du régime porfirien et dispersion du pouvoir
141Le madérisme, cet étranger, cet intrus que l’élite politique du Jalisco dédaigne… parviendra rapidement et sans qu’on ait eu le temps de réaliser son importance, à faire tomber le régime vieux de 35 ans. Le 25 mai 1911, Porfirio Díaz et Ramón Corral se démettaient de leurs fonctions de président et vice-président de la république.
142Avec la chute de Díaz, une chaîne de légitimités se rompt ; le grand électeur frappé d’illégitimité, tous ceux qui avaient été légitimés par son pouvoir se voient frappés eux-mêmes d’illégitimité.
143Il est vrai d’une part que le Plan de San Luis déclarait toutes les autorités en place illégitimes167 ; mais il est vrai d’autre part que, au-delà des déclarations formelles des révolutionnaires, l’ébranlement du pouvoir de Díaz et sa disparition de la scène politique débouchent sur un vide et une dispersion du pouvoir, sur une crise de légitimité qui touche tous les niveaux de l’administration, phénomène qui — comme le note bien Romana Falcón, s’accentuera au fur et à mesure que la révolution se répandra168.
144Au Jalisco, les effets de cette crise de légitimité sont immédiats : à peine annonce-t-on la chute imminente du régime porfirien (les traités de paix ont été signés le 21 mai à Ciudad Juárez, Chihuahua), que le gouvernement de Cuesta Gallardo s’écroule, avant même que la démission de Díaz et de Corral ne soit signée, à la suite d’une série de manifestations populaires ; manifestations d’enthousiasme d’abord, puis devenues agressives à son encontre, en réponse à la nervosité de la police et du gouverneur lui-même169. Cuesta Gallardo demande le soutien de Porfirio Díaz, qui ne peut plus le lui assurer. En deux jours l’hacendado démissionne, sa gestion n’aura même pas duré deux mois.
145Et pourtant... la révolution au Jalisco ne semblait pas très proche : des bandes armées ici et là, incapables pour l’heure de consolider leurs positions… Il semble même que ce ne soit qu’à la chute du régime que la révolution commence, que les soulèvements se multiplient au nom de cette révolution que son promoteur initial, Francisco I. Madero, voudrait alors liquider170.
146Dans un tel contexte, qu’est-ce qui provoque la chute du gouverneur ? les révolutionnaires ne sont pas aux portes de Guadalajara, la situation militaire dans l’état n’est pas hors de contrôle. Faudrait-il à nouveau parler de la peur ?
147Le 23 mai court dans Guadalajara la nouvelle de la signature de la paix à Ciudad Juárez. Et tout se passe comme si cette annonce était un appel à la mobilisation : à partir d’environ cinq heures de l’après-midi, les rues de la ville commencent à être envahies de manifestants (étudiants, ouvriers, peuple urbain en général) qui se réjouissent de la paix et de la chute de Díaz et qui acclament Madero. Les similitudes avec ce qui s’est passé à San Luis Potosí sont frappantes : « Hors de danger maintenant, les multitudes sont accourues pour acclamer les révolutionnaires »171. Cuesta Gallardo les observe et les salue d’un balcon du palais du gouvernement. Jusqu’à huit heures du soir passées, le nombre de manifestants ne fait qu’augmenter :
« Vers huit heures et demie du soir, une énorme colonne débordante de monde est arrivée à la Plaza de Armas, portant des drapeaux et des branches d’arbres, accompagnée de musique et de tambours ; la multitude ne tenait plus sur la place et elle avait des va-et-vient de mer démontée172. »
148Quelques instants plus tard, la garde de rurales, placée à la porte du palais du gouvernement, réagit à des tirs en l’air, et sans avoir reçu de provocation directe, en envoyant plusieurs décharges sur les manifestants, ce qui se solde, selon La Libertad, par un bilan de seize ou dix-sept morts et de nombreux blessés. De l’intérieur du palais, ordre est immédiatement donné d’éteindre les lumières éclairant la place, afin d’empêcher les présents de voir les résultats du massacre. Quelques journalistes réussissent toutefois à suivre le mouvement de bon nombre des cadavres et de blessés qui sont retirés par la police173.
149C’est au lendemain d’un tel événement que se produit la démission de Cuesta Gallardo. Elle n’est pas la conséquence d’une initiative émanant du gouverneur lui-même, mais le résultat d’une deuxième journée autrement bouleversante. En effet, le 24 mai au matin, les manifestations reprennent de bonne heure : ce sont toujours les acclamations à Madero, mais qui cette fois, s’accompagnent de revendications très claires : le retrait de la garde de rurales et la démission du gouverneur. Contrairement à la veille, cette fois des têtes apparaissent : Octaviano Lobato, Félix C. Vera (dirigeant des cheminots) et Guillermo Aguirre Fierro, formant une commission de ce que la presse appelle « le peuple » — des madéristes en fait, et qui exigent que la justice poursuive les responsables du massacre et que le gouverneur démissionne ; dans les rues, la presse retient le nom de quelques orateurs : Mauro Jiménez, J. Morales, Gilberto Valenzuela. Un autre acteur apparaît que l’on connaît déjà, le Partido Independiente, dont une commission exige aussi la démission de Cuesta Gallardo. Dans l’après-midi, c’est le président du Tribunal Suprême, David Gutiérrez Allende, qui fait preuve de ses qualités d’orateur… mais aucun d’entre eux n’est l’organisateur avoué de ces masses.
150S’agrippant comme il le peut au pouvoir, Cuesta Gallardo se replie pendant quelques heures dans le palais du gouverneur. Pendant qu’il reste là, retranché, une séance houleuse à la Chambre locale lui assène le coup de grâce.
151Le cas du Jalisco illustre bien cette dispersion du pouvoir caractéristique des temps qui suivent immédiatement la démission de Díaz. Le système a perdu sa tête, et il s’avère totalement impuissant au niveau de ses différentes instances. La centralisation du pouvoir était telle, et reproduite à tel point aux différents niveaux de l’administration, qu’une fois Díaz tombé, le pouvoir échappe de ces lieux traditionnels et se disperse.
152La précipitation et l’enchaînement des événements sont étonnants : la paix est signée à Ciudad Juárez le 21 mai ; le 23, des manifestations enthousiastes se soldent par un massacre ; le 24 Cuesta Gallardo démissionne. Mais les conditions dans lesquelles il démissionne sont tellement particulières (Díaz est prêt à démissionner lui-même le lendemain) qu’il n’y a aucun arbitre pour contrôler le processus, aucun pouvoir supérieur qui se porte garant de la stabilité. Ainsi, pour la première fois depuis l’arrivée de Porfirio Díaz à la Présidence de la République, les Pouvoirs du Jalisco ont à accomplir une mission en tant que véritables Pouvoirs. La situation serait unique pour l’exercice de la souveraineté de l’état et du fédéralisme mais les Pouvoirs restant en place, face à la démission de l’Exécutif, s’avèrent, dans la pratique, dépourvus de pouvoir réel, plongés dans l’inertie qui fait d’eux un simple élément de décor depuis plus de trois décennies, mais surtout pris dans le mouvement de la crise de légitimité qui touche l’ensemble des instances de pouvoir dans le pays depuis, non pas la proclamation du Plan de San Luis, mais la défaite du gouvernement de Díaz. La démission de Cuesta Gallardo prend doublement le système porfirien jalisciense au dépourvu : d’une part, disparition de la clé de voûte locale, le gouverneur ; d’autre part, disparition imminente de la clé de voûte nationale (qui aurait pu, en temps normal, régler la situation), le président.
153La scène de nomination de Gutiérrez Allende, dans la salle des séances du Congrès de l’état, est fortement significative du pouvoir réduit de ce Congrès local récemment élu : Cuesta Gallardo envoie une demande de congé illimité ; le Congrès le lui refuse, il en exige la démission ; le gouverneur démissionne. Les députés élisent pour gouverneur provisoire leur président José Cuervo ; les galeries s’enflamment et exigent la nomination de Gutiérrez Allende. Le Congrès revient sur sa décision : Gutiérrez Allende est nommé et investi gouverneur provisoire. Tout cela dans la même journée.
154Le nouveau gouverneur détient un pouvoir tout à fait relatif. Gutiérrez Allende assiste à l’écroulement du système porfirien, doit participer à son démantèlement — dissolution, d’abord du Congrès de l’état, puis renouvellement des autorités municipales — mais il n’a que très peu de contrôle sur ce processus. Il arbitre enfin une lutte de plus en plus vive entre des forces de plus en plus divergentes — y compris maintenant les chefs madéristes — pour un pouvoir difficile à saisir.
Notes de bas de page
1 Sur la constitution de ce réseau, cf. F.-X. Guerra, México, del antiguo régimen..., op. cit.
2 Cf. Ch. C. Cumberland, Mexican Revolution. Genesis under Madero, Austin, University of Texas Press, 1974, A. Knight, op. cit., J. Tutino, op. cit.
3 L’organisation prenait le nom du libéral radical né au Jalisco, vice-président de la république en 1833 et auteur des premières lois anti-cléricales mexicaines. J. Ramirez Flores fait dater sa fondation du 3 juin 1909, op. cit., p. 38. M. Aldana Rendon place, lui aussi, l’instauration formelle du Club Gómez Farίas début juin, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., p. 89 ; la presse de l’époque signale le 4 juillet comme date de naissance du club. El Regional, 2 juillet 1909 ; La Libertad, 26 juin 1909.
4 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., p. 89.
5 Cité par L. Paez Brotchie dans Jalisco Historia Minima, Guadalajara, H. Ayuntamiento Municipal, 1985, p. 308. Originaire de l’état voisin de Zacatecas, Estrada avait fait ses études au Lycée de l’état à Guadalajara, où il s’était lié particulièrement à Miguel Mendoza López S. et Ignacio Ramos Praslow. Il avait participé à la revue Aurora Social — créée et fermée en 1904, à son premier numéro, par ordre du gouvernement de l’état — et finalement, jugé trop inquiet par ce même gouvernement, il avait été contraint de quitter le territoire du Jalisco. Cf. M. A. Cárdenas, En familia, Guadalajara, Universidad de Guadalajara, 1994, pp. 77-78 et 143-157.
6 J. Ramirez Flores, op. cit., pp. 37-40.
7 Le récit de Ramírez Flores se réfère plutôt au mouvement à partir de 1910. De même, l’annexe II, qui publie le deuxième livre d’actes des séances du Gómez Farίas, va de janvier à mai 1910.
8 L. Paez Brotchie, op. cit., pp. 315-316.
9 R. Estrada, op. cit.
10 Cf. L. Paez Brotchie, op. cit., J. M. Muria (éd.), Historia de Jalisco, op. cit., t. IV ; M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit.
11 A. Taracena, op. cit., p. 227.
12 Cf. M. Blanco, op. cit.
13 Les installations de l’ancienne Gaceta de Guadalajara ayant été louées à des journalistes de Mexico, le journal s’était transformé en début octobre 1910 en Gaceta de Jalisco, afin d’éviter des problèmes avec Trinidad Alamillo, son ancien directeur et propriétaire. El Regional, 4 octobre 1910.
14 C’est peut-être ce qui provoque la confusion de certains auteurs qui parlent d’un Partido Independiente Democrático, qui n’a jamais existé comme tel. Cf. pour l’ensemble de ces questions, le chapitre « Le mirage du reyisme ».
15 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., p. 93.
16 Cité par L. Paez Brotchie, op. cit., p. 315. Ambrosio Ulloa, président du parti, venait de sortir, en octobre, de plusieurs mois de prison. El Regional, 6 octobre 1909.
17 L. Paez Brotchie, op. cit., p. 315.
18 Cf. au sujet de cette école, important lieu de sociabilité en cette fin du porfiriat, le chapitre précédent.
19 J. M. Muria (éd.). Historia de Jalisco, op. cit., t. IV, p. 214.
20 R. Estrada, op. cit. ; on peut le retrouver également dans M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., pp. 88 et suiv.
21 La Libertad, 23 décembre 1909.
22 Jalisco Libre, 26 décembre 1909.
23 La Gaceta de Guadalajara, 26 décembre 1909.
24 R. Estrada, op. cit. et déclarations de Alfonso Ruiz Galindo à Marco A. Cárdenas ; entretien du mois de janvier 1992, fonds d’archives privé.
25 Cette idée a été véhiculée entre autres par A. Taracena, qui présente cette union comme un fait accompli : « Le Parti Independiente de cet endroit décida de s’unir au parti Antirreeleccionista », op. cit., pp. 252-253.
26 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., pp. 93-94; A. Taracena, op. cit., p. 253.
27 Cf. Ch. C. Cumberland, Mexican Revolution, Genesis..., op. cit.
28 Cf. supra, chapitre 3, pp. 104-105.
29 Sur Mendoza López et La Aurora Social, cf. P. Valles, op. cit.
30 A. Taracena, op. cit., p. 253.
31 J. Tamayo, El movimiento agrario y la revolución maderista. Jalisco 1910-1913, Guadalajara, CEHAM-Universidad de Guadalajara, 1983, pp. 27-28.
32 « Un meeting que fracasa », La Gaceta de Guadalajara, 27 décembre 1909.
33 Ibid.
34 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., p. 97.
35 El Regional, 7 mai 1910. Il s’agit de la séance extraordinaire du 26 avril 1910, dont on peut trouver l’acte reproduit dans J. Ramirez Flores, op. cit., annexe II, pp. 151-152.
36 El Regional, 11 mai 1910.
37 Sur Manuel Cuesta Gallardo, cf. supra, chapitre 1.
38 El Regional, 20 mai 1910.
39 Ibid., 7 juin 1910.
40 Ibid., 8 juin 1910.
41 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit. p. 97.
42 « Los clubs que fueron a México no son ni pueden ser los representantes de los estados », La Libertad, 7 avril 1909.
43 El Correo de Jalisco, 10 mai 1910.
44 Ce qui n’exclut, évidemment pas, les voyages fréquents des premiers à Mexico.
45 El Globo, 15 juin 1909.
46 La Libertad, 5 mai 1909. C’est à la suite d’un incendie qui ravagea le marché « Corona », situé en plein centre de Guadalajara, que cette initiative fut prise, recueillant l’assentiment d’un grand nombre de commerçants.
47 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., p. 94.
48 La Libertad, 24 juin 1909.
49 El Regional 11 novembre 1910.
50 Pour la structuration du réseau, cf. supra, chapitre 5.
51 Cf. F.-X. Guerra, México : del Antiguo Régimen..., op. cit., t. 1, notamment les pp. 84-96.
52 Sur ces figures constitutionnelles abolies par Ahumada en 1906, voir le chapitre 2.
53 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., pp. 95-96.
54 El Regional, 7 octobre 1910.
55 Ibid., 8, 12, 14, 16, 18, 19, 20, 21 et 25 octobre ; 10, 11, 15 et 16 décembre 1910.
56 Ibid., 6 octobre 1910.
57 Ibid., 16 octobre 1910 : « Cuesta Gallardo est rentré hier à Guadalajara et lors de son arrivée à la gare, il a été très applaudi. »
58 Ibid., 18 octobre 1910.
59 Ibid.
60 Ibid., 19 octobre 1910.
61 Ibid.
62 Ibid., 11 décembre 1910.
63 Ibid., 13 décembre 1910.
64 Ibid.
65 Ibid., 15 décembre 1910.
66 Ibid., 16 décembre 1910.
67 Ibid., 18 octobre 1910.
68 Ibid., 20 octobre 1910.
69 Ibid., 21, 22 et 23 octobre 1910.
70 Ibid., 19 octobre 1910.
71 Ibid.
72 Ibid.
73 Ibid., 8 novembre 1910.
74 Ibid., 14 novembre 1910.
75 Ibid.
76 Ibid., 28 juin 1910.
77 Ibid., 12 et 28 juin 1910.
78 Ibid., 29 juin de 1910.
79 Ibid., 4 octobre 1910.
80 Ibid., 20 mai 1910.
81 Ibid., 7 juin 1910.
82 Avec la même rapidité de décision. Bravo y Juárez prendra le parti de l’insurrection auprès de Cleofas Mota, lorsque le madérisme commencera à subir la répression du régime de Díaz.
83 El Regional, 12 octobre 1910.
84 Ibid., 20 octobre 1910.
85 Ibid., 7 novembre 1910.
86 Ibid., 18 octobre 1910.
87 Ces clubs reprenaient le nom du juriste jalisciense Ignacio L. Vallarta, libéral, ministre de la justice dans les premières années du porfiriat et ennemi de Díaz, et surtout, une des dernières figures d’envergure nationale du Jalisco pré-révolutionnaire.
88 El Regional, 18 octobre 1910.
89 Ibid., 19 octobre 1910.
90 Ibid, 13 décembre 1910.
91 Ibid.
92 J. Ramirez Flores, op. cit., p. 40.
93 Cf. J. Womack Jr. « La Revolución mexicana, 1910-1920 », dans L. Bethell (éd.), op. cit., p. 82 ; pour des exemples régionaux spécifiques, cf. M. Blanco, op. cit., pp. 30-31 et R. Falcon, op. cit., p. 49.
94 La présence d’un noyau fort d’antiréélectionnistes à El Salto de Juanacatlán, ne surprendra pas ceux qui connaissent la tradition de lutte des habitants de cette colonie ouvrière proche de Guadalajara, P. Arias et J. Durand, « Dos modelos de industrialización rural durante el porfiriato », Espiral. Estudios sobre Estado y Sociedad, N° 6, mai-août 1996. pp. 141-160.
95 El Regional, 8 juin 1910. Il convient de rappeler à quel point cette menace était un des instruments de prédilection du régime porfirien, efficace sans aucun doute, du moins au niveau local, car les opposants étaient ainsi envoyés loin de leur région d’origine pour souvent ne plus jamais y revenir. La tactique fut notamment employée contre les indiens yaquis du Sonora qui furent envoyés dans le Yucatán. Cf. A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso... », op. cit.
96 Ibid., 18 juin 1910.
97 Ibid., 8 juin 1910.
98 J. Tamayo, El movimiento agrario…, op. cit., p. 30.
99 Francisco I. Madero, après avoir quitté secrètement la ville de San Luis Potosí, où il avait été assigné en résidence surveillée après son arrestation à la veille des élections présidentielles, lance, depuis les États-Unis, un appel à la révolte contenu dans le document connu comme Plan de San Luis Potosí, dans lequel il fixait le 20 novembre comme date pour une prise d’armes généralisée. Cf. F. I. Madero, Plan de San Luis Potosí, 5 octobre 1910, reproduit dans Documentos de la Revolución Mexicana, Biblioteca Enciclopédica Popular n° 79, Mexico, Secretaría de Educación Pública, 1945, pp. 37-47.
100 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden…, op. cit., p. 111.
101 Les efforts pour lui donner un centre à Guadalajara échouèrent et cela à cause de deux facteurs : la surveillance plutôt stricte dont les madéristes font l’objet de la part de la police et la présence, trop attractive dans cette capitale, d’autres forces politiques. Cf. J. Ramirez Flores, op. cit.
102 J. Tamayo, El movimiento agrario..., op. cit., pp. 37-38. Cela n’est pas le seul cas du Jalisco, mais une caractéristique générale du madérisme. Cf. par exemple, I. Jacobs, op. cit., p. 105.
103 Sur ces différents soulèvements, cf. M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit. et J. Tamayo, El movimiento agrario..., op. cit.
104 Cf. par exemple J. Womack (Jr.), « La revolución mexicana... », op. cit.
105 El Regional, 19 novembre 1910.
106 Ibid., 11 novembre 1910.
107 Ibid., 19 novembre 1910. Ce même journal affirmait que la panique avait déjà saisi les familles.
108 Ibid., 19 novembre 1910.
109 La Gaceta de Jalisco, 19 novembre 1910.
110 El Regional, 19 novembre 1910.
111 A. Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au xviiie siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1992, pp. 56-57.
112 La Gaceta de Jalisco, 20 novembre 1910.
113 Sur les révoltes du Yucatán à la fin du porfiriat et sur leur lien avec la révolution madériste, cf. g. M. Joseph, et A. Wells, « Un replanteamiento de la movilización revolucionaria mexicana : los tiempos de sublevación en Yucatán, 1909-1915 », Historia Mexicana 171, vol. XLIII, janvier-mars 1994, n° 3, pp. 505-546.
114 El Regional, 25 novembre 1910.
115 Ibid., 22 novembre 1910.
116 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden…, op. cit., p. 113.
117 El Regional. 25 novembre 1910.
118 Ibid.. 26 novembre 1910.
119 Ibid.
120 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden…, op. cit., pp. 108-109.
121 El Regional, 4 décembre 1910.
122 Ibid., 11 novembre 1910.
123 Jalisco Libre, 16 janvier 1910.
124 El Regional, 5 novembre 1910.
125 M. A. Cárdenas, op. cit., p. 87.
126 El Regional, 4 décembre I910.
127 Ibid., 14 décembre 1910.
128 Ibid., 11 et 15 décembre 1910.
129 Ibid., 20 décembre 1910.
130 M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden…, op. cit., p. 104.
131 El Regional, 17 décembre 1910.
132 Cette représentation de Madero doit beaucoup à Porfirio Díaz lui-même. Cf. F. Katz, « México : la restauración de la República... », op. cit., pp. 73-74.
133 Sur ces jours qui précédèrent la chute de Madero, on peut lire notamment le témoignage de M. Marquez Sterling, op. cit.
134 Concernant l’image de Madero dans la presse porfiriste du temps de son mandat présidentiel, cf. A. Rodriguez Kuri, op. cit.
135 La Libertad, 11 mars 1909.
136 Ibid., 26 juin 1909.
137 Ibid., 29 mars 1909.
138 Sur les raisons de celte hésitation, cf. le chapitre 7.
139 El Regional, 19 mai 1910.
140 Cf. ibid., entre le 1er janvier et le 31 mai 1910.
141 Ibid.
142 Ibid., 9 mai 1910.
143 Ibid., 10 juin 1910.
144 Ibid., 12 juin 1910.
145 Ibid., 12 octobre 1910, colonne « Películas ».
146 La première nouvelle d’un soulèvement date du 14 octobre 1910 et procède de Hidalgo del Parral (Chihuahua).
147 El Regional, 24 novembre 1910.
148 Cette reproduction est faite à partir du 10 décembre. Le témoignage est pris d’un journal de San Luis Potosí, El Estandarte, et reproduit avec l’avertissement que l’on ne peut pas garantir sa véracité, même si l’on accorde un grand crédit au dit journal.
149 Par exemple le 6 décembre 1910.
150 Terrazas sera libéré sur ordre du colonel Ahumada, lorsque celui-ci sera désigné gouverneur du Chihuahua, en février 1911.
151 El Regional, 9 décembre 1910.
152 Ibid., 19 décembre 1910.
153 Ibid., 15 décembre 1910. Sur la faiblesse militaire du gouvernement porfirien, cf. A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso… », op. cit.
154 El Regional, 15 décembre 1910.
155 « Un Madero que no flota », El Correo de Jalisco, 9 mai 1910.
156 Ibid.
157 Ibid.
158 Ibid.
159 Ibid., 4 juin 1910.
160 « Quiénes son los verdaderos enemigos del pueblo », ibid., 18 juin 1910.
161 Ibid., 20 juin 1910.
162 « La campaña de Madero », ibid., 25 juin 1910, daté le 24 à San Luis Potosí.
163 Ibid., 25 juin 1910.
164 Ibid.
165 La Gaceta de Jalisco, 19 et 20 novembre 1910.
166 La Gaceta de Guadalajara, 29 mai 1911. Le nom de trigarantes avait été donné aux membres de l’année de las Tres Garantías laquelle, alliant les forces de Vicente Guerrero à celles d’Agustín de Iturbide, donna la victoire définitive aux indépendentistes mexicains sur les armées royalistes en 1821.
167 Le cas du Jalisco est un peu particulier, dans la mesure où les élections locales étaient postérieures au Plan de San Luis, mais nul ne songea à utiliser cet argument pour maintenir les autorités en place.
168 R. Falcon, op. cit.
169 On peut lire le récit détaillé de ces journées dans La Libertad, du 24 et 25 mai 1911 ; sa reproduction intégrale dans M. A. Cárdenas, op. cit., pp. 125-135 ; et un résumé, dans M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden..., op. cit., pp. 116-121.
170 Cf. J. Tamayo, El movimiento agrario…, op. cit., M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden…, op. cit. Cette situation n’est pas exclusive du Jalisco, cf. ; R. Falcon, op. cit., p. 55 et M. Blanco, op. cit. Sur la décision de Madero de liquider la révolution, en particulier l’armée révolutionnaire, cf. P. J. Vanderwood, Los rurales mexicanos, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1981 ; A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso…, op. cit. ; F. Katz, « México : la restauración de la República... », op. cit., p. 77.
171 R. Falcon, op. cit., p. 55.
172 La Libertad, 24 mai 1911, cité par M. A. Cárdenas, op. cit., p. 128.
173 La Libertad, 24 mai 1911, cité dans ibid., pp. 125-130.
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Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913
Ce livre est cité par
- (2013) Collection Histoire Révolutions. DOI: 10.3917/bel.larre.2013.01.0236
- Tahar Chaouch, Malik. (2012) Religion, mouvements sociaux et démocratie : convergences et contradictions au Mexique. Politique et Sociétés, 30. DOI: 10.7202/1008311ar
- (2002) Librairie. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no 75. DOI: 10.3917/ving.075.0187
Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913
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